Retour vers la première partie
Aller vers la troisième partie
Stéphane Just:
À
PROPOS DE «LA MONDIALISATION DU CAPITAL»
(Deuxième
partie)
LES FIRMES
MULTINATIONALES (FMN)
DÉCLOISONNEMENT
ET OLIGOPOLES MONDIAUX
LES EMN
INDUSTRIELLES ET LES SERVICES
" LE MAîTRE
MOT COMPÉTITIVITÉ "
LE COMMERCE
INTRA-FRIMES : SON IMPORTANCE
SUR LE CAPITAL
FINANCIER (F. CHESNAIS)
UNE TRANSCENDANCE
VERS UN CAPITAL MONDIAL ?
LE CAPITAL
FINANCIER ET LES " PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES "
" LA
VÉRITABLE BARRIÈRE AU CAPITAL "
L’" ÉTAT
NATION " ULTIME RECOURS
CHAQUE
PROLÉTARIAT DOIT PRENDRE LE POUVOIR DANS SON PROPRE PAYS
Mais il est vrai qu’il y a modification quant à l’ampleur et la forme
des IDE et des EMN. De ce point de vue, grosso modo, on peut suivre l’analyse
réalisée dans " mondialisation du capital " par François
Chesnais. Il écrit :
Dans la
dernière étude qu’il a publiée avant qu’il ne soit dissous, l’UNCTNC a ainsi
dénombré l’existence de près de 37 000 FMN, avant de préciser trois pages plus
loin que l’essentiel de l’analyse porterait sur les 100 groupes les plus
transnationalisés, dont nous donnons dans le tableau 2 les trente premiers
noms. En 1990, ces 100 groupes concentraient entre leurs mains environ un tiers
du montant total mondial de l’IDE ; ils possédaient des actifs d’une valeur
cumulée de l’ordre de 3,2 trillions de dollars, dont environ 40 % étaient
situés en dehors du pays d’origine.
Tableau
2 Les trente groupes non financiers les plus internationalisés, rangés
selon le montant des actifs à l’étranger, en 1990 |
|||||||||
Rang |
Groupe |
Pays |
Branche
principale |
Actifs à
l’étranger |
Actifs
totaux |
Ventes à
l’étranger |
Ventes
totales |
Emploi à
l’étranger |
Emploi |
1 |
Royal
Dutch Shell |
Royaume-Uni,
Pays-Bas |
Pétrole |
69,2 |
106,4 |
47,1 |
106,5 |
99 000 |
137 000 |
2 |
Ford |
États-Unis |
Automobile |
55,2 |
173,7 |
47,3 |
97,7 |
188 904 |
370 383 |
3 |
GM |
États-Unis |
Automobile |
52,6 |
180,2 |
37,3 |
122,0 |
251 130 |
767 200 |
4 |
Exxon |
États-Unis |
Pétrole |
51,6 |
87,7 |
90,5 |
115,8 |
65 000 |
104 000 |
5 |
IBM |
États-Unis |
Informatique |
45,7 |
87,6 |
41,9 |
69,0 |
167 868 |
373 816 |
6 |
British
Petroleum |
Royaume-Uni |
Pétrole |
31,6 |
59,3 |
43,3 |
59,3 |
87 200 |
118 050 |
7 |
Asea Brown Boveri |
Suisse |
Construction
mécanique |
26,9 |
30,2 |
25,6 |
26,7 |
200 177 |
215 154 |
8 |
Nestlé |
Suisse |
Agroalimentaire |
- a |
28,0 |
35,8 |
36,5 |
192 070 |
199 021 |
9 |
Philips Electronics |
Pays-Bas |
Électronique |
23,3 |
30,6 |
28,8 |
30,8 |
217 149 |
272 800 |
10 |
Mobil |
États-Unis |
Pétrole |
22,3 |
41,7 |
44,3 |
57,8 |
27 593 |
67 300 |
11 |
Unilever |
Royaume-Uni,
Pays-Bas |
Agroalimentaire |
- a |
24,7 |
16,7 |
39,6 |
261 000 |
304 000 |
12 |
Matsushita
Electric |
Japon |
Électronique |
- a |
62,0 |
21,0 |
46,8 |
67 000 |
210 848 |
13 |
Fiat |
Italie |
Automobile |
19,5 |
66,3 |
20,7 |
47,5 |
66 712 |
303 238 |
14 |
Siemens |
Allemagne |
Électronique |
- a |
43,1 |
14,7 |
39,2 |
143 000 |
373 000 |
15 |
Sony |
Japon |
Électronique |
- a |
32,6 |
12,7 |
20,9 |
62 100 |
112 900 |
16 |
Volkswagen |
Allemagne |
Automobile |
- a |
42,0 |
25,5 |
42,1 |
95 934 |
268 744 |
17 |
Elf
Aquitaine |
France |
Pétrole |
17,0 |
42,6 |
11,4 |
32,4 |
33 957 |
90 000 |
18 |
Mitsubishi |
Japon |
Électron
que |
16,7 |
73,8 |
45,5 |
129,3 |
- a |
32 417 |
19 |
GE |
États-Unis |
Électronique |
16,5 |
153,9 |
8,3 |
57,7 |
62 580 |
298 000 |
20 |
Du Pont |
États-Unis |
Chimie |
16,0 |
38,9 |
17,5 |
37,8 |
36 400 |
124 900 |
21 |
Alcatel
Alsthom |
France |
Électronique |
15,3 |
38,2 |
13,0 |
26,6 |
112 966 |
205 500 |
22 |
Mitsui |
Japon |
Commerce
(soga sosho) |
15,0 |
60,8 |
48,1 |
136,2 |
- a |
9 094 |
23 |
News Corporation |
Australie |
Presse
et édition |
14,6 |
20,7 |
4,6 |
5,7 |
- a |
38 432 |
24 |
Bayer |
Allemagne |
Chimie |
14,2 |
25,4 |
20,3 |
25,9 |
80 000 |
171 000 |
25 |
BAT
Industries |
Royaume-Uni |
Tabac |
.. a |
48,1 |
16,5 |
22,9 |
- a |
217 373 |
26 |
Ferruzzi
Montedison |
Italie |
Chimie /
Agro-alim. |
13,4 |
30,8 |
8,0 |
14,0 |
22 300 |
44 949 |
27 |
Rhône
Poulenc |
France |
Chimie |
13,0 |
21,3 |
11’1 |
14,4 |
50 525 |
91 571 |
28 |
BASF |
Allemagne |
Chimie |
.. a |
24,3 |
19,1 |
29,0 |
46 059 |
134 647 |
29 |
Toyota |
Japon |
Automobile |
12,8 |
55,1 |
24,8 |
60,1 |
11 326 |
96 849 |
30 |
Philip
Morris |
États-Unis |
Agro-alim,
/ Tabac |
12,5 |
46,6 |
10,5 |
51,2 |
66 000 |
168000 |
Source :
Centre des Nations unies sur les sociétés transnationales, 1994, |
Selon lui :
la FMN a
invariablement commencé par se constituer en tant que grande firme sur
le plan national, ce qui implique à la fois qu’elle est le résultat d’un processus
de concentration et de centralisation du capital plus ou moins long et complexe
et qu’elle s’est souvent diversifiée avant de commencer à s’internationaliser ;
que la FMN a une origine nationale, de sorte que les forces et
faiblesses de sa base nationale et l’aide qu’elle reçoit de son État seront une
composante de sa stratégie et de sa compétitivité ; que cette firme est le plus
souvent un groupe, dont la forme juridique contemporaine est le holding
international ; enfin que ce groupe se déploie à l’échelle mondiale et possède
des stratégies et une organisation établies en conséquence.
Il insiste sur " la constitution de l’EMN en
groupe " :
Dans la
forme proposée par F. Morin (1974), cette définition spécifiait qu’il fallait
entendre par groupe : " L’ensemble formé par une société mère
(appelée généralement holding du groupe) et les sociétés filiales placées sous
son contrôle. La société mère est donc avant tout un centre de décision
financier, alors que les sociétés placées sous son contrôle ne sont, la plupart
du temps, que des sociétés exploitantes. Aussi le rôle essentiel d’une société
mère est-il l’arbitrage permanent des participations financières qu’elle
détient en fonction de la rentabilité des capitaux engagés. C’est la fonction
d’arbitrage de la société mère qui confère au groupe son caractère financier.
"
De façon très similaire, la
structuration en groupe " autour d’un centre financier et par un réseau de
liens principalement financiers, mais dans certains cas aussi personnels
", d’un ensemble, éventuellement très diversifié, de sociétés engagées
dans des activités multiples, était considérée par M. Beaud (1978) comme
constituant le " mode dominant de segmentation du capital au stade actuel
du capitalisme ". Ce mode de segmentation était alors reconnu, par
l’ensemble des chercheurs français travaillant sur la question, comme allant de
pair avec une recherche de la part des groupes d’une mise en valeur du capital
différenciée et multiforme : celle-ci pouvait prendre aussi bien la forme
productive d’investissements industriels qu’une variété de formes ne comportant
ni investissement industriel ni création de valeur, et possédant parfois des
traits improductifs, voire parasitaires.
Lorsque la
grande entreprise adopte la forme de holding, et en particulier, comme
ce fut le cas dans les années 1980 pour beaucoup d’EMN européennes, de holding
international, la propension à assimiler les différents éléments
constitutifs du groupe simplement à des actifs financiers, même s’ils sont
industriels, s’accroît de façon considérable. C’est une première raison
essentielle pour considérer de tels groupes comme des " groupes financiers
à dominante industrielle " (…)
L’un des
traits spécifiques, et aussi l’un des privilèges ou " avantages propres
" de la grande firme, donc a fortiori de l’EMN, est de constituer
entre maison mère et filiales un marché interne (désigné depuis longtemps par
F. Perroux comme l’" espace propre " de la " grande unité
interterritoriale "). Présenter les choses de cette manière, c’est avant
tout faire un constat, dont un certain nombre de conclusions peuvent évidemment
ensuite être tirées, par exemple en ce qui concerne les sources de
compétitivité ou le pouvoir économique d’une telle firme.
Plus loin il insiste sur le fait " que l’accroissement rapide
de l’IDE au cours des années 1980 a été placé sous le signe de l’investissement
international croisé et dominé par les acquisitions / fusions " (page
70).
Il explique :
La forme
la plus caractéristique de l’offre dans le monde est aujourd’hui l’oligopole.
L’existence de situations d’oligopole ne se déduit pas mécaniquement du degré
de concentration. En effet, l’énoncé le plus général, mais aussi le plus
fructueux permettant de décrire l’oligopole tient à l’interdépendance entre
firmes qu’il comporte, " les firmes ne réagissant plus à des forces
impersonnelles en provenance du marché, mais personnellement et directement à
leurs rivales " (Pickering, 1974).
C’est pourquoi nous définissons
l’oligopole mondial comme un " espace de rivalité ", délimité par les
rapports de dépendance mutuelle de marché qui lient le petit nombre de grands
groupes qui parviennent, dans une industrie (ou dans un complexe d’industries à
technologie générique commune), à acquérir et à conserver le statut de
concurrent effectif au plan mondial. L’oligopole est un lieu de concurrence
féroce, mais aussi de collaboration entre groupes. Ceux-ci reconnaissent leur
" dépendance mutuelle de marché " (Caves, 1974), de sorte que les rapports
constitutifs de l’oligopole sont en eux-mêmes, de façon inhérente, un important
facteur de barrière à l’entrée sur lequel d’autres éléments (tels que les coûts
irrécouvrables ou le niveau des investissements de R-D peuvent ensuite venir se
greffer.
Corrélativement il constate :
L’accroissement
du degré de concurrence sur chaque marché national considéré séparément est
indiscutable. Dans des industries oligopolistiques, où l’effet de la
libéralisation des échanges sur la concurrence ne devient vraiment effectif,
que s’il se double d’une pénétration des rivaux par la voie de l’investissement
direct, il est certain que le mouvement d’investissements croisés qui a eu lieu
au long des années 1980 a mis à mal les barrières industrielles protégeant les positions
des oligopoles nationaux.
Plus loin :
Le
caractère mondialisé de la concurrence touche toutes les entreprises. Pour les
entreprises purement nationales et les PME, européennes notamment, elle est
pour une large part la conséquence directe de la libéralisation des échanges à
la fois dans le cadre du GATT et du Marché unique. Pour ces firmes, la
concurrence mondialisée est une menace qui peut dans certains cas être tout à
fait précise et identifiable, mais qui reste très souvent anonyme. Pendant une
longue période, ces entreprises ont vécu relativement protégées. Elles ont
bénéficié sans en avoir conscience des brides et des entraves que des luttes
menées en 1936, 19451 948 et 1968 par d’autres forces sociales qu’elles-mêmes
avaient placées sur le libre jeu du marché capitaliste. Aujourd’hui, la
concurrence mondialisée se dresse face à ces firmes (parfois encore
artisanales, comme dans le cas de la pêche bretonne) comme l’expression des
lois coercitives de la production capitaliste, auxquelles la libéralisation et
la déréglementation ont rendu aujourd’hui toute leur puissance dévastatrice.
Pour les grands groupes opérant
dans des industries très concentrées au plan mondial, les choses n’en vont pas
de même. Ces groupes connaissent leurs rivaux. Dans leur cas, la mondialisation
de la concurrence n’est pas anonyme. Elle prend la forme, au contraire,
d’une situation dans laquelle ils rencontrent leurs rivaux et parfois s’y
heurtent " aux quatre coins de la planète " : très exactement
aux trois pôles de la Triade, ainsi que dans les quelques autres pays et bouts
de continent où un pouvoir d’achat - une " demande solvable " -
existe. Pour ces groupes, le caractère " global " du marché ainsi que
de la concurrence (ou rivalité) résulte autant de l’IDE sous la forme de
l’" invasion mutuelle " par investissements croisés que de la
libéralisation des échanges commerciaux. Pour eux, la mondialisation est
synonyme de décloisonnement des oligopoles nationaux et de rivalité intense,
mais elle signifie aussi la liberté d’action retrouvée, en particulier celle de
pouvoir organiser la production en intégrant les avantages offerts par des
appareils productifs ou des systèmes nationaux d’innovation distincts et en
exploitant les différences dans le coût de la main-d’œuvre.
Les industries caractérisées par
des structures d’oligopole mondial sont celles où " les césures fortes
dans la chaîne globale de dépendance réciproque " entre les oligopoleurs,
ont fait place à une situation dans laquelle l’" interdépendance "
(entre oligopoleurs) " transcende " bel et bien les frontières
nationales’. Cette situation nouvelle n’est pas le produit de la "
stratégie " d’une entreprise, ni même de plusieurs. Elle représente
l’aboutissement d’un mouvement d’ensemble dans lequel les événements politiques
ont joué un rôle important. Les stratégies des firmes se sont intégrées comme
des composantes de ce mouvement qui a fait boule de neige à mesure que chaque
grand groupe a commencé à comprendre les nouvelles règles du jeu et a développé
ses investissements à l’étranger en conséquence. Même en prenant l’"
industrie " dans le sens synonyme de marché, il est donc déjà possible de
lui donner un contenu plus précis en accordant à la notion d’interdépendance
entre rivaux, qui est présente chez Porter, plus d’importance que cet auteur ne
le fait.
Au chapitre II François Chesnais a précisé :
La
stabilité notable de la contribution des services au commerce mondial, telle qu’elle
ressort des données figurant dans les balances Commerciales, a été soulignée
par toutes les études faites sur l’internationalisation de ce secteur. En vingt
ans, de 1970 à 1991, la part totale des services dans le commerce mondial n’a
guère augmenté. Cette affirmation peut surprendre ; elle appelle des
explications.
Le FMI a récemment proposé que les
transferts " invisibles " de revenus (salaires des travailleurs
émigrés, redevances et droits d’auteur, revenus du capital), qui ont été
compris jusqu’à présent dans les exportations et importations de services,
soient exclus des nouvelles séries statistiques. Lorsqu’on applique cette
convention, on constate que les échanges de services " réels "
représentent tout au plus 25 % des échanges des pays industrialisés.
Si l’on opère une différenciation
entre les diverses rubriques de services " réels ", on constate qu’il
y a eu recul des rubriques " transports " et " services
gouvernementaux ", une faible croissance de la catégorie " voyages
" et une croissance plus rapide de celle des " autres services
". Ceux-ci comprennent, en particulier, les services financiers, dont la
croissance explique presque à elle seule le comportement de cette rubrique.
Même ainsi, le comportement des échanges de services marque un fort contraste
avec tout ce que l’on sait sur leur croissance et la place qu’ils occupent, en
termes de valeur ajoutée ou de contribution au PIB et à l’emploi, dans toutes
les économies capitalistes avancées. Elle est également en contraste marqué
avec leur contribution à l’IDE.
Alors que les services
représentaient seulement le quart environ du stock mondial total de l’IDE au
début des années 1970, cette part était, à la fin des années 1980, proche de la
moitié. En termes de flux, les services représentaient à la même époque entre
55 et 60 % du total des flux annuels d’investissement direct étranger. Le
processus d’internationalisation s’est donc produit par la voie de l’IDE plutôt
qu’au moyen des exportations.
Depuis le début des années 1970 les IDE se sont considérablement
développés dans ce que les économistes appellent " le tertiaire" :
Dans les
services, il y a primauté de l’investissement par rapport à l’échange. Le
vecteur principal de l’internationalisation y est l’IDE, dont l’essor est
récent. Il date des années 1 970, mais le décollage n’intervient que dans la
seconde partie des années 1980, en liaison directe avec le processus de
libéralisation et de déréglementation. En 1970, l’IDE dans le secteur tertiaire
représentait 25 % du stock total de l’IDE des pays capitalistes avancés. En
1980, cette part avait atteint 37,7 %, et en 1 990 elle avait dépassé la moitié
du total, soit 50,1 %. Entre 1981 et 1990, le stock d’IDE dans le secteur
tertiaire s’est accru au taux annuel de 14,9 % (avec une accélération à partir
du milieu de la décennie, ce taux passant à 22,1 %), alors que celui du secteur
manufacturier a connu une progression annuelle de 10,3 % durant la même
période. Cette croissance est particulièrement spectaculaire dans les services
financiers, les assurances et l’immobilier, ainsi que dans la grande
distribution concentrée.
Plus loin :
Dans le
cas des grandes infrastructures, qui ont été organisées sur la base du service
public dans la plupart des pays, ainsi que dans le secteur financier, il
fallait que le mouvement de libéralisation et de déréglementation ait fait
sauter le verrou de législations nationales contraignantes. Les grands groupes
de services américains s’y sont employés activement, en constituant notamment
l’un des lobbies les plus actifs au cours des négociations de l’Uruguay
Round au GATT - la Coalition of Service industries. En Europe, le processus a
bénéficié de puissants appuis au sein même de la Commission et a été hâté par
la mise en place du Marché unique et la négociation du traité de Maastricht.
Vu sous l’angle des besoins du
capital concentré, le double mouvement de déréglementation et de privatisation
des services publics constitue une exigence que les nouvelles technologies (la
télématique, les " autoroutes de l’information ") sont venues servir
à point nommé. Actuellement c’est dans le mouvement de transfert à la sphère
marchande d’activités qui étaient jusque-là étroitement réglementées ou
administrées par l’État que le mouvement de mondialisation du capital trouve
ses occasions d’investir les plus importantes. La déréglementation des services
financiers en un premier temps, puis, dans les années 1990, la mise en route de
la déréglementation et de la privatisation des grands services publics (en
particulier les transports aériens, les télécommunications et les grands
médias) représentent la seule " nouvelle frontière " qui s’offre à
l’IDE sur la base des rapports actuels entre les pays et entre les classes
sociales.
" Le souci de rester maîtres des complémentarités entre le produit
et les services qui l’accompagnent est à l’origine de nombreuses opérations
d’internationalisation dans les services menées par des EMN industrielles
".
Ensuite :
Cela
s’explique fort bien. Pour les firmes industrielles, la concentration de
capitaux très importants dans le commerce de gros (les " centrales d’achat
") aussi bien que de détail (les grands magasins, les supermarchés et
surtout les hypermarchés) représente une menace sur leurs profits. La fraction
du bénéfice qu’une firme industrielle peut perdre lorsque de très grands
groupes, en situation d’" oligopsone " (un petit nombre d’acheteurs
face à un grand nombre de vendeurs), sont en mesure de lui imposer leurs
conditions pour avoir accès à la demande finale est un paramètre qui affecte
les conditions de valorisation du capital de façon significative.
L’activité
des groupes à dominante industrielle dans l’internationalisation des activités
financières non bancaires répond également au souci de réduire le risque de
subir des ponctions sensibles sur les flux de valeur. Ici, les firmes à
dominante industrielle cherchent soit à se protéger, soit à disposer de marchés
captifs. La couverture en assurance, indispensable au démarrage d’une activité
nouvelle dans des secteurs à haut risque (industrie lourde, notamment), peut
être parfois un obstacle redoutable à franchir pour l’industriel, qui cherchera
à maîtriser cette contrainte en prenant le contrôle d’une filiale spécialisée
ou en en créant une (Sauviat, 1989). De même, dans l’automobile, les grands
groupes ont souvent préféré créer leurs propres sociétés de financement pour
l’organisation du crédit-bail et autres modalités de soutien es ventes plutôt
que de recourir au secteur bancaire. Ils lient également de plus en plus la
vente d’un véhicule neuf et d’une assurance automobile au même titre que les
contrats de maintenance, d’assistance-dépannage, etc.
Certaines ont même constitué leurs propres agences de publicité.
Par contre :
Lorsqu’on
se tourne vers les firmes de services proprement dites, l’analyse de la
multinationalisation se heurte au caractère extrêmement disparate des activités
tertiaires qui rendent les généralisations beaucoup moins aisées que dans
l’industrie manufacturière. Il n’est pas difficile d’identifier certains
facteurs analogues à ceux qui marquent la multinationalisation des groupes
industriels : investissements réactifs sur des marchés oligopolistiques,
exploitation du mouvement vers l’homogénéisation des normes de consommation au
sein des pays de la Triade et des pays ou des sites associés à eux, acquisition
d’intrants, en particulier en main-d’œuvre, aux coûts les plus bas. Mais
l’originalité de la multinationalisation des services tient au fait que l’acte
de production du service impose, à un degré plus ou moins contraignant selon
les activités, le contact direct avec le consommateur ou client et la proximité
avec le marché intermédiaire ou final.
Mesurées
par la valeur des actifs qu’elles détiennent à l’étranger, les firmes qui se
sont multinationalisées dans les services sont petites. Parmi les 100 premiers
groupes de la liste des Nations unies (voir chapitre 4), les seuls groupes de
services à y figurer à ce jour sont les cinq plus grands sogo sosha japonais.
Mais la déréglementation et l’internationalisation en cours dans les
télécommunications vont rapidement conduire à l’accession des plus grands
opérateurs mondiaux à la liste.
Il reste
que les activités de services restent grevées par les traits spécifiques dont il
a été question plus haut, de sorte que leur " industrialisation "
(mieux vaudrait dire leur soumission réelle à la mise en valeur capitaliste en
vue du profit ainsi que leur multinationalisation sont soumises à une tension
interne forte que les firmes du secteur manufacturier ne connaissent pas.
Comme nous l’avons vu, un certain
nombre de prestations de services supposent une collaboration étroite avec
l’utilisateur. Mais, même lorsque le produit proposé est hautement standardisé
et que l’activité tend vers le fordisme (hôtellerie, restauration, assurances,
etc.), sa commercialisation n’en continue pas moins à reposer sur un degré de
personnalisation beaucoup plus élevé que pour les produits du secteur
manufacturier.
L’investissement,
par implantation directe, mais le plus souvent aujourd’hui par acquisition et /
ou fusion, reste la forme prédominante tant de la croissance au plan interne
que de l’internationalisation dans les secteurs de la banque, de l’assurance,
de la grande distribution, du transport routier et aérien, ainsi que dans
certaines activités de conseil comme la publicité ou l’informatique. Un
processus analogue d’acquisition et / ou de fusion est maintenant engagé dans
les télécommunications (que nous examinons de façon spéciale plus loin). Mais,
dans toutes ces activités, on n’observe pas moins la multiplication des accords
de coopération, qui peuvent revêtir la forme de création de filiales communes,
de prises de participation minoritaires ou de partenariat.
Dans le chapitre II de son livre François Chesnais écrit :
C’est en
partant du mouvement du capital productif qu’il faut penser les relations
réciproques que les trois modalités principales de l’internationalisation
nouent entre elles. C’est ce mouvement qui commande la création de la valeur et
de la richesse. Il est évident que production et circulation (ou production et
commercialisation) sont liées de façon étroite, de même que le sont, par voie
de conséquence, production et échanges. Mais l’analyse gagne en clarté, de
façon qualitative, dès qu’on prend soin de distinguer la sphère de la
production de celle de la circulation et d’établir entre elles une hiérarchie
épistémologique dénuée d’ambiguïté.
Une lecture attentive de Michalet
montre qu’il se situe dans deux cas de figure. Le premier est celui de
l’internationalisation du cycle du capital, où celui-ci est compris comme un
cycle unique, intégrant les cycles du capital-marchandise et du
capital-argent en tant que moments subordonnés de la mise en valeur du
capital productif. La seconde hypothèse est celle où l’internationalisation de chacun
des trois cycles considérés séparément revêt une forme particulière.
Pour notre part, nous nous situons
exclusivement dans la seconde hypothèse. C’est elle seule qui permet de rendre
compte de certaines dimensions essentielles de la réalité actuelle’. il en va
ainsi pour l’importance du capital concentré dans la grande distribution, qui
tente de réaffirmer les prétentions à l’autonomie du capital-marchandise, ce
qui permet de mieux comprendre les rivalités aiguës qui se développent entre
les firmes industrielles et celles de la distribution. Il en va surtout ainsi
du mouvement du capital-argent, qui se dresse quant à lui comme une force
pleinement autonome face au capital industriel, ne laissant à celui-ci qu’une
alternative : ou bien accentuer le mouvement dans le sens de
l’interpénétration profonde avec le capital-argent, ou bien se soumettre à ses
exigences.
Analysant " les échanges commerciaux dans le
cadre de la mondialisation " Chesnais écrit :
Le rôle de
la libéralisation des échanges dans la mondialisation est important, mais il
n’est pas celui célébré par les économistes néoclassiques. Les échanges libérés
ont été intégrateurs à l’échelle de certaines parties du système international,
très précisément aux Mais lorsqu’on examine l’économie mondiale n constate au
contraire que la libéralisation a conduit à une accentuation notable de sa
polarisation, ainsi qu’à la marginalisation accrue de nombreux pays. D’autre
part, là où les échanges libérés paraissent avoir eu un effet intégrateur, les
agents véritables du processus sont surtout les EMN auxquelles la
libéralisation a permis d’organiser comme elles l’entendaient le travail de
leurs filiales ainsi que leurs relations de sous-traitance. À l’époque des
frontières nationales partiellement protégées et des marchés domestiques
réglementés (qui est également l’époque de l’apogée de la régulation fordiste),
le capital était déjà mobile, mais, dans une certaine mesure, il était encore
encadré, enserré. La libéralisation ainsi que la déréglementation, qui prolonge
celle-là et en accentue les effets, lui ont rendu une liberté presque totale
dans ses choix, à un moment où les nouvelles technologies élargissaient ceux-ci
comme à aucune période antérieure de l’histoire du capitalisme.
Ce sont l’IDE et les stratégies de
localisation choisies par les EMN qui commandent une fraction très importante
des flux transfrontières de marchandises et de services, et qui contribuent
fortement à façonner la structure du système des échanges. Cela ne signifie pas
que le capital concentré dans le négoce ou la grande distribution ne joue pas
un rôle parfois important. Mais il calque ses opérations sur celles du capital
industriel, aussi bien lorsqu’il cherche à se substituer à lui (cas des réseaux
de sous-traitance en place par les chaînes de grands magasins) que quand il
affirme sa prétention de lui faire payer cher les " services "
représentés par la recherche et le transport de matières premières de
base ou commercialisation des biens finis. Même si ces empiétements ne sont
guère appréciés par les groupes industriels, qui cherchent donc à intégrer ces
activités lorsqu’ils le peuvent (voir chapitre 8), ne traduisent pas un mouvement
propre du capital-marchandise, à la différence de ce que nous Constaterons pour
le capital-argent.
Résumés à
grands traits, les éléments les plus marquants du système mondial actuel des
échanges sont les suivants :
- une tendance très nette à la
formation de zones de commerce plus denses autour des trois pôles de la Triade
(phénomène dit de " régionalisation " des échanges) ;
- une tendance tout aussi forte à la
polarisation des échanges au niveau mondial par la marginalisation accrue de
tous les pays exclus de la " régionalisation " aux trois pôles de la
Triade ;
- le niveau élevé désormais
atteint par la part du commerce mondial qui est façonnée directement par l’IDE,
commerce intrafirme, exportation des filiales, sous-traitance transfrontières ;
- l’effacement croissant (au moins
pour l’instant) de la distinction entre le " domestique " et l’"
étranger ", la concurrence entre firmes s’exerçant avec autant de force
sur les marchés " internes " de chaque pays que sur les marchés
" extérieurs ", du fait tant des investissements étrangers que de la
libéralisation négociée des échanges;
- enfin, en rapport direct avec
cette évolution, la substitution du paradigme des avantages comparatifs, avec
des " gains du commerce " pour tous les participants, par celui de la
concurrence ou compétition internationale, où la compétitivité de chacun
désigne des gagnants et des perdants.
Le régime
d’économie internationale actuel peut être défini comme celui d’un "
espace de concurrence diversifié, mais en voie d’unification ", dans
lequel la concurrence se mène de plus en plus directement entre firmes, qui ont
impérativement besoin de l’ensemble de l’espace pour se déployer. Le maître mot
de ce régime d’économie internationale est la " compétitivité ". Dans
les marchés de biens de consommation finale en particulier, les entreprises, en
dépit de la différenciation des produits, sont en situation de concurrence
directe, voire de concurrence frontale. Le succès d’une entreprise signifie de
plus en plus souvent la faillite ou l’absorption d’autres firmes. Lorsque ce
processus s’exerce entre pays différents, il arrive nécessairement un moment où
les pays se sentent concernés. Invoquant le langage militaire, les hommes
politiques et les médias parlent alors volontiers de la " mobilisation des
énergies nationales " et se réfèrent à la " guerre économique "
dans lequel le pays serait engagé.
Chesnais développe une analyse portant sur "
Polarisation et marginalisation : le sont débiteurs des pays du tiers monde
" ce qui confirme que la caractérisation " mondialisation du
capital " est impropre à exprimer la réalité, à savoir "
domination mondiale " des puissances impérialistes, du capital financier
des USA, du Japon, des puissances européennes.
La
dimension de l’IDE en tant qu’il se substitue aux exportations est indéniable. En
1992, le Centre des Nations unies sur les sociétés transnationales a estimé
que, dans le cas des principaux pays sources des EMN, le rapport entre les
ventes faites à partir des filiales et les exportations serait de l’ordre de 1
à 1,8. Si l’on examine la structure géographique des ventes des filiales
japonaises, on voit que c’est uniquement en Asie que les exportations des
filiales sont créatrices de flux d’échanges. Aux États-Unis, où l’IDE répond
aux impératifs de la concurrence oligopolistique et à la crainte d’une
résurgence du protectionnisme, la production est vendue sur le marché local.
C’est le cas également en Europe, même si les ambiguïtés du Marché unique et de
la construction européenne font que les flux au sein de ce marché sont toujours
nommés " exportations ".
Les calculs effectués par F.S.
Hipple (1990) sur les statistiques du commerce extérieur américain sont c’eux
qui permettent l’analyse la plus systématique du phénomène. Ils montrent que,
en 1988, pas moins de 99 % du commerce extérieur des Etats-Unis comportait la
participation d’une EMN américaine ou étrangère en tant que partie à la
transaction. À elles seules, les EMN américaines (sociétés mères plus filiales)
assuraient 80 % des exportations et près de 50 % des importations des Etats-Unis.
En ce qui concerne le commerce
intra-groupe (c’est-à-dire les flux organisés au sein de l’espace propre "
internalisé " de l’EMN) des trois pays pour lesquels des chiffres étaient
disponibles au milieu des années 1980 (les États-Unis, le Royaume-Uni et le
Japon), les flux de type intra-firme représentaient alors environ un tiers des
échanges du secteur manufacturier. Les chiffres les plus récents montrent que
ce pourcentage a un peu baissé pour les États-Unis, mais il a augmenté
sensiblement pour le Japon. En 1991, 38 % des exportations et 40 % des
importations japonaises ont été le fait d’échanges " intra-groupe ".
Chesnais traite " de la formation
d’ensembles régionaux " et publie le tableau suivant :
Tableau
19 (en % du
total des échanges de la zone et en %du commerce mondial) |
||||
Zones |
Exportations |
Exportations |
||
|
1986 |
1991 |
1979 |
1989 |
Amérique
du Nord |
39,1 |
33,0 |
4,6 |
5,3 |
Amérique
latine |
14,0 |
16,0 |
1,1 |
0,5 |
Europe
occidentale |
68,4 |
72,4 |
28,8 |
31,1 |
Europe
centrale et EX-URSS |
53,3 |
22,4 |
4,3 |
3,5 |
Asie |
37,0 |
46,7 |
6,3 |
10,0 |
Afrique |
5,9 |
6,6 |
0,3 |
0,2 |
Moyen-Orient |
7,7 |
5,1 |
0,4 |
0,3 |
Sources : GATT 1990, 1993.
Les
travaux sur l’investissement direct ont également conduit, depuis un
intéressant travail de D. Julius (1990), à une présentation nouvelle des
balances commerciales fondée sur la nationalité des actifs
Productifs et non sur le cadre géopolitique habituel (graphique 13). Il est
Pourtant toujours exigé de chaque pays qu’il continue à assurer l’équilibre de
ses comptes extérieurs. Le solde de la balance commerciale demeure au nombre
des indicateurs " fondamentaux " à partir desquels les " marchés
financiers " exercent leur tyrannie sur les monnaies.
Précédemment ont été soulignées les conditions du
développement du capital financier et plus particulièrement du capital argent,
depuis la IIème guerre mondiale et le tournant de 1978. Des données sur la
marée montante du capital-argent sont publiés dans de nombreux travaux. Dans
son livre " mondialisation du capital " Chesnais en publie
quelques uns. Ainsi le tableau sur " la croissance des euromarchés
".
Tableau
22 |
||||
Années |
Dimension
brute |
Dimension
nette |
Eurodollars
en pourcentage (brut) |
Masse
monétaire des Etats-Unis (M2) |
1973 |
315 |
160 |
74 |
861 |
1974 |
395 |
220 |
76 |
908 |
1975 |
485 |
255 |
78 |
1 023 |
1976 |
595 |
320 |
80 |
1 164 |
1977 |
740 |
390 |
76 |
1 287 |
1978 |
950 |
495 |
74 |
1 389 |
1979 |
1 235 |
590 |
72 |
1 500 |
1980 |
1 525 |
730 |
75 |
1 633 |
1981 |
1 954 |
1 018 |
79 |
1 796 |
1982 |
2 168 |
1 152 |
80 |
1 954 |
1983 |
2 278 |
1 237 |
81 |
2 185 |
1984 |
2 386 |
1 277 |
82 |
2 363 |
1985 |
2 846 |
1 480 |
75 |
2 563 |
1986 |
3 683 |
1 833 |
72 |
2 808 |
1987 |
4 509 |
2 221 |
66 |
2 901 |
1988
(mars) |
4 561 |
2 227 |
67 |
2 966 |
Taux
moyen(%) |
20,6 |
20,3 |
|
9,1 |
Sources : Morgan Guaranty Trust, World
Financial Markets et Economic Report of the President (1989), et Levich
(1990).
Le livre " Finance et économie la fracture " publié
par "Le Monde - édition" que signe Olivier Piot produit de
nombreuses données. Il est intéressant d’en reproduire quelques unes.
Montant des dépôts, en milliards de dollars, dont disposent les banques
:
Nombre
d’établissements bancaires (fin 1990) |
||||
Royaume-Uni |
France |
Allemagne |
Japon |
Etats-Unis |
637 |
779 |
4 594 |
6 279 |
31 842 |
Montant
des dépôts * (fin 1990) |
||||
Royaume-Uni |
France |
Allemagne |
Japon |
Etats-Unis |
462,9 |
402,8 |
297,7 |
1 056,3 |
589,5 |
* En milliards
de dollars |
||||
(Source
: BRI, décembre 1991) |
Les investisseurs
institutionnels constituent la seconde grande catégorie d’acteurs
financiers. Caisses de retraite, compagnies d’assurance, fonds de pension, fonds
mutuels, certains départements des banques, OPCVM (Organismes de placements
collectifs en valeurs mobilières) : leurs noms et leur importance sont
variables en fonction des pays et de leurs traditions financières. Mais ces
institutions ont toutes un rôle analogue : gérer collectivement des capitaux
(une épargne) placés chez eux, principalement par les ménages. Depuis le début
des années 80, la plupart de ces investisseurs interviennent fortement sur les
marchés financiers des titres négociables (actions et obligations, notamment)
pour leur propre compte ou celui de leur clientèle.
Dans le
monde
Particulièrement puissants aux Etats-Unis et au Royaume-Uni,
les Fonds de pension gèrent les retraites par capitalisation.
Actifs
nets : leurs placements financiers se montaient à 6 900 milliards
de dollars fin 1993 (dont 3 600 aux Etats-Unis), contre 3 900 en 1998.
Fonds
Mutuels (Mutuel Funds)
Aux
Etats-Unis
Nombre : 6 000 en 1993 gérés par 551 entreprises
gestionnaires, contre 600 en 1980 gérés par 165 entreprises gestionnaires.
Actifs
nets : 2 100 milliards de dollars fin 1993. En 1993, 28 % des
ménages américains avaient investi une part de leur épargne, contre seulement 6
% en 1980.
(Source :
Banque Goldman Sachs, 1993)
Ce livre classe les instruments et circuits
financiers de la manière suivante : marchés financiers ou marchés des valeurs
mobilières (actions et obligations) ; produits dérivés ; titre de créances
négociables " il s’agit de titres échangés sur le marché monétaire
c’est à dire sur le marché à court terme de l’argent " ; le crédit
bancaire ; finance internationale qui est constituée par l’ensemble des
monnaies étrangères convertibles.
Il publie les tableaux suivants :
Volume annuel des transactions boursières * |
||||||||||||
Actions
|
||||||||||||
|
Paris |
New-York |
Londres |
Tokyo |
Allemagne |
|||||||
1981 |
17 |
167 |
42,5 |
56,7 |
43,3 |
|||||||
1994 |
1241 |
7,2 |
1 248 |
141 |
1 701 |
|||||||
Obligations
|
||||||||||||
|
Paris |
New-York |
Londres |
Tokyo |
Allemagne |
|||||||
1981 |
17 |
167 |
42,5 |
56,7 |
43,3 |
|||||||
1994 |
1241 |
7,2 |
1 248 |
141 |
1 701 |
|||||||
Montant
moyen échangé par jour * |
||||||||||||
|
Paris |
New-York |
Londres |
Tokyo |
Allemagne |
|||||||
1981 ** |
0,04 |
1,5 |
0,14 |
0,9 |
0,06 |
|||||||
1994 |
0,8 |
9,7 |
4 |
3,5 |
2,2 |
|||||||
* En
milliards de dollars. |
||||||||||||
** Pour
1981, le chiffre a été calculé en divisant le volume annuel de transactions par
le chiffre moyen de 250 journées de cotation (Ndlr). (Source : FIBV,
rapports annuels 1982 et 1994) |
||||||||||||
En cours
(stock) des produits dérivés |
||||||||||||
|
1988 |
1992 |
% de 1998 à 1992 |
|||||||||
Total |
7 198 |
17 643 |
145 % |
|||||||||
Volumes
annuels des transactions |
||||||||||||
|
1988 |
1995 |
||||||||||
Total |
16 |
93,1 |
||||||||||
* En
millions de contrats |
||||||||||||
(Sources
: FIBV, rapport 1993 : General Accounting Office (GAO), 1994 : COB, rapport
annuel 1994) |
||||||||||||
Les
titres de créances négociables |
||||||||||||
|
1987 |
1990 |
1993 |
|||||||||
Encours
* |
200 |
1 678 |
2 417 |
|||||||||
* En milliards
de F. |
||||||||||||
(Source
: Paris - Europlace, octobre 1994) |
||||||||||||
Le crédit bancaire international
|
||||
|
1988 |
1991 |
1993 |
|
Montant |
2 460 |
3 420 |
3 780 |
|
Avoirs bancaires internationaux
|
||||
|
1989 |
1991 |
1993 |
|
Montant |
5 450 |
6 147 |
6 260 |
|
Crédits
à la clientèle des banques françaises** |
||||
Montant ** fin 1993 |
6 109 |
|||
* En milliards de dollars |
||||
** Pour les établissements de
crédit, crédits à la clientèle. en milliards de F. |
||||
Transactions
quotidiennes |
|||||
|
1979 |
1984 |
1986 |
1990 |
1994 |
Montant par jour * |
75 |
150 |
300 |
500 |
1 200** |
* En milliards de dollars. |
|||||
** 1 400 selon une récente étude
de la Banque d’Angleterre. |
|||||
(Sources : F. CHESNAIS, C.
SERFATI, Rapports annuels de la BRI, 1994) |
Les marché, nous l’avons vu, sont les principaux bénéficiaires des
mutations de la finance depuis le début des années 80. Les cinq plus grandes
Bourses du monde capitalisent en 1994 une masse financière de 18 000 milliards
de dollars (dont 45 % en obligations) soit, à peu de choses près, l’équivalent
d’une année de production mondiale en volume...
Rappelons-nous : en 1981, les mêmes places financières ne
capitalisaient que 3 280 milliards de dollars d’actifs en valeurs mobilières
(actions et obligations) soit, à l’époque, un. quart seulement du PIB mondial.
Autrement dit, la capitalisation de ces places a connu une croissance quatre
fois plus rapide que celle de la production mondiale.
L’évolution des transactions sur le marché des changes traduit
également cette tendance à l’hypertrophie des circuits de la finance. Dans les
années 30, pour un dollar échangé dans le commerce mondial, on comptait deux
dollars échangés sur les devises. Cette proportion est passée de 1 à 9 en 1979,
de 1 à 20 en 1985, de 1 à 34 en 1990 pour atteindre une proportion démesurée de
1 à 83 fin 1993...
La sphère
financière représente la pointe avancée du mouvement de mondialisation du
capital ; celle où les opérations atteignent le degré le plus élevé de mobilité
; celle où le décalage entre les priorités des opérateurs et les besoins
mondiaux est le plus criant. L’investissement direct à l’étranger du secteur
financier a représenté le poste le plus important de l’IDE pendant les années
1980.
Considéré sous l’angle de
l’intégration des marchés nationaux au sein de marchés mondiaux, qui dominent
les premiers quand ils ne les remplacent pas complètement, le processus de
mondialisation est nulle part plus accentué que dans la sphère financière. Dans
certains compartiments des marchés financiers, il y a une intégration presque
complète des marchés domestiques, qui étaient encore cloisonnés à l’égard de
l’extérieur il y a seulement dix ou douze ans (le début du décloisonnement
ayant varié d’un pays à l’autre). L’intégration financière internationale est
allée de pair avec le décloisonnement, au moins aussi important dans ses
effets, des différents types de marchés (marchés des changes, des crédits, des
actions et obligations), et a été favorisé par la création de nombreux produits
financiers nouveaux.
Une des
questions importantes qui se posent est d’apprécier la relation existant entre
cette explosion des mouvements financiers internationaux et le mouvement de
mondialisation des activités productives. La divergence très marquée entre le
taux de croissance des activités financières et celui des activités productives
fournit un reflet, certes très imparfait, du degré d’autonomie ou, si l’on
veut, de la dynamique propre des marchés financiers. On peut en mesurer
l’ampleur en comparant la croissance des échanges, celle des flux
d’investissement direct et celle des transactions sur les marchés des changes
(tableau 20). Les marchés des changes sont le compartiment du marché financier
global qui a enregistré la plus forte croissance, puisqu’au cours de la
décennie 1980 le volume des transactions a été multiplié par dix. Ils forment
l’épicentre de ce que H. Bourguinat (1 994) nomme l’" économie
internationale de spéculations ", qui s’est mise en place par étapes
successives.
Tableau
21 |
|||
PIB des
pays |
Flux |
Transactions
sur |
Flux
d’IDE |
1,95 |
2 |
8,5 |
3,5 |
Source :
C. Serfati (1994), à partir des données GATT, BRI, OCDE. |
Il faut aussi insister sur la crise financière des pays semi-coloniaux,
à la suite de celle du Mexique de 1982. Chesnais explique :
On a donc
assisté, entre 1982 et 1985 à la constitution de " comités de créanciers
" ; à la mise sur pied de plans de rééchelonnement des dettes ; à la
création d’un marché secondaire de la dette souveraine où les banques les plus
exposées peuvent limiter les risques en vendant les créances difficiles à des sociétés
spécialisées dans la " chasse au pays en développement débiteur " ;
enfin pour s’en tenir à l’essentiel, à la préemption d’une fraction du capital
productif national des nations débitrices sous la forme d’acquisition
d’entreprises publiques privatisées pour permettre la conversion de la dette en
titres de propriété remis aux créanciers.
Au total, il y a eu une inversion
spectaculaire des flux. Entre 1980 et 1983, il y a d’abord eu une diminution
brutale de l’apport net de crédits privés aux pays en développement, qui
passèrent de 26 à 1,6 milliard de dollars. Puis le flux a carrément changé de
sens à partir de 1984 pour devenir un transfert net de 25 milliards de dollars
aux banques créancières (Dembinski, 1989). La " dollarisation " des
économies débitrices (Salama et Valier, 1989 et 1991) ainsi que la mise en
vente de pans entiers de l’économie, comme en Argentine, sont des conséquences
directes de l’endettement et des moyens utilisés pour que les intérêts soient
payés.
François Chesnais traite ensuite de " la
déréglementation et de la désintermédiation ", " du
décloisonnement des marchés nationaux ". Il analyse finalement "
les groupes industriels (agents actifs de la mondialisation financière) ".
Dans le cas
du grand groupe industriel, il faut bannir désormais l’idée qu’il existerait
une cloison étanche entre les opérations liées directement ou indirectement à
la mise en valeur du capital dans la production d’une part, et d’autre part les
opérations dirigées vers des prises de profit d’un type purement financier.
Pourtant, la distinction essentielle demeure, qui sépare le capital productif,
engagé dans un mouvement de valorisation du capital où la maximisation de la
productivité du travail est centrale, et le capital-argent, dont la
rémunération est l’intérêt, auquel s’ajoutent aujourd’hui toutes sortes de
profits financiers liés au mouvement " autonome " du capital-argent.
La distinction est décisive pour
analyser le niveau, le rythme et l’orientation de l’accumulation, donc pour
essayer d’y voir clair par rapport à la croissance. Mais elle est également
très importante pour saisir la situation interne des grands groupes
industriels. La financiarisation toujours plus accentuée de ces groupes leur
donne un caractère double. u’un côté, ils sont en passe de devenir des
organisations dont les intérêts s’identifient de plus en plus à ceux des
institutions strictement financières, pas seulement par leur attachement commun
à l’ordre capitaliste, mais par la nature " financière-rentière "
d’une partie de leurs revenus. De l’autre, ce sont toujours des lieux de mise
en valeur du capital productif sous la forme industrielle. C’est pourquoi la
distinction essentielle entre capital productif et capital-argent y est vécue
comme une source de tensions et de conflits de plus en plus fréquents, qui
déchirent littéralement les différents directoires et comités, divisés entre
les défenseurs des " métiers " industriels d’un côté, et les "
financiers " de l’autre.
Un marché financier
privé internationalisé
L’un des traits distinctifs des
groupes industriels multinationaux est l’internalisation d’un large ensemble
d’opérations de flux et financiers, dont l’aboutissement est la constitution
d’un marché financier interne de groupe, qui est aussi internationalisé que
l’est le groupe lui-même. L’auteur d’un des principaux traités américains de
gestion financière multinationale souligne que " d’un point de vue de
gestion financière, l’un des caractères distinctifs de la firme multinationale,
par opposition à un ensemble d’entreprises nationales engagées entre elles dans
un ensemble de transactions indépendantes, réside dans sa capacité à déplacer
des fonds et des profits entre ses filiales à l’aide de mécanismes de transfert
internes " (Shapiro, 1992, p. 13). Ces mécanismes comprennent la fixation
de prix de transfert pour tous les biens et services échangés à l’intérieur du
groupe, les prêts internes intrafirme, l’accélération ou le report des
règlements interfiliales et les modes de répartition des résultats d’activité
entre les filiales et la maison mère.
L’un des résultats de ces flux est
de donner lieu, en cours d’exercice et à chaque moment, à l’existence de
liquidités plus ou moins importantes que la direction financière centrale peut
encore accroître sur de très courtes périodes en mobilisant une partie du
capital circulant des filiales et aussi en procédant a des emprunts externes.
Ce sont ces liquidités qui peuvent être mobilisées aujourd’hui en vue
d’opérations sur les marchés des changes.
On
comprend donc qu’au cours de la décennie 1980 la centralisation des activités
financières au plus haut niveau de décision se soit accentuée, au moment même
où les opérations de production et de commercialisation bénéficiaient d’une plus
grande autonomie. Une étude portant sur 325 groupes multinationaux a été menée
par le cabinet d’études Mac Kinsey. Un résumé rendu public par les auteurs
montre que l’importance croissante des activités financières s’est traduite par
des mutations significatives dans l’organisation des groupes. D’abord confinée
à une simple fonction d’administration, c’est-à-dire d’intermédiaire entre les
besoins des filiales et les banques, la direction financière est devenue
déterminante dans l’optimisation du cash-flow à moyen terme. Même
lorsqu’ils n’ont pas atteint le stade où ils peuvent constituer une banque
propre, les groupes adoptent une vision " globale " des activités
financières : les deux tiers d’entre eux ont une fonction financière où les
décisions sont centralisées, contre 20 % qui centralisent la fonction achat et
15 % la fonction de distribution logistique (Duchesne et Giry-Deloison, 1992).
L’étude estime, cependant, que la
véritable réussite est celle des groupes qui ont pu franchir un pas qualitatif
et créer des banques d’entreprise. Les avantages que celles-ci procurent
seraient de " nature structurelle ", car les banques d’entreprise
" ne sont pas prisonnières des pratiques bancaires réglementaires " (ibid.,
p. 30).
Le rapport
entre la mondialisation du capital productif et sa financiarisation accrue est
évidemment à double sens. La globalisation financière a accéléré l’expansion
vers les pays de la triade des groupes entrés tardivement dans le processus,
par le biais des moyens nouveaux et variés que les institutions financières et
les maisons spécialisées ont mis à la disposition des groupes pour leurs
opérations internationales d’acquisitions et de fusions. Ce sont, en
particulier, les prêts syndiqués aussi bien d’euroobligations que d’obligations
internationales, mais aussi les LBO (leveraged buy-out) et les HLT (highly
leveraged transactions).
Les opérations dites de leveraged
buy-out (LBO) de même que les highly leveraged transactions (HLT)
permettent le rachat d’entreprises par effet de levier de l’endettement. Elles
font souvent suite à une offre publique d’achat (OPA). Leurs objectifs sont
souvent à dominante financière. Pour assurer le service de la dette, le
repreneur compte soit sur les cash-flow futurs des actifs qu’il
acquiert, soit sur leur revente partielle par unités séparées après dépeçage du
groupe acheté. Le premier cas de LBO remonte à 1979, avec l’achat d’un
conglomérat de Floride, Houdaille lndustry, par la société de titres de New
York Kohlberg-Kravis et Roberts pour un prix de l’ordre de 350 millions de
dollars financé à hauteur de 48,4 sur fonds propres et de 306 par endettement
sur titres émis pour les 271 millions restants. Le LBO du groupe
agroalimentaire Nabisco en 1989 reste l’un des plus importants répertoriés,
atteignant quelque 25 milliards de dollars.
Les fonds qui créent l’"
effet de levier " au moment de lancer les OPA, " amicales "
aussi bien qu’" hostiles ", sont de deux ordres. Il y a ceux qui sont
réunis par le syndical de banques commerciales assurant le prêt relais
principal et qui représentent la dette dite " senior " (de premier
rang). Puis il y a ceux qui résultent du financement par des institutions
spécialisées, banques d’investissement ou maisons de titres, d’une dette de
second rang à risque élevé. Cette dette donne lieu à l’émission d’"
obligations de pacotille " (les célèbres junk bonds) déclassées et
à haut risque, assorties de rendements importants. Leur essor date de 1986 et
s’est poursuivi à un rythme élevé de 1987 à 1989. En effet, le krach de Wall Street
de 1987, en dépréciant le prix des actions, a eu pour effet d’accélérer les
opérations fondées sur le levier d’endettement.
Émissions
d’obligations à rendements et risques élevés |
|||||
Année |
Nombre d’émissions |
A |
B |
Rapport |
Pourcentage |
1977 |
61 |
1 040,20 |
26 314,2 |
3,95 % |
|
1978 |
82 |
1 578,5 |
21 557,2 |
7,32 % |
|
1979 |
56 |
1 399,8 |
25 831,0 |
5,42 % |
|
1980 |
45 |
1 429,3 |
36 907,2 |
3,87 % |
|
1981 |
34 |
1 536,3 |
40 783,8 |
3,77 % |
|
1982 |
52 |
2 691,5 |
47 208,9 |
5,70 % |
|
1983 |
95 |
7 765,2 |
38 372,9 |
20,24 % |
5,5 |
1984 |
131 |
15 238,9 |
82 491,5 |
18,47 % |
22,7 |
1985 |
175 |
15 684,8 |
80 476,9 |
19,49 % |
36,2 |
1986 |
226 |
33 261,8 |
156 051,3 |
21,31 % |
55,6 |
1987 |
190 |
30 522,2 |
126 134,3 |
24,20 % |
67,8 |
1988 |
160 |
31 095,2 |
134 791,1 |
23,07 % |
65,4 |
1989 |
130 |
28 753,2 |
142 790,7 |
20,14 % |
65,4 |
1990 |
10 |
1 397,0 |
109 284,4 |
128 % |
64,4 |
1991 |
48 |
9 967,0 |
207 300,9 |
4,81 % |
9,6 |
1992 |
245 |
39 755,2 |
317 605,7 |
12,52 % |
12,4 |
1993 |
341 |
57 163,7 |
313 897,8 |
18,21 % |
11,2 |
Total |
2081 |
280 279,8 |
1 907 800,6 |
14,69 % |
|
Source : R.E. Alcaly, " L’âge d’or
des émissions de pacotille ", The New York Review of Book, vol. XLI, |
|||||
* en
millions de dollars |
Indiscutablement,
les grandes entreprises voient les intérêts sur emprunts et les découverts
qu’elles sont amenées à demander aux banques d’un œil assez différent des
ponctions sur le profit qu’elles subissent et qui sont aux mains de la distribution
concentrée. Le crédit est indispensable au fonctionnement quotidien de
l’entreprise ; dans de nombreux cas, les investissements ne pourraient pas
avoir lieu sans prêts. Il reste que, dès que la formation du marché des titres
de créances (la " titrisation ") a offert aux grandes firmes la
possibilité de s’affranchir au moins en partie, de leur dépendance par rapport
au crédit bancaire, elles ont sauté sur l’occasion. Il s’agissait aussi bien
d’une question d’autonomie et de plénitude dans la gestion que de coût des
fonds empruntés.
L’émission de titres sur le marché
des créances par les groupes ayant le seuil financier requis n’est pas une
activité neutre. C’est un " métier dont l’exercice exige une compétence
élevée, [qui] gagne à s’appuyer sur une large surface financière " (L.
Batsch, 1993, p. 81). On est donc en présence d’une incitation forte à la
financiarisation des groupes. L’extension de l’économie d’endettement en
direction du marché final, avec ses formes multiples de crédits-bails, crédits
à la consommation, etc. en est une autre. Pourquoi les groupes ne
géreraient-ils pas eux-mêmes les crédits qu’ils doivent en tous les cas créer
pour écouler leur production, à la fois pour en maîtriser l’interaction avec la
production et s’en approprier les profits financiers pour eux-mêmes plutôt que
de laisser les banques le prendre ?
C’est ainsi qu’on a assisté à la
constitution de banques de groupe au cours des années 1980, soit par la
transformation de sociétés financières en banques lorsque les groupes
possédaient déjà des sociétés spécialisées, soit par la méthode classique
lorsqu’il y a urgence, à savoir les acquisitions / fusions (Ohana, 1991). On
trouvera la liste de ces banques dans le tableau 26.
Les
recherches que nous avons entreprises depuis avec C. Serfati suggèrent que les
effets combinés de la multinationalisation des groupes et de la globalisation
financière, en particulier la financiarisation des taux de change des monnaies,
ont largement confirmé cette conclusion. La caractérisation de l’activité
financière en tant qu’activité stratégique et en centre de profit en soi tient
y compris lorsque le groupe n’a pas créé ou acquis une banque et qu’il continue
à confier la responsabilité des opérations à la direction financière du
holding.
Groupes
industriels et spéculation
sur les changes
La partie la plus importante et de
loin la plus rentable de ces activités financières se déroule sur les marchés
des changes. C’est là que l’apprentissage des groupes a commencé le plus tôt,
ainsi que nous l’avon vu ; c’est là que leur capacité à mobiliser rapidement
des masses de liquidités importantes donne au groupe un autre ordre d’"
avantages spécifiques ".
François Chesnais a procédé à une analyse de ce que, comme bien
d’autres " économistes " distingués, il appelle " la
mondialisation du capital ". Cet article " à propos de la dite
‘mondialisation du capital’ " utilise cette analyse ainsi qu’à
l’occasion sont utilisés articles, revues, livres publiés ici ou là. C’est
légitime et il est inévitable que dans le livre de Chesnais il y a à puiser.
L’appréciation de ce livre comme tel, de sa place, de son rôle, de nombre de
ses développements est une autre chose sur laquelle il faudra revenir.
A ce point il faut rappeler l’appréciation de Trotsky : " les
forces productives étouffent dans le cadre de la propriété privée des moyens de
production et des limites étroites des frontières nationales ". La
première guerre mondiale, la crise des années 30, la dislocation du marché
mondial, le renforcement de " l’État-nation " jusqu’à l’autarcie,
l’économie de guerre, la deuxième guerre mondiale ont illustré la validité de
cette appréciation. Les rapports économiques d’après la deuxième guerre
mondiale, la reconstruction d’après-guerre, les " trentes glorieuses
" ont semblé la remettre en cause. Il n’en était rien : dans le cadre de
la propriété privée des moyens de production 1’" essor économique et
financier " a exigé " l’oxygène " d’une économie permanente d’armement, du
parasitisme.
Mais la dite " mondialisation du capital " n’est-elle
pas une transition, une transcendance du mode de production capitaliste, vers
une mutation. Au système capitaliste constituant un marché mondial, une division
internationale du travail, mais historiquement formé de capitalismes nationaux
(anglais, français, allemand, américain, japonais etc, etc ... ) va-t-il
succéder un capitalisme mondial où disparaîtraient frontières et limites
nationales ?
Il est vrai que les obstacles et les limites à la libre circulation des
capitaux et des marchandises, aux investissements sont de plus en plus réduits,
sinon nuls. A l’intérieur de chaque pays la déréglementation décompartimente de
plus en plus les activités financières, la finance circule comme sur un seul
marché sur le plan international et entre les différentes places. Marchandises
et services circulent en rencontrant de moins en moins de limitation et de
difficultés en de vastes espaces économiques, comme l’Union Européenne,
l’ALENA, d’autres. l’UE est plus qu’une simple zone de libre échange, elle est
une zone de coopération économique et politique entre États et gouvernements
européens, avec des institutions, des impôts, un budget, un exécutif, etc qui,
en principe, vise à l’intégration plus ou moins poussée entre les différents
pays qui y adhérent. Depuis 50 ans de nombreuses négociations ont eu lieu entre
les gouvernements des pays capitalistes pour réduire les obstacles à la
circulation entre eux des marchandises et des services (Kennedy Round, Uruguay
Round). L’Uruguay Round s’est conclu par des accords signés le 15 avril 1994 à
Marrakech. L’OMC (l’organisation Mondiale du Commerce) remplace le GATT, qui
fonctionne depuis le ler juillet 1995.
Pourtant il n’y a pas transcendance des capitalismes nationaux à un
capitalisme mondial. Tout au plus est-ce l’expression des besoins de ce que les
forces productives soient débarrassées du carcan des frontières nationales, la
réponse capitaliste a cette exigence. Mais fondamentalement cette réponse
renforce les capitalismes nationaux (américain, Japon, Allemagne, France, etc).
La liste des trente groupes non financiers les plus internationalisés
montre qu’ils sont ordonnés à partir de firmes nationales et que c’est sur
cette base qu’il se renforcent Les IDE se présentent comme autant de conquêtes
des capitalismes nationaux et de leurs firmes. Les grands groupes font appel à
leurs États Nationaux pour les défendre et appuyer leurs offensives dans
l’arène internationale (voir Uruguay Round, à l’intérieur de l’U.E.,
"négociation" entre les impérialismes US et japonais, etc). Les
accords conclus entre firmes multinationales ou pour en constituer sont
toujours des compromis passés au gré des rapports de forces. Ils sont plus ou
moins stables. Les "oligopoles" internationaux sont par définition,
soumis à ces mêmes règles.
" Considéré sous l’angle de l’intégration des marchés nationaux,
au sein des marchés mondiaux qui dominent les premiers quand ils ne les
remplacent pas complètement le processus de mondialisation est nulle part
accentué que dans la sphère financière" Chesnais "La mondialisation
du capital" " (pages 207 et 208). Les marchés sont une chose, les bases des
"opérateurs" en sont une autre et celles-ci restent nationales.
Exemple : les fonds de pension.
Par ailleurs le " capital " argent opère en très grande
partie sur l’exploitation des États nationaux : leur endettement
notamment :
" La dette fédérale de
l’État américain s’élevait à 322 milliards de dollars en 1970, 906 milliards de
dollars en 1980, 4 061 milliards de dollars en 1992. La chambre des
représentants estime qu’elle atteindra 6 141 milliards de dollars en 1998.
Rapporté à la dette fédérale, le service de la dette est passé de 12,7 % en
1980 à 20,1 % en 1990 ". (page 221).
La spéculation sur les monnaies c’est aussi
l’exploitation des États nationaux par le capital argent.
Dans un texte intitulé " Impérialisme : la nouvelle
donnée, à propos de la " Mondialisation du capital " de François
Chesnais ", Philippe Herblot fait remarquer :
D’un autre côté, les capacités des Etats nationaux
n’ont pas totalement disparu en matière économique, sans parler des
interventions militaires et du maintien de l’ordre :
" Contrairement à un certain nombre d’illusions
qui se développent au vu de la gigantesque puissance des grandes entreprises
multinationales modernes, celles-ci ne sont pas en mesure de devenir des
institutions économico-politiques remplaçant les Etats dans la gestion de la
main-d’œuvre et de la monnaie. "
Ce n’est pas tout : que l’on songe à la manière
dont la crise de 1979-1982 a été surmontée par l’injection massive de des
dépenses d’armement aux Etats-Unis, à l’interposition relativement concertée
des banques centrales lors du krach de 1987, à l’élargissement ou la
constitution de marchés régionaux (Union européenne, ALENA).
___ ___ ___ ___ ___ ___ ___ ___ ___ ___ ___ ___ ___
______ ___ ___ ___ ___ ___ ______ ___
Spécialement, la lutte de chaque fraction nationale
de la bourgeoisie mondiale pour restaurer le taux de profit reste centralisée
par son Etat. Fondamentalement, l’offensive menée partout contre la
valeur de la force de travail et les acquis sociaux ne tient pas aux
entreprises transnationales, qui l’imposeraient à des Etats qui n’en pourraient
mais. C’est pourtant ce que semble parfois affirmer l’auteur :
" La mobilité du capital permet aux entreprises
de contraindre les pays à aligner leurs législations du travail et de la protection
sociale sur celles de l’État dont les lois leur sont le plus favorables. "
(35) (p. 255)
L’offensive du capital conduite sous le drapeau du
libéralisme et sous l’égide de l’Etat vient d’abord de la " crise ",
de la dépression capitaliste prolongée, bref, du rapport capital / travail,
et secondairement de la modification de la relation entre internationalisation
du capital et Etat national au détriment de ce dernier. Certes, la
mondialisation rend les atteintes aux acquis ouvriers et populaires plus
nécessaires et plus faciles. Mais, de toute façon, ces conquêtes (36), plus ou
moins tolérables durant les " trente glorieuses ", se révèlent un
fardeau, à l’heure où il convient de redresser le taux de profit. C’est
pourquoi il s’agit d’une politique immanente à l’Etat en tant qu’Etat
bourgeois, et non d’une " contrainte " qui lui serait imposée (37).
5.2 antilibéralisme ne rime pas toujours avec
socialisme
Du reste, si l’Etat avait eu la capacité d’harmoniser
la production et les rapports sociaux capitalistes, avant de la perdre à cause
de la " globalisation ", pourquoi ne pas reproduire cette régulation
à l’échelle internationale ? Certains l’appellent de leurs vœux :
" Les premières mesures qui s’imposent d’urgence
concernant le rétablissement de contrôles nationaux et internationaux, ainsi
que l’institution d’une taxe mondiale sur les mouvements de capitaux,
l’élimination du secret bancaire et des paradis fiscaux, la lutte coordonnée
contre la spéculation et l’évasion fiscale (..) Il faudrait également
généraliser le contrôle démocratique par le renforcement des parlements
existants et la création de nouveaux forums représentatifs à l’échelle
continentale et mondiale (..). Les institutions internationales nouvelles
pourraient aussi être crées, parfois dans le cadre des Nations unies. "
(38)
Aujourd’hui, nombre d’épigones de Keynes préconisent
la " relance " à l’échelle européenne, voire mondiale (39).
Parallèlement, des voix se font entendre avec de plus en plus d’insistance pour
freiner la spéculation contre les monnaies (40). Il n’est pas d’ailleurs
impossible que des mesures soient prises contre les excès spéculatifs, à la
faveur de nouveaux reculs de la classe ouvrière (permettant de diminuer la
dette publique) ou de krachs financiers, comme ce fut le cas " après la
grande vague de faillites bancaires des années 1930 " (p. 210).
(36) D. Folias : " Le droit à la santé, la
Sécurité sociale : des conquêtes révolutionnaires ", La Vérité,
décembre 1976, avril 1977.
(37) C’est le reproche que faisait Marx aux dirigeants
socialistes allemands sur l’indépendance qu’ils supposaient à l’Etat "
Au lieu de considérer la société existant comme le fondement de l’État
existant, on traite au contraire, l’État comme une entité indépendante, qui
possède ses propres fondements intellectuels et moraux, ses propres libertés.
" (Critique du programme du parti ouvrier allemand, 1857, Œuvres, tome
1, Gallimard, Paris, 1965, p. 1428).
(38) R. Petrella : " Le retour des
conquérants ", Le Monde Diplomatique, mai 1995.
(39) " La tentation de la voie keynésienne
", L’Expansion, 28 avril 1995 ; J.P. Fitoussi, Le Débat interdit,
Arléa, Paris, 1995.
(40) B.
Eichengreen, J. Tobin, C. Wyplosz : " Two cases for sand in the
wheels of international finance ", The Economic journal, janvier
1995 ; H. Bourguinat : La Tyrannie des marchés, Economica, Paris,
1995. On trouve une complaisance excessive à l’égard du pro-impérialiste
Bourguinat dans N. Béniès : " Le libéralisme face à la crise
financière ", Critique Communiste, printemps 1995.
___ ___ ___ ___ ___ ___ ___ ___ ___ ___ ___ ___ ___
______ ___ ___ ___ ___ ___ ______ ___
D’autres nostalgiques de la régulation nationale
prétendent même, mais pour le regretter, que ce processus est largement entamé.
Selon eux, les institutions internationales (FMI, Banque mondiale, OMC,
Commission de Bruxelles ... ) supplantent les Etats pour régenter l’économie
mondiale ou européenne. Ce ne sont que diversions :
l La force des organismes internationaux s’exerce à
l’encontre des pays dominés dans le cas des " ajustements structurels
" qui conditionnent les prêts du FMI et de la BM, ou lors des expéditions
l’ONU... Ces institutions fonctionnent alors comme un club impérialiste. Mais,
dans les faits, cela ne s’applique pas aux puissances impérialistes
elles-mêmes : il faudrait d’ailleurs expliquer quelle force sociale
façonnerait cette préfiguration d’État Mondial, et surtout par quels
bouleversements historiques un tel ordre nouveau peut s’instaurer.
l En ce qui concerne l’Union européenne, les décisions
importantes n’émanent nullement de la Commission, mais sont prises lors des
" conseils des ministres ", et surtout des " conseils européens
" ou " sommets " : en fait, il faut un accord entre pouvoirs
exécutifs de France et d’Allemagne.
Les accords de l’ALENA n’ont pas fait l’unanimité de
la bourgeoisie en Amérique du Nord. Des secteurs de la bourgeoisie française se
sont aussi rebiffés contre le Traité de Maastricht ou l’accord de l’Agetac-OMC,
en réalité contre la domination grandissante de l’Allemagne, en Europe, et
contre la volonté de réaffirmation de l’hégémonie américaine déclinante, à
l’échelle mondiale. On a eu l’écho lors des élections présidentielles du
printemps 1995. Malheureusement, le repli sur l’État-nation, a fortiori de
taille européenne, est plus que jamais une impasse (déjà illustrée, entre
autres, par deux guerres mondiales) :
" Comment garantir l’unité économique de
l’Europe, tout en préservant une complète liberté de développement culturel aux
peuples qui y vivent ? Comment une Europe unifiée peut-elle être intégrée
dans une économie mondiale coordonnée ? On ne peut trouver la solution en
déifiant la nation, mais, au contraire, en libérant totalement les forces
productives des chaînes que leur a imposées l’État national. "
L’institution étatique joue plus que jamais son rôle
dans la concurrence entre fractions nationales du capital mondial. La
prolongation de la dépression prolongée ou son approfondissement brutal sous
forme de crise mondiale peuvent conduire à des affrontements plus violents
entre membres de la " Triade " :
" Entre 1870 et 1913, (..) l’économie mondiale
s’était unifiée à un rythme plus élevé encore qu’au cours des 40 dernières
années. (..) Un terme y fut mis par une série de barrières non tarifaires et
d’obstacles réglementaires, la Première Guerre mondiale, suivie par des
barrières tarifaires dans les années 1920 et 1930. "
De toute façon, pour purger le mode de production
capitaliste, il faudra une destruction conséquente de capital, dévalorisation
contenue jusqu’à présent par les Etats, effrayés par le " risque
systémique ".
Certes les pressions du capital financier pour que soient réduits les
"déficits publics", au nom du libéralisme et de la stabilité
monétaire sont très grands. Aux États Unis, fin octobre 1995, le Congrès a
adopté une loi selon laquelle l’équilibre "du budget fédéral" doit
être réalisé en 2002. Cela rappelle un peu la loi Graman-Rudman que ce même
congrès avait voté ; elle décrétait aussi une réduction drastique des déficits
budgétaires. Il devait être nuls à partir de 1991. Résultats : en 1989 le
déficit budgétaire s’est élevé à 182 milliards de dollars ( en réduction
toutefois vis à vis du précédent par rapport au PNB : 2,9% à la place de
3,2. En 1985 le pourcentage avait atteint 5,2 %) ; en 1990 il s’est élevé à 220
milliards de dollars (4 % du PNB); en 1991 à 269 milliards de dollars (5 % du
PNB); en 1992 à 340 milliards de dollars (5,7 % du PIB) ; en 1993 à 254,9
milliards de dollars (4 % du PNB) ; en 1994 à 203,4 milliards de dollars (3,4 %
du PNB); en 1995 à 197 milliards de dollars.
Les budgets militaires (sauf en 1992 - guerre contre l’Irak ) ont été
réduits. Mais les budgets globaux des USA se sont élevés à (…)
Dans l’Union Européenne l’objectif des principaux pays qui la composent
c’est de réduire à 3 % des PNB les déficits des budgets des États. (Ce sont les
conditions pour qu’en 1999 soit réalisée la monnaie unique). Une formidable
pression s’exerce pour réduire les prélèvements, les dépenses, les déficits
publics. Pour le moment on est loin du compte. En France par exemple les
déficits budgétaires ont été de : 236,3 milliards de francs (3,37 % du PIB) en
1992 ; 344,9 milliards de francs (4,7 % du PIB) en 1993 ; 349,1 milliards de
francs (4,15 % du PIB) en 1994 ; 321,6 milliards de francs (4,15 % du PIB) en
1995 ; 289,7 milliards (3,55 % du PIB) en 1996 (prévision). Au cours de ces
années les dépenses budgétaires se sont élevées à : 1 284 milliards de francs
en 1991 1 355,2 en 1992 ; 1 427,7 en 1993 ; 1 466,89 en 1994 [.......] en 1995.
Et surtout l’objet des attaques du capital financier ce sont ce qu’ils
appellent " les prélèvements obligatoires ". Ils comprennent
les impôts prélevés par l’Etat, les collectivités locales et les "
dépenses sociales ". En France ils sont passés de 43,8 % en 1988 à 43,9 %
en 1991, à 43,6 % en 1992, 44,2 % en 1994 et […] 1995 du PIB. En 1996, ils
dépasseraient 45 %, en Allemagne les 50 %. A quelques points près dans les
autres pays " les prélèvements obligatoires " sont au même niveau. Il
faut avoir singulièrement la vue basse pour prétendre que "L’État
nation" dépérit.
Le capital financier met le "paquet" pour la réduction à
minimum des "dépenses sociales". Le ‘bilan économique et social
1995" note qu’aux USA.
"Selon le "budget
républicain" Médicare (l’assurance-maladie des personnes âgées et des
handicapés) se voit amputé de 270 milliards de dollars, Medcaid (l’aide aux
plus démunis) de 163 millions de dollars, tandis que le budget de Welfare
(l’aide sociale destinée aux enfants à charge) serait réduit de 82 milliards de
dollars. Les secteurs de l’éducation, de l’environnement et de l’agriculture
sont également mis à contribution".
On sait ce qu’il en est en France et dans les pays
de l’U.E. Mais ce n’est pas pour affaiblir " l’État-nation ". Ces
attaques font partie de l’attaque brutale et générale du capital financier
contre la valeur de la force de travail, pour sa soumission totale à ses
besoins et exigences.
Les "théoriciens" de la "mondialisation du
capital", du développement de cette dite "mondialisation" vers
un capitalisme et un seul, supposent, évidemment que celui-ci en finisse avec
les nations et les Etats nationaux. En outre cette " mondialisation "
suppose que le capitalisme surmonte ou surmontera la contradiction fondamentale
qu’inclut la propriété privée des moyens de production et que Marx situe ainsi
:
" La production
capitaliste tend sans cesse à dépasser ces limites qui lui sont immanentes,
mais elle n’y parvient qu’en employant des moyens, qui, de nouveau et à une
échelle plus imposante, dressent devant elle les mêmes barrières.
" La véritable barrière de la production capitaliste, c’est le capital lui-même : le capital et sa mise en valeur par lui-même apparaissent comme point de départ et point final, moteur et fin de la production ; la production n’est qu’une production pour le capital et non l’inverse : les moyens de production ne sont pas de simples moyens de donner forme, en l’élargissant sans cesse, au processus de la vie au bénéfice de la société des producteurs. Les limites qui servent de cadre infranchissable à la conservation et la mise en valeur de la valeur-capital reposent sur l’expropriation et l’appauvrissement de la grande masse des producteurs ; elles entrent donc sans cesse en contradiction avec les méthode de production que le capital doit employer nécessairement pour sa propre fin, et qui tendent à promouvoir un accroissement illimité de la production, un développement inconditionné des forces productives sociales du travail, à faire de la production une fin en soi. Le moyen - développement inconditionné de la productivité sociale - entre perpétuellement en conflit avec la fin limitée : mise en valeur du capital existant. Si donc le mode de production capitaliste est un moyen historique de développer la force productive matérielle et de créer le marché mondial correspondant, il représente en même temps une contradiction permanente entre cette tâche historique et les rapports de production sociaux qui lui correspondent. " (Le Capital - Livre 3 - Tome 1 - p. 263)
Loin de réduire cette contradiction la prétendue
"mondialisation du capital" la pousse à son extrême sous la forme de
l’extension de la plus-value relative. La mobilité et la vitesse de circulation
du capital doivent être maximum et la disponibilité de la force de travail
correspondre à ce maximum. En somme des millions de travailleurs sont réduits
au chômage. Enfin le capital dont le profit provient de cette plus-value
s’accroît démesurément, d’autant plus qu’il faut y inclure le capital de prêt,
le capital rentier. La baisse et la chute du taux de profit, la crise disloquante
de l’économie capitaliste sont inéluctables.
La dite "mondialisation du capital" dépend finalement de la
conjoncture économique. Déjà depuis plus de vingt ans, celle-ci oscille
constamment entre "reprises" plus ou moins grandes et
"dépressions" plus ou moins profondes. Se prépare une catastrophe
économique et financière de la même nature que la crise des années trente. La
fantastique croissance du " capital " argent, la liberté dont il
jouit, la place qu’il occupe dans l’économie capitaliste ont en contre-partie,
une extrême fragilité. Il suffit de considérer que la plus grande partie de ce
" capital " argent est du capital fictif pour s’en rendre compte,
qu’il est investi dans des spéculations de toutes sortes dont la spéculation
boursière, qui sont vouées à crever comme des bulles.
Le "repli" dans les cadres nationaux est garanti d’avance,
ainsi que la renaissance des nationalismes économiques et financiers pour
autant qu’il se soit atténué ou qu’il soit masqué. Le "modèle" de la
crise des années trente permet de l’affirmer. Mais il n’est pas besoin, tout
compte fait, de remonter si loin pour le savoir. CPS n° 60 du 23 novembre 1995
:
QUELQUES KRACHS ET CRISES
De nombreux krachs ou crises boursières, bancaires, financières se sont
produits ces dernières années. Ces craquements indiquent que l’édifice
spéculatif est voué à s’effondrer. Parmi eux :
"La reprise économique
aux États-Unis a déjà près de trois ans. Elle s’est accélérée au dernier
trimestre de l’année dernière, quand le taux de croissance (en rythme annuel) a
dépassé 6 %. L’effet ordinaire des reprises est d’augmenter la demande de
capitaux à investir, ce qui pousse à la hausse des taux d’intérêt. Mais surtout
les investisseurs (financiers) ont craint la surchauffe, génératrice
d’inflation. Un mal qu’ils détestent parce qu’il ronge la valeur de leurs
placements. Ils ont donc demandé des rémunérations plus élevées (en clair : une
hausse des taux d’intérêt - NDLR). Tout signe de surchauffe accroît leur
méfiance et leurs exigences."
"La hausse des taux d’intérêt a des effets en
chaîne. En augmentant le rendement des obligations nouvellement émises elle
dévalorise tout le stock des obligations existantes. Cette déprime des marchés
obligataires ne tarde pas, en général à gagner les marchés d’actions. En même
temps l’argent plus cher freine l’investissement et refroidit l’économie."
(le Dow Jones est retombé de 3 978,36 points au 31 janvier 1994, à 3 598,71
points au 20 avril et est remonté à 3 953,68 points au 15 septembre).
"Le 6 décembre 1994, le comité californien
d’Orange a demandé la protection de la loi sur les faillites après avoir perdu
plus de 2 milliards de dollars. Plus récemment encore, mercredi 22 février, un
article du Washington affirmait que le district de Columbia était insolvable à
la suite d’opérations de marché. On peut d’ailleurs parler d’une véritable
série noire. En janvier, la société allemande Metallgesellschaft a annoncé
avoir perdu plus d’un milliard de dollars sur des opérations de contrats à
terme de produits pétroliers. En mars le fonds d’investissements Astin Capital
Management (2 milliards de dollars) est liquidé après d’énormes pertes
consécutives à des opérations dérivées sur des hypothèques. En avril les
lessives Procter and Gamble révèlent une perte de 102 millions. En juin c’est
l’État de Floride qui révèle avoir perdu 175 millions de dollars."
(…) " les engagements "hors bilan" de
quelques banques américaines à la fin 1993... Banker Trust 1 923 milliards de
dollars, 1 723 milliards de dollars pour J.P. Morgan, à comparer à des capitaux
propres de 4,5 et 9,9 milliards de dollars. " ("Le Monde" du
28/2/1995)
"Le Monde"
du 0 1/03/1995 reprenait :
" La faillite des
caisses d’épargne américaines en 1989, le scandale de la BCCI en 1991, le
naufrage de Nordbanken en Suède en 1992, la défaillance du Banesto en Espagne
en 1994, les pertes historiques de la première banque japonaise Sumitomo, le
deuxième plan de sauvetage du Crédit Lyonnais à venir dans les prochaines
semaines et, aujourd’hui, les déboires de Barings... Cette liste des
défaillances bancaires est loin d’être exhaustive. A chaque fois pourtant et
quel que soit le pays, l’ampleur du sinistre est sans précèdent. A chaque
" accident ", la question reste la même : comment a-t-on pu en
arriver là ?
" Traditionnellement, les systèmes bancaires
jouent un rôle non négligeable d amortisseur dans les périodes de récession.
Que certaines banques aillent mal est normal mais la multiplication des
sauvetages en catastrophe - pour éviter que la défaillance d’un seul n’entraîne
la faillite de tous - prouve que les contrôles des établissements bancaires
internes et externes ne sont plus adaptés à un environnement qui est celui
d’une ‘économie internationale de spéculation", pour reprendre
l’expression d’Henri Bourguinat, du CNRS. De peur de provoquer une psychose,
d’introduire le doute sur la solidité des systèmes bancaires, aucune autorité
de tutelle n’ose le dire. Alors les banques centrales et les institutions
internationales multiplient les recommandations et les études sur les risques,
notamment sur ceux qui résultent de l’explosion des transactions sur les
marchés dérivés. En vain.
" Le chancelier de l’Échiquier, Kenneth Clarke,
sans doute sous le coup du désastre de la banque Barings, a déclaré, lundi 27
février, qu’il souhaitait revoir tout le système de contrôle bancaire. Il
faudrait que ce précédent serve d’exemple, y compris en France. (Eric Leser)
".
Au Japon encore : le 31 juillet 1995 la première mutuelle bancaire du
Japon, la banque Cosmo Credit était mise en cessation de paiements ("Les
mésaventures de Cosmo Credit ont mis en lumière la fragilité extrême
d’un autrepan de l’édifice financier nippon : ces centaines de
mutuellesde crédit et coopératives agricoles qui se sont engagées sans compter
sur l’immobilier et la Bourse, jusqu’à l’éclatement de la bulle
financière." ("Libération" du 01/08/1995) ; le 30
août était annoncée la faillite du premier établissement de crédit du Japon la
"Kizu Credit Union" ("Cette défaillance est d’autant plus
inquiétante qu’elle survient après celle de trois autres banques
mutualistes : Tokyo Credit Union et Anzu Credit Union, fusionnées
depuis dans la Tokyo Kyodo Bank, puis le mois dernier Cosmo Credit
Union." ("Le Monde" du 31 août 1995).
Le 23 août 1995 "Libération" publiait une interview d’un
"spécialiste du secteur bancaire japonais chez Baring Security à Tokyo,
James Philip Fiorillo". A la question "Les banques japonaises
peuvent-elles venir à bout seules de leurs créances douteuses", il
répondait :
"Non ! Les plus grandes
mises à part, les banques ne sont pas capables de gérer seules le problème des
créances douteuses. Elles devront être aidées. Sans aide de l’État, il faudra
au minimum six ans pour apurer leurs comptes. dans beaucoup de cas cela
pourrait prendre dix ans voire plus."
Il faut s’arrêter un moment sur la situation des banques françaises.
Dans un article intitulé : "L’omerta immobilière tétanise les
banques" publié dans "Libération" du 8 août 1995 et
sous-titré : "Elles n’osent toujours pas brader leurs stocks
de créances douteuses" on lit :
" Trois chiffres
donnent la mesure du problème. Au 31 décembre 1994 les banques françaises ont
prêté 350 milliards de francs aux professionnels de l’immobilier. Sur ce total
200 milliards peuvent être qualifiés de créances douteuses et 100 milliards ont
été provisionnés. Et plus la crise dure, plus le taux de pourriture
augmente : 34 % en 1992 à 57 % en 1994... "
" ... Les banques hexagonales qui ont
majoritairement opté pour étaler leurs pertes dans le temps, sont raillées
partout dans le monde : serrer les fesses ne ferait qu’entretenir la
crise. "Les banques françaises ont adopté une attitude irresponsable
: non seulement elles n’ont pas réalisé leurs pertes, mais elles tentent de les
cacher" dénonce Erik Sonden, spécialiste suédois de l’immobilier. Les
français rétorquent que des ventes massives accentueraient la chute des prix.
Des banquiers font même ce cauchemar qu’une poignée de traîtres bradent leurs
actifs, obligeant l’ensemble des banques à passer d’énormes provisions
supplémentaires pour tenir compte de ces nouveaux prix de marché.
"Il est de l’intérêt collectif qu’un tel
scénario ne se produise pas, s’inquiète un banquier. Mieux vaudrait organiser
une sortie de crise étalée sur cinq à dix ans." Cette politique de
l’autruche a un coût : 15 milliards de francs par an. On appelle ça les
frais de portage. En effet, les capitaux gelés dans l’immobilier, qui ne
rapportent rien à une banque, auraient pu être prêtés au taux du marché (7 %
pour le taux à deux ans, aujourd’hui)."
Pour sa part le Crédit Lyonnais a accumulé 135
milliards d’" actifs compromis ". Un montage, garanti par l’Etat, lui
a permis de mettre "hors bilan" ses "créances douteuses"
par la constitution d’un "Consortium de réalisation (CDR)" :
"L’assemblée nationale
a adopté, mercredi 4 octobre un texte qui dessine les contours de l’aide que va
apporter l’État au Crédit Lyonnais et au Comptoir des entrepreneurs (CDE), les
modalités de son application et les contrôles qui y sont attachés. Dans les
deux cas la solution retenue consiste à sortir du bilan de ces deux
établissements des actifs compromis qu’ils n’étaient plus en mesure de
conserver (16 milliards de francs pour le Comptoir des entrepreneurs et 135
milliards de francs pour le Crédit Lyonnais)." ("Le Monde" 06/10/1995)
u
u
u
La couverture de tous ces krachs et crises. à tout le moins la
limitation de leurs conséquences, ont jusqu’à présent été assurées par les
États bourgeois, naturellement au détriment des finances publiques. Cela durera
jusqu’au jour où ils se répercuteront en chaîne et ne pourront plus être
couverts, d’autant plus que le crédit des États bourgeois est lui-même
vacillant et que la couverture de ces krachs et crises contribue à le ruiner.
le 24/10/1995.
Nombre de théoriciens de la " mondialisation du capital "
expliquent qu’en novembre-décembre 1995 les travailleurs engagés dans la grève
et les manifestations se dressaient contre le traité de Maastricht, Bruxelles,
le FMI et on ne sait qui encore. Ils oublient l’essentiel. Ces travailleurs
combattaient certes la politique que pratique mondialement le capital
financier, laquelle consiste à leur arracher leurs acquis et leurs conquêtes
économiques et sociales, à réduire brutalement la valeur de la force de
travail, à utiliser le chômage, la pression du marché international du travail,
pour faire d’eux une masse malléable et exploitable à merci. Mais en
novembre-décembre (tout comme aujourd’hui) leurs adversaires, leurs ennemis
directs c’était le gouvernement Chirac-Juppé, le capitalisme français. Le mot-d’ordre " dehors
le gouvernement Chirac-Juppé " allait
de pair avec celui de " A bas le plan Juppé ".
Il est une sorte d’"internationalisme" particulièrement
pernicieux et désarmant pour le prolétariat et la jeunesse, celui qui, sous
prétexte de dimension internationale, voire mondiale gomme, efface que la lutte
de classe du prolétariat est internationale par son contenu mais nationale dans
sa forme. " Le manifeste communiste " spécifie :
"La lutte du
prolétariat contre la bourgeoisie, bien qu’elle ne soit pas quant au fond une
lutte nationale, en revêt cependant tout d’abord la forme. Il va sans dire que
le prolétariat de chaque pays doit en finir avant tout avec sa propre bourgeoisie".
C’est-à-dire d’abord et avant tout lutter pour
prendre le pouvoir et le prendre dans son propre pays, ce que les
"théoriciens" de "la mondialisation du capital" du
dépérissement de "l’État-nation" auraient plutôt tendance à
masquer et à vouloir faire oublier.
La domination mondiale du capital financier serre étroitement la trame
de la lutte mondiale des classes. La prise de position, la lutte contre tous
les organismes où s’élabore et se met en place la politique internationale des
puissances impérialistes de l’ONU, au FMI, aux organismes de l’Union
Européenne, les multiples manifestations de cette politique sont
indispensables. En même temps les antagonismes et contradictions
inter-impérialistes et leurs conséquences doivent être dégagés et soulignés.
Ainsi l’Union Européenne doit être caractérisée pour ce qu’elle est - l’Europe
des capitalismes - le lieu de leur coopération conflictuelle dominée par le
" couple " également conflictuel, franco-allemand. Il n’y a pas de
capital européen.
L’espace économique et financier de l’U.E., la coopération entre les
Etats bourgeois sont nécessaires aux différents capitalismes nationaux mais les
antagonismes sur ces terrains politiques demeurent (ex-Yougo par exemple). Dès
que la conjoncture économique faiblit les antagonismes apparaissent et menacent
de disloquer l’U.E. Sans compter que l’impérialisme US entend bien que les
portes de "l’Europe" lui soient grandes ouvertes ou qu’à l’occasion
il les force pour occuper des positions dominantes (ex-Yougoslavie).
A bas l’ONU, le FMI, l’U.E., l’ensemble des traités, accords,
interventions impérialistes et d’abord de " notre " propre
impérialisme, l’impérialisme français, fait partie de notre arsenal politique.
L’étroite imbrication économique et politique en Europe rend plus indispensable
que jamais le mot d’ordre des États Unis Socialistes d’Europe. Il faut
l’opposer à l’Europe des capitalismes, l’U.E., comme objectif de tous
les prolétariats européens. Mais pour chacun des prolétariats il s’agit de
prendre le pouvoir dans son propre pays, prise du pouvoir accélérant et portant
au plus haut niveau la lutte pour le pouvoir des prolétariats des autres pays
d’Europe.
Mais au centre du programme, de la politique de toute organisation,
parti ouvrier révolutionnaire doit être, en conformité avec ce qu’expliquait il
y a 150 ans le "Manifeste Communiste", la prise du pouvoir, un
gouvernement ouvrier et paysan, la réalisation de la dictature du prolétariat
dans son propre pays.
Puteaux, le 19 avril 1996.
Retour vers la première partie
Aller vers la troisième partie
Retour
à la section: situation économique
Retour
à la section: histoire, théorie