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Article paru dans CPS n° 50 de novembre 1993

 

Ex-Yougoslavie :

Après l’énoncé du plan Owen-Stoltenberg, la guerre continue

de la désagrégation à la guerre

une guerre annoncée

antagonismes nationaux, unification balkanique

“c’est la faute à l’allemagne”

de juin à décembre 1991

l’impérialisme français passe le relais

initiative allemande

1992 : dislocation de la bosnie-herzégovine

gesticulation militaire et diplomatique

une double difficulté

atrocités planifiées

d’une conférence à l’autre

vie et mort du plan vance-owen

l’enterrement du plan vance-owen

une résistance persistante

juin-septembre 1993 : nouveau plan de paix, nouveaux combats

automne 1993 : la guerre pour le plan owen-stoltenberg

contre l’intervention, sous toutes ses formes, de l’impérialisme français

 


Le plan Owen-Stoltenberg énoncé le 20 août 1993 à la conférence de Genève - qui réunit les deux “médiateurs internationaux”, les représentants de la Serbie, des serbes de Bosnie, de la Croatie et des “musulmans” de Bosnie - trace les grandes lignes de l’accord de “paix” en Bosnie-Herzégovine sur lequel les puissances impérialistes se sont entendues. Tout n’est pas réglé pour autant ni en ce qui concerne la Bosnie-Herzégovine même, ni en ce qui concerne les statuts de la Krajina et de la Slavonie en Croatie où vivent majoritairement ou minoritairement des Serbes. Le 1er septembre 1993 certaines conditions posées par le gouvernement bosniaque ont empêché que se réalise un accord. Après deux années de guerre, trois plans internationaux, des centaines de milliers de victimes et 3,6 millions de personnes chassées de leurs régions, les combats continuent donc entre les milices croates et “musulmanes”, tandis que l’armée serbe occupe le tiers de la Croatie, la plus grande part de la Bosnie-Herzégovine, la totalité des régions de Voïvodine et du Kosovo.

S’agit-il d’un “échec de la diplomatie internationale” comme le titrait Le Monde du 4 septembre ? De l’impuissance d’États pleins de bons sentiments mais incapables d’imposer leur volonté de paix ? Hans Van den Broek, commissaire européen des relations extérieures, dénonce ainsi “la stratégie de capitulation” de Lord Owen, médiateur européen supervisant avec les représentants de l’ONU les négociations de Genève.

Si tel est le cas, les principaux responsables de ces deux années de guerre sont alors à chercher au sein de l’ex-Yougoslavie et de préférence en évoquant, en termes choisis, l’arriération de peuples barbares. C’est ce que fait par exemple André Fontaine en écrivant (Le Monde du 30 mai 1993) :

“un déchirement comme celui dont la Bosnie est aujourd’hui le théâtre défie l’analyse rationnelle, sauf pour la raison à prendre en compte le poids, accumulé au cours des âges, de l’irrationnel”.

L’élégance de la phrase ne vise ici qu’à masquer grossièrement la nature des forces sociales en présence, le rôle des impérialismes qui s’affrontent dans cette partie de l’Europe ; et parler “d’échec de la diplomatie internationale” ou de “capitulation” sert à gommer le fait que les négociations suspendues le 1er septembre constituent, par le cadre défini, une étape décisive vers la conclusion d’un accord de compromis entre les puissances impérialistes, compromis dicté à la Serbie, à la Croatie et à la Bosnie, les gouvernements respectifs de ces pays cherchant à tirer le meilleur profit de ces accords (celui de Bosnie cherchant, lui, surtout à limiter les dégâts).

Contrairement à ce que raconte André Fontaine une analyse rationnelle de ce conflit est possible ; elle implique de commencer par rappeler certains faits.

de la désagrégation à la guerre

La proclamation par la Croatie et la Slovénie, le 25 juin 1991, de leur indépendance marque un tournant dans le processus de désagrégation de l’ancienne Yougoslavie, processus qui s’était engagé dès la mort de Tito en 1980. De par sa nature bureaucratique, le régime titiste avait été incapable de régler la question nationale ; l’accroissement des inégalités entre les différentes républiques de la Fédération, l’absence de libertés démocratiques, le monopole politique exercé par la bureaucratie l’interdisaient ; corsetées par la répression du vivant de Tito, les aspirations nationales s’exprimèrent de manière croisante durant la décennie 1980/90, d’autant plus que s’approfondissait la crise économique ; la mise en oeuvre puis le développement de la politique “d’autogestion” mettant en concurrence les travailleurs, les entreprises, les régions, constituant une véritable transition vers le rétablissement de l’économie de marché avait abouti au morcellement de l’économie yougoslave, à la multiplication des pouvoirs locaux, politiques et financiers ; les écarts économiques devinrent insupportables : le chômage, estimé à 2% en 1988 en Slovénie, atteint 27% en Macédoine, 57% au Kosovo. Le “produit social” par habitant est à ce moment 8 fois plus élevé en Slovénie qu’au Kosovo ; grèves et mouvements de masses se multiplient de 1986 à 1988 ; c’est dans ce processus que la bureaucratie yougoslave et son parti ont éclaté : une fraction majeure (l’appareil d’État fédéral, l’armée) s’est identifiée à l’État Serbe, essayant de maintenir les autre républiques de la Yougoslavie, brisant l’autonomie du Kosovo et de la Voïvodine.
Les autres fractions de la bureaucratie se sont faites les porte-parole des revendications nationales afin de tenter de conserver pouvoir et privilèges. Chacune de ces fractions a entrepris de transformer “sa” république en État bourgeois indépendant (à ce jour, dans aucune des républiques, la transformation sociale de l’État n’a encore abouti).

En décembre 1990 et avril 1991 ont été organisés, en Slovénie et en Croatie, des référendums qui ont donné d’écrasantes majorités pour l’indépendance. Tandis qu’en Croatie, au sein des régions de peuplement Serbe, l’armée fédérale reconvertie en “milice” conduisait de premières opérations. Finalement, le 25 juin 1991, la Slovénie et la Croatie proclamaient leur indépendance ; le lendemain, l’armée fédérale se déployait en Slovénie et en Croatie ; la guerre commençait.

une guerre annoncée


Cette guerre était prévisible, et prévue. Ainsi, en décembre 1990, le ministre de la défense yougoslave avait laissé planer la menace d’une intervention armée contre un processus qualifié de “libanisation”. (Cf. CPS n°36). Sur un plan plus général, l’article de CPS n° 37 d’avril 1991 concluait :

“En l’absence d’une authentique révolution prolétarienne, la Yougoslavie et ses républiques sont vouées à de violents affrontements et au chaos”.

Pour autant, il n’était pas écrit d’avance que ceci prendrait le visage particulier que cette guerre a pris, non pas guerre civile - guerre opposant la classe ouvrière et la jeunesse à l’appareil d’État de la bureaucratie et aux forces bourgeoises - mais guerre conduite par les gouvernements des différents États, par les armées et leurs milices, et guerre conduite essentiellement et délibérément contre les populations civiles, avec son cortège de cruautés qui fait depuis deux ans partie de l’actualité quotidienne.


La bureaucratie elle-même, ses différentes fractions hésitaient encore au printemps 1991, l’armée fédérale laissait planer la menace d’un coup d’État, qu’elle ne réalisa pas. L’extraordinaire imbrication des nationalités rendait toute partition géographique insoluble d’autant plus qu’en quarante ans, en dépit du non règlement de la question nationale dans le cadre du régime titiste, s’était opéré un brassage de populations au demeurant très proches sur le plan culturel et linguistique, en particulier dans les villes avec la constitution d’un important prolétariat et d’une couche étudiante qui tendaient à se considérer comme “yougoslaves” autant que Serbes, Croates ou Bosniaques.


antagonismes nationaux, unification balkanique


Il faut rappeler que si les antagonismes nationaux ont systématiquement été exacerbés dans le passé par les classes dominantes et les forces d’occupation, le mouvement du prolétariat a toujours tendu à dépasser ces antagonismes : les dominations turque, jusqu’au dix-neuvième siècle, et austro-hongroise avant 1918, la monarchie Serbe du “royaume des serbes, croates, slovènes” écrasant les droits des peuples slovènes, croates et autres de 1918 à 1941, l’occupation par les armées du régime hitlérien qui organisa un État croate dont les tueurs - les Oustachis- massacrèrent les populations serbes (auxquels font pendant les tchetniks serbes) et finalement le régime titiste découpant en différentes régions et républiques, de manière arbitraire et pour ses propres besoins, une Yougoslavie elle-même découpée de manière arbitraire dans l’ensemble qui constituent les peuples des Balkans. Tout cela fait de l’histoire des nationalités en Yougoslavie un interminable récit de répressions et de massacres.


En même temps bien que constitué plus tardivement que ceux d’Europe occidentale, le prolétariat de cette région, dans ses grands mouvements, a exprimé son aspiration à l’unification des nationalités : liens étroits entre les différents partis sociaux-démocrates des Balkans avant 1914 (le PSD serbe avançant la perspective d’une fédération socialiste balkanique), constitution d’un seul parti communiste de Yougoslavie après 1918 défendant - tant qu’il fut communiste - la même perspective d’une fédération socialiste des Balkans et enfin mouvement des masses de toute la Yougoslavie contre l’armée allemande se transformant en guerre révolutionnaire, détruisant l’État bourgeois : l’armée de Libération Nationale regroupa 300 000 partisans des différentes nationalités et l’une des premières décisions du Comité de Libération Nationale fut de constituer un État fédéral de 6 républiques. (Cf. CPS n°36 et 37).


Cette aspiration correspond à une nécessité : outre l’imbrication des différentes nationalités, aucun État isolé n’est viable économiquement. Et ce qu’était vrai il y a 50 ans l’est infiniment plus aujourd’hui : des États slovènes, croates, serbes, ne peuvent être réellement indépendants. Toutes les fractions de la bureaucratie oeuvrent à restaurer le capitalisme, à constituer des États bourgeois indépendants. Mais cette bureaucratie pour la plus grande part aspire à se transformer en bourgeoisie, à s’approprier les moyens de production de l’ex-Yougoslavie, non à brader ces moyens à d’autres bourgeoisies (même si une partie de cette bureaucratie aspire plutôt à se muer en bourgeoisie compradore, simple relais de l’impérialisme).


Encore faut-il que l’État constitué soit viable, qu’il ait la “surface” et les moyens d’existence minimums. C’est cette double menace - celle d’un prolétariat et d’une jeunesse qui avait manifesté tout au long des années 80 sa force et ses aspirations et celle d’un éclatement de la Yougoslavie en 6 ou 8 États croupions réduits à n’être que des semi-colonies de l’impérialisme, qui faisait hésiter la bureaucratie yougoslave, toutes ses fractions, jusqu’en juin 1991.


Pour que soit franchi le pas, que soient proclamées de premières indépendances, et que s’engage la guerre, il a fallu l’intervention directe et concurrentielle des différents impérialismes dans une situation marquée par cette double nécessité pour la bureaucratie : disloquer le prolétariat et assurer une force minimale aux États bourgeois projetés.


“c’est la faute à l’allemagne”

Depuis quelques mois se multiplient les déclarations mettant lourdement en cause la responsabilité de l’Allemagne dans le déclenchement des hostilités. Ainsi Roland Dumas, ancien ministre des Affaires étrangères :

“Les responsabilités de l’Allemagne et du Vatican dans l’accélération de la crise sont évidemment écrasantes”.

De même, le 17 juin 1993, Warren Christopher, secrétaire d’État américain :

“Il y a eu de sérieuses erreurs commises dans le processus de reconnaissance (de la Bosnie), et les Allemands portent une responsabilité particulière pour avoir persuadé la Communauté européenne d’agir comme eux (...)Beaucoup de spécialistes pensent que les problèmes que nous avons aujourd’hui là-bas ont commencé avec la reconnaissance de la Croatie et par la suite de la Bosnie”.

Toutes ces déclarations visent à masquer les responsabilités des USA et de la France qui ont défendu eux aussi, cyniquement, leurs propres intérêts sur le dos des populations de l’ex-Yougoslavie.


de juin à décembre 1991

Dès cette période se sont manifestées en toute clarté les interventions rivales des impérialismes allemands, français, anglais, américains. L’impérialisme allemand a encouragé les tendances sécessionnistes en Slovénie et Croatie avec le souci de renforcer son influence sur cette partie de l’Europe, en direction des Balkans, de la Méditerranée, de la Grèce, de la Turquie. C’était une de ses zones d’influence traditionnelle.

L’impérialisme français, au contraire, a tenté jusqu’au bout de maintenir la Yougoslavie où prédominait l’État Serbe, la Serbie étant un très ancien “client” de l’impérialisme français ; il s’agissait en même temps de faire obstacle au développement de l’influence allemande. L’impérialisme américain, pour les mêmes raisons mais pour son propre compte, a oeuvré pour le maintien d’une Yougoslavie sous contrôle Serbe.

Cette nécessité est d’autant plus grande que, avec la réunification de l’Allemagne et le processus de dislocation de la bureaucratie du Kremlin, l’impérialisme allemand se libère des entraves héritées de son effondrement à la fin de la deuxième guerre mondiale :reconstruit économiquement, libéré de ces entraves, il entreprend de reprendre toute sa place sur le plan international. Le couple franco-allemand en devient fort boiteux, et l’ex-Yougoslavie est le premier terrain où les rivalités s’affirment crûment, après le soutien sans pudeur que Mitterrand avait apporté à la bureaucratie de RDA en train de s’écrouler. La désagrégation et la guerre en Yougoslavie portent l’empreinte de cette modification radicale des équilibres européens. Dès le 28 juin 1991, lors du sommet européen à Luxembourg, les divergences s’expriment : la France bloque toute reconnaissance des deux nouveaux États et Mitterrand prône “la retenue des pays limitrophes”... C’est un encouragement à l’intervention de l’armée “fédérale”, armée Serbe en réalité : la Yougoslavie étant disloquée, le gouvernement français soutient la construction d’une grande Serbie.

Mais l’armée Serbe ne peut tenir à la fois en Slovénie et en Croatie ; en Slovénie les masses se dressent unanimement contre l’armée “fédérale” et nulle minorité n’y peut être utilisée pour diviser la population. En outre, les troupes “fédérales” manifestent bien peu de pugnacité. Sous la pression de l’impérialisme allemand et de ses alliés, la bourgeoisie autrichienne en particulier, la bureaucratie serbe doit retirer ses troupes de Slovénie, désormais indépendante dans les faits. C’est un grand succès pour la bourgeoisie allemande, que les accords de Brioni enregistrent. Mais, s’appuyant sur les impérialismes français et américains, le gouvernement serbe engage la guerre en Croatie. Le 14 juillet, son premier ministre Milosevic déclare : “Tous les Serbes doivent vivre dans un même État” remettant ainsi en cause les accords de Brioni, car en Croatie vit une importante minorité serbe (600 000 serbes résidant pour l’essentiel en Slavonie et Krajina). En Août, les combats s’étendent en Croatie et le 26 Août commence le siège de la ville de Vukovar, qui sera rasée par l’artillerie.

Le 28 Août, les douze agitent la menace de sanctions et déclarent qu’ils ne reconnaîtront jamais “les changements de frontière par la force”. Le lendemain, Milosevic est reçu à Paris où il peut déclarer qu’il existe une “identité essentielle de vue” avec le gouvernement français. Le gouvernement français ne dément pas. Le 3 octobre, Milosevic enterre la fiction fédérale et s’empare de tous les pouvoirs “yougoslaves”, présidence et parlement.

Le 15 octobre, la majorité des représentants de Bosnie - contre ceux de l’importante minorité Serbe - décide l’indépendance de cette république ; comme le référendum qui sera organisé au printemps, il s’agit pour le bloc croato-bosniaque de dicter sa volonté aux serbes de Bosnie ce qui est, délibérée ou non, une véritable provocation. Les combats qui se poursuivent en Croatie touchent alors la Bosnie.

l’impérialisme français passe le relais


Au niveau de la CEE, l’Allemagne mais aussi l’Italie, la Belgique, le Danemark, le Portugal prônent la reconnaissance de la Slovénie et de la Croatie ; la France, la Grande-Bretagne résistent : le statu quo est maintenu. Mais les rapports de force nouveaux entre les impérialismes français et allemands depuis l’unification de l’Allemagne, la défaite que représente cette unité réalisée pour la bourgeoisie française ne permettent plus à Mitterrand de bloquer indéfiniment ces reconnaissances. Or les dirigeants de Belgrade ont besoin de temps pour poursuivre la guerre, constituer la Grande Serbie. Mitterrand passe alors le relais à l’ONU, à l’impérialisme américain, en accord avec Milosevic : Mitterrand déclare la France “soucieuse de préserver les chances” de la négociation et propose de transférer le dossier à l’ONU ; Milosevic déclare, le 5 novembre à La Haye où il est reçu par les représentants de la CEE :

“Selon moi, le processus de paix n’est pas terminé. Il faut du temps et prendre en compte les intérêts de chacun. Seule l’ONU est habilitée à trancher. La CEE veut seulement la mort de la Yougoslavie”.

Ce que chacun traduit par : “Selon moi, la guerre n’est pas terminée. Il me faut du temps pour réaliser la Grande Serbie. Seule l’ONU contrôlée par les États Unis est habilitée à trancher car la CEE, dominée par l’Allemagne s’oppose à la Grande Serbie”.

Au moins formellement, la France doit se soumettre ; les États-Unis, qui cherchent une voie de pénétration dans les Balkans et veulent bloquer l’impérialisme allemand, feront le nécessaire. A juste titre Lord Carrington, président de la “conférence de paix” peut-il parler de “farce” diplomatique.

Mais les impérialismes français et allemands ne peuvent aller trop loin dans la rivalité : ils utilisent les peuples de l’ex-Yougoslavie comme des pions, mais les divergences doivent rester feutrées, limitées car il ne s’agit pas de faire exploser la CEE, avec les conséquences économiques et politiques que cela représenterait ; il y aurait plus à perdre qu’à gagner. Le 15 novembre 1991, Mitterrand et Kohl se rencontrent donc à Bonn et Mitterrand déclare que les deux pays ont fait : “un effort pour que leur position soit et reste commune”. Malheureusement pour Mitterrand, c’est lui qui devra faire le gros de l’effort : se soumettre à la politique de Kohl.

initiative allemande

Le 16 décembre 1991, l’Allemagne obtient gain de cause : les gouvernements membres de la CEE décident de reconnaître le 15 janvier les nouveaux États de l’Europe et de l’ex-URSS, donc en particulier Slovénie et Croatie, mais à une condition : que les gouvernements de ces États garantissent les droits des minorités nationales pouvant y résider. La Slovénie n’en ayant pas sera donc reconnue. Mais la bureaucratie Croate avait refusé de garantir les droits de la forte minorité Serbe vivant en Croatie, offrant ainsi un prétexte en or aux bureaucrates serbes pour leur offensive militaire. Pourtant le gouvernement allemand prend brutalement l’initiative et décide, le 23 décembre, unilatéralement, de reconnaître l’indépendance de la Slovénie mais aussi de la Croatie. Les autres gouvernements doivent s’aligner. C’est un nouvel échec pour le gouvernement français qui, en vain, va essayer jusqu’au 14 janvier d’empêcher la reconnaissance de la Croatie. Le 15 janvier 1992 la reconnaissance de deux États devient effective.

1992 : dislocation de la bosnie-herzégovine

Dès lors que la Yougoslavie se disloquait, la Bosnie-Herzégovine, petite Yougoslavie du point de vue de sa composition nationale, était menacée : cette république était composée officiellement de trois nationalités : Serbe, Croate et Musulmane. Mais que signifie une “nationalité musulmane" quand les dits-musulmans, souvent non-croyants, parlent la même langue que leur voisin serbe ou croate ?

En Croatie, la situation se stabilise dés lors que les milices Serbes encadrées et équipées par l’armée Serbe contrôlent “leurs” territoires. L’ONU peut déployer ses “casques bleus” ; fin mars 1992, 6 000 “casques bleus”, chargés officiellement de récupérer les armes, assurent en réalité le maintien du découpage tel que les milices serbes l’ont réalisé.

En Bosnie, le 29 Février et le 1er mars, est organisé un référendum sur l’appartenance ou non à la fédération yougoslave.
L’issue de ce référendum est prévisible : d’une part la majorité (croate et musulmane) est pour la rupture avec une Yougoslavie réduite à un bloc serbe, d’autre part la minorité Serbe (32%) refuse ce vote, parce qu’elle refuse toute séparation d’avec la Serbie : on va donc à l’explosion.

Mais le Président Izatbégovic a reçu l’assurance que la CEE reconnaîtrait son indépendance, après celles de la Croatie et de la Slovénie. C’est d’ailleurs sur proposition de la “commission d’arbitrage de la conférence européenne de paix en Yougoslavie” (sic) présidée par Badinter, l’homme de Mitterrand, que le référendum a été organisé. Une fois encore, le rôle des impérialismes est décisif. Résultats : 99,78% des votants se seraient prononcés pour l’indépendance mais 32% n’ont pas voté.

Peu après la CEE (le 6 avril) puis les USA reconnaissent la nouvelle république qui entrera à l’O.N.U.

L’ONU envoie de nouvelle troupes, dont le quartier général est installé à Sarajevo. En pratique, les milices Serbes, appuyées par 150 000 hommes de l’armée “fédérale”, ont toute latitude pour entreprendre la conquête de la Bosnie-Herzégovine : en quelques mois, 60% du territoire passe sous le contrôle des milices serbes.


gesticulation militaire et diplomatique

Durant 18 mois, l’ONU, la CEE, les différents impérialismes vont multiplier les mises en garde, les menaces d’interventions armées tout en organisant rencontres et négociations.

En mai-juin 1992, c’est l’avalanche : résolution unanime du conseil de sécurité de l’ONU exigeant qu’aucune force, serbe ou croate, n’intervienne en Bosnie-Herzégovine ; mise en garde à la Serbie ; embargo total à l’encontre de la nouvelle Yougoslavie (le bloc serbe, embryon de la Grande Serbie), envoi de nouvelles troupes teintées de bleu, menace d’intervention militaire de la CEE ; mais sur le terrain, les troupes de l’ONU n’ont pas le droit de se battre, l’ONU évacue son quartier général de Sarajevo encerclé et bombardé ; à la frontière grecque, on peut voir passer les convois de camions et les trains : l’embargo est une passoire.

Mitterrand peut donc sereinement opérer un tournant tactique, accepter de désigner la Serbie comme l’agresseur ‘le 26 juin au sommet de Lisbonne) et, (le lendemain, organiser un voyage-spectacle à Sarajevo pour “forcer” le blocus serbe interdisant l’arrivée de l’aide dite “humanitaire” : l’impérialisme américain impose que rien ne soit fait tant que le dépeçage de la Bosnie est inachevé.

une double difficulté

En dépit du rapport de force militaire en apparence écrasant en faveur de l’armée serbe, les bureaucrates serbes ont besoin de beaucoup de temps, ayant à vaincre plusieurs difficultés.

D’une part la guerre qu’ils conduisent, non seulement ne rencontre aucun soutien des masses serbes en dépit d’une propagande qui contrôle tous les moyens d’information, mais voit se dresser une opposition ouverte : par dizaines de milliers, les jeunes serbes refusent la mobilisation, se cachant ou s’enfuyant à l’étranger ; de puissantes manifestations ont lieu à Sarajevo contre la guerre. A Belgrade, le 15 juin 1992, les étudiants se mettent en grève ; celle-ci est soutenue par la population et par les étudiants des autres villes.

Mais la répression combinée avec la politique du “mouvement du Renouveau Serbe” qui appelle à mettre fin aux manifestations dont il est partie prenante (pourtant des manifestations ont malgré tout lieu les 7 et 8 juillet).

Le caractère bourgeois et chauvin des organisations de l’opposition officielle, l’absence de tout parti ouvrier révolutionnaire, conduit au reflux de cette opposition. La situation est analogue en Croatie. Pour autant, les masses ne soutiennent pas la guerre des bureaucrates.

La bureaucratie ne peut vraiment compter, pour les opérations militaires, que sur une fraction de l’armée et des milices constituées d’éléments issus de l’appareil d’État, liés à la bureaucratie, et de déclassés.

En outre, il ne s’agit pas seulement de contrôler militairement des territoires : l’objectif de la bureaucratie serbe comme de celui de la bureaucratie croate est de constituer des États bourgeois viables, contrôlables politiquement. Par expérience, elle sait que s’il est possible, pour un temps, de faire refluer le prolétariat, de contenir les aspirations nationales un moment, tôt ou tard son pouvoir sera de nouveau menacé. Il lui faut mettre en œuvre une “solution finale” à la question nationale : ce sera la politique dite du “nettoyage ethnique” avec son cortège de massacres, de viols et de tortures.

atrocités planifiées

Il est de bon ton, dans la presse européenne, de s’indigner de la barbarie dans l’ex-Yougoslavie, barbarie qui permet de justifier l’intervention impérialiste. Quant aux causes, on est convenu de les renvoyer à la fois à des individus incontrôlés et aux traditions locales, au poids du passé. André Fontaine explique ainsi (Le Monde du 30 mai 1993) :

“dans ce type de guerre, on l’a vu au Liban, mais on l’a vu aussi en France, il est des gens qui tuent pour le plaisir. D’autres, nombreux, parce que la vengeance est à leurs yeux, même s’ils se disent ou se croient chrétiens, une obligation morale”

et un peu plus loin :
“les morts que l’on venge, ce ne sont pas seulement ceux que la guerre actuelle a accumulés, ce sont ceux de la 2ème guerre mondiale, et des innombrables massacres dont a été marquée l’occupation turque”.

Certes, le souvenir de ces massacres est soigneusement ravivé par la propagande serbe, croate ou musulmane mais André Fontaine comme les bureaucrates sait que les masses ont aussi combattu et infligé dans le passé de lourdes défaites aux troupes d’occupations (turques, italiennes, allemandes) et aux bourgeoisies serbes et croates. Les bureaucrates connaissent la fragilité de leur position ; il leur faut des mesures radicales, il faut rendre insurmontables les affrontements entre nationalités : les innombrables cruautés de “l’adversaire” — auxquels la propagande fait la plus large publicité — visent délibérément à créer un fleuve de sang infranchissable à l’avenir entre les différentes nationalités. Dans l’immédiat, elles conduisent des millions de serbes, de croates, de musulmans à fuir d’une province à l’autre, immenses exodes (surtout ruraux) qui conduisent à créer des zones “ethniquement pures” ou la population, terrorisée, se montrera docile. En même temps, le prolétariat comme classe sociale, la jeunesse comme force aux avants postes du combat contre la guerre des bureaucrates, sont émiettés, pulvérisés.

Socialisme ou barbarie : faute d’une révolution politique ayant permis au prolétariat des Balkans, par la destruction de la bureaucratie, par la constitution de soviets, de s’approprier le pouvoir et de régler la question nationale dans le cadre d’une fédération socialiste des Balkans, c’est par la barbarie que les fractions de la bureaucratie aspirant à se constituer en bourgeoisies on t entrepris de régler, pour un temps, les questions nationales.

Pour autant, même si le processus de liquidation de la Bosnie-Herzégovine touche à sa fin, rien n’est réglé. A Sarajevo, dans d’autres villes encore, la population semble refuser, en masse, le charcutage ethnique. (De ce point de vue, l’embargo international, s’il est inefficace pour les armes et les produits nécessaires aux bureaucrates, joue un rôle efficace pour affamer la population des grandes villes, contribuant à briser toute résistance des masses urbaines, les plus dangereuses pour la bureaucratie). En outre, les questions du Kosovo, de la Voïvodine, etc… restent entières.

d’une conférence à l’autre

Le 26 août 1992 s’ouvre à Londres une conférence réunissant belligérants et représentants de l’ONU, de la CEE, de la CSCE (Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe). De grande résolutions sont adoptées : on s’accorde sur le mécanisme de la négociation, sur l’aide humanitaire, sur la perspective du démantèlement des camps de prisonniers, sur le respect des frontières actuelles de la Bosnie, de la démilitarisation des villes…

Et la guerre continue : non pas guerre civile, mais guerre menée entre les armées des bureaucraties, et guerre menée par ces armées contre les populations civiles du “camp adverse”. Les territoires occupés ne varient guère, sauf grignotage. L’essentiel de l’activité armée est de procéder à la purification ethnique : si les milices serbes ont le premier rôle, celles croates ou musulmanes en font autant.

Finalement, le 2 janvier 1993, une nouvelle conférence est convoquée à Genève ; les médiateurs de la CEE et de l’ONU, David Owen et Cyrus Vance, y présentent un plan en trois volets. Le premier volet, institutionnel, prévoit une Bosnie unitaire… mais largement décentralisée et le second volet des arrangements militaires. Le troisième volet est une carte de la Bosnie découpée en dix provinces : 3 serbes, 3 croates, 3 musulmanes, la dixième étant Sarajevo comme zone mixte.. Officiellement l’unité de la Bosnie est maintenue mais ce plan Vance-Owen entérine la mainmise des milices serbes sur la plus grande part de la Bosnie, se montre généreux pour les territoires sous contrôle croate et réduit la partie “musulmane” à fort peu de choses. Compromis proposé aux dirigeants croates et serbes, c’est aussi un compromis entre les différents impérialismes, par vassaux interposés, pour se partager les dépouilles en zones d’influences.

vie et mort du plan vance-owen

Six mois durant, c’est ce plan qui va servir de base aux négociations qui se mènent à Genève puis à New York. Les deux premiers volets sont rapidement signés mais les négociations achoppent sur le 3ème volet, et l’absence de continuité territoriale entre les différentes zones attribuées à une même nationalité. Or il est impossible qu’il y ait une telle continuité à la fois pour les zones serbes et les zones musulmanes. Ce projet est inviable, et les combats reprennent pour régler cette question par les armes. Le “parlement” auto-proclamé représentant les serbes de Bosnie rejette le plan, rejet confirmé par référendum, tandis que dans certaines “poches” musulmanes surchargées de dizaines de milliers de réfugiés, la situation devient insupportable pour les populations affamées.

Sur proposition française est alors échafaudé, dans le cadre des négociations de ce plan Vance-Owen, un complexe système de “zones de sécurité” (Sarajevo, les enclaves musulmanes) protégées par les troupes de l’ONU. Cette proposition, adoptée fin mai 1993, à l’occasion d’une réunion réunissant les ministres américain, britannique, français, russe et espagnol mais d’où est exclue l’Allemagne, amène le gouvernement allemand à faire connaître publiquement son mécontentement, affirmant redouter
“que ces zones ne reviennent à figer la situation militaire sur le terrain, aux dépens des musulmans de Bosnie, qui y seraient parqués comme dans des “réserves”, tandis que s’éloigneraient les objectifs que s’était fixée la communauté internationale dans le plan de paix élaboré par M.. Vance-Owen” (Le Monde du 4 juin).


D’autres font connaître leurs réserves (le secrétaire général de l’ONU) ou leur opposition (l’Égypte et les “non-alignés”).

En réalité, en limitant — éventuellement — leur activité à la protection des derniers réduits musulmans, les auteurs de ce plan renoncent dans les faits au plan Vance-Owen et reconnaissent les conquêtes serbes. Ils entérinent par avance la liquidation des droits des albanais du Kosovo :

“Article II : les normes internationales en matière de droits de l’homme devraient (sic) être strictement respectées dans l’ancienne région autonome du Kosovo bien que nous ne soutenions pas l’indépendance de cette région”.

Selon Libération du 24 mai 1993, ce plan à 5 est :
“Tout en euphémismes obliques et assurances altières, traduit en termes châtiés, cette réalité vulgaire : on a tiré un trait sur l’existence de la Bosnie-Herzégovine, pays reconnu officiellement par la communauté internationale, croyait-on. Il n’est pas besoin d’être grand clerc pour comprendre qu’un peuple promis à être protégé dans des ”zones de sécurité” dans son propre pays est une espèce menacée de disparition. Le mot terrible : “réserve d’indiens” a été lancée de Bosnie”.

Une nouvelle fois, pour apaiser les tensions renaissantes, les gouvernements français et allemands se réunissent, et déclarent à Beaune le 2 juin mettre un terme à leurs divergences. Ils réaffirment “leur refus d’accepter tout fait accompli fondé sur la force” et considèrent “les zones de sécurité comme une nécessité”, réclament “une solution de paix préservant l’intégrité territoriale et la souveraineté de la Bosnie”. Pure hypocrisie : le plan Vance/Owen est mort, il reste à l’enterrer. Sur le terrain, les troupes serbes ont conquis de nouveaux territoires et s’attaquent maintenant à quelques unes des zones qui viennent d’être déclarées “zones de sécurité” (l’enclave de Goradze, la zone de Srebrenica) sans que les troupes de l’ONU ne réagissent (pour certaines, elles en sont totalement absentes). A Belgrade, face à une opposition qui persiste, la répression se durcit : manifestations interdites, arrestation de dirigeants de l’opposition dont Vuk Drakovic, gravement blessé. Le président serbe Dobrica Cosic (dont le premier ministre, à l’automne, avait été Panic, l’homme des américains) est accusé de mollesse, puis chassé. Ni Drakovic, “Grand-Serbe” et pro-impérialiste, ni Cosic président de la soi-disant nouvelle Yougoslavie, ne représentent un grand danger pour Milosevic mais celui-ci et la bureaucratie entendent être maîtres chez eux et préserver leurs chasses gardées d’empiétements excessifs de l’impérialisme. Dans le même sens et bien que les affrontements armés entre troupes croates et serbes reprennent de temps à autre, les dirigeants négocient des “échanges de population” (c’est à dire achèvent la purification ethnique) en excluant les observateurs de la CEE et de la Croix-Rouge.


l’enterrement du plan vance-owen

Restait à régler la question des funérailles, aucun impérialiste ne voulant être accusé d’avoir accepté ce que l’on disait inacceptable. D’où les soi-disant “hésitations” du gouvernement américain, la demande faite par le secrétaire de l’ONU, Boutros-Ghali, que le plan soit modifié “amendé”, euphémisme délicat.

Réunis à Genève le 16 juin, les dirigeants des États serbe et croate, Milosevic et Tudjman, jouent alors cartes sur table : ils annoncent leur accord pour abandonner le plan Vance-Owen et entreprendre le découpage de la Bosnie en trois entités distinctes sous couvert d’un pseudo état fédéral, “Trois nations constitutives”. Fanjo Tudjman peut déclarer avec cynisme :
“ Des progrès ? Nous en avons faits en ce sens que le plan Vance-Owen est modifié et qu’un accord est en train de se dessiner”.

Dès le lendemain, Bill Clinton déclare que les États-Unis pourraient accepter une partition de la Bosnie :

“Si les partis s’accordent sincèrement et véritablement sur une autre solution (que le plan Vance-Owen) nous devrons y regarder de plus près”.

L’éditorialiste du Monde explique, sous le titre “Avis de décès” :

Le plan de Vance-Owen est officiellement mort — et la voie est ouverte à une partition de fait de la Bosnie, avec maintien ou non d’une fiction de gouvernement central. La communauté internationale capitule et renonce à la politique qu’elle a menée depuis sa reconnaissance, en avril 1992, de l’indépendance de l’État bosniaque. Au bilan : des dizaines de milliers de personnes déplacées, des ravages sans précèdent en Europe depuis le dernier conflit mondial, et ce n’est pas fini. C’est le 22 mai dans la capitale américaine que les occidentaux et les Russes abandonnèrent en fait leur plan pour une Bosnie unitaire et pluri-ethnique, mais sans vouloir le dire et en jurant leurs grands dieux du contraire. Si l’histoire un jour, rend son verdict, le double langage, l’incohérence, l’hypocrisie figureront en bonne place parmi les chefs d’accusation” ;

“En seront comptables entre autres tous ceux qui, aujourd’hui, tentent de rejeter toute la responsabilité sur l’Allemagne pour les pressions qu’elle exerça en faveur de la reconnaissance des Républiques ex-yougoslaves. C’est ce qu’a fait sans ménagement jeudi le secrétaire d’État américain Warren Christopher. C’est ce que pense depuis le début F. Mitterrand et qu’on énonce, dans son entourage, en un langage digne des dirigeants serbes, en déplorant que “l’Europe se soit laissée emporter par les pressions germano-vaticanes”.

L’hypocrisie est incontestable ; ce fut notamment celle des États-Unis et de la France qui firent tout pour masquer leur soutien à la Grande Serbie. Mais c’est aussi l’hypocrisie de ceux qui les ont aidés dans cette entreprise de camouflage, comme les ont aidés les journalistes du Monde (entre autres fort nombreux) quand le journal titre : “échec de la diplomatie occidentale” et écrit que : “la communauté internationale capitule” : nul échec, nulle capitulation, mais politique conflictuelle, aux intérêts rivaux, conduite sur le dos des peuples yougoslaves.

Dès lors qu’est acquise la perspective d’un partage en trois “États” de l’ancienne Bosnie, les dirigeants serbes vont de l’avant : les 19 et 20 juin, un référendum est organisé dans la “République serbe de Krajina” située en Croatie (400 000 habitants sur 14 000 km2) ; l’objet en est l’union avec les serbes de Bosnie et “d’autres États serbes qui le désirent”. Les résultats donne 99% de Pour avec 92% de votants.

une résistance persistante

Les dirigeants des États serbe et Croate se sont mis d’accord sur un découpage de la Bosnie mais il est nécessaire, au moins pour la forme, d’avoir l’accord des dirigeants musulmans. Or, bien que considéré comme vaincu, Izetbegovic résiste et boycotte les négociations de Genève le 23 juin. Par ailleurs l’armée bosniaque, essentiellement “musulmane” fait preuve d’une pugnacité nouvelle. Officiellement l'embargo n’a jamais été levé, mais pour engager de tels combats, il faut disposer d’armes et de munitions qui ne viennent pas du ciel. Le 8 juin elle reprend la ville de Travnik à ses anciens alliés croates et la ville de Kakanj une semaine plus tard. Les dirigeants nationalistes musulmans avaient longtemps espéré et demandé une intervention militaire de l’ONU et de la CEE, mais aujourd’hui ils savent ne rien avoir à attendre, et les pressions se multiplient sur les dirigeants bosniaques : les gouvernements français et anglais s’opposent une nouvelle fois à une levée de l’embargo sur les armes, Lord Owen dénonce “l’intransigeance” d’Izetbegovic et pousse en avant son poulain musulman, le chef de l’enclave musulmane de Bihac (600 000 habitants), Fikret Abdic. Cet homme est un modèle de bureaucrate en phase de recyclage : ancien membre du CC de la ligue communiste de Bosnie, ancien directeur de la firme agro-alimentaire Agrokomec au centre du plus grand scandale financier du pays, ayant fait 26 mois de prison en 1988/90, il est devenu le “patron” de l’enclave de Bihac où il a imposé officiellement une monnaie unique, le Deutschmark. Lié aux chefs croates :“il a refait sa fortune grâce à la guerre en pactisant avec ses ennemis(...) Les Français du bataillon déployé à Bihac admettent volontiers avoir passé des accords de troc portant sur une grande quantité de farine avec l’habile commerçant”. (Le Figaro du 24 juin).

C’est cet homme qui, le 22 juin, annonce qu’Itzetbegovic a été remplacé à la tête de la présidence collégiale bosniaque pour mener les négociations à Genève pendant un mois : un croate, Fanjo Boras, le remplacera. Telle est la décision prise par sept des huit dirigeants bosniaques, pour la plus grande joie de Lord Owen.

Mais... le chef de l’armée bosniaque, Delic, n’a pas participé à ce vote et les États Unis font rapidement savoir qu’à leurs yeux Izetbégovic est toujours président de Bosnie (or il s’agit d’une présidence normalement tournante).

Résultats : les négociations reprennent le 23 juin à Genève avec le remplaçant d’Itzebegovic mais, David Owen et Thorvald Stoltenberg (remplaçant de Vance) demandent à Izetbégovic de bien vouloir participer aux négociations de Genève.

Derrière cet embrouillamini, il y a de toute évidence les rivalités et les tractations entre impérialismes. Il semble bien en particulier que le découpage de la Bosnie, nécessaire pour réaliser la Grande Serbie, continue à susciter l’opposition allemande ; à plusieurs reprises, les dirigeants allemands - tout en se ralliant officiellement à l’embargo sur les armes - ont fait savoir qu’ils étaient favorables à ce que l’Europe arme les bosniaques. Et, contrairement à ce qu’affirme Libération du 19 juin, il n’y a pas de “Grande Croatie désormais inscrite dans la réalité” aux côtés de la Grande Serbie : les éventuels “gains” croates en Bosnie sont fort loin de compenser les territoires croates occupés par l’armée serbe.

Grande Serbie et Grande Croatie sont antinomiques : les développements actuels remettent en partie en cause le succès politique qu’avait représentée pour l’Allemagne l’indépendance Slovène et Croate. Sans doute est-ce ce “mécontentement” allemand qui nourrit la résistance de certains dirigeants bosniaques.

juin-septembre 1993 : nouveau plan de paix, nouveaux combats

Une nouvelle fois, le cessez-le-feu général (prévu pour le 18 juin) n’est pas respecté ; les serbes poursuivent leurs attaques contre l’enclave musulmane de Gorazde, l’une des “zones de sécurité” initiées par le gouvernement français...


Le 22 juin, Mitterrand fait son numéro au sommet européen de Copenhague, s’indignant qu’un mois après la décision prise de créer des “zones de sécurité”, rien ne soit fait :
“La question est très simple, sommes-nous prêts à fournir des troupes aux Nations-Unies pour défendre les “zones de sécurité” ? Si la réponse est “non”, autant décider tout de suite de partir et dire aux musulmans de se défendre par leurs propres moyens. Si la réponse est “oui”, il faut dire combien d’hommes, quels moyens, quels contingents (...) La France sera présente mais qui d’autre fera l’effort ? (...) S’il s’agissait d’une ville chez nous, combien de temps ? Deux heures. Et nous discutons depuis des semaines”. ”Si les Européens ne sont pas prêts à s’engager : alors il ne faut pas prendre de résolutions ; il faut lever l’embargo sur les armes et rapatrier nos troupes”.

Pure hypocrisie : Mitterrand refuse tout armement bosniaque et le même jour “enterre” politiquement Izetbégovic, celui qui s’acharnait à demander des armes et expliquait : “La communauté internationale s’est de facto immiscée dans cette guerre en décrétant l’embargo sur les armes (...) ceux qui s’opposent à la levée de l’embargo sont pour la capitulation de la Bosnie-Herzégovine, pour le fait accompli, pour le génocide”.

Mitterrand déclare doucereusement : “M. Izetbégovic est un homme pour qui j’ai beaucoup d’estime. Mais c’est une affaire interne à la Bosnie. Cela prouve qu’on approche d’échéances nouvelles”.

Sur ce, le gouvernement français envoie 800 soldats de plus en Bosnie, avec 6 300 présents, elle est la première force d’occupation. La guerre en continue de plus belle : en Bosnie, forces croates et musulmanes, inextricablement emmêlées, s’affrontent un peu partout mais en particulier à Mostar, ville de population mixte où se multiplient rafles et interventions. Sarajevo, “zone de sécurité” par la grâce de Mitterrand et de l’ONU est affamée, sans eau, sans électricité, bombardée : 400 civils tués et 2 600 blessés en dix semaines. Les troupes serbes encerclent la ville et bloquent tout ravitaillement. En Croatie, le conflit se rallume entre troupes serbes et croates, le gouvernement croate cherchant à rouvrir un pont stratégique fermé depuis deux ans.

Le 3 août, les USA et l’OTAN menacent d’intervenir militairement pour faire lever le siège de Sarajevo (et les tirs sur les casques bleus) : pour la première fois depuis 1949, l’Alliance Atlantique pouvait intervenir, mais sous contrôle de l’ONU. S’ouvrent alors de laborieuses négociations entre militaires américains qui préparent leur intervention et représentants français qui freinent, au nom des risques encourus par les casques bleus déjà présents... La Russie réaffirme son opposition à une telle intervention. Finalement, l’ONU, selon Le Monde du 15 août, obtient “un compromis sur le retrait des forces serbes des hauteurs de Sarajevo”.

Le même journal observe : “Même si les Serbes semblent avoir finalement obtenu ce qu’ils voulaient - se faire garantir par les “casques bleus” leur conquête territoriale - les Américains pourront se prévaloir auprès de leurs amis bosniaques d’un succès très relatif : avoir fait reculer les forces serbes”.

Quant aux négociations, elles ne commencent vraiment que le 27 juillet : s’opposent alors le projet des chefs croates et serbes : un découpage en trois républiques ethniquement pures et confédérées. (Le projet est soutenu par l’ONU et la CEE) et le projet de la présidence bosniaque, visant à maintenir dans un cadre fédéral un État pluri-ethnique. Le 18 août, un accord est signé pour la mise de Sarajevo sous tutelle de l’ONU pendant 2 ans : ainsi serait réglé l’opposition de la population au charcutage de la ville elle-même proposé par la direction serbe. C’est un pas de plus dans l’intervention impérialiste. De même serait installé un protectorat européen sur Mostar.

Le 20 août, les négociations reprennent avec les propositions de découpage formulées par Lord Owen et Stoltenberg : la république Serbe aurait 53%, celle croate 17% et celle musulmane 30%, avec 44% de la population. Les dirigeants serbes affichent leur satisfaction. Sans attendre, les dirigeants croates en Serbie proclament quant à eux leur “République croate d’Herzeb-Bosna”.

Le parlement bosniaque (sans les Serbes), divisé, accepte le cadre du plan mais demande des modifications concernant les corridors, les enclaves et un accès à la mer.

Après quelques jours de tractations, c’est l’échec des négociations le 1er septembre. Les combats s’intensifient en Bosnie, à Mostar. Le dirigeant serbe de Bosnie annonce que dans ces conditions, le pays sera partagé entre croates et serbes. Le pays est exsangue. La famine menace Sarajevo, Mostar mais aussi la Serbie où l’inflation, de 400 % en juillet, atteint 1880% en août et où l’on achète 1kg de viande avec une coupure de 1 milliard de dinars.

automne 1993 : la guerre pour le plan owen-stoltenberg

Depuis le 1er septembre, la politique de Milosevic consiste à exercer une pression incessante pour amener les dirigeants bosniaques à accepter le plan Owen-Stoltenberg : bombardement de Sarajevo menacé par la famine et le froid, interdiction faite aux convois “humanitaires” d’atteindre les deux enclaves musulmanes de Moglaj et Tesanj.

Le 14 octobre, Milosevic et son protégé serbe en Bosnie (Karadzic) demandent la reprise des négociations sur le plan Owen-Stoltenberg, Karadzic se disant prêt, de nouveau, à quelques “concessions” territoriales tout en affirmant clairement son objectif d’une Grande Serbie unifiée : “Un seul et même État, avec une capitale, Belgrade, un seul parlement, un seul gouvernement et un seul président” Le Monde du 20 octobre. On voit donc ce qu’il en est de l’État “confédéré” de Bosnie prévu dans le plan Owen-Stoltenberg.

Quant à Milosevic, menacé d’être mis en minorité, il dissout le parlement le 20 octobre et convoque pour le 19 décembre des élections qui seront totalement contrôlées par son parti ; Ce mois d’octobre, l’inflation atteint officiellement 1900%. En Croatie, le président Tudjman voit ses pouvoirs confirmés à la tête du parti dominant (le HZD) et s’engage dans un processus de négociations avec les serbes de Krajina tout en s’appuyant sur la dernière résolution du Conseil de Sécurité affirmant l’intégrité territoriale de la Croatie. En Bosnie, les miliciens croates du HVO continuent de terroriser la population musulmane : fin septembre, 300 000 musulmans ont déjà abandonné l’enclave de Banja Huka ; il en reste 80 000. Les milices musulmanes quant à elles, qui ne manquent guère d’armes, accentuent leur offensive contre les enclaves croates : 6 000 croates sont chassés de Bosnie centrale le 20 octobre, 15 000 abandonnent la ville de Vares le 4 novembre. Ce qui reste de la Bosnie commence à se décomposer : purges au sein de la direction militaire, sécession de l’enclave musulmane de Bihac. Dans cette dernière (1.500 km2, 200.000 habitants).

L’homme d’affaire Fikret Abdic, soutenu par les dirigeants serbes et croates et par certains impérialismes, proclame son indépendance, “sa” police financée par lui-même affrontant les soldats obéissant à Izetbégovic.

Quant à l’interdiction de violer décrétée par l’ONU en mars 1993, elle devient un sujet de plaisanterie : 900 violations officiellement recensées et nulle riposte de l’OTAN : le cadre de référence a en effet été donné par le plan Owen-Stoltenberg, compromis entre les impérialismes, et c’est ce plan qui s’instaure peu à peu.

Karadzic le dit brutalement : “Ou bien cette guerre se terminera par une conférence, comme toutes les autres guerres, ou bien elle prendra fin par une longue effusion de sang, au cours de laquelle les Serbes consolideront par les armes leurs frontières". (Le Monde" du 20 octobre).


contre l’intervention, sous toutes ses formes, de l’impérialisme français

L'’exposé des faits permet de dégager l’écrasante responsabilité des impérialismes dont chacun poursuit ses propres objectifs et utilise autant qu’il lui est possible les différentes fractions en présence.

Combattre les interventions impérialistes quelle que soit la forme y compris soi-disant humanitaire, rejeter tout blocus des pays de l’ex-Yougoslavie est une nécessité. En France, cela implique en premier lieu de combattre l’intervention de son propre impérialisme, du gouvernement français, dont la responsabilité est lourde. Une fois de plus, cela soulève la question de la rupture avec la bourgeoisie, du Front Unique des organisations ouvrières (partis et syndicats) pour imposer le retrait des troupes françaises, la fin de l’embargo.

Bien sûr, rien ne serait réglé pour autant : ces pays restent dominés par les cliques bureaucratiques et les forces “d’opposition” y sont également pro-bourgeoises et chauvines le plus souvent. Dans ces pays, les questions nationales ne peuvent trouver de solution positive pour les masses que si les bureaucraties au pouvoir sont chassées, si des gouvernements ouvriers et paysans sont portés au pouvoir et ouvrent la voie des États Unis Socialistes d’Europe. En fin de compte, sur ces objectifs, la construction de Partis Ouvriers Révolutionnaires y est la tâche la plus impérieuse.

Mais en même temps, l’aide la plus précieuse que puisse apporter, en France, une organisation révolutionnaire aux masses de l’ex-Yougoslavie, consiste à combattre pour le retrait de l’impérialisme français. Combattre pour le retrait immédiat et inconditionnel des troupes françaises de l’ex-Yougoslavie (et de tous les pays où elles sont présentes fussent-elles coiffées de casques bleus) exige de lutter à l’intérieur des syndicats, comme à l’extérieur, pour que les organisations ouvrières (partis et syndicats) fassent leur cet objectif et réalisent le Front Unique, mobilisent les masses pour l’atteindre, sans quoi ce n’est qu’une formule creuse, un alibi.

Un tel retrait, imposé par les masses, serait un encouragement décisif. Tout autre attitude revient à se faire complice de son propre impérialisme.

le 10/09/93.

 

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