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Article paru dans CPS 36 de fevrier 1991

Données sur la Yougoslavie:

la question nationale


l’importance de la question nationale.

une question nationale séculaire.

le royaume “des serbes, croates, slovènes” - 1918-1941.

1941-1945 : un premier pas vers le règlement de la question nationale.

une question nationale non réglée.

l’autogestion et la question nationale.

1980-1990 : une décennie de crise.

la question du kosovo.

la sécession slovène.

la croatie, à la suite de la slovénie.

élections de décembre.

un processus inachevé.

 

l’importance de la question nationale


Durant ces derniers mois, la crise en Yougoslavie a connu d’importants développements, combinant crise politique, crise économique et exacerbation de la question nationale ; tandis qu’en Slovénie et en Croatie les partis issus de la bureaucratie yougoslave perdaient le pouvoir à l’occasion des premières élections libres, en Serbie la bureaucratie jouant la carte du chauvinisme serbe remettait en cause les maigres droits nationaux des provinces autonomes de Voïvodine et de Kosovo et soumettait la population albanaise de cette dernière à une répression féroce ; c’est aujourd’hui un processus de dislocation de la Yougoslavie qui est enclenché.


Le 15 mai 1990, prenant ses fonctions de président de la Fédération yougoslave, Borisav Jovic évoquait «le danger d’une guerre civile et d’une désintégration du pays» et réaffirmait sa volonté de faire respecter la Constitution fédérale.


Mais le 5 août, la Slovénie et la Croatie rendaient public un projet de “confédération yougoslave” réduite à une association d’Etats souverains ayant chacun sa propre armée et sa propre politique extérieure : de fait, l’éclatement de l’Etat yougoslave.

Et Franjo Tudjman, président nouvellement élu de la Croatie, d’expliquer :
«Nous ne voyons pas d’autre solution pour le pays qu’une alliance d’Etats souverains réunis comme dans le cadre de la Communauté européenne. Les Croates et les Slovènes, d’un côté, les Serbes de l’autre (...) appartiennent à deux civilisations complètement différentes. (...) Avant 1918, les Croates et les Serbes n’avaient jamais cohabité au sein du même Etat durant mille trois cents ans d’histoire ! Et, depuis 1918, les différences n’ont fait que s’accentuer».

Comprendre les développements actuels impose donc de revenir à leurs racines historiques ; tout particulièrement dans ce pays pèse le poids d’une histoire qui manifeste des aspects profondément originaux.



Il est un fait qu’avant 1918 n’existe pas d’Etat yougoslave regroupant comme aujourd’hui en un même ensemble des peuples aussi divers que Slovènes et Serbes, Croates et Macédoniens.

Durant tout le Moyen-Age, cette région d’Europe — que l’Empire romain d’occident et celui de Byzance s’étaient partagés en 395 — fut organisée en Etats indépendants, séparés, sur la base du peuplement à partir du VIIe siècle par des tribus slaves du Sud. C’est ainsi qu’existèrent un Etat croate et un empire macédonien (au Xe siècle), un Etat serbe (du XIIe au XIVe siècle).

L’élément décisif est que tour à tour ces Etats furent intégrés par d’autres puissances. Dès 1278 les Slovènes, au Nord, furent soumis à l’Etat des Habsbourg et germanisés. Ils restèrent dans ce cadre jusqu’en 1918. Au Sud, la domination de l’empire ottoman s’étendit plusieurs siècles durant, marquée en particulier par la défaite serbe de Kosovo en 1389, défaite qui est paradoxalement considérée comme l’acte de naissance du nationalisme serbe.

Du XVIe au XVIIIe siècle, ces peuples furent essentiellement dominés par l’Empire des Habsbourg et l’Empire ottoman qui s’y livrèrent d’incessantes guerres. Durant cette période eurent lieu de nombreux soulèvements, tant contre la domination turque qu’autrichienne, en particulier contre l’aggravation du servage (ainsi la révolte paysanne de 1575 fut écrasée par les troupes de l’évêque Draskovic avec une rare férocité).

L’idée d’une nation des Slaves du Sud existait au XVIIIe siècle, mais ce ne fut qu’au XIXe siècle, dans le cadre de la désagrégation de l’Empire ottoman, que le combat nationaliste s’exprima ouvertement, essentiellement en Serbie où il s’appuya sur une puissante insurrection paysanne. La Serbie obtint l’autonomie en 1815, et les Turcs s’en retirèrent peu à peu. Ce fut jusqu’en 1914 une monarchie féodale mâtinée peu à peu de parlementarisme, qui s’affirme comme l’Etat dominant de cette région, encourageant le combat nationaliste des autres peuples mais n’hésitant pas, ensuite, à les asservir. Ainsi, en 1913, la Serbie participe à la guerre pour expulser les Trucs de Macédoine, ce après quoi la Macédoine est dépecée et, pour l’essentiel, rattachée de force à la Serbie.

La vague révolutionnaire qui balaya l’Europe en 1848 renforce les mouvements nationalistes, notamment en Croatie où le servage est aboli en 1848 mais qui reste soumise à la domination hongroise, la Hongrie étant elle-même autonome dans le cadre de la monarchie bicéphale austro-hongroise.

L’attentat de Sarajevo, le 28/6/1914, perpétré par un membre de l’organisation nationaliste des Jeunes Bosniaques contre le prince héritier d’Autriche, fut une expression de ces aspirations nationales. Il donna le prétexte à un ultimatum autrichien à la Serbie, puis à la guerre, point de départ de la première guerre mondiale.



En 1918, l’Empire d’Autriche-Hongrie est démantelé. Le roi de Serbie proclame alors le royaume “des Serbes, Croates, Slovènes” que va conforter une série de traités (1919-1924) qui en définissent plus ou moins bien les frontières : il est en effet urgent pour l’impérialisme et les différentes bourgeoisies de mettre en place les barrages à la révolution prolétarienne qui s’est ouverte en Russie en 1917, révolution dont l’influence s’étend avec le retour des soldats prisonniers en Russie et acquis à la révolution d’Octobre : en Croatie par exemple, les paysans envahissent les grands domaines tandis que 40 à 50 000 déserteurs (le “régiment vert”) prennent le maquis. Dès mutineries dans l’armée accompagnent la grève générale de juillet 1919.

Le régime politique mis en place est celui d’une monarchie doublé d’un parlement où dominent les “centralistes” : en conséquent de quoi les aspirations nationales des Croates, des Slovènes et des autres peuples soumis à la monarchie serbe sont combattues par l’Etat central et ce d’autant plus facilement que dès 1921 les militants révolutionnaires sont condamnés à la clandestinité et leurs organisations démantelées.

Le mouvement ouvrier s’était développé, avant 1914, dans le cadre des anciennes frontières : Parti Social-Démocrate Serbe d’un côté, PSD de Bosnie, PCD de Craotie...

Parce qu’il avait été le seul parti de la IIe Internationale à refuser de voter les crédits de guerre en 1914, le PSD de Serbie fut naturellement l’axe de regroupement des militants révolutionnaires et constitua en 1920, avec les “ailes gauches” des autres PSD (de Bosnie, de Croatie...), le parti communiste de Yougoslavie. Son influence se développa de manière considérable durant les années 1919-1921 mais les graves erreurs commises par sa direction facilitèrent la répression. Ce parti, qui avait repris la perspective avancée par le parti Serbe d’une fédération socialiste balkanique et qui affirmait le droit à la sécession d’avec l’Etat yougoslave, fut condamné à l’impuissance durant plusieurs années.

Pour autant, les manifestations des nationalismes corsetés par l’Etat yougoslave se poursuivirent jusqu’en 1929, date à laquelle le roi, menacé par la crise économique et politique, organisa un coup d’Etat. Toute velléité d’autonomie même au royaume des “Serbes, Croates, Slovènes” fut alors pourchassée.

En 1935, dans le cadre de la politique de front populaire, le Parti communiste yougoslave, devenu stalinien, abandonna la notion de “droit à la sécession”, pour se rallier à la politique d’une “fédération” yougoslave, c’est-à-dire à un aménagement de l’Etat yougoslave. Et jusqu’en 1941, l’Etat yougoslave fut une prison pour les peuples slaves du Sud.



En avril 1941, l’Allemagne envahit le royaume yougoslave. L’appareil d’Etat s’effondre et le pays est découpé en différentes zones d’occupation, essentiellement sous contrôle des armées allemandes et italiennes. Les forces occupantes tentent de jouer sur les oppositions entre les différents peuples. Ainsi est créé un Etat croate dirigé par un valet de l’impérialisme allemand, le très catholique Pavelic. Ce dernier organise, avec ses compagnies de tueurs — les oustachis — le massacre de dizaines de milliers de Serbes orthodoxes (voire de plusieurs centaines de milliers selon certains). En Serbie du Sud, des tchetniks serbes massacrent les musulmans.

C’est dans cette situation que se développe un puissant mouvement de résistance aux forces d’occupation qu’encourage l’appel à l’insurrection lancé par le PC yougoslave (appel lancé quelques jours après l’attaque des troupes allemandes contre l’URSS mais... plus de 3 mois après l’invasion de la Yougoslavie par les mêmes armées allemandes).

Ce faisant, et bien que faiblement organisé, le PCY va se trouver à la tête d’un mouvement de résistance qui se renforce de mois en mois (80 000 partisans fin 1941, 300 000 fin 1949). Mais il n’a pas la force d’empêcher que ce mouvement de résistance se transforme en guerre révolutionnaire, s’attaquant aux couches de collaborateurs (grands propriétaires, débris du vieil appareil d’Etat tels que les tchetniks) et organisant sa propre administration dans les zones sous son contrôle ; des milliers de comités de libération nationale se constituent, centralisés en un Comité de libération nationale (AVNOJ).

En dépit des ordres répétés du Kremlin («qu’il ne soit pas question, pour l’instant, de l’abolition de la monarchie...»), le Comité Exécutif de l’AVNOJ constitue, de fait, un gouvernement ; il se proclame comme tel en novembre 1943.

Au sein de l’AVNOJ, toutes les nationalités sont représentées. Il est décidé que l’Etat libéré sera constitué d’une fédération de 6 républiques. Si formellement le cadre ancien de l’Etat yougoslave unique est conservé, il n’en reste pas moins que ce projet d’une fédération, d’une égalité des peuples fédérés est l’expression de la puissance acquise par les mouvements nationaux dans le cadre de l’insurrection révolutionnaire. De fait, c’est en détruisant l’Etat bourgeois et en construisant l’embryon de l’Etat ouvrier que commence à être réglée la question nationale, à être acquis le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Sans revenir ici (ce serra l’objet d’un prochain article) sur les processus qui ont fait que, d’une situation exceptionnelle, ait surgi — en l’absence de parti révolutionnaire — un Etat ouvrier dont la direction fut, dès le début, accaparée par un parti stalinien, le PCY, c’est finalement dans un pays libéré par les seules armées de partisans et sous leur contrôle, que fut élu, en novembre 1945, l’Assemblée Constituante qui proclama “la République populaire fédérative de Yougoslavie”.



La Constitution adoptée en janvier 1947 témoignait d’une première avancée dans le règlement de la question nationale en organisant 6 républiques : Slovénie, Croatie, Bosnie-Herzégovine, Macédoine, Monténégro et Serbie, cette dernière incluant la région autonome de Kosovo et la province autonome de Voïvodine. Mais deux entraves majeures interdirent alors le règlement définitif de cette question : le caractère formel de l’ensemble des droits reconnus par la Constitution de 1947, le PCY confisquant à son profit la totalité du pouvoir politique ; le maintien des frontières héritées de l’Etat yougoslave créé en 1918.

Ce dernier point signifie que les frontières séparant la Yougoslavie des états limitrophes ne correspondent guère aux limites des nationalités et brisent certains peuples (Albanais, Macédoniens) ou “découpent” d’importantes minorités (Hongrois en Serbie) comme le font la plupart des frontières des Balkans (Hongrois de Roumanie, Grecs en Albanie, Moldaves en URSS...).

Seule la perspective d’une fédération socialiste balkanique, perspective conçue par l’ancien PSD serbe et reprise par la IIIe Internationale, était à même d’organiser le règlement de cette question. Parce qu’elle correspond à une nécessité historique impérieuse, elle réapparaît à deux reprises à la fin de la guerre :

une première fois (novembre-décembre 1944), le projet est discuté sous la forme d’une fédération entre la Yougoslavie et la Bulgarie ; Staline, consulté par le PCY et le PC bulgare, fait cesser ces discussions ;

Dimitrov, revenu en Bulgarie, prend l’initiative de relancer le projet début 1948, sous une forme plus large, incluant la Yougoslavie, la Bulgarie, la Roumanie, l’Albanie et aussi la Hongrie, la Tchécoslovaquie et la Grèce. Cette initiative suscite la fureur de Staline. La “Pravda” désavoue aussitôt ce projet «d’une fédération ou confédération plus ou moins douteuse ou fabriquée» et Dimitrov et Tito sont convoqués à Moscou. Dimitrov s’y rend et se soumet ; il mourra l’année suivante.

Quant à Tito, il refusa d’y aller et envoya deux émissaires. Quelques mois plus tard, le 28 juin 1948, la rupture devenait officielle entre le PC yougoslave et le Kremlin : l’affaire du projet de fédération balkanique était l’un des éléments décisifs de cette rupture. Un cordon sanitaire fut aussitôt établi par le Kremlin autour de la Yougoslavie ; de son côté, la direction du PCY cherchant l’appui de l’impérialisme, cessait tout soutien à la résistance grecque en 1949. Le projet d’une fédération socialiste balkanique était enterré pour plusieurs décennies.

En outre, l’exercice réel des droits nationaux à l’intérieur de la Yougoslavie était incompatible avec l’existence d’une bureaucratie s’arrogeant le contrôle exclusif de tous les rouages de l’Etat, tant au niveau fédéral qu’au niveau des républiques. Cette bureaucratie allait donc combattre, pendant plus de 40 ans, contre l’exercice de ces droits nationaux.


l’autogestion et la question nationale


La rupture avec le Kremlin va amener la bureaucratie yougoslave, qui tente de conserver le monopole du pouvoir politique, à faire des concessions à l’impérialisme dont elle recherche l’appui tout en évitant d’affronter ouvertement les masses en Yougoslavie (où la bourgeoisie a été décapitée et où la grande majorité des moyens de production ont été expropriés). La politique qui répond à ces exigences contradictoires est baptisée “autogestion”. Sous couvert de contrôle de l’entreprise par les travailleurs, elle introduit la concurrence entre les entreprises, et donc entre les travailleurs, tout en ne mettant pas en cause le monopole politique de la bureaucratie. Milovan Djilas, alors l’un des principaux dirigeants du PCY avec Tito et concepteur de cette politique, précisera lui-même plus tard :
«l’autogestion est sans aucun doute un acquis pour les producteurs et pour l’économie de marché, mais elle est restée sans influence sur le pouvoir, sur le régime politique, la politique “pure” de Tito».

L’Autogestion ne fut pas une forme “fixe”. Par réformes et modifications successives, elle évolua vers un renforcement de l’économie de marché, du rôle de la concurrence. Ceci eut une conséquence majeure sur le terrain des nationalités : les profondes différences qui existaient avant la guerre, du point de vue économique, entre les différentes régions (le Nord relativement industrialisé, le Sud dépourvu d’industrie) ne furent pas comblées, en dépit d’un certain transfert de l’investissement organisé par l’Etat fédéral.

Dans les années 70, le rôle de l’Etat central, pour les investissements, décrut au bénéfice de Républiques et des banques ; dès lors, combiné avec la crise économique qui toucha la Yougoslavie, le fossé se creusa davantage : l’écart régional, estimé de 1 à 3 en 1947, fut de 1 à 8 en 1988.

Aussi les aspirations nationales, un temps contenu, retrouvèrent force. A la fin des années 60, c’est à l’intérieur même du PCY (devenu LCY) que s’affirment ces aspirations : “nationalistes” en Croatie, “libéraux” en Serbie, “Technocrates” en Slovénie ; les conflits se multiplient entre le gouvernement fédéral et les républiques. Les amendements constitutionnels de juin 1971, complexes, essayent d’organiser les rapports politiques et financiers entre les nombreux pouvoirs ; les tendances fédéralistes, au profit des bureaucraties locales, se renforcent. Seules la politique étrangère, la défense nationale et la politique économique relèvent du gouvernement fédéral. Une présidence collégiale est constituée, composée de représentants des 6 républiques et des 2 provinces autonomes. Mais les tendances nationalistes se développent en Slovénie, en Serbie, en Macédoine (la question macédonienne devenant une question conflictuelle avec la Bulgarie) et plus encore en Croatie.

La répression va mettre un terme provisoire à ces mouvements : en 1971, le “printemps de Zagreb” est brisé par l’appareil policier ; la direction du PC croate est reprise en main, les dirigeants nationalistes arrêtés. Les purges s’étendent à la Serbie et à la Macédoine et, en janvier 1972, les compétences du gouvernement fédéral en politique intérieure sont élargies.

Cependant, en 1974, la nouvelle Constitution renforce les pouvoirs des républiques. En même temps, quelques droits sont concédés aux populations du Kosovo et de Voïvodine, droits que contestent les dirigeants serbes.

Ce délicat équilibre tiendra jusqu’à la mort de Tito en 1980. Celle-ci fragilise un appareil qui est alors profondément discrédité.



Cette décennie est marquée par la régression de l’économie ; le marché yougoslave est désintégré, morcelé entre les républiques ; les pouvoirs locaux, renforcés (banques, états, entreprises...) deviennent inextricables. Quant aux inégalités régionales, elles ne font que croître.

En 1988, le salaire moyen est de 66 au Kosovo, 68 en Macédoine et 152 en Slovénie (base nationale : 100). Le “produit social” par habitant (base 100 nationale) est de 28 au Kosovo, de 230 en Slovénie. Le taux de chômage est de 27 % en Macédoine, 57 % au Kosovo, et de 2 % en Slovénie (qui, avec 8 % de la population, réalise 20 % du PNB et 25 % des exportations).

Dès lors que la crise économique frappe l’ensemble de la Yougoslavie, la question nationale s’exacerbe, en particulier durant les années 1986, 87, 88 tandis que se multiplie le nombre de grèves. Fait notable : les bureaucraties de chaque république se font porte-paroles des revendications nationales, avant que des fractions d’entre elles ne rompent complètement avec la LCY.

Ainsi la question nationale joue-t-elle un rôle décisif dans les processus de dislocation de la bureaucratie ; et cette fois, la répression ne peut enrayer cette dislocation : du 20 au 23 janvier 1990, le Congrès extraordinaire de la LCY est dominé par le conflit entre Slovénie et Serbie. C’est la confusion. Au centre du débat : le maintien de la LCY en tant que parti national ou sa transformation en simple alliance des différents partis nationaux, les dirigeants Serbe étant favorables à une Ligue “unifiée”, et les Slovènes pour une simple alliance. Le dernier jour du Congrès, la délégation slovène sort du congrès en claquant la porte. «La Ligue des communistes a cessé d’exister» titre alors l’un des principaux journaux yougoslaves.

Les travaux du Congrès sont suspendus. Et le 4 février, la Ligue des communistes de Slovénie rompt avec la LCY. Elle devient une “formation politique indépendante” et change de nom : Ligue des communistes - Parti du renouveau démocratique. A ce stade, et bien que la Yougoslavie existe toujours comme Etat, les processus de dislocation politique et économique sont si avancés qu’il est nécessaire d’aborder comme questions distinctes bien que complémentaires les processus engagés dans chaque république.



A l’origine considérée comme le berceau national du peuple Serbe, cette région fut l’objet d’importants mouvements migratoires durant les guerres austro-turques : en 1690, des dizaines de milliers de familles serbes fuient le Kosovo et s’installent en Voïvodine. A la même époque, l’empire ottoman, qui avait vaincu et islamisé le peuple albanais, installe au Kosovo des paysans et commerçants albanais. Ces derniers constituent 50 % de la population de cette région au XVIIIe siècle. Reconquise par la Serbie puis intégrée au royaume Yougo-Slave, la population albanaise du Kosovo n’a aucun droit. Sous couvert de réforme agraire, la monarchie serbe entreprend d’y réimplanter des Serbes loyaux. Aujourd’hui la population albanaise représente plus de 90 % de la population du Kosovo.

En 1947, cette région se trouve incluse dans la république de Serbie, avec l’aménagement de quelques droits provinciaux. La Constitution de 1974 lui donne une administration autonome, des droits plus importants sans pour autant lui accorder le statut de République à part entière.

Ce sont essentiellement ces concessions que les bureaucrates serbes ont entrepris de contester ouvertement à partir de 1987. A la tête du processus, un bureaucrate serbe : Slobodan Milosevic, qui essaie de redonner une base à un parti en pleine déliquescence. Ce démagogue issu de l’appareil dresse l’étendard de la “révolution antibureaucratique” contre les mesures décidées du vivant de Tito ; il entreprend d’exciter le chauvinisme serbe en exigeant le remise en cause des concessions faites aux populations de Kosovo et de Voïvodine, organise meetings et manifestations. Début 1989, l’élaboration d’une nouvelle Constitution serbe remettant en cause les droits des deux provinces, conjuguée avec la grande misère au Kosovo, suscite la révolte de la population albanaise. La répression provoque, officiellement, 25 morts.

Fin janvier 1990, l’intervention de la police et des chars de l’armée se traduit, de nouveau, par des dizaines de morts. Le 2 juillet, le parlement du Kosovo adopte la “constitution du Kosovo” ; en réaction, le 5 juillet, les autorités serbes dissolvent le parlement et révoquent le gouvernement local.

Ces événements accentuent la crise au niveau fédéral : tandis que le président en exercice au niveau fédéral condamne le parlement du Kosovo, les gouvernements de Slovénie et de Croatie condamnent l’action du gouvernement serbe, celui de Slovénie retirant son contingent de policiers envoyé au Kosovo.

La population albanaise, massivement organisée dans le PDK (parti démocratique du Kosovo), combine grèves et résistance civile : grève quotidienne d’une heure durant l’été, grève général le 3 septembre. Le parlement du Kosovo refuse de se considérer comme dissout.

Le gouvernement serbe applique alors une politique de terreur à l’égard de la population albanaise ; à la répression policière s’ajoutent les licenciements (12 000 début septembre, entre autres) de tous ceux qui refusent de collaborer ; télévision et journaux albanais sont suspendus ; aux postes de direction des entreprises, des Serbes remplacent systématiquement les Albanais.

Tandis que toute demande d’élections libres est rejetée — alors même que les premières élections libres sont annoncées en Serbie pour le 9 décembre —, le parlement clandestin du Kosovo décide, le 7 septembre, de proclamer la République du Kosovo comme 7e république de Yougoslavie et en promulgue la Constitution. Il vote en outre une loi sur les partis et l’organisation d’élections pour le 28 novembre.

Le gouvernement serbe exige peu après l’arrestation de six membres de l’ancien gouvernement local pour “menées subversives”. Dans ces conditions d’une mobilisation profonde contre la bureaucratie serbe, la population albanaise constate que les bureaucrates serbes du parti socialiste serbe (nouvelle appellation de la LCY en Serbie) comme les dirigeants des partis d’opposition officialisés font appel au nationalisme serbe et tentent de dresser le peuple serbe contre les autres peuples. Illustratif est le rassemblement de plusieurs centaines de milliers de Serbes (un million peut-être) organisé en 1989, au cœur du Kosovo, pour commémorer le 600e anniversaire de la bataille du Kosovo.

Or, les péripéties lointaines de l’histoire ne peuvent éliminer ce fait incontournable : l’écrasante majorité de la population du Kosovo, de langue albanaise, exige le droit de constituer sa propre république. Et ce droit — que ce soit dans le cadre de la Yougoslavie ou non — est parfaitement légitime. Quant aux aspirations nationales serbes, elles ne peuvent réellement trouver une issue que dans le cadre d’une fédération des Etats Unis socialistes balkaniques. A l’inverse, les dirigeants serbes, pour maintenir l’Etat yougoslave et leur propre domination, tentent de dresser ces aspirations contre la population albanaise mais aussi contre les autres peuples de Yougoslavie.

Ainsi, le 23 octobre, le parlement serbe décide, entre autre, de taxer les produits provenant de Slovénie et de Croatie, afin de “punir” ces deux républiques et de “protéger l’économie serbe des effets récessionnistes” qu’implique la politique fédérale.



La Slovénie est la région économiquement la plus développée, la plus proche, par son histoire, de l’Autriche et de l’Europe centrale. C’est dans cette république que le processus allant vers le sécession est le plus avancé.

En 1989, le droit à l’autodétermination et à la sécession est inscrit dans la constitution slovène. Le 8 avril 1990 ont lieu les premières élections libres à la Chambre socio-politique, la plus importante des 3 assemblées du parlement slovène.

Après leur rupture avec la LCY, les bureaucrates slovènes ont constitué le Parti du Renouveau Démocratique, adopté un nouveau programme et accepté le multi-partisme.

Ils sont néanmoins balayés, ne recueillant que 17 % des voix. A l’inverse, la coalition d’opposition (qui regroupe chrétiens-démocrates, sociaux-démocrates, paysans et verts) a ordonné sa campagne sur la perspective de l’indépendance : elle est majoritaire avec 55 % des voix. Les résultats sont différents à l’élections présidentielle, en partie à cause des menaces ouvertes de l’armée contre Joze Pucnik, chef de la coalition démocratique ; ce dernier obtient 26 % des voix tandis que Milan Kucan, bureaucrate ayant dirigé la rupture avec la LCY, obtient 44,4 % des voix.

Depuis sa mise en place, le nouveau gouvernement slovène multiplie les décisions allant dans le sens de la Sécession. Il se déclare aujourd’hui prêt à engager les démarches pour rejoindre la CEE.



Comme en Slovénie, les bureaucrates en rupture de LCY ont changé d’enseigne : intitulé “Parti des changements démocratiques”, leur parti a fait alliance aux élections de mai 1990 avec les socialistes ; comme leurs confrères slovènes, ils sont battus, avec un quart des voix environ.

Sont vainqueurs les candidats de l’Union Démocratique Croate (HDZ) qui gagne les deux tiers des sièges. A leur tête se trouve un ancien général de Tito, Franjo Tudjman, qui fit neuf ans de prison pour “nationalisme croate” et devient président de la Croatie.

Le 5 octobre, la Slovénie et la Croatie rendent public leur projet de transformation de la Yougoslavie en une confédération, c’est-à-dire, selon leur projet, en une simple alliance d’états souverains. Tudjman précise :
«Le modèle actuel de Yougoslavie fédérale, oui, il est fini. Absolument. La question est maintenant de savoir s’il est possible de trouver un accord, démocratiquement, pour continuer de vivre ensemble dans une confédération. (...) Une solution doit être impérativement trouvée dans les mois à venir car la crise économique est profonde».



A la fin de l’année 1990 se sont déroulées plusieurs élections qui confirment le processus de dislocation à l’œuvre.

- En Serbie, le chauvinisme que la bureaucratie serbe a suscité et exacerbé — conjugué avec l’absence de perspectives politiques, l’absence de parti révolutionnaire — permet à Slobodan Milosevic d’être élu dès le premier tour des élections présidentielles avec 65 % des suffrages exprimés. De son côté, le dirigeant nationaliste Vuk Draskovik, qui reprend à son compte les visées de l’ancien royaume de Serbie, obtient 16,4 % tandis que le candidat de la bureaucratie fédérale recueille 5,5 % des voix. Dès le premier tour également, le “Parti socialiste” de Milosevic obtient 87 des 250 sièges du parlement serbe et 45,8 % de l’ensemble des suffrages, et la bureaucratie serbe entend se servir de ces résultats pour poursuivre son combat contre les droits nationaux des autres peuples, du Kosovo en particulier.

Dans la région du Kosovo, en dépit du quadrillage policier, des arrestations et des licenciements (près de 40 000 en six mois), des grèves se poursuivent et l’appel des organisations du Kosovo à boycotter les élections organisées dans le cadre de l’Etat serbe a été totalement suivi : 2000 votes tout au plus auraient été exprimés pour 700 000 électeurs albanais.

- Au Monténégro, l’ancienne direction de la LCY avait été éliminée en janvier 89, lors d’une “révolution bureaucratique”, au profit d’hommes issus de l’appareil tels que Stankovik ou Momir Bulatovic. Ce dernier, devenu dirigeant de la Ligue communiste du Monténégro et président en exercice, se faisait réélire en décembre ; Stankovik, qui avait fondé un parti socialiste après avoir rompu avec la Ligue, était battu pour s’être présenté dans le cadre d’une “Alliance des forces réformatrices”, laquelle Alliance était impulsée par le premier ministre fédéral en défense du statu quo fédéral.

- En Macédoine, lors des élections législatives de décembre, une coalition constituée autour d’une ligue communiste également “réformée” obtenait 56 sièges sur 120 à pourvoir tandis que le parti nationaliste VMRO en obtenait 37 et le parti pro-albanais 24.

- Enfin, en Slovénie un nouveau pas a été franchi : le 6 décembre, l’écrasante majorité du parlement slovène décide d’organiser un référendum sur l’autonomie. Le 23 décembre, ce sont 88,5 % des électeurs slovènes qui se prononcent pour l’indépendance et le 26 décembre, l’indépendance est solonnellement proclamée ; un plan d’action est annoncé pour doter le pays de lois correspondant à celles d’un Etat souverain et établir “son propre système économique” ; des négociations sont proposées aux autres républiques yougoslaves pour la constitution d’une “confédération” : en cas d’échec, la sécession serait décidée.

Peu après, le gouvernement fédéral faisait savoir qu’il considérait comme sans valeur de telles décisions. Déjà, au début de décembre, le ministre de la défense avait laissé planer la menace d’une intervention de l’armée contre un processus qualifié de “libanisation”.


Bien que le processus de dislocation de l’Etat yougoslave soit profondément engagé (de même que la restauration du capitalisme a fait des pas importants), l’Etat fédéral est toujours en place, en particulier avec son armée ; de plus en plus, c’est cette armée fédérale, dont l’encadrement est en grande partie serbe, qui permet la mise en œuvre des décisions du gouvernement fédéral et qui peut être utilisée contre la classe ouvrière afin d’aller jusqu’au bout dans la liquidation de l’Etat ouvrier et la mise en place d’Etats bourgeois.

Car la crise économique croissante dans laquelle s’enfonce la Yougoslavie provoque d’ores et déjà d’importants mouvements de la classe ouvrière. L’explosion de l’Etat yougoslave, en même temps qu’elle déstabiliserait tous les Etats balkaniques, pourrait ouvrir une situation révolutionnaire. C’est ce que redoutent les impérialistes tout autant que les différentes fractions de la bureaucratie yougoslave.

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