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Article paru dans CPS n°38, octobre 2009

Iran: la république islamique en crise


Les élections présidentielles iraniennes du 12 juin dernier et leurs développements ont fait l'objet d'une couverture médiatique toute particulière dans le monde entier.
L'annonce par la commission électorale iranienne de la reconduction du président sortant, Mahmoud Ahmadinejad, saluée comme une « grande fête » par le Guide Suprême iranien Khamenei, a été simultanément dénoncée par plusieurs piliers du régime, à la suite du candidat battu Moussavi. Des manifestations et protestations massives se sont aussitôt succédées dans une Téhéran quadrillée par la police et les milices du régime, les bassidji, culminant le 16 juin dans une manifestation estimée à un million de participants. Les communications du pays avec l'extérieur étaient, elles, rapidement coupées. Malgré la répression de masse, les meurtres et les centaines d'arrestations qui s'en sont ensuivis, une crise politique profonde, ouverte, a éclaté au grand jour en Iran.
Les dirigeants des principaux pays impérialistes, à la suite d'Obama, arboraient avant le scrutin une neutralité de façade vis-à-vis des différents candidats: à l'annonce des résultats, leurs diplomates ont répété en choeur leur « préoccupation » quant à la transparence des résultats.

Sarkozy - qui vient de féliciter Ali Bongo pour son « élection » au Gabon (voir communiqué dans ce bulletin) - posait, le 16 juin, au défenseur des bonnes moeurs démocratiques, déclarant « l'ampleur de la fraude » organisée par Ahmadinejad « proportionnelle à la violence de la réaction ». Il se faisait l'écho d'une campagne médiatique d'envergure, initiée dès avant le scrutin iranien en Europe et en Amérique (« En finir avec Ahmadinejad », titre de Courrier International du 11 juin). Il exprimait, aussi, un dépit partagé par ses homologues européens et américain: celui de ne pas avoir assisté à la victoire d'un candidat plus « pragmatique », mieux disposé à collaborer avec Washington, Londres, Berlin et Paris.

Lors du G20 du 25 septembre, Obama, Sarkozy et Brown ont encore précisé leur position: se saisissant de la découverte proclamée d'une « usine secrète » produisant du combustible nucléaire, ils annonçaient de nouvelles sanctions à venir contre l'Iran, si ce dernier ne se pliait pas à de nouvelles incursions d' « experts » occidentaux lors d'une rencontre prévue le 1er octobre. Tirant sur sa laisse, le premier ministre israélien Netanyahu redouble d'efforts dans l'espoir de passer à l'attaque. La politique de « main tendue » prônée par Washington connaît ainsi une sérieuse inflexion, qui s'explique en réalité par l'échec des espoirs électoraux de la Maison Blanche.

En Iran, la crise politique ouverte au début de l'été perdure: le 18 septembre, 500 000 manifestants se sont saisis de la « journée d'Al Qods », promue chaque année par le régime iranien, pour scander des slogans hostiles à Ahmadinejad.
Le président iranien est d'ailleurs loin d'avoir les coudées franches au Parlement, où la constitution du nouveau gouvernement et les nominations aux postes-clés a fait l'objet d'une intense lutte d'influence. Autant de signes de fragilité que Washington entend exploiter pour peser sur la république islamique et influencer sa politique extérieure.

Si pour les travailleurs et la jeunesse du monde entier la sympathie se dirige légitimement vers les jeunes iraniens, les travailleurs et la jeunesse d'Iran, qui n'ont pas trouvé le moyen de s'organiser sur leur propre terrain, celui de leurs propres revendications, restent à ce jour les masses de manœuvre d'un conflit qui traverse les sommets de la république islamique et prend racine dans la pression exercée par les puissances impérialistes.


Moussavi encadre et chapeaute à son compte la mobilisation de la jeunesse


Il ne fait aucun doute qu'en manifestant par centaines de milliers dans les rues de Téhéran, se joignant pour cela aux partisans du candidat évincé Moussavi, les étudiants iraniens ont cherché à exprimer de manière confuse leur rejet du cadre étouffant, particulièrement insupportable pour la jeunesse et pour les femmes, du régime - cadre dont le président iranien est à leurs yeux l'expression la plus repoussante. En plein cœur d'un des centres mondiaux de l'islamisme, la jeunesse a par centaines de milliers crié « Non! » à cette idéologie ultra-réactionnaire.

Le très chrétien journal La Croix répercutait ainsi ces propos d'un manifestant, le 10 juin: « Si on vote pour Moussavi, c'est parce qu'on est contre Ahmadinejad ». Lors des manifestations massives qui ont suivi le scrutin, les slogans sont allés plus loin,  jusqu'à souhaiter « Mort à Ahmadinejad », menaçant du même sort le Guide Suprême Khamenei, ou encore, le 18 septembre, la Chine et la Russie, qui constituent deux partenaires privilégiés du régime.
Pour autant, faute de perspective, ces mobilisations n'ont pu déborder du cadre étroit imposé par Moussavi et ses partisans. Les exigences avancées par ces derniers en juin étaient totalement respectueuses de la république islamique honnie: recompte des voix, « enquête » sur les « fraudes » présumées, annulation de l'élection.

Certains syndicats indépendants, notamment le syndicat des bus de Téhéran, ou les ouvriers de l'automobile ont certes cherché à se placer sur le terrain des libertés démocratiques et syndicales, ou de la « solidarité » avec les manifestants (répercutés en chœur par les dirigeants du mouvement ouvrier dans les pays impérialistes, tels ceux de l'AFL-CIO américaine ou de l'intersyndicale en France): faute d'ouvrir une quelconque perspective politique alternative, cela revenait à laisser la tutelle politique du mouvement à la coalition constituée derrière Moussavi. Le nom de ce dernier n'a cessé d'être scandé, en guise d'unique perspective, par des foules arborant les foulards vert Islam de sa campagne.
Or, Moussavi tient à prévenir toute menace contre le régime auquel il appartient: le 16 juin, effrayé par la perspective d'une manifestation massive qui risquait de tourner à l'affrontement avec les milices du régime, il appelait ses partisans... à rester chez eux; puis, faute d'être parvenu à escamoter sa propre « vague verte », il décidait finalement à chapeauter les cortèges, en triomphe, pour mieux les contrôler...

Il faut encore préciser: quoique effectivement soutenu par la masse des étudiants, ce mouvement n'est pas une déferlante populaire. Nettement plus massive dans les quartiers cossus du nord de Téhéran que dans la banlieue populaire du sud, la mobilisation a été accompagnée de grèves... parmi les cadres du pétrole, les employés de banque ou encore les marchands du bazar, dont une des revendications-phare est l'arrêt des taxes sur leurs bénéfices – ce qui revient à vouloir faire porter aux travailleurs tout le poids des difficultés économiques du pays.
Nombre d' « économistes » iraniens qui, dans les mois précédant la campagne, ont fustigé la « mauvaise gestion de l'économie » par Ahmadinejad, n'ont pas manqué de pointer du doigt les augmentations de salaires et autres subventions accordées par ce dernier aux travailleurs et aux petits paysans – dépenses qui apparaissent comme « insupportables » aux yeux de la bourgeoisie iranienne enturbannée. Il n'est donc rien d'étonnant à constater que la mobilisation a été faible dans l'industrie, culminant lors d'un arrêt de travail d'une demi-heure dans l'automobile... Les appels incantatoires à la grève générale de Moussavi ne faisant ainsi pas fait long feu.


Un architecte majeur de la république islamique


Il faut ajouter à ce qui précède un fait essentiel: en aucun cas, la seule remise en cause du résultat des élections présidentielles iraniennes, le soutien apporté à un candidat particulier, ne peut constituer un point d'appui pour avancer concrètement même sur le terrain des libertés démocratiques. Si Obama et consorts ont instrumentalisé à l'envi cette question, c'est parce qu'elle constitue un moyen commode d'exercer une pression sur l'Iran.

La désignation du président iranien n'est en effet rien d'autre qu'une occasion, pour les différentes fractions du régime, de se confronter, à l'exclusion de toute autre force politique ou sociale: les candidats sont tous soumis à l'approbation d'une commission de hauts dignitaires enturbannés, qui en éliminent à chaque échéance des dizaines. Seuls peuvent ainsi s'exprimer ceux qui disposent de solides appuis dans les cénacles dirigeants.
Si Mir Hossein Moussavi a pu se présenter, c'est qu'il est une figure aussi éminente que sinistre de la république islamique: en tant que premier ministre de 1981 à 1988, il fut à ce titre un des principaux responsables de la guerre Irak-Iran, qui a saigné toute une génération d'iraniens – le régime n'hésitant pas à lancer des cohortes d'enfants mineurs sur des champs de mines. Il porte également une responsabilité majeure dans la répression intérieure qui éradiqua à cette époque toute opposition au régime, éliminant des dizaines de milliers des militants, ou encore dans l'écrasement du foyer de contestation constitué par les universités – fermées de 1980 à 1982, la majeure partie des enseignants étant licenciés pour être remplacés par des propagandistes serviles. C'est même à son initiative qu'aurait été relancé, en 1981, le programme nucléaire iranien, engagé sous la houlette des Etats-Unis dans les années 1960 sans que personne n’y vît alors quoi que ce soit à redire... Plus qu'un pilier du régime, Moussavi en a été l'un des architectes.

Dans la préparation des élections, tout ce que le régime compte de « poids lourds » hostiles à Ahmadinejad s'est rassemblé autour de Moussavi: l'ex-président « conservateur » Rafsandjani, riche et influent mais vomi par la masse des travailleurs et de la jeunesse, comme l'ex-président « réformateur » Khatami, qui a renoncé pour cela à sa propre candidature. Il a en outre été rejoint, lors des manifestations, par le candidat « réformateur » Karroubi, qui dispose d'une grande influence sur le « syndicat » étudiant islamique Bureau de Consolidation de l'Unité - ancienne organisation du régime, mais qui depuis douze ans s'est désolidarisée du Guide Suprême. Seul ce dernier a, en définitive, choisi d'appuyer l' « élection » d'Ahmadinejad. Le grand ayatollah Montazeri, représentant du clergé chiite non impliqué dans l'exercice du pouvoir, a encore pris publiquement position contre cette « élection ». Si l'on considère la république iranienne comme le « régime des mollahs », force est de constater que bien des têtes enturbannées soutiennent le leader de la « vague verte »...
On le voit, appréhender les évènements par la question de la « démocratie » serait se condamner à saisir la vie par le petit bout de la lorgnette.


A la racine de cette crise: la « main tendue » d'Obama


Quelle est la raison pour laquelle la coalition hétéroclite rangée derrière Moussavi a-t-elle décidé d'entrer publiquement en conflit avec Ahmadinejad et le Guide Suprême? La « fraude » ne suffit pas à expliquer pourquoi la crise politique a éclaté au grand jour cet été. Lors des précédentes élections de 2005, des « fraudes » semblables avaient également été invoquées, le ministère de l'Intérieur étant allé jusqu'à annoncer « le risque d'une  manipulation encore plus importante au second tour qu'au premier, de la part de certaines personnes prêtes à tout pour rester au pouvoir » (v. CPS n°26). Faute d'une opportunité lui permettant alors de peser de tout son poids, Rafsandjani, le perdant d'alors, n'avait néanmoins pas engagé ouvertement la bataille contre Ahmadinejad et ses appuis.
Ce qui explique la prise de confiance de Moussavi et de ses alliés est le tournant engagé par l'élection d'Obama sur le plan de la politique extérieure américaine, exprimé par le nouveau président lors de son investiture: « Si l'Iran est prêt à desserrer son poing, il trouvera notre main tendue », politique confirmée par son discours du Caire sur l'Islam. La perspective d'une amélioration des relations entre la république islamique et l'impérialisme américain est apparue comme un appel d'air pour de nombreux dirigeants et hommes d'affaires iraniens: Moussavi s'est voulu leur champion lors de sa campagne électorale – sans d'ailleurs que son programme différât sensiblement de celui d'Ahmadinejad, au détail près de sa volonté de « dialogue ».

Fait sans précédent dans l'histoire de l'Iran, qui reflète l'envergure des fractions en conflit: le régime a dû accepter la diffusion de débats télévisés entre les candidats. Lors du face à face entre Ahmadinejad et Moussavi, c'est sur le terrain de la politique étrangère que ce dernier a choisi de mener sa charge, reprochant à son rival les attaques contre Israël et l'Occident: « Vos excès ont fait le jeu de nos ennemis ». Autant de concessions verbales faites par avance à Washington...
Ce à quoi Ahmadinejad a opposé l'accusation inverse: « Vous avez pendant des années gouverné l'Iran avec l'aide des puissances étrangères » (Le Monde, 4/6/2009). Tandis que Le Monde indiquait avec un vif intérêt que Moussavi était « prêt à poursuivre le dialogue sur le nucléaire s'il est élu » (29/5/2009), le quotidien israélien Haaretz consacrait pour sa part Ahmadinejad comme... meilleur candidat aux yeux d'Israël, sa victoire renforçant objectivement la volonté de Tel Aviv de procéder à des bombardements sur les sites nucléaires iraniens (« Ahmadinejad win actually preferable for Israel », 14/6/2009)! A la veille des élections, le Guide Suprême Khamenei avait finalement donné des gages au président sortant, en déclarant qu'il souhaitait la victoire du candidat « qui saurait le mieux résister aux américains ».

C'est parce qu'il comptait pour sa part sur l'appui des dirigeants impérialistes, appui qui lui a finalement fait défaut, que Moussavi a décidé, après les élections, de persister à lutter contre Ahmadinejad. C'est parce qu'il sait pouvoir compter sur de nombreux appuis intérieurs qu'il persévère, aujourd'hui encore, à lutter pour infléchir la politique iranienne, dans le sens de l'ouverture à Washington.


Pour Washington : s’appuyer sur Téhéran ou l’enfoncer


Du côté des Etats-Unis, la tactique mise en place par Obama s'explique par un fait maintes fois expliqué par CPS: alors que Bush entendait, par l'invasion de l'Afghanistan puis celle de l'Irak, poser les fondations d'un « Grand Moyen Orient » à la botte de Washington, le succès politique n'a pas découlé du succès militaire initial. En Irak, les troupes américaines sont la seule garantie de ne pas voir la paix armée entre les différentes factions dégénérer en guerre civile; en Afghanistan règne la gabegie la plus totale; le Pakistan est à son tour profondément déstabilisé (v. CPS n°34). Aucun « ordre » colonial stable n'a ainsi pu être installé, et l'occupation militaire de la région pèse au contraire d'un poids insupportable sur les finances de l'Etat fédéral américain. L'objectif sous-jacent d'encercler militairement l'Iran, en vue de l'envahir et d'y installer un régime soumis à Washington, se voit reporté pour l’instant. Aujourd’hui, tout pousse Washington à espérer imposer une collaboration étroite à la république islamique.

Obama a notamment fait campagne sur l'idée de réduire progressivement le contingent des troupes américaines en Irak, lui permettant de concentrer les opérations militaires en Afghanistan et au Pakistan: mais pour cela, il a besoin d'amener Téhéran à user de son influence décisive sur les milices chiites irakiennes, comme de son influence significative dans les pays voisins, pour « stabiliser » le Moyen-Orient. L'Iran, où les réfugiés afghans se comptent en centaines de milliers (1,5 millions selon le HCR), et qui pose au « protecteur » des petites communautés persanophones d'Afghanistan, comme avec les chiites martyrisés du Pakistan, pourrait également – quoique de manière moindre – jouer dans ces pays un rôle utile à la coalition impérialiste.

Du côté iranien, toute l'histoire politique depuis 1979 est traversée par un problème épineux: desserrer l'étau économique et diplomatique imposé par les grandes puissances occidentales, singulièrement Washington. Sous la présidence de Rafsandjani (1989-1997), les Etats-Unis étaient redevenus le premier partenaire économique de l'Iran: avec la loi d'Amato de 1995, Clinton  a complètement fermé la vanne des investissements américains. Sous Khatami (1997-2005), la république islamique a cherché à se rapprocher des puissances européennes, permettant à Renault d'installer une filiale à Téhéran et à l'impérialisme allemand de devenir un fournisseur de premier plan. Mais l'alignement progressif de ces puissances sur la politique de « sanctions » de Washington a, à son tour, rogné les ailes du chef « réformateur ».

C'est la pression de l'administration Bush sur l'Iran, conjointement à l'encerclement militaire du pays depuis 2003, qui a constitué la cause fondamentale de l'ascension d'Ahmadinejad, personnage politique de second plan propulsé en 2005 sur le devant de la scène. Le président iranien est issu du cœur de l'appareil d'Etat: celui des Gardiens de la Révolution (Pasdaran), appuyé par les milices civiles (bassidji), deux corps mis en place à la naissance de la république islamique, qui ne tiennent leurs ordres que du Guide Suprême et ne dépendent pas par conséquent des ministres.
Ahmadinejad représentait en 2005 les couches qui ont le plus à perdre d'une « ouverture » économique en direction de l'Occident. Depuis 1979, la majeure partie de l'économie est dirigée par de gigantesques fondations, les bonyads, nées de la confiscation des biens abandonnés par la bourgeoisie émigrée lors de la révolution, et qui sous couvert d'une dérisoire « bienfaisance » permettent la mainmise des hauts dignitaires du régime sur l'économie, tout en finançant les affidés sans lesquels ils ne pourraient gouverner. Les Pasdaran ont progressivement pris une place décisive dans le contrôle de cette économie:
« Sur le plan économique et financier, les Pasdaran coiffent des dizaines d'entreprises agissant dans tous les domaines (...) Il en est ainsi de l'industrie militaire dont, entre autres, la fabrication des missiles de longue portée, des hydrocarbures, la construction des ports, la téléphonie mobile, les banques, l'agroalimentaire, et, depuis quelques années, l'énergie nucléaire. ». Ils constituent ainsi la « troisième puissance économique iranienne » (L'Humanité, 25/6/2009).
L' « ouverture », les privatisations accélérées au, profit des grands groupes européens ou américains, la « libre » concurrence à grande échelle impliqueraient la fin des financements opaques accordés à maints soutiens du régime, et la faillite pour des pans entiers de la petite-bourgeoisie commerçante traditionnelle (les bazari). La volonté manifeste affirmée du temps de ses mandats par Bush, celle de soumettre l'Iran à ses exigences, sans contrepartie, a mis le vent en poupe des cadres intermédiaires du régime et autres sous-officiers, alors appuyés sur la petite-bourgeoisie, qui en portant Ahmadinejad au pouvoir ont défié nombre de dignitaires de premier plan. Mais depuis 2005, en conséquence de sa politique économique et du poids des « sanctions » américaines, Ahmadinejad s'est aliéné une partie de ses propres soutiens et n'incarne plus que la volonté du cœur de l'appareil répressif de l'Etat de s'arc-bouter contre les pressions impérialistes de toutes sortes, non sans frictions internes – d'où le coup de force vraisemblable des dernières élections.

Reste que la république islamique fait face à des contradictions insolubles: étouffant sous la pression impérialiste, mais condamnée à porter la hache dans ses propres institutions et de remettre en cause son indépendance pour peu qu'elle veuille atténuer cette pression, elle est par conséquent appelée à connaître une instabilité croissante, laquelle pourrait permettre aux masses de s’exprimer pour leur propre compte. D'autant plus que le résultat des élections pourrait conduire Washington à modifier une nouvelle fois sa politique.


 « Les événements de politique étrangère forcent Obama à passer au plan B » (New York Times, 27/9/2009)


L'invocation d'une « usine secrète » en Iran, à la fin du mois de septembre, a été interprétée par la presse internationale comme un signe de réajustement de la politique américaine vis-à-vis de l'Iran. En tête, le New York Times du 27/9/2009 a constaté:
« Après neuf mois de sa présidence, (Obama) se voit forcé de revoir ses initiatives politiques les plus importantes, de la guerre en Afghanistan à la paix au Moyen-Orient jusqu'à son ouverture diplomatique vers l'Iran (...) Comme tous les nouveaux présidents, M. Obama a aussi appris que bien des événements échappent à son contrôle. L'Afghanistan et l'Iran ont tenu des élections malencontreuses qui ont produit des dirigeants – ou, dans le cas de l'Afghanistan, un semblant de dirigeant – qui ont un problème de crédibilité et feraient de pauvres interlocuteurs pour les Etats-Unis. »

En Afghanistan, la situation est telle que le « président » Karzaï, pourtant formé et propulsé par la CIA et l'administration Bush, a été conduit à prendre quelques distances avec Washington en condamnant les bombardements réguliers de la coalition, meurtriers pour la population civile, ou en prônant ouvertement le dialogue avec les talibans. Sa corruption, ses réseaux clientélistes (son propre frère serait un important trafiquant de drogue), sa faiblesse insigne face aux chefs de guerre, en font un piètre point d'appui pour la coalition. Face à la gabegie absolue qui règne dans le pays, le commandant en chef des forces américaines et alliées en Afghanistan, Stanley Mc Chrystal, a appelé publiquement à un renforcement substantiel et rapide des troupes... mais, pour y parvenir, encore faudrait-il être en mesure de redéployer des soldats américains depuis l'Irak.
S'ajoute à cela l'intransigeance maintenue du gouvernement israélien de Netanyahu, partenaire privilégié mais peu commode de Washington, qui ne cesse d'exprimer ses velléités bellicistes à l'encontre de l'Iran, la Syrie ou le Hezbollah libanais. Tous ces facteurs tendent à placer l'Iran dans la ligne de mire d'Obama.

Lors d'un sommet convoqué le 1er octobre à Genève, après avoir fait le dos rond, le régime iranien semble avoir pris la mesure des menaces et lâché un peu de lest pour temporiser, en acceptant notamment la visite d'inspecteurs internationaux sur son sol. Parallèlement, a eu lieu une rencontre a huis clos entre le représentant iranien et son homologue américain – preuve que la question du nucléaire n'est qu'un moyen de contraindre l'Iran à collaborer. Mais cette rencontre ne règle rien, et n'évacue pas le risque réel d'un tournant belliciste contre l'Iran, peu désireux de se plier aux diktats impérialistes sauf à se voir forcer la main. Si l'invasion n'est pas une option pour l'Amérique, déjà enlisée dans les pays voisins, la possibilité de raids aériens israéliens est, elle, une possibilité réelle – à laquelle les iraniens ont répliqué par avance en procédant à des tests de missiles. Obama prétend, certes, que sa « main tendue » n'est pas encore retirée, et s'est dit satisfait de la rencontre américano-iranienne: les difficultés de l'impérialisme américain dans la région et les développements de la crise économique peuvent néanmoins le conduire à changer de ton de manière imprévisible.


La république islamique: produit d'une révolution confisquée


Il importe de bien comprendre les raisons fondamentales de l'hostilité historique de Washington vis-à-vis de l'Iran. Si le caractère ultra-réactionnaire et policier de la république islamique ne cesse d'être invoqué comme un moyen commode pour justifier les pressions impérialistes, c'est en réalité, aux yeux des grandes puissances, le moindre de ses défauts. C'est même à l'initiative des impérialismes américain et français que la république islamique a pu voir le jour.

C'est en réalité les conséquences de la révolution iranienne de 1979, révolution non voulue par les mollahs mais confisquée par eux, que Washington rêve d'effacer. Cette révolution a été une authentique révolution prolétarienne, mobilisant des millions de travailleurs et de jeunes dans les rues des principales villes du pays: elle a permis l'expulsion du fantoche zélé de l'impérialisme américain et de ses trusts pétroliers, le Shah Pahlevi. Elle s'est accompagnée de la constitution de véritables conseils ouvriers, ainsi que d'un début d'expropriation des terres dans les campagnes. Mais faute d'un parti ouvrier révolutionnaire, elle n'a pu aboutir à la constitution d'un gouvernement ouvrier et paysan favorable aux masses.
Une fois résignées à l'expulsion irréversible de leur poulain iranien, les puissances impérialistes ont opté pour la prise de contrôle du mouvement par la hiérarchie chiite: c'est ainsi avec la bénédiction de Giscard d'Estaing, au sein d'un avion spécial d'Air France, que le futur dictateur Khomeiny a pu atterrir à Téhéran. Ce dernier, chapeautant les conseils révolutionnaires pour mieux les liquider dans des « shuras » (conseils islamiques aux ordres du régime), coupant court à toute velléité de réforme agraire favorable aux paysans, a organisé dans le pays une répression terrible – constitution d'un appareil d'Etat-bis avec les Pasdarans et les bassidjis, incarcération et massacre de dizaines de milliers de militants, fermeture totale des universités, licenciement de la majorité du corps enseignant, écrasement dans l'œuf de toutes les velléités d'organisation du prolétariat, imposition de l'ordre « islamique » aux femmes, qui se voient interdire l'exercice de nombreux métiers... Cela lui fut d'autant plus aisé que la bureaucratie du Kremlin, guère désireuse de voir se développer une révolution capable d'inspirer une remise en cause de son pouvoir en URSS, imprimait au principal parti ouvrier à ses ordres, le Parti Toudeh, une orientation de subordination aux islamistes qui lui vaudra l'honneur douteux d'être la toute dernière force organisée qu'élimineront Khomeiny et ses partisans.

Ce qui vaut à l'Iran la haine de l'administration américaine n'est donc pas la république islamique en soi, mais bien la fin de l'emprise américaine sur le pays, conséquence de la révolution de 1979. Confronté à l'abandon de la plupart des moyens de production par la bourgeoisie iranienne, ainsi qu'à la nécessité de contrôler les masses, le régime de Khomeiny, tout en étouffant pratiquement le mouvement des masses, n'a en effet pu faire l'économie de l'expropriation de l'industrie et des banques, qui est inscrite dans la constitution iranienne. L'expulsion du Shah a signifié en outre la perte d'une force militaire inféodée à Washington et surarmée par ses soins pour garantir la tutelle impérialiste sur la région.

C'est pourquoi, sitôt installé le pouvoir islamiste, les puissances impérialistes comme l'URSS ont soufflé à l'envi sur les braises de la guerre Irak-Iran (1980-1988), vendant des armes meurtrières de part et d'autre pour saigner la révolution iranienne. Washington a du même élan profité de cette guerre pour installer, au nom de la « paix », ses forces navales dans le Golfe Persique (1987)... forces qui n'ont pas hésité à s'en prendre aux navires iraniens.
Parallèlement, depuis 1984, se sont accumulées les mesures d'embargo contre l'Iran, dans le but de mettre ce pays à genoux. L'invasion de l'Afghanistan en 2002, avec l’arrivée des troupes US dans les républiques d’Asie Centrale de l’ex-URSS,  puis celle de l'Irak en 2003, sont vu de Téhéran un véritable encerclement stratégique.

Pour les masses iraniennes, la défense des revendications les plus élémentaires suppose de s'organiser pour en finir avec la république islamique. Et la volonté de tout faire pour que la lutte des classes ne se développe pas dans ce sens est un point commun à la bourgeoisie iranienne comme à l'impérialisme américain.


Le prolétariat iranien: prolétariat décisif au Moyen-Orient


Au cours du XXe siècle, les masses iraniennes se sont régulièrement situées à l'avant-garde des masses de tout le Moyen-Orient. En 1906-1909 avec la révolution « constitutionnaliste », en 1946-1947, enfin en 1979, ce pays a été secoué par d'importants développements révolutionnaires qui préfiguraient, avec des années d'avance et une force supérieure, les secousses qui ébranleraient les pays arabes voisins. Cette vigueur révolutionnaire, émanant du prolétariat le plus nombreux et le plus puissant de la région, l'impérialisme comme  la république islamique, on l'a vu, l'ont fait chèrement payer aux masses iraniennes. Il est néanmoins important de relever que ces masses cherchent aujourd'hui, confusément, à relever la tête.
C'est en 1999, à l'université, dans un pays où près de 40% de la population a moins de vingt ans et où les étudiants ont vu leurs effectifs décupler depuis 1979, à plus de deux millions, que s'est développé le premier mouvement organisé s'affrontant à l'appareil d'Etat iranien. Dans un contexte où les tensions intérieures au régime se sont déjà exprimées à travers la montée en puissance du courant « réformateur » et de son dirigeant Khatami, élu président en 1997, les étudiants s'engagent en nombre dans l'occupation des universités et une série de manifestations  sur le terrain des libertés démocratiques, contre l'interdiction du journal Salam et la répression qui s'abat sur les intellectuels.
Mais les étudiants sont sous la coupe des « réformateurs », frange du régime iranien qui, pour mieux faire passer son orientation d' « ouverture » à l'occident, manipule le désir profond, dans la jeunesse, de voir se desserrer l'étau de l'ordre moral et policier. Depuis 1997, le « syndicat » officiel des étudiants – le « Bureau de consolidation de l'unité » - a rompu avec la tutelle du Guide suprême et pris fait et cause pour Khatami. Mais la violence que déchaînent alors les Pasdaran et les bassidjis contre les universités – ils fondent pour l'occasion un parti ultra-réactionnaire, les « Auxiliaires du Parti de Dieu » (Ansar e Hezbollah), d'où émergera Ahmadinejad – révèle toute la duplicité du président « réformateur », qui refuse d'apporter son soutien au mouvement... avant d'approuver finalement la répression. Faute de maturité politique de la jeunesse – qui ne pense pas à chercher l'appui de la population laborieuse – faute d'existence dans le mouvement ouvrier d'organisations à même d'effectuer la jonction avec les étudiants sur le terrain du combat contre la répression, ce mouvement reste cantonné à des occupations d'université qui sont finalement submergées par les milices du régime. Mais depuis lors, la jeunesse étudiante s'est régulièrement mobilisée par milliers contre la politique du régime – comme en 2003, contre la privatisation des universités.

Dans la classe ouvrière se sont fait jour, dans les années 2000, des velléités de reconstruction d'un mouvement ouvrier indépendant du régime, malgré la répression. Dans la capitale s'est reconstitué en 2004 le syndicat des travailleurs de la régie des bus de Téhéran et de sa banlieue, après 25 ans d'interdiction: ce syndicat a pu impulser au cours des dernières années des actions suffisamment importantes pour rencontrer un écho dans la presse européenne (Der Spiegel du 12 avril 2006: « Une série de luttes sociales intenses » dans les transports, le textile, la pétrochimie...). Le syndicalisme ouvrier se développe – ponctué de grèves salariales significatives, telle celle de 6000 ouvriers de la sucrerie de Haft Tapeh à Chouch en mai 2008, ou celle des ouvriers de l'usine automobile Iran Khodro, immense concentration de 60 000 travailleurs, deux mois plus tard. Au Kurdistan iranien s'est reconstitué un syndicat des travailleurs des boulangeries. Des organisations d'enseignants – pourtant écrasés au début des années 1980 dans les conditions évoquées plus haut – ont lancé depuis 2007 plusieurs manifestations pour l'augmentation des salaires. Ces processus, encore limités aux grandes concentrations de travailleurs, sont néanmoins très significatifs – d'autant plus que la crainte de mouvements de masse s'est exprimée concrètement au sommet de l'Etat iranien.


Martyrs des sanctions impérialistes, victimes  de la république islamique


Historiquement, l'appropriation des grands moyens de production par les cliques au pouvoir depuis 1979 s'est faite sous prétexte de « charité »: la « Fondation des déshérités » est ainsi l'un des plus grands bonyads du pays. Mais concrètement, tandis que des poussières de subventions sont octroyées aux couches les plus misérables de la population, s'organise par ce biais un gigantesque pillage des richesses considérables du pays, au profit des tenants du régime et au détriment de la population. Au-delà de cette poussière caritative, des subventions d'Etat sur les produits de base ou sur l'eau, l'électricité, le gaz et l'essence (produit que, malgré son statut de producteur de brut parmi les plus importants au monde, l'Iran est contraint d'importer) remplissent en outre une fonction sociale: faire vivoter, dans une misère malgré tout croissante, les couches les plus fragiles du prolétariat, tout en coupant court aux revendications salariales ou à l'exigence de faire payer les bonyads ou les bazari. Or, si la sécurité sociale, l'assurance-chômage et les retraites existent bien en Iran, près d'un iranien sur trois n'y a en réalité pas accès.

La crise économique du capitalisme – qui entre autres conséquences a mis à mal la « rente pétrolière », colonne vertébrale de l'économie iranienne – menace de bousculer à tout instant cet équilibre précaire.
En outre, la politique de « sanctions » impérialistes contre l'Iran a, pour principale traduction, de conduire la bourgeoisie iranienne à vouloir précipiter les masses dans une misère encore plus noire, en liquidant les miettes que le régime octroie aux travailleurs pour mieux maintenir leur système d'oppression et d'exploitation à outrance. Le taux d'inflation, sous-produit de ces « sanctions » autant que de la corruption endémique qui ronge le pays, s'élève à 30%, tandis que la chute des cours pétroliers fin 2008 a conduit à un doublement du déficit iranien. Les dizaines de milliards que le régime consacre à subventionner les produits de consommation courante sont ainsi, plus que jamais, dans la ligne de mire de nombre des députés de toutes fractions. Mais, confronté à une situation de crise politique qui vient de franchir un cap significatif, le régime iranien ne parvient pas à porter aux masses autant de coups qu'il le voudrait.

En juin 2007, Ahmadinejad a instauré un rationnement temporaire de l'essence  – contraignant les travailleurs iraniens à se tourner vers le marché noir, aux tarifs prohibitifs, pour le plus grand bonheur des bazaris. Annoncée deux heures avant son application, alors que Téhéran était déjà quadrillé par la police, cette mesure déclenchait des émeutes dans les quartiers populaires. L'AFP rapportait: « Les manifestants, qui jetaient des pierres contre les forces de l'ordre, ont scandé des slogans particulièrement durs contre le président Ahmadinejad. « Canon, char, feu de joie, Ahmadinejad doit être tué », ont même crié des manifestants à une station du quartier populaire de Pounak, dans le nord-ouest de la capitale. » (27/6/2007). Ce test, parmi d'autres, a conduit le gouvernement iranien à faire preuve de circonspection – ce que les opposants à Ahmadinejad ne cessent d'ailleurs de lui reprocher. La contestation de sa politique économique dans le sens d'une offensive vigoureuse contre le prolétariat s'est ainsi largement exprimée dans son propre courant « conservateur », notamment lors des élections législatives et municipales de 2008, par la montée en puissance de ses rivaux, qui lui ont ravi la mairie de Téhéran.

Affaibli par la crise du régime, face au risque d'irruption des masses sur leur propre terrain, Ahmadinejad a dû concéder diverses subventions et augmentations de salaires (25% pour les fonctionnaires) à la veille des dernières élections – augmentations rapidement rongées par l'inflation. Fin 2008, la volonté de contourner l'attaque frontale contre les masses l'a même conduit à tenter d'imposer une TVA aux bazari – fait sans précédent dans l'histoire de la république islamique, qui a eu pour conséquence une grève massive de cette frange de la bourgeoisie, contraignant finalement le régime à reculer.
Mais dans le même temps, les masses n'en subissent pas moins lourdement les difficultés économiques du régime: inflation, salaires impayés, licenciements, privatisations qui, dans un contexte où les investisseurs étrangers sont rares, masquent le transfert direct des moyens de production aux gros bonnets du régime. Ainsi, craignant par avance l'explosion de manifestations contre la vie chère, lors des célébrations du nouvel an iranien (Nowroz), en avril 2009, les Pasdaran et bassidji ont préventivement bouclé les grandes villes du pays.
La persistance des « sanctions », le développement de la crise économique, rendent ainsi probables des affrontements de grande ampleur entre les classes.


Un système d'exploitation et d'oppression monstrueux


Les conditions d'existence des masses iraniennes sont, d'ores et déjà, très dures. Le taux de chômage officiel, déjà significatif, de 12,5% (et plus de 20% dans la jeunesse), en augmentation constante, est en réalité une escroquerie et s'élèverait à 30% (site du ministère français des affaires étrangères). 14 millions d'iraniens vivent en-dessous du seuil de pauvreté, 8% de la population totale vivant avec moins de 2 dollars par jour. 14% des enfants travaillent, dont 500 000 disposent de moins d'un dollar par jour. Le « secteur informel », le marché noir, le travail clandestin se développent, dans des proportions très significatives, pour le plus grand profit de la bourgeoisie rapace et de leurs complices du régime, qui profitent de l'exploitation sans borne de centaines de milliers de travailleurs à leur merci. Outre l'absence de droits et de libertés syndicales, les pillards enturbannés usent de toutes les divisions et des traditions les plus réactionnaires pour développer un véritable système d'exploitation.

Dans la république islamique iranienne, cela va de soi, les femmes sont officiellement inférieures aux hommes: contraintes au port du voile islamique et soumises à une véritable police des mœurs, elles n'ont quasiment aucun droit au divorce, mais peuvent être répudiées et condamnées pour « adultère » à la peine de mort ou à la flagellation publique, alors que leur témoignage dans un procès compte pour moitié moins que celui d'un homme... Alors que les étudiantes iraniennes représentent 65% des effectifs des universités, que les diplômées  excèdent en nombre les diplômés, elles se voient interdire l'exercice de nombreux métiers et connaissent un taux de chômage deux à trois fois supérieur à celui des hommes. Cette débauche de « moralité » religieuse vaut à  nombre de femmes le saint honneur d'adjoindre à la servitude domestique celle du travail pour le « secteur informel », à domicile, la misère pour les femmes seules... ou la prostitution, en progression constante.

L'Iran est un pays de minorités, où les persans ne représentent que la moitié de la population: y coexistent des minorités azérie, kurde, arabe, baloutche, turkmène... Tout comme l'oppression des femmes, celles des minorités permet à la bourgeoisie iranienne en turban ou en uniforme d'intensifier l'exploitation des travailleurs: dans la province arabe aux portes de l'Irak, les arabes iraniens se voient remerciés de leur loyauté lors de la guerre Irak-Iran par le fait de s'entasser, en masse, dans des taudis insalubres, attendant la reconstruction de leurs maisons détruites, qui n'a toujours pas eu lieu. Dans la partie kurde – où fut proclamé de manière éphémère la seule république kurde de l'histoire, lors de la vague révolutionnaire de 1946-1947 – comme dans la partie baloutche, la répression fait l'objet d'accords avec les voisins turc ou pakistanais. Il n'est pas jusqu'à la forte minorité azérie (24% de la population) – qui elle aussi avait institué sa propre république en 1946 – qui n'ait manifesté massivement, en mai 2006, contre des caricatures racistes publiées dans la presse iranienne. Le million et demi de réfugiés afghans qui vit en Iran, fuyant la barbarie, ne dispose d'aucun droit, pas même celui élémentaire à l'instruction.

Dans cette société, les rapports entre les sexes, entre les peuples, ou entre les communautés religieuses – dans un pays où l'athéisme n'est pas une option – sont autant de rapports d’oppression. Loin de relever d'un combat « citoyen » ou moral, la défense des droits des femmes ou des minorités sont par conséquent des revendications ouvrières. Travailleurs, jeunes, femmes et peuples opprimés doivent se retrouver dans le combat contre l'ennemi commun à abattre: la république islamique.


Pour en finir avec la république islamique: construire un parti ouvrier révolutionnaire


Les exemples de l'histoire iranienne le montrent: le surgissement d'une crise au sein des classes dominantes ouvre une brèche dans laquelle les travailleurs, les femmes, la jeunesse et les peuples opprimés ont l'opportunité de s'engouffrer.
C'est dans de telles conditions, conséquence de la seconde guerre mondiale et de l'affaiblissement des puissances impérialistes, qu'ont pu éclater les luttes révolutionnaires de 1946-1947, tout comme la défaite de l'impérialisme américain au Vietnam n'est pas étrangère à l'éclatement, quelques années plus tard, de la révolution iranienne. A une échelle moindre, la scission d'une aile « réformatrice » au sein du régime, à la fin des années 1990 – prémisse de la crise politique actuelle au sein de la république islamique – a favorisé comme on l'a vu les grèves étudiantes de 1999. Autant d'illustrations des propos de Lénine: « Pour que la révolution éclate, il ne suffit pas, habituellement, que « la base ne veuille plus » vivre comme auparavant, mais il importe encore que « le sommet ne puisse plus ». » (La faillite de la IIè Internationale).
Une révolution: ce n'est pas se payer de mot que d'affirmer qu'il s'agit là de la condition nécessaire, incontournable à la satisfaction des besoins élémentaires de la population, l'aspiration à une vie décente comme l'aspiration à la liberté. Le prolétariat iranien, prolétariat le plus puissant du Moyen-Orient, montrerait ce faisant la voie de leur émancipation aux travailleurs et aux peuples opprimés de toute la région.

La jeunesse iranienne a, par son importance dans la population et ses luttes constantes depuis dix ans, prouvé qu'elle occupait une place incontournable dans la lutte des masses iraniennes pour leur émancipation. Mais, l'expérience de 1999 le prouve, elle ne pourra aller de l'avant sans rompre avec la tutelle du courant « réformateur » de Khatami et Karroubi. Œuvrer à la jonction étudiants-travailleurs, dans la lutte contre la répression, pour les libertés démocratiques, pour briser l'étau meurtrier des Pasdaran et des milices, est une des questions politiques centrale aujourd'hui en Iran: cette jonction aurait des répercussions jusqu'au sein du « Bureau de consolidation de l'unité », vers l'émergence d'un véritable syndicat étudiant lié au mouvement ouvrier.

Face à la vie chère, à la misère croissante, les travailleurs iraniens luttent pour leurs salaires: mais chaque concession arrachée à la bourgeoisie ou au régime a pour traduction immédiate une explosion de l'inflation, qui ronge leurs gains illusoires. Lutter pour une échelle mobile des salaires et du temps de travail, permettant à toute la population laborieuse de jouir des fruits de son travail, s'impose: mais cela supposerait d'en finir avec la mafia militaro-ecclésiastique au pouvoir, qui font payer aux masses le prix de leur système de pillage et de corruption.

La lutte pour les droits de femmes, pour des conventions collectives s'étendant aux millions de travailleurs privés de droit, pour les droits politiques, sociaux et le droit à l'éducation des centaines de milliers de réfugiés afghans, sont autant de revendications que le mouvement ouvrier dans son ensemble doit reprendre à son compte. De même qu'il doit faire sien le droit inconditionnel des peuples à disposer d'eux-mêmes, y compris par la sécession, dans la perspective d'une fédération socialiste du Moyen-Orient.
Dans tous leurs combats, les travailleurs, les femmes, la jeunesse et les peuples d'Iran font face à un ennemi commun: la république islamique, son appareil d'Etat et ses milices. Il n'est pas possible d'aller de l'avant sans ouvrir la perspective du renversement du régime "A bas la république islamique", ce qui pourrait à un moment se manifester par l'exigence de l'Assemblée Constituante iranienne, mais qui en tout état de cause se situe sur la ligne d'un gouvernement ouvrier et paysan œuvrant au compte des masses.

Si les syndicats indépendants qui se construisent en Iran ont un rôle indispensable à jouer dans la défense de ces revendications, ils ne peuvent suffire à les satisfaire: faute d'une organisation politique au service des masses, ces syndicats peuvent au contraire être amenées à se placer sous la tutelle de telle ou telle fraction du régime ou des puissances impérialistes - une sorte de Solidarnosc au rabais, au compte d'intérêts contraires à ceux des travailleurs iraniens – ou à se tourner vers des forces politiques qui, telles le vieux parti Toudeh, ont déjà donné la preuve de leur capacité à les enfermer dans une impasse. Ce parti ouvrier à construire ne peut être qu'un parti révolutionnaire, combattant pour la jonction de tous les exploités et des opprimés contre la république islamique, l'expropriation au compte de la population des richesses accaparées par les mollah et les Pasdaran, s'engageant vers l'organisation de la production en fonction des besoins des masses, bref combattant pour le socialisme.


Soutenir les masses iraniennes, c'est combattre l'impérialisme


Mais parallèlement, pour avancer dans la direction qui vient d'être indiquée, les masses iraniennes ont besoin de l'appui des travailleurs et de la jeunesse des métropoles impérialistes.
Nul besoin d'argumenter longuement pour l'affirmer: la coalition impérialiste qui prend l'Iran en étau est l'ennemi mortel des travailleurs et de la jeunesse d'Iran. A l'instar de l'embargo et de l'opération « Pétrole contre nourriture » qui coûta aux masses irakiennes la vie de plus d'un million des leurs, les « sanctions » impérialistes contre l'Iran meurtrissent les masses iraniennes et doivent être combattues. L'occupation militaire de l'Irak et de l'Afghanistan, menaces sinistres qui s'ajoutent à celles que profère le poulain israélien de Washington, constituent un frein objectif à toute velléité de lutte contre la république islamique en Iran. Caressant l'espoir lointain de rétablir un régime à leurs bottes dans ce pays, les puissances impérialistes n'en préfèreront pas moins toujours la république islamique qu'ils ont portée sur les fonds baptismaux au renversement de ce régime par les masses iraniennes. Feindre de s'extasier des luttes menées par la jeunesse iranienne et parler de « soutien » à ces luttes sans combattre l'impérialisme, en soutenant en définitive les sanctions et le droit d’ingérence impérialiste, comme le font nombre de dirigeants syndicaux et politiques ouvriers de l'Unef à la CGT et du NPA au Parti Socialiste, cela revient en définitive à s'aligner sur son propre impérialisme.
L'impérialisme français, sous la houlette de Sarkozy, est aux premières loges de ceux qui menacent aujourd'hui l'Iran: partie prenante des « sanctions » économiques, il contribue largement à l'encerclement de l'Iran via l'Afghanistan. Il construit à Abu Dhabi une base militaire dont l'objectif affiché est de menacer  la flotte iranienne.
A la lutte contre la répression et pour les libertés démocratiques en Iran, il donc faut adjoindre le combat pour que le mouvement ouvrier dans son ensemble exige la levée des « sanctions » contre ce pays et le retrait inconditionnel des troupes d'occupation, à commencer par les troupes françaises.


Le 30 septembre 2009

 

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