congres de la fsu :
sous le feu du mouvement des lycéens et
des étudiants
Le congrès
"fondateur" de la Fédération Syndicale Unitaire de l'enseignement
(FSU) s'est déroulé à Mâcon du 28 au 31 mars. Issue de l'éclatement de la FEN à
la fin 1992, la FSU a regroupé autour du SNES (enseignants des collèges et
lycées), du SNEP (éducation physique) et du SNETAA (professeurs de LEP) une
douzaine de syndicats plus petits (entre 5000 adhérents et quelques dizaines),
et, chez les instituteurs, 1/3 environ des anciens adhérents du SNI-Pegc. Au total, un peu moins de 130 000 adhérents.
Si l'objectif essentiel de la direction était de doter cet ensemble d'une
plate-forme fédérale et de statuts définitifs, le congrès s'ouvrant en pleine
mobilisation des lycéens et des étudiants contre les CIP et quelques heures
après la déclaration de Balladur à la télévision annonçant la suspension
pendant 8 jours des décrets instituant les CIP, la première préoccupation des
congressistes ne pouvait être que de prendre immédiatement position sur ces
événements, et en prévision du 31 mars.
A la fin de son allocution d'ouverture (sur laquelle nous reviendrons plus
loin), le secrétaire général Michel Deschamps annonçait les dernières formules
gouvernementales : suspension des décrets pour une semaine, ANPE-jeunes, États généraux de la jeunesse… annonce
accueillie par des cris d'indignation des congressistes. Deschamps n'en tirait
pourtant aucune autre conclusion que celle qu'il avait prévue dans son projet
de discours : "prendre des dispositions pour une présence plus forte,
plus visible de la FSU" le 31 mars.
le combat pour la greve de l'enseignement le 31 mars : du lundi 28…
Intervenant immédiatement sur
l'ordre du jour, un délégué de la tendance "Front Unique" demandait
que cette question fasse l'objet d'un débat immédiat, conclu par un appel du
congrès à la grève des enseignants, et pour une manifestation centrale à Paris.
Son intervention était applaudie par une bonne partie des congressistes, de
toutes tendances.
La direction refusait cependant de modifier son ordre du jour, qui prévoyait
sur deux séances, un "vaste débat" autour de quatre
"thèmes" (jeunesse et investissement éducatif ; emploi,
inégalités, services publics et protection sociale ; "nouveau
fédéralisme" enseignant ; loi de programmation, action) noyant toutes
les questions politiques d'actualité dans des "interrogations et
réflexions" générales sans conclusions pratiques.
Même si le premier "thème" donnait la possibilité d'intervenir sur
les CIP, le refus de faire de cette question un point spécial de l'ordre du
jour était dès ce moment révélateur. Il traduisait la volonté de l'appareil
"Union et Action" de freiner, autant qu'il le pouvait, l'engagement
des enseignants aux côtés des lycéens, et de protéger le gouvernement Balladur,
le gouvernement RPR-UDF, d'une défaite majeure. Une déclaration immédiate du
congrès dans le sens d'une telle défaite de Balladur, prise dès son ouverture,
pouvait avoir un impact politique considérable auprès des enseignants et par répercussion
sur les autres appareils syndicaux.
Cependant, et malgré les efforts des dirigeants et d'une partie (une partie
seulement) de leurs militants, l'appareil allait perdre assez vite le contrôle
du congrès. La tendance "Front Unique" déposait la motion
suivante :
«Le congrès national de la FSU déclare solennellement :
• Pour l'abrogation
totale des décrets Balladur,
• la FSU appelle à la manifestation nationale et à la grève le
31 mars pour cette manifestation,
Elle
s'adresse à tous les syndicats de l'enseignement, aux Confédérations ouvrières,
à leurs dirigeants pour leur dire :
-
Appelons ensemble à la manifestation nationale !
-
Appelons à la grève pour la manifestation nationale, pour l'abrogation de la
loi quinquennale sur l'emploi (loi Giraud) !»
Au nom de la "diversité des situation", d'une mobilisation
"faible et inégale" chez les enseignants, de la nécessité de créer
des "convergences durables", du fait que "le problème des CIP
n'épuise pas la question", que "prioritairement c'est l'abrogation de
la loi quinquennale qui importe", les dirigeants firent donner la garde,
certains allant même jusqu'à qualifier de "paternalisme" la volonté
de soutenir les lycéens. En même temps le bureau du congrès, respectant l'ordre
du jour, faisant tout son possible pour enliser la discussion dans les ronrons
de quelques discours sur "l'investissement éducatif". Sans
succès : les intervenants se succédaient à la tribune pour l'appel à la
grève le 31 mars.
La motion, mise aux voix, obtenait 138 voix pour, 288 contre, 100 abstentions
et 24 refus de vote. Celle de la direction UA, adoptée en opposition, reportait
au lendemain toute décision, une réunion étant prévue à Paris ce lundi soir 28
avec 15 autres organisations.
…au mardi 29
En fonction de quoi le mardi
matin, Monique Vuaillat présentait une motion qui,
tout en "invitant les personnels à recourir à la grève", se situait
dans la ligne de ladite réunion, dont la déclaration spécifiait :
«Le 31 mars constitue un temps fort décisif (…) Les organisations soussignées
appellent à prendre toutes les dispositions pour assurer le succès du 31 mars
(…) Une journée nationale unitaire (…) début avril avec arrêts de travail et
manifestations apparaît indispensable (…) pour exiger :
- le retrait du CIP (…)
Les organisations soussignées
(…) invitent leurs organisations à construire les initiatives les plus larges
dans les départements, localités…» etc, etc[1]
Un délégué de la tendance "Front Unique" intervint pour montrer que
le contenu de cette déclaration constituait un frein, un obstacle à la
mobilisation, non seulement pour le 31 mars en renvoyant au début avril une
éventuelle victoire sur les CIP au moyen d'une "journée nationale",
mais en ouvrant la voie à la dislocation, contre celle d'une manifestation
centrale dans la lignée du 16 janvier. Il termina en invitant le congrès, pour
ne pas avaliser une telle position, à décider d'appeler franchement à la grève
pour le 31 mars et proposa d'amender dans ce sens le texte de Monique Vuaillat. On vit alors monter au créneau, comme le plus
farouche adversaire du mot d'ordre de grève (toujours soutenu par de nouveaux
intervenants), le secrétaire général du SNETAA, Bernard Pabot,
qui invoqua en particulier, contre une telle décision du Congrès fédéral, la
souveraineté des syndicats nationaux. Sous force de disjonction des dernières
lignes du texte de Monique Vuaillat, les trois
positions obtinrent :
• contre toute invitation à la grève (Pabot)
: Pour : 116 - Contre : 342 - Abstentions : 52,
• pour l'appel du congrès à la grève (Front Unique - École
Émancipée) : Pour : 183 - Contre : 248 - Abstentions : 91,
• texte initial (préavis de grève pour permettre aux
personnels de manifester) : Pour : 323 - Contre : 114 -
Abstentions : 98.
Finalement, après plus de 4 heures de débat et de multiples tractations entre
UA, l'École Émancipée et le SNETAA, un texte "de compromis"
édulcorait encore la motion en y ajoutant : "les modalités de
participation sont à la charge des syndicats nationaux et des sections
départementales".[2]
C'est donc après 7 heures de discussion pied à pied, où sans doute plus de 30
intervenants appartenant à toutes les tendances et à la plupart des syndicats
se sont élevés contre la volonté de leurs dirigeants de freiner et disloquer le
mouvement engagé, que ceux-ci ont réussi à colmater la brèche et reprendre le
congrès en mains. Celui-ci, dans son développement, avait balayé tous les
bavardages prévus jusqu'au mardi après-midi, pour ne plus traiter que la seule
question réellement à l'ordre du jour : le combat contre le gouvernement
Balladur, à travers la mobilisation dans la grève du 31 mars.
Ce qui s'est en définitive réfracté dans ces deux jours, dans le contexte d'un
congrès, et avec ses limites, c'est le combat de la masse des enseignants à la
fois contre le gouvernement RPR-UDF et contre le appareils syndicaux et
politiques qui le protègent, combat qui s'est en particulier exprimé dans la
mobilisation pour la manifestation du 16 janvier, où les dirigeants ont été
pratiquement débordés.
une orientation fondamentale de participation
La suite du congrès, une fois
la machine remise sur ses rails, comportait le travail des commissions sur le
projet de plate-forme et l'adoption des statuts.
Après de longues discussions, ceux-ci constituent la FSU comme une fédération
de syndicats nationaux. Les tentatives pour gommer ces derniers au bénéfice de
"syndicats départementaux" et de sections locales fusionnant toutes
les catégories ont été actuellement repoussées. Présentées au nom de la
démocratie à la base et de la "Fédération d'industrie", vieux cheval
de bataille de l'École Émancipée, elles pourraient fournir les bases d'un
syndicalisme de "site" ou de "proximité", c'est-à-dire
d'une dislocation des syndicats de catégorie adaptée à la politique du
gouvernement de dislocation du corps enseignant. De même ont été rejetées les
propositions de sections régionales, adaptées à la politique de
régionalisation.
Quant à la plate-forme fédérale, le cadre en était donné à la fois par le
projet publié avant le congrès et en concentré par le discours d'ouverture de
secrétaire général Michel Deschamps. Ses fondements ne sont pas la défense des
personnels et de l'enseignement public, ni les revendications des travailleurs
contre la politique gouvernementale, mais la défense de "l'intérêt
général" et de "la cohésion nationale". Il s'agit de convaincre
"la société" et "l'État" que "l'exigence d'éducation,
l'investissement éducatif (…) sont des facteurs essentiels du développement
d'une Nation, de sa cohésion, de son aptitude à affronter l'avenir". Il
faut donc "ouvrir une nouvelle étape de démocratisation". Et Michel
Deschamps, s'adressant, par-dessus la tête des congressistes, à la bourgeoisie
française, ajoutait : "Aurons-nous
la sagesse d'anticiper ? (…) A chaque fois que, dans notre pays, on a
voulu marquer une ambition nationale forte, on s'est doté d'une loi de
programmation : pour la recherche, le nucléaire, la défense
nationale"… Ainsi est également justifiée la réaffirmation de la participation :
"notamment mais pas seulement, aux conseils économiques et sociaux,
conseil national et conseils régionaux", comme au "débat national sur
l'école", avec ses "tables rondes décentralisées tout au long d'avril
(…) Ne devons-nous pas ensemble défendre nos arguments, nos projets, dans tous
les lieux de débat ?".
Les amendements apportés par les commissions n'ont rien changé à la nature de
la plate-forme, dont ces déclarations expriment l'axe politique essentiel. La
seule différence notable concerne la loi quinquennale (dite) pour l'emploi.
Avant le congrès, des huit textes d'orientation soumis au vote des syndiqués
pour le représentation des tendances, seul celui de la
tendance "Front Unique" était centré sur le combat contre le
gouvernement et pour le vaincre. Seul il expliquait la signification politique
de cette loi, instrument essentiel du gouvernement RPR-UDF contre la classe
ouvrière. Le texte de la majorité Unité et Action observait, sur cette
question, un silence total. On pouvait parfois lire dans l'organe du SNES la
même revendication que dans celui du SE-UID : appliquer l'article 54 de
cette loi au bénéfice de l'enseignement public…
Dans les congrès départementaux, par contre, l'exigence d'abrogation de cette
loi avait commencé à s'exprimer, y compris dans les rangs des militants UA. Les
décrets instituant les CIP et la mobilisation des lycéens et des étudiants des
IUT illustraient la justesse de l'analyse présentée par la tendance "Front
Unique" et constituaient un point d'appui pour les délégués. L'assemblée
générale du SNPIUFM, le 25 mars, ajoutait même à l'exigence d'abrogation "le
refus de participer à toutes les instances de concertation et d'application de
la loi quinquennale".
Sous cette pression ouvertement exprimée dans le congrès, la direction UA a dû inscrire dans les revendications de la plate-forme
"l'abrogation de l'ensemble de la loi quinquennale", mais… sans y
insérer aucun moyen d'action, aucune perspective de mobilisation permettant de
l'obtenir.
Le débat sur l'action, fait significatif, n'a eu droit qu'à un peu plus de
quinze minutes, en fin de congrès. Cela permet d'apprécier à sa valeur réelle
pour les dirigeants de la FSU le vaste programme de régénération du système
éducatif et de ses personnels "largement débattu" au congrès… afin de
mieux ensuite leur laisser les mains libres pour participer à la politique
gouvernementale.
Contre cette orientation, un délégué de la tendance "Front Unique"
déclarait le 31 mars au matin, à la tribune :
«La proposition du rapporteur de participer à des États généraux de l'École et
de la Jeunesse n'est pas acceptable. Ceci correspond tout à fait aux
propositions faites par Balladur au début de la semaine, alors qu'il cherchait
à manœuvrer. Maintenant il est annoncé que les décrets sont abrogés :
c'est une défaite politique du gouvernement Balladur. C'est, après celle du 16
janvier et de la loi Bayrou, la deuxième défaite de ce gouvernement, et c'est
une défaite majeure, analogue à celle de Chirac, en décembre 1986, retirant le
projet Devaquet (analogue car on ne peut dire
aujourd'hui comment vont se développer les processus).
Cet après-midi vont se dérouler les manifestations : quels doivent être
nos mots d'ordre ? Le congrès FSU du Rhône, unanime, avait répondu par
avance, avant même l'annonce de l'abrogation des décrets sur les CIP :
retrait de toute la loi quinquennale ! La CA académique du SNES de Lyon du
21 mars, unanime, a adopté la formule suivante, judicieuse :
"l'abrogation des CIP sera un point d'appui décisif pour l'abrogation de
toute la loi quinquennale".
Aujourd'hui les décrets sont abrogés. Le mot d'ordre immédiat doit donc
être :
Abrogation de toute la loi quinquennale
sur l'emploi !
Balladur propose de négocier ? Aucune
négociation sur un nouveau projet de CIP, aucune négociation sur une nouvelle
mouture de la loi quinquennale ! Charles Millon et d'autres envisagent
de faire repasser la loi devant l'Assemblée Nationale. Si tel était le
cas : Manifestation nationale à
l'Assemblée Nationale, à l'appel de toutes les organisations syndicales,
pour l'abrogation complète de la loi quinquennale sur l'emploi !»
les contradictions internes de la fsu
A travers
ce congrès, la direction de la FSU avait l'ambition de présenter celle-ci comme
la résurrection de la FEN d'avant 1992.
Aucune illusion ne doit être entretenue à ce sujet, la FSU, pas plus que
l'ex-FEN ne peut occuper la place de la FEN, quelle que soit la
"continuité" dont elles se parent toutes deux. La FEN, qui réunissait
en son sein tous les courants du mouvement ouvrier, a bel et bien été détruite.
La destruction de la FEN avait en particulier comme objectif la liquidation des
syndicats nationaux des enseignants. Cet objectif n'a pu être réalisé jusqu'au
bout, mais toutes les forces engagées en ce sens continuent à jouet, y compris
au sein de la FSU et de ses appareils.
La quasi-unanimité (96 %) du congrès sur la plate-forme masque des
rapports internes des plus fragiles. La cohabitation du SNES et du SNETAA a
nécessité d'inscrire dans les statuts une clause de "majorité
qualifiée" à 70 % des voix, sans laquelle aucune décision ne peut
être prise au niveau fédéral. Facteur de paralysie et de manœuvres en tout
genre, elle n'a pas empêché les délégués du SNETAA, tenus sous le contrôle
sévère de leur secrétaire général, de se tenir à l'écart de toutes les
discussions en commission. On a même pu croire le 30 au matin qu'ils
s'apprêtaient à quitter le congrès.
Les dirigeants UA, de leur côté, ont dû et doivent toujours manœuvrer au plus
près pour maintenir le contrôle de leurs propres militants. Leurs
collaborateurs de l'École Émancipée, partie prenante de l'appareil au plus haut
niveau, sont eux-mêmes sérieusement contestés, à la limite de l'éclatement. Ces
contradictions ne pourront que s'amplifier avec les développements à venir du
combat des masses contre le gouvernement Balladur.
Le 4 avril 1994
Vers l’éditorial de ce
numéro centré sur la question du C.I.P.
Vers
l’article relatant le mouvement de la jeunesse contre le C.I.P.
Vers la section :
leçons de la lutte des classes
[1] Texte signé par : Confédération CGT, CRC Santé Sociaux, FCPE, FGTE-CFDT, FIDL, Finances CFDT, FSU, JC, JCR, JOCF, RED-JCR, SOS-Racisme, SUD PTT, UEC, UNEF-SE, UNEF-ID.
[2] La transmission de la décision finale aux sections
départementales était encore en retrait, puisque, par exemple dans l'Essonne,
celle-ci était portée à la connaissance des enseignants sous forme d'une invitation
"à se réunir pour décider de la grève"!!…