Editorial du n° 52 (ancienne
série) de Combattre pour le Socialisme n°52, avril 1994
infliger une défaite décisive au gouvernement rpr-udf,
le
gouvernement balladur
nouvelle défaite politique du gouvernement balladur
Le gouvernement RPR-UDF, le
gouvernement Balladur a subi deux graves défaites politiques en deux mois et
demie. La première ce fut l'obligation qui lui a été faite de mettre au rancart
la loi Bayrou, laquelle autorisait les municipalités, les conseils généraux et
régionaux à financer, au-delà de 10 %, limite qu'impose ce qui reste de la
loi Falloux, les investissements des écoles privées à 95 % catholiques. Un
puissant mouvement de masse l'y avait contraint : celui qui, partant de la
grève des enseignants du 17 décembre 1993, a atteint une ampleur extraordinaire
dans la manifestation nationale du 16 janvier où des centaines de milliers
d'enseignants, de travailleurs, de jeunes ont submergé Paris.
La deuxième ce fut l'abrogation des décrets instituant les CIP que lui a imposé
le mouvement des lycéens et des étudiants des IUT notamment. Ce mouvement s'est
situé dans la continuité de celui de la loi Bayrou lequel a culminé dans la
manifestation du 16 janvier. Le mouvement des lycéens et des étudiants a
déferlé pendant plusieurs semaines jusqu'aux dernières manifestations du 31
mars. Deux mouvements, même combat contre la politique du gouvernement RPR-UDF,
le gouvernement Balladur, contre ce gouvernement.
le "séminaire" gouvernemental du 30 janvier
Le n° 51 de "Combattre
pour le Socialisme" a caractérisé la mise au rancart de la loi Bayrou
comme étant une «victoire politique des
enseignants, des travailleurs, des jeunes mobilisés et unifiés dans le combat
contre la loi Bayrou et donc contre ce gouvernement. Défaite politique de
celui-ci». Mais ajoutait-il : «Cette
victoire politique n'est pas LA victoire politique sur le gouvernement
Balladur, le gouvernement RPR-UDF, ce n'est donc pas SA défaite. Il
reste au pouvoir et poursuit sa politique».
Rapidement les faits ont démontré la justesse de cette appréciation. Le 30
janvier, Balladur a réuni son gouvernement en "séminaire". A son
issue, il a expliqué les mesures prises pour "le soutien de la
demande". Les fonds de "participation" qui sont immobilisés,
représentent 80 milliards de francs. Ils proviennent de la "participation"
des salariés aux bénéfices des entreprises. Ils pourront être
"partiellement débloqués par anticipation" pour l'achat de voiture ou
le financement de travaux d'entretien s'élevant à plus de 20 000 francs
dans les résidences secondaires. Le taux d'intérêt des plans d'épargne-logement seront abaissés
de 0,75 %. Une prime de 5 000 francs sera attribuée aux acheteurs
d'une voiture neuve qui vendront la voiture qu'ils possèdent si celle-ci a plus
de 10 ans. Le plafond d'amortissement des voitures acquises par les entreprises
sera porté de 75 000 à 100 000 francs.
plein feu contre le prolétariat et la jeunesse
Mais la plupart des mesures
prévues sont des applications de la politique de "baisse du coût du
travail", de réduction des charges sociales que supporte le patronat, de
compression des dépenses de santé. "Le Monde" du 1er février
rapporte :
«La mise en application de la loi quinquennale pour l'emploi sera accélérée
notamment par la signature rapide des décrets nécessaires. Il a été demandé aux
organisations professionnelles et syndicales d'"engager sans délai"
la concertation indispensable à l'entrée en vigueur d'une "dizaine"
des mesures de cette loi. Le Premier ministre les réunira à Matignon à la fin
du mois de février pour faire le point avec elles. De nouvelles mesures pour
l'emploi des jeunes ont aussi été décidées».
Ces "nouvelles mesures" consistent surtout en dégrèvement des charges
patronales :
«Les mesures d'urgence prises au printemps 1993 en faveur de l'emploi et de la
formation qui devaient arriver à leur terme le 30 juin prochain, seront
prolongées jusqu'au 31 décembre (1994) (aide de l'État au chômage partiel, au
recrutement d'un apprenti, à l'embauche d'un jeune sous contrat de
qualification) (…) Pour inciter à la formation professionnelle des
jeunes, les "critères d'examen d'un plan social devront désormais prendre
en compte" les efforts de l'entreprise en ce domaine».
Suivent : "les contrats verts"
auxquels seront consacrés 100 millions de francs supplémentaires. Ce seront des
contrats passés par l'État avec des associations reconnues par le ministère de
l'environnement, ces associations seront aidées quand elles créeront des
emplois ; l'incitation à créer des emplois de gardiens d'immeubles ;
l'embauche à la RATP de sept cents personnes ; etc…
Ce dernier point illustre de quelles créations d'emplois il s'agit. Le syndicat
exécution FO-RATP a fait la mise au point suivante :
«Le syndicat Force Ouvrière de la RATP oppose un démenti à l'annonce faite de
création nette d'emplois à la RATP. En fait il s'agit de redéploiement
d'effectifs internes à l'entreprise sans aucune nouvelle création d'emplois.
700 suppressions de postes étaient programmées sur les prochaines années dans
les secteurs de maintenance, tertiaire, etc… avec un
transfert à l'exploitation dans les secteurs de Sécurité, lutte contre la
fraude, accueil, etc… Il s'agit donc d'une
anticipation».
Le reste concerne "l'amélioration
des comptes sociaux (qui) constitue,
avec la lutte contre le chômage, (sic)
la priorité du gouvernement", ce qui exigerait un "livre-blanc… sur l'avenir de la
protection sociale — spécialement sur celui de l'assurance-maladie".
Il s'agirait de "réfléchir également
au problème du financement". En tout cas un texte sera déposé à la
session parlementaire de printemps qui devrait instituer la "séparation financière des
branches" et prévoirait que "le
Parlement sera chaque année amené à débattre des objectifs d'évolution de la
dépense des régimes obligatoires de protection sociale".
les décrets instituant les cip
Dans l'immédiat il s'agissait
surtout de la mise en application par décrets de la "loi quinquennale
(dite) pour l'emploi". Parmi eux ceux qui instituent les "Contrats
d'insertion professionnelle". Deux décrets sont publiés au "Journal
Officiel" du 24 février. Leur contenu :
«Le CIP prévoit que quand le contrat est assorti d'une formation, les jeunes
âgés de 16 à 17 ans ne pourront bénéficier que de 30 % du SMIC minimum
porté à 50 % pour les 18-20 ans et 65 % pour les 21 ans et plus. Le
CIP prévoit aussi une grande innovation : il pourra aussi être proposé
(dans le secteur marchand) à des jeunes de plus de 18 ans dont la formation
pourra atteindre jusqu'à bac + 2, sans qu'on leur propose une formation
complémentaire, et avec un salaire égal à 80 % du SMIC».
"Libération" du 25 février ajoute :
«C'est donc la grande nouveauté : pour le première fois, le dispositif ne
rend pas obligatoire la formation».
La "grande nouveauté" c'est surtout l'institution d'un "SMIC
jeune" qui va dans le sens d'une diminution générale des salaires nominaux
et le coup porté aux diplômes nationaux. "Le Monde" explique lui que
ces décrets : «étaient donc attendus
et avaient d'ailleurs été soumis aux organisations syndicales qui regrettent
que le gouvernement n'ait pas tenu compte de leurs réserves (sic)». La publication de ces décrets a fait
scandale parmi les jeunes et les travailleurs. Les dirigeants syndicaux ne
pouvaient moins faire que de se prononcer contre "le SMIC jeune". Les
dirigeants de l'UNEF-ID ont proposé aux dirigeants
des centrales syndicales de se réunir le lundi 28 février, seules ont répondu à
cette proposition les directions de la CGT et de la CFDT. Celles de FO, de la
CFTC, de la CGC se sont réunies le même jour de leur côté. La direction de la
CFDT a aussi participé à cette réunion. Les condamnations par les organisations
syndicales du "SMIC jeune" et les demandes de retrait des décrets
l'instituant se sont multipliées (UNEF-ID, UNEF-SE, FSU, ex-FEN). Le PS et le
PCF l'ont également condamné. A quoi Balladur a répliqué le 2 mars dans un
article publié par "Le Monde" (daté du 3) :
«Puis-je enfin rappeler que la création du contrat d'insertion professionnelle
a fait l'objet d'une longue discussion au parlement et a été soumise pour avis
aux organisations syndicales il y a plusieurs mois déjà».
Mais le mouvement des lycéens et des étudiants a contraint le gouvernement
Balladur à abroger les décrets instituant les CIP, lui infligeant une défaite
majeure (l’article suivant
de CPS est consacré à suivre ce mouvement).
le jeu des appareils syndicaux
Pour infliger cette défaite
majeure au gouvernement RPR-UDF, au gouvernement Balladur, le mouvement des
lycéens et des étudiants a dû submerger d'énormes obstacles et en premier lieu
celui des appareils des organisations syndicales ouvrières et étudiantes, politique
dont la "participation", la "concertation" sont des
concentrées. Au cours de ces événements du mois de mars, Balladur et ses
ministres ont rappelé constamment que la "loi quinquennale (dite) pour
l'emploi" et ses décrets d'application ont été élaborés en "concertation"
avec les directions syndicales. Du 3 mars aux lundi 21 et 28 mars, sans compter
les innombrables "contacts discrets" (diplomatie secrète), la
"concertation" n'a cessé de fonctionner entre le gouvernement et les
dirigeants des centrales et organisations syndicales.
Les dirigeants de l'UNEF-ID et l'UNEF-SE
ont mis autant d'obstacles qu'il est possible à la réalisation de la grève
générale des étudiants, ils se sont refusés à y appeler, ils ont contribué à ce
que le mouvement ne s'organise pas, ne se centralise pas à l'échelle nationale,
ne se dote pas d'une direction à ce niveau, comme l'avaient fait les étudiants
en novembre-décembre 1986. Les dirigeants des
centrales ouvrières (FO et CGT), de la FSU et de l'ex-FEN ont également tout
fait pour que le mouvement se dissolve, et ne fasse pas sa jonction avec la
classe ouvrière. Ainsi de la manifestation du 17 mars à laquelle ils appellent
à 15 heures… en omettant d'appeler la classe ouvrière à la grève générale pour
y participer ; ainsi de leur "soutien" de "principe"
aux manifestations des lycéens et des étudiants.
La direction de la CGT et ses alliés permanents ou d'occasion n'ont pas hésité à utiliser les techniques de la diversion
et de la contre-mine. Le samedi 26 mars (alors que dans la lutte pour
l'abrogation des décrets instituant les CIP le moment est décisif), les
directions de la CGT, de la FSU, de l'UNEF-ID, de l'UNEF-SE publient une déclaration que "L'Humanité" du 28 mars résume de cette façon :
«"La situation exige de donner un nouveau temps fort à une action
convergente". Elles soutiennent donc "toutes les initiatives d'ores
et déjà décidées, dont la journée du 31 mars, dont elles appellent à la
réussite, et elles déclarent que la perspective d'une journée nationale
d'action unitaire avec arrêts de travail et manifestations début avril est
désormais posée". "Cette journée, poursuit la déclaration, est
ouverte à toutes les organisations syndicales et associations pour exiger le
retrait du CIP, le droit à la formation et sa reconnaissance, le droit à
l'emploi pour tous et des salaires décents". Elles appellent à une réunion
unitaire, aujourd'hui, pour arrêter des décisions communes. "L'action de
tous doit être puissante et la participation de chaque individu et organisation
ne peut être que facteur de succès", conclut la déclaration.»
La date de cette "journée d'action avec grèves et manifestations" est
fixée au… 7 avril.
La victoire remportée dans la lutte contre les CIP est aussi une victoire
contre la "participation", la "concertation", les appareils
syndicaux et leur politique.
provocations
Cette victoire a été
remportée en dépit de la provocation politiquement et systématiquement
organisée. Qu'au cours de manifestations lycéens et étudiants lancent des
pierres et autres projectiles sur les CRS et autres "forces de
l'ordre" n'est pas un phénomène nouveau. Quiconque a participé, en mai-juin 68 par exemple, à ce genre de manifestations
devrait le savoir. La jeunesse exprime ainsi sa haine de la société, de
l'ordre, du gouvernement, de l'État bourgeois. Cette haine était déjà grande en
1968. Elle est forcément encore plus grande aujourd'hui où la décomposition de
la société bourgeoise a des conséquences angoissantes pour l'ensemble de la
jeunesse, conséquences d'autant plus dramatiques qu'elles atteignent les
secteurs de la jeunesse appartenant aux milieux les plus exploités ou sans
travail du prolétariat, en ces véritables ghettos que sont les grands ensembles
peuplés, notamment d'émigrés. Par contre, il n'est pas dans la tradition des
manifestations étudiantes et lycéennes de "casser" systématiquement
des devantures, de piller des magasins, de détruire, d'incendier des voitures.
A l'évidence les "casseurs" ont été utilisés pour tenter de
discréditer et détruire les manifestations lycéennes et étudiantes. Leur
provenance est sans doute diverse. "Libération" des 26 et 27 mars
rapporte :
«Derrière la gare de Lyon deux vitrines volent. "C'est le marchand de
journaux, on lui avait bien dit de fermer" crie la boulangère. En arrivant
à Nation, celle d'un coiffeur et d'une pharmacie éclatent
à leur tour. "J'ai tout vu" explique un employé de la RATP "un
type a balancé un pavé et puis il est reparti sur la place tranquillement au
milieu des policiers. Je suis sûr que c'en est un". "Moi j'en ai vu
un autre qui a balancé une pierre et qui s'est fait arrêter. Il est tout de
suite ressorti du camion avec un brassard" dit un responsable d'une
association installé sur le boulevard.»
pasqua à l'œuvre
Il est incontestable que le
chômage, la misère, "l'exclusion sociale", comme disent certains,
sont à l'origine du développement de la lumpénisation
dans les milieux les plus défavorisés, les ghettos. Mais qui ne sait que les lumpens sont généralement infiltrés par la police et à
l'occasion manipulés ? L'ancien chef du SAC, le
ministre actuel de l'Intérieur, Charles Pasqua a affirmé, la main sur le cœur,
au cours d'une conférence de presse tenue le 1er avril, que Place
Denfert-Rochereau le 31 mars, la police et les CRS ne sont pas intervenus avant
un long délai pour ne pas frapper, blesser, voire tuer d'innocents
manifestants, et que c'est pourquoi les "casseurs" ont pu opéré ainsi
qu'ils l'ont fait. Mais il a clarifié beaucoup de choses en posant la
question : «Doit-on laisser
manifester dans le cœur des villes ou trouver une autre solution ?».
Par ses déclarations fracassantes, un gigantesque déploiement policier,
l'infiltration de 800 policiers en civil (le 25 mars à Paris) parmi les
manifestants, Pasqua a voulu intimider, effrayer les lycéens et les étudiants.
Il faut convenir que l'énorme bruit médiatique fait à propos des
"casseurs" ne pouvait qu'aller dans le même sens, de même que les
lourdes condamnations frappant ceux qui ont été arrêtés pour délit de
manifestation. Cependant Pasqua voit plus loin : interdire les
manifestations ou pour le moins les parquer loin des villes.
responsabilités politiques des dirigeants syndicaux
Dans cette affaire des
"casseurs", la responsabilité des appareils des organisations
ouvrières, particulièrement des organisations syndicales est totale. Il leur
suffisait de mettre réellement leurs services d'ordre au service des
manifestations lycéennes et étudiantes pour que les "casseurs"
disparaissent. Plus encore : peut-on imaginer un seul instant que la
poignée de "casseurs" puisse opérer lorsque les manifestations ont
l'ampleur de celle du 13 mai 1968 ou du 16 janvier 1994 ? Non. Mais cela
dépend naturellement de la mobilisation et de l'entrée en action des gros
bataillons du prolétariat à quoi s'est opposée la politique des appareils
syndicaux. C'est dans ces conditions que la provocation systématique a pu
jouer.
balladur poursuit la guerre contre le prolétariat et la jeunesse
Le gouvernement Balladur, le
gouvernement RPR-UDF, vient de perdre en trois mois deux grandes batailles
politiques. Il est déstabilisé. Ces défaites font apparaître au grand jour les
antagonismes existant au sein de la majorité à l'Assemblée nationale et de ses
composantes, le RPR et l'UDF. Le gouvernement Balladur, le RPR, l'UDF, toute la
bourgeoisie ont la hantise de mai-juin 1968, de novembre-décembre 1986. Il craignent que le puissant
mouvement des enseignants, des travailleurs, des jeunes qui a culminé avec la
manifestation du 16 janvier et celui des lycéens et des étudiants du mois de
mars, soient les prodromes d'un déferlement du prolétariat et de la jeunesse
qui emporterait le gouvernement Balladur et modifierait profondément la
situation politique française. Pourtant le gouvernement RPR-UDF poursuit, même
si c'est cahin-caha, sa guerre contre le prolétariat et la jeunesse.
Depuis vingt ans le régime capitaliste est aux prises avec une crise récurrente
marquée de phases aiguës. En temps de crise c'est une exigence du mode de production
capitaliste que de faire chuter la valeur de la force de travail. Cette
exigence est d'autant plus impérative que la crise devient aiguë et aussi qu'il
s'agit de pays qui sont des anneaux faibles de la chaîne capitaliste. Le
capitalisme français n'est pas sorti de la phase aiguë, ouverte en 1990, de la
crise du système capitaliste. De toute façon l'impérialisme français est
décadent. Pour tenter de se maintenir en Europe et dans le monde, il doit
surexploiter, pressurer le prolétariat français. Tout gouvernement au service
du capital se situe forcément sur une orientation de combat contre le
prolétariat et la jeunesse en baptisant "réformes", pour les
camoufler, ses attaques contre eux. Le gouvernement Balladur doit poursuivre sa
guerre contre le prolétariat et la jeunesse.
et toujours : la "loi quinquennale (dite) pour l'emploi"
D'ailleurs, dans le même
temps où il capitulait sur l'abrogation des décrets instituant les CIP, il
mettait en place un système qui va aussi dans le sens de la baisse des salaires
nominaux. Donner une prime de 1000 francs et même 2000 francs par mois pendant
neuf mois aux entreprises concluant un contrat de travail de 18 mois avec de
jeunes étudiants de niveau bac + 2, c'est inciter le patronat à abaisser d'autant
les salaires de base de référence dans les différentes branches avec
répercussion sur l'ensemble des salaires. Au cours du débat du 5 avril à
l'Assemblée nationale, le gouvernement a réaffirmé sa détermination à
poursuivre l'application de la "loi quinquennale (dite) pour
l'emploi". Cette application devrait être effective d'ici "un mois et
demi", lorsque tous les décrets auront été publiés, après leur
"négociation" avec les "partenaires sociaux". Au 31 mars, à
peine un quart des textes prévus ont été "finalisés". Fin mars Michel
Giraud a envoyé aux "partenaires sociaux" quatre nouveaux projets de
décrets. Ils concernent les "groupements d'employeurs", le contenu du
rapport annuel d'information au Comité d'entreprise, le cumul des heures de
délégations des représentants du personnel au sein d'une structure unique dans
les entreprises employant moins de 200 personnes, la durée hebdomadaire du
travail.
L'un des décrets les plus importants concerne la durée hebdomadaire du travail.
"Libération" du 29 mars en donne l'aperçu suivant : (…)
l'exemple d'air france
Et les directions des
confédérations "négocient" ça ! Comme elles
"négocient" avec le patronat sur "la formation
professionnelle" et "l'alternance" école-entreprise.
Dans tous les cas, elles "négocient" les revendications du
gouvernement et du patronat, l'élaboration et la mise en application de la
politique gouvernementale et patronale. C'est ça la "participation",
la "concertation" au cours de grandes réunions organiser par le gouvernement
comme celles du 6 septembre et du 3 mars, ou dans le cadre des multiples
organismes ad-hoc.
L'exemple d'Air France est là, terriblement démonstratif. Au mois de novembre
les dirigeants syndicaux ont liquidé le mouvement spontané des travailleurs de
cette entreprise : le plan Attali de "rationalisation" ne
comptait plus, un nouveau plan allait être mis sur pied dans la
"concertation", cela sous la houlette du nouveau PDG Christian Blanc.
Ce qui fut fait. Le nouveau plan est là. Voici ses grandes lignes : l'État
versera 20 milliards de francs en trois ans ; il y aura 5 000
suppressions d'emplois au cours de ces trois ans ; la compagnie sera
réorganisée, décentralisée ; chaque centre sera soumis à
"l'obligation de résultats" ; les salaires et l'avancement
seront bloqués pendant trois ans ; les salariés qui le voudront pourront
convertir une partie de leur salaire en actions ; le temps de travail
devra être pleinement utilisé ; les règles statutaires et conventionnelles
qui régissent les personnels seront remises à plat, etc…
Blanc a prévenu : si l'unanimité des représentants syndicaux ne signe pas
le nouveau plan, celui-ci sera soumis pour référendum au personnel. Après avoir
participé jusqu'au bout aux "négociations", les dirigeants de la CGT,
de la CFDT, du SNPL (pilotes de ligne), du SNPNC, du SUNAC et du SPAC
(navigants et commerciaux) et du SNOMAC (mécaniciens de bord) ont refusé de signer. FO (syndicat majoritaire), la CFTC, la
SNMSAC et l'USAF ont donné leur aval. Le référendum a
commencé. Il intervient cinq mois après que la grève des travailleurs d'Air
France ait été disloquée par les directions syndicales, mois pendant lesquels
toutes ont participé à l'élaboration du plan Blanc. Aucune perspective de
combat n'est ouverte au personnel, combat dont le premier point devrait être le
boycott du référendum. Il est à craindre qu'une majorité se résigne à voter
oui.
le combat pour l'abrogation de
la "loi quinquennale (dite) pour l'emploi"
reste possible
Malgré tout le gouvernement
Balladur est marqué indélébilement par les deux défaites politiques qu'il vient
de subir. Un processus est engagé. Il peut, à plus ou moins longue échéance, se
développer en une puissante vague ouvrière. Une attaque précise du gouvernement
et du patronat peut être l'étincelle qui fait éclater le baril de poudre. Le
gouvernement va s'efforcer d'éviter cette éventualité. Par exemple, il est
évident qu'une mobilisation générale pour l'abrogation de la "loi
quinquennale (dite) pour l'emploi" reste possible. Mais le gouvernement
Balladur va tenter de l'éviter en ayant recours encore plus que par le passé à
la "participation", à la "concertation". "Le
Monde" du 7 avril relève :
«M. Balladur a affirmé aussi que l'application générale de la loi quinquennale
sera effective "d'ici un mois et demi", une fois tous les décrets
parus. Il a précisé qu'il avait demandé qu'on vérifie très soigneusement
désormais que les intéressés sont informés préalablement,,
peuvent donner leur avis, bref que les choses peuvent se faire dans la
concertation.»
Préparer le combat victorieux pour l'abrogation de la "loi quinquennale
(dite) pour l'emploi" implique de revendiquer des dirigeants des centrales
syndicales, des fédérations, des syndicats qu'ils rompent avec la
participation, la concertation, qu'ils quittent les organismes où elles
s'exercent, qu'ils refusent de participer à toutes les réunions de ce genre, en
bref, qu'ils rompent avec le gouvernement et le patronat et cessent de
"négocier" leurs revendications. Dès lors que cette rupture aurait
lieu, le Front Unique des organisations syndicales pour l'abrogation de la
"loi quinquennale (dite) pour l'emploi" se réaliserait facilement de
même que la mobilisation et un combat réel pour cette abrogation. Il en
résulterait une nouvelle défaite pour le gouvernement Balladur. Mais cette
défaite serait pour lui irrémédiable et elle ouvrirait au prolétariat et à la
jeunesse la perspective d'un autre gouvernement, celui du Front Unique des organisations
ouvrières. Cette perspective est nécessaire.
une perspective nécessaire
En effet : contraindre
le gouvernement Balladur de mettre au rancart la loi Bayrou, d'abroger les
décrets instituant les CIP était indispensable, comme il est nécessaire
d'imposer l'abrogation de la "loi quinquennale (dite) pour l'emploi".
Mais cela ne résout pas les problèmes auxquels sont confrontés le prolétariat
et la jeunesse. Ils subissent toujours, et de plus en plus brutalement, les
conséquences de la crise du régime capitaliste, de la décadence de
l'impérialisme français : chômage, aggravation des conditions d'existence
et de travail, misère jusqu'à la marginalisation sociale. Soit dit en passant,
il n'y a pas de solution au chômage des jeunes, en dehors d'une liquidation du
chômage dans son ensemble ; ceux qui le prétendent sont des mystificateurs.
La solution de ces questions exige qu'un plan de production, répondant aux
immenses besoins des masses, soit élaboré et réalisé sous contrôle ouvrier. Ce
n'est possible que si un gouvernement ouvrier, porté au pouvoir par l'action du
prolétariat et de la jeunesse, exproprie le capital, institue la propriété
étatique des moyens de production, la planification.
Mais les appareils des centrales syndicales, des fédérations, des syndicats
sont liés à la société bourgeoise, tout comme le PS et le PCF. Ils se portent
au secours du régime capitaliste en crise, de l'impérialisme français décadent,
c'est ce qui explique la politique qu'ils suivent, leur attachement à la
"participation", à la "concertation". Ils ne veulent pas
que le gouvernement Balladur soit chassé du pouvoir. A plus forte raison
redoutent-ils que la lutte de classe du prolétariat, l'action de la jeunesse se hissent au niveau de la lutte pour le pouvoir, que ne
s'engage un processus dont le terme serait la venue au pouvoir d'un
gouvernement ouvrier. Ils craignent que la réalisation du Front Unique des
centrales syndicales (a l'écart duquel le PS et le PCF ne pourraient pas
rester) aboutisse à ce que le mouvement des masses porte au pouvoir un
gouvernement du Front Unique des organisations ouvrières, sans ministres
représentants des organisations et partis bourgeois, gouvernement qui serait
confronté aux revendications et aspirations du prolétariat et de la jeunesse.
Voilà pourquoi ils ne veulent pas rompre avec le gouvernement actuellement au
pouvoir et le combattre.
puissance et limite de la spontanéité
La spontanéité des lycéens et
des étudiants a malmené les appareils syndicaux, comme les aspirations des
enseignants, des travailleurs, des jeunes les a durement secoués dans le combat
contre la loi Bayrou. Jusqu'à un certain point, les uns et les autres ont pu
utiliser les organisations syndicales. Ainsi l'appel à manifester le 17 mars,
saboté par ceux qui l'ont lancé, a été utilisé par les lycéens et les étudiants
qui ont déferlé en de multiples villes, donnant une nouvelle impulsion à leurs
manifestations. Le mouvement des lycéens et des étudiants fut essentiellement
spontané. Il fait augurer des ressources de la spontanéité du prolétariat
lorsqu'elle s'exprimera pleinement dans le combat. C'est sur cette spontanéité
qu'il faut compter pour submerger les obstacles que dressent les appareils
syndicaux, le PS et le PCF, contre le mouvement des masses.
Mais il faut aussi dire les limites de cette spontanéité que le mouvement des
lycéens et des étudiants a souligné une fois encore.
Il n'a pas été capable de se structurer, de s'organiser nationalement à
l'exemple du mouvement des étudiants de novembre-décembre
1986. Les "coordinations" qui prétendaient parler en son nom étaient
en grande partie bidon. Il n'a pas su suivre une orientation exprimant
l'exigence que les organisations syndicales étudiantes, mais aussi ouvrières,
rompent avec la participation, la concertation, le gouvernement et engagent
réellement le combat pour l'abrogation des décrets instituant les CIP et
notamment que l'UNEF-ID et l'UNEF-SE
appellent à la grève générale des étudiants, etc, etc…
Puissance et limite de la spontanéité, voilà ce qu'a montré le mouvement des
lycéens et des étudiants. Il faut une politique : formuler l'exigence de
la rupture des organisations syndicales avec le gouvernement Balladur, ce qui
s'inscrit sur la ligne de la rupture des organisations ouvrières avec la
bourgeoisie ; ouvrir la perspective d'un gouvernement résultant de ce
Front Unique. Une fois de plus est apparue une contradiction qui ne sera
surmontée que par la construction du Parti Ouvrier Révolutionnaire. D'une part
seule l'initiative, la spontanéité des masses peuvent submerger les obstacles
que les appareils syndicaux, le PS et le PCF dressent sur la voie du combat
contre la bourgeoisie, ses gouvernements, son État, pour que soit porté au
pouvoir un gouvernement ouvrier. D'autre part, le prolétariat et la jeunesse,
dans le cours et le développement de leur combat ont besoin — tant que de
nouvelles organisations les rassemblant, les représentant dans leur ensemble,
ne se seront pas construites sur l'orientation de la révolution prolétarienne —
des organisations ouvrières traditionnelles, si dégénérées et traîtres
soient-elles. Elles se tourneront d'une manière ou d'une autre et selon leur
type, syndicats ou partis, vers ces organisations et s'efforceront de les
utiliser tout en étant en conflit plus ou moins ouvert avec elles. Pour
construire le Parti Ouvrier Révolutionnaire il faut exprimer consciemment ce
processus en participant au mouvement des masses, en défendant une politique et
un programme, en agissant politiquement de telle sorte que cette contradiction
se résolve positivement pour le prolétariat et la jeunesse.
Le 9 avril 1994