Article
paru dans Combattre pour le Socialisme n°82 d'octobre 2000
Où va la Russie ?
L'élection de Vladimir Poutine en mars dernier à la
tête de la fédération de Russie a ouvert une nouvelle étape politique. Appuyé
sur une nouvelle guerre réactionnaire menée contre le droit du peuple
tchétchène à l'indépendance, l'objectif de Poutine, et des couches de la
néo-bourgeoisie russe qui le soutiennent, est d'arriver à donner un pouvoir
réellement fort, capable d'assurer la stabilité politique et économique. Mais
l'élection de Poutine, la guerre contre les tchétchènes, contrairement à ce que
souhaiteraient ses promoteurs et leurs souteneurs, les grandes puissances
impérialistes, n'annonce pas l'avènement de l'ordre nouveau dans lequel
s'épanouirait, à l'abri d'un «pouvoir central» fort «l'économie de marché».
C'est que cette nouvelle étape politique s'inscrit
dans la période ouverte par la dislocation de la bureaucratie du Kremlin,
période qui n'est pas, loin s'en faut, close. La restauration du capitalisme en
Russie a créé une situation catastrophique, et d'abord pour les masses
laborieuses. Les tentatives de la flageolante néobourgeoisie russe d'instaurer
un pouvoir fort, le recul effrayant sur tous les plans d'une classe ouvrière
politiquement déboussolée s'inscrivent dans cette situation. Dégager une
orientation politique au compte du prolétariat implique de mesurer où en est
arrivée la Russie presque dix ans après la fin de l'URSS.
1ère partie -
La restauration du capitalisme: une catastrophe
Le processus de restauration du capitalisme, engagé
franchement dès 1987 avec la loi sur les entreprises autorisant leur autonomie
et leur autofinancement, a abouti à la dislocation de l'URSS en 1991. La
propriété étatique de la terre fut abolie par décret signé par B. Eltsine en
1991. La dislocation de l'URSS en août 1991 a été, à son tour, facteur de
dislocation de l'économie. Les privatisations des entreprises se sont
développées à partir de la libéralisation des prix en 1992: en 1994 déjà, près
de 70% des entreprises étaient privatisées.
La privatisation des plus grosses entreprises d'état
(particulièrement dans le domaine du pétrole et des métaux précieux) donna lieu
à des "arrangements" qui eurent pour résultat de privilégier des
anciens apparatchiks liés au pouvoir.
C'est ainsi que des empires, des immenses fortunes se sont constitués,
usant des «arguments» de la corruption et du crime.
En
même temps, ce processus de privatisation s'est accompagné d'une désagrégation
de l'économie. Depuis 1991, l'investissement n'a cessé de diminuer laissant une
infrastructure, déjà constituée d'un parc de machines pour l'essentiel
obsolète, de plus en plus à l'abandon : les accidents de Tchernobyl et, plus
récemment, du sous-marin Koursk, en
sont les expressions les plus flagrantes. Les équipements industriels
vieillissent sans être renouvelés, au point que les principales richesses que
représentent les matières premières, enjeux d'âpres et sanglantes luttes de
clans, risquent de rester inexploitées.
Le capitalisme est redevenu le mode de production
dominant en Russie, dans les pays de l'ex-URSS et dans les pays anciennement
dominés par la bureaucratie du Kremlin. Trotsky n'en avait pas écarté la
possibilité. Il qualifiait le régime soviétique de «transitoire ou d'intermédiaire»,
mais, ajoutait-il :
«cette
définition est en elle-même tout à fait insuffisante et risque de suggérer
l'idée fausse que la seule transition possible pour le régime soviétique actuel
mène au socialisme. Un recul vers le capitalisme reste cependant parfaitement
possible. » (La Révolution trahie)
C'est ce qui s'est produit. Et cela a constitué un «recul» (pour reprendre le terme de
Trotsky) considérable. Ces dernières années, la Russie a sombré dans un immense
chaos à la fois économique, social et politique, dont la classe ouvrière et la
jeunesse subissent les dramatiques conséquences. Le pays a été relégué au rang
de simple fournisseur de matières premières, dont le contrôle continue d'être
l'enjeu d'affrontements mafieux dans lesquels sont impliquées toutes les
«personnalités politiques», jusqu'aux plus hauts niveaux de l'appareil d'Etat,
en fait, pour la plupart, d'anciens membres de la bureaucratie stalinienne.
La fuite des capitaux vers l'étranger, la corruption
à grande échelle (le président de la Cour des comptes déclare : «nous avons des documents pour prouver que 10
milliards de dollars ont disparu en 1997 - le sixième du budget, Ndlr -, mais j'estime que cette somme est deux fois
plus importante»), le détournement
des fonds provenant de crédits d'instituts financiers internationaux
(FMI, Club de Paris, Club de Londres,...) témoignent de la déliquescence de
l'appareil d'Etat envers qui pourtant les différents pays impérialistes, et en
particulier l'impérialisme américain, ne pouvaient que se montrer
«compréhensifs» et apporter leur soutien sonnant et trébuchant.
Mais au-delà, cette effusion est le signe de
l'impossibilité de régénérer une économie totalement en ruine.
17 août 1998 : dévaluation
du rouble au lendemain de la crise en Asie du sud-est
Le 17 août 1998, le gouvernement alors dirigé par
Kirienko, installé par B.Eltsine en mars
1998 mais seulement investi par la Douma un mois après, est contraint de
dévaluer le rouble de 34 % par rapport au dollar. Le remboursement de la dette
extérieure est suspendu pour 90 jours. Le 23 août, B. Eltsine sacrifie Kirienko
aux députés qui demandaient sa propre «démission
volontaire». Un mois après, le rouble avait perdu 61 % de sa valeur, malgré
le remplacement de Kirienko par E.Primakov et de toute l'équipe
gouvernementale.
La Banque centrale de Russie ne dispose alors que de
12 milliards de dollars de réserve, ce qui était, de tout façon, insuffisant
pour couvrir les remboursements à court terme. Les gouvernements impérialistes
et leurs conseillers, inquiets de la tournure des événements et de leur
conséquences potentielles, envisagent un temps la mise en place d'un «conseil monétaire», autrement dit une
mise sous tutelle de la Russie ; mais ils y renoncent, car l'intervention
financière nécessaire au soutien du rouble leur coûterait trop cher. C'est du
moins ce qu'ils semblent estimer à cette étape. En fait, l'impérialisme
s'interroge s'il faut soutenir la Russie ou la laisser à elle-même.
La crise russe, après celle d'Asie de 1997, provoque
alors la chute en cascade des bourses mondiales (Wall Street : - 6,37% le 31
août, ce qui porte la perte à 19% en un mois et demi). Plusieurs fonds
spéculatifs (hedges funds) vivent un
véritable cataclysme, ayant investi massivement dans les GKO (les bons du
trésor russes).
Une crise inéluctable
Malgré le soutien politique et financier des
impérialismes, ce désastre qui touche la Russie était inéluctable. Car à
l'origine de cette crise financière, qui allait très vite se transformer en
crise bancaire, il y a l'incapacité, l'impossibilité, des gouvernements russes
successifs à maîtriser un déficit budgétaire sans cesse croissant malgré une
réduction des dépenses publiques engagée dès 1991.
Pendant toute une époque, le choix fut de «contenir»
artificiellement le déficit en faisant
tourner la planche à billets. Mais quand il devint impossible de poursuivre
dans cette voie en raison de l'inflation galopante que cela provoquait et de la
chute du rouble, des bons du trésor (GKO) furent émis à des taux
particulièrement attractifs, une mesure qui eut pour premier effet de réduire
l'inflation.
Progressivement, le remboursement des bons du trésor
représente une part croissante dans le budget de l'Etat: au premier semestre
1998, le service de la dette atteint 35% des dépenses de l'Etat. S'est formée
ainsi une spirale infernale, où les bons du trésor servaient à financer un
déficit... qu'ils contribuaient à creuser de manière toujours plus importante.
Au bout de la cavalerie financière, c'est la faillite.
En mai 1998, la Bourse de Moscou avait perdu 50 %
depuis le début de l'année en raison de la fuite des investisseurs étrangers (essentiellement
spéculatifs) qui pourtant n'étaient pas légion. Pour les retenir sur ce
marché risqué, le gouvernement russe
avait à nouveau usé de l'arme des taux d'intérêt : 63 % à fin mai 1998, alors
que l'inflation atteignait 10 %. Une véritable aubaine que beaucoup préférèrent
tout de même ne pas saisir.
C'est que l'inquiétude et la méfiance grandissaient
devant l'écart entre les faibles réserves monétaires de la Russie et l'ampleur
des échéances de remboursement des emprunts à court terme. Les principaux
impérialismes se mobilisent. Le FMI s'apprête à débloquer une tranche de crédit
de 670 millions de dollars repoussée depuis des mois et qui fait partie d'un
premier «crédit historique» de 9,2
milliards de dollars en cours depuis 1995. De plus, S.Kirienko, alors premier
ministre, demande un rééchelonnement de la dette russe, qui se monte à 34
milliards de dollars (de dettes internes et externes) à rembourser d'ici la fin
de l'année 1998, alors que la Banque centrale de Russie ne dispose que de 14 milliards
de dollars de réserve, or compris...
Mission impossible : réduire
le déficit budgétaire
En même temps, le gouvernement Kirienko s'engage à
réduire les dépenses budgétaires, ce qui devrait se traduire, en particulier,
par le licenciement de 231 000 fonctionnaires. Il avait été nommé au poste de
premier ministre pour cela, «pour rendre
les réformes économiques plus énergiques, plus efficaces, pour leur donner une
impulsion politique». En voyage à Paris le 3 juin 1998 pour plaider sa
cause quelques jours avant le G7 qui allait se tenir dans la capitale
française, S. Kirienko est reçu par Chirac puis par Jospin. Ce dernier lui
déclare :
«J'ai
plaisir à accueillir, à travers vous, avec votre jeunesse, votre dynamisme mais
aussi votre rigueur et votre compétence, la nouvelle Russie qui émerge».
Et Eltsine semble répondre en écho, depuis Moscou :
«le pire de la crise est derrière nous».
La «compétence» de S. Kirienko ne
pourra décidément rien contre la «crise»
qui est déjà bien là...
Tentant de rassembler les fonds qui lui
permettraient d'honorer les échéances de la dette, le gouvernement russe
continue d'émettre des bons du trésor - assortis de taux d'intérêt d'autant
plus élevés que le rouble est faible et la situation économique catastrophique
- pour rembourser ceux qui arrivent à échéance. Début juin 1998, ces taux sont
de l'ordre de 60 % et ne trouvent pourtant plus beaucoup d'acquéreurs. Les taux
d'intérêt atteignent même 80 % en juillet. Craignant un défaut de paiement et
ses conséquences sur le système bancaire international (les banques allemandes
sont engagées à hauteur de 200 milliards de francs et les banques françaises de
30 milliards de francs), le FMI décide, le 15 juillet, d'allouer un nouveau «prêt historique» pour la Russie,
celui-ci de 22,6 milliards de dollars, sur 1998-99, soit sur 18 mois. Du jamais
vu.
En contrepartie, il est exigé de l'état russe de
ramener le déficit budgétaire de 5,6 % en 1998 à 2,8 % en 1999. Vœu pieux, qui
ne peut être suivi d'effet en raison des rapports politiques existant en
Russie, d'un l'appareil législatif déficient, et surtout de conditions
économiques désastreuses.
Tenter de réduire d'autant le déficit budgétaire
aurait de toute manière supposé que la majorité de la Douma entérine dans son
intégralité le plan d'austérité présenté par le gouvernement. Or, elle n'en
adopte que des mesures partielles, en raison des luttes d'influence qui
opposent les différents segments issus de la bureaucratie: en réalité, les
revenus escomptés par les lois rejetées par les députés représentent le triple
de ce que ces derniers se sont contentés d'approuver. Acculé, le gouvernement
Kirienko choisit de faire passer ces textes par ordonnances, celui sur la
fiscalité faisant l'objet d'un décret signé par B. Eltsine, alors que la
majorité des députés l'avait rejeté...
Une chose est claire pour tout le monde : le
gouvernement est incapable d'imposer un plan de rigueur, ce qui provoque de
nouvelles réticences et interrogations au sein même du conseil du FMI qui
réduit la première tranche du crédit. Conséquence : de nouvelles baisses. Le 11
août, la Bourse de Moscou perd 9 % en une seule journée. Les GKO atteignent 150
% de rendement sur neuf mois. C'est la fuite en avant. A deux mois des
prochaines échéances de remboursement, tout le monde sait qu'elles ne seront
pas tenues.
Le 17 août, l'Etat se déclare en faillite : il est
incapable d'honorer sa dette de 40 milliards de dollars de bons du trésor, dont
les remboursements sont gelés (un moratoire de la dette est prononcé
provisoirement pour 90 jours ; en fait, il sera reconduit sine die le 12 octobre). Sur ces 40 milliards, 7,7 sont détenus par
les banques russes, 11,3 milliards par les «non-résidents» et 21 milliards par
la Banque centrale de Russie et les caisses d'épargne.
Les banques font faillite
Les conséquences sur le système bancaire sont
considérables. Les banques, qui se sont endettées en dollars pour acheter des
GKO, sont touchées de plein fouet. Leurs actifs sont essentiellement composés
de GKO, totalement dévalorisés : la Sberbank par exemple, qui captait près de
80 % des particuliers car c'était l'ancienne caisse d'épargne, avait 96 % de
ses actifs liquides placés en GKO... Ces actifs comprennent aussi des actions
russes, en chute de 70 % depuis le début de l'année 1998.
Les banques russes ont emprunté des dollars aux
banques étrangères pour constituer leur portefeuille: ces engagements
représentent parfois près du triple de leurs actifs. Cette fragilité extrême
est l'une des raisons qui pousse l'état russe à chercher à différer la
dévaluation du rouble.
Après la dévaluation du rouble et malgré le
moratoire sur la dette qui était censé aidé les banques à se refaire une santé,
le seul «plan de sauvetage des banques»
que le gouvernement (c'est alors E. Primakov qui est venu remplacer S.Kirienko)
mettra au point consiste à imprimer de la monnaie, afin de ranimer le secteur
bancaire complètement paralysé. «Nous devons injecter de l'argent dans le
système» déclare le 17 septembre 1998 A. Kozlov, l'un des responsables de
la Banque centrale.
La BCR (la Banque centrale de Russie), imprimera
donc des roubles (50 milliards) pour tenter de limiter les effets de la crise
bancaire et de la crise sociale. Du coup, l'inflation atteint 250 %.
A la fin du moratoire de la dette, en novembre 1998,
le système bancaire est en totale faillite. Il n'en reste «à peu près rien. A l'exception de 99 banques moyennes, aucune ne pourra
honorer ses engagements». C'est ce qu'en pense rien moins que le
responsable de la Commission parlementaire sur la législation bancaire, I.
Medvedev.
En fait, il est officiel que plus de la moitié des banques
va disparaître ; elles détiennent à elles seules 1/3 des dépôts des
particuliers. L'autre moitié, bien souvent des établissements sélectionnés en
fonction des relations que leur dirigeants entretiennent avec le pouvoir, ou de
l'influence qu'ils peuvent avoir sur lui, sera aidée par l'argent imprimé...
qui sera à nouveau investi sur le marché des changes... (le prétexte officiel
était de leur permettre de rembourser leurs clients lésés).
Démonétisation de l'économie
et fiscalité déficiente
La préoccupation est donc de réduire ce déficit
budgétaire ; pour cela, une priorité : faire rentrer l'impôt. Mais les plus
grands groupes ne le payent pas. Les impayés atteignent jusqu'à 36 % du PIB en
1997. Gazprom par exemple, qui était en 1997 l'un des plus grand monopole au
monde et qui était détenu à hauteur de 40,9 % par l'état russe (le vrai patron
en était V.Tchernomyrdine qui fut premier ministre durant cinq ans), devait 12
milliards de roubles (selon les services fiscaux).
A cela, s'ajoute une corruption à tous les niveaux
qui encourage les passe-droits et les détournements de fonds dans lesquels ont
été impliqués jusqu'aux responsables de la Banque centrale et au ministre des
finances.
Mais au-delà des détournements de fonds, des
dissimulations, des «remises spéciales», de la fuite des capitaux, se trouve un
problème, fondamental, structurel, qu'aucun plan de rigueur ne saurait
résoudre. La raison principale qui explique le déficit des rentrées fiscales
est que l'activité économique est réduite à rien; de ce fait, la base d'une
quelconque fiscalité est inexistante.
L'absence d'investissements productifs, le non
renouvellement des infrastructures se font au profit de marchés plus rentables
comme celui des échanges monétaires, des matières premières ou encore de
placements dans les pays capitalistes plus sûrs.
Au contraire, l'économie parallèle, «grise», le
troc, se sont considérablement étendus. Selon la Cour des comptes fiscales
russe elle-même, les recettes fiscales catastrophiques de 1998 (8,68% du PIB
contre une moyenne de près de 30% dans les autres pays) s'expliquent par «la croissance de l'économie parallèle qui
permet à 100-120 milliards de roubles d'échapper au fisc annuellement». 10%
des transactions inter-entreprises se faisaient en nature en 1992, 47% à fin
juin 1998 et de 50% à 70% selon les estimations en août 1998, et même au-delà par la suite, comme le
reconnaît le gouvernement lui-même; c'est un phénomène qui va jusqu'à toucher
les transactions entre l'état et les entreprises. Autant de transactions qui
échappent à l'impôt.
Ainsi, au cours du premier semestre 1998, les
clients de Gazprom en Russie n'ont payé en liquide que 14% des livraisons de
gaz... Après la crise d'août, Gazprom elle-même paiera une partie de ses dettes
d'impôts au gouvernement avec des produits alimentaires, cette entreprise ayant
elle-même conclu des accords de troc avec la Biélorussie...
«Les
fonctionnaires, les mineurs et le personnel de santé sont payés avec retard ou
pas du tout ; les ouvriers sont au mieux rémunérés en nature, au gré de ce que
leur entreprise produit (à eux d'écouler ensuite, comme ils le peuvent,
soutien-gorge, saucissons, allumettes ou casseroles) ; les retraités - parmi
les plus chanceux - se voit proposer des cercueils en règlement de leurs
arriérés de pension ; la plupart des entreprises règlent leurs dettes en
marchandises, tandis que l'administration fiscale de la région de Samara
(région de la Volga, au sud de la Russie) autorise les contribuables, depuis
cette année, à régler 30 % de leurs impôts sous forme de " biens" ,
sans parler de ce cinéma de la région de l'Altaï, en Sibérie, qui délivre des
places contre deux œufs ! ”
(Le Monde du 26 août 1998).
Et la faillite du système bancaire ne fait
qu'encourager cette démonétarisation de l'économie.
«Le
rouble est devenu une monnaie-fantôme
qui n'irrigue plus qu'une faible partie de l'économie russe. Plusieurs
et entreprises ont d'ailleurs sauté le pas en développant des monnaies de
substitution : ce sont des "vouchers", un système sophistiqué de
lettres de crédit inter-entreprises ou, plus simplement, des bons d'achat de
papier largement distribués aux salariés qui ne peuvent plus être payés ou aux
retraités dont la pension n'est pas versée.» (Le Monde du 7-8 mars 1999). Une
situation qui ne peut conduire qu' à l'asphyxie.
Tout cela rend impossible la réussite de tout
programme visant à réduire le déficit budgétaire, ce qui ne fait que ruiner la
confiance des «investisseurs» étrangers.
Comment se sortir de cette impasse ? Primakov, nommé
premier ministre le 10 septembre 1998, fait dire à l'un de ses conseillers :
«pour
sortir progressivement d'une économie de troc, il n'y a pas d'autre moyens
qu'une émission monétaire ; les impôts pourront alors être payés en argent
vivant. Nous avons le choix entre une démonétarisation de l'économie, avec un
effondrement de la production et du budget ,
et une émission dirigée et réfléchie» (L. Abalkine, Nezavissimaia
Gazetta).
Entre la peste et le choléra...
Un système gangrené
Le «pouvoir central», qu'un segment de l'ancienne
bureaucratie du Kremlin a accaparé à son profit, est faible, malgré une constitution
taillée sur mesure pour B. Eltsine, premier président de la république, élu en
1991 et réélu en 1996. Ce pouvoir est faible en raison des compromis qu'il doit
passer en permanence avec d'autres segments de la bureaucratie afin de
s'assurer de leur soutien. Ce pouvoir est faible car en permanence menacé par
ces autres segments. Ces derniers ne sont pas réduits à néant, bien au
contraire. Ils détiennent des pouvoirs locaux, régionaux, autant de forces
centrifuges tendant à la dislocation de la fédération de Russie. Les
répercussions de l'éclatement de la bureaucratie du Kremlin sont loin d'être
terminées.
Plus encore : les mafias, leurs méthodes et leurs
tueurs, sont totalement intégrés aux structures politiques dans lesquelles
elles jouent un rôle majeur, jusqu'au sommet ; elles ont la main sur une bonne
part de l'activité économique,
bancaire. «Les mafias russes contrôlent 40 000 sociétés et 550 banques, dont
les 10 plus importantes», a pu déclarer un responsable de la lutte contre
la criminalité. La mafia est inhérente au système, elle vit en osmose avec lui.
A un appareil législatif inconséquent et à une
administration fiscale corrompue, s'ajoutent des relations politiques, des
«marchés» avec les députés et les gouverneurs des régions dans le but de
bénéficier de leur soutien. Par exemple, B.Eltsine, lors des élections
présidentielles de 1996, avait dû consentir à des remises fiscales pour se
faire des gouverneurs des régions des alliés, sinon des amis.
Tendances à la dislocation
Nommé premier ministre par B. Eltsine sous la
contrainte de la majorité de la Douma puis investi par la Douma le 11 septembre
1998, E Primakov, ancien dirigeant du FSB (ex-KGB) puis ministre des affaires
étrangères, déclarait qu'il y avait «un
sérieux danger d'éclatement» de la Fédération de Russie qui compte 89
régions.
La crise d'août 1998 a exacerbé en effet les
tendances à la dislocation. 60 régions, sur 89, endettées, devaient rembourser
leurs dettes en dollars, dont les 2/3 à des «investisseurs étrangers». A ce
propos, il convient de citer un correspondant du Wall Street Journal qui relate que, pour rembourser, «ils ont offert des chaises de dentistes, des
cages d'oiseaux, des jouets, des tables à repasser, des clous et un tas de
produits agricoles».
De plus, de nombreuses régions avaient émis leur
propres bons du trésor, dans la plus parfaite illégalité. Plusieurs gouverneurs
refusaient de payer l'impôt au «pouvoir central», prétextant leur dettes à
rembourser, et profitant de l'occasion pour détourner ces fonds un peu plus.
Nombre d'entre eux avaient d'ailleurs déjà choisi de ne plus envoyer
l'intégralité des recettes fiscales au pouvoir central.
Autre élément révélateur des forces centrifuges à
l'œuvre: des titres de paiement parallèles, les veksels, apparaissent. De part leur nature, ils échappent au
pouvoir central et sont soustraits à l'impôt.
Mais la crise de l'été 1998 ne fait qu'exacerber ces
tendances à la dislocation de la Fédération de Russie qui étaient déjà à
l'œuvre bien avant. Les pouvoirs régionaux constituait en effet autant de
baronnies auxquelles le pouvoir central était régulièrement amené à faire des
concessions pour conserver leur soutien. Les affrontements entre le président
de la république, les gouvernements successifs, la Douma (chambre basse du
parlement) et le Conseil de la Fédération (chambre haute, l'équivalent d'un
Sénat) ne sont pas l'expression d'autre chose. Une tendance à la dislocation
que les différents gouvernements ne sont pas parvenus jusqu'ici à contenir, et
qui menace de provoquer l'éclatement de la Fédération de Russie. Aucun
gouvernement n'est jusque là parvenu à se libérer de cette contradiction:
s'appuyer sur les pouvoirs locaux et donc les ménager d'une part, tout en
cherchant à construire un pouvoir central fort d'autre part. Mais pour cela,
les bases économiques font défaut. Seul le soutien de l'impérialisme empêche la
"maison Russie" de s'effondrer totalement. En retour, la seule place
qui lui est promise est celle d'un comptoir colonial.
Au rang de simple
fournisseur de matières premières
Après la dislocation de l'URSS, l'appareil productif
de la Russie, en grande partie détruit ou obsolète, n'est pas renouvelé. En
1998, les investissement productifs ne sont que le 1/5 de ce qu'ils étaient en
1991... Toutes les branches industrielles se sont réduites jusqu'à 70% de ce
qu'elles étaient en 1991. Et la situation des ex-Républiques de l'URSS
(Ukraine, Biélorussie...) ne vaut guère mieux.
La Russie continue de compter sur la scène
internationale en raison de la place politique que l'URSS a occupée mais aussi
des matières premières (principalement le gaz et le pétrole) dont elle est
riche. Dans l'économie mondiale, dont elle est, de ce fait, étroitement
dépendante, elle occupe désormais la place de fournisseur de matières
premières, au même titre qu'un pays semi-colonial (que les économistes
désignent sous le vocable "tiers-monde") qui exporte des matières
premières et importe des produits manufacturés. Il suffit de constater que les
recettes liées à la vente du gaz et du pétrole représentaient, en 1998, 50 %
des recettes à l'exportation.
La richesse en pétrole, gaz, métaux précieux attise
toutes les convoitises, des impérialismes et des anciens bureaucrates
transformés en «oligarques». L'ex-monopole pétrolier d'état, divisé à la suite
de la dislocation de l'URSS en une douzaine de sociétés, se trouvent à la base
des empires financiers et médiatiques. Pour le gaz cependant, son exploitation
reste du ressort de Gazprom, monopole d'état semi-privatisé, dont il a déjà été
question plus haut.
Les différents clans issus de la bureaucratie se
disputent le contrôle de ces matières premières, les moyens de les extraire et de
les exporter, ou de les négocier avec les consortiums anglo-américains
principalement.
Valse des premiers ministres
En
mars 1998, V. Tchernomyrdine, l'«ami du
directeur du FMI» (c'est ainsi qu'il aime parler de lui) et véritable
patron de Gazprom est limogé du poste de premier ministre, fonction qu'il
occupe depuis 1992. Avec lui, sont également congédiés A. Tchoubaïs (le «moteur des réformes») et A. Koulikov,
ministre de l'intérieur, surnommé le «boucher
de la Tchétchénie» (de la première guerre). Ce n'est certainement pas cet
état qui lui valut son éviction, mais le fait qu'il s'était depuis peu
rapproché de Loujkov, maire de Moscou, adversaire déclaré de B. Eltsine et
prétendant à sa succession.
Le
24 avril, Eltsine impose à la Douma la nomination de S.Kirienko, en menaçant,
en cas de refus, de dissoudre la chambre. Aussi, le 24 avril, la Douma se
prononce-t-elle sur son propre avenir en se prononçant sur l'investiture de S.
Kirienko. Ce dernier jeune et néanmoins devenu banquier après la perestroïka,
inconnu mais ami de B. Nemstov (individu donné alors comme l'«héritier» de B.
Eltsine), est tout juste approuvé par les députés lors de ce vote (après deux
refus). B.Nemstov devient vice-premier ministre et Primakov, général-colonel du
FSB (ex KGB), est reconduit aux Affaires étrangères. Le gouvernement comprend
aussi S. Stepatchine, ancien chef du FSB (ex-KGB), comme ministre de
l'intérieur. Lui-même comme E. Primakov sont promis à d'autres destinées.
Le
gouvernement Kirienko ne résistera pas à la crise financière qui aboutit au
dépôt de bilan du 17 août 1998. Il aura duré 4 mois.
Le 25 août, B. Eltsine revient à ses premières
amours et (re)nomme V. Tchernomyrdine comme premier ministre. Les Izvestias du 25 août commentent avec
réalisme :
«Ce
n'est pas un changement de monture au niveau du gué, c'est un échange de
parachute au moment du saut dans le vide».
Mais l'assemblée des députés refuse cette fois-ci
d'entériner le retour de V. Tchernomyrdine. Et B. Eltsine ne prendra pas le
risque d'une dissolution de l'assemblée des députés, suivie d'élections
législatives anticipées, dans une situation où les conséquences de la crise
bancaire et financière, avec ses répercussions économiques, se font durement
sentir pour les masses.
Sous la pression de la majorité des députés, il
finit par nommer E. Primakov premier ministre le 10 septembre 1998.
C'est-à-dire qu'entre le 23 août, date à laquelle V.Tchernomyrdine fut nommé
premier ministre par intérim, et le 10 septembre, la Russie connut une sorte de
vide politique qui vint ajouter au chaos déjà décrit, «à la nuit la plus noire»
selon les mots de que B. Clinton lui-même lors de sa visite à Moscou début
septembre.
Navigation à vue
E. Primakov, ancien membre du CC du KPFR puis chef
des services secrets de 1991 à 1996, est avant tout l'homme des «ministères de forces » (Armée, Intérieur, FSB). Cet homme présenté comme proche
du KPFR (et en tout cas soutenu par ce parti) déclara, dans son discours
d'investiture le 12 septembre 1998, qu'il «fera
tout pour que les réformes continuent ». Pour être bien clair sur ses
intentions, il précisa, à l'attention de l'impérialisme : “ La poursuite des réformes sera garantie, que
personne n'en doute ». Il ajoute :
«La
Russie ne refusera pas de respecter ses engagements, nous payerons toutes nos
dettes. La Russie n'est pas un pays à se déclarer en faillite et ne sera jamais
en faillite ».
Belles déclarations, auxquelles personne ne croit.
Car le gouvernement Primakov n’a aucune stratégie,
même à court terme. Personne ne sait ni où ni comment il trouvera les moyens de
payer la dette extérieure de la Russie qui se monte au total à 145 milliards de
dollars (la Russie ne dispose que de 12 milliards de dollars de réserve en cet
automne 1998).
La «solution» trouvée, consiste en «une émission monétaire». Toujours la
fuite en avant.
C'est aussi la seule solution trouvée pour promettre
de payer quelques arriérés de salaires, de pensions et la solde des militaires,
promesse qui ne sera que très partiellement tenue quelques mois plus tard. Les
déclarations contradictoires se multiplient à propos du montant de «l'émission monétaire», tous faux : le
vice-premier ministre, le ministre des finances, E. Primakov lui-même ne disent
pas la même chose, quand ce n'est pas le même individu qui une chose et son
contraire.
Cette fuite en avant est l'expression de l'impasse
dans laquelle se trouve le nouveau gouvernement, qui bénéficie pourtant du
soutien de la majorité de la Douma. D'ailleurs, le 28 septembre, il n'est
toujours pas formé. Pire, le vice premier ministre chargé des finances
démissionne au bout de 15 jours de fonction.
Et c'est seulement près d'un mois et demi après sa
nomination, le 20 octobre, qu'il annonce «un
programme économique». En fait, il
s'agit d'un «plan anti-crise qui ne contient aucune mesure concrète, ne fixe
pas les priorités et ne donne aucun chiffre, si ce ne sont des pronostics sur
l'inflation qui ne sera, à mon avis, pas contenue dans la limite des 30 %
connus en 1999» déclare G. Iavlinski (dirigeant du parti bourgeois
Iabloko). L'avis d'un connaisseur.
En fait, personne ne sait quoi faire. La situation
ne s'améliore pas, bien au contraire. 6 mois après la dévaluation du rouble, la
monnaie nationale est de plus en plus remplacée par le dollar dans les échanges
monétaires et la démonétarisation s’accentue : multiplication des lettres
de changes, impayés toujours plus importants malgré les promesses faites par
Primakov en septembre, troc toujours plus importants, y compris dans les
transactions entre l’Etat et les entreprises. Un processus de désintégration
qui s’accentue et qui menace toute la fédération de Russie. Mais on n’assiste
pas à un développement de mouvements d’indépendance, hormis en Tchétchénie
principalement. De plus, l'état de l'armée ne peut lui permettre de servir de
base à un «pouvoir central » fort.
Une armée décomposée
L’armée est dans un état déplorable. Comment en
serait-il autrement alors que, en 1998, le budget militaire de la Russie avait
été divisé par 14 depuis 1991 ? L'accident survenu au sous-marin Koursk témoigne de l'état déplorable des
installations militaires. La presse rapportait que la flotte de la mer Noire
subissait des coupure de courant dans l'Ukraine voisine, à Sébastopol, pour non
paiement des factures d'électricité... Les soldats ont pour instruction de
s'adonner à la chasse et à la cueillette pour s'alimenter...
Désorganisée, clochardisée, éclatée entre les 12
républiques de l'ex-URSS qui composent désormais la CEI, l'armée russe est
aussi victime de pillages. Des milliers de véhicules, des tonnes d'armement
sont détournées, vendues y compris à l'ennemi comme cela fut à maintes fois
relaté lors des deux guerres menées contre la Tchétchénie.
Mal nourris, sans éducation, les soldats qui se
retrouvaient au service militaire (car beaucoup parviennent à y échapper)
étaient utilisés pour la maintenance et le nettoyage, laissant les forces
spéciales et les volontaires combattre.
La réforme de l'armée annoncée par B. Eltsine et que
V. Poutine semble déterminé à conduire à terme, de manière à constituer une
force de maintien de l'ordre, rapide, mobile, bien organisée, à même
d'intervenir rapidement dans telle ou telle région de Russie, a bien du mal à
se faire.
Des conditions de vie
catastrophiques pour la classe ouvrière et la jeunesse
La destruction de l'appareil productif ou son non
renouvellement, les privatisations, ont des conséquences dramatiques sur la
classe ouvrière et la jeunesse russes, pour qui survivre est devenu un problème
quotidien.
L'OMS (Organisation mondiale de la santé) constate
une «détérioration dramatique de l'état
de santé publique en 1998 ». Le manque d'équipements, la mauvaise
alimentation, la pollution, le tabagisme, l'alcoolisme, le sida, ajoutés à la
privatisation des soins et aux coupes budgétaires, ont entraîné une chute
catastrophique de l'espérance de vie (depuis 1991, de 69 à 58 ans pour les
hommes) tandis que le taux de natalité a chuté de 14,7 % à 9,5 %..
La chute de la production (divisée par deux par
rapport à celle de l'URSS) a entraîné l'exclusion de couches entières du marché
du travail. Officiellement, il y avait 3,5 millions de chômeurs en 1992, 6
millions en 1995 et 8,3 en août 1998 (les syndicats parlent de 17 millions,
soit un taux de 20 %) et 9 millions en février1999. Tranquillement, le
ministère de l'emploi annonce, officiellement, près de 15 millions pour 2002.
En réalité, il est difficile, sinon impossible,
d'obtenir des chiffres précis car le chômage est un phénomène diffus. Doit-on
par exemple compter les chômeurs parmi les travailleurs qui ne sont pas payés
depuis des mois ? En effet, les retards de salaires (plusieurs dizaines de
milliards de roubles) constituent une forme d'ajustement de l'emploi. De fait,
le taux de chômage ne correspond pas à la réalité. Les travailleurs, qui
restent à leur travail malgré les salaires impayés devraient être considérés
comme des chômeurs. Mais le pouvoir n'a pas les moyens politiques de licencier
réellement ces millions de travailleurs. En fait, il n'a pas les moyens d'attaquer
de front la classe ouvrière et a peur de ses réactions potentielles.
Les conséquences de la dévaluation du rouble pour la
classe ouvrière et la population laborieuse furent dramatiques. Alors que le
revenu moyen avait déjà baissé de 40% entre 1992 et 1997, la situation est
ainsi décrite :
«Depuis
la dévaluation du rouble, le 17 août, les prix ont augmenté de 35 %. Dans
certaines épiceries, les prix ont doublé. Dans des kiosques écoulant de la
nourriture et de l'alcool, les étiquettes sont changées chaque jour. (...) Les
experts s'inquiètent d'une insuffisance de fioul et de charbon à l'approche de l'hiver. La Sibérie et
l'Extrême-Orient russe sont concernés. Les réserves de charbon aurait baissé de
21 % par rapport à l'an dernier en raison des grèves de mineurs et de
l'utilisation des réserves de fioul pour compenser des coupures de gaz. »
(Le Monde du 6-7 septembre 1998, qui nous susurre : «c'est la faute
aux mineurs ! »)
Le déclin de la production industrielle s'est
accentué durant l’année 1998 et le début 1999. De nombreuses branches
d'activité, sans parler des banques, ont licencié jusqu'à 70 % de leur
personnel. Les pertes subies en 1998 entraînèrent des plans de «restructuration
» provoquant des dizaines de milliers de licenciements. Ainsi Gazprom, envisageait
de licencier 10 % de ses effectifs, soit 35000 travailleurs (selon Le Monde du 27 janvier 1999). Des
entreprises ferment et renvoient leurs salariés sans préavis ni indemnités. A
Moscou, le chômage augmente de 70 %.
La paralysie du secteur bancaire est un obstacle
supplémentaire dans le règlement des salaires et des pensions. En plus des
comptes bloqués, les salaires baissent ; la valeur du rouble est en chute libre
(divisée par 2,5) ; les prix de produits comme le sucre et la farine doublent,
voire triplent ; entre le 17 août et le 5 septembre 1998, les prix augmentent
en moyenne de 35%. Sur 148 millions de Russes, 42 (officiellement) vivaient
sous le seuil de pauvreté établi (officiellement) à 573 roubles, soit 170 FF
par mois.
Lors
de la crise de 1998, la paralysie des paiements interrompit les importations de
nourriture qui étaient de l'ordre de 70 % dans les villes. Vu l'importance des
importations, cette interruption fut un facteur de crise pour certains pays
producteurs. Le Monde du 24 octobre
1998 informe que « (la Russie) devenue un
débouché de première importance pour l'Europe et les Etats-Unis, l'arrêt brutal
de ses achats déstabiliserait les marchés alimentaires mondiaux. 41 % des
exportations de bœuf et 32 % des ventes de porc de l'Union européenne vont vers
la Russie. » (ce fut la crise
du porc en Europe...). Dans les pays européens comme aux Etats-Unis, la
question se pose : que faire des excédents de blé, de maïs, de soja, alors que
les capacités de stockage sont à leur maximum?
Cependant,
la Mairie de Moscou prévient qu'elle ne dispose que de 170 000 tonnes de
réserves de blé alors que la consommation moyenne est de 7000 tonnes/mois. De
plus, les récoltes de blés et de pomme de terre s'annoncent très mauvaises, en recul
par rapport à celles de 1997. La pénurie alimentaire menace à l'entrée de
l'hiver. Plusieurs régions n'ont pas été livrées ni en fioul ni en charbon. 60
% des médicaments sont importés, et le ministère de la santé prévient que la
Russie ne dispose que de 3 mois de stocks d'antibiotiques. Les fonds d'assurance maladies, qui ont été
eux aussi victimes de leur spéculation sur les bons du trésor, sont également
en situation de faillite.
Enfin, ajoutons que, depuis la crise de 1998, rien ne
s'est amélioré pour la classe ouvrière russe. Citons une synthèse de l'OCDE en
date de mars 2000
"Malgré le redressement du PIB, les revenus réels
restent considérablement plus faibles qu’avant la crise, alors que la pauvreté
et les difficultés sociales se sont aggravées pour une grande partie de la
population. Cette dégradation se répercute sur les indicateurs démographiques,
sanitaires et économiques. Les problèmes auxquels se trouve ainsi confrontée la
politique sociale mettent encore davantage en évidence les carences des régimes
de sécurité sociale et santé. Les retraités ont particulièrement souffert des
baisses en valeur réelle des pensions, alors que la crise a entraîné le report
d’une grande initiative de réforme des régimes
de retraite lancée en 1997-1998.
Le chômage s’est aussi sensiblement aggravé dans les
premiers mois de la crise, mais il a un peu diminué avec la reprise
industrielle. Le gouvernement russe dispose de
moyens financiers très limités pour faire face aux
enjeux actuels de la politique sociale, compte tenu en particulier de la charge
importante du service de la dette extérieure et de l’effondrement de la plupart
des marchés intérieurs de titres de la dette infranationale.
Les dépenses réelles au titre des mesures sociales ont
baissé en 1999, au moment même où elles étaient le plus
nécessaires. "
Le 30 septembre 2000
Dans la
seconde partie de cet article, CPS reviendra sur les processus qui ont mené à
l'élection de Poutine à la présidence de la Fédération de Russie, à commencer
par la guerre de terreur contre le peuple Tchétchène et son droit à
l'indépendance; et dégagera les éléments d'orientation à même d'ouvrir une
issue à la classe ouvrière russe.
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