Article paru dans Combattre pour le Socialisme  n°2 (84) de janvier 2001

 

Où va la Russie ? (2ème partie)

La guerre contre le peuple tchétchène: une tentative d'aller vers un Etat fort

 


Voilà près d'un an et demi que l'armée russe mène la guerre contre le peuple tchétchène, avec pour résultat des dizaines de milliers de morts, de blessés, de mutilés, de torturés, des villes - dont la capitale, Grozny- et des villages rasés : la politique de terreur conduite par celui qui fut premier ministre avant de devenir président de la Russie porte jusqu'ici ses fruits.

V. Poutine occupe en effet cette fonction depuis mars 2000. Cette guerre lui a servi de tremplin pour y arriver, de connivence avec le clan Eltsine.

Une page a été tournée avec son arrivée à la tête de l'état russe. Mais est-ce un véritable tournant ? La période ouverte par l'éclatement de la bureaucratie du Kremlin est-elle close ? L'arrivée au pouvoir de Poutine la conclut-elle? Certes V. Poutine a davantage les moyens que B. Eltsine de stabiliser la situation politique en Russie, d'instituer un Etat fort, en raison de l'adhésion ponctuelle de l'ensemble des forces politiques et des organisations à sa politique. Mais cela suffira-t-il ? Les forces centrifuges qui tendent à disloquer le pouvoir politique continuent de s'exercer.


Guerre contre le peuple tchétchène


A partir de début septembre 1999, près d'un mois après la nomination de V. Poutine au poste de premier ministre, une série d'attentats à Moscou, dans d'autres villes russes et au Daghestan se produit, tous attribués aux "terroristes tchétchènes". Le 4 septembre, une explosion détruit un immeuble à Bouïnansk: 64 morts; le 8, à Moscou: 100 morts; le 13, à Moscou: 120 morts ; le 16, à Volgodonsk : 18 morts.

Alors qu'il n'a aucune preuve, V. Poutine déclare :

" Il est très clair que les terroristes se cachent sur le territoire tchétchène et sont soutenus par les forces extrémistes de Tchétchénie".

Ce qui est "très clair", c'est que V. Poutine cherche un prétexte pour lancer une guerre contre la Tchétchénie, alors que les bombardements ont commencé depuis le début septembre sur cette République, dans le prolongement des opérations militaires menées au Daghestan voisin.

 

Personne n'est dupe : de nombreux indices, dont ces agents du FSB (ex KGB) surpris en train de poser une bombe dans les sous-sol d'un immeuble (ils déclareront que c'était pour tester la vigilance des habitants...), permettent de comprendre qui est derrière ces attentats.

V.Maïrbek, représentant alors de la Tchétchénie en Russie répond à une interview donnée à Libération le 17/09/1999 :

"A l'approche des élections, qui a intérêt à ces explosions ? Pourquoi maintenant et pourquoi à Moscou ... ? Qu'est-ce qui empêchait Bassaïev et Kattab (les commandants tchétchènes à la tête de la rébellion au Daghestan accusés d'être derrière ces explosions) de commettre ces attentats il y a 6 mois ? D'après moi, les services secrets russes sont impliqués.

- Vous dites cela mais vous n'avez pas de preuve.

Pas plus que les Russes n'ont de preuves de l'implication des Tchétchènes. Le premier ministre V. Poutine dit que les exécutants se cachent en Tchétchénie. Qu'on nous donne des noms, qu'on les extrade (...) Le ministre de l'Intérieur veut imposer l'idée que les Tchétchènes sont responsables."

 

Même le général Lebed, candidat déclaré à l'élection présidentielle qui devait se tenir initialement en juin 2000, et grand connaisseur de ces questions pour avoir été aux premières loges de la guerre menée contre le peuple tchétchène de 1994 à 1996 indique :

"la guerre dans le Caucase a été planifiée. (...) Tout cela a été organisé, c'est une variante de déstabilisation du pays, de terreur." (Le Monde du 11/09/1999).

 

Et c'est un fait qu'à partir de fin septembre 1999 les bombardements sur la Tchétchénie vont s'intensifier pour être suivis par l'intervention des troupes terrestres. Le blocus  de ce petit pays grand comme un département français effectué, le massacre à grande échelle peut commencer. V. Poutine donne le ton :

"nous irons buter les terroristes jusque dans les chiottes."

 

Et ces paroles seront suivies par des actes. Les moyens mis en œuvre sont à la mesure de la résistance des combattants tchétchènes. Les armes les plus meurtrières, les techniques les plus radicales sont employées pour en venir à bout. Pour mener cette tâche à bien, des hommes comme le général Tikhominov (qui avait déjà menacé de raser Grozny en 1996) sont nommés à la tête des troupes du ministère de l'Intérieur en janvier 2000, date à partir de laquelle la guerre va connaître une nouvelle impulsion.


Pour le droit du peuple tchétchène à son indépendance


Le peuple tchétchène fut déporté tout entier en Asie centrale par Staline en 1944 : c'était, pour le "petit père des peuples", sa façon de régler les questions nationales. Malgré cela, les survivants revinrent dans leur pays en 1957, conservant leur aspiration profonde à l'indépendance, au droit à disposer d’eux-mêmes. En 1991, après l'effondrement de l'URSS, l'indépendance fut proclamée en Tchétchénie, ce qui valut à cette République de subir un blocus économique de la part de la Russie. Après la guerre de 1994-1996, qui fit 100 000 morts, la population passe de 1,5 million à 700 000 personnes. Elle est de 400 000 avant la seconde qui débute en septembre 1999 et qui se poursuit aujourd'hui.

Après l'entrée des troupes russes dans Grozny en décembre 1994, puis 20 mois de guerre et des dizaines de milliers de morts, un cessez-le-feu est signé début juin 1996, une semaine avant les élections présidentielles dont le premier tour doit se tenir le 16 juin. Bien entendu, il s'agit d'une manœuvre de B. Eltsine qui doit lui permettre de remporter ces élections, même s'il faut pour cela mécontenter l'état-major de l'armée dont les chefs s'opposent aux négociations avec les indépendantistes et souhaitent au contraire aller jusqu'au bout.  D'ailleurs, une nouvelle offensive est lancée le mois suivant, en juillet 1996, malgré les accords signés avant la réélection de B. Eltsine. Toutefois, un accord signé le 31 août 1996 est suivi par le retrait des troupes russes : une défaite politique pour B.Eltsine. En janvier 1997, des élections présidentielles se tiennent. A. Maskhadov est élu président de la République tchétchène avec 68,9 % des voix (59 % dès le premier tour) avec pour programme: l'indépendance.

Tous les candidats qui se présentaient à ces élections avaient combattu l'armée russe les armes à la main. Cependant, la réalité est que cette indépendance de fait, après ces élections et en raison de leur tenue même, n'est reconnue ni par le gouvernement russe, ni par aucun des principaux états impérialistes, ni par aucune instance internationale.


"Le casse du siècle " (Libération du 31 août 1999)


Il faut constater que la guerre contre le peuple tchétchène vient à point pour détourner l'attention de ce qui se passe en Russie même. Depuis le mois de juin 1999, a été mise à jour une série de scandales financiers dans lesquels sont impliqués B. Eltsine lui-même et son proche entourage, particulièrement la "Direction des affaires présidentielles”, un empire financier et immobilier appartenant à B. Eltsine.

Des enquêtes, closes depuis, font état de corruption à grande échelle, de blanchiment de sommes d'argent considérables. Des révélations mettent en évidence que des prêts du FMI visant à "soutenir la Russie" ont été détournés massivement ce qui fait titrer Libération : "Le casse du siècle". Il s'agit en effet, au total, de plusieurs dizaines milliards de dollars depuis 1991. Le procureur et les enquêteurs travaillant sur ces dossiers sont écartés, ce qui n'empêchent pas ces affaires d'éclater au grand jour, tellement elles sont énormes. Eltsine est de plus en plus isolé. Son système est à l'agonie, miné par les scandales et les affaires.

Aux abois, B. Eltsine limoge le premier ministre S. Stepachine qui s’est montré incapable de faire un successeur à même de défendre les intérêts du clan Eltsine; il nomme à sa place V. Poutine au poste de premier ministre le 9 août. Ce dernier est investi par la Douma dès le 17 août, malgré l'opposition des députés à B. Eltsine.


Avec le soutien et la complicité des impérialismes


Le 26 septembre 1999, alors que les bombardements de la Tchétchénie ont commencé, le G7, réunion des principaux états impérialistes, renouvelait son soutien à la Russie malgré les détournements et la corruption : "La Russie est pour nous un programme qui a marché et sur lequel Moscou, pour l'instant, dépasse les prévisions" (propos de Michel Camdessus, directeur alors du FMI, rapportés par Le Monde du 28 septembre 1999). Le feu vert est donné : le 27 septembre interviennent de nouveaux bombardements suivis de peu par l'entrée des troupes et des blindés russes en Tchétchénie.

 

Cette simultanéité n'est pas une coïncidence. Elle est l'expression du soutien que l'impérialisme apporte à B. Eltsine et à sa politique, et aujourd'hui à son successeur. D'ailleurs, alors que la répression contre le peuple tchétchène redouble de violence, que les massacres succèdent aux tueries, Clinton déclare le 14 février 2000, à propos de V. Poutine : "c'est un homme fort avec qui on peut s'entendre" et de qualifier le boucher de la Tchétchénie de "direct, fort, efficace (...) déterminé, intelligent." Des qualités qui certes ne peuvent pas déplaire au dirigeant du principal Etat impérialiste.

Dans la foulée, Blair, Schroeder, Védrine, y vont de leurs éloges et apportent leur appui. Poutine sera reçu le 30 octobre 2000 à Paris par des représentants de l'U.E et s'entretiendra en particulier avec J.Chirac. Ce soutien lui permet d'intensifier sa guerre contre le peuple tchétchène : "nettoyage", utilisation de bombes incendiaires, bombardements et mitraillages des prétendus "corridors de sécurité", de colonnes de réfugiés, chasse aux blessés, installation de "camps de filtration", etc.


La situation politique avant les élections législatives de décembre 1999


Quand V. Poutine est nommé premier ministre, un chef du FSB succède à un chef du FSB (S. Stepatchine). De fait, toute la structure du nouveau gouvernement va reposer sur l’appareil du FSB (ex-KGB).

Au mois d'août, la guerre éclate au Daghestan. 

E. Primakov, ancien premier ministre (et ancien chef des services secrets) et I. Loujkov, le maire de Moscou, annoncent le 17 août leur union pour les législatives. Ils bénéficient du soutien de potentats locaux, comme le maire de Saint-Petersbourg et d'autres gouverneurs régionaux. Ils nomment leur coalition électorale : La Patrie-Toute la Russie (OVR). Ils sont immédiatement soutenus par les gouverneurs de Voix de la Russie (B.Eltsine avait tenté le rapprochement avec eux sans succès) et par le Parti agrarien, jusque là proche du Parti communiste de la fédération de Russie (KPFR). C’est dire la force d’attraction de cette alliance, qui semble garantir une victoire aux prochaines élections législatives qui doivent se tenir seulement 4 mois plus tard, en décembre 1999, et qui devraient constituer, aux dires de tous, un tremplin pour les élections présidentielles. Ainsi Primakov, qui ne s’est pas encore déclaré candidat, est donné favori dans les sondages.

D’autres blocs électoraux se constitueront, parmi lesquels celui autour du KPFR et, quelques semaines avant les élections, celui improvisé pour soutenir V.Poutine, Unité.

 

Au passage, notons qu'aucun opposant à B.Eltsine et à V.Poutine ne fera des scandales un thème de campagne

 


Eltsine prépare la passation de pouvoirs


Au début de l'été 1999, B. Eltsine apparaît de plus en plus isolé. Pourtant, il semblait avoir repris la main au début de l'année 1999. Il avait fait un retour remarqué à partir de mars-avril 1999, malgré les affaires dans lesquelles il étaient directement impliqué et malgré son isolement politique en Russie. On le donnait pour moribond (politiquement et physiquement), mais il finit par obtenir la suspension du procureur général, (I.Skouratov, qui s’intéressait de près aux affaires du clan Eltsine), malgré l'opposition du Conseil de la fédération (qui réunit les gouverneurs des régions) et malgré les soutiens politiques dont le procureur bénéficiait, en Russie comme à l'étranger.

 

Ce retour sur la scène politique se produit fin mars-début avril 1999, au moment où les états impérialistes, avec l'impérialisme américain à leur tête, se lancent dans l'agression contre la Serbie. Semblant réagir, B.Eltsine commence par multiplier les déclarations fracassantes : “j'ai dit aux Américains et aux Allemands : ne nous poussez pas à une action militaire...” ; “(les Etats-Unis) veulent tout simplement envahir la Yougoslavie, en faire leur protectorat. Nous ne pouvons pas l'admettre. ” ; etc. Bien entendu, dans les faits il reste au service de l'impérialisme américain et finira par tout accepter.

Cette virulence verbale a cependant un objectif : tenter de regagner du terrain face à ses ennemis politique en Russie même. De fait, il limoge E. Primakov en mai pour mettre à sa place S. Stepachine, également ancien du FSB qu'il dirigea en 1994-95, et ex-ministre de l'intérieur dans le gouvernement Primakov. Enfin, S. Stepachine est l'un des principaux instigateurs de la première guerre contre la Tchétchénie qui fit plus de 80 000 morts de 1994 à 1996. B.Eltsine lui dicte la composition du nouveau gouvernement. A quelques mois des échéances électorales, B.Eltsine veut un successeur à sa botte préservant ses pouvoirs et son empire économique et financier.

S. Stepachine est investi par la Douma dès le premier tour de scrutin (301 voix contre 55) alors qu’il n’y bénéficie d’aucun soutien. En plus de cette victoire, B.Eltsine va tirer avantage de l'échec de la procédure de destitution lancée contre lui 10 mois auparavant par les députés du KPFR majoritaires à la Douma.

 

Pour résumer, B.Eltsine s'est maintenu à la tête de l'Etat russe malgré son isolement grâce au soutien de l'impérialisme, en particulier de l'impérialisme américain, et en l'absence de mobilisation politique de la classe ouvrière. Le seul mouvement qui eut lieu en effet durant toute cette période de crise à la fois économique et politique, ouverte en août 1998 (voir première partie de cet article dans le précédent numéro de CPS),  fut celui des mineurs qui resta sans perspective politique (voir plus loin).


La situation économique à la fin de l'année 1999:

une amélioration sur la base de l'aggravation des conditions de vie des masses


Neuf mois après la crise d'août 1998 (voir le précédent numéro de CPS), la situation économique de la Russie commence à s'améliorer. A la fin de l'année 1999, la Russie est parvenue à remplir ses objectifs budgétaires malgré la suspension des prêts du FMI suite aux scandales des détournements et du blanchiment d'argent qui allaient révéler que des sommes gigantesques (quelque 150 milliards de dollars) étaient sorties de Russie depuis 1991. V. Poutine, premier ministre depuis début août 1999 peut déclarer le 29 décembre :

" A la surprise de certains, nous nous en sortons très bien, même sans le soutien des organisations financières  internationales. "

Pour l'année 1999, la croissance a été positive de 3,2 % (prévision pour 1999 : -2 % ; elle était de -4,6 % en 1998). La production industrielle a augmenté de 8,1 %. Les objectifs du budget, qui semblaient irréalistes, ont été remplis. Même les recettes fiscales ont dépassé les espérances : elles représentent 8 % du PIB au lieu des 5,5 % prévus. L'inflation, qui était de 83 % en 1998, est tombée à 36 %. Que s'est-il passé ?

 

Il y a principalement deux raisons à cette amélioration. D'une part, le prix du baril de pétrole est passé de 10 (en mars 1999) à 20 dollars (en août), et plus de 30 aujourd'hui. C'est un ballon d'oxygène extraordinaire pour la Russie, troisième producteur mondial après l'Arabie Saoudite et les Etats-Unis. Pour mémoire, avant la crise d'août 1998, les prix du pétrole avait chuté de 40 % par rapport à 1997, ce qui avait largement contribué au déclenchement de la crise.

 

Mais la raison essentielle de cette embellie réside dans les conséquences sur les masses de la crise économique. En 1999, les salaires réels ont enregistré une baisse de 15%, tandis que 50 millions de personnes vivaient sous le seuil de pauvreté, soit 35 % de la population (42 millions en 1998, soit 27,5 % de la population). Et encore ces chiffres, très officiels, sont-ils ceux produits par le ministère de l'Economie russe. En un an le salaire réel a baissé de 40 %. Le chômage touche officiellement 15 % de la population active. Et beaucoup reste encore à venir. Voici l'appréciation du Monde, organe de presse que l'on ne peut soupçonner  d'être subversif :

“La Russie renoue financièrement avec le FMI. Mais la Communauté internationale ne devrait pas se leurrer sur ce que cache cette mise en conformité budgétaire : une aggravation de la situation sociale “  (Le Monde  du 2 juillet 1999).

 

L'économie russe a pu commencer à surmonter la crise en en faisant supporter le poids aux masses. L'une des lois votées par la Douma en ce sens, l'une des plus symboliques fut celle par laquelle sont exclus des allocations familiales les foyers gagnant plus de 1 000 roubles par mois, soit 240 FF, alors que 40 % des enfant russes vivaient sous le seuil de pauvreté et que 1 million d'entre eux sont livrés à eux-mêmes, sans domicile. C’est une illustration sans équivoque de ce que représente la restauration du capitalisme pour les masses russes.

 

Pourtant, ce ressaisissement est bien fragile. Le système bancaire, qui s'était effondré à la suite de la crise financière d'août 1998, est encore, plus d'un an après, extrêmement faible. L'agence de cotation Moody's rapporte que

"pour que se dessine une possibilité réelle de redressement, l'environnement économique et politique, actuellement instable, doit avoir changé ".

C'est en fait le constat de tous les états impérialistes désireux de voir la situation se stabiliser en Russie afin d'y trouver les conditions idéales d'investissement.

V. Poutine doit probablement avoir cette préoccupation en tête lorsqu'il rédige son " point de vue " dans Les Echos du 7 décembre 1999, trois mois après le début des bombardements de la Tchétchénie :

"Les rentrées supplémentaires iront en premier lieu à la défense nationale, à l'aide financière aux régions, au secteur agricole. Ensuite viennent la recherche et l'éducation. Suivent l'industrie et les investissements. Le déficit du budget de l'Etat sera minimal, de même que les emprunts d'Etat sur le marché extérieur . "


Les élections législatives de décembre 1999


450 députés étaient à élire à la Douma en décembre 1999, la moitié au scrutin proportionnel, l'autre moitié au scrutin majoritaire. Au total, 26 partis et 2318 candidats se présentaient. On trouvera ci-dessous un tableau récapitulatif des résultats.

Les élections législatives se tiennent alors que la guerre contre la Tchétchénie bat son plein. Tous les partis sans exception s'étaient ralliés à cette guerre, et par là même celui qui la menait allait gagner la guerre électorale. Unité, formation créée de toutes pièces quelques semaines auparavant, sans base politique, uniquement pour servir à constituer un soutien pro-gouvernemental à la Douma, obtient un résultat inespéré : 23,2% des voix, et arrive en deuxième position derrière le KPFR (24,3%). La coalition de Loujkov-Primakov, La Patrie-Toute la Russie, donnée gagnante quelques semaines plus tôt, essuie un véritable échec avec 13,1% des voix. Les prétentions présidentielles de ses animateurs s'envolent.

Devant ces résultats, le camp pro-gouvernemental a de quoi se réjouir et le chef de l'administration présidentielle peut jubiler : “ Une révolution vient d'avoir lieu en Russie, une révolution certes pacifique mais une révolution quand même. C'est une immense percée.

 

La composition de la Douma en fera un parlement croupion, servile au premier ministre V. Poutine. Outre les députés Unité, ceux du SPS (Union des forces de droite, 8,6%), dirigé par l'ancien premier ministre S. Kirienko limogé après la dévaluation du rouble en août 1998, appellent à former un bloc pro-gouvernemental à la Douma. Ceux appartenant au groupe de Jirinovski soutiennent également le gouvernement. Un accord est passé avec le KPFR, à qui revient la présidence de la Douma. En définitive, c'est l'unanimité derrière le gouvernement qui mène une guerre de destruction totale de la Tchétchénie.


 

Résultats comparatifs des élections législatives en Russie

 

En voix

En sièges

 

1999

1995

1993

1999

1995

Participation

61,85%

64,95%

53,31%

 

 

Unité , pro gouvernemental (Poutine)

23,2%

 

 

72

 

Notre maison la Russie (Tchernomyrdine)

1,2%

9,05%

 

7

67

Unité et entente          

 

 

6,76%

 

 

OVR (La Patrie- Toute la Russie)/

Primakov-Loujkov

13,1%

 

 

66

 

KPFR (Parti Communiste de la Fédération de Russie)/ G. Ziouganov             

24,3%

22,31%

12,4%

113

134

Femmes de Russie

 

 

8,1%

 

 

Parti agraire

 

 

7,9%

 

35

Jirinowski (Ultra- nationalistes)            

6,4%

12,4%

22,9%

17

50

Iabloko (Réformateurs d'opposition) /Iavlinski   

5,9%

6,9%

7,9%

21

31

SBS (Union des forces  de droite)/Kirienko

8,6%

 

 

29

 

Régions de Russie

 

 

 

 

42

Indépendants

 

 

 

106

26

Pouvoir au peuple

 

 

 

 

44

 

(en fait, le Parti agraire et le mouvement , 'Femmes de Russie'  sont des projections du KPFR)


Les élections présidentielles


Une mise en scène où rien n'est laissé au hasard : B.Eltsine annonce sa démission le 31 décembre 1999. Il revient donc au premier ministre, V. Poutine d'assurer l'intérim de la présidence de la république, en attendant les élections présidentielles qui sont anticipées du fait de la démission du président. Ces élections, initialement prévues pour juin 2000, se tiendront par conséquent en mars 2000. Bien entendu, V. Poutine et B. Eltsine escomptent profiter de la victoire qu'ils viennent de remporter aux élections législatives et de la nouvelle situation politique résultant de la guerre menée contre la Tchétchénie.

En 1996, B. Eltsine avait remporté les élections contre le G. Ziouganov, dirigeant du KPFR, uniquement grâce au ralliement de Lebed entre les deux tours et, il ne faut pas l'omettre, au soutien sans faille de l'impérialisme, en particulier de l'impérialisme américain en la personne de Clinton.

En mars 2000, V. Poutine est élu dès le premier tour. Ses rivaux se sont désistés (E. Primakov) et les autres lui apportent un total soutien dans la guerre qu'il mène contre le peuple tchétchène.

A noter que le prolétariat n'était représenté ni lors des élections législatives ni lors des présidentielles.

 

Candidats         1996 (1er tour)  1996 (2e tour)   2000

 

Participation     69%                 67,25%             68,6%

B. Eltsine         35,3%              53,7%              -

V. Poutine        -                      -                      52,52%

G. Ziouganov    32%                 40,04%             30%

Lebed              15%                 -                     

Iavlinski (Iabloko)7,56%            -                                  5,81%

 

(En 2000, il n'y eut qu'un seul tour, V. Poutine ayant été élu dès le premier tour ; par ailleurs, le général Lebed se désista après le 1er tour des élections de 1996 en faveur de B. Eltsine. En 2000, aucun des 7 autres candidats ne dépassera 3%)


Le mouvement des mineurs de mai 1998


En mai 1998, au lendemain de l'affrontement entre B. Eltsine et la Douma à propos de l'investiture de S. Kirienko qui a laissé la Russie sans gouvernement pendant un mois, les mineurs entament un mouvement de grande ampleur dans le but d'obtenir le paiement de leurs arriérés de salaires et d'interdire la fermeture de mines. Un plan de restructuration, financé avec l'aide de la Banque mondiale, prévoit en effet le maintien de seulement 30 % des mines plus ou moins rentables.

Les mineurs font grève et bloquent les voies ferrées vitales, dont le Transsibérien. Des centaines de trains sont paralysés. Les enseignants du Kouzbass menacent de rejoindre les camps installés sur les voies. Le Conseil de sécurité y voit “ une menace pour la stabilité politique et même pour la sécurité nationale ”. Les responsables des chaînes de télé, les gouverneurs régionaux sont convoqués d'urgence par le gouvernement.

En définitive, le gouvernement fera céder les grévistes, tout d'abord ceux du Kouzbass et de Sibérie orientale, deux régions clés, en leur concédant un petit mois de salaire (les mineurs du Kouzbass avaient fini par soutenir B. Eltsine en 1989, après une longue grève).

 

Car les mineurs n'ont pas de perspective politique. Leur objectif  affiché: “à bas Eltsine” ou “Eltsine démission”, les renvoie directement à l'absence d'alternative immédiate. Cette puissance considérable du prolétariat russe, que les anciens apparatchiks, aujourd'hui au pouvoir ou à la tête des sociétés privatisées, redoutent toujours, reste sans effet en raison de l'absence de perspective politique.

 

Le mouvement se transforme alors: le NPG, syndicat indépendant des mineurs, fait camper les mineurs devant la Maison Blanche (parlement) du 11 juin au… 5 octobre 1998, date à laquelle il fait lever le “ siège ” et s'engage à soutenir E. Primakov, alors premier ministre.

Le 7 octobre, le KPFR et la fédération des syndicats (FNPR) organisent une journée d'arrêts de travail et de manifestations sur le mot d'ordre : “ paiement des salaires et des pensions ”. Au total, dans toute la Russie, ce sont officiellement 615 000 manifestants.

En pleine crise politique, alors que le gouvernement Primakov navigue à vue, que B. Eltsine est politiquement hors-jeu, la classe ouvrière reste sans perspective. Elle subit les conséquences des “ réformes ”, c'est-à-dire de la restauration du capitalisme sans réagir. Sa misère est autant matérielle que politique.

A aucun moment, en particulier durant la grève des mineurs, n'a surgi le mot d'ordre : "manifestation centrale à Moscou pour exiger le paiement de tous les arriérés de salaires". Un tel mot d'ordre aurait sans nul doute centralisé les revendications des masses laborieuses. Au contraire, les organisations syndicales et le KPFR ont cherché et réussi à disloquer toute possibilité de centralisation.

L'impuissance et le désespoir ne peuvent pas être mieux illustrées que par cette grève de la faim de quelques centaines d'instituteurs (métier dont le salaire, impayé depuis plusieurs mois, était équivalent à 120 FF par mois) qui se termine par la mort de l'un d'entre eux.

A ce stade, il convient de préciser : le KPFR (Parti communiste de la fédération de Russie), parti ex-stalinien, n'est pas un parti ouvrier. Il est l'héritier du PCUS qui a été l'instrument de la dictature de la bureaucratie du Kremlin sur les masses, l’instrument de la restauration du capitalisme. Tous les dirigeants actuels, jusqu'aux réformateurs de choc, tel le très libéral I.Gaïdar qui appartint aux revues Komounist et Pravda, en viennent.

Aujourd’hui, traversé de luttes de clans, le KPFR soutient et promeut les “ réformes ”, participe activement aux organes de l’Etat, de répression. Le KPFR est un élément fondamental de l'appareil d'Etat. Il a été l'un des plus chauds partisans de la guerre contre le peuple tchétchène, contre son indépendance. Ses dirigeants tiennent un  discours nationaliste, antisémite, et tentent de l’utiliser au profit de certains segments de ce qu’il reste de l’ancienne bureaucratie et auxquels ils appartiennent.


A la recherche de l'Etat fort


Le 17 mai, V.Poutine fait adopter une réforme du fonctionnement de la fédération de Russie qui accroît le poids du pouvoir central sur les régions. D'une part, les gouverneurs des régions perdent le droit à siéger au "conseil de la fédération". Le pouvoir central peut dorénavant les révoquer. D'autre part, sept districts fédéraux sont créés, avec à leur tête des super préfets directement nommés par le pouvoir central, pour coiffer les régions de Russie. Des pas vers une certaine harmonisation législative d'une région à l'autre sont effectués.

Mais la bourgeoisie russe reste une bourgeoisie compradore. Quand V. Poutine écrit dans Les Echos : "nous sommes de simples fournisseurs de matières premières", c'est pour s'élever contre cet état de fait et pour proclamer sa volonté de participer à la construction d'une bourgeoisie russe. Les récents développements concernant les immenses réserves de pétrole de la mer Caspienne et du tracé des oléoducs, ainsi que les tentatives de la bourgeoisie russe de contrecarrer les plans des groupes américains et de l'impérialisme dans cette partie du Caucase en sont la démonstration.

 

La Russie est dans tel un état de délabrement que, même avec une Douma toute entière soumise à la volonté du gouvernement, l'appareil du FSB et une armée quelque peu requinquée, l'instauration d'un Etat fort se révèle, à cette étape, encore impossible.

De plus, la manière dont V. Poutine est parvenu au pouvoir est plus un signe de faiblesse que de force. Ce “ coup d’Etat ” ressemble plutôt, en effet, à une passation d’un pouvoir dont le passif subsiste : il est d’ailleurs tout à fait politiquement symbolique que l’une des premières mesures de V.Poutine président de la république fut de garantir à B Eltsine l’immunité à vie.

Autre élément et non des moindres, malgré les efforts pour la moderniser et en faire un instrument de répression contre les masses (comme c’est le cas aujourd’hui en Tchétchénie), l'armée reste indigente, en décomposition, mal équipée. L'état de la flotte de la mer Noire et le naufrage du Koursk en sont l'illustration.

 

En outre, les rivalités avec les gouverneurs régionaux, de même que celles existant entre les oligarques demeurent,

Enfin, si la classe ouvrière de Russie reste une puissance considérable, le cours de la lutte des classes dans le monde et le combat politique du prolétariat, particulièrement dans les principaux pays impérialistes, influeront sur sa mobilisation politique.

Comme nous l'écrivions dans CPS n° 52 :

" En d'autres termes, la période ouverte  par l'éclatement de la bureaucratie du Kremlin est loin d'être close "


Nécessité d'un parti ouvrier révolutionnaire


La dislocation économique et sociale menace à nouveau dès lors que la crise éclatera dans les états impérialiste développés, d'autant plus que l'économie de la Russie est totalement subordonnée à celle des puissances impérialistes. La crise d'août 1998 et ses conséquences l'ont montré. Comme on peut le lire dans Une Nouvelle Perspective, document publié en 1997 par le Comité pour la construction du Parti révolutionnaire et de l'Internationale ouvrière révolutionnaire :

" Il n'y a pas de construction possible d'un capitalisme russe proprement dit, mais seulement d'une économie dominée, d'une bourgeoisie compradore. Et de toute façon, pour qu'il y ait investissements massifs, il faut un ordre politique stable, solide : ce n'est pas demain la veille."

 

L'absence de l'intervention politique du prolétariat est le fait marquant de ces dernières années. C'est une des raisons pour lesquelles les contradictions et les antagonismes se sont approfondis, que la marche à l'effondrement, au chaos, s'est accentuée. La puissance objective du prolétariat russe était organiquement lié à la propriété étatique des moyens de production. La dislocation de la propriété étatique agit contre le prolétariat, d'autant que ce dernier ne dispose pas de parti et qu'il est dans l'incapacité, lors des différentes élections, d'exprimer un vote de classe. Comme l'a déjà affirmé Combattre pour le socialisme :

“ il n'est pas d'issue sur la voie de la restauration du mode de production capitaliste. L'issue ne peut être que dans le retour, sous la direction du prolétariat, à la Révolution d'octobre. Mais pour cela, il faudrait qu'en Russie, comme dans les autres républiques de l'ex-URSS, se constitue un Parti ouvrier révolutionnaire ” (CPS n° 52).

 

En combattant pour la construction du Parti ouvrier révolutionnaire, la construction de l'Internationale ouvrière révolutionnaire, notre Cercle agit en ce sens.

 

Le 30 décembre 2000


 

 

 

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