Article paru dans CPS nouvelle série n°25 (107) de juin 2006

 

Italie : après avoir failli permettre à Berlusconi de se maintenir,

Prodi et sa coalition pourront-ils poursuivre l’offensive contre les travailleurs ?

 

Une nouvelle fois, le prolétariat est tenu à l’écart de la scène électorale


Les élections législatives italiennes, des 9 et 10 avril 2006, ont donné une fois de plus lieu à la constitution de listes d’union, pour la chambre des députés. Le mode de scrutin mis en place en 1993 y pousse, certes. En effet, il prévoit que 475 députés sont élus selon un mode de scrutin uninominal à un tour, tandis que les 155 restants le sont à la proportionnelle au plus fort reste.

C’est cette particularité qui a servi d’argument, depuis des années, aux Democrati di Sinistra, (DS, Démocrates de gauche, parti issue de l’ancien PCI, le plus important), pour ne plus se présenter sous leurs propres couleurs pour l’essentiel du scrutin, mais celle de « l’Olivier », une alliance avec des partis bourgeois, réunis eux-mêmes dans l’autre composante de l’Olivier, la Magherita, dont font partie d’anciens démocrates chrétiens, comme Prodi.

 

Mais pour ces élections législatives et sénatoriales, un nouveau pas a été franchi – lequel d’ailleurs n’est pas resté sans échos en France (ainsi Kouchner ou autres ‘chefs’ sans troupes au sein du PS) : les primaires pour désigner la tête d’une coalition bien plus large, nommée « l’Unione ».

 

Cette dernière rassemble en plus de « l’Olivier » d’autres formations bourgeoises issues pour l’essentiel de l’éclatement de la Démocratie Chrétienne, mais aussi les deux autres organisations issues de l’éclatement du Parti Communiste Italien, à savoir le PRC (Parti de la refondation communiste) et les CdI, Communistes d’Italie.

 


Le but des primaires à gauche : organiser l’effacement des partis du mouvement ouvrier
derrière un fidèle serviteur du grand capital italien…


Le 17 octobre 2005, le premier acte des élections générales était la tenue des primaires dans toute l’Italie. En soi, l’acceptation par la totalité des partis du mouvement ouvrier de ce cadre est déjà un crime contre les principes élémentaires d’indépendance de classe, puisqu’ils s’engageaient ainsi sans retour dans une coalition qui va loin, très loin sur la droite (ramassant on l’a dit de multiples débris de la Démocratie Chrétienne et autres partis bourgeois ne se réclamant même pas formellement de la « sinistra », de la « gauche »).

 

Si toutefois DS, PRC, CdI, estimaient que pour la partie uninominale à un tour, pour ne pas être balayés séparément du parlement, il leur fallait passer un accord, rien ne s’opposait à un accord de répartition des circonscriptions entre eux. Le contenu des primaires est tout à fait différent et le mode de scrutin, répétons le, ne sert que prétexte. Il s’est agi d’organiser l’alignement de la totalité du mouvement ouvrier organisé sur un homme-lige du grand capital italien, Romano Prodi, technocrate de premier plan en Italie d’abord, (il a été secrétaire d’Etat dès 78 dans un gouvernement Andreotti) puis à la commission de Bruxelles qu’il dirigea, puis à la tête du gouvernement italien avant que Berlusconi ne gagne les élections, Prodi, démocrate-chrétien de toujours. A cette fin, les DS n’ont pas présenté de candidat – alors qu’ils sont numériquement et politiquement le premier parti de la coalition. Se sont affrontés d’un côté Prodi, soutenu à fond par les DS, et de l’autre Bertinotti, principal dirigeant du PRC. Au terme d’un scrutin marqué par une participation importante (4 million, sans aucune critère sélectif – n’importe quel quidam pouvant donc imposer aux partis le candidat de son choix), Prodi se trouvait plébiscité par plus de 70%, contre 15% à Bertinotti.

 

Non seulement les primaires ont à nouveau consacré le soutien des DS, à Prodi, mais ces derniers se sont aussi couchés dans le lit de Procuste de l’Unione, en acceptant en même temps que la direction de Prodi, son programme fabriqué par son « think tank » sous couvert de l’instance de « démocratie participative » nommée  la fabbricca… Mais de ce point de vue, l’acceptation du programme de Prodi vaut pour tous ceux qui se sont inclinés devant les primaires et leur résultat (PRC et CdI).


…et son programme


Or, quel programme défend Prodi ? De cette coalition bourgeoise est sorti un programme parfaitement bourgeois. C’est d’ailleurs, fait significatif, dans une réunion de la Confindustria, à Vicence, le 17 mars, que Prodi en a exposé les axes essentiels.  Voici le récit du journal Le Monde du 18 mars :

 

« Romano Prodi, le leader du centre-gauche pour les élections législatives italiennes des 9 et 10 avril, a réussi son examen de passage, vendredi 17 mars à Vicenza, devant 5 000 chefs d'entreprise réunis par la Cofindustria, l'organisation patronale italienne.

 

L'ancien président de la Commission européenne a été bien accueilli, mais sans enthousiasme excessif, dans cette région du nord-est dominée par les petites et moyennes entreprises, traditionnellement proches du centre droit (…) Interrogé par une dizaine d'entrepreneurs, M. Prodi a développé son programme de gouvernement au cas où l'union de la gauche remporterait les élections. L'impôt sur les entreprises, régulièrement qualifié de taxe voleuse par Silvio Berlusconi ? « Nous ne le supprimerons pas, mais nous l'améliorerons. » La fiscalité sur le travail : « J'ai promis une réduction de 5 % la première année, ce n'est pas un objectif facile, mais nous avons fait les comptes avec précision. »

L'énergie : « Notre objectif de diminuer les coûts de 20 % en cinq ans est réaliste. » Le développement du Mezzogiorno, les régions pauvres du sud : « Les incitations fiscales sont des conditions nécessaires mais pas suffisantes, a expliqué M. Prodi. Il faut une stratégie industrielle très forte ». »

 

Des promesses qui s’adressent au patronat italien. « "Je suis très satisfait", a déclaré le patron des patrons italiens Luca Cordero di Montezemolo. "Nous ne sommes pas alignés et nous refusons d'être tirés par la manche", a-t-il aussi affirmé, prenant du recul vis-à-vis des deux coalitions ».  Sans pouvoir trop s’engager aux côtés de l’ancien président de la commission européenne, les représentants du capital financier italien, marquent leur satisfaction, comme ils ont marqué leur mécontentement, aussi pendant la campagne, vis-à-vis de Berlusconi. 

 

De fait, lorsque Berlusconi s’est rendu à Vicence le lendemain, c’est pour accuser les principaux dirigeants de la Cofindustria de faire la campagne pour Prodi en ces termes : « Un entrepreneur, à moins d'être fou, ne peut soutenir la gauche que s'il a beaucoup de cadavres dans le placard ». C’est une confirmation indirecte : Berslusconi s’indigne que le candidat favori du grand patronat italien soit Prodi.


Que pas une tête ne dépasse !


Autre fait marquant qui a précédé l’élection et qui caractérise on ne peut mieux les listes de l’Unione: l’exclusion des listes du PRC de Marco Ferrando, à la demande de Prodi par les dirigeants du PRC. M. Ferrando fait partie d’un courant du PRC, se réclamant du trotskysme, « projet communiste », qui représente 6.5 % des votants du dernier congrès. Il a été expulsé des listes pour ses déclarations sur l’occupation de Nassirya en Irak par les troupes italiennes, qui soulignent le caractère impérialiste de l’occupation de cette ville, et le rôle de l’office italien du pétrole. Voici le récit qu’en fait dans Inprecor de mars-avril 2006 le responsable d’un courant concurrent, « gauche critique » (pabliste) :

 « Dans une interview donné au quotidien Corriere della sera du 13 février 2006, à la question « C’est donc juste de tirer sur nos soldats ? », Marco Ferrando a répondu : « Nous sommes pour la revendication du droit aux soulèvements populaires irakiens contre nos troupes. Tous les épisodes où il y a eu nos morts, rentrent entièrement dans la responsabilité d’une mission militaire au service de l’Organisme national des hydrocarbures ». A la question suivante — « Vous dites que nos soldats morts à Nassiriya étaient au service de l’Organisme national des hydrocarbures » — Ferrando a répondu : « Dans un document réservé du Ministère des activités productives d’Antonio Marzano, produit six mois avant la guerre, on soutenait l’intérêt de l'Organisme national des hydrocarbures à aller à Nassiriya parce que c’est là qu’il y avait du pétrole ». Le tout a été publié sous le titre : « Tirer sur nos soldats ? Un droit des Irakiens » et le sous-titre : « Ferrando : Nassiriya fut un cas de résistance armée ». Rappelons que 19 militaires italiens avaient été tués à Nassiriya en 2003 par un attentat et que ce massacre avait entraîné une union sacrée en Italie. »

 

L’éviction des listes du PRC pour cause d’anti-impérialisme révèle ce qu’est l’Unione, y compris sur la question du retrait des troupes italiennes de l’Irak, qui est envisagé du seul point de vue des intérêts de la « nation », comprendre de la bourgeoisie italienne, et donc « dès que possible » et « en concertation » avec les Etats-Unis.

 


La direction de la CGIL s’aligne également


Durant la campagne électorale, du 1er au 4 mars, à Rimini, s’est déroulé le congrès de la plus puissante organisation ouvrière d’Italie, la CGIL, centrale syndicale confédérale, forte de 5 millions d’adhérents. Au programme, un texte d’orientation dont l’économie générale est d’éviter de parler en tant que telle de toute question brûlante de la lutte des classes, comme c’est bien souvent le cas dans la plupart des congrès syndicaux partout en Europe – cf. l’article publié sur le récent congrès de la CGT dans le précédent numéro de Combattre pour le Socialisme.

Le texte se présente comme les propositions de la CGIL dans de nombreux domaines : «thèse 1 : le défit du travail et de la mondialisation » ; « thèse 3 : défendre la constitution, poursuivre la transition politico-institutionnelle » ; « thèse 4, l’Italie en crise, le projet de la CGIL » pour ne citer que les axes les plus parlants. Le texte confédéral a fait l’objet de contre-proposition partielles seulement sur les thèses 8 et 9, « Les politiques conventionnelles », deux textes s’opposant sur la politique à mener face aux négociations sur les conventions collectives ; et  la thèse 9, sur « la participation, quel axe stratégique pour reprojeter le pays, les valeurs de la confédération, l’autonomie, et l’unité », où il est question de plus de participation vers la cogestion. En effet, les trois textes commencent tous par la même phrase, postulat commun, « la société italienne a besoin de plus de participation pour renforcer la démocratie. »

 

On cherchera vainement l’exigence de l’abrogation des principales lois réactionnaires prises par le gouvernement Berlusconi, notamment la loi Biagi, dite loi 30 (cf. infra), évoquée ici ou là, certes, mais jamais sur le terrain de l’abrogation, il s’agirait dans ce cas de « dépasser la loi 30 », et d’en « combattre la philosophie ». De même on fait des propositions pour remettre l’école au centre la formation, sans parler de la loi Moratti, on dénonce les privatisations, sans exiger l’expropriation des entreprises ainsi vendues… ad nauseam.

 

Dans le congrès la direction confédérale a été plébiscitée. Le comité directeur de 161 membres a reconduit G. Epifani, à 96.5 % des voix. Le texte de la confédération a été adopté dans son intégralité, et les amendements proposés aux thèses 8 et 9 ont été largement battus. Or, le contenu politique de ce congrès et son enjeu essentiel, c’était la position pour les élections. L’appareil de la CGIL s’est de fait engagé à fond derrière Prodi ! Ce dernier est venu ramasser en personne la mise, invité devant ce congrès pour prononcer un discours appelant la CGIL à le soutenir, ce à quoi la direction de cette centrale répondit positivement (proposant un accord pour la durée de la législature).

 

Que signifie cet engagement ? On a pu le mesurer dès avant les élections, par le contenu sur lequel était appelé une journée d’action dans la Chimie par la fédération CGIL (mais aussi de l’UIL et de la CISL, c’est bien le moins), le 10 mars.

« 1) un plus fort investissement vers la formation et la recherche scientifique ; 2) aider les entreprises qui ont décidé de s’installer dans notre pays par de nouvelles formes d’allègement fiscal ; 3) intervention auprès du parlement européen pour le soutien des entreprises … qui évitent les délocalisations ; 4) activer les regroupements et les fusions pour permettre la croissance des entreprises… condition indispensable pour leur compétitivité ;  5) un plan énergétique national… afin de réduire la différence des coûts de l’énergie avec les autres pays ; 6) simplifier les procédures bureaucratiques afin de faciliter les investissements et attirer des capitaux étrangers… »  Pas une revendication ouvrière à l’horizon, et des termes dignes d’un programme d’un candidat bourgeois aux élections législatives. Le tout une semaine avant la rencontre de Prodi et de la Cofindustria : Prodi avait là un atout majeur à faire valoir au patronat, à savoir une possibilité de « paix sociale » dont on ne peut pas dire qu’elle fut la règle sous le gouvernement Berlusconi, ainsi que notre bulletin a eu plusieurs fois l’occasion de le souligner.

 

L’attitude de la direction confédérale de la CGIL a été fort claire après la victoire de Prodi. Elle a salué ce résultat, et a souligné que le gouvernement « avait mandat pour appliquer son programme ». Puis elle a salué chaudement l’élection de Marini comme président du Sénat, en tant qu’ancien syndicaliste CISL, émanation du catholicisme social, organisation corporatiste du Vatican et de la démocratie chrétienne, et enfin celle de Bertinotti du PRC à la chambre des députés, avec tout de même un peu moins d’enthousiasme il faut bien le dire, quoique celui-ci ait été adhérent de la CGIL ! Enfin, le 1er mai, en chœur avec l’UIL et la CISL, les dirigeants confédéraux de la CGIL ont appelé à la formation rapide du gouvernement Prodi, afin qu’il commence vite à gouverner !


L’aboutissant du dispositif d’éviction de la classe ouvrière : Berlusconi pose au « vainqueur moral »


Voici les résultats des élections à la chambre des députés.

 

Listes

Voix 2006

% des exprimés

Sièges

Voix 96

Voix 2001

Forza Italia

9 045 384

23.7

137

7 712 149

10 921 146

Alleanza Nazionale

 4 706 654

12.36

71

5 870 491

4 459 397

UDC

2 579 951

6.77

39

2 189 563

1 193 643

Lega Nord

1 748 066

4.58

26

3 776 354

1 461 854

Autres listes

745 467

2.00

4

-

-

Total  « droite »

18 976 460

49.73

277

 12 189 692

16 844 387

L’Olivier

11 928 362

31.26

220

13 020 768

12 921 146

PRC

2 229 604

5.84

41

3 213 846

1 868 113

CI

884 912

2.31

16

-

619 912

Autres partis

3 369 388

8.80

63

-

-

Total « gauche »

19 001 684

49.80

340

16 144 614

15 409 172


 

Au-delà des difficultés des comparaisons, d’une élection à l’autre, tant les alliances électorale fluctuent, notamment par l’intégration dans l’Unione, de listes qui étaient « indépendantes » dans les élections précédentes, comme la liste du juge Di Pietro, chevalier de l’opération « mains propres » des années 90, ou encore, la liste « rose au poing », de Pannella et Bonnino, ancien dirigeant du parti radical, et ancienne commissaire européenne, spécialiste de « l’action humanitaire », sorte de Kouchner au féminin, s’étant prononcée pour l’intervention au Kosovo, il est possible de faire apparaître des tendances.

 

La première, c’est que  la coalition de Berslusconi ne cesse de gagner des voix, et que Forza Italia se renforce sans cesse dans cette coalition. Il lui a manqué bien peu pour qu’il puisse se maintenir au pouvoir !

 

C’est ainsi que Berlusconi a pu longtemps contester le résultat des élections, puis a fini par souligner qu’il en était le « vainqueur moral », et que la fragilité de l’Unione, son hétérogénéité, feraient du gouvernement de Prodi, une « parenthèse ».

De fait, il n’est pas possible d’affirmer que l’Italie en a fini avec Berlusconi suite à sa courtissime défaite, qu’il faut replacer par rapport au scrutin régional de 2005, où il semblait que Berlusconi pouvait réellement être balayé. C’est assez spectaculaire.

 

En effet depuis 2005, si Berlusconi a le pouvoir c’est aussi l’homme le plus décrié d’Italie. Il a dû essuyer à plusieurs reprises de vastes mouvements de la classe ouvrière et du prolétariat italien. Dès son arrivée au pouvoir marquée par la répression des manifestants au sommet du G8 à Gênes, il n’a pu imposer sa politique comme il l’aurait souhaité. En  mars 2002, l’immense manifestation à Rome, puis la grève générale d’une journée en avril, ont rogné les ailes de sa politique. Il a dû partiellement maintenir l’article 18, et n’appliquer sa réforme qu’aux petites entreprises. Les manifestations contre la guerre en Irak qui ont regroupé plusieurs millions de personnes, ne l’ont certes pas empêcher d’envoyer un petit contingent occuper Nassirya en zone chiite, mais cette question pèse sur son bilan politique.

Les élections régionales de 2005 avaient marqué un échec très net pour la « maison des libertés », sa coalition politique, qui a perdu 6 régions, ne gardant plus que la Lombardie et la Vénétie. Tout aurait dû concourir à une écrasante défaite ! La manière dont s’est engagé la campagne électorale, sous le signe de la fin annoncée de Berlusconi, a montré aussi qu’une partie non négligeable de la bourgeoisie italienne souhaitait son départ.

Carlo Azeglio Ciampi, le président de la république sortant l’a toujours remis en place sous la législature, mais ce fut encore plus intense durant la campagne, au sujet de l’utilisation de la télévision. Pendant les mois qui précédaient était sorti le film de S. Guzzanti, Viva Zapatero !, une charge contre l’utilisation des médias par Berlusconi. Durant la fin de l’hiver deux ministres ont dû démissionner, l’un représentant de la Ligue du Nord, pour propos anti-musulmans, au moment de l’affaire des caricatures, parce qu’il a provoqué un incident diplomatique avec la Libye (ancienne colonie italienne), et l’autre, d’Alliance nationale, pour un sombre affaire d’espionnage politique. La campagne a été aussi dominée par l’affaire de la banque d’Italie… Et les juges, qui tentent en vain de faire passer Berlusconi devant leurs tribunaux, se sont remis de la partie. Enfin, la Cofindustria, la confédération patronale italienne, dirigée par le patron de Fiat, Luca Cordero di Montezemolo, ne lui a pas accordé son soutien politique, et certains patrons l’ont même violemment attaqué, comme Diego Della Valle, patron de Todd’s.

 

Rien n’y a fait ! Face à une large union, il a réussi à faire en sorte de n’être devancé que de quelques dizaines de milliers de voix à la chambre des députés, tandis que la loi électorale qu’il avait fait voter à l’automne pour limiter les effets d’une victoire de la coalition dite de « centre-gauche », s’est retournée contre lui en assurant une majorité nette à Prodi.

 

Berlusconi a su utiliser tous les ressorts du populisme, ses chaîne de télévision, il a exprimé les sentiments d’une partie de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie italienne, minée par des années de crises, à qui il a cherché à accorder jusqu’à la fin des « baisses d’impôts », et tenter de rallier en agitant le « spectre du communisme », dont le moins qu’on puisse dire c’est qu’il ne plane pas sur l’Italie. Mais sans doute une fraction de la bourgeoisie italienne a été sensible à l’argument que l’hétérogénéité de la coalition de l’Unione lui interdirait de gouverner efficacement au compte de la bourgeoisie.

 

En tout état de cause, un premier bilan de l’opération « primaires » peut être tiré : Berslusconi, que tout condamnait, a largement mobilisé et a failli repasser.


Echec électoral des partis du mouvement ouvrier


Si l’on regarde les résultats des élections sénatoriales, dans lesquelles les DS et le PRC ont présenté leurs propres listes, un second constat s’impose : ils sont finalement les seuls perdants d’une élection remportée de justesse par Prodi sur Berlusconi. La coalition de Prodi remporte d’une courte avance l’élection, mais dans son sein, se sont les partis nouvellement intégrés, les formations bourgeoises qui progressent en voix, et non l’Olivier, et pas non plus le PRC et les Communistes d’Italie, qui ne peuvent retrouver les scores du PRC de 1996 (avant la scission des CdI), même en additionnant leurs voix.

 

Les DS ne réalisent que 5 977 313 voix, soit 17,5 % des exprimés, et le PRC, 2 518 624, un peu mieux qu’à la chambre des députés, et 7.37 % des exprimés, les socialistes (qui ne se présentaient pas non plus à la chambre des députés, et pour cause !) 126 325, soit 0.37 %. Au total puisque les Communistes d’Italie ne se présentaient pas à ce scrutin, 8 622 262 voix, 25,24 % des exprimés, se sont portés sur les organisations issues du mouvement ouvrier.

 

C’est bien en deçà des élections de 1996, où le total était de 11 012 964 voix et 29,7 % des exprimés, et également en dessous des scores du seul PCI dans les années antérieures à 1990. Et ceci dans un contexte marqué par une participation extrêmement importante à ces élections. La décomposition organisationnelle du mouvement ouvrier italien s’accroît donc, sans cesse, comme résultante d’une politique d’alignement ouvert sur les desiderata des Agnelli et autres magnats du capitalisme italien.

 

A cet égard, il faut mentionner que, avant les élections, un projet de parti unifié « le parti démocratique », absorbant les DS et diverses formations bourgeoises, a capoté devant la résistance de l’appareil des DS. Il peut ressurgir, tout comme sont possibles des manœuvres en tout sens entre les Démocrates Chrétiens de « l’unione » et ceux de la « maisons des libertés » dirigée par Berlusconi. En matière de manœuvres, la désignation du nouveau gouvernement et la répartition des postes ont été « riches ».

Autre élément d’appréciation : la situation au sein du PRC. Parmi les « opposants» à la direction, il faut mentionner le courant de la « gauche critique », dirigée par les militants italiens pablistes, courant qui affirme dans Rouge n° 2156, journal de la LCR, son intention de soutenir au parlement le gouvernement Prodi :

« Mais nous n’avons pas occulté le fait que nos voix étaient nécessaires à la naissance du gouvernement Prodi et, surtout, au départ de Berlusconi du Palazzo Chigi (le siège du gouvernement), départ demandé par la grande majorité de l’électorat. »

La LCR et ses représentants locaux soutiennent donc Prodi, un soutien « critique », et cherchent à « faire pression » sur le gouvernement pour lui faire adopter un programme de gauche !  Mais la prise en charge de cette politique est lourde de crises de décomposition du PRC lui-même. Et c’est au moment même qu’une crise semble inévitable, qu’un autre courant d’opposition interne, le courant « projet communiste » a décidé de quitter de lui-même ce parti après y avoir pourtant passé les quinze dernières années sans trop de difficultés.


Une coalition hétéroclite…


Malgré la résistance symbolique opposée par Berlusconi à la formation d’un gouvernement dirigé par Prodi, celui-ci a fini par démissionner le 2 mai. Mais déjà l’élection des présidents des chambres avait beaucoup préoccupé les parlementaires, nécessité une négociation interne fort serrée, les DS servant une nouvelle fois de carpette  la coalition en renonçant finalement à présider une chambre, alors que c’est le parti le plus important de l’unione. Le dispositif choisi montre d’ailleurs qu’il faut balayer le spectre le plus large, afin d’obtenir le soutien sans faille de toutes les organisations issues du PCI. Ainsi Bertinotti a-t-il été élu président de la chambre des députés, tandis que les Communistes d’Italie eux ont posé leur candidature à la participation au gouvernement. Enfin, malgré le tir de barrage de Berlusconi contre D’Alema, les DS ont obtenu la présidence de la république, en la personne de Giorgio Napolitano. Ce dirigeant historique du PCI de l’époque de Berlinguer, âgé de 80 ans, et précédemment sénateur à vie, a pris tous les tournants du PCI, depuis le soutien à l’entrée des chars à Budapest, l’année où il est entré au CC du PCI, au « compromis historique » dont il a été un des partisans, à la transformation en PDS puis DS.

Massimo D’Alema devra se consoler avec le poste de vice-premier ministre, à égalité avec Rutelli, ex- maire de Rome.

 

La composition d’un gouvernement de collaboration de classe est décidément un travail d’orfèvre. Les laborieuses tractations pour satisfaire les uns et les autres sont bien entendu inhérentes au parlementarisme bourgeois qui est toujours le mode de fonctionnement des institutions de l’Italie.

 

Mais s’agissant de l’association de partis ouvriers-bourgeois et de partis bourgeois, ces tractations ont un double caractère. Elles témoignent à la fois de la nécessité de lier les mains de ces partis en échange de postes d’importance – mais donc dans le même temps du caractère hétéroclite de la coalition, laquelle peut être confrontée aux aspirations des masses. Celles-ci n’ont cessé de se manifester durant des années contre la politique de Berlusconi. Elles ont, en partie, cherché à signifier son congé à Berlusconi dans le cadre des élections malgré l’impossibilité de s’y rassembler sur leur propre terrain. Et en conséquence, on peut envisager comme tout à fait probable sans être certain que des affrontements aient lieu sur une question simple : la remise en cause des mesures anti-ouvrières accumulées en tout domaine par Berlusconi.


L’oeuvre du gouvernement Berlusconi-Fini-Bossi.


Sans avoir remporté de victoire décisive sur le prolétariat italien (cf. la manœuvre en recul qu’il a consentie sur l’article 18 qui régit les conditions de licenciements), Berlusconi a mis en œuvre un certain nombre de « réformes ». La réforme des retraites a été terminée, bien qu’il ne se soit agi que d’achever le travail entamé en 1992 et surtout en 1995.

 

La loi Biagi de 2003 est certainement ce qui est le plus spectaculaire de son mandat, et il faut dire qu’elle a profondément touché les travailleurs italiens, puisque 70 % des contrats de travail signés en 2005, le sont sous la forme des contrats précaires mis en place par la loi Biagi. Après le relatif échec sur l’article 18, en son temps la loi Biagi est passée sans qu’aucun mouvement significatif n’ait été enregistré, aussi rien n’a été écrit à son sujet dans les précédents articles de CPS. Elle fut cependant au cœur de la campagne électorale 2006. Il faut y revenir ici.

 

Si elle s’appuie sur l’existence de contrats précaires qui existent depuis longtemps, notamment le « co.co.co » (contrat de collaboration coordonnée)  apparu dès les années 80, ou encore sur le « paccheto Treu »,  petit pacte Treu, signé en 1996 par les dirigeants des organisations syndicales, elle permet d’élargir encore le recours au travail « atypique ». Le « co.co.co » est transformé par la loi Biagi en « co.co.pro », « contrat de collaboration coordonnée et continuée sur projet », bref une forme de contrat de mission. Un contrat administré ouvre le marché du travail, aux intérimaires très largement. Des contrats de formation et d’apprentissage s’ajoutent à cela, mais surtout le contrat de travail à l’appel, contrat « intermittent », sans précision de durée, mais qui peut être renouvelé tous les mois ou tous les matins… et même un contrat « partagé » entre plusieurs salariés qui définissent ensemble leur temps de travail respectif.

 

Ces contrats, tout particulièrement le « co.co.pro », et le travail « à l’appel », ont connu un véritable succès auprès des employeurs italiens. Et des fractions entières du prolétariat italien, jeunes ou moins jeunes sont soumises à ces conditions. On appelle les trentenaires contraints à rester dans leur famille ou à la collocation, les « milleuristes », en fonction de leur salaire moyen de 1000 euros. Ainsi que le souligne l’Humanité du 5 avril :

 « Phénomène marquant des dix dernières années en Italie, la précarité est devenue le mode de gestion courant de la main-d’oeuvre dans un nombre toujours croissant d’entreprises. Les PME industrielles du nord du pays et les sociétés de services de la capitale sont particulièrement friandes de la multitude de contrats « flexibles » qui ont été créés pour elles depuis le milieu des années 1990, d’abord par la loi Treu en 1997 (sous le gouvernement Prodi), puis par la loi Biagi de 2003. Pas moins d’une quarantaine de dispositifs différents cohabitent actuellement ; ces contrats dits « atypiques » et les CDD concernent en tout un peu plus de quatre millions de travailleurs.

 

Comme beaucoup de jeunes de sa génération, Maria n’a, elle, connu que des formes d’emploi précaire depuis son entrée sur le marché du travail il y a trois ans. Titulaire d’une maîtrise des sciences de l’écologie, elle a commencé comme « collaboratrice coordonnée continue » (co.co.co.), le contrat le plus utilisé avant 2003, pour une agence publique de l’environnement. Un statut qui mêle les contraintes du salariat à celles du travail indépendant.

« Je n’avais ni congés payés ni arrêts maladie ; pour ne pas perdre une journée de travail, il m’est arrivé de venir malade, se rappelle Maria. Je n’avais pas de pause repas fixe et pas de remboursement de mes frais comme les autres salariés. Pourtant, je pointais comme tout le monde et je devais être disponible toute la journée. » Le tout pour un salaire horaire de 6,40 euros, soit entre deux et trois fois moins que ses collègues pour un travail équivalent. Un soir de juillet 2004, Maria reçoit un coup de fil de son supérieur : « Il m’a juste dit que le contrat était fini, qu’il n’avait plus d’argent pour me payer. »

 

Pas besoin de motif, le co.co.co. et son dérivatif depuis 2004, le co.co.pro. (contrat de projet), peuvent être rompus à tout instant, et de façon unilatérale, par l’employeur. »

 

Le Monde du 7 avril décrit la situation de ces employés atypiques, et leurs revenus (même s’ils ne sont pas les seuls concernés par les salaires de misère):

« Ce sont les "milleuristes". Le néologisme est à la mode en Italie. Il désigne tous ceux qui doivent se débrouiller avec plus ou moins 1 000 euros par mois. Parmi eux, il y a, selon les statistiques officielles, les deux millions de salariés de 15 à 40 ans qui gagnent moins de 900 euros, auxquels s'ajoutent un demi-million de travailleurs indépendants. Mais les "milleuristes" forment surtout la masse grandissante des « atypiques »…

 

Le Monde donne les chiffres suivants :

« 89 % des 17-24 ans gagnent moins de 1 000 euros par mois et 65 % des 25-32 ans, selon l'Institut d'études IRES, dépendant du syndicat CGIL (gauche) ; 70 % des femmes qui travaillent sont des "milleuristes" ; 87 % des moins de 25 ans ont des contrats de travail à court terme, 53 % pour les 25-32 ans. Les moins de 30 ans ne représentent que 21 % des contrats "atypiques", qui touchent majoritairement les 30-59 ans (68 %) »

 
La loi Biagi, venant s’ajouter aux dispositifs précédents a donc considérablement aggravé les conditions d’existence de fractions entières du prolétariat, aussi bien quant au contrat de travail lui-même, que pour la couverture sociale, ou les revenus. Pour certains observateurs la loi Biagi est une officialisation du travail au noir qui frappe particulièrement ce pays.

 

La « dévolution », véritable explosion du cadre national de l’administration italienne et des différents services publics, qui doit être soumise à référendum en juin, ou encore la loi Moratti sur l’enseignement ont aussi leur importance.

Il faut ajouter l’accord sur la convention collective des 3.5 millions de fonctionnaire d’Etat, qui obtiennent 5,1 % d’augmentation de salaire, contre les 8 % revendiqués, mais en le conditionnant à une réduction de 110 000 postes d’ici à 2007, par le non renouvellement des départs en retraite.

Quant à l’assurance maladie, qui est passée en 1978 (lors du compromis historique) d’un système de sécurité sociale, géré notamment par les organisations syndicales, elle est devenue un système dit « universel », c'est-à-dire où les cotisations sont fiscalisées sur le modèle du système de santé anglais, et géré par des caisses régionales. Depuis l’arrivée de Berlusconi, la gestion des caisses régionales a pris pour modèle la Lombardie qui a ouvert largement le système à des intérêts privés, à des entreprises d’assurances, notamment. Les privatisations des entreprises nationales se sont multipliées ou ont été engagées par Berlusconi, notamment, celle d’Alitalia, ce qui a été douloureux pour les travailleurs de cette entreprise, confrontés à des plans de suppressions de postes et de licenciements, mais il faudrait y ajouter celle des services hydrauliques (qui permettent notamment l’irrigation et le drainage dans les plaines agricoles du Sud), ou encore celle en cours des autoroutes.

 

Enfin le gouvernement a pu avancer sur la réforme fiscale, en particulier en allégeant la fiscalité des entreprises, sur la « régularisation » de la fraude fiscale, en l’amnistiant purement et simplement, sur la « régularisation » du travail au noir, en le rendant officiel, notamment grâce à la loi Biagi. Ces amnisties et lois permettant à Berlusconi de se dégager de l’étreinte des juges, valent pour l’ensemble du patronat italien.  Sans avoir porté de coups décisifs, ce bilan pour la bourgeoisie est loin d’être négligeable. Mais il ne suffit pas.


Les angoisses de la bourgeoisie italienne


Le bilan économique des cinq années de gouvernement Berlusconi est pourtant mitigé. Les difficultés de l’économie italienne sont accentuées depuis l’entrée dans l’euro. Les grands groupes industriels ont connu des faillites ou des quasi-faillites, Candy, Parmalat, et même Fiat, baromètre de la santé économique de l’Italie. Pour les petites entreprises c’est encore plus difficile, elles se trouvent confrontées dans le secteur textile à la concurrence chinoise, sans pouvoir jouer sur les ressorts de la dévaluation compétitive traditionnellement employés du temps de la Lire. Certains ministres du gouvernement italien ont même ouvertement évoqué la sortie de l’euro lors de la préparation de la « constitution européenne »…

 

Embarqué auprès de Bush, Berlusconi a fait le choix de la « nouvelle Europe », mais finalement se trouve relativement isolé dans l’Union Européenne. L’offensive contre le « patriotisme économique » de la France, menée par l’Italie n’a pas trouvé de conclusion. Et le poids de la dette italienne pèse. Le commissaire européen Prodi en a fait d’ailleurs son axe de campagne.

 

L’Italie se trouve donc dans une crise de langueur : deux ans consécutifs de stagnation du PIB. L’Italie plus que la France encore, étant considérée comme l’homme malade de l’Europe. Selon l’Unita, l’ancien organe du PCI, proche des DS, les chiffres du second semestre 2005 sont les suivants : « L’industrie au sens strict, et l’agriculture ont subi une contraction de 0,2%, le bâtiment de 0,5%. La valeur ajoutée a augmenté de 1 % dans les services, de 0,3 % dans le bâtiment, de 0,1 % dans le secteur industriel, et l’agriculture a connu une baisse de la valeur ajoutée de 6,2 %. » L’économie italienne va donc mal.

 

Quant aux gains de productivité elle est très largement distancée par les voisins : tandis qu’elle croissait de 8 % dans l’Union européenne, et de 15 % aux Etats-Unis, ces dernières années, elle n’a augmenté que de 1,2 % dans le même temps en Italie, selon Pininfarina, un des responsables de la Cofindustria interviewé par l’Unita le 17 mars 2006, et qui souligne qu’on enregistre rarement un tel phénomène dans un pays industrialisé. Au point qu’en mars dernier, certains patrons italiens, inquiets, soulignaient qu’à ce train, l’Italie sortirait du G8, bref que l’impérialisme italien ne pourrait maintenir son rang déjà bien faible.

 

Ces angoisses sont à mettre en relation avec les développements de la lutte des classes ces dernières années. Les luttes du prolétariat italien se sont poursuivies comme l’ont montré les conflits des traminots de Milan ou encore la grève de Fiat Melfi, dans le sud de l’Italie, une des usines les plus productives du groupe (voir CPS n° 21, juin 2005). Le combat autour des augmentations de salaires dans les conventions collectives, notamment sur la différence entre l’inflation « programmée » et l’inflation réellement constatée, et le rattrapage salarial, reste une question importante, dans un pays qui a connu un système d’échelle mobile des salaires dans les années 70. Bien entendu cette question salariale reste au cœur des préoccupations du patronat italien. Et les tentatives de « pactes » avec les confédérations syndicales en 2004 et 2005 ont échoué, puisque la CGIL n’a pu les signer. On mesure ainsi la mission essentielle du nouveau gouvernement Prodi : arriver à un partenariat avec les directions syndicales, à commencer par celle de la CGIL, par l’entremise des partis DS et PRC de l’unione, prolonger la subordination complète des partis du  mouvement ouvrier jusqu’aux directions syndicales.


Prodi face aux premières échéances


La feuille de route du patronat italien au nouveau gouvernement est claire, et, en présence de Prodi, l’assemblée annuelle du patronat réunie le 25 mai 2006 l’a dit par la voix de son président Montezemolo.

« Le patronat italien a tendu la main jeudi aux syndicats, tout en les prévenant que son ouverture ne durerait pas "indéfiniment", et a souhaité bon travail au nouveau gouvernement de gauche de Romano Prodi, mais en réclamant d'entrée des choix "courageux et rigoureux".

"Meilleurs voeux à  Prodi et à  son gouvernement et merci à  ceux qui ont gouverné ces dernières années dans un contexte difficile. Mais maintenant, nous avons besoin de choix rigoureux et courageux et il n'y a plus de raccourcis", a déclaré Luca Cordero di Montezemolo, président de Confindustria, le syndicat du patronat italien, en ouvrant l'assemblée annuelle à  Rome.

M. di Montezemolo a également invité les syndicats au dialogue, mais il les a pressés de faire vite. "La discussion doit être ouverte de nouveau et nous souhaitons une position unitaire des syndicats. Il est clair cependant que nous ne pouvons pas l'attendre indéfiniment" (Selon l’AFP)

 

Montezemolo a appelé à une « collaboration pour former une nouvelle solidarité nationale faite de progrès partagé », bref à cette nécessaire association des directions syndicales. Il a aussi rappelé son attachement à la loi Biagi, et a rendu hommage à l’économiste « victime du terrorisme ».

 

Le gouvernement Prodi entend effectivement prendre les choix « rigoureux » et « courageux » que demande le patronat, notamment sur la question de la dette. Traditionnellement l’endettement de l’Italie est fort, mais durant les années 2000, le gouvernement Berlusconi l’a tout de même fait reculer… de 121 % du PIB en 2001, il était passé à 106 % en 2004. Mais voilà, en 2005, Berlusconi a laissé filer les comptes, et l’endettement global a de nouveau augmenté, en passant à 108 %. Quant au déficit du budget de l’Etat il est prévu à 3.8 % pour la fin 2006.

 

Immédiatement d’ailleurs après sa « victoire » électorale, Prodi a assuré ses partenaires européens, que l’Italie avait l’ambition d’une « Europe forte », ce qui passe notamment, même si dans la tribune qu’il a fait paraître dans la presse étrangère, en anglais, ne rentrait pas dans le détail de toutes ces question pragmatiques. Le budget et l’allègement de 5 % des charges patronales, la question de la fraude fiscale et des amnisties accordées en la matière par Berlusconi qui a ainsi blanchi une partie de l’économie submergée,  devraient être le premier problème à affronter.

 

Autre question : le retrait des troupes italiennes d’Irak. Dans une tribune-manifeste de politique étrangère, publiée par Le Monde, le 12 avril, Prodi concluait ainsi :

« L'Italie ne cessera pas ses efforts. Au contraire, nous continuerons à participer, comme par le passé, aux missions multilatérales de maintien de la paix. Nous considérons que l'intervention en Irak était injuste et injustifiée : on n'a trouvé aucune arme de destruction massive, la légitimité multilatérale n'a jamais été sollicitée et, enfin, loin de contrer le terrorisme, la guerre n'a contribué qu'à l'exacerber. Nous retirerons nos troupes d'Irak en accord avant tout avec le gouvernement légitime de Bagdad et enverrons un contingent civil chargé d'aider à la reconstruction des infrastructures et des institutions irakiennes.»

 

 Non seulement, l’Italie ne retirera pas immédiatement ses troupes d’Irak, mais elle le fera en « accord avec le gouvernement légitime de Bagdad », c'est-à-dire avec les troupes d’occupation américaines, tout en remplaçant les soldats en uniforme … par des soldats… en civil ! C’est  à dire que la priorité les intérêts italiens soient respectés. Rapidement (en juin) le financement des opérations en Afghanistan passera devant l’assemblée nationale.

 

Des échéances électorales viendront aussi rapidement. En effet, fin mai (le 28 et 29 mai) ont été fixées des élections régionales et locales. Les élections en Sicile, mais aussi dans 8 préfectures, et dans 1629 communes, dont celles des 4 plus grandes villes d’Italie, Turin, Milan, Naples et Rome. Les ténors de l’ancien gouvernement Berlusconi se présentent, Berlusconi lui-même à Naples, Letizia Moratti à Milan, et Rocco Buttiglione à Turin (celui dont la candidature à un poste de commissaire européen avait été rejetée pour propos homophobes). Ces élections municipales prendront donc une valeur de test, mais plus encore le référendum du 25 juin sur la ratification de la « dévolution » c'est-à-dire la  « fédéralisation » de l’Italie, loi du gouvernement Berlusconi. L’Unione et les directions syndicales appellent à voter « non ».

 

Enfin, plus ou moins rapidement, les exigences fondamentales de la classe ouvrière vont tendre à se manifester. L’exigence de l’abrogation de la loi Biagi, ou de la loi Morati sur l’enseignement, au premier chef. Mais, la convention collective des transports urbains vient à échéance, et des négociations sur la différence entre l’inflation programmée et réelle vont être entamées. D’ores et déjà les trois confédérations, appellent à une journée de grève de 8 heures, tout en respectant la loi sur le service garanti, pour une augmentation de salaire de 6%. Mais on se rappelle qu’en 2004, suite à 7 journées d’actions infructueuses, les traminots de Milan en particulier avaient entamé une grève dite « sauvage » en bloquant tout le trafic, et ne respectant pas la loi sur le service garanti.


L’issue : le combat contre le gouvernement Prodi, et donc pour la rupture
des organisations du mouvement ouvrier, partis et syndicats, avec lui.


On le voit avec l’arrivée de toutes ces échéances: l’avenir de la coalition rassemblée derrière Prodi n’est pas écrit à l’avance et sa solidité sera de toute façon mise rapidement à l’épreuve. Berslusconi reste d’ailleurs en embuscade. Mais ce sont les développements de la lutte de classe qui trancheront. Pour les travailleurs, la jeunesse, les questions se ramènent à une seule : pour obtenir satisfaction sur les revendications, il faut se préparer à affronter le gouvernement Prodi.

 

Obtenir l’abrogation de la loi Biagi, le retrait immédiat et inconditionnel des troupes d’Irak ; l’abrogation de la loi Morati sur l’école et de la loi de décentralisation qui vise à disperser la force du prolétariat région par région ; et encore, vraisemblablement, l’abrogation de la loi Fini-Bossi sur l’immigration exige de combattre contre un gouvernement dont le souci premier, il l’a dit, est de faire baisser la dette en en faisant porter le coût sur les épaules des travailleurs.

 

Après les élections, une question immédiate se pose. Sera-t-il possible aux DS, au PRC, au CdI sans lesquels le gouvernement ne peut gouverner, faute de majorité, de prendre en charge la politique de ce gouvernement ?

Inversement, l’exigence en direction de ces partis, de leurs députés, qu’ils reprennent à leur compte les revendications élémentaires d’abrogation de l’œuvre réactionnaire des Berlusconi-Fini-Bossi, ouvre une perspective aux masses pour faire aboutir leurs exigences.

Le combat pour que les dirigeants de la CGIL ou de l’UIL reprennent les revendications et combattent pour elles, donc rompent avec le gouvernement Prodi, est le premier pas dans cette direction, celle de la constitution du front unique des organisations du mouvement ouvrier pour faire triompher les revendications élémentaires de défense de la classe ouvrière, de la jeunesse – et donc la rupture de l’Unione avec la bourgeoisie.

 

Cette orientation est nécessaire, indispensable, pour que les grands combats menés ces dernières années par la classe ouvrière en Italie n’aient pas été vains. Dans le mouvement qui amènera les travailleurs à chercher à imposer à leurs organisations traditionnelles qu’elles fassent aboutir leurs revendications, mouvement qui est celui de l’affrontement avec les appareils de ces organisations, pourront se dégager les matériaux pour la construction du parti ouvrier révolutionnaire combattant pour le socialisme.


 

25 mai 2006

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