Article paru dans CPS n°28 ancienne série, juin 1989
VIVE LE PROLÉTARIAT, LA POPULATION LABORIEUSE, LES ÉTUDIANTS DE CHINE. CONTRE LA BUREAUCRATIE CHINOISE
RUISSELANTE DU SANG DES MASSES POPULAIRES. VIVE LE SOCIALISME
Le numéro du «Monde Diplomatique» de novembre 1988 a publié un dossier : «La Chine en crise». En voici des extraits. Dans son introduction, Jacques Decornoy écrit : «Passer, voilà dix ans, de la «pensée de Mao Zédong» à la «pensée Guizot», de l’utopie égalitaire au culte de la réussite individuelle, la Chine traverse une crise certaine. En décembre 1988, M. Deng Xiaoping la lança sur la voie de la modernisation. Aujourd’hui, une pause des réformes est décidée. Rester au milieu du guet ne résout rien. Mais laisser s’aggraver les tensions, notamment nées de l’inflation, comporterait aussi de gros risques d’agitation. Les autorités contrôlent fort mal une évolution qui vise... à lever les contrôles, ceux des prix notamment, qui ont littéralement bondi en mai pour les produits de première nécessité. L’inflation a continué depuis : elle pourrait être de 30 % cette année. L’économie est en surchauffe (la production industrielle était en août 1988 de 18,5 % supérieure à celle d’août 1987), les conditions de vie de nombreux citadins se détériorent, mais, en même temps, la masse globale d’argent disponible est considérable. Un vent de panique a provoqué l’été dernier d’énormes retraits de dépôts bancaires et une frénésie d’achats frôlant la folie. Inquiets, les dirigeants se sont réunis en septembre et ont décidé de donner un coup de frein à la «libéralisation». La ligne dite conservatricedirigée par M. Li Peng, le premier ministre, l’a emporté sur la ligne dite «réformiste» menée par M. Zhao Ziyang, secrétaire général. Les réformes, d’autant plus difficiles à maîtriser qu’elles concernent plus d’un milliard d’âmes et un pays aux puissantes forces centrifuges, locales et régionales, ont fait naître de graves distorsions sociales qui expliquent les tensions rurales et urbaines. La corruption est généralisée ; tous les coups étant bons pour réussir dans une course au profit tant vantée en haut lieu, des chefs d’entreprises, parfois des provinces, spéculent en utilisant le double système des prix, ou tel ou tel goulet d’étranglement de l’économie et les scènes de violence se sont multipliées cette année. La solution consiste-t-elle, comme il a été décidé, à «geler» d’abord les réformes pour ensuite les étaler dans le temps ? Le régime chinois, considéré comme le meilleur et assurément le plus imposant élève du Fonds monétaire international, est pris au piège. D’une part une forte minorité de la population ne rêve plus que de consommation «à l’occidentale» et tout a été mis en œuvre pour alimenter ce rêve et le faire devenir réalité. D’autre part, la loi du marché, outre qu’elle devient la loi de la jungle, se traduit par une «vérité des prix» qui interdit désormais aux familles ordinaires l’achat d’un billet d’entrée dans certains parcs de Pékin»
À LA CAMPAGNE
C’est à la campagne que «les réformes» ont été le plus loin et le plus rapidement A la suite des décisions de 1978: «L’histoire a déroulé le film à l’envers, en guère plus de temps qu’il n’a fallu pour collectiviser les terres (1955-56) la quasi totalité de la Chine des villages revenait de fait à l’agriculture privée (même si la terre restait propriété collective). On a assisté au dépérissement et même au démantèlement des communes populaires (lancées par Mao en 1958). La population paysanne -les trois quarts de l’ensemble chinois - se retrouvait au début des années 1980 en dehors du cadre de la socialisation, échappant de plus en plus au contrôle étroit du pouvoir..., ... De 1978 à 1985 le revenu nominal de l’agriculture a triplé, et doublé à prix constant, alors que le niveau de vie des paysans n’était guère plus élevé en 1978 qu’en 1957».
Ce globalisme ne rend pas un compte exact de la réalité : «Une différenciation sociale rapide à la suite de la décollectivisation est certes le changement le moins inattendu... A la place (de l’égalitarisme) on a vu apparaître des familles «à 10 000 yuans», des paysans millionnaires... Aujourd’hui la richesse provient de plus en plus de la concentration foncière, d’une accentuation de la polarisation sociale, de la reconstruction d’un solide groupe de paysans riches» «Autour de 1986... il s’agit de moderniser l’agriculture... On pousse plus loin la privatisation et on favorise l’acquisition - par location ou même l’achat - de superficies de plus en plus vastes par une couche de paysans aisés. Cette politique implique d’abandonner la fiction de la propriété étatique qui ne trompait plus grand monde. Défait, avant même que le procès ne soit autorisé ou même stimulé, une concentration rampante des terres se faisait jour. La terre se louait et se vendait... La situation a rapidement évolué : le fermier se sent sûr de ses droits. La concentration se fait ouvertement, dans un contexte juridiquement reconnu, mais encore imprécis dans ses modalités. L’ampleur en est mal connue, mais les conséquences sociales sont importantes. D’un côté, des propriétaires commencent à accumuler des terres et du capital ; ils s’adonnent à un consumérisme ostensible, mais se lancent aussi dans des investissements extra-agricoles ; de l’autre, des paysans se trouvent progressivement dépossédés de leurs terres, ils nourrissent l’exode rural ou commencent à se louer auprès des nouveaux riches. Le statut d’ouvrier agricole, interdit à l’époque maoïste, refait surface. On assiste à une inquiétante réapparition du travail des enfants. Certaines familles veulent maximiser leurs revenus en utilisant toutes les disponibilités de forces de travail, y compris les jeunes retirés de l’école. Paysans riches peu nombreux d’un côté, paysans appauvris de l’autre, pas encore en très grand nombre semble-t-il ; et au milieu une majorité attachée à son petit lot de terre. INDUSTRIALISATION RURALE Ce qui modifie encore plus fortement le monde rural et favorise une dynamisation sociale nouvelle, c’est l’industrialisation rapide qui se manifeste à la campagne, un phénomène lié à une grande mobilité des paysans» «Le départ vers les villes est, pour le moment, partiellement contenu, car les grandes agglomérations, déjà surpeuplées, ne pourrait faire face à l’afflux de millions de ruraux. Cette population dite «flottante», formerait au total 12% du total d’une agglomération comme Pékin, proportion qui pourrait atteindre 25 % dans les années 90».
La population des villes ne représente que 25 % de la population totale. Mais : «un nombre de plus en plus élevé de paysans travaillent à l’extérieur du village, dans les entreprises mises sur pied soit par les autorités locales, soit par les associations des paysans, soit encore par les paysans privés. Se constitue ainsi une sorte de semi-prolétariat, retournant souvent au champ à l’époque des récoltes» (...) (...) «Fin 1984, cent millions de ruraux travaillaient en dehors de la ferme... En 1986 la valeur de la production rurale non agricole dépassait pour la première fois celle des produits agricoles et atteignait 330 milliards de yuans. La part du privé dans cette industrie rurale est devenue importante surtout depuis les décrets de 1984 qui incitent au développement de ce secteur et lui permettent de lever des fonds sans passer par les banques y compris en proposant des actions.» (...) «Le secteur privé est à l’évidence en tête de l’industrialisation rurale, même si les chiffres indiquent en moyenne de petites entreprises ou ateliers» (...) «Il ne s’agit plus, comme à l’époque maoïste d’une industrie seulement tournée vers les besoins des paysans dans l’optique d’une économie largement autarcique. L’industrie rurale s’oriente vers les villes et, de plus en plus, vers l’exportation. Elle bénéficie d’avantages fiscaux et surtout, d’une main d’œuvre à bon marché, incluant souvent les membres de la famille ou proches. Une sorte de protocapitalisme ou de petit capitalisme sauvage s’instaure». (...) Les paysans, comme les citadins, ont maintenant le droit de racheter ou de louer certaines entreprises publiques en difficulté ou en faillite. Les paysans riches ne retirent pas plus que 20 à 33 % de leurs revenus de la ferme contre deux-tiers pour les paysans pauvres».
La Chine était parvenue à l’auto-suffisance alimentaire, ce n’est plus le cas. Elle doit avoir recours à des achats massifs de céréales sur le marché mondial (Extraits et d’après l’article : «La montée des différenciations sociales à la campagne» de Roland Lew).
DANS L’INDUSTRIE
Quant aux réformes portant sur la production industrielle, elles ont été engagées surtout depuis 1984. «RÉFORMES INDUSTRIELLES engagées en 1984. Elles se sont traduites par une restructuration du pouvoir dans les entreprises, en accordant notamment davantage de poids au directeur qu’au secrétaire du parti. Mais dans la réalité, c’est souvent la même personne qui occupe ces deux, fonctions, ce qui limite la portée de la réforme. Généralisation à partir de 1987 d’une réduction des taxes et profits versés à l’Etat et, surtout, du «système de responsabilité» par lequel le directeur doit remplir un «contrat». Le but est de lier les bénéfices de l’entreprise aux performances économiques. Le droit de propriété reste l’apanage de l’Etat, mais le droit de gestion est confié au directeur. Ce système touche, fin 87, 80 % des grandes et moyennes entreprises. Une partie fixée de la production est vendue au prix déterminé par l’Etat, le reste pouvait être écoulé au prix du marché. Mais la coexistence de ce double système de prix fait naître une spéculation généralisée. Les distorsions sont aussi fortes qu’irrationnelles et le marché se trouve toujours aujourd’hui dans l’incapacité d’assumer son rôle régulateur. Par ailleurs, les contractants sont trop dépendants d’échéances immédiates, ce qui explique le manque total d’investissements à long terme. PLANIFICATION Le plan ne porte plus que sur une soixantaine de produits et 20 % de la production, contre 120 produits et 40 % de la production en 1980. SECTEUR PRIVÉ Autorisé à partir de 1979. Assurerait déjà 10 % de laproduction industrielle.»
Selon le Ministre du Travail, les entreprises étatisées compteraient 15 millions de travailleurs en trop, avec les
coopératives cela ferait 20 millions et selon certains experts 30 millions. Il s’agit de rentabiliser ces entreprises, de les déclarer éventuellement en faillite ou de les céder au privé lorsqu’elles sont en déficit, de pouvoir licencier le personnel, de casser les droits et garanties de celui-ci. Mais ici la bureaucratie se heurte à la résistance des ouvriers. «Casser le «bol de riz en fer» (la garantie du travail à vie) et briser l’égalitarisme des revenus - distribués sans rapport avec la productivité du travail et de l’entreprise -tels étaient, dans les débuts, deux des grands objectifs proclamés. Les efforts en ce sens ont été très nombreux. La dernière et la plus systématique des tentatives a consisté à généraliser, dès le 1er octobre 1986, le système du contrat pour les nouveaux travailleurs entrant dans un emploi urbain. Les résultats de cette dernière réforme ne sont guère encourageants. Les efforts pour remodeler la classe ouvrière ont largement échoué - échec peut-être provisoire mais lourd de conséquences. Il n’est pas sans relation avec les déboires de la réforme des prix : des prix arbitraires, artificiels et un monde du travail (ouvriers, employés) quasi étatique, ce sont là les caractéristiques des pays de l’Est», écrit Roland Lew dans son article : «La classe ouvrière et la résistance aux changements». «De même la pression productiviste n’a pas donné des résultats notables. Sauf le phénomène inquiétant, d’accroître le nombre d’accidents du travail : quatre vingt mille morts en 1987, le chiffre le plus élevé depuis 1949» (...) «Pour l’essentiel, le statut ouvrier a peu changé. La mobilité des travailleurs, un des buts de l’introduction du système de contrat, est peu efficace. (...) La vie quotidienne ouvrière, malgré la situation du logement - qui était, il est vrai, désastreuse - reste pénible», ajoute Roland Lew.
A l’évidence, l’inflation accélérée a des conséquences désastreuses sur le pouvoir d’achat des travailleurs.
L’ENSEIGNEMENT
Quant à l’enseignement il est dans une situation lamentable aussi bien du point de vue des enseignants, des locaux, que du matériel. En outre : «La fréquentation scolaire est en baisse et le travail des enfants, pourtant interdit, a réapparu. Dans certains districts du Jiangxi, au sud-est du pays, ils constituent un tiers de la main d’œuvre locale y compris dans la construction. En dépit des amendes infligées aux entreprises qui violent la loi, le travail noir s’est étendu à des villes comme Tianjin où les jeunes ayant quitté l’école avant terme représentent 10 % de la population scolarisable».
CONCESSIONS À L’IMPÉRIALISME
La Chine a été évidemment largement ouverte aux marchandises et aux investissements étrangers. « ZONES ÉCONOMIQUES SPÉCIALES Décret est pris en août 1980 autorisant la création de quatre ZES dans le Guangdong. Des mesures préférentielles sont accordées aux investisseurs étrangers, qui peuvent dès lors investir en Chine, notamment par le biais de joint-ventures. En 1984, décision d’ouvrir 14 autres villes côtières aux investissements étrangers. L’investissement étranger se montait, en 1987, à 2,3 milliards de dollars US par an. COMMERCE EXTÉRIEUR En 1982, Pékin supprime la double dépendance vis à vis du Ministère du commerce extérieur et de la Com-mission d’Import-export pour regrouper tous les pouvoirs au sein d’un seul ministère. Ce ministère autorise certaines entreprises et filiales locales des sociétés de commerce extérieur à commercer de manière indépendante avec l’extérieur. On prévoit que son montant (40 milliards de dollars) doit quadrupler d’ici dix ans».
Les distorsions et inégalités économiques s’accentuent considérablement : notamment entre les zones côtières et les régions de l’intérieur. Une couche importante de capitalistes, petits et plus ou moins grands, prolifère. Elle est aujourd’hui la couche sociale montante.
«LA DÉMOCRATIE»
L’ensemble des relations économiques, sociales et politiques existantes en Chine sont explosives. A l’intérieur de la bureaucratie la pression sociale de la bourgeoisie, de la petite bourgeoisie, des forces pro-bourgeoises de la ville et de la campagne trouve des relais de bas en haut, du sommet à la base. D’autant plus qu’elle se conjugue à la fantastique pression qu’exercé l’impérialisme sur la bureaucratie chinoise. Pour l’impérialisme et les forces bourgeoises et pro-bourgeoises, ce qu’ils ont acquis ne leur suffit plus. Il leur faut abattre tout obstacle au nouveau développement capitaliste, à la nouvelle pénétration impérialiste, à la libre circulation des marchandises et des capitaux, au libre fonctionnement du marché, aux investissements privés, à la liberté de licenciement, à la libre exploitation de la force de travail, à la libre privatisation des entreprises publiques. Ils veulent que les conditions politiques en soient réalisées. Au moment actuel, les forces sociales bourgeoises et pro-bourgeoises n’ont pas la force de s’emparer directement du pouvoir politique. Elles exercent un maximum de pression sur la bureaucratie pour que l’aile de celle-ci, avec laquelle elles sont le plus liées, gouverne à leur avantage. Elles veulent une «réforme libérale» allant dans ce sens. Elles sont «réformistes» parce que, par peur des masses, elles ne veulent pas abattre encore le pouvoir bureaucratique.
Des pas ont été faits dans le sens voulu par les forces bourgeoises et pro-bourgeoises. « RÉVISION DES STATUTS DU PARTI (1987) Le 13e congrès du PC, en octobre, aborde de front les réformes politiques avec une révision des statuts du parti : séparation des attributions du parti et du gouvernement, soumission du parti aux lois et à la constitution, réforme du système des cadres et institution d’une fonction publique d’Etat. Mais la volonté politique fait défaut pour la mise en place effective de ces décisions. RÉFORME DANS L’ADMINISTRATION (AOUT 1988) L’agence Chine nouvelle annonce le «coup d’envoi des réformes politiques» avec la dissolution progressive des organes de direction du parti sur l’administration du pays. Apparemment, plusieurs ministères auraient supprimé les «groupes dirigeants» du PC qui doublonnaient avec l’administration proprement dite.»
Mais elles estiment que ces réformes sont beaucoup trop limitées. «LIMITES (AUJOURD’HUI) Aucun dirigeant au-dessus du niveau de la sous-préfecture n’est choisi par des élections directes. La décentralisation politique fait que Pékin ne garde de juridiction directe que sur un tiers seulement des cadres qu’il gérait autrefois. Parmi tes points noirs, le système juridique commence à peine à se mettre en place, de même que le droit administratif.»
Voilà ce que couvre leur revendication de «la démocratie».
Pour la classe ouvrière et les masses exploitées, le mot «démocratie» signifie tout autre chose : assez de ce cours économique qui met en cause nos acquis, nos garanties d’emploi et toutes sortes de prestations sociales ; redressement et garantie de notre pouvoir d’achat ; droits et libertés concrètes : d’organisations syndicales et politiques, de presse, de manifestations, de réunions, etc... ; Dehors la bureaucratie parasitaire, prévaricatrice et pourrie, liée aux profiteurs et aux spéculateurs ; pour un véritable pouvoir politique prolétarien. Rien ne servirait de le nier, tout n’est cependant pas clair, la confusion existe. C’est ce qui explique que les grandes masses aient adopté le mot d’ordre caoutchouc de «démocratie».