Article paru dans C.P.S ancienne série n°24, du 7 novembre 1988

ALGERIE : LA REVOLUTION PROLETARIENNE SOURD

 

NOYER DANS LE SANG LE MOUVEMENT DES MASSES

Plus de cinq cents morts, des milliers de blessés, des milliers et des milliers d'arrestations : voilà la réponse du gouvernement CHADLI, du F.L.N. et de l'Armée Nationale Populaire aux revendications et aux aspirations de la jeunesse et du prolétariat algériens. Généralement et  délibérément la presse a ignoré que les manifestations des 4 et 5 octobre à Alger et des jours suivants dans toutes les grandes villes d'Algérie ont été précédées par une puissante vague de grèves. Le 4 octobre, le correspondant du "Monde" à Alger signalait :

"Depuis une semaine la grève paralyse la zone industrielle comprise entre Rouïba et Reghaï a à une vingtaine de kilomètres à l'est d'Alger. La suppression d'une "prime de jouet" de 100 dinars (un dinar équivaut grosso modo à un franc) par enfant allouée aux travailleurs de la Société nationale de véhicules industriels (SNVI, ex‑Berliet) est à l'origine d'un conflit social qui s'est étendu rapidement aux autres entreprises...

Dimanche 2 octobre, la grève a éclaté dans la matinée au centre des chèques postaux et au centre de tri postal d'Alger‑gare avant de s'étendre au cours de la journée à l'ensemble des PTT. Les fonctionnaires des postes réclament l'application d'un statut spécial prévu par le statut général des travailleurs (SGT), sorte de grille des salaires à l'échelle nationale. Mais Alger et sa banlieue n'ont pas le monopole de la tension sociale. Des conflits sont signalés ici et là en province, qui traduisent un mécontentement général de plus en plus sensible".

"Le Monde" daté du 6 octobre rapportait :

"Des rumeurs insistantes de grève générale pour mercredi 5 octobre ont converge de tout le pays vers la capitale depuis plusieurs jours. Des tracts auraient circulé appelant à cesser le travail. Mais mardi soir aucune confirmation de mot d'ordre précis n'a pu être déterminé".

A tel point, ajoutait‑il, que :

« L’Union Générale des travailleurs algériens (UGTA, syndicat unique), l'une des organisations de masse du F.L.N. dans son communiqué "réaffirme le bien fondé des aspirations légitimes des travailleurs en matière de pouvoir d'achat et de conditions de vie".

Mais (quoi qu'en dise "Le Monde") l’UGTA est une structure subordonnée au F.L.N. et au gouvernement. Aussi, son communiqué poursuivait :

"Tout en mettant en garde contre les dépassements qui nuisent en dernier ressort aux travailleurs, à l'économie nationale et à notre Révolution Socialiste".

C'est sur le fond d'engagements de grands mouvements de grèves, d'une atmosphère de préparation à la grève générale des travailleurs algériens que, le 5 octobre, écoliers et lycéens en grève ont commencé à manifester à Alger. Des milliers et des milliers de jeunes sans emploi et sans espoir d'en obtenir, venant des quartiers populaires les ont rejoints et ont déferlé sur la ville ainsi qu'un raz de marée. Leur colère n'a pas été aveugle :

"(Ils) ont souvent choisi avec soin leurs objectifs et plus particulièrement ceux qui représentent l'Etat, le parti au l'opulence. Ils ont brisé toutes les vitres du ministère du commerce, envahi le ministère de la jeunesse et des sports, allant jusqu’à brûler le fauteuil du chef de cabinet en place publique et mis à sac, avant de l'incendier, le ministère de l'éducation et de la formation, qui a son siège à Koubai en proche banlieue".

La jeunesse à attaqué toutes les représentations du pouvoir qu'elle a pu atteindre. Dés le 5 octobre, les Compagnies Nationales de Sécurité protégeaient le siège du F.L.N..

Le 6 octobre dans l'après‑midi, le gouvernement CHADLI a décrété l'état de siège. Le mouvement de la jeunesse s'est étendu aux autres villes d'Algérie : Oran, Mostaganem, Blida, Annaba, etc... Précédemment déjà contre les travailleurs en grève :

"des centaines d'hommes des CNS (Compagnie Nationale de Sécurité), l'équivalent des CRS français, ont été déployés, casqués, munis de boucliers, afin de barrer l'accès au centre de Rouiba, interdisant du même coup la route de la capitale aux grévistes qui avaient pourtant décidé d'aller s'y faire entendre. De violents affrontements ont opposé les manifestants aux forces de l'ordre qui disposaient de canons à eau et de chiens policiers". ("Le Monde" du 4 octobre).

Contre le mouvement des jeunes, l'armée a été engagée :

"La répression a été terrible. Après une première journée d'émeute, l'appel à l'armée a été fatal. Sans états d'âme, les soldats dont beaucoup venaient de la région militaire de Béchar, ont obéi aux ordres. Ils ont tiré sauvagement sur d'autres Algériens, au pistolet, au fusil à pompe, au fusil à lunette, au pistolet mitrailleur, au fusil mitrailleur, à la mitrailleuse et à la mitrailleuse lourde de 23mm montée sur des chars".

Des chars auraient tiré au canon sur les manifestants. La forme et la violence de la répression ont été froidement calculées : il s'est agi de noyer dans le sang la lutte du prolétariat et de la jeunesse contre le régime. Ce fut la purge sanglante.

"LA VOIE ALGERIENNE DE DEVELOPPEMENT" : LES DEUX PREMIERS PLANS

Aux grèves ouvrières, au déferlement de la jeunesse d'Algérie, il y a des causes immédiates. Tout manque pour la population laborieuse et la jeunesse : la semoule, l'huile, le beurre, la viande, le pain, le café, le thé, les détergents, les ampoules électriques, etc, etc... La rentrée scolaire a été marquée par la totale pénurie des fournitures. La spéculation sévit et les prix flambent. Il faut jusqu'à 200 dinars (environ 200 francs) pour un kilo de viande alors que les salaires sont effroyablement bas. Jusqu'à l'eau qui manque à Alger. Dans la journée elle est coupée.

C'est la conséquence de la politique économique que le régime a suivie depuis son avènement en 1962, mais qui a pris son plein essor à partir du coup d'Etat du 19 juin 1965 où BOUMEDIENNE, chef de l'A.N.P., a renversé BEN BELLA. "Le modèle de développement algérien" était simple : accroissement massif de l'extraction du pétrole et du gaz dont la vente sur le marché mondial devait permettre à l'Etat algérien de se procurer les devises nécessaires à un développement rapide et gigantesque, pour le pays, de l'industrie lourde (sidérurgie, métallurgie, mécanique), de l'électrification, d'industries de transformation (chimie organique (plastique) et minérale (engrais, azote, soufre)). Par entraînement cela devait provoquer la constitution et la croissance d'industries de biens de consommation, le développement de l'agriculture. Au total l'économie algérienne devait croître harmonieusement et couvrir l'ensemble des besoins de l'Algérie. La principale source du financement de l'économie devait être l'Etat.

Entre 1962 et 1971, les revenus provenant des hydrocarbures sont passés de 50 millions de dinars en 1962 à 1 648 millions en 1971. Entre 1965 et 1971, l'essentiel des avoirs étrangers en Algérie, mines, compagnies d'assurances, industries, sociétés pétrolières, a été nationalisé, non sans indemnités ; les banques étrangères ont été nationalisées et tout le secteur bancaire est passé aux mains de l'Etat. De gigantesques trusts ont été constitués dont le Sonatrach.

Toute la planification a été conçue selon le "modèle" stalinien et les experts du Kremlin ont joué un rôle déterminant dans l'élaboration des plans : de 1967 à 1969, premier plan triennal ; 1970‑1973 et 1974‑1977, deux plans de 4 ans. Au cours du plan 1967‑69 les investissements se sont élevés à 9,8 milliards de dinars. Entre 1970‑73, ils ont atteint 34,5 milliards et 10,6 entre 1974‑77. L"industrie et les hydrocarbures ont absorbé 62 % des investissements planifiés. La part des investissements dans l'agriculture est par contre tombée de 16,1 % à 7,2 %.

Dans le numéro 4 et 5 de "Libre Algérie" (juillet ‑ septembre 1987) Chibani MAKLOUF écrivait :

"L'industrialisation lourde a nécessité un équipement gigantesque, totalement importé, (elle) n'a créé que très peu d'emplois et comme elle s'est développée sans impulser les autres branches, elle se trouvera comme enclavée dans l'économie algérienne. Dépendante par ses équipements et sa technologie, sa main d'œuvre, son encadrement, ses matières premières, son financement et ses débouchés, des pays capitalistes, elle ne se constitue pas comme le pôle de l'industrialisation de l'Algérie, mais comme la branche algérienne des trusts internationaux qui ne pouvaient la construire qu'en la spécialisant dans la production de ferraille". (...) Dès 1973 et plus encore après 1974 l'Algérie est entrée dans un engrenage ou le contrôle de son appareil de production dépend pour une large part des trusts et des banques.

Les usines ont nécessité une main d'œuvre très qualifiée, limitée et bien payée, ce qui a entraîné une crise grave, du chômage et des sous emplois (350 000 emplois non agricoles créés en 4 ans alors que la population s'est accrue à un rythme annuel de 3,5 % et compte 56,6 % de jeunes de mains de vingt ans)". (...) Elle a créé un problème au sein de la fonction publique (écarts énormes entre les salariés de la Sonatrach et d'autres salariés comme les enseignants ou les postiers) et un véritable fossé entre les ouvriers et les paysans".

A la campagne aussi se sont développées les différenciations sociales. A la mort de BOUMEDIENNE, fin décembre 1978, crise économique et crise sociale étaient déjà à l'ordre du jour.

REAJUSTEMENT: LES DEUX PLANS QUINQUENNAUX

En 1980‑84 et 1985‑89, nouveaux plans quinquennaux cette fois. En 1980‑84 :

"L'industrie et les hydrocarbures bénéficient des plus importants crédits, soit 154,5 milliards de dinars (38,6 % du total) mais le changement avec la politique antérieure est sensible, surtout pour les hydrocarbures dont la part est réduite de moitié (15,7 % du total au lieu de 29,40 %)... on admet qu'une partie de l'appareil productif, construit autour des hydrocarbures doit être démantelé" ( ... ) "découpage des grandes sociétés nationales en unités plus petites, dirigées par des PDG chargés de réaliser une plus grandes rentabilité du capital et la recherche d'une meilleure exploitation des travailleurs par leur intégration dans le processus de production" ( ... ) "La décentralisation" grâce au rôle plus actif demandé aux entreprises, communes et willaya qui doivent élaborer des plans pluri‑annuels mis en œuvre par des "plans annuels d'exécution" qui concourent à la réalisation du plan national".

Il s'agit de :

"remodeler l'économie en fonction de la crise économique mondiale, de supprimer les déséquilibres pour éviter l'explosion sociale et de rechercher, par une exploitation souple de la force de travail, la reproduction et l'élargissement du capitalisme d'Etat".

Le monopole d'Etat du commerce extérieur établi en 1978 est assoupli.

Le plan quinquennal 1985‑89 est encore en cours d'application. Il est marqué par les conséquences de la crise économique, ses répercussions sur l'Algérie, la chute des cours pétroliers.

1)   L'Algérie a multiplié la création de sociétés mixtes avec les Etats Unis, l'URSS et les pays de la CEE pour bénéficier des capitaux et de la technologie étrangère et s'assurer des débouchés pour ses hydrocarbures; en contrepartie, elle ouvre son marché intérieur aux sociétés étrangères qui spécialisent les entreprises étrangères dans la sous‑traitance. Ces sociétés doivent faciliter le démantèlement du secteur public et servir de pont avec le secteur privé, encouragé par tous les moyens. Elles doivent aussi servir d'entreprises pilotes pour mieux inciter les entreprises publiques à réaliser des gains de productivité, c'est‑à‑dire à obtenir par des méthodes de gestion moderne (informatique, mobilité de la main d'œuvre, salaires liés aux résultats, en application avec le Statut Général du travailleur) et la généralisation de la gestion socialiste des entreprises (corporatisme) une rentabilisation maximale de la force de travail. Et cet afin d'assurer des profits aux actionnaires des sociétés mixtes.

2)                           La nécessité d'assurer l'auto‑suffisance élémentaire et la satisfaction des besoins sociaux.

3)   La recherche du "moins d'Etat" par la dénationalisation croissante des entreprises publiques et la suppression progressive des avantages acquis : gratuité de l'enseignement, logements de fonction, médecine gratuite, allocations familiales, Sécurité Sociale, soutien aux produits de première nécessité".

"Le Monde" du 13 octobre écrit :

"Dans l'industrie, le secteur privé longtemps brimé retrouve droit de cité. Le code pétrolier est revu pour permettre aux compagnies étrangères de reprendre l'exploitation du territoire. Les grandes entreprises nationales d'abord morcelées en unités plus maniables sont débarrassées de la tutelle étroite des ministères. Depuis juin (1988) la participation de l’Etat est portée par les holdings chargés de contrôler a posteriori la gestion désormais jugée sur des critères de rentabilité financière et non plus le respect des objectifs du plan. Symbole : le ministère du plan lui‑même est supprimé en novembre 1987, alors que les chambres de commerce sont réhabilitées".

Désormais les entreprises nationales peuvent licencier.

LA "REFORME AGRAIRE"

L'agriculture a évolué parallèlement. Dès 1962 le départ des colons, la volonté des fellahs d'occuper les terres, a posé problème au gouvernement BEN BELLA. En mars et en octobre 1962, les biens vacants et appartenant aux européens ont été nationalisés et le secteur d'auto‑gestion a été créé : 3 millions d'hectares (1/3 des terres cultivées, la quasi totalité des terres riches), 100 000 travailleurs. Les comités de gestion n'ont fait que gérer les terres nationalisées. Le rôle de direction est revenu aux directions qui ont fait appliquer le plan.

En 1972, le gouvernement BOUMEDIENNE a décrété "la révolution agraire". Les terres communales et domaniales, les archs, les habous publics et les terres en friches ont été nationalisés et versés au fonds national de la révolution agraire. Le FNRA a obtenu ainsi 3 millions d'hectares supplémentaires. Au cours de la 2e phase, juin 1973, juin 1975, la réforme a touché 21 980 propriétaires dont 17 000 absentéistes, 631 840 hectares et 768 000 hectares de palmiers. Les fellahs auxquels ces terres ont été attribuées ont dû s'affilier aux "coopératives agricoles polyvalentes communales de service" (CAPCS) et ils en dépendent strictement.         

"La R.A. a créé trois secteurs distincts :

·        l'autogestion étatisée avec ses propres structures de commercialisation ;

·        le secteur privé ne bénéficiant d'aucun investissement public, créant ses propres structures de commercialisation et contrôlant les circuits de la viande, des fruits et des légumes ,

·        le secteur de coopératives de la "R.A." aidé et contrôlé par l'Etat. La bureaucratisation a abouti à un résultat étonnant : pour écouler leur production, les coopératives ont dû passer par les circuits du privé".

Depuis 1980 l'Etat a augmenté considérablement les investissements dans l'agriculture. Mais c'est surtout depuis 1986 que des "réformes" ont été engagées. Les fermes d'Etat sont cédées en gérance à de nouvelles coopératives ou à des particuliers. Ce qui fait dire aux Algériens :

"Les barons du régime avaient eu les villas et les commissions sur le pétrole, Leurs fils ont eu les terres".

Les prix agricoles ont été libérés. La production a augmenté mais les prix flambent.

L'ECONOMIE D’UN PAYS SEMI‑COLONIAL

Alors qu'en trente cinq ans la population est passée de 9 520 7216 habitants (1954) dont 984 031 européens, à environ 20 millions en 1988 (malgré l'exode des européens), la production agricole et de biens de consommation est loin d'avoir suivie. Rien qu'en ce qui concerne l'alimentation, la couverture par la production nationale est tombée de : 70 % en 1969, à 55 % en 1973, à 35 % en 1977, à 30 % en 1980. Aujourd'hui encore les 2/3 des besoins alimentaires du pays sont couverts par l'importation.

La crise économique de 1980 a frappé durement l'économie algérienne. La chute des cours du pétrole et du gaz lui est fatale. 95 % des exportations sont constitués par le pétrole et le gaz. En 1985 ces exportations s'élevaient encore à 12,5 milliards de dollars en 1986, elles sont tombées à 7,9 milliards. Elles se sont situées à 9 milliards en 1987. Depuis 1985, pour maintenir l'équilibre de la balance commerciale, les importations ont été drastiquement réduites : 10 milliards de dollars en 1984 ; 9,11 milliards en 1985. Pour 1986 le programme global d'importations était fixé à 48 milliards de dinars. Il a été réduit à 30 milliards. En 1987 les importations ont été limitées à 7,5 milliards de dollars dont 1/3 pour les achats alimentaires. Les dépenses budgétaires ont été réduites d'un quart et les recettes fiscales tirées du pétrole ont diminué de la moitié en un an. De grands projets d'investissements ont été abandonnés. Les salaires ont été bloqués. Le taux de croissance est tombé de 5 % à moins de 3 % en dessous de la croissance démographique 3,07 %. Sur une "population active" de seulement 3 700 000, il y aurait, selon les chiffres officiels, 17 % de chômeurs.

La dette extérieure n'a cessé de croître. Nulle en 1965, elle a atteint 5 milliards de dollars en 1975, 17 milliards en 1984, 21 milliards en 1987. Le montant du service de la dette est écrasant : 3,4 milliards de dollars en 1987, soit 40 % des recettes d'exportation :

"Les besoins de financement en 1987 ont atteint 4,3 milliards de dollars, contraignant l'Algérie à trouver quelque 3 milliards de financement bancaire directs". (Le Monde Economique 1987).

Mais l'Algérie est un des "bons élèves du FMI". Jusqu'alors, elle a "honoré" les échéances de sa dette sans demander de rééchelonnement. La classe ouvrière, la population laborieuse, la jeunesse n'ont qu'à se serrer la ceinture. Telles sont les cause immédiates des grèves et des manifestations.

UNE REVOLUTION ETOUFFEE

"Le modèle de développement de l'Algérie" est une faillite. En fait de socialisme, d'indépendance nationale, l'Algérie a été intégrée à la division internationale du travail que domine l'impérialisme. De toute façon ce "modèle de développement" ne peut que subir les crises de l'économie capitaliste. Mais, de plus, sur cette base, l'Algérie n'a pas cesse d'être une semi‑colonie sous la couverture de l'indépendance politique. Finalement la raison fondamentale des contradictions économiques, sociales et politiques qui sont à l'origine des puissants mouvements de grève et du déferlement de la jeunesse qui a suivi, est que la guerre pour l'indépendance contre l'impérialisme français a été menée sur le terrain de l'unité nationale contre toute tendance à ce qu'elle se développe en révolution prolétarienne. Les accords d'Evian, signés entre DE GAULLE et le Gouvernement Provisoire Révolutionnaire Algérien, ont prévu la constitution d'un exécutif provisoire que A. FARES a présidé et un référendum sur l'indépendance de l'Algérie. Il a eu lieu le 1er juillet 1962 : 90 % pour l'indépendance. Le gouvernement français a remis alors le pouvoir à l'exécutif provisoire. Le CYPRA et l'exécutif provisoire se sont rapidement décomposés.

L'Armée de Libération Nationale était composée des combattants de l'intérieur (des Willayas) et de l'armée qui était regroupée aux frontières de l'Algérie, en Tunisie et au Maroc. Cette armée de l'extérieur n'a pas combattu mais à disposé d'un armement relativement important. En s'appuyant sur l'armée des frontières passée en Algérie après l'indépendance (elle sera rebaptisée le 4 septembre 1962 "Armée Nationale Populaire") BEN BELLA s'est emparé du pouvoir. Il a brisé les forces armées de l'intérieur (des Willayas) et tout mouvement autonome des masses. Il a intégré l'UGTA à l'appareil du F.L.N., éliminé le mouvement des paysans d'occupation et de gestion des terres des colons. C'est‑à‑dire qu'il a cassé toutes tendances à la révolution sociale. Il s'est situé sur la ligne de l'application des accords d'Evian et a commencé à construire le nouvel Etat bourgeois algérien.

Dans "La Vérité" no 527 de février‑avril 1964, AKLOUF écrivait que l'Etat algérien est un "Etat bourgeois". Il précisait :

"La bourgeoisie nationale n'a pas les moyens de gouverner directement. Elle doit s'en remettre à une bureaucratie politique parasitaire pour quelle construise un véritable appareil d'Etat. Cet Etat, au sens strict du terme, joue pour cette bourgeoisie un rôle de tuteur assurant, par l'animation d'un secteur nationalisé, les conditions d'un développement économique. Par la même, cet Etat dispose d'une relative autonomie. C'est en ce sens que le régime de BEN BELLA, élevé au dessus des différentes classes sociales et jouant de leurs contradictions, est un régime bonapartiste. Qu'il ne satisfasse pas toutes les couches de la bourgeoisie algérienne est une évidence, mais elles sont bien contraintes pour l'heure de s'en contenter. Ce type de régime appuyé par un parti unique se retrouve, certes avec des variantes différentes, dans nombre de pays ayant récemment accédé à une indépendance formelle"

BOUMEDIENNE a renversé BEN BELLA et il a poursuivi la construction de cet Etat. Le pseudo socialisme algérien n'a été que la recherche du renforcement des bases économiques et sociales de la faible bourgeoisie algérienne. La période CHADLI et le cours actuel vont dans le sens de l'extension de l'appropriation privée des moyens de production, le démantèlement des secteurs de plus en plus importants des nationalisations, ce qui va de pair avec la soumission toujours plus étroite de l'économie algérienne aux capitaux étrangers, cela dans le cadre de la crise économique, sociale et politique actuelle.

D'INCESSANTS MOUVEMENTS DE CLASSE

Depuis la conquête de l'indépendance politique formelle en Algérie la lutte des classes entre le prolétariat, la paysannerie pauvre, la jeunesse et la bourgeoisie, le pouvoir, l'appareil d'Etat a été d'une grande intensité. Agitation chronique en Kabilie pour les droits nationaux. Dés décembre 1964, série de grèves : dockers d'Alger, travailleurs de la SNTA, Peugeot, Durafour, Sonatrach. Février 1967 : grève des étudiants. Février 1968 : grève générale de l'Université. 2‑19 janvier 1971 : grèves et manifestations étudiantes, le 15 dissolution de l'UNEA. 4‑15 octobre 1974 : grève de 1200 ouvriers de la SNS (métallurgie) de Kourba, grève générale et création d'un collectif de grève. 16‑30 avril 1977 : grève massive des étudiants arabisants. Mai‑juillet 1977 : vague de grèves : 8‑16 grève générale des dockers, affrontements sanglants avec les forces de l'ordre ; 19‑221 juillet, grève générale victorieuse des cheminots relayée le 13 août par celle de la RSTA (transports d'Alger). Septembre‑octobre 1977 : grèves à la Sonatra (mécanique) de Constantine et Rouiba, RSTA ; manifestations à Oran, Skikda, Belcourt, Sétif. Mai‑juillet 1978, série de grèves : usine textile de la Sonitrex de Diaa Ben Khedda, transports, cheminots de Constantine, à la Sonatra 6‑16 juillet 1979, grève générale victorieuse des postiers. 22 novembre grève des étudiants arabisants.

1er avril‑25 juin, le "printemps kabyle", le peuple kabyle lutte pour ses droits nationaux. 1981 : du 3 février au 23 mars, nouveaux mouvements en Kabylie. 19 mai journée des étudiants, manifestations d'étudiants et de jeunes à Alger, Tizi­-Ouzou, Annaba. A Bejaia, la manifestation étudiante et lycéenne est rejointe par les ouvriers, les fonctionnaires et la population. Saccage du siège F.L.N., des locaux de la Willaya, de l'APC, vive répression, des centaines d'arrestations. 20 avril émeutes dans l'Oranais et le Constantinois. 9 juillet et 26 septembre, grève au complexe de véhicules industriels de Rouiba. 5‑8 juin 1985 graves incidents liés à des conflits de redistribution des terres cultivables à Ghardaïa. 2 morts, 56 blessés, une centaine d'arrestations. Du 19 octobre à décembre, Kabylie : grève de soutien et manifestations en faveur des emprisonnés. 8‑10 novembre 1986, à Constantine manifestation d'étudiants et de lycéens contre la réforme du bac. Violents affrontements avec la police : 4 tués, des centaines de blessés. Elargissement du mouvement dans plusieurs villes de l'est (d'après la chronologie établie par "Libre Algérie" no 4 et 5).

La bourgeoisie algérienne doit, d'autant plus qu'elle est faible, abandonner le pouvoir politique à l'armée, à la police, aux forces répressives, au F.L.N., à un Etat hypertrophié, brutalement répressif, comme elle a dû avoir recours à lui pour réaliser les conditions de son renforcement économique et social.

TOUS SOUTIENNENT CHADLI

Le sang des massacres coulait encore que le gouvernement CHADLI recevait des messages de soutien du roi du Maroc, du gouvernement BEN ALI de Tunisie, du colonel KADHAFI. Les gouvernements impérialistes, la bureaucratie du Kremlin, soutiennent, évidemment aussi, le gouvernement des massacreurs de la jeunesse algérienne. Les gouvernements français successifs ont collaboré étroitement avec les services secrets du gouvernement CHADLI : BEN BELLA expulsé de France ; toute publication d'opposition au gouvernement CHADLI interdite en France, couverture de l'assassinat, le 7 avril 1987, de ALI MILICI, rédacteur en chef de "Libre Algérie". Le gouvernement MITTERRAND ‑ ROCARD ‑ DURAFOUR ‑ SOISSON soutient le gouvernement CHADLI. Il laisse d'ailleurs "l'Amicale des Algériens de France", instrument des services secrets algériens, contrôler au compte du gouvernement CHADLI l'émigration algérienne en France. Toute la presse française, du "Monde" à "Libération", va dans le même sens. Que dans les sommets gouvernementaux algériens, à l'intérieur du F.L.N. il y ait des divergences et contradictions c'est vraisemblable. Mais pour couvrir CHADLI ces journaux n'hésitent pas à évoquer la possibilité d'un sombre complot manigancé par les officiers de l'ANP pour déconsidérer CHADLI aux yeux des masses. Lui‑même pour se blanchir vient de limoger MESSAADIA, numéro 2 du F.L.N. et le général LAKHAL‑AYAT, chef de la sécurité militaire.

La direction du P.C.F. y va aussi de sa contribution au soutien du gouvernement des massacreurs de la jeunesse algérienne. Claude BILLIARD, rapporteur au C.C. du P.C.F. qui s'est tenu le 12 octobre, a déclaré :

"Le président CHADLI lui‑même a souligné l'ampleur des difficultés, en dénonçant les carences dans le développement économique, la bureaucratie, l'enrichissement de certains au détriment des citoyens et de l’Etat. Il a pris l'engagement de réformes politiques importantes".

Le 10 octobre, CHADLI a pris la parole à la radio et à la télévision. Il a évoqué Dieu et a "justifié" la répression :

"Il était de mon devoir en tant que premier responsable de la nation de prendre, dans le cadre de mes prérogatives constitutionnelles, les mesures nécessaires pour protéger cet Etat et cette nation, quelles que soient les circonstances et les difficultés".

Ensuite de quoi il s'est retranché derrière la crise pour expliquer la pénurie. Enfin, il a annoncé des "réformes nécessaires même dans le domaine politique". Les "réformes économiques" sont connues, ce sont celles déjà en cours. Elles seront poursuivies et étendues. Toutes sont favorables à la bourgeoisie algérienne et à son renforcement économique et social. Les réformes politiques qui devaient être approuvées par un référendum, le 3 novembre, consisteraient en ce que le président de la République choisirait le premier ministre lequel serait désormais responsable devant l'Assemblée Nationale. Jusqu'à présent, le gouvernement dépendait directement du président de la République. Mais le F.L.N. resterait le parti unique et toutes les "organisations de masse", UGTA et autres, continueraient à lui être subordonnées de fait sinon de droit. Rien ne changerait en fait sur ce plan. Par contre, il semble bien que le pouvoir soit ébranlé et que se soient mis en route des processus qu'il ne contrôle pas : dénonciation des tortures subies par les manifestants qui furent arrêtés ; formation d'un "comité universitaire pour la démocratie, contre la répression et la torture", "comité provisoire" pour constituer une organisation professionnelle autonome des médecins, etc...

POUR UN PARTI OUVRIER : LE PARTI DU PROLETARIAT

Derrière les grèves et le mouvement de la jeunesse qui viennent d'avoir lieu en Algérie, comme derrière les "révoltes de la faim" qui ont eu lieu en 1985 au Maroc et en Tunisie, sourd la révolution prolétarienne. Aujourd'hui la majorité de la population algérienne vit dans les villes. L'industrialisation a eu au moins ce résultat : le renforcement de la classe ouvrière.

La révolution prolétarienne refoulée au moment de la conquête de l'indépendance politique formelle de l'Algérie n'a cessé depuis de menacer la bourgeoisie et le pouvoir. Elle est prête à déferler. Voilà la signification des grèves et du déferlement de la jeunesse du début octobre.

Particulièrement inadéquate et désarmante pour le peuple algérien est la "déclaration de Londres" du 16 décembre 1985 que BEN BELLA et AIT AMED ont signée conjointement qui se conclut ainsi :

"Les signataires tiennent à préciser qu'ils ne se présentent pas comme alternative de gouvernement ou équipe de rechange. Leur but étant d'animer une profonde dynamique politique en vue de la démocratisation des institutions et de la société algérienne. Tous les Algériennes et les Algériens sont conviés à se mobiliser dans ce combat d'idées pacifiques, pour démystifier les faux semblants idéologiques, imposer le règne de la loi et ouvrir une ère de justice, de fraternité et de bonheur pour l'humanité algérienne".

C'est la charte de la collaboration des classes, de l'Union Nationale, donc de la soumission à la bourgeoisie. Quant au régime du F.L.N. depuis l'élimination de BEN BELLA et d'AIT AHMED il se serait seulement perverti. Le régénérer en le "démocratisant" par des voies pacifiques : telle serait la tâche.

Il n'est donc pas étonnant que AIT AHMED ait adressé au lendemain du massacre une lettre au "Monde" qui se conclut de cette façon :

"Je considère qu'il n'y a pas un seul exemple dans le monde de parti unique qui ait géré convenablement l'économie et le développement du pays et que seul l'essor d'un processus de démocratisation pourrait éviter que l'Algérie ne devienne l'homme malade de la Méditerranée occidentale.

J'exprime le vœu qu'un gouvernement d'unité nationale soit formé, dans le but d'organiser des élections libres, c'est‑à‑dire fondées sur l'instauration des libertés publiques en vue de l'élection d'une assemblée nationale constituante".

Il ne lance pas les mots d'ordre de : A bas CHADLI, à bas le F.L.N., à bas ce gouvernement et ce pouvoir d'assassins !

BEN BELLA a condamné plus durement le gouvernement et le pouvoir en place : "une cassure s'est faite désormais en Algérie entre tout un peuple et une camarilla de colonels et de militaires qui le dirige", sans ouvrir pour autant une quelconque perspective à la population laborieuse et à la jeunesse d'Algérie.

C'est la révolution prolétarienne qui sourd derrière les grèves et le déferlement de la jeunesse en Algérie, pourtant il ne faut pas le cacher : les masses agissent spontanément ; elles n'ont ni orientation, ni programme, ni stratégie, ni organisation qui les structurent. Il semble même que les intégristes n'aient joué aucun rôle dans les grèves et le déclenchement du déferlement de la jeunesse. Tout au plus ont‑ils tenté de récupérer le mouvement tout en le freinant. Au drame du mitraillage de la jeunesse se conjugue celui de l'absence d'organisation propre au prolétariat, à la population laborieuse, à la paysannerie et à la jeunesse. La leçon sanglante est évidente : il faut au prolétariat, à la paysannerie, à la jeunesse d'Algérie, un parti de classe, un parti ouvrier, armé du programme et de la stratégie de la révolution prolétarienne.

ELEMENTS POUR UN PROGRAMME

Seule une analyse concrète peut permettre de déterminer précisément le programme nécessaire à la construction de ce parti et à ce parti. Mais il n'y a aucun doute : ce ne peut être que la projection du programme de transition et notamment de sa partie consacrée aux pays arriérés.

En Algérie, la conquête de l'indépendance politique formelle a été une conquête sur l'impérialisme ; la révolution prolétarienne refoulée fait que l'indépendance nationale, malgré l'industrialisation, n'a pas été acquise. A l'intérieur de l'Algérie, en Kabylie, se pose une question nationale.

Les tâches démocratiques n’ont pas été résolues. Les mots d'ordre de l'expropriation du capital étranger, de l'annulation de la dette, celui d'une nouvelle réforme agraire, sont intimement liés à ceux de la conquête des libertés démocratiques, des droits d'organisation, de presse, de manifestation, etc... Après ces massacres les mots d'ordre mettant au cause les organes de l'Etat bourgeois, l’ANP, le CNS, le F.L.N., sont à l'ordre du jour ainsi que ceux de l'organisation et de l'armement du prolétariat pour combattre le corps des officiers, les forces répressives.

En Algérie, pays où une nouvelle réforme agraire est nécessaire, où le droit à l'indépendance de la Kabylie (si les Kabyles l'exigent), où la libération du joug économique par rapport à l'impérialisme restent à accomplir, où surtout la dictature militaire et du F.L.N., où le régime du parti unique a soumis les "syndicats" et les "organisations de masse" à l'Etat, où dès après l'indépendance l'administration coloniale française a cédé la place au nouvel Etat

"Il est impossible de rejeter purement et simplement le programme démocratique : il faut que les masses dépassent ce programme dans la lutte. Le mot d'ordre (de l'élection au suffrage universel libre et secret) d'une ASSEMBLEE NATIONALE (ou CONSTITUANTE) conserve toute sa valeur".

Les revendications de salaire, de l'échelle mobile des salaires, du droit au travail et aux études pour la jeunesse, surgissent immédiatement. En Algérie l'industrie a été développée artificiellement et à des rythmes forcés, sur une orientation qui ne correspond pas aux besoins des masses, mais sur celle du gigantisme économique bureaucratique, en édifiant une industrie lourde monumentale et, finalement, artificielle. De ce fait la question de l'élaboration et de la réalisation d'un nouveau plan, répondant aux besoins des masses, de la réorientation et de la reconversion économique est une question brûlante. Dès lors la revendication du contrôle ouvrier sur chaque entreprise et sur l'économie dans son ensemble est au premier plan des revendications du prolétariat.

Dans le combat contre le gouvernement, le pouvoir y compris, pour la Constituante ainsi que l'écrit le programme de transition :

"A une certaine étape de la mobilisation des masses sur les mots d'ordre de la démocratie révolutionnaire, les soviets peuvent et doivent surgir. Leur rôle historique dans chaque période donnée en particulier leurs rapports avec l'assemblée nationale est déterminé par le niveau politique du prolétariat, par la liaison entre celui‑ci et la classe paysanne et par le caractère de la politique du parti prolétarien. Tôt ou tard les soviets doivent renverser la démocratie bourgeoise. Eux seuls sont capables de mener la révolution démocratique jusqu'au bout et d'ouvrir ainsi l'ère de la révolution socialiste".

En Algérie le déroulement historique, les relations entre les classes font que les tâches démocratiques et celles de la révolution socialiste sont immédiatement et totalement imbriquées. C'est pourquoi y compris l'agitation pour la Constituante doit inclure les revendications propres au prolétariat et le mot d'ordre pour un gouvernement ouvrier et paysan, pour le socialisme.

A l'évidence la révolution prolétarienne en Algérie ne peut se fixer comme tâche la réalisation du socialisme dans la seule Algérie. Elle est et ne peut être que la pointe avancée de la révolution prolétarienne dans tout le Maghreb. Le mot d'ordre des Etats Unis Socialistes du Maghreb, situe comme étant un des principaux objectifs du gouvernement ouvrier et paysan est indispensable. La révolution prolétarienne en Algérie donnera une puissante impulsion à la révolution en Afrique, au Proche et au Moyen Orient. Elle est et sera forcément étroitement liée au développement de la révolution prolétarienne en Europe.

 

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