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Article publié dans Combattre pour le Socialisme n°76 (janvier 1999)

  La crise économique et financière se développe:

Une seule réponse: combattre pour le socialisme


L'importance des développements en cours

Depuis bientôt dix ans, avec l'effondrement des régimes bureaucratiques sans que la révolution politique ne puisse déferler, c'est un véritable matraquage idéologique que subissent le prolétariat et la jeunesse, d'autant plus efficace qu'il est porté par les organisations ouvrières traditionnelles, les partis sociaux-démocrates et les anciens partis staliniens. La restauration du capitalisme en Russie et dans les autres pays où le capital avait été exproprié fait qu'il apparaît à la quasi-totalité du prolétariat que les Etats ouvriers ne sont pas viables, qu'ils étaient voués à dégénérer et à s'effondrer, à être balayés, que la restauration capitaliste était à plus ou moins longue échéance inéluctable. Cela les déboussole politiquement.

La nouvelle crise économique et financière du mode de production capitaliste qui s'avance prend dans ce cadre une grande importance. Elle implique pour les différentes bourgeoisies la nécessité d'imposer au prolétariat mondial de nouveaux reculs, s'ajoutant à tous ceux imposés depuis les années 80, mais dans une situation où le prolétariat mondial garde toute sa capacité de combat.

Que la marche à une crise dislocatrice de l'économie capitaliste porte en elle une radicalisation de la lutte des classes, c'est l'évidence: toute l'histoire du mouvement ouvrier le démontre.

Mais elle démontre aussi la nécessité de construire une organisation révolutionnaire combattant à l'avant-garde du prolétariat. Sinon, les plus grands combats de classe sont condamnés au reflux.

Aussi, c'est une des tâches immédiates des militants qui combattent pour le socialisme que de comprendre les développements de la crise en cours et de dégager la perspective dans laquelle elle s'inscrit: la dislocation de l'économie capitaliste.

La récession progresse

Depuis les à-coups sur les marchés financiers au début du mois d'octobre, les principaux indices boursiers ont augmenté de 15 à 25%. Mais, pour autant, si la crise économique et financière enclenchée à l'été 1997 en Thaïlande n'a pas abouti jusqu'ici à un krach financier généralisé, il n'en est pas moins vrai que la récession économique continue de se propager.

Dans le numéro 64 de sa revue Perspectives économiques, paru le 17 novembre 1998, l'OCDE publie ses prévisions de croissance du PIB [1] :

 

1996

1997

1998

1999

Etats-Unis

3.4

3.9

1.5

2.2

Japon

3.9

0.6

-2.6

0.2

Allemagne

1.3

2.2

2.7

2.2

France

1.6

2.3

3.1

2.4

Italie

0.7

1.5

2.1

2.6

G-B

2.6

3.5

2.7

0.8

 

Ces prévisions confirmaient celles publiées début octobre par le FMI, qui étaient alors commentées en ces termes par son principal économiste, M.Mussa:

"l'état actuel n'est pas tout à fait celui d'une récession globale, mais nous approchons clairement de cet état."

Car les données publiées par l'OCDE sur la croissance du PIB d'autres pays sont tout à fait saisissantes:

 

1997

1998

1999

Corée du Sud

5.5

-6.5

0.5

Brésil

3.7

0.8

-1.5

Hongkong

5.2

-4.5

1.5

Singapour

7.5

0.0

0.5

Indonésie

4.7

-15.5

-3

Chine

8.8

7.6

7.7

Thaïlande

-0.4

-7.0

2.0

Russie

0.8

-6.0

-6.0

 

Récession importante au Japon, au Brésil, en Corée, ralentissement aux USA et en Europe, effondrement économique des anciens "dragons" d'Asie du Sud-Est: l'appréciation que portait le précédent numéro de CPS "une récession mondiale s'avance" est entièrement confirmée.

Les voies de propagation de la crise sont claires, même si son ampleur est encore incertaine. La violente contraction économique en Asie, en Amérique du sud et en Russie et d'autres pays de l'est de l'Europe entraîne à la fois le rétrécissement de ces marchés "porteurs" pour les pays capitalistes dominants, et à la fois entraîne une concurrence accrue, accélère la baisse des prix des marchandises en provenance de ces pays ainsi que des matières premières. Dans le même temps, elle met à mal les grands groupes financiers, les banques

De plus, cette propagation se combine avec la certitude d'un ralentissement économique aux Etats-Unis.

Fin de cycle aux USA

Depuis qu'elle est sortie de la récession du début des années 90, l'économie américaine a affiché des taux de croissance significatifs.

Or, on peut constater aujourd'hui qu'apparaissent les signes annonciateurs d'un ralentissement économique.

En effet, le même rapport de l'OCDE indique:

"la progression des coûts unitaires de main-d’oeuvre s’est accélérée, alors même que les pressions de la concurrence dues à la fermeté du dollar freinaient la hausse des prix intérieurs. En conséquence, les bénéfices des entreprises locales après impôt se sont inscrits en baisse au deuxième trimestre. Venant après quatre années d’augmentation seulement légère de la part des profits dans le PIB, ce repli est allé de pair avec une nette révision à la baisse des anticipations de gains. "

Conséquence: l'OCDE annonce que l'investissement, après une croissance de 7,3% en 1997 et de 8,9% en 1998 , chuterait à 1% en 1999 et 2,2% en l'an 2000. Ces éléments indiquent sans doute possible que, en plus de la contraction des importations, la tendance à la baisse du taux de profit se manifeste de nouveau aux USA.

Dans le régime capitaliste dont le moteur est le profit, c'est cette tendance qui implique la baisse des investissements productifs, la surproduction, et enfin le ralentissement général de l'économie.

La fin du cycle de croissance économique dans un pays qui produit un cinquième du PIB mondial est décisive quand aux développements futurs. Elle l'est en particulier dans le fait que, le cours des actions des sociétés évoluant en fonction des dividendes servis, donc en dernière analyse des profits dégagés, la surévaluation considérable des actions aux USA se conjuguant avec la baisse attendue des profits peut déchaîner un krach aux effets dévastateurs.

En Europe

Même en Europe, où le retour de la croissance économique est plus récente qu'aux USA, les discours annonçant que la crise, à l'instar du nuage de Tchernobyl, s'arrêterait aux frontières, commencent à se faire moins audibles.

Dans une note de conjoncture publiée le 18 décembre, l'INSEE annonce une stagnation des investissements au premier semestre 1999, et une croissance en rythme annuel de 1,8%, soit en réalité une quasi-stagnation, bien loin des 2,7% annoncés par le gouvernement. La production industrielle en France ralentit déjà, et La Tribune du 29 octobre indiquait que:

"Le cas de la France est loin d'être isolé en Europe. La dernière enquête dans l'industrie en Allemagne montre que la situation s'est très fortement dégradée. L'économie italienne reste à la traîne. Et l'industrie britannique est d'ores et déjà en récession. Les quatre poids lourds de l'économie européenne, loin de se soutenir mutuellement, connaissent un ralentissement de leur activité dont témoigne la stagnation depuis plusieurs mois des exportations françaises à destination de ses partenaires européens."

Du coup:

"les économistes se préparent déjà à l'idée de revoir en baisse leurs prévisions de croissance".

En Italie, c'est déjà fait. Le gouvernement a dû reconnaître début novembre que la croissance serait inférieure aux déjà maigres 1,8% initialement prévus.

Les Etats à la rescousse

Face à la progression de la récession, face aux risques de krach financier, les Etats bourgeois sont amenés plus que jamais à intervenir.

Ainsi, le 30 octobre, les gouvernements des pays du G7 annonçaient la création d'un fonds spécial pour les "économies émergentes", de 90 milliards de dollars. Le 13 novembre, le Brésil devenait le premier "bénéficiaire" de ce fonds, en recevant un prêt de 41,5 milliards de dollars (235,3 milliards de francs), dont 5 des Etats-Unis.

Ce plan a pour but avoué d'empêcher un effondrement financier du Brésil que provoquerait la dévaluation du real, la monnaie brésilienne, qui précipiterait toute l'Amérique du sud dans une catastrophe économique sans précédent. En fait "d'aide", c'est d'abord une aide aux États-Unis, car un tel effondrement les entraînerait immédiatement dans une débâcle économique.

Au Japon, le 16 novembre, le gouvernement dévoilait un nouveau plan de relance de plus de 1 000 milliards de francs. Il faut toutefois considérer qu'il s'agit du huitième plan de ce type depuis 1992. Sur le papier, ce sont ainsi plus de 4 000 milliards de francs qui ont été injectés dans l'économie. En réalité, c'est moins, de nombreuses dépenses prévues ayant été reportées d'un plan sur l'autre. Mais c'est tout de même colossal, d'autant que s'y ajoute l'allocation, à la mi-octobre, d'une enveloppe de 2 500 milliards de francs pour recapitaliser les banques, le système bancaire, quitte à nationaliser directement certains groupes bancaires.

Cette "socialisation des pertes", la prise en charge par l'Etat des pertes bancaires et le financement de marchés pour l'industrie, a cependant une limite. Le 2 décembre, le ministre japonais de finances annonçait qu'à la fin de l'année fiscale, en mars 1999, la dette publique atteindrait 113% du PIB, le déficit budgétaire 9,8% du PIB. La fuite en avant éperdue de l'Etat japonais, si elle reporte les échéances, ne pourra durer indéfiniment.

Baisse des taux d'intérêt

Enfin, il faut noter que la baisse des taux d'intérêts à court terme, qui sont du ressort des Etats et de leurs banques centrales, s'est accélérée, en particulier aux Etats-Unis (de 5,5% cet été à 4,75% au 17 novembre), mais aussi dans l'ensemble des pays d'Europe. Pourquoi cette baisse? Tout simplement pour répondre à la baisse des profits: en essayant d'élargir le recours au crédit pour financer les investissements productifs, la poursuite de l'accumulation.

Mais cette baisse sert aussi à empêcher la chute des marchés d'actions. Il faut rappeler en effet que le cours des actions tend à s'ordonner de telle sorte que le rapport entre les dividendes escomptés et le cours de l'action s'aligne sur le taux d'intérêt moyen. La baisse de celui-ci peut compenser en partie la stagnation et la baisse des bénéfices, pour, peut-être, éviter un krach boursier.

On ne peut s'empêcher de remarquer que, en baissant les taux courts aux USA, Alan Greenspan, en bon trésorier général du capitalisme américain, a fait peu de cas des conseils prodigués par Le Monde Diplomatique de septembre 1998 sous la plume de F.Chesnais qui l'appelait à "manier l'arme de la hausse des taux d'intérêts".

Mais, comme l'écrivait Marx: "aucune législation bancaire ne peut écarter la crise". L'intervention des Etats est évidemment importante, pour contenir la crise, c'est à dire éviter un effondrement brutal de la production et des échanges. Mais elle ne peut éviter la manifestation de la crise économique mondiale, ni même permettre à terme de la surmonter.

 

La seule issue pour les  capitalistes:  faire payer la crise aux masses

Le seul moyen réellement efficace pour les capitalistes de surmonter, au moins provisoirement, la crise de leur mode de production, c'est de s'en prendre avec une violence à la hauteur de celle de la crise aux acquis du prolétariat, d'intensifier l'exploitation des travailleurs, de faire reporter le coût de l'intervention des Etats en défense du capitalisme sur les épaules de la population laborieuse, de renouveler dans le même temps une partie de l'appareil de production.

En Asie, alors que le nombre de chômeurs s'est accru de plusieurs dizaines de millions en un an. Partout dans le monde, les grandes firmes annoncent des licenciements, des fermetures de sites. Mentionnons Boeing (48 000 suppressions d'emploi sur deux ans), Phillips (fermeture d'un tiers de ses sites de production), ou encore Siemens: moins 60 000 emplois (dont une partie en cédant des activités). En Grande-Bretagne, selon les syndicats, 500 000 emplois auront été supprimés dans l'industrie sur l'ensemble de l'année en cours.

Il faut ajouter que toutes les fusions phénoménales qui s'accélèrent avec l'avance de la crise entraînent et entraîneront des dizaines de milliers de suppressions d'emploi.

Faire payer le prix de la crise aux masses laborieuses: voilà le mot d'ordre du capital financier à l'échelle internationale, qu'il s'agisse directement des firmes ou des Etats qui sont entièrement à leur service.

Le constat doit donc être fait une nouvelle fois: depuis maintenant un quart de siècle, le mode de production capitaliste est dans une crise récurrente.

A chaque phase de "reprise", ses porte-parole annoncent des lendemains radieux. Les éléments donnés ci-dessus démontrent qu'il n'en est rien, bien au contraire: à chaque fois, après une phase de croissance plus ou moins longue, l'économie capitaliste retombe dans l'ornière de la crise économique, de la "récession".

* * *

"La véritable barrière de la production capitaliste, c'est le capital lui-même" (Marx)

Mais quelle est l'origine des crises économiques? Elle réside dans la nature même du mode de production capitaliste. Le moteur de l'économie capitaliste, c'est la recherche du profit. C'est en fonction du taux de profit que la production se développe, taux de profit qui est le rapport Pl/C+V, soit le rapport entre la valeur nouvelle créée dans le processus de production des marchandises, la Plus-Value (qui résulte du travail non payé), et l'investissement initial en capital (capital constant et capital variable).

C'est de la hausse ou de la baisse de ce taux de profit dont dépendent, en dernière analyse, les phases de croissance économique et les crises: la baisse de la rentabilité des investissements fait, qu'à partir d'un certain point, ceux-ci cessent.

Or, Marx a découvert une loi fondamentale: celle de la baisse tendancielle du taux de profit. L'existence d'un taux de profit suffisant est la condition du processus d'accumulation du capital.

Or, l'accumulation du capital à son tour:

 "accélère la baisse du taux de profit dans la mesure où elle implique la concentration du travail sur une grande échelle, d'où une composition plus élevée du capital". (Marx, le Capital, livre III, ch.15).

Marx écrit encore:

"Baisse du taux de profit  et accélération de l'accumulation ne sont que des expressions différentes d'un même procès, en ce sens que toutes deux expriment le développement de la productivité." (ibidem).

La hausse de la composition organique du capital est une loi immanente de l'accumulation du capital. La part du travail vivant, humain, seul créateur de valeur nouvelle, source de la plus-value, diminue dans la production, quand bien même le degré d'exploitation de ce travail augmente. La baisse du taux de profit qui en résulte engendre la concurrence, ce qui en aiguise encore les effets.

Là est la racine des crises: la baisse du taux de profit entraîne périodiquement l'interruption de l'accumulation, elle engendre d'un côté une masse de capitaux qui ne peuvent se mettre en valeur à un taux de profit suffisant, et de l'autre côté une masse de travailleurs qui ne peuvent en conséquence être employés. D'où:

"la surproduction, la spéculation, les crises, la constitution de capital excédentaire à côté d'une population excédentaire" (ibidem).

Les crises sont donc indissolublement liées au mode de production capitaliste lui-même. Elles sont la seule "régulation" qu'il connaisse: l'effet des crises est en effet la liquidation d'une partie du capital constant qui ne peut plus fonctionner en tant que tel, la dévalorisation d'une autre partie, tandis qu'elle entraîne la baisse de la valeur de la force de travail.

Ce sont les crises qui permettent qu'au final, un nombre plus réduit de capitalistes, disposant d'un marché élargi, retrouvent un taux de profit suffisant pour que l'accumulation reprenne sa marche en avant.

L'époque de l'impérialisme: "la réaction sur toute la ligne" (Lénine)

Chaque crise accroît donc la concentration du capital et sa centralisation entre moins de mains.

Au début du siècle, ce processus a abouti à une transformation qualitative du mode de production capitaliste. Il est rentré dans ce que Lénine a analysé comme son "stade suprême": l'impérialisme.

Avec la domination des monopoles, la fusion du capital industriel et du capital bancaire pour former ainsi le capital financier, caractérisé par l'exportations de capitaux; avec le partage du monde entre les grandes puissances capitalistes et leurs grands groupes, il a perdu la souplesse qui permettait aux crises de jouer pleinement leur rôle régulateur.

Aussi, pour repousser les limites du mode de production capitaliste, le rôle du crédit va connaître un développement qualitatif, pour jouer pleinement le rôle que dégageait déjà Marx:

"le moyen le plus puissant de faire dépasser à la production capitaliste ses propres limites"

(Le Capital, livre III, ch. 36).

A l'échelle historique, le mode de production capitaliste entre dans une époque de lente agonie, marquée de grandes convulsions. Ainsi une première étape du capital financier débouche sur la première guerre mondiale, une deuxième mène à la crise économique de 1929 qui disloque le marché mondial et provoque l'effondrement du système financier international reconstitué à la fin de la première guerre mondiale.

Mais, au sortir de la seconde guerre mondiale, le mode de production capitaliste allait connaître une sorte "d'été indien", les dites "trente glorieuses", dont l'existence a été utilisée alors, et l'est encore aujourd'hui, pour démontrer la possibilité pour le capitalisme de fonctionner "harmonieusement".

Ce fut le cas alors des théoriciens du "néocapitalisme", avec au premier rang le dirigeant pabliste Ernest Mandel; c'est aujourd'hui le cas de l'école dite de la "régulation" qui voit dans les "trente glorieuses" l'apogée de la "régulation fordiste". Il faut donc rappeler quelles conditions ont permis l'existence de cette phase, qui en fait a duré une vingtaine d'années, du début des années 50 à la fin des années 60.

La base des "trente glorieuses": un immense parasitisme

A la base de la croissance économique de l'immédiat après-guerre, il y a d'abord des conditions politiques.

C'est en effet la situation hégémonique de l'impérialisme américain qui a permis à celui-ci de prendre en charge la reconstruction de l'économie mondiale dévastée après dix ans de crise économique et six ans de guerre mondiale. Seuls les USA sont assez robustes pour, par exemple, maintenir la convertibilité du dollar en or et ordonner le système monétaire international autour du dollar dans le cadre des accords de Bretton Woods (22 juillet 1944).

Mais malgré l'immense purge de l'économie qu'ont été successivement la crise des années 30 et les ravages de la guerre, malgré le fait que la valeur de la force de travail ait chuté dans de nombreux pays à un niveau dérisoire, toutes ces conditions favorables à l'accumulation n'ont pu empêcher que, dès 1949, la crise menace les USA.

Aussi, pour y faire face, le recours à l'intervention permanente des États est devenue indispensable, et en particulier l'injection croissante de crédits dans l'économie par le développement des dépenses d'armement. Descendu à environ 10 milliards de dollars entre 1947 et 1950, le budget de la défense des USA quadruple en deux ans, atteignant 43 milliards en 1952 (soit de 5% à 13% du PIB), au moment de la guerre de Corée, niveau qui ne redescendra plus, au contraire. C'est ce gigantesque parasitisme qui a permis de relancer l'économie et d'assurer des débouchés créés de toutes pièces aux principales firmes américaines.

Les "30 glorieuses" ont eu pour base l'intervention croissante des Etats dans l'économie parce que, et les "théories" fumeuses sur la "régulation" ne cherchent qu'à masquer ce constat, sans cette force d'appoint, l'économie capitaliste restait tout autant qu'avant la guerre incapable de repousser ses propres limites.

Mais dans la mesure où les dépenses d'armement sont des dépenses parasitaires, que les marchandises ainsi produites ne sont ni utilisées pour une production ultérieure, ni "consommées" productivement, l'accroissement des dépenses de l'Etat dans ce domaine s'est traduit mécaniquement par l'accroissement de ses déficits en tous genres. Ainsi, à partir des années 60, plus aucun budget fédéral aux USA n'a été en excédent. Conjointement, la balance des paiements américains devenait structurellement déficitaire. La raison en est simple. Les dépenses militaires US et aussi, bien que dans une moindre mesure, celles des pays comme l’Angleterre et la France, ont été indispensables à la reconstruction et à la restructuration de l’économie capitaliste dans son ensemble; au maintien et à l’élargissement d’un marché mondial suffisant pour éviter des crises économiques comparables à celle des années trente.

L’économie japonaise et, dans une moindre mesure, celle de la RFA, d'autant qu’elles n’ont pas supporté les mêmes charges, en ont particulièrement bénéficié. Les pays capitalistes d’Europe et le Japon ont connu un puissant et imprévu essor économique bien qu’il ait été inégal. Leur part de marché mondial s’est accru au détriment de celle des USA. Du même coup, le solde positif de la balance commerciale de ce dernier pays s’est de plus en plus réduit.

Ce creusement des déficits américains a donné une grande impulsion au développement du capital financier, dont le développement devenait une condition indispensable au financement de ce parasitisme économique. Le capital fictif ainsi généré (création de "valeurs" de papier: titres de la dette, "valeurs" monétaires, etc...)  s'est traduit alors par l'envol de la spéculation, en particulier sur les monnaies, par l'essor rapide de ce qu'on a appelé les "eurodollars".

Cette politique impulsée par les USA, utilisant les privilèges que lui conférait les accords de Bretton Woods en terme d'émission monétaire (que l'ensemble des banques centrales des puissances impérialistes devait prendre en charge, bon gré, mal gré) a atteint une limite.

Après plusieurs tentatives de l'impérialisme américain de repousser cette échéance, le maintien de la convertibilité du dollar en or, est devenu incompatible avec le flot monétaire découlant de la nécessité de financer le parasitisme économique, l'économie d'armement.

Aussi, l'impérialisme américain devait-il se résoudre, le 15 août 1971, à renoncer à la convertibilité du dollar en or.

Août 1971 : Un verdict de faillite

L'affranchissement de la monnaie occupant la place centrale dans l'économie mondiale, de toute référence à une valeur réelle, à l'or, était une déclaration de faillite frauduleuse de l'ensemble de l'économie capitaliste. Elle signifiait aussi une défaite pour l'impérialisme américain, résultant de son affaiblissement relatif par rapport aux autres puissances impérialistes, principalement la RFA et le Japon .

Ce faisant, Nixon entendait que le dollar, gardant par ailleurs sa place de principale monnaie internationale, puisse être utilisé pour faire regagner de la compétitivité aux USA sur le marché mondial. De fait, il permettra surtout aux USA de pratiquer une émission sans limite apparente de dollars pour financer leurs déficits extérieurs, l'inflation commençant du même coup à prendre une dimension importante.

Mais la décision du 15 août 1971 ne peut permettre de surmonter les difficultés économiques croissantes de l'impérialisme américain et de l'ensemble de l'économie mondiale.

Car elle se produit alors que l’impérialisme n’a pu maîtriser solidement les rapports mondiaux entre les classes (défaite de l’impérialisme américain au Vietnam). Pour contenir le mouvement des prolétariats des pays capitalistes dominants des concessions économiques et sociales considérables ont dû leur être faites: ces concessions deviennent une charge extrêmement lourdes pour les capitalismes dominants.

La déclaration de Nixon, ce qu’elle traduit annonce la crise économique qui s’est ouverte en 1974.


 

Croissance du PIB (1950-1975)

 

Royaume Uni

France

RFA

Italie

Japon

USA

Canada

1950-62

2,7 %

4,8 %

8 %

6,1 %

8,4 %

3,4 %

4,7 %

1962-73

3,1 %

5,4 %

4,6 %

4,8 %

10,2 %

4,2 %

5,6 %

1973-75

- 1 %

0,2 %

- 1,4 %

- 0,2 %

0,4 %

- 1,7 %

1,9 %

 


74-75: réapparition de la crise récurrente du mode de production capitaliste

Il est courant que les "économistes" distingués attribuent la crise économique de 1973-1975 (dont le tableau ci-dessus donne l'ampleur) au quadruplement des cours du pétrole qui a suivi la guerre du Kippour lancée en 1973 par Israël.

En réalité, comparativement à la hausse des prix, il ne s'agissait que d'un brutal rattrapage, dont d'ailleurs les USA, eux-mêmes producteurs de pétrole, ont aussi bénéficié. La hausse brutale des cours du pétrole a précipité une crise qui couvait, d'autant plus que les rapports politiques entre les classes, comme nous l'avons vu, interdisaient aux principales puissances impérialistes de réaliser ce qu'exige la lutte contre la baisse du taux de profit: accroître qualitativement l'exploitation de la classe ouvrière.

Dans son livre  Misère du capital: critique du néolibéralisme, M.Husson reprend les données de l'OCDE sur "le taux de rentabilité du secteur des entreprises". Bien que ces données n'aient qu'une valeur indicative, on constate que ce "taux" chute de 17,5% en 1969 à 15% en 1973, puis à 12% en 1975. C'est cette chute de la "rentabilité", qui indique celle du taux de profit, qui a déterminé l'irruption de la crise (dont le tableau ci-dessus donne l'ampleur).

Pour la surmonter, les États capitalistes vont utiliser les mêmes recettes qu'auparavant, mais sur une autre échelle: accroissement des dépenses de l'État, des déficits budgétaires (qui passe aux USA de 6,1 milliards en 1974 à 53,2 milliards en 1975, 63,7 milliards en 1976), et corrélativement de l'endettement (qui passe aux USA de 485.2 milliards de dollars en 1974 à 709,1 en 1977). Toujours au cœur des dépenses de l'Etat: les dépenses parasitaires comme celles des commandes à l'industrie d'armement.

En janvier 1976, conséquence du redoublement des émissions monétaires servant à financer ces déficits déjà énormes: toute référence du dollar à l'or est supprimée par les accords de la Jamaïque. Mais ce mode de financement du parasitisme menace d'emporter tout le système monétaire international par le fond. Il provoque une vague d'inflation mondiale, dont le tableau ci-dessous rend compte:

 

1976

1977

1978

1979

1980

USA

4,8

6,8

9

11,3

13,5

Japon

10,4

4,8

3,5

5,5

8

RFA

3,9

3,5

2,4

6,1

5,5

France

9,9

9

9,7

11,8

13,6

R-U

15,1

8,4

8,4

17,3

18

 

Les cours de l'or flambent (de 35 dollars l'once en 1970 à 200 en 1975, à 275 fin octobre 1978). Le dollar ne cesse de chuter. Poursuivre dans cette voie entraînerait une crise monétaire destructrice aux USA et internationalement. Aussi, en novembre 1978, Carter annonce un plan qui annonce un tournant dans le mode de financement du parasitisme économique, des déficits en tous genre des Etats capitalistes.

Le tournant de 1978-1980

Ce plan organisait une opération de sauvetage du dollar en augmentant légèrement les taux d'intérêts et en accroissant les ventes d'or par la réserve fédérale des Etats-Unis. Malgré ce plan, l'or grimpait à 850 dollars en janvier 1980. Carter procédait alors à un brutal retournement de sa politique monétaire. Les taux d'intérêts augmentaient spectaculairement (ils étaient restés négatifs pendant plusieurs années comparés à l'inflation). En août 1980, le taux de base des banques américaines atteint 20,5%. Un tel taux permet d'attirer sur le dollar les capitaux fictifs flottants, à la recherche de gains spéculatifs, qui ont été générés par le parasitisme économique qui a servi de base aux "trente glorieuses". Sous la présidence Reagan, les USA allaient poursuivre dans cette politique dite "monétariste".

Ce tournant consiste à se tourner vers les "marchés financiers" pour financer les déficits budgétaires, l'endettement, en restreignant l'usage de la planche à billets, de l'inflation. Les autres impérialismes n'ont eu d'autre choix que de suivre le tournant impulsé par les États-Unis.

1980-82: Nouvelle récession

Cette hausse brutale des taux d'intérêt a accru la récession économique entamée en 1980, encore une fois annoncée par la baisse du taux de profit (pour reprendre les données de l'OCDE utilisées plus haut, le "taux de rentabilité", à peine remonté à 13% en 1978 retombe à 12 % en 1979 et un peu plus de 11% en 1981).

La contraction du crédit qu'elle a entraîné a rendu plus violent encore cette crise (entraînant notamment une première crise de payement de la dette des pays semi-coloniaux en 1982).

Pour les seuls USA, entre juillet 1981 et novembre 1982, le PIB des États-Unis a diminué de près de 5 %, la production industrielle de 12%. Pour l'ensemble des principaux pays capitalistes, la croissance du PIB s'établit à 1,3% en 1980, 1,2% en 1981, et -0,3% en 1982, alors que leur production industrielle, elle, évolue ainsi: -0,5% en 1980, 0% en 1981, -4,0% en 1982.

L'administration Reagan va alors donner une nouvelle impulsion à l'intervention de l'État, à l'économie d'armement, engageant le plus gigantesque programme d'équipements militaires jamais vu en temps de "paix". Le budget de la défense va passer de 135 milliards en 1980 à 285 milliards en 1985, 385 milliards en 1988! Les déficits budgétaires suivent: de 55,3 milliards de dollars en 1980 à 212 milliards en 1985. Ces nouvelles dépenses de l'État (que l'on retrouve dans tous les pays capitalistes) ont permis d'élargir la production et de nourrir une nouvelle phase de croissance.

Mais à la base de cette nouvelle phase de croissance, il y a les coups portés au prolétariat par l'impérialisme, en particulier par les gouvernements américains et britanniques de Reagan et Thatcher. C'est le fait que l'impérialisme ait repris l'initiative dans les années 80 contre le prolétariat qui explique fondamentalement que la "reprise" ait pu durer bien plus longtemps que dans les années 1970. Mais il n'en demeure pas moins que le développement du parasitisme économique en a aussi été une composante indispensable.

Impulsion au capital fictif

La politique "monétariste" pour financer ce parasitisme exigeait que la liberté de mouvement des marchés financiers soit considérablement accrue, que la masse des titres monnayables s'accroisse plus vertigineusement encore que les déficits qui les suscitent et les nécessitent.

L'administration Reagan a impulsé une politique de déréglementation débridée des marchés financiers, permettant un développement rapide de la capitalisation en bourse, le déchaînement de la spéculation, le développement des marchés obligataires, etc.

Dans son livre: Fondements et limites du capitalisme (Boréal, 1996), Louis Gill donne les indications suivantes:

" Après avoir oscillé entre 800 et 1 000 points de 1965 à 1981, le Dow Jones triplait en six ans pour atteindre 2 722 points en août 1987, un accroissement qui laissait loin derrière lui l'accroissement réel de l'économie.  Pendant la même période, l'indice mondial des marchés financiers augmentait de 130% alors que le PIB des pays capitalistes industrialisés n'augmentait que de 13%, soit dix fois moins."

Mais les titres qui sont les supports de ces transactions sur les marchés financiers (actions, obligations, monnaies, produits dérivés, etc...) ne sont pas du capital, mais du capital fictif. Il faut rappeler à ce sujet ce qu'écrit Marx:

" Les actions de sociétés, de chemin de fer, de charbonnages, de compagnies de navigation, etc., représentent un capital réel: celui qui a été investi et qui fonctionne dans ces entreprises, ou encore la somme d'argent avancée par les actionnaires pour être dépensée comme capital dans ces entreprises.  Notons en passant qu'il n'est nullement exclu qu'elles ne représentent qu'une simple escroquerie.

Quoi qu'il en soit, ce capital n'existe pas deux fois, une fois comme valeur-capital des titres de propriété, des actions, la seconde en tant que capital investi réellement ou à investir dans ces entreprises.  Il n'existe réellement que sous cette dernière forme, et l'action n'est qu'un titre de propriété ouvrant droit, au prorata de la participation, à la plus-value que ce capital va permettre de réaliser"(Le Capital, livre III, ch. 29)

Quant aux obligations:

" (…) le capital qui, aux yeux des gens, produit un rejeton (intérêt), ici le versement de l'État, demeure un capital fictif, illusoire. Non seulement parce que la somme prêtée à l'État n'existe plus du tout, mais encore parce que jamais elle n'avait été destinée à être dépensée en tant que capital, à être investie, et que c'est seulement son investissement en tant que capital qui aurait pu faire d'elle une valeur susceptible de se conserver par elle-même. (…) Il peut y avoir autant de transactions que l'on voudra: le capital de la dette publique n'en reste pas moins purement fictif et, à partir du moment où les titres de créances deviendraient invendables, la fiction se dissiperait (et on verrait que ce n'est pas un capital)."(ibid.)

Le fait que ces titres (actions, obligations, effets monétaires), soient traités comme autant de marchandises, avec leur mouvement propre, ne change rien au fait que l'accroissement de leur volume ne représente en aucun cas un accroissement de la richesse sociale. C'est en réalité d'une hypertrophie extraordinaire du système du crédit dont il faut parler.

"Dans ces faits qui montrent que même une accumulation de dettes arrive à passer pour une accumulation de capital, on mesure à quel degré de perfection atteint la dénaturation des choses qui se produit dans le système du crédit."

 (Le Capital, Livre III, ch.30)

Ce développement a été indispensable pour que se poursuive la cavalerie financière, pour financer les déficits budgétaires et la dette des principales puissances impérialistes.

Une menace permanente

Mais la "bulle" ainsi impulsée par les États bourgeois est devenue à son tour lourde de dangers pour l'ensemble de l'économie mondiale. Une grande part du capital fictif est du "capital" flottant et spéculatif, à la recherche de gains en capital (achetant un titre quelconque non pour les dividendes ou l'intérêt qu'il en tirerait mais pour le revendre).

Une démonstration des dangers que le gonflement de la bulle spéculative engendre a été donnée par le krach boursier d'octobre 1987. Le 19 octobre, la Bourse de New York perdait 23%, plus de 500 milliards de dollars de capitalisation s'évaporaient.

C'est encore l'intervention des Etats qui a permis d'empêcher que se produise un krach général en 1987, notamment par le biais des banques centrales qui procédèrent alors à l'injection massive de liquidités dans l'économie pour éviter des faillites en chaîne. En 1989, une nouvelle secousse ébranlait l'ensemble des places boursières.

Mais c'est au Japon que les dangers de la bulle spéculative sont apparus en pleine lumière. En 1989, la bourse de Tokyo était devenue la première place financière au monde, propulsant du même coup les banques japonaises aux premiers rangs de la planète (étant donné la surévaluation de leurs actifs financiers). Le gouvernement japonais va procéder à une remontée des taux d'intérêts à partir de la fin de l'année pour limiter cette fièvre spéculative. Résultat: une chute de l'indice Nikkei de 38% en 1990, 6% en 1991 et 40% en 1992.

Un tel effondrement, quand bien même il aura été suffisamment "contrôlé" pour ne pas enclencher une panique internationale, a précipité le Japon dans un marasme économique permanent, dont il n'aura brièvement réchappé qu'en 1997. Privée de l'ombre portée que lui donnait l'énorme bulle financière, l'économie japonaise s'est vue contrainte de fonctionner avec une dimension plus proche de la réalité.

La chute des "actifs" des banques a entraîné faillites en chaîne, rabougrissement du crédit et de la capacité de prêt des institutions financières. La baisse des "actifs" financiers a été d'autant plus douloureuse que, d'une part, les rapports entre les classes (puissance du prolétariat, gangrène de la bourgeoisie) ont interdit de procéder au renouvellement de l'appareil de production et à une intensification suffisante de l'exploitation des masses; et que, d'autre part, elle s'est conjuguée avec une nouvelle récession, partie des Etats-Unis fin 1990.

1990-1993: nouvelle récession

En effet, fin 1990, la phase de croissance aux USA a touché à sa fin. Des firmes comme IBM, les constructeurs automobiles ont vu leurs bénéfices chuter. S'en est suivie en 1991 une importante récession économique (le PIB diminue de 1,2%), qui s'est étendue progressivement au reste du monde jusqu'à toucher la France en 1993.

Une nouvelle fois, la crise a pu jouer en grande partie son rôle: aux Etats-Unis en particulier ont eu lieu des restructurations massives, notamment dans l'automobile, tandis que les taux d'intérêts étaient abaissés par le gouvernement pour élargir le recours au crédit. Appuyée sur les "acquis" des gouvernements Reagan et Bush, la bourgeoisie américaine a combattu pour relever le taux de profit. Il faut toutefois souligner que c'est surtout aux USA que ce mouvement s'est produit, justement parce qu'ailleurs, les conditions d'exploitation du prolétariat ne sont pas aussi "bonnes" pour la bourgeoisie.

En témoigne le fait qu'en 1997, en comparaison avec 1990, la production industrielle des Etats-Unis avait augmenté de 20%, contre 8% en Grande-Bretagne sur la même période, 3% au Japon, 1,5% en Allemagne, et … 0,3% en France. Encore une fois, ce sont les rapports politiques existants dans ces différents pays, et entre ces différentes puissances impérialistes, qui transparaissent. Ainsi, l'impérialisme américain fait de plus en plus prévaloir ses exigences en matière de commerce, dans le cadre des négociations du GATT.

Mais ce qui explique la vigueur de la croissance américaine, ce sont d'abord les conditions politiques qui règnent dans ce pays. En témoigne aussi le fait que, pour la première fois depuis les années 60, le budget fédéral est redevenu excédentaire au terme de cette même année 97.

Nouveaux craquements financiers

Mais des craquements de plus en plus forts dans la sphère financière se sont faits entendre. La remontée des taux d'intérêts aux USA en 1994, allant de pair avec le retour de la croissance, a déclenché un véritable krach obligataire, en dévalorisant les titres obligataires émis dans la phase précédente, à tel point que de nombreuses faillites s'en sont suivies.

Plus important encore: la crise du peso qui est partie du Mexique fin 1994 début 1995. Jugulée au prix d'une aide massive et immédiate apportée par les Etats-Unis, et au prix d'une crise économique violente et brève, elle n'en a pas moins démontré qu'à tout moment, le gigantesque échafaudage du capital fictif, le système de crédit, les banques, pouvaient connaître un infarctus qui les terrasserait.

Un fardeau de plus en plus lourd

Dans le même temps, il faut souligner que les exigences du maintien de la politique "monétariste" sont devenues sans cesse plus pesantes sur l'ensemble de l'économie capitaliste.

D'une part le maintien de taux d'intérêts relativement élevés pèse sur la capacité de recourir au crédit pour opérer de nouveaux investissements productifs, tandis qu'il exige que soit comprimées autant que possible les dépenses des Etats, y compris les dépenses parasitaires, pour pouvoir recourir à l'emprunt à des taux non prohibitifs.

D'autre part il est nécessaire aux Etats de nourrir sans cesse la sphère financière pour qu'elle s'élargisse sans cesse (on peut noter par exemple que l'indice Dow Jones, entre 1982 et aujourd'hui, a augmenté de … 1 500% !). Car autrement, si l'argent placé sur les marchés financiers ne rapportait plus suffisamment, un krach majeur se produirait immanquablement, tous les capitalistes cherchant à vendre et aucun ne voulant acheter. Et depuis un an, l'ombre d'un tel krach rode sur l'ensemble des places financières de la planète.

En ce sens, la fuite en avant des dépenses publiques japonaises ou coréennes, le rétablissement du contrôle des changes en Malaisie, la suspension des remboursements de la dette par la Russie, et la grande instabilité boursière qui perdure malgré la stabilisation relative qu'on observe depuis octobre, tous ces signes indiquent qu'une limite dans le mode de financement actuel du capitalisme pourrissant est proche d'être atteinte.

Enfin, ajoutons que la pyramide de crédits qui est une condition indispensable de la poursuite de l'accumulation du capital à l'échelle de la planète n'a pas comme moindre revers le fait qu'elle décuple les effets de toute crise économique. C'est précisément ce qui s'est passé en Asie du sud-est.

Au tour de l'Asie du sud-est

Dès son numéro de septembre 1997, CPS soulignait que la crise financière, l'effondrement de la bourse de Bangkok suite à la dévaluation contrainte de la monnaie thaïlandaise, le 2 juillet 1997, n'étaient pas un coup de tonnerre dans un ciel serein.  C'était l'expression d'une situation dans laquelle la croissance économique avait commencé de ralentir en 1996, conséquence, encore une fois, de la baisse du taux de profit, ce qui s'est manifesté  à l'échelle internationale par l'apparition de la "déflation", de la baisse des prix, aggravée encore par l'exigence qu'implique la politique monétariste d'une inflation faible.

Or, depuis la récession de 1990, le sud-est asiatique avait fait figure d'eldorado pour le capital. Les conditions sauvages d'exploitations offraient d'excellentes perspectives de profit. L'élargissement du marché qui en a découlé dans ces pays a même été un des principaux vecteurs de l'augmentation massive du commerce mondial en 1994 et 1995. Sur cette base, le surinvestissement en capital, la surspéculation financière et commerciale s'était déchaînée. La chute n'en a été que plus brutale. Les uns après les autres, les pays d'Asie du sud-est n'ont pu maintenir une monnaie stable face aux déficits en tout genre qui s'accroissaient avec le ralentissement économique.

La crise partie d'Asie du sud-est n'a donc pas été une simple "crise financière": l'effondrement des marchés financiers est bien au contraire une conséquence de la marche à une crise économique, et à la fois elle l'a précipitée et considérablement aggravée.

Marx l'avait déjà souligné:

"Dans un système de production où tout l'édifice complexe du procès de reproduction repose sur le crédit, si le crédit  cesse brusquement et que seuls aient cours les paiements en espèces, on voit bien qu'une crise doit alors se produire, une ruée sur les moyens de paiements. A première vue, donc, toute crise se présente comme une simple crise de crédit et d'argent. Et, en fait, il ne s'agit que de la convertibilité des effets de commerce en argent. Mais, dans leur majorité, ces traites représentent des achats et des ventes réels, dont le volume dépasse de loin les besoins de la société, ce qui est en définitive la base de toute crise." (le Capital, livre III, ch. 30, souligné par nous)

Les effets et la propagation de cette crise ont déjà été soulignés au début de cet article: de nombreux "marchés émergents" ont été coulés à pic par la tempête financière, mais encore et toujours sur la base de l'étroitesse et la faiblesse de la production comparée au système de crédit.

Et maintenant que la récession s'avance, rien ne dit que de nouveaux chocs brutaux ne viendront pas mettre à bas tout l'édifice, que le Japon pourra continuer à s'endetter toujours plus sans avoir à en payer le prix, que la Chine ne dévaluera pas, pour ne mentionner que ces hypothèses vraisemblables dont la réalisation précipiterait sans aucun doute une véritable catastrophe économique et sociale sur l'ensemble de la planète.

Anciens et nouveaux défenseurs du capitalisme

Comme toujours en temps de crise resurgissent, parfois dans des habits neufs, les "théories" utilisées par les dirigeants du mouvement ouvrier officiel pour dissimuler leur allégeance au capitalisme banqueroutier. 

Les uns, M.Blondel en tête, se proclament "keynesiens". Ils affirment que la "relance de la consommation" est la solution aux crises de surproduction. Mais, on l'a vu, l'origine des crises n'est pas dans les rapports de distribution, mais dans les rapports de production: l'augmentation des salaires, qu'il faut revendiquer évidemment, n'est pas un facteur de "relance" de l'économie capitaliste, mais un acteur de crise, en ce qu'elle contribue à la diminution du taux de profit, tout comme la diminution du chômage.

Les autres proposent de "réguler" le capitalisme, au moyen de l'intervention de l'Etat, comme si ce dernier était "neutre", n'était pas un instrument au service du capital, de la bourgeoisie.

Le dernier avatar de cette "régulation" est la proposition, qui fait flores, de taxer les transactions financières. C'est en particulier le cas de l'association ATTAC (Association pour la Taxation des Transactions et l'Aide aux Citoyens) dont on trouve parmi les membres fondateurs l'appareil de la FSU qui ne cesse d'opérer en soutien au gouvernement que dirige Jospin, et derrière lui le PCF.

Incontestablement, le pouvoir destructeur des détenteurs des masses de capital fictif qui circulent aujourd'hui sur les marchés exige une réponse.

Mais, d'une part, c'est une mystification d'expliquer que l'argent circulant sur les marchés, ou du moins une partie prélevée par les Etats, pourrait être investi dans la production ou dans des grands travaux publics, effectivement nécessaires: il s'agit, répétons-le, de capital fictif qui n'a pas d'autre existence que nominale. D'ailleurs, l'inventeur de ce projet de taxe, James Tobin, le sait fort bien, et le rappelle dans Le Monde du 17 novembre:

"A vrai dire, en Europe, on s'est souvent trompé sur le sens premier de ma taxe. On pensait que je voulais taxer les mouvements de capitaux pour dégager des ressources qui iraient à une organisation internationale, comme l'ONU, qui les mettrait au service du développement ou de l'environnement. Ce n'était aucunement ma priorité. Mon objet était bien d'essayer de contrôler les mouvements de capitaux à court terme, ceux qui peuvent avoir des effets déstabilisants sur les économies."

Mais surtout, l'ATTAC et ses confrères, qui veulent "réguler" les marchés proposent, en somme, de laisser dans les mains du grand capital les créances et titres de propriétés qui s'échangent sur les marchés financiers: sous des dehors à  grand-peine radicaux, ils combattent pour laisser les propriétaires posséder, les exploiteurs exploiter, les oppresseurs opprimer. Mais, certes, certes, en les "régulant".

L.Trotsky a déjà défini l'orientation sur laquelle il faut intervenir, dans le programme de transition: "L'expropriation des banques privées et l'étatisation du système de crédit":

"Impossible de faire un seul pas sérieux dans la lutte contre le despotisme des monopoles et l'anarchie capitaliste, qui se complètent l'un l'autre dans leur œuvre de destruction, si on laisse les leviers de commande des banques dans les mains des rapaces capitalistes.

Afin de réaliser un système unique d'investissement et de crédit, selon un plan rationnel qui corresponde aux intérêts du peuple tout entier, il faut fusionner toutes les banques dans une institution nationale unique. Seules, l'expropriation des banques privées et la concentration de tout le système de crédit entre les mains de l'Etat mettront à la disposition de celui-ci les moyens nécessaires, c'est-à-dire matériels et non pas seulement fictifs et bureaucratiques, pour la planification économique. (...) Cependant, l'étatisation des banques ne donnera ces résultats favorables que si le pouvoir d'Etat lui-même passe entièrement des mains des exploiteurs aux mains des travailleurs."

C'est dans cette perspective du combat pour exproprier les capitalistes qu'il faut revendiquer notamment aujourd'hui: l'annulation de la dette dont le fardeau pèse essentiellement sur les masses laborieuses, l'expropriation sans indemnité  des grands groupes capitalistes, industriels ou financiers (ce qui réduirait à des feuilles de papier sans valeur leurs titres de propriété que sont les actions), qui sont avec les Etats les piliers de la spéculation sur laquelle prospèrent les professionnels du genre (fonds de pension, etc.).

La publication des comptes réels de ces groupes, la mise en évidence du rôle des Etats sur les marchés, révélations qui ne peuvent être réalisée que par l'intervention directe des travailleurs directement concernés, ne manquerait pas de le mettre plus encore en pleine lumière que cela ne l'est aujourd'hui.

Voilà sur quelle ligne on doit se situer si l'on prétend vraiment s'en prendre aux "spéculateurs", c'est-à-dire à toute la poignée de capitalistes, spécialisés ou non dans l'intervention sur les marchés financiers, qui possèdent ou contrôlent l'essentiel de la richesse sociale.

Exproprier le capital

Le capitalisme roule vers l'abîme. Mais même quand se produira une crise dislocatrice du marché mondial et des échanges, dans la lignée de celle qui frappa à partir de 1929, si le prolétariat ne prend pas le pouvoir, alors le capitalisme ne disparaîtra pas, et même sur des ruines il perdurera.

Il faut ouvrir au prolétariat la seule issue qui permette de ranger les crises, le chômage et la misère dans les livres d'histoire: celle de l'organisation de la production en fonction des besoins des masses, en fonction d'un plan de production élaboré et réalisé sous le contrôle des producteurs eux-mêmes, à l'échelle de toute la planète, celle du socialisme.

La poursuite de la crise économique et financière mondiale depuis plus d'un an souligne avec force: non seulement pour se maintenir le régime capitaliste doit impérativement développer une réaction sans fin contre le prolétariat, la population laborieuse, la jeunesse, mais encore, un peu plus tôt, un peu plus tard, dans sa faillite, il risque d’emporter la civilisation humaine.

Les phrases suivantes sont aujourd'hui d’une brûlante actualité :

Sans révolution socialiste, et cela dans la plus prochaine période historique, la civilisation humaine tout entière est menacée d’être emportée dans une catastrophe.

Tout dépend du prolétariat, c’est-à-dire au premier chef de son avant-garde révolutionnaire. La crise historique de l’humanité se réduit à la crise de la direction révolutionnaire».

(L.Trotsky - Programme de transition)

Le 21 décembre 1998

 

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