Extrait de l'éditorial de Combattre pour le socialisme n°72 de juin 1998

 

Après les élections régionales de 1998

 

Deux mois après les élections régionales et cantonales, la crise des partis de la Ve République, le RPR et l'UDF, atteint une ampleur sans précédent. Le RPR est profondément fissuré, l'UDF est en coma dépassé, et, surtout, Chirac lui-même est touché. Chirac, les appareils du RPR et des partis composant l'UDF ont été jusqu'ici incapables d'arrêter la réaction en chaîne dévastatrice qui a suivi les élections régionales.


Retour sur le résultat des élections régionales


Les élections régionales du 15 mars 1998, premières élections à caractère national après les élections législatives de 1997 ont revêtu une importance politique incontestable. Pour en apprécier la portée politique il convient de restituer complètement les résultats, ce que se gardent bien de faire tous ceux qui veulent maintenir un brouillard épais sur leur signification. De plus il est très instructif de comparer ces résultats d'une part à ceux des élections législatives de 1997 et d'autre part aux élections du même type de 1992.

Les résultats de ces différentes élections sont les suivants :


 

 

régionales 1992

législatives 1997( 1er tour )

régionales 1998

inscrits

37 344 864

39 216 000

39 281 860

abstentions.

31,3

32,0

42,0

votants

68,7

68,0

58,0

blancs/nuls

3,3

3,4

2,7

exprimés

65,3

64,6

55,3

 

%  inscrits

voix

% exprimés

%  inscrits

voix

% exprimés

%  inscrits

voix

% exprimés

Ext. Gauche

0,8

298 759

1,2

1,4

549 024

2,2

2,4

942 764

4,3

PS

12,0

4 481 384

18,3

16,5

6 470 640

25,5

1,8

707 073

3,3

PCF

5,3

1 979 278

8,0

6,4

2 509 824

9,9

0,6

235 691

1,1

"gauche plurielle"

-

-

-

-

-

-

15,7

6 167 252

28,3

Total partis ouvriers

18,0

6 759 902

27,6

24,3

9 529 488

37,6

(20,5)

(8 052 789)

37,0

mrg/prg,mdc,div. gau,...

1,4

522 828

2,7

2,0

784 320

3,1

0,9

353 537

1,7

écolos/verts

9,6

3 585 107

14,7

4,0

1 568 640

6,3

2,9

1 139 174

5,2

divers

2,8

1 045656

4,3

1,2

470 592

1,8

2,9

1 139 174

5,2

union RPR/UDF

21,6

8 066 491

33,0

-

-

-

15,6

6 127 970

28,4

RPR

-

-

-

10,9

4 274 544

16,8

-

-

-

UDF

-

-

-

9,5

3 725 520

14,7

-

-

-

div. droite

2,7

1 008 311

4,2

3,0

1 176 480

4,6

4,1

1 610 556

7,5

Total RPR+UDF+div dr

24,3

9 074 802

37,2

23,4

9 176 544

36,2

19,7

7 738 526

35,7

FN + ext. droite

9,2

3 435 727

14,1

9,8

3 843 168

15,1

8,4

3 299 676

15,1

RPR+UDF+div.dr.+FN

33,5

12 510 529

51,3

33,1

13 019 712

51,3

28,1

11 038 202

50,9

Total partis bourgeois

47,4

 

72,5

40,3

 

62,4

34,8

 

63,0

 


Il faut préciser que pour comparer les rapports entre les suffrages qui se sont portés sur les partis ouvriers et ceux qui se sont portés sur les partis bourgeois, pour les régionales de mars dernier, les voix obtenues par les listes de la "gauche plurielle" ont été comptabilisées comme des voix ouvrières.

 

Mais ces listes étaient en tant que telles des listes de nature bourgeoise: elles n'étaient pas présentées par le PS ou le PCF, mais par la coalition bourgeoise de la "gauche plurielle".

 

C'est pourquoi le Comité avait appelé à rayer les noms des candidats faisant partie du personnel politique de la bourgeoisie à voter: contre les partis bourgeois et Chirac, contre le gouvernement, pour la rupture avec la bourgeoisie, avec le gouvernement, pour le front unique des organisations ouvrières.

 

Conformément à la méthode utilisée pour analyser les résultats de 1992 (voir CPS n°42 du 2/04/92), il est nécessaire pour apprécier les rapports politiques tels qu’ils s’expriment dans les élections de considérer en premier lieu le rapport entre le score des partis traditionnels de la classe ouvrière et celui des partis et organisations bourgeois (en 1992, le PS et le PCF présentaient des listes comprenant déjà des candidats appartenant au personnel politique de la bourgeoisie).

 

Les élections régionales de 1992 avaient préfiguré la défaite du PS et du PCF aux législatives de 1993: les partis ouvriers ne rassemblaient que 27,6 % des exprimés, tandis que l’abstention ouvrière était massive et que: "plus que jamais c’est la confusion noire et l’impasse politique, ce qui s’exprime aussi bien dans le vote pour les “ Verts” et “ Génération écologie”, organisations bourgeoises très réactionnaires que dans la non participation au vote" (CPS n° 42). Les régionales de 1992 avaient été une lourde défaite pour le PS et pour le PCF. Les partis et organisations bourgeoises obtenaient la présidence de 21 conseils dont celle du Nord-Pas-de-Calais que le PS cédait aux Verts, et le PS d'un conseil. C’est à cette aune que la progression en 1998 des listes de la "gauche plurielle" doit être appréciée: la comparaison ne pouvait qu'être avantageuse.

 

Mais sur le fond les résultats restent très défavorables aux partis ouvriers traditionnels: ils ne recueillent que 37,0 % des exprimés (20,5 % des inscrits), et encore, contre 63,0 % aux partis bourgeois (34,8 % des inscrits). Sous cet angle, les rapports électoraux restent analogues à ceux qui se sont cristallisés lors des élections législatives de 1997.


Du côté du prolétariat…


L’abstention a été massive et atteint un niveau record. Par rapport au premier tour des élections législatives de 1997, alors que le nombre de suffrages exprimés baisse de 14,39 %, les partis ouvriers-bourgeois perdent 15,49 % de leur voix quand RPR, UDF et div. droite) perdent 15,67% et le FN 14,1%, ce qui pour ce dernier est moins. De plus par rapport au score réalisé par le PS et le PCF en 1997, les listes de la "gauche plurielle" perdent 31,3 % en voix.

 

 La constitution des listes de la "gauche plurielle", dans la lignée de celle du gouvernement Jospin-Gayssot-Chevènement-Voynet-Kouchner, visait à exclure le prolétariat du terrain des élections et à lui empêcher de se rassembler sur un vote pour ses partis traditionnels, un vote classe contre classe. Elle visait à lui interdire de s’orienter vers l’existence d’une majorité du PS et du PCF à l’Assemblée Nationale, celle qui a résulté de la défaite infligée à J.Chirac lors des élections législatives de 1997. Il s’agissait de lui fermer la perspective politique que s'engage le combat pour la rupture de ces partis avec le gouvernement, pour mettre à bas Chirac et pour la formation d’un gouvernement du PS et du PCF sans représentants d’organisation ou de parti bourgeois.

 

L’objectif a été atteint. Comme le montrent les résultats de l’abstention dans les villes ouvrières, une grande masse de travailleurs et de jeunes ont refusé de voter pour les listes du gouvernement, celles de la majorité plurielle. Les listes Lutte Ouvrière ont réalisé un score significatif (l'essentiel des 4,3% des exprimés de "l’extrême gauche"). Pour le prolétariat, il est incontestable que s’est manifesté son rejet de la politique réactionnaire du gouvernement Jospin-Gayssot-Chevènement-Voynet-Kouchner, mais il n'a pu traduire ce rejet par un vote classe contre classe en raison de la confusion politique entretenue par les appareils.

 


…et du côté de la bourgeoisie


Sur 21 régions (sans compter la Corse qui donnait lieu à une élection particulière à deux tours ) le RPR, l'UDF, les divers droite et le FN obtiennent 923 sièges alors que la majorité absolue est de 836 sièges. Cela sans compter les sièges obtenus par les "divers", comme les "chasseurs" (45). Le nombre de sièges acquis par les divers gauche, les listes de la "gauche plurielle" et l'extrême gauche est de 703 (respectivement 24, 656 et 23 sièges).

 

Dans 17 régions sur 21, les élus RPR/UDF/Divers droite/FN disposent à eux seuls une majorité absolue au sein des conseils régionaux. Presque comme en 1992, les partis de la bourgeoisie avaient arithmétiquement la possibilité d'y garder la présidence. Mais, malgré sa domination arithmétique, le camp des partis de la bourgeoisie est déchiré et divisé.

 

RPR UDF et divers droite ne disposent à eux seuls d'une majorité absolue que dans une seule région (pays de la Loire)! La sentence des élections régionales est donc que, sans le concours du FN, le RPR, l'UDF et leurs alliés ne peuvent envisager de reprendre le pouvoir. Là est l'origine immédiate de l'accentuation de la crise de ces partis. Au lendemain des régionales, le Front National enfonçait le clou: il offrait ses bons et loyaux services pour empêcher l'élection des candidats de la coalition de la gauche plurielle là où celle-ci ne disposait que d'une majorité relative au profit de candidats RPR ou UDF.


l'UDF disloquée


Il n'aura alors pas fallu une semaine pour que l'UDF vole en éclats. Plusieurs candidats de l'UDF acceptaient cette "aide" providentielle du FN, et ce contre l'avis des dirigeants nationaux de cette confédération. Le plus significatif est que parmi ces présidents ainsi élus se trouve C.Millon, ancien ministre de la défense du gouvernement Chirac-Juppé, et qu'il a pris sa décision avec le soutien discret de Giscard d'Estaing (qui de son côté multiplie les faveurs aux élus FN au conseil régional d'Auvergne). Abandonnant l'UDF à son naufrage, il appelait aussitôt après son élection à une recomposition de la droite incluant le FN. Les menaces puis les sanctions prises à l'encontre des Millon, Blanc, et Baur n'ont eu aucune prise sur eux. L'autorité de la direction de l'UDF était ainsi appréciée à sa juste valeur: zéro.

Immédiatement, Bayrou lançait une OPA sur les restes de l'UDF, proposant la fusion des composantes sous son aile protectrice. Madelin, président de Démocratie Libérale (l'ancien parti républicain), refusait, lui, d'exclure Millon et les alliances avec le FN. Il portait le coup de grâce en organisant la sortie de son organisation de l'UDF le 16 mai.


crise au RPR


Le RPR aussi est profondément ébranlé. Ce fut d'abord J-F.Mancel, ancien secrétaire général de cette formation, et proche de Chirac qui se prononçait pour des alliances avec le FN dès le 17 mars, deux jours après les régionales: "cette stratégie de guerre avec le FN a été un échec total, il faudrait être cinglé pour poursuivre". Il était rapidement exclu. Mais dans tous les conseils régionaux, le RPR se déchirait sur la question de l'alliance avec le FN, et ce après l'intervention télévisée de Chirac contre ces alliances.

 

Les fissures du RPR ne se limitent pas là. Le vote à l'Assemblée nationale le 22 avril sur le passage à l'Euro a vu Seguin et Balladur prôner le vote "non", et ce en dépit de l'intervention vibrante de Chirac pour l'Euro le 16 avril.

In extremis, le groupe RPR tournait casaque le jour du vote pour se réfugier dans un refus de vote. Seguin, qui est formellement le président en titre du RPR était, selon ses propres termes, "humilié" et envisageait de démissionner.

 

Même la mairie de Paris, le bastion historique de Chirac, est touchée. En 1995, Chirac avait désigné Tibéri pour lui succéder. Le 6 avril, J.Toubon formait contre lui un groupe dissident contre celui-ci, avec comme objectif: empêcher le PS et ses alliés de conquérir la Mairie, et au passage, devenir lui-même maire.

La direction du RPR s'est avérée incapable de régler ce conflit, et d'imposer ses solutions. Fort à propos, les déchirements du RPR parisien ont coïncidé avec une avalanche "d'affaires" qui ont directement mis en cause Chirac lui-même.


Chirac touché


Aussi bien les "affaires" que la décomposition des partis de la Ve République font vaciller Chirac. La preuve: le même dimanche 17 mai, E.Guigou, ministre PS de la justice, déclarait: "le président de la République peut être traduit devant les tribunaux s'il a commis des délits", tandis que C.Bartolone, ministre PS de la Ville, envisageait la tenue d'une "élection présidentielle anticipée". "Le président de la République y a tout intérêt. Je suis persuadé qu'il veut être candidat à sa propre succession." Et d'en appeler à une candidature Jospin. On ne saurait inviter plus clairement Chirac à démissionner, dans un respect touchant de la légalité de la Ve république, bien entendu. C'est dire l'ampleur de la crise qui secoue les partis bourgeois traditionnels et qui touche jusqu'à leur chef, le de Gaulle de pacotille, Jacques Chirac.


A la racine de la crise du RPR et de l'UDF:  
l'échec récurent de la bourgeoisie à réaliser les objectifs de la Ve République


Le RPR a succédé à l'UDR gaulliste quand Chirac s'en est emparé en 1976. L'UDF a été constituée par Giscard en 1978 en fédérant un ramassis d'organisations bourgeoises déliquescentes. Ces partis sont indissolublement liés à la Ve république, le RPR prétendant en assumer la continuité historique tandis que l'UDF en a été une roue de secours.

 

La crise de ces partis provient de l'échec de la bourgeoisie française à réaliser les objectifs qui ont amené au coup d'état de de Gaulle en 1958: instaurer en France un pouvoir fort, un régime corporatiste, en finir avec les organisations traditionnelles de la classe ouvrière et les libertés démocratiques. Telle était la condition qui aurait pu permettre à l'impérialisme français décadent d'enrayer son déclin face aux autres puissances impérialistes.

 

Mais à chaque tentative de porter des coups décisifs au prolétariat dans cette voie, la bourgeoisie française a échoué. Après la grève générale des mineurs de 1963 contre le décret de réquisition du gouvernement gaulliste, la grève générale de mai-juin 1968 voyait la classe ouvrière se dresser spontanément contre le régime gaulliste. La tentative de reprendre la marche vers le corporatisme qu'était le référendum de 1969 était un nouvel échec, qui contraignait de Gaulle à démissionner. En mai-juin 1981, la classe ouvrière et la jeunesse chassaient du pouvoir les partis bourgeois RPR et UDF, élisaient Mitterrand, premier secrétaire du PS, président de la République et une majorité écrasante de députés PS et PCF à l'Assemblée nationale. C'était au sein de la Ve République sa propre négation: une majorité absolue pour les partis ouvriers traditionnels, conséquence différée de mai-juin 1968 et des luttes menées par le prolétariat tout au long des années 70.

 

C'est cet échec historique de la bourgeoisie française qui a donné une impulsion au développement du parti de Le Pen, le Front National. En rejoignant ce groupe jusqu'ici insignifiant, des cadres RPR et UDF cherchaient les voies de la reconstitution d'un parti qui soit capable d'être ouvertement agressif contre les masses, pour renouer avec la marche au corporatisme.

 

Mais le terreau sur lequel le FN a prospéré a été l'impasse dans laquelle les gouvernements "d'union de la gauche" et "d'ouverture", appuyés sur les dirigeants des confédérations syndicales, sont parvenus à enfermer le prolétariat: la politique anti-ouvrière et anti-émigrés qui a été celle de ces gouvernements a permis au FN de se développer.

 

Cela dit, la place centrale que le FN a peu à peu acquise ne va pas sans contradictions en son sein: accéder au pouvoir exigerait de lui au moment présent qu'il se débarrasse de ses composantes fascisantes et cesse de rejeter notamment la politique européenne de la bourgeoisie française. Tout revers dans sa progression électorale pourrait y précipiter une crise aiguë.


A bas Chirac! A bas la V° République !


Néanmoins, la Ve République s'est avérée plus souple à l'usage que ce que même son fondateur aurait pu prévoir. Elle a digéré l'élection de majorités parlementaires pour les partis ouvriers-bourgeois en 1981, 1988, et 1997, et trois cohabitations, phases évidemment contraires à "l'esprit des institutions". Sa préservation par le PS et le PCF et cette souplesse ont permis à la bourgeoisie d'essayer de renouer avec la marche au corporatisme suite à l'élection de Chirac en 1995.

À nouveau, elle s'est heurtée à la classe ouvrière, au puissant mouvement de novembre-décembre 1995.

Saisissant l'occasion de la défaite infligée au prolétariat et à la jeunesse avec le vote de la loi Debré début 1997, Chirac tentait de remettre le couvert en dissolvant l'Assemblée. Mais la gangrène des partis traditionnels de la bourgeoisie et le poids du Front National, conjuguée avec la volonté de résistance de la classe ouvrière, ont fait capoter l'opération.

 

De nombreux plumitifs, à commencer par ceux d'Informations ouvrières, tartinent des pages entières sur la crise de la Ve République. A force, cela ne veut plus rien dire. Même cabossée et bardée de cicatrices, la Ve République est toujours en place.

Et tant qu'elle n'a pas été balayée, elle peut servir de point d'appui à une nouvelle offensive vers le corporatisme, et ce d'autant plus que Chirac, même chancelant, peut s'accrocher à la présidence de la République, d'où il pourra reprendre l'initiative en ce sens. En tant que président de la République, il reste le pôle autour duquel peuvent tenter de se restructurer les partis bourgeois traditionnels.

 

Il en est ainsi pour "l'Alliance pour la France": même si Chirac n'en est pas directement à l'initiative, cette structure qui vise à endiguer les tendances centrifuges au RPR et à l'UDF ne peut en dernière analyse que lui être subordonnée.

 

C'est pourquoi la responsabilité des dirigeants des organisations ouvrières est de se prononcer et d'agir sur la ligne:

A bas Chirac et la Ve République!

 

Ainsi la crise politique profonde de la bourgeoisie, la crise des partis traditionnels de la Ve République pourrait être mise à profit par le prolétariat pour son propre compte.

 

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