Article paru dans
Combattre pour le Socialisme n°70
(décembre 1997)
Après avoir été dupés: les routiers ligotés
Par la position stratégique que les routiers occupent (leur capacité de bloquer la vie économique du pays), un mouvement comme celui qui a commencé dans la nuit du 2 novembre 1997 avec l’installation de barrages pouvait devenir un événement important dans la lutte de classes. Annoncé depuis un mois (début octobre, un ‘ultimatum’ avait été adressé aux patrons par les dirigeants des organisations syndicales pour le 2 novembre à 22 heures), il s’est terminé dans la nuit du 7, avec la levée en quelques heures de tous les barrages.
Il y a seulement 12 mois, un mouvement des routiers
avait duré 12 jours. Mais depuis, à la suite de la dissolution anticipée de
l’Assemblée nationale par Chirac, une situation nouvelle s’est créée. Chirac a
été battu aux élections législatives de mai-juin. La majorité RPR-UDF a été
mise en déroute.
La question centrale du pouvoir se pose désormais en
des termes plus favorables pour le prolétariat. La majorité de députés du PS et
du PCF peut rendre plus directement saisissable le mot d’ordre d’un
gouvernement PS-PCF sans ministre représentant d’organisation bourgeoise. Il ne
faut pas pour autant tirer des conclusions mécaniques. On doit constater que ce
gouvernement de type Front populaire a pu porter jusqu’à présent une série
d’attaques contre les masses, sans provoquer de mobilisation au moins d’une
certaine ampleur. Pour autant, on ne doit pas écarter la possibilité qu’à tout
instant, un mouvement surgisse dans la classe ouvrière (ou la jeunesse).
Novembre 1996 : les routiers
dupés
CPS 66 avait significativement
titré l’article : ‘‘Les routiers dupés : sous couvert de revendications de travailleurs,
les appareils syndicaux font passer les revendications des patrons. ’’
En effet, aucune revendication tant soit peu
importante n’avait été satisfaite. Les revendications des travailleurs avaient
été en fait escamotées. Et d’abord, le paiement à 100% de toutes les heures de
travail, en particulier, les temps d’attente. Idem pour la revendication de 10 000F minimum (salaire brut !)
immédiatement pour 169 heures par mois.
Le gouvernement et le patronat s’en sortirent avec
la "recommandation" du
versement d’une prime exceptionnelle de 3000 F. Avec la prétendue ‘retraite à
55 ans’ (la ‘‘cessation anticipée d’activité’’ est une forme de chômage,
jusqu’à l’âge de la retraite, financée essentiellement par l’Unedic), les
patrons obtinrent la possibilité de se débarrasser des travailleurs les plus
âgés contre l’embauche de jeunes, plus mal payés et beaucoup plus ‘productifs’.
Pour L’Humanité
du 30 novembre 1996, ‘‘La grève se
termine en succès. Les routiers ont gagné ! Pour l’essentiel ’’. Les
fédérations syndicales signèrent le protocole de fin de sortie ainsi que les 5
autres protocoles (4 pour la CGT).
Deux mois plus tard, le secrétaire général de la
Fédération des transports FO, déclarait dans une AG des chauffeurs routiers (à
propos du conflit) : ‘‘ Nous avons été
roulés dans la farine’’, soulignant, ainsi, que ‘‘personne n’a(vait) touché la prime de fin d’année de 3 000 F ’’ (L’Humanité - 22/1/1997).[i]
Il faut ajouter la sévère répression frappant les
travailleurs depuis la fin du mouvement.
Octobre 1997 : ‘négociations’ sur les objectifs du patronat
Le 24 octobre, les ‘négociations’ ont repris entre
les représentants des fédérations syndicales et les patrons.
Pour les patrons, c’est l’annualisation du temps de
travail et des salaires qui est à l’ordre du jour, ainsi que la ‘refonte des
classifications’. Quand ils proposent d’atteindre 120 000 F de salaire annuel
en l’an 2000, pour une partie minime des chauffeurs routiers, les dirigeants
syndicaux - qui, d’après l’Humanité,
"voudraient éviter les pièges
induits (sic !) par une annualisation des salaires" - considèrent
qu’il s’agit d’une ‘proposition sérieuse’.
L'UFT - qui représente l’ensemble des patrons, à
l’exception des très petites entreprises, regroupées dans l'UNOSTRA - quitte la
réunion, jeudi 30, à nouveau le 31 au soir, expliquant qu’elle avait présenté
sa ‘position ultime’. Considérant que la négociation ne peut pas se mener sans
l'UFT, les dirigeants CGT en font autant.
Le gouvernement intervient alors directement pour
faire valoir les revendications patronales. L. Jospin annonce un allégement de
la taxe professionnelle de 800 F par camion. Puis, Gayssot annonce un décret
"d'assainissement" de la profession. Le gouvernement autorise
exceptionnellement (un week-end de Toussaint !) les camions-citernes à rouler
cette fin de semaine. En guise de protestation, la CFDT fait dresser des
barrages filtrants autour de 3 dépôts de carburants.
Le dimanche matin 2 novembre, les organisations
syndicales (hors CGT absente) publient une déclaration commune (ou ‘constat de
négociations’) avec l’UNOSTRA, en annonçant l’élaboration d’un protocole
d’accord pour le transport de marchandises. Le dirigeant CFDT déclare : ‘‘Nous avons vécu une nuit historique, car
la réalisation de 10 000F pour 200 heures est un acquis pour le 1er juillet
2000 ’’.
‘‘Sans pouvoir
souscrire à un accord sur ces bases’’, l'UFT annonce que "l'État ayant annoncé qu’un tel accord fera l’objet d’un
arrêté d’extension le rendant obligatoire’’, les entreprises adhérentes à
l'UFT ‘‘seront tenues de l’appliquer.’’
Mais dans la matinée, le dirigeant FO, ‘‘ après avoir pris quelque repos ’’, fait
savoir qu’il ‘‘ ne se reconnaît pas dans
la déclaration commune’’. Dans plusieurs régions, les organisations CFDT
estiment ‘insuffisantes’ les avancées obtenues et décident d’élever des
barrages. Le dirigeant fédéral de la CFDT les invite à ‘‘reporter l’idée d’une action généralisée’’ au 12 novembre à 22
heures. La fédération CGT appelle les
salariés à ‘‘se rassembler dans l’unité
la plus large pour décider ensemble des formes d’action’’, tout en indiquant
qu’elle est ‘‘toujours prête à négocier’’
et qu’elle réclame des garanties écrites . La FNCR (autonome) déclare refuser
l’accord.
FO-transport appelle ‘‘les routiers à cesser dès ce soir le travail et à rejoindre tous les
bouchons possibles. 95% des chauffeurs consultés ont rejeté les propositions et
demandé qu’il y ait un appel à la grève ’’.
‘‘ Transports routiers : une crise dénouée en moins d’une semaine ’’ (Les Échos -10/11/1997)
Lundi 3 : la 1ère journée, 145 barrages sont décomptés,
dont 140 filtrants. Le patronat a pris les devants. L’Humanité du 4 novembre relate :
‘‘ Des chefs d’entreprise tentent d’enrayer le
mouvement de grève en confisquant les camions
A Lyon, le blocus bien huilé des patrons
S’agit-il de
la grève des patrons ou celle des salariés ? (...) Vendredi soir, la direction
du groupe Dentressangle a décidé de bloquer tous ses camions, confisquant même
les clés aux chauffeurs. Du coup, les personnels se sont retrouvés, lundi
matin, (....) dans l’impossibilité même de se mettre en grève. Manifestement,
de nombreuses entreprises des transports ont ainsi empêché la sortie des
véhicules (...) Un lock-out bien huilé par le patronat..’’
La fédération CFDT se déclare prête à signer le
protocole élaboré, dimanche. Le gouvernement fait dégager des barrages par des
C.R.S.
Mardi 4 : tous les syndicats et l'UNOSTRA sont présents à
la réunion de la Commission nationale paritaire prévue pour négocier des
salaires en 1998. L’UFT, absente, communique que "le protocole d’accord contient des dispositions de nature à déboucher
sur un compromis dans les meilleurs délais". L’Humanité titre : ‘‘ Les
routiers dressent les barrages pour que les patrons négocient ’’ et la CFDT
appelle ses militants à exercer ‘la
pression maximum pour faire aboutir positivement les négociations ’’. 157
barrages, dont 138 filtrants, sont recensés.
Renforcement de la mobilisation des routiers, comme
l’affirme l’Humanité du 5? Les brèves
qui suivent cette assertion démontrent le contraire : ‘‘ Les grévistes ont levé leur barrage au M.I.N. de Lille (2è marché
d’intérêt national de France), dans un geste d’apaisement envers les petits
commerçants (...) Dans la région Rhône-Alpes, la plupart des gros barrages
filtrants ont été levés (...) Dans cette région, on s’oriente désormais vers
des «opérations ponctuelles» de courte durée.’’
Les interventions des C.R.S. contre les barrages
continuent.
Mercredi 5 : Reprise des ‘négociations’ entre l’ensemble des
organisations syndicales et patronales. Le
Monde (6/11) souligne que
"les barrages sont tenus sans camions, avec les véhicules personnels des
grévistes et quelques madriers. Les effectifs sont insuffisants.
Sur la seule zone de Vitrolles, les chauffeurs doivent tenir 7 entrées,
en assurant un roulement minimum. Seulement 2 ou 3 routiers contrôlent chaque
accès. La logistique de la CFDT, majoritaire sur les barrages, n’est pas très
puissante. Grâce à l’appui de quelques municipalités, comme celle de Martigues,
qui doit installer un préfabriqué à Lavéra, la CGT compense le manque d’abris’’.
Autre indication : ‘‘en Bretagne, les grévistes ont choisi la technique des barrages
mouvants’’. L’appréciation de l’Humanité
(6/11), selon laquelle ‘‘les barrages se
renforcent encore’’ (191 barrages, dont 24 bloquants), est bien une
contrevérité. Autre fait le corroborant : la violente agression de routiers
grévistes par des milices du patronat du transport, à Vitrolles. Il faut
mesurer la ‘minceur’ de la réaction, selon les infos données par ce journal :
60 routiers et 300 ‘personnes’ au total se rassemblent en solidarité !
Jeudi 6 : Les responsables des fédérations ‘consultent’ les
routiers sur les 170 barrages sur le projet de protocole qu’ils ont fini
d’élaborer avec les patrons.
Vendredi 7 : Constatant que ‘‘les salariés dans l’action rejettent massivement le projet (...), la CGT décide de ne pas signer le
projet de protocole et demande la poursuite conjointe des négociations et de
l’action’’. FO annonce qu’elle ne signera pas. Idem pour les autonomes (FNCR) et la CFTC.
La CFDT, elle aussi, consulte sa ‘base’, en
indiquant que le protocole lui permet d’atteindre 6 de ses objectifs sur 7,
déclare recueillir un vote favorable à 61% et signe le protocole, avec la seule
CGC et les organisations patronales.
150 barrages (dont 20 bloquants) étaient recensés le
matin. Ils s’évaporeront dans la nuit.
Le protocole d’accord
Le préambule fixe un ‘processus’ qui doit permettre
de ‘‘répondre aux aspirations des
salariés (...) tout en contribuant à la compétitivité des entreprises
françaises’’ : il y a un engagement dans ce préambule, non pas pour les patrons de satisfaire quelque
revendication des travailleurs, mais, pour toute organisation syndicale
signataire, de sacrifier les travailleurs à ‘‘
la compétitivité des entreprises françaises ’’.
Le protocole (qui ressemble fort au texte arrêté le
1er novembre) prévoit d’atteindre par étapes ‘‘ les 120 000 F brut par an pour une durée moyenne de temps de service de
200 heures mensuelles’’. Il s’agit d’un minimum pour les chauffeurs les
plus qualifiés, qui sont environ 10 000 sur plus de 200 000 chauffeurs
routiers.
Il établit le principe d’un ‘salaire mensuel
professionnel garanti’. Ce ‘Smpg’ n’inclut pas les primes, contrairement aux
actuelles rémunérations garanties. De fait, cela signifie, comme le
reconnaissent ouvertement les dirigeants CFDT, que les "hausses" de
salaire seront intégralement compensées par la suppression des primes. De plus,
les bas salaires ne seront même pas ramenés à l'équivalent du SMIC.
Le Monde du 7 novembre, par exemple,
fournit les explications suivantes: avant que ce minimum ne soit déterminé, le
patronat exige l’ouverture de négociations, dans chaque entreprise, sur la
réduction du temps de service, l’aménagement du temps de travail et sur la
redéfinition des emplois et de la hiérarchie entre les emplois. Ces
négociations doivent aboutir, selon le protocole, avant le troisième trimestre
1998. La CGT et FO ont vivement critiqué une clause du texte permettant la
dénonciation d’accords d’entreprise et, notamment, l’ouverture du chantier de
l’annualisation du temps de travail. Primes et gratifications pourront être
remises en cause dans ces circonstances. Pour la CGT, comme pour FO, ‘‘les patrons ont travaillé pour reprendre
d’une main ce qu’ils avaient donné de l’autre’’. Quelque soit l’ampleur de
l’augmentation apparente des salaires, ‘‘la
majorité de la profession sera maintenue à un niveau proche du Smic’’
(CGT).
Aucune revendication réelle des travailleurs n’est
satisfaite. Le protocole fournit, au contraire, des points d’appui aux
capitalistes pour instaurer l’annualisation des salaires (suppression des
heures reconnues comme supplémentaires), remettre en cause les acquis limités
des travailleurs du transport routier. Le protocole prévoit la révision de la
convention collective.
‘‘ Diminuer les coûts ’’
Le transport routier a bénéficié de nombreuses
années d’expansion qui se sont conjuguées à des aides, faveurs et indulgences
en tous genres de la part de l’appareil d'État, des compagnies d’assurances,...
De grands groupes se sont constitués en même temps qu’ont proliféré les petites
entreprises (32 000 des 38 000 entreprises ont moins de 10 salariés). Ce régime
protectionniste, désormais écorné, devrait disparaître au 1er juillet 1998 avec
la ‘libéralisation’ totale de ce secteur dans l’Union européenne (le transport
entre deux points du territoire français - cabotage - ne sera plus réservé aux
patrons français).
Les entreprises françaises seront soumises à une
concurrence que les commentateurs qualifient de ‘féroce’. Les firmes
hollandaises sont présentées comme les plus agressives (mais elles ne sont pas
les seules) - parce que les plus compétitives. La ‘rationalisation’ y a
été poussée au maximum et les travailleurs y percevraient les salaires
les plus élevés de toute l’Union européenne.
Peu d’entreprises appliquent, aujourd’hui encore, le
‘contrat de progrès’ signé en 1995 par la CFDT et FO. Dérogatoire au droit commun,
il prévoit de limiter le temps de travail à 240 heures de travail par mois
immédiatement et à 200 heures en 1999, d’établir une rémunération au nombre
d’heures de travail effectif et ... de faire bénéficier les patrons de baisses
de charges.
Le gouvernement
Jospin-Gayssot-Chevènement-Voynet-Kouchner au service du grand capital
Trop d’entreprises françaises sont décidément obsolètes,
incapables de ‘rationaliser’ l’exploitation des travailleurs. Leur disparition
n’est pas seulement recherchée par les grands groupes pour élargir leur part de
marché. Elle est voulue également par l’ensemble de la ‘chaîne de transport’.
Ainsi, quand Les
Echos (21-22/11) demandent à un dirigeant de l’Autf (Association des
utilisateurs de transport de fret) s’ils sont prêts à payer les temps de
chargement et de déchargement comme le réclame le patronat routier, celui-ci
répond :
‘‘ Nous sommes
favorables à cette démarche. Tout le monde a intérêt à optimiser les temps de
chargement et de déchargement. Nous avons d’ailleurs recommandé à nos adhérents
d’engager le dialogue avec les transporteurs. Nous sommes tout à fait disposés
à examiner avec eux, au cas par cas, les actions nécessaires pour diminuer les
coûts.. ’’
En prenant le décret du 7 novembre et en annonçant
un projet de loi, visant à limiter les conditions d’accès à la profession et à
en ‘améliorer’ l’exercice (formation, contrôle, sanctions), le gouvernement est
intervenu fort logiquement au service du grand capital. Le président de l’Autf
déclarait aux Échos (21-22/11) : ‘‘Nous sommes tout à fait d’accord avec les
mesures prises par le gouvernement. Nous, chargeurs, nous avons toujours plaidé
en faveur d’un contrôle à l’accès de la profession plus strict ".
Autre "intervention" fort significative:
l'intervention policière, contre les barrages (permise par les dirigeants
syndicaux), intervention réclamée haut et fort par les partis bourgeois et
saluée par Chirac lors du sommet franco-britannique en ces termes: "le gouvernement a fait le maximum".
L’ouverture totale de la concurrence au 1er juillet
prochain, devrait provoquer la disparition de nombre d’entreprises, entraînant
des licenciements massifs. Ce sera de toutes façons un considérable moyen de
pression sur les travailleurs de ce secteur aux mains des patrons. On ne peut
pas ignorer que cela pèse forcément sur les travailleurs de cette branche.
A nouveau sur novembre 1996
Les routiers avaient imposé la grève alors que les
responsables des fédérations syndicales avaient programmé une ‘journée
d’action’, une classique opération bousille
au moment où ils ‘négociaient’ sur le terrain des revendications
patronales (et d’abord: ‘‘comment
préparer le transport routier marchandises aux échéances de 1998’’ !)
CPS n°66 pouvait écrire : ‘‘C’est sous la pression des routiers que le
mouvement a atteint cette dimension. Mais elle a été insuffisante pour imposer
aux appareils syndicaux un véritable combat pour leurs revendications. Ils ont
tout fait pour détourner les chauffeurs routiers de Paris. Des dizaines de
milliers de camions manifestant et bloquant Paris auraient représenté une
épreuve de force majeure pour le gouvernement Chirac-Juppé. Un tel affrontement
pouvait cristalliser une puissante mobilisation de la classe ouvrière contre le
gouvernement, pour le chasser.
Pour organiser
leur mouvement, l’ordonner sur cet axe, les travailleurs devaient élire leurs
comités de grève, avec des élus leur rendant compte, mettre en place un comité
central de grève constitué de délégués élus par les comités de grève,
responsables devant eux, et intégrant les représentants des fédérations
syndicales (se donnant ainsi les moyens de les contrôler). C’est ce comité
central de grève qui aurait eu à appeler à la grève générale de tous les
travailleurs concernés et à la diriger, pour les revendications mises en avant
par les travailleurs. Il aurait eu à appeler et à organiser la manifestation à
Paris contre le gouvernement
Chirac-Juppé.’’
Novembre 1997 : les routiers ligotés par les dirigeants syndicaux
Après le mouvement des routiers, il faut faire le
constat suivant: la mobilisation est restée très limitée, en deçà du mouvement
de 1996.
Les dirigeants CFDT n’ont pas été suivis quand ils
ont demandé, à quelques heures de l’échéance de l’ultimatum, de différer le
mouvement jusqu’au 12 novembre, mais c’était une mascarade inacceptable pour
leur base déjà rassemblée pour constituer les barrages, alors qu’elle prenait
connaissance de la teneur du projet de protocole.
Les routiers ont été pris au piège, subissant le
lock-out des patrons, leurs menaces (la répression n’a pas tardé à sévir), le
harcèlement et les diktats des C.R.S. diligentés par le gouver-nement
Jospin-Gayssot-Chevènement-Voynet-Kouchner. Mais l’obstacle décisif a été
dressé par les appareils syndicaux.
La CFDT a assumé pleinement son rôle de chef de file
dans l’opération (elle a revendiqué le contrôle des trois quarts des barrages),
mais elle n’a pu le faire que parce que les dirigeants CGT et FO ont agi de
concert (la FNCR jouant un rôle accessoire et la CFTC négligeable[ii]).
Ils n’ont pas signé le protocole. Ne devrait-on pas dire : ils n’ont pas eu
besoin de ‘plonger’ et de signer le protocole?
Viannet, secrétaire général de la CGT, porte ‘‘sur ce conflit un jugement contrasté. D’un
côté des avancées réelles : le salaire mensuel garanti, le dépôt d’une loi
visant au respect des engagements pris, une loi qui va durcir les contrôles de
réglementation. Ces acquis essentiels ont été obtenus par la lutte après le
déclenchement du conflit. Ceci étant, l’amertume qui persiste est légitime..’’.
La CGT a, par ailleurs, déclaré que ‘les
revendications salariales n’ont pas toutes été satisfaites ’’.
Quelle intervention ?
Les routiers ont été ficelés par les appareils
syndicaux. La minorité qui a été mobilisée a été encadrée, ballottée. A aucun
moment, ils n’ont pu imposer leur volonté.
Il était nécessaire de mettre au centre de
l’agitation, à l’adresse des dirigeants
des fédérations syndicales,
¨
Rompez
avec les patrons, avec le gouvernement ! Rompez les "négociations"
sur les revendications patronales!
¨
Défendez
les revendications des routiers et d’abord, un salaire minimum de 10 000F par
mois pour 169 heures de travail; le paiement de toutes les heures de travail, y
compris d’attente; au-delà de 39 heures par semaine, paiement en heures
supplémentaires majorées !
¨
Appelez
dans l’unité tous les travailleurs concernés à la grève générale !
Il s’agissait d’abord de dégager les travailleurs de
la responsabilité de ce mouvement en s’appuyant sur la volonté des travailleurs
de lutter contre l’exploitation, de désigner l’obstacle immédiat, à portée de
mains : le barrage que dressent les appareils syndicaux
contre-révolutionnaires. Il ne s’agissait pas d’une supplique aux dirigeants
pour qu’ils réalisent le front unique mais de contribuer à ce que les
travailleurs surmontent leur sentiment d’impuissance, leur désarroi, exacerbent
leur volonté de résister à l’offensive du capital jusqu’à submerger les dirigeants
syndicaux.
Pour les routiers, c’était bien là le premier verrou
qu'il leur fallait faire sauter
Le 01/12/97
[i] Le 29 novembre 1996, M. Blondel, dans une circulaire aux UD, avait annoncé l’obtention d’ ‘‘une prime de 3 000 F, qui, selon nos informations serait reconductible’’! Dans le Monde du 4 novembre 1997, il déclarera qu’il ‘‘avait reçu des assurances du patronat des transports ; mais les patrons ont ajouté : ‘‘ Pour les entreprises qui le voudront’’. Moyennant quoi, 5% seulement d’entre elles ont versé la prime ! ’’
[ii] Les résultats des élections au CE en 1994 ont été les suivants : CGT : 11,5% ; FO : 11% ; CFDT : 18% ; FNCR : 5% ; CFTC : 2,5% ; CGC : 1,5 %. Les ‘divers’ ont obtenu 4,5% et les ‘non syndiqués’ 46%.