Article paru dans Combattre pour le Socialisme  n°70 (décembre 1997)

 

Non à la flexibilité, non à l'annualisation du temps de travail,

non à la baisse des salaires:

A bas le projet de loi  "d'orientation et d'incitation à la réduction du temps de travail"

 


Conformément à ses propositions faites lors de la "conférence nationale sur l'emploi" du 10 octobre, le gouvernement Jospin-Gayssot-Chevènement-Voynet-Kouchner a transmis officiellement le 27 novembre 1997 aux "partenaires sociaux" son avant-projet de loi "d'orientation et d'incitation à la réduction du temps de travail", dénommé aussi projet de loi "sur les 35 heures". Cet avant-projet doit être présenté au conseil des ministres du 10 décembre puis examiné par l'Assemblée nationale les 21 et 22 janvier 1998.

 

Le projet définit les modalités du passage aux 35 heures qui doit se dérouler en deux phases. Lors de la première, qui s'achèvera fin 1999, les "partenaires sociaux" sont incités à négocier l'abaissement du temps de travail. En 1999, au plus tard le 30 septembre, "après concertation avec les partenaires sociaux, le gouvernement présentera au parlement un bilan des 35 heures qui servira de base à l'élaboration d'un nouveau projet" (Le Monde du 29/11/97) qui marquera le début d'une seconde phase à la fin de laquelle les 35 heures devraient être mises en œuvre dans toutes les entreprises selon l'échéancier suivant: dès le 1er janvier 2000 pour les entreprises de plus de 20 salariés, à partir du 1er janvier 2002 pour les entreprises de moins de 20 salariés (soit pour 1 800 000 entreprises employant 37% des salariés du secteur marchand)..


Annualisation du temps de travail...


Le Monde du 29/11/97 résume ainsi:

"Durée légale du travail. Le texte précise que "la durée légale du travail effectif des salariés est fixée à 35 heures par semaine à compter du 1er janvier 2002" et "dès le 1er janvier 2000 pour les entreprises de plus de 20 salariés." Cette baisse peut être prévue "sous forme de repos" pris dans l'année ou alimenter un compte épargne-temps, formule convenant mieux aux cadres.

Les entreprises concernées sont celles mentionnées à l'article L.200-1 du code du travail: établissements industriels et commerciaux publics ou privés, professions libérales, associations, syndicats professionnels. S'y ajoutent, précise le texte: "les établissements agricoles, artisanaux et coopératifs et leurs dépendances". Les transports urbains et les cliniques privées participant au service public hospitalier entreront aussi dans le champ de la loi. En revanche, les trois fonctions publiques (État, collectivités locales, hôpitaux), les établissements publics administratifs, la SNCF et la RATP en sont exclues.

L'avant-projet indique que syndicats, organisations patronales, employeurs et groupements d'employeurs représentatifs sont invités à négocier les modalités de cette baisse "adaptées aux situations des branches et des entreprises" dans le cadre des dispositions du code du travail prévoyant déjà différentes solutions (annualisation par exemple). Des accords de branche sont possibles."

 

En réalité, la durée légale fixée à 35 heures par semaine n'est qu'une durée légale moyenne. En effet, elle devrait être atteinte par la négociation en s'adaptant "aux situations", c'est-à-dire de préférence entreprise par entreprise, dans le cadre des dispositions légales existantes, en particulier celles prévues par la loi quinquennale (dite) pour l'emploi de 1993, qui autorisent le recours au repos compensateur et à "l'annualisation, par exemple" (!! - Ndlr). Par ailleurs, en ce qui concerne le régime des heures supplémentaires, "le ministre du travail a choisi de ne pas toucher au contingent actuel de 130 heures par an et par salarié - imposé par le code du travail, sauf accord de branche -, contingent au delà duquel l'accord de l'Inspection du travail est  nécessaire." (Les Échos du 29/11/97).

 

L'un des principaux objectifs du projet de loi est parfaitement clair: sous prétexte d'aller "vers les 35 heures", donner une formidable impulsion aux négociations au niveau des entreprises vers l'annualisation du temps de travail


... baisse des salaires...


Le projet de loi n'offre aucune garantie en ce qui concerne le maintien du niveau de salaires dans le cas d'accord sur l'abaissement de la durée du travail. Depuis le 10 octobre 1997, D.Strauss-Kahn et M.Aubry battent la campagne pour rassurer les patrons qu'au pire, pour les entreprises qui resteraient à 39 heures, "la majoration du coût du travail" serait de moins de 3% car "les majorations des heures supplémentaires effectuées entre 35 et 39 heures seront au maximum de 25% après 2000" (Le Monde du 29/11/97). De plus, "ces majorations peuvent être réduites si la situation le requiert. Il n'est même par exclu que les entreprises puissent rester aux 39 heures sans aucun surcoût au 1er janvier 2000".

En réalité, comme l'expérience de la loi de Robien l'a montré, la négociation sur l'abaissement du temps de travail au niveau des entreprises dans le "but de préserver l'emploi" s'accompagne toujours de plus de flexibilité du travail et d'une certaine baisse des salaires. Certains milieux patronaux l'ont bien compris: ils vont jusqu'à proposer que la logique de la loi est que, vu que le temps de travail hebdomadaire est réduit d'environ 10%, il faut envisager une baisse du SMIC du même ordre.

Le projet de loi du gouvernement est conçu comme un puissant levier pour faire baisser les salaires nominaux.


...contre les organisations syndicales ouvrières...


Les Échos du 29/11/97 indiquent que le projet de loi:

 "va lever un obstacle de taille, celui de l'absence de délégués syndicaux dans l'écrasante majorité des entreprises. Le texte va en effet étendre le mandatement de salariés qui seront ainsi habilités à négocier parce qu'ayant reçu mandat d'une ou plusieurs organisations syndicales représentatives, non présentes dans l'entreprise. Le ministère a retenu les principes de la loi votée dans la foulée de l'accord patronat-syndicats du 31 octobre, loi qui de toute façon venait à expiration le 31 octobre 1998. Mais il a étendu la faculté de négocier à des élus sur des listes de délégués du personnel ou du comité d'entreprise, et tout cela sans accord de branche préalable comme c'est le cas aujourd'hui"

Le résultat de ces dispositions est bien connu. Il aboutit à ce que des représentants syndicaux bidons, directement liés aux patrons, s'érigent en "partenaires sociaux", négocient des accords d'entreprises, sans aucun contrôle des syndicats de branches.


... Cadeaux royaux pour les patrons


Enfin, les patrons qui s'engagent vers la baisse du temps de travail tout en embauchant, touchent de larges aides dans les termes suivants:

"Aides aux entreprises: Le principe des aides est inscrit dans la loi, leur montant étant fixé par décret. Elles prendront la forme d'une baisse des cotisations sociales et s'appliqueront aux salariés concernés par la baisse du temps de travail et aux nouveaux embauchés. En 1998 et 1999, elle sera de 9 000 francs la première année pour une entreprise ou un établissement réduisant d'au moins 10 % la durée collective de travail et s'engageant à accroître le nombre de ses salariés à hauteur de 6% des effectifs concernés par cette réduction. Pour une baisse de 15 % du temps de travail et le maintien ou la création de 9% d'emploi, l'aide serait de 13 000 francs par salarié la première année.

Elle sera dégressive et baissera de 1000 francs par an pendant 5 ans. L'entreprise devra s'engager à maintenir ces nouveaux effectifs "pendant au moins deux ans". Le texte a prévu un volet défensif quand l'entreprise ne peut que sauver des emplois menacés. L'aide sera alors identique, mais, au bout de trois ans, l'administration aura le droit de la supprimer si l'entreprise n'a pas rempli son contrat." (Le Monde du 29/11/97)  

 

Ce dispositif d'"aides" s'inspire largement de celui de la loi de Robien  adopté en 1996. Il suffit de rappeler que les cadeaux reçus par les patrons au titre de la loi de Robien ont été de 700 millions de francs en 1997 et s'élèvent à 2,7 milliards de francs en 1998. Pour la première année de l'application de la future loi, le gouvernement a déjà budgété 3 milliards de francs.


Une nouvelle machine de guerre contre les acquis du prolétariat


Dans l'exposé des motifs de l'avant-projet, le gouvernement explique:

"Les entreprises peuvent, et ont déjà pour certaines, tirer parti de la réduction du temps de travail: des durées courtes permettent des choix d'organisation plus variés et plus diversifiés, des modulations d'horaires adaptées aux variations de production, une meilleure utilisation des équipements, une amélioration de la qualité du service." (Le Monde du 29/11/97)

Ainsi, le projet de loi du gouvernement doit permettre que les "entreprises" - c'est à dire les patrons - tirent "parti de la réduction du temps de travail". En d'autres termes, l'objectif est clair: augmenter le taux de profit, accroître la compétitivité du capitalisme français. Pour cela, le capital ne connaît qu'un seul moyen: accroître la productivité du travail et en abaissant toujours plus la valeur de la force de travail. Dans cette voie, il lui faut en particulier parvenir à démanteler les conventions collectives cristallisant les acquis fondamentaux arrachés par le prolétariat tels le calcul hebdomadaire de la durée du travail, le paiement majoré des heures supplémentaires, etc.

 

En 1993, sous le gouvernement Balladur, la majorité RPR-UDF a adopté la loi quinquennale (dite) pour l'emploi, attaque majeure contre le prolétariat. Elle ouvrait la voie pour que soient négociés au niveau des branches professionnelles des "accords" instaurant l'annualisation du temps de travail, la réduction éventuelle de la durée du travail avec réduction des salaires, le développement du temps partiel, de la polyvalence et de la mobilité, la réduction multiforme des salaires réels, sinon des salaires nominaux etc.

Malgré l'engagement des dirigeants de la CGT et FO, aux cotés de la CFDT, de la CGC et de la CFTC, pour aider le CNPF à mettre en application cette loi, en particulier par la signature du relevé de décisions du 28 février 1995 concrétisant l'initiative de jean Gandois de "relancer le dialogue social", et par la signature de l'accord interprofessionnel du 31 octobre 1995 (que la CGT n'a pas signé mais qu'elle a cautionné en participant aux négociations jusqu'au bout), la bourgeoisie est loin d'avoir atteint ses objectifs de mise en œuvre de la flexibilité du travail. L'Usine Nouvelle du 16/10/97 constatait:

"Deux ans après l'accord interprofessionnel du 31 octobre 1995, qui avait fixé le cadre de ces négociations sur l'aménagement du temps de travail et auquel est l'organisation patronale, trente et une branches seulement avaient risqué un accord, sur un total de cent vingt-huit (comprenant plus de 10 000 salariés)."

 

Pour faire sauter le verrou des accords de branches, à l'automne 1996 la majorité RPR-UDF adopté la loi du député UDF- Démocratie libérale, Gilles de Robien. Cette loi élargit et pérennise le dispositif introduit par la loi quinquennale de 1993 en ouvrant cette fois plus largement la possibilité de négocier des accords de flexibilité au niveau des entreprises. Bien que contestée par une partie du CNPF, elle a permis l'ouverture d'une nouvelle brèche vers la destruction du code du travail.

"Au total, plus de 1 100 conventions, concernant plus de 120 000 salariés, auront été signées au titre de la loi de Robien" (Le Monde du 19/11/97).

Le projet de loi "d'orientation et d'incitation à la réduction du temps de travail" du gouvernement Jospin-Gayssot-Chevènement-Voynet-Kouchner est directement inspiré de la loi de Robien. Mais en agitant le leurre des "35 heures", le gouvernement entend donner une impulsion considérable aux négociations entreprise par entreprise pour faire voler en éclats les accords nationaux de branches et le code du travail.

 

En particulier, pour la bourgeoisie française, le maintien des dispositions de l'ordonnance de 1982 qui instaurait une durée légale hebdomadaire du travail de 39 heures, même si elles n'ont été qu'incomplètement appliquées et ont été depuis largement battues en brèche par les coups portés du fait de l'application de la loi quinquennale, est insupportable. Il lui faut en finir avec toute durée hebdomadaire légale et nationale du temps de travail. Il lui faut généraliser l'annualisation et aller vers une flexibilité totale du travail.

Avec le projet de loi "sur les 35 heures", le gouvernement cherche à aider le patronat à avancer dans cette voie. Il s'agit de permettre que puisse s'appliquer l'ensemble des mesures réactionnaires prévues dans la loi quinquennale. Sans aucun doute, le projet de loi du gouvernement constitue une nouvelle machine de guerre contre les acquis du prolétariat.


Loi quinquennale, loi de Robien: lois de participation et de cogestion...


Après l'élection d'une majorité RPR-UDF à l'Assemblée nationale en 1993 puis l'élection de Chirac à la présidence de la République en 1995, casser "le coût du travail" a été l'un des objectifs prioritaires du gouvernement Balladur, puis du gouvernement Chirac-Juppé. C'est un besoin impérieux de la bourgeoisie française. Mais en l'absence de défaites décisives infligées au prolétariat, la bourgeoisie ne peut avancer que dans la mesure où les dirigeants syndicaux s'engagent toujours plus dans la participation, vers la cogestion, au nom du "dialogue social". La loi quinquennale (dite) pour l'emploi n'a pu voir le jour que parce que les dirigeants de la CGT et de la CGT-FO ont accepté le "dialogue social" proposé par Balladur. Cette loi elle-même organise la "participation". Elle programme la "négociation" entre les "partenaires sociaux" qui est indispensable. Elle institue un cadre où les organisations syndicales auront à "négocier" sa mise en application. Dans les faits les dirigeants de la CGT et de la CGT-FO se sont engagés toujours plus au fil du temps dans cette voie. C'était par exemple l'objet de l'accord interprofessionnel du 31 octobre 1995.

 

Pour la loi de Robien, il en a été de même. Cette loi est "incitative": sa mise en œuvre dépend entièrement de la capacité des dirigeants des organisations syndicales à la faire appliquer. Ici aussi les dirigeants des confédérations se sont engagés. Le Monde du 22/10/97 révèle qu'avec l'assentiment des dirigeants des confédérations, les syndicats CGT et CGT-FO ont signé de multiples conventions de Robien, même si, bien entendu, sur ce terrain la CFDT reste imbattable.


... Telle est aussi la loi "sur les 35 heures"


En juin 1997, Chirac a été battu. La majorité RPR-UDF a été chassée de l'Assemblée nationale. Le prolétariat et la jeunesse, utilisant à leur compte la crise du RPR et de l'UDF face à la progression du FN, ont élu une majorité relative de députés du PS et du PCF. Ils ont ainsi exprimé leur volonté de mettre fin à l'offensive du gouvernement Chirac-Juppé contre les acquis de la classe ouvrière, leur aspiration à chasser Chirac. Pour empêcher la classe ouvrière et la jeunesse d'utiliser à leur propre compte la défaite infligée à Chirac, L.Jospin a constitué un gouvernement d'alliance entre les partis traditionnels de la classe ouvrière, le PS et le PCF, et les organisations bourgeoises que sont le MDC, les Verts et le PRS.

 

De par sa nature même, aussi de par les conditions politiques dans lesquelles il s'est constitué - la défaite de Chirac - le gouvernement de type front populaire Jospin-Gayssot-Chevènement-Voynet-Kouchner a besoin que le PS et le PCF, mais surtout les dirigeants de la CGT, de la CGT-FO, de la FSU, de la FEN, lui apportent un soutien sans faille. Il a besoin que les dirigeants syndicaux s'engagent plus loin dans la participation et la cogestion, dans l'acceptation du "dialogue et du partenariat social avec le patronat".

 

C'est pourquoi, lors de son discours programme devant l'Assemblée nationale, en juin 1997, L.Jospin a appelé "les forces vives du pays" à "un pacte national". Il précisait que l'organisation d'une "conférence de l'emploi, des salaires et de la réduction du temps de travail" pourrait sceller ce pacte autour, principalement, d'une loi "organisant le passage progressif aux 35 heures à la fin du siècle". Le projet de loi "sur les 35 heures" était au centre du pacte que devaient conclure le patronat et les confédérations syndicales ouvrières.

 

L.Jospin entendait transposer en France le Pacte pour l'emploi signé par les dirigeants de la DGB et le patronat allemand sous le patronage du gouvernement Kohl le 29 janvier 1996. Ce pacte prévoyait, entre autres, une baisse de l'aide aux chômeurs, la déréglementation, la flexibilité des salaires et des horaires, etc. Il avait ouvert la voie à la présentation par Kohl d'un plan d'austérité en avril 1996 (voir CPS n°64).

Le projet de loi "sur les 35 heures" devait naître de la concertation entre le patronat et les dirigeants syndicaux sous l'égide du gouvernement. Son application est entièrement basée sur la participation des dirigeants syndicaux à "l'effort commun" pour améliorer la compétitivité.


"Conférence nationale pour l'emploi, les salaires et la réduction du temps de travail"


Initialement, le gouvernement voulait convoquer cette conférence dès le mois de juillet. Puis elle a été annoncée pour le mois de septembre pour n'être finalement réunie que le 10 octobre 1997. Pour quelles raisons?

 

Les difficultés ne provenaient clairement pas du côté des dirigeants CGT et CGT-FO. A plusieurs reprises, Viannet et Blondel ont appelé Jospin à tenir ses engagements en réclamant une loi-cadre sur les 35 heures. Face aux tergiversations du CNPF, Viannet s'est engagé pour soutenir l'initiative du gouvernement en multipliant les appels au CNPF et en se rendant à Matignon le 29 septembre 1997. De son côté, Blondel, tout en rejetant au nom de la CGT-FO "une démarche de pacte social", a lui aussi pressé le gouvernement d'organiser la conférence en appelant le CNPF à y participer. Il s'est même ouvertement prononcé pour "la mise en œuvre de la réduction hebdomadaire à 35 heures, sans perte de salaire, avec adoption d'une loi-cadre précise sur l'objectif, la date d'effet et le maintien des salaires" (Le Monde du 01/10/97).

 

Précisément, les retards pris dans la convocation puis la tenue de cette conférence sont dus aux désaccords du CNPF. Dans un entretien paru dans Le Monde du 22/10/97, Denis Kessler, vice-président du CNPF, affirme:

  "Le mandat donné par le CNPF, à l'issue d'une assemblée générale extraordinaire et d'un conseil exécutif, était très clair: nous ne pouvions rien négocier dès lors que le gouvernement annonçait une loi-cadre avec une date-butoir pour le passage aux 35 heures. N'ayant pas été associés aux discussions préparatoires entre Jean Gandois et Martine Aubry, Didier Pineau-Valencienne et moi-même ne connaissions pas, en arrivant, la teneur des propositions qui ont été annoncées au sommet du 10 octobre.

 

  "La question se pose aujourd'hui: Martine Aubry a-t-elle dit la vérité à M. Gandois lors de la préparation du sommet? A-t-elle péché par intention ou par omission? Je suis convaincu que Mme Aubry n'a pas tout dit à M. Gandois, qui a eu le sentiment d'avoir été berné, trompé, trahi. Homme d'honneur et de conviction, sa réaction a été à la hauteur de sa déception.

  "A l'ouverture de la conférence, M. Jospin a seulement évoqué une loi qui devait, je cite, "lancer le mouvement". Au cours de la journée, il n'a jamais été question d'une autre loi ni d'une date-butoir. Ce n'est que dans les deux dernières minutes du discours conclusif du premier ministre que l'on a découvert qu'il y aurait, quel que soit le résultat de la première loi d'incitation, une seconde loi, et que le passage aux 35 heures comportait une date-butoir. Ni l'opportunité, ni les modalités de ce passage n'ont été abordées au cours de la conférence."

 

Denis Kessler a le mérite de la clarté. Jusqu'au dernier moment, le CNPF a menacé de boycotter la conférence parce qu'il est irréductiblement opposé à une "loi-cadre avec une date-butoir pour le passage aux 35 heures", aussi pourrie soit elle. Il était prêt à accepter une loi d'incitation dans le style de la loi de Robien. Martine Aubry et Dominique Strauss-Kahn, les deux négociateurs du gouvernement auprès du CNPF, ont maintenu un flou artistique pour obtenir sa participation. Il est probable que Gandois ait réellement été berné. Le patronat estime qu'une loi-cadre "sur les 35 heures", aussi favorable lui soit elle, comme c'est le cas de l'actuel projet de loi du gouvernement, resterait un frein par rapport aux objectifs qu'il doit poursuivre dans la mise en œuvre de la flexibilité du travail.

 

Pour cette raison, le pacte national proposé par L.Jospin devant l'Assemblée nationale en juin 1997 est mort-né et ne pouvait pas voir le jour. Jospin lui-même l'avait compris très tôt. Après son discours - programme de juin, il avait cessé d'employer le terme de "pacte national". La conférence du 10 octobre s'est tenue comme une réunion classique d'organisation, sous l'égide du gouvernement, du "dialogue social". Les dirigeants des confédérations ouvrières étaient prêts à s'engager mais pour cela l'alibi d'une loi "sur les 35 heures" leur était nécessaire. Le CNPF ne pouvait l'accepter, tandis que Jospin ne pouvait pas reculer sur sa proposition.

 

A la sortie de la conférence, Gandois a déterré la hache de guerre contre le gouvernement. Il a annoncé pour cela qu'il fallait qu'il soit remplacé par un "tueur" à la direction du CNPF. Les dirigeants de la CGT et de la CGT-FO, et bien entendu la CFDT, ont tout fait pour sauver la mise au gouvernement. Viannet et Blondel ont à nouveau appelé le patronat à s'engager à reprendre le "dialogue social". Dans une interview au journal Les Échos, Viannet a précisé que la CGT était ouverte "à des négociations y compris dans les entreprises".

De son côté, le CNPF a réellement engagé le combat pour obtenir le retrait du projet de toute date-butoir pour l'instauration des 35 heures. Il a engagé la préparation d'assises contre le projet de loi et se prépare à désigner à sa tête "un tueur", E-A. Seillière. Déjà, ce dernier a indiqué sa ligne: refus le plus possible de négociations au niveau national; intensification des négociations au niveau des entreprises. S'il n'obtient pas satisfaction, le patronat espère au moins ainsi aggraver pour le prolétariat les dispositions de la future loi.


Les intérêts du prolétariat


Les intérêts du prolétariat exigent que soit engagé le combat pour imposer au gouvernement Jospin-Gayssot-Chevènement-Voynet-Kouchner le retrait du projet de loi "sur les 35 heures". Pour ouvrir la voie à un tel combat, il est nécessaire de revendiquer des dirigeants des confédérations ouvrières CGT et CGT-FO qu'elles rompent avec le gouvernement, qu'elles rejettent le "dialogue social" et la participation, qu'elles réalisent le front unique des organisations ouvrières sur le mot d'ordre "A bas le projet de loi d'orientation et d'incitation à la réduction du temps de travail".

 

Sur cette orientation, elles doivent appeler le prolétariat à s'engager dans la préparation d'une manifestation centrale et nationale à l'Assemblée le jour du vote, afin d'imposer au PS et au PCF qu'ils rejettent ce projet de loi.

 

A l'évidence, pour arracher une telle revendication, il faut affronter et vaincre le gouvernement Jospin-Gayssot-Chevènement-Voynet-Kouchner, gouvernement au service du capital, imposer au PS et au PCF qu'ils rompent avec le gouvernement. Ce serait ouvrir la voie pour qu'ils mettent à bas Chirac et forment un gouvernement du PS et du PCF sans représentants d'organisations bourgeoises. Cela ne peut être acquis que par la mobilisation, le combat général du prolétariat sur cet axe.

 

Au projet de loi scélérat du gouvernement, il est nécessaire d'opposer la revendication des 35 heures, 32 heures, moins encore, comme durée légale nationale, dans toutes les corporations et entreprises, du temps de travail, sans diminution de salaire ni flexibilité, avec embauche compensatoire réalisée sous contrôle ouvrier. Ainsi, il est possible d'en finir avec le chômage, avec le travail précaire.

 

Mais une telle politique exige d'en finir avec la propriété privée des moyens de production, d'exproprier le capital. La satisfaction du droit au travail est incompatible avec le maintien du régime capitaliste.

 

01/12/97

 

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