Article
paru dans Combattre pour le Socialisme
n°6 (88) de janvier 2002
31ème congrès: "le PCF ne recule devant aucune remise en cause"
"Le PC
achève avec ce congrès la mutation engagée par Robert Hue" (Les
Echos)
La descente aux enfers s'accélère
Le PCF reste un parti ouvrier-bourgeois - "ça
nous colle à la peau" (M.Duffour)
Le citoyen "président-candidat": Robert
Hue
Préambule des statuts, nouveau projet: ouvertement
contre le socialisme
Multiples références frauduleuses aux traditions
politiques ouvrières révolutionnaires
Le "dépérissement de l'Etat" selon Marx et
Lénine: d'abord l'expropriation du capital
Pour un réel dépérissement de l'Etat: établir la
dictature du prolétariat, l'Etat ouvrier
Le "dépérissement de l'Etat" selon
la direction du PCF: défense du mode de production capitaliste
Le "nouveau communisme", c'est le
capitalisme plus la cogestion
La "démocratie", remède au "divorce
entre citoyens et République"?
Le "mouvement réel" pour le PCF, c'est la
politique du gouvernement
Des "oppositionnels" sans avenir
Les révolutionnaires et le PCF
Le
numéro 81 (ancienne série) d'avril 2000 de CPS portait l'appréciation
suivante du 30ème congrès du PCF:
"
appuyée sur une liquidation presque totale de ses références traditionnelles,
la direction du PCF a engagé une nouvelle étape dans la dégénérescence de ce
parti, vers sa liquidation."
Cette
dégénérescence, précisait cet article:
"contribue
largement à priver la classe ouvrière d'expression politique. Les axes
politiques que le PCF entend désormais répandre dans le prolétariat au nom de
la "citoyenneté" constituent une attaque en règle contre le marxisme,
et contre tout élément de conscience politique dans le prolétariat"
Ce
30°congrès annonçait, sur les bases des textes adoptés dans des procédures
méprisant le "b-a ba" des exigences démocratiques, un congrès
rapproché de proclamation d'un "Nouveau parti Communiste".
Après
le congrès de la Défense, d'octobre 2001, formellement, de "nouveau" parti,
point. Pas de doute que le changement d'étiquette aurait cristallisé trop de
résistances internes, y compris au sommet du PCF. A ce sujet, M.Deschamps,
bureaucrate qui fut dirigeant de la FSU et fait partie de l'aréopage
hétéroclite rassemblé depuis le 30ème congrès comme
"direction" du PCF, précisait lors du congrès que:
"depuis
18 mois, il a constaté au sein même de la direction des freins énormes contre
la mutation" (Communistes de compte-rendu du congrès, édité en supplément à L'Humanité du 31 octobre 2001).
Néanmoins,
quand bien même l'étiquette n'a pas changé, le journal Les Echos est en
droit d'écrire, dans son édition des 26 et 27 octobre: "Le PC achève
avec ce congrès la mutation engagée par Robert Hue"
En effet,
le congrès de la Défense a d'une part modifié les statuts du PCF, totalement
refondus, et d'autre part discuté un projet d'ensemble ("Le PCF tente
pour la première fois de rebâtir un projet et ne recule devant aucune remise en
cause" - Les Echos déjà cités) , pas encore adopté à ce stade
mais dont la mise en pratique (notamment dans le préambule des statuts) a déjà
commencé, d'autant qu'il s'appuie sur les textes des congrès précédents.
D'une
certaine manière, la direction du PCF dispose ce parti pour la dernière phase
de son agonie, dont la durée reste incertaine, mais dont l'issue est
inéluctable: la disparition du PCF.
L'article
déjà mentionné de CPS rappelait:
"On
ne peut comprendre l'évolution du PCF sans rappeler une donnée fondamentale: la
disparition de l'URSS et l'éclatement de la bureaucratie du Kremlin. La SFIC,
ancêtre du PCF, s'est constituée en France sous l'impulsion de la révolution
d'Octobre 1917: mais, comme toutes les sections de la IIIème
Internationale, elle a subi les effets de sa dégénérescence stalinienne. Le PCF
est devenu pour des décennies l'agence française de la bureaucratie du Kremlin
qui usurpait le pouvoir en URSS. Il ne pouvait exister comme parti ouvrier
traître distinct du PS que du fait de l'existence de l'URSS - parce qu'il
usurpait en France la référence au parti bolchévique et à la révolution
d'Octobre. Sa politique, ses multiples retournements "tactiques"
étaient étroitement subordonnés aux intérêts de la bureaucratie russe.
Mais
aujourd'hui le PCF a perdu sa raison d'être: c'est un parti politiquement
"orphelin", à la dérive, qui est entré dans la phase finale de sa
crise et est voué à disparaître en tant que parti ouvrier. Du fait de
l'existence en France d'un PS, ce parti ne peut nourrir aucun espoir de voir se
produire en France un processus à l'italienne, pays dans lequel le plus grand
fragment de l'ancien PCI (devenu PDS, puis DS) a très vite occupé la place
vacante du parti social-démocrate."
L'article
poursuivait :
"ce
parti peut s'appuyer sur les positions considérables dont il dispose au sein du
mouvement ouvrier. L'appareil du PCF pèse encore d'un poids décisif dans la
CGT; il dispose d'une influence considérable au sein de la première confédération
syndicale enseignante du pays, la FSU; il est représenté à l'université par les
dirigeants de l'UNEF-SE. Le PCF est également présent à tous les échelons de
l'appareil d'Etat, des conseils municipaux jusqu'au gouvernement"
Or,
à cet égard, des développements significatifs sont intervenus, qui confirment
tout à fait la tendance à la disparition du PCF.
Les
élections municipales de mars dernier ont constitué pour le PCF un profond
revers. Dans tous ses secteurs d'implantation, des défaites significatives ont
été enregistrées. Ainsi en région parisienne, le PCF a-t-il perdu Drancy,
Argenteuil, Pantin, et ailleurs: Montluçon, Evreux, Tarbes, Nîmes, La Ciotat,
etc. ainsi qu'une série de villes dirigées par le PCF en relation avec son
implantation chez les cheminots.
Ces
résultats renforcent par ailleurs la nécessité vitale pour le PCF de
s'accrocher au PS pour espérer ne pas être balayé lors des prochaines législatives.
Le
nombre d'adhérents revendiqués baisse lui aussi. Au moment du congrès
extraordinaire, et même à des ajustements près, il y avait 180 000
adhérents au PCF, soit 30 000 de moins que lors du congrès de Martigues.
A l'Université,
le syndicat contrôlé par le PCF, l'UNEF(se), a disparu, étant intégré dans les
rangs de l'ancienne UNEF-ID, rebaptisée UNEF pour l'occasion. Subsistent
quelques groupes locaux épars et sans avenir.
Les
rapports du PCF et de la CGT ont connu une évolution significative. Le 17
juillet dernier, deux délégations de ces organisations se rencontraient. Selon l'Humanité
du 25 juillet, peu avare de qualificatifs, cette rencontre:
"constitue
incontestablement un moment quasi historique. D'abord parce qu'elle a acté que
chez l'une comme chez l'autre des formations, on se situe résolument dans des
rapports constructifs complètement nouveaux. (…)
Bernard
Thibaut précisait à cette occasion que, pour la direction confédérale CGT, est
"exclue"
"
toute attitude de soutien ou de co-élaboration d'un projet politique quel qu'il
soit"
Mais
la direction CGT s'est pourtant associée à la préparation du projet électoral …
du Parti Socialiste sur la "démocratie sociale".
Depuis
des années la direction de la CGT a cessé de se comporter comme l'agent
électoral du PCF. Mais "l'apolitisme" dont se réclame
traditionnellement l'appareil FO n'en est pas moins réactionnaire. Blondel est
spécialiste en déclarations explicites. Celui qui expliquait en février 2001
qu'il fallait geler la mobilisation des fonctionnaires jusqu'aux municipales
pour "ne pas politiser" le mouvement syndical a déclaré "à
partir de janvier, tout ce que nous dirons sera pollué par le débat politique"
(interview aux Echos du 15/10/2001). Les appareils veulent convaincre
que la défense et le combat pour les revendications ne doivent pas remettre en
cause le gouvernement en place (Chirac-Juppé en 1995, "gauche
plurielle" aujourd'hui). La question centrale du pouvoir ne concernerait
pas les prolétaires comme classe mais comme travailleurs-citoyens…
En
réalité, bien que les liens soient toujours étroits entre la direction du PCF
et celle de la CGT (ou de la FSU), la direction confédérale CGT mesure très
bien que son itinéraire est et va être de plus en plus distinct. Aussi ces
liens se distendent-ils, comme l'indique le départ de Bernard Thibault de la
direction nationale du PCF, celui-ci indiquant en octobre dans une lettre à
Robert Hue:
"
cette situation, qui engage de fait le premier responsable d'une confédération
syndicale, continue d'entretenir des ambiguïtés sur ce que serait la nature des
relations existant entre le Parti et la CGT malgré les transformations réelles
opérées depuis de nombreuses années ".
Tous
ces signes attestent de la profonde décomposition qui frappe le PCF. Mais il
n'a pas disparu pour autant, et continue d'occuper une place unique.
Présentant
son rapport sur le "projet communiste", M.Duffour se plaignait:
"
Chacun sait que le Parti communiste français fut longtemps perçu comme celui de
la défense exclusive de la classe ouvrière. (…) Mais ce qui est plus troublant, c'est de voir cette
image nous coller à la peau."
Le
fait est: le PCF reste un parti ouvrier-bourgeois, ex-agence de feu la
bureaucratie du Kremlin. Le congrès même, bien que trié sur le volet, en a
apporté des éléments de confirmation. Ainsi plusieurs interventions
d'infirmières réclamant "avec force" (Communistes)
"que les parlementaires communistes votent contre le budget de la
sécurité sociale", ou encore pour l'abrogation des ordonnances
Chirac-Juppé sur la Sécurité Sociale. Notons aussi l'intervention d'une
responsable FSU des Hautes-Pyrénées contre la position du PCF à propos de
l'Afghanistan:
"ceux
qui se prennent des bombes sur la gueule aujourd’hui, ce sont les Afghans. La
FSU du département a exigé la fin des bombardements et le retrait de la France
du dispositif actuel"
Parce
qu'il reste un parti ouvrier-bourgeois, le PCF peut rendre des services
inappréciables à la bourgeoisie. Il suffit de mentionner le rôle que Gayssot a
joué au ministère des transports: ses liens privilégiés avec la direction de la
fédération CGT des cheminots l'ont considérablement aidé pour faire passer les
contre-réformes à la SNCF, comme le RFF ou l'accord d'ARTT. La bourgeoisie a
bien conscience de l'utilité du PCF. Citons ainsi la conclusion d'un éditorial
du Monde sur le PCF (31/10/2001):
"
(…) il est de l'intérêt de tous les
démocrates que le monde du travail trouve son expression politique, soit
représenté et ne se sente pas exclu du jeu."
"L'intérêt"
bien compris des "démocrates", pseudonyme employé ici pour parler de la
bourgeoisie française, c'est donc que le PCF continue à jouer un rôle de
représentation politique traître de la classe ouvrière (le "monde du
travail"). Mais pas simplement dans le cassage des combats engagés par les
diverses fractions du prolétariat: aussi pour poursuivre l'offensive de
déboussolement de la classe ouvrière, que le PCF peut mieux que tout autre
mener, en particulier à cause de la référence qui fut la sienne à la révolution
d'octobre, à l'URSS, référence en réalité à la bureaucratie du Kremlin. Or,
précisément, le 31° congrès a consacré l'essentiel de ses efforts à ce but.
L'essence
des nouveaux statuts adoptés par le PCF est donnée par l'intervention de
M.Deschamps au congrès reproduite ci-dessus. Il faut bien comprendre que
l'adoption de nouveaux statuts, même si elle touche d'abord et en profondeur à
la structuration du PCF, a une portée bien plus générale.
Lénine
écrivait dans "un pas en avant, deux pas en arrière" (1904):
"Le
prolétariat n'a pas d'autre arme dans sa lutte pour le pouvoir que
l'organisation. Divisé par la concurrence anarchique qui règne dans le monde
bourgeois, rejeté constamment "dans les bas-fonds" de la misère
noire, d'une sauvage inculture et de la dégénérescence, le prolétariat peut
devenir – et deviendra inévitablement – une force invincible pour cette seule
raison que son union idéologique basée sur les principes du marxisme est
cimentée par l'unité matérielle de l'organisation qui groupe les millions de
travailleurs en une armée de la classe ouvrière".
C'est
cette "arme" qu'est l'organisation que le PCF veut faire enterrer,
non seulement à ses propres militants, mais au delà à l'ensemble de la classe
ouvrière, pour y substituer une sorte de mouvement qui ne cherche "pas à
être autonome de la société", c'est-à-dire, si les mots ont un sens, qui
ne cherche pas d'existence distincte du tout.
C'est la mise en pratique des offensives théoriques concoctées dans les
laboratoires théoriques du PCF depuis des années contre la
"forme-parti".
Et
en effet, la transformation opérée par les nouveaux statuts est considérable.
La
liquidation des cellules du PCF est engagée. Celles-ci, unités militantes, du
moins en théorie, étaient jusqu'ici (selon les anciens statuts) :"le
fondement de toute son organisation", jouaient "un rôle vital".
Désormais, l'adhésion au PCF n'implique aucune forme d'engagement militant. La
cellule, les "réseaux", "collectifs" qui peuvent exister se
constituent ou pas au "libre choix" de l'adhérent. Financièrement, la
nouvelle répartition des cotisations fait disparaître la cellule telle quelle:
"
Précédemment, la répartition des cotisations était faite par quartiers :1/4
pour la cellule,1/4 pour la section, 1/4 pour la fédération et 1/4 pour le
national. Dans le nouveau projet de statuts, la cellule est exclue. Cela veut
dire que les cellules sont appelées à disparaître. Privées de finances, les
cellules ne pourront plus convoquer leurs adhérents et sympathisants. La prise en charge du
matériel du Parti implique d'avoir un secrétaire et un trésorier. Si on met en
danger la vie des cellules, c'est la liquidation et l'on deviendra un Parti
comme tous les autres avec quatre ou cinq cents adhérents." (un délégué)
Mais
les choses ne s'arrêtent pas là. Chaque adhérent peut faire absolument ce qu'il
veut, "prendre toute initiative utile", y compris la création
d'une structure, et simplement "en informer (sic!) les
organisations du parti concernées" (nouveaux statuts). Toutes les
réunions du PCF sont ouvertes à tous ceux qui le veulent.
On
peut adhérer au PCF et s'exprimer et agir "y compris publiquement"
contre lui (chapitre 2 des nouveaux statuts), sans craindre d'être exclu,
puisque, comme le rapporteur au congrès le précisait: "Il est proposé
au congrès de ne retenir aucune cause d'exclusion d'ordre politique".
Pour un parti politique, il y aurait de quoi rire. A ce sujet, une déléguée du
Pas-de-Calais (oppositionnelle) soulignera que l'ancien patron de la
fédération, Remy Auchedé, qui soutien J-P. Chevènement (ce qui en dit long sur
les "oppositionnels"), ne peut être exclu, et invitera
"la
direction nationale à assumer pleinement ses statuts qui, d'évolution en
évolution, sont devenus "l'auberge espagnole "des opinions."
Quoiqu'une
auberge possède encore des murs, ce dont les nouveaux statuts privent le PCF.
A
noter: la possibilité ouverte, sinon de tendances, du moins de l'existence de
textes alternatifs à celui de la direction soumis au vote. Cette mesure
préfigure d'importants craquements au sein même de l'appareil.
Autres
éléments significatifs de la marche active à la liquidation du PCF que
représentent ces statuts: la suppression des statuts du considérant que "l'entreprise
est un enjeu de classe essentiel", et aussi définition de nouveaux rapports avec l'Humanité, dans le
capital duquel rappelons-le sont entrés Bouygues et Lagardère, concomitamment
avec le licenciement du tiers des effectifs, et qui n'est plus le journal du
PCF. D'autres points pourraient être relevés. Mais il en est un qui a
cristallisé le congrès: la création d'une présidence pour le PCF.
L'introduction
d'un président dans le PCF a connu un précédent: Maurice Thorez avait été élu à
ce poste … peu de temps avant sa mort. On ne peut exclure que, pour Robert Hue,
ce soit une mort politique causée par un échec à la présidentielle qui mette
fin à l'expérience, puisque les statuts prévoient la possibilité, mais rien que
la possibilité, d'élire un président.
Mais
l'essentiel est que l'introduction d'une présidence pour le PCF revient à
introduire dans le PCF les mœurs et méthodes de la 5ème République,
la négation d'une direction collective qui est une tradition du mouvement
ouvrier. On peut à ce sujet donner un premier aperçu du "projet"
soumis à discussion dans le PCF. Celui-ci prône à propos de la 5ème
République le maintien de la fonction présidentielle, avec un président de la République qui aurait notamment comme
prérogatives: la proposition du premier ministre, le droit de dissolution
(encadré plus étroitement), la garantie du fonctionnement des institutions, le
droit de référendum, etc. Bref, avec des pincettes, c'est un ralliement
théorique presque inconditionnel à la 5ème République, ralliement
opéré dans les faits depuis des années.
De
plus, l'élection d'un président est à l'évidence un moyen de forcer encore la
marche forcée à la "mutation" du PCF, pour vaincre les résistances de
l'appareil.
Sur
ce point, on doit apprécier ce qu'il en est de la "démocratie"
interne au PCF. Selon Maxime Gremetz, la majorité des conférences se sont
prononcées contre l'introduction d'une présidence. Au congrès , alors que les
nouveaux statuts ont été adoptés par une grande majorité des 800 et quelques
délégués (63 contre et 94 abstentions), la création d'une présidence a été adoptée
avec 183 contre et 108 abstentions.
Hue
a par ailleurs été désigné candidat suite à un vote interne dont on peut
raisonnablement supposer qu'il a été "arrangé" , non pas pour
garantir sa désignation, mais pour que celle-ci apparaisse comme un plébiscite.
Le Monde du 8 octobre rapporte que:
Les
contestataires ont mis en doute le déroulement du scrutin, en particulier "l'absence
de listes d'émargement dans de très nombreuses sections et fédérations
départementales (…) et le vote par Internet sur le site du parti sans que
celui-ci ne soit validé par une signature électronique". Selon M. Gremetz, "le
plébiscite à la soviétique du secrétaire national était acquis d'avance. Jamais
le Parti communiste n'a été verrouillé à ce point".
Ces
arrangements sont d'autant plus nécessaire que nombre d'adhérents du PCF sont
catastrophés par les apparitions publiques de leur leader, qui bredouille et
cafouille plus qu'il ne parle. Mais c'est là une tradition d'appareil, depuis
Staline, c'est toujours "la plus éminente médiocrité du parti"
(Trotsky) qui est mise en avant par l'appareil.
Même
ainsi, avec 78% des 63 000 suffrages comptabilisés, Robert Hue n'aura eu
que le soutien d'un quart environ des militants revendiqués par le PCF. Mais sa
désignation comme candidat n'était pas, loin s'en faut, l'essentiel de ce
congrès. Avec les nouveaux statuts, avec la résolution adoptée ainsi que le
projet de "nouveau communisme" entériné sinon adopté, ce congrès
extraordinaire a donné une "base théorique" si l'on ose dire au
combat du PCF contre les acquis les plus fondamentaux du mouvement ouvrier. A
commencer par le socialisme.
C'est
un fait remarquable que, dans le préambule des statuts, sur lequel nous ne nous
étendrons pas, la phrase qui figurait dans les statuts jusque lors ait été
supprimée:
"Le
PCF agit pour transformer la société en construisant un socialisme démocratique
et autogestionnaire (…)"
Le
mot d'ordre de "socialisme" "démocratique" et
"autogestionnaire" est une formulation dénaturant la
revendication du socialisme.
Aujourd'hui, pour paraphraser le célèbre proverbe russe, le miel (le
socialisme) a totalement disparu du tonneau de goudron.
Le
"nouveau projet communiste" intitulé "Pour une
démocratisation permanente de la République" en donne la raison, avec
une cohérence sans précédent dans l'histoire du PCF. Lisons:
"Les
communistes, mais avec eux le mouvement ouvrier et populaire tout entier, ont
dans le passé prétendu s’affranchir du marché par le pouvoir d’Etat. Le
“ socialisme ” a ainsi représenté cette “ étape ” - le
communisme étant renvoyé à plus tard - dans laquelle tous les moyens de
production et d’échange devaient être “ remis à l’Etat ” pour qu’il
les gère dans l’intérêt commun. Ce projet politique, poussant l’étatisme à son
comble, a échoué."
Le
PCF proposerait donc de rejeter "l'étape socialiste" pour
engager directement la phase communiste du "dépérissement de l'Etat"
(guillemets dans l'original), réaliser le dépérissement de l'Etat (communisme)
sans passer par l'appropriation étatique des moyens de production et d'échange,
ce qui d'ailleurs n'équivaut pas au socialisme, nous y reviendrons, mais à la
dictature du prolétariat.
Avant
de poursuivre, il faut y insister: le nouveau "projet communiste"
entériné de facto par le congrès extraordinaire du PCF, et le congrès lui-même,
n'ont pas été avares de références à des phrases issues de l'histoire du
mouvement ouvrier. Ce n'est pas le hasard: il s'agit malgré toutes les
évidences de présenter la "mutation" comme s'inscrivant, ainsi que le
formulent les nouveaux statuts dans la continuité " des découvertes
théoriques et des anticipations de Marx".
Michel
Duffour introduisant son rapport sur le projet n'hésitera pas à se référer au
Manifeste de Marx et Engels:
"
Ayons la sagesse de nous montrer "déraisonnables ".Le désir, le rêve
d'écrire un Manifeste du "nouveau communisme ", aussi fort que le fut
sa première édition, est la seule attitude pragmatique.
Ainsi,
au gré des textes pourra-t-on relever:
"
“L ’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes
”:par-delà toutes les blessures de l’histoire et sous des formes à inventer,
cette ambition communiste reste toujours d ’actualité." (résolution adoptée par le congrès – les guillemets sont dans
l'original)
Cette
phrase est le premier considérant des statuts de la 1ère
Internationale, dont le manifeste inaugural, lui aussi œuvre de Marx,
affirme:
"la
conquête du pouvoir politique est devenue le premier devoir de la classe
ouvrière".
Le
PCF pour sa part, mais cela ne date pas de ce congrès (cf. l'article de CPS
déjà cité) affirme haut et fort : "nous ne voulons pas prendre le
pouvoir". On peut encore relever:" Nous appelons communisme le mouvement réel qui tend à abolir, dès
aujourd’hui, l’ordre existant." (résolution adoptée par le congrès), phrase à
peu près extraite de l'idéologie allemande, de Marx et Engels .
Mais
commençons par l'essentiel: selon le PCF, donc, il faut renoncer à "l'étape
socialiste" et à "l'étatisme" pour engager directement le
"dépérissement de l'Etat", le communisme. Une telle
"novation" mérite que l'on retourne aux sources.
Dans
L'Etat et la révolution (1917), Lénine rappelle ce que sont les bases
objectives de l'extinction de l'Etat pour les marxistes. Tout d'abord, le texte
du congrès du PCF qui s'en prend à "l'étape socialiste" opère une
confusion volontaire. Lénine, dont il faut noter qu'il est devenu en quelques
années un véritable proscrit sur la scène politique cite dans son livre une
lettre de Marx:
"Entre
la société capitaliste et la société communiste, poursuit Marx, se place la
période de transformation révolutionnaire de celle-là en celle-ci. A quoi
correspond une période de transition politique où l'Etat ne saurait être autre
chose que la dictature révolutionnaire du
prolétariat."
L'appropriation
collective des moyens de production et d'échange au moyen de leur concentration
entre les mains de l'Etat n'est pas le socialisme. C'est une condition sine
qua non de l'instauration de la dictature du prolétariat, que le PCF a
officiellement reniée en 1976…
Seule
l'expropriation du capital à l'échelle internationale peut permettre de parler
de socialisme, à l'échelle internationale, permettant de ne plus soumettre les
travailleurs à la loi de la valeur, la concurrence, comme l'écrivait Marx dans
une Adresse au comité central de la Ligue des communistes (mars 1850):
"
il est de notre intérêt et de notre devoir de rendre la révolution permanente,
jusqu'à ce que toutes les classes plus ou moins possédantes aient été écartées
du pouvoir, que le prolétariat ait conquis le pouvoir, et que non seulement
dans un pays, mais dans tous les pays régnants monde l'association des prolétaires
ait fait assez de progrès pour faire cesser dans ces pays la concurrence entre
prolétaires et concentrer dans leurs mains au moins les forces productives
décisives."
Alors
le socialisme permettra un développement fantastique des forces productives de
l'humanité, assurant à chacun une existence digne de ce nom.
Mais
pourquoi un Etat ouvrier instrument de la dictature du prolétariat est-il
indispensable? A cela, Lénine répond :
"
La marche en avant, c'est-à-dire vers le communisme, se fait en passant par la
dictature du prolétariat; et elle ne peut se faire autrement, car il n'est point
d'autres classes ni d'autres moyens qui puissent briser
la résistance des
capitalistes exploiteurs.
(…)
Cela, Engels l'a admirablement exprimé dans sa lettre à Bebel, où il disait,
comme le lecteur s'en souvient : "... tant que le prolétariat a encore
besoin de l'Etat, ce n'est point pour la liberté, mais pour réprimer ses
adversaires. Et le jour où il devient possible de parler de liberté, l'Etat
cesse d'exister comme tel."
Lénine
nuance:
"Les
exploiteurs ne sont naturellement pas en mesure de mater le peuple sans une
machine très compliquée, destinée à remplir cette tâche; tandis que le peuple peut
mater les exploiteurs même avec une "machine" très simple, presque
sans "machine", sans appareil spécial, par la simple organisation des masses armées (comme, dirons-nous par anticipation, les Soviets
des députés ouvriers et soldats). "
Mais
encore. Marx soulignait que dans sa première phase, la société communiste est:
"(…) une société communiste non pas telle qu'elle
s'est développée sur les bases qui lui sont
propres, mais au contraire telle qu'elle vient de sortir
de la société capitaliste; une société par conséquent, qui, sous tous les
rapport, économique, moral, intellectuel, porte encore les stigmates de
l'ancienne société des flancs de laquelle elle est issue."
"Mais
ces défauts sont inévitables dans la première phase de la société communiste,
telle qu'elle vient de sortir de la société capitaliste, après un long et
douloureux enfantement. Le droit ne peut jamais être plus élevé que l'état économique
de la société et que le degré de civilisation qui y correspond."
Lénine
commente:
"
La justice et l'égalité, la première phase du communisme ne peut donc pas
encore les réaliser; des différences subsisteront quant à la richesse, et des
différences injustes, mais l'exploitation de l'homme par l'homme sera
impossible, car on ne pourra s'emparer, à titre de propriété privée, des moyens de production, fabriques, machines, terre, etc. (…)
"
Ainsi, dans la première phase de la société communiste (que l'on appelle
ordinairement socialisme), le "droit bourgeois" est aboli non pas complètement,
mais seulement en partie, seulement dans la mesure où la révolution économique
a été faite, c'est-à-dire seulement en ce qui concerne les moyens de
production. Le "droit bourgeois" en reconnaît la propriété privée aux
individus. Le socialisme en fait une propriété commune.
C'est dans cette mesure, mais dans cette mesure seulement, que le "droit bourgeois" se
trouve aboli.
Il
subsiste cependant dans son autre partie, en qualité de régulateur de la
répartition des produits et de la répartition du travail entre les membres de
la société. "Qui ne travaille pas ne doit pas manger" : ce
principe socialiste est déjà réalisé; "à quantité
égale de travail, quantité égale de produits" : cet autre principe
socialiste est déjà réalisé, lui aussi.
Pourtant. ce n'est pas encore le communisme et cela n'élimine pas encore le
"droit bourgeois" qui, à des hommes inégaux et pour une quantité
inégale (inégale en fait) de travail, attribue une quantité égale de produits.
C'est
là un "inconvénient", dit Marx; mais il est inévitable dans la
première phase du communisme, car on ne peut, sans verser dans l'utopie, penser
qu'après avoir renversé le capitalisme les hommes apprennent d'emblée à travailler
pour la société sans normes juridiques d'aucune
sorte ; au
reste, l'abolition du capitalisme ne
donne pas d'emblée
les prémisses économiques d'un tel changement.
Or,
il n'y a d'autres normes que celles du "droit bourgeois". C'est
pourquoi subsiste la nécessité d'un Etat chargé, tout en protégeant la
propriété commune des moyens de production, de protéger l'égalité du travail et
l'égalité dans la répartition des produits.
L'Etat
s'éteint, pour autant qu'il n'y a plus de capitalistes, plus de classes et que,
par conséquent, il n'y a pas de classe à mater.
Mais
l'Etat n'a pas encore entièrement disparu puisque l'on continue à protéger le
"droit bourgeois" qui consacre l'inégalité de fait. Pour que l'Etat
s'éteigne complètement, il faut l'avènement du communisme intégral.
Marx poursuit :
"Dans
une phase supérieure de la société communiste, quand auront disparu
l'asservissante subordination des individus à la division du travail et, avec
elle, l'opposition entre le travail intellectuel et le travail manuel; quand le
travail ne sera pas seulement un moyen de vivre, mais deviendra lui-même le
premier besoin vital; quand, avec le développement multiple des individus, les
forces productives se seront accrues elles aussi et que toutes les sources de
la richesse collective jailliront avec abondance, alors seulement l'horizon
borné du droit bourgeois pourra être définitivement dépassé et la société
pourra écrire sur ses drapeaux : "De chacun selon ses capacités, à
chacun selon ses besoins"."
Voilà
comment se pose pour les marxistes la question du dépérissement, de
l'extinction de l'Etat. Il s'agit, d'abord par l'instauration de la dictature
du prolétariat, par l'appropriation collective et étatique des moyens de
productions, de créer les prémisses économiques et politiques de la disparition
de tout Etat.
Ce
rappel est utile en ces temps de confusion politique générale. Il souligne
aussi combien réactionnaire serait l'affirmation que l'on peut passer
directement du capitalisme au "communisme intégral".
Mais
bien sûr il ne s'agit que pour la direction du PCF d'une mince couverture – et
d'une volonté de pervertir totalement toute référence au marxisme. Elle ne se
pose pas la question de réprimer les capitalistes parce qu'elle affirme
désormais qu'il n'est pas question de les exproprier, pas plus qu'elle ne se
pose la question de la répartition du travail et des ressources par l'Etat,
parce qu'elle se propose de laisser ces tâches … au mode de production
capitaliste.
Car
à quoi aboutit la position du PCF? Lisons:
"
Le communisme est ainsi une critique sans concession de l’Etat aliéné, c’est à
dire d’une organisation de pouvoirs publics échappant à la maîtrise collective
pour permettre à une classe sociale d’exercer sa domination sur toute la
société. Le “ dépérissement de l’Etat ”, à tous les niveaux
d’organisation territoriale, y compris sur le plan international, ne
vise donc pas la disparition des formes nécessaires de gestion des affaires
communes, mais cette exigence de leur démocratisation intégrale par
l’association à égalité de toutes les femmes et tous les hommes à tous les
processus de décisions.
De
même, le communisme est une critique radicale du marché capitaliste, c’est à
dire d’une organisation des échanges qui transforme tout en marchandise,
jusqu’à l’être humain lui-même, et assujettit la société tout entière au
pouvoir aveugle et inhumain de l’argent. Il porte en cela l’exigence d’un
partage démocratique des pouvoirs dont la capital se réserve encore aujourd’hui
l’exercice exclusif.
(…)
Le
communisme continue d’autant plus de hanter [encore
une référence au manifeste de Marx et Engels] le monde que les exigences qu’il porte
grandissent comme jamais. Il prend aujourd’hui sa véritable figure :
l’ambition d’une démocratisation maximum et permanente dans toutes les sphères
de la vie sociale, du local au mondial."
(nous soulignons, car il s'avère bien que ce "spectre du communisme"
sauce PCF a décidément la "véritable figure" d' enfant sage et
"démocrate" de la bourgeoisie – Ndlr).
Traduction
pratique: la demande phare du "projet communiste", reprise dans la
résolution adoptée par le congrès, mise en exergue par le journal les Echos
déjà cité ("les communistes veulent un "partage de tous les
pouvoirs dans l'entreprise""), devient donc celle-ci:
"
Les communistes proposent de travailler à une réforme fondamentale du statut
des grandes entreprises visant à réorganiser leur fonction et leur
responsabilité sociales. Au lieu d’être “ la propriété ” du capital
qui s’y investit – et qui n’est d’ailleurs souvent qu’une faible part des
moyens financiers dont elles disposent - , elles seraient reconnues comme des
réalités économiques et sociales où s’organisent et éventuellement se
confrontent les relations entre les différents intérêts sociaux
concernés : ceux de femmes et des hommes qui y travaillent, des
collectivités publiques dans lesquelles s’inscrit leur activité, du capital
investi, des organismes de crédit, des fournisseurs et des sous-traitants, des
consommateurs, etc.
Ainsi
l’entreprise deviendrait une personne juridique propre, distincte de la
“ société de capitaux ”, et sa direction serait assurée non pas par
les seuls représentants des actionnaires, mais par un collège représentatif des
différentes parties prenantes, notamment, aux côtés des actionnaires, des
représentants des salariés, des élus, etc. Ainsi la prise en compte des
responsabilités sociales de ces grandes entreprises résulterait du partage des
pouvoirs en son sein.
Ce
"collège représentatif" intégrant les actionnaires et les élus a un
air de déjà vu: il s'agit simplement d'une autre mouture de la cogestion, de
l'association capital-travail.
Le
PCF doit le reconnaître lui-même (dans le projet):
Longtemps,
les communistes ont considéré que cette maîtrise sociale exigeait la conquête
préalable du pouvoir d’Etat et la gestion administrée de l’économie. Cette
conception les a conduit à sous-estimer, voire à considérer avec méfiance
l’idée de participation des salariés à la gestion des entreprises. ”.
Aucun
doute: c'est bien de la participation, de la cogestion dont il s'agit. Celle-ci
est supposée entraîner une nouvelle conception de la propriété: la
"mixité". Lors du congrès, M.Duffour devra reconnaître que:
"de
nombreuses conférences ont demandé à préciser la notion de mixité".
C'est
dire que, même au sein du PCF, nombreux sont ceux qui comprennent que la
"mixité" signifie le maintien de la propriété capitaliste. La
concrétisation du refus de "l'étatisme" ne peut effectivement aboutir
qu'à l'acceptation officielle de la pérennité de la propriété capitaliste. Dans
un tel cadre "la confrontation entre les intérêts sociaux concernés"
tourne court, et ne peut servir qu'à associer les organisations syndicales aux
décisions des capitalistes. D'ailleurs il suffit pour le comprendre de
considérer les lois dont le PCF est si fier, les lois d'ARTT et la loi de
"modernisation sociale". Nous y reviendrons. Mais on doit encore
prendre en compte une autre dimension
de ce que contient le "nouveau projet communiste", la
"démocratisation permanente".
Autre
vertu pour le PCF de la "démocratisation permanente de la République",
ce serait la réponse au:
"divorce
des citoyens et de la République".
On
l'a déjà dit, pour le PCF, la République est la 5ème du nom,
instaurée par de Gaulle contre le mouvement ouvrier, un régime bonapartiste bâtard,
dont le projet du PCF propose de réaménager la présentation. Mais à nouveau, il
est bon de repréciser que ces débats sur l'éloignement des "citoyens"
de la politique qui sont une véritable tarte à la crème aujourd'hui n'ont rien
de nouveau. Dans l'ouvrage déjà cité, Lénine écrivait ainsi (nous soulignons):
"La
société capitaliste, considérée dans ses conditions de développement les plus
favorables, nous offre une démocratie plus ou moins complète en république
démocratique. Mais cette démocratie est toujours confinée dans le cadre étroit
de l'exploitation capitaliste et, de ce fait, elle reste toujours, quant au
fond, une démocratie pour la minorité, uniquement pour les classes possédantes,
uniquement pour les riches. La liberté, en société capitaliste, reste toujours
à peu près ce qu'elle fut dans les républiques de la Grèce antique : une
liberté pour les propriétaires d'esclaves. Par suite de l'exploitation
capitaliste, les esclaves salariés d'aujourd'hui demeurent si accablés par le
besoin et la misère qu'ils se "désintéressent
de la démocratie", "se désintéressent de la
politique"
et que, dans le cours ordinaire, pacifique, des événements, la majorité de la
population se trouve écartée de la vie politique et sociale. "
Et
de préciser:
"
Si l'on considère de plus près le mécanisme de la démocratie capitaliste, on
verra partout, dans les "menus" (les prétendus menus) détails de la
législation électorale (conditions de résidence, exclusion des femmes, etc.),
dans le fonctionnement des institutions représentatives, dans les obstacles
effectifs au droit de réunion (les édifices publics ne sont pas pour les
"miséreux"!), dans l'organisation purement capitaliste de la presse
quotidienne, etc., etc., - on verra restriction sur restriction au démocratisme.
Ces restrictions, éliminations, exclusions, obstacles pour les pauvres
paraissent menus, surtout aux yeux de ceux qui n'ont jamais connu eux-mêmes le
besoin et n'ont jamais approché les classes opprimées ni la vie des masses qui
les composent (et c'est le cas des neuf dixièmes, sinon des quatre-vingt-dix
neuf centièmes des publicistes et hommes politiques bourgeois), - mais,
totalisées, ces restrictions excluent, éliminent les pauvres de la politique,
de la participation active à la démocratie. "
Ce
qui l'amènera dans l'ouvrage la révolution prolétarienne et le renégat
Kautsky (1918) à la conclusion suivante, qui s'applique parfaitement aux
élucubrations "démocratiques" du PCF (nous soulignons):
"
A moins de se moquer du sens commun et de l'histoire, il est clair que, tant
qu'il existe des classes distinctes, on ne saurait
parler de « démocratie pure », mais seulement de démocratie de classe
(soit dit entre parenthèses, « démocratie pure » est non seulement une formule
d'ignorant qui ne comprend rien à la lutte des classes ni à la nature de
l'État, mais encore une formule triplement creuse, car dans la société
communiste, la démocratie, transformée et devenue une habitude, dépérira,
mais ne sera jamais une démocratie « pure »).
La
« démocratie pure » n'est qu'une phrase mensongère de libéral qui cherche à
duper les ouvriers. L'histoire connaît la démocratie bourgeoise qui prend la relève de la
féodalité, et la démocratie prolétarienne qui prend la relève de la démocratie
bourgeoise."
Inutile
d'aller plus avant dans l'analyse de ce "projet", qui est un
ralliement en bonne et due forme à l'exploitation capitaliste, une charge en
règle contre le socialisme. Aussi, quand on relit la phrase déjà citée: "Nous appelons communisme le mouvement réel qui tend à abolir, dès
aujourd’hui, l’ordre existant", celle-ci peut être traduite sans trahir
ainsi: le mouvement réel est la politique du gouvernement de la "gauche
plurielle", "l'ordre existant aboli", les acquis du prolétariat;
le rôle du PCF ("communisme") est de soutenir ce "mouvement
réel" là.
Ainsi
trouve-t-on dans le "projet communiste" la traduction concrète
de la proposition de transformer le
statut des entreprises pour en faire des entités sociales: les "nouveaux
droits et pouvoirs des salariés". Ceux-ci seraient essentiellement:
"Droit
d’intervention sur toutes les décisions de gestion, particulièrement les choix
d'investissement et de financement dont dépendent dans une large mesure le
devenir des emplois, l'accès aux formations, le niveau et l'évolution des
salaires. L’exercice de ces droits implique des pouvoirs nouveaux d'expertise,
de propositions sur les stratégies industrielles et de développement, sur
l'organisation et le contenu du travail.
Droit
de faire suspendre tout “ plan social ”, afin d’organiser les
concertations nécessaires, et faire prendre en compte des solutions
alternatives."
Ces
"droits" sont ceux de s'associer aux licenciements, aux
restructurations, en fait, les "droits" qui sont contenus dans la loi
de modernisation sociale. On notera: "suspendre" les plans sociaux et
donc: en aucun cas interdire les licenciements.. à condition qu'ils soient
validés par les "experts" dûment mandatés par les directions
syndicales.
Mais
il est vrai qu'en cas de licenciement, le PCF a une "parade":
"
mise en place d’un système garantissant à tous les salariés la continuité d’un haut
niveau de droits et de revenus dans l’alternance entre emploi stable, à temps
de travail de plus en plus réduit, et formation. Ainsi favoriserait-on la
mobilité professionnelle et l’élévation de la qualification de tous les
salariés tout en en finissant avec le chômage et la précarité."
L'alternance
entre des emplois précaires et la formation … est appelée "lutte contre la
précarité".
Ajoutez-y
la référence à la mobilité professionnelle, et vous avez l'argumentaire du PARE
de Seillière-Notat, qu'on mâtinera de la Validation des Acquis Professionnels,
elle aussi contenue dans la loi de "modernisation sociale".
Là
ne s'arrête pas le "mouvement réel". Ainsi, en matière de
décentralisation, le projet du PCF prône-t-il:
"Un
transfert hardi de compétences et de moyens Et Une délégation partielle du
pouvoir réglementaire"
aux
collectivités locales. Difficile de ne pas y voir un soutien au projet de loi
sur la Corse ainsi qu'à l'amendement constitutionnel déposé par P.Méhaignerie
(UDF) et soutenu par le gouvernement sur la question.
Et
encore. Hue, s'adressant au congrès, allait même jusqu'à revendiquer: "la
désétatisation du secteur public". Ce n'est pas stricto sensu
un soutien aux privatisations, mais la voie est ouverte.
Bien
entendu, lors du congrès, derrière l'apparition à la dernière minute de la
demande de "l'arrêt des bombardements", le PCF n'a pas manqué
de souligner son accord profond avec l'intervention impérialiste contre
l'Afghanistan, tout en réclamant que l'ONU (donc en fait l'impérialisme français,
membre du conseil de sécurité) soit en première ligne:
"La
lutte pour mettre hors d'état de nuire le terrorisme ne peut être conduite sous
l'autorité exclusive des Etats-Unis. Elle ne peut se limiter (sic! – Ndlr) à une intervention militaire en Afghanistan (…)" (discours de Robert Hue)
"Nous
nous plaçons sans ambiguïté du côté de l'immense majorité de nos concitoyens
qui souhaitent que le terrorisme soit attaqué par tous les bouts – militaires,
policiers, judiciaires, financiers et politiques"
(rapport politique de D.Grador – notez l'ordre: d'abord le
"militaire", à la fin le "politique").
Tandis
que de nombreux oppositionnels quittent le PCF, tel les centaines de membres du
groupe Communistes de Rolande Perlican, pour reproduire une ancienne
version de la politique du PC, ceux qui restent délivrent des satisfecits à la
direction, tel J-J.Karman, délégué au congrès, dirigeant de la gauche
Communiste:
"le
projet proposé est un bon projet … réformiste, mais jamais l'addition de
réformes n'a changé la société".
Du
"bon réformisme"? La direction du PCF ne pouvait demander mieux,
qualifier de "bonnes réformes" une politique qui est celle du
gouvernement ne peut que la ravir. Réunis nationalement dans une association,
regroupant nostalgiques revendiqués du carcan stalinien et
"oppositionnels" du type Gauche communiste, les
"oppositionnels" ne sont aucunement en mesure d'ouvrir une
alternative à ceux qui sont sous l'influence du PCF et souhaiteraient s'en
dégager.
Notons
que le Parti des Travailleurs, qui cherche à intervenir dans la crise du PCF,
leur rend de fiers services. L'appel pour un parti ouvrier indépendant qu'il a
initié avec des oppositionnels il y a un an a par exemple reçu le refus suivant
de la part de la Gauche communiste:
"ce parti ne peut être que
communiste. Tout recul sur ce point ne peut être qu’un
reniement de l’histoire du mouvement ouvrier international"
En
tout état de cause, se confirme l'appréciation que nous avions portée sur le
fait que rien ne se dégage de la crise du PCF. Il faut dire que la plupart des
militants du PCF ont "avalé" au moins le soutien ouvert aux
gouvernements "d'union de la gauche", auparavant celui au coup d'état
de Jaruzelski, l'intervention de la bureaucratie du Kremlin en Afghanistan, ou
encore, pour les plus anciens, l'intervention contre-révolutionnaire en
Tchécoslovaquie, etc. Autant dire que ceux qui ont accepté tous ces crimes
contre les intérêts du prolétariat sont morts pour le combat révolutionnaire.
Le
PCF n'a pas encore disparu, et même si sa crise ne peut qu'aller en s'aggravant,
les travailleurs et jeunes qui cherchent à combattre contre la politique des
gouvernements bourgeois, qui cherchent la voie du socialisme, se heurtent et se
heurteront à lui.
Il
est nécessaire d'avancer une orientation dans la lutte des classes permettant
de submerger cet obstacle: la tactique du front unique des organisations
ouvrières s'applique au PCF, et au PCF au même titre qu'au PS doit être
adressée au nom des masses la revendication "rompez avec la bourgeoisie,
prenez le pouvoir" comme le définit le programme de transition –
sous sa forme actuelle: "gouvernement PS-PCF sans représentants des partis
bourgeois".
Il
est non moins indispensable de fournir les réponses politiques nécessaires pour
combattre le désarmement théorique qui est systématiquement entretenu par le
PCF comme aucun autre parti n'est en mesure de le faire.