Article
paru dans Combattre pour le Socialisme
n°6 (88) de janvier 2002
Notes sur la situation internationale
après la victoire de l'impérialisme américain sur l'Afghanistan
Mainmise des Etats-Unis sur l'Asie centrale
A Kaboul, un gouvernement de satrapes dirigé par un "homme
de la CIA"
Lutte anti-terroriste: offensive mondiale contre les
libertés démocratiques
Nouvelles perspectives pour Israël dans sa campagne de
terreur contre les Palestiniens
Le régime capitaliste toujours au bord de l'abime
Il
n'aura fallu que deux mois à l'impérialisme américain, secondé notamment par
l'impérialisme britannique, soutenu par les impérialismes français, allemands
et japonais, pour écrabouiller toute résistance à sa pénétration en
Afghanistan. Après quelques jours d'incertitude, l'entrée en action des B-52 a
précipité la débandade du régime des talibans, hormis quelques poches qui ont
été réduites à néant implacablement. Des armes particulièrement meurtrières ont
été employées (bombes à fragmentation, "faucheuse de marguerite")
afin de terroriser l'ensemble des peuples afghans. Pour faire bonne mesure, des
"erreurs de tir" ont permis de flanquer des coups sur le museau du
front islamique ("alliance du Nord") – comme on signifie à son chien
qui est le véritable maître.
Dès
le 13 novembre, Kaboul tombait entre les mains de "l'alliance du
Nord". La prise de la capitale marquait en réalité que la victoire
impérialiste était déjà acquise. Le 6 décembre, deux mois après le début de la
guerre, le bastion des Taliban, Kandahar tombait – non sans que les commandants
Taliban eussent obtenu la possibilité pour leur chef, le mollah Omar, de
s'évanouir dans la nature.
Sans
même attendre la fin des combats, la "force internationale", force
d'occupation militaire impérialiste, a commencé de s'installer, avec au premier
chef les soldats de l'ancienne puissance coloniale régionale: le Royaume-Uni.
Les quelques protestations des nouveaux responsables afghans et parfois
l'esquisse d'un refus de cette force ont été emportées par le vent. Et pendant
qu'un nouveau gouvernement a été mis en place à Kaboul, l'est de l'Afghanistan
est une chasse gardée des forces américaines qui y bombardent sans relâche –
c'est que, affirment-ils, ils traquent Ben Laden.
Mais
on aurait tort de croire que, sans Ben Laden, la victoire de l'impérialisme US
ne serait pas complète. A la limite, on ne peut non plus exclure que sa fuite
arrange dans une certaine mesure le gouvernement américain autant que sa
capture. Car, quitte à se répéter, la "lutte contre le terrorisme"
n'était pas et n'est pas l'objectif de cette guerre.
La presse a largement fait écho d'entrevues
intervenues entre les émissaires de la CIA et les dignitaires Taliban l'été
dernier, résumés par cette formule crédible: "si vous nous livrez Ben
Laden, vous aurez un tapis de dollars, sinon, ce sera un tapis de bombes".
Par ailleurs, un ancien membre du gouvernement pakistanais le 18 septembre sur
la BBC: selon lui, la guerre contre l'Afghanistan avait été décidée dès l'été.
Les attentats du 11 septembre ont servi de prétexte.
L'objectif de l'impérialisme américain était d'abord
celui-ci: mettre l'Afghanistan, enfin, en coupe réglée et s'ouvrir ainsi un
accès direct aux immenses ressources pétrolières et gazières des Républiques de
l'ex-URSS en Asie centrale, accès dont les conséquences de la révolution de
1979 en Iran le privait. Le principal reproche adressé aux talibans était de
n'avoir pu pacifier complètement le pays et permettre ainsi le passage en toute
sécurité d'Oléoducs. A cet égard, le fait que l'administration Bush soit issue
du sérail des magnats du pétrole aura bien plus contribué à accélérer
l'offensive que les attentats du 11 septembre.
Mais la guerre impérialiste contre l'Afghanistan
revêt une dimension plus vaste. Relevons-en ici deux aspects.
Tout d'abord, l'impérialisme américain a subi en
1979 une véritable défaite politique, avec l'engagement de la révolution
prolétarienne en Iran. Là, alors que des conseils ouvriers authentiques
s'étaient constitués, le régime du Shah, véritable pilier américain à la
bordure du Moyen-Orient, s'est effondré. S'est engagé alors une véritable
sainte-alliance contre-révolutionnaire: l'Irak a été armé jusqu'aux dents et
lancé à l'assaut de l'Iran par les grandes puissances impérialistes, Etats-Unis
et France en tête. Pendant dix ans, les masses en Iran (et en Irak) ont ainsi
subi une saignée atroce. De son côté la bureaucratie du Kremlin lançait une
intervention contre-révolutionnaire en Afghanistan. Le résultat immédiat de ces
efforts conjugués (bien que conflictuels) a été que les mollahs en Iran ont pu
faire refluer le mouvement des masses et restreindre puis annuler une à une les
conquêtes principales de la Révolution de 1979. Mais pour autant, l'Iran n'a
pas réintégré le giron de l'impérialisme. La mise en coupe réglée de
l'Afghanistan sera une aide précieuse pour l'impérialisme dans cette voie.
D'autant plus que cette guerre a été une guerre de terreur contre les masses,
et qu'à ce titre elle conforte les régimes les plus oppresseurs de la région,
le régime militaire pakistanais issu d'un coup d'Etat en 1999 et qui fait face
à de continuelles luttes de la classe ouvrière, le régime Khatami en Iran qui a
de facto mené la répression contre le soulèvement parti de la jeunesse
étudiante à l'été 1999.
Deuxième aspect: en 1991, la situation mondiale a
été bouleversée par la dislocation de l'URSS, d'autant que les masses n'ont pu
la mettre à profit dans les années qui ont suivi et empêcher la restauration
capitaliste. La possibilité de la Révolution politique ne s'est pas réalisée.
L'impérialisme US s'est retrouvé dans une position prédominante à l'échelle
planétaire, celle de seule puissance mondiale. La guerre de destruction de
l'Irak en 1991 et l'embargo/génocide du peuple irakien en ont été la première
manifestation flagrante. Ce n'est pas un à-côté de la guerre contre l'Afghanistan
que de voir les troupes américaines s'implanter – certainement durablement –
dans plusieurs républiques d'Asie centrale issues de l'ex-URSS, à la barbe des
autorités du Kremlin qui ont vainement cherché à l'empêcher. Avec cette
implantation militaire en Asie centrale, au Pakistan, les dollars se sont mis à
couler à flots pour certains régimes (allègement de la dette pakistanaise,
crédits massifs à l'Ouzbékistan notamment). C'est un plan d'ensemble de
mainmise sur l'Asie centrale qui est mis en œuvre.
Néanmoins, on doit rappeler qu'il n'est et ne sera
pas de solution durable pour l'Asie centrale, le sous-continent Indien, dans le
cadre des frontières artificielles héritées du colonialisme britannique, dans
le cadre de la tutelle des grandes puissances impérialistes. En témoigne les
rixes guerrières entre le Pakistan et l'Inde au sujet du Cachemire. La seule
perspective historique permettant d'ouvrir une issue positive, d'assurer le
droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, est celle de la République Socialiste
Fédérative des Indes, une fédération
socialiste d'Asie centrale ou encore du Moyen-Orient.
Lors de la conférence tenue à Bonn, la mise sous
tutelle de l'Afghanistan a été formalisée. Un gouvernement "de
transition" a été composé le 5 décembre, incluant notamment d'anciens
responsables Taliban (dont le chef de leur police secrète), entourés de hauts
fonctionnaires directement fournis par l'ONU. L'ensemble des brigands, dits
chefs de guerre, contrôlant chacun une ville, un quartier, disposant de sa
propre milice, y est représenté, en attendant la tenue d'une Loyia Jirga,
assemblée traditionnelle qui existe depuis … l'Antiquité, chargée de composer
un gouvernement définitif.
A la tête de ce gouvernement, imposé directement par
Washington, le nommé Hamid Karzaï, ancien conseiller de la compagnie pétrolière
américaine Unocal, Karzaï au sujet duquel on pouvait lire dans Le Monde du 9/12:
"
un article de Kamran Khan, journaliste pakistanais spécialisé dans les
questions afghanes, soulignait, jeudi 6 décembre, qu'"Hamid Karzaï
est l'homme de la CIA et des services de renseignement de l'armée pakistanaise,
l'ISI."
Inutile d'en rajouter: c'est un gouvernement de
protectorat qui a été mis en place, dont la direction se situe non pas à Kaboul
mais à Washington.
Précision utile: le nouveau gouvernement s'est
d'ores et déjà engagé à continuer d'appliquer la "Charia", avec une
"anecdote" qui en dit long: les femmes adultères seront toujours
lapidées en public, mais avec des pierres plus petites… ça ne s'invente pas.
Mais ce n'est évidemment pas le droit des femmes, les libertés démocratiques en
général qui ont motivé la guerre. Il suffit de jeter un œil du côté du meilleur
allié américain au Moyen-Orient: l'Arabie Saoudite, qui a un régime intérieur à
l'identique de celui que faisaient régner les Taliban, les pétrodollars en
plus.
Alors que les ruines fument encore en Afghanistan,
l'impérialisme américain s'est empressé de faire savoir qu'il ne comptait pas en
rester là. "Lutte contre le terrorisme" oblige (au passage: l'anthrax
expédié à plusieurs destinataires aux Etats-Unis s'avère avoir été cultivé dans
les laboratoires du gouvernement fédéral…), l'Irak, la Somalie, pourraient être
bientôt victimes d'agressions du même type que celle qu'a subie l'Afghanistan.
Surtout s'il se trouvait ici ou là une opportune base arrière de l'organisation
de Ben Laden. Il ne s'agit pas de faire de pronostics à cet égard, mais bien
plutôt de relever que l'impérialisme US affirme ainsi qu'il frappera où et
quand il veut, sans s'embarrasser de considérations pour ses
"alliés", notamment pour le conseil de sécurité de l'ONU.
Dix ans après l'effondrement de l'URSS, les USA
affirment de plus en plus leur prédominance. On doit relever quelques moments
marquants de cette affirmation depuis dix ans: d'abord la guerre contre
l'Irak, suivi de son blocus et des
frappes répétées contre ce pays, puis l'imposition d'un plan de "règlement"
en Palestine sur lequel nous reviendrons. Puis l'intervention en Europe même,
par la prise en main directe de la crise en Yougoslavie d'abord, à compter de
1995, suivie de la guerre menée contre la Serbie en 1999. Ajoutons-y le
"plan Colombie" qui, en Amérique du Sud, inaugure une nouvelle étape
de l'intervention directe des USA dans leur arrière-cour (toujours au nom de la
lutte contre le terrorisme). Ou encore les appétits nouveaux en Afrique
sub-saharienne, révélés à l'occasion de la chute du régime de Mobutu impulsée
via l'Ouganda, et de la tournée africaine, première en son genre, du président
Clinton, en 1998. Et enfin, l'affaire du Timor oriental, lors de laquelle le
gouvernement australien affichait qu'il entendait devenir le bras armé des USA
dans le pacifique-sud. C'est dans cette perspective de la prédominance de
l'impérialisme américain qu'il faut comprendre la réflexion du vice-président
Cheney (en octobre dernier):
"la
guerre contre le terrorisme est une guerre qui n'aura pas de fin, du moins de
notre vivant".
Parallèlement, on doit relever que tant l'Allemagne
que le Japon ont saisi la guerre contre l'Afghanistan pour s'affirmer
d'avantage, eux aussi. L'impérialisme allemand par la voix du chancelier
Schröder soulignait dans un entretien au Monde du 29 octobre 2001 que sa
disponibilité à fournir des soldats par milliers marquait: "une
nouvelle qualité à notre engagement", précisant que cet engagement
était une conséquence de la réunification de l'Allemagne. Quant au Japon, il a
changé la constitution ventre à terre pour introduire la possibilité
d'interventions militaires, non seulement pour le "maintien de la
paix" comme jusqu'ici, mais encore au nom de la "lutte
anti-terroriste", catégorie autrement plus vaste et malléable.
Le
contraste est fort avec la position de l'impérialisme français, presque humilié
à plusieurs reprises, d'abord pour avoir envoyé qu'avec plusieurs mois de
retards son seul porte-avions dans l'océan Indien, puis pour avoir vu ses
soldats parqués en Asie centrale sans avoir le feu vert américain pour rentrer
en Afghanistan, sans parler de la tenue de la conférence internationale sur
l'Afghanistan à Bonn. Bonne patriote, l'Humanité, dans son édition du 26
novembre 2001, s'en alarmait:
"L'Allemagne
sous l'impulsion du chancelier Schröder souhaite désormais haut et fort son grand
retour sur la scène politique et militaire mondiale. Non seulement elle
revendique un poste au Conseil de sécurité de l'ONU (avec le soutien bavard de
Blair et celui, plus discret, des Américains, qui ont pesé pour que la
conférence interafghane se tienne à Bonn et non à Paris) mais elle veut imposer
son mode institutionnel à l'Union en liaison avec le rythme de l'extension de
l'UE aux pays d'Europe centrale et orientale où elle est économiquement chez
elle."
La
guerre impérialiste a été une nouvelle expression que l'Union Européenne n'a
rien à voir avec l'unité européenne. Les réunions de "coordination" –
toute formelle - à géométrie variable tenues confinaient parfois au grotesque,
telle celle tenue à Londres prévue à trois, puis à cinq, puis à huit (sur les
quinze membres de l'UE):
"le cuisinier de Downing Street s'arrachait
les cheveux, ne sachant jusqu'au bout le nombre de couverts." (Libération).
Mais tous les impérialismes, quelle que soit leur
place dans la coalition antiterroriste, ont sauté de concert sur l'occasion
pour porter des coups sérieux contre les libertés démocratiques. Aux USA, au
nom de la lutte antiterroriste, les pouvoirs du FBI ont été accrus, le contrôle
de la correspondance par l'Etat fédéral généralisé, des tribunaux d'exception
militaires mis en place. En Grande-Bretagne, c'est la législation sur le droit
d'asile qui a été mise à mal, tout comme en Autriche, sous les exhortations
vindicatives de Haider et de son parti.
En
Allemagne, le Bundestag a adopté en décembre des lois d'exception. Le Monde
du 18 décembre résume:
Les
nouvelles dispositions, qui modifient dix-sept lois et plusieurs ordonnances,
renforcent les pouvoirs et les moyens des services de sécurité, désormais plus
facilement autorisés à lancer des enquêtes et à collecter diverses données
informatiques auprès des banques, des sociétés de télécommunications et de la
Poste ; les étrangers qui menacent ou qui sont susceptibles de menacer "l'ordre démocratique" ou la "sécurité" du pays seront placés sous
une surveillance plus étroite ; les procédures d'expulsion seront
facilitées.
Mais
ces lois liberticides prises dans tous les pays capitalistes dominants forment
la trame d'une offensive générale pour chasser toute pensée critique à l'égard
des idées dominantes. "Qui n'est pas avec nous est contre nous" (Bush
junior dixit): dans tous les domaines, la chasse au terroriste est ouverte. Aux
Etats-Unis, c'est un véritable climat d'union sacrée qui prévaut, justifiant
les licenciements massifs au nom de la lutte contre le terrorisme.
C'est une autre conséquence de la guerre – et de la
politique de l'OLP - que la situation totalement dramatique dans laquelle le
peuple palestinien se trouve plongé.
Certes, les accords d'Oslo-Washington avaient de
toute façon fait leur temps. Dès septembre 2000, malgré la résistance du peuple
palestinien, le processus de constitution d'un gouvernement d'union nationale
était engagé, et signifiait qu'Israël se mettait en ordre de bataille pour
réunir les conditions politiques de nouvelles avancées contre les Palestiniens.
La "lutte contre le terrorisme" prend sans doute en Palestine son
visage le moins fardé : c'est la terreur permanente contre les masses
opprimées.
Dès le lendemain du 11 septembre, un nouveau cran était
franchi. L'armée israélienne multipliait les descentes dans les "zones
autonomes" palestiniennes, prélevant à chaque fois un lourd tribut de
victimes, détruisant les maisons et plantations par centaines, manière de
montrer sans ménagement "l'issue" que projette l'Etat sioniste pour
les palestiniens: l'exil.
Courant octobre, le FPLP tuait le ministre
ultra-raciste du tourisme, en représailles à la liquidation d'un de ses
principaux dirigeants par le gouvernement Sharon-Pérès. Dès lors, l'armée
israélienne commençait l'occupation durable des enclaves palestiniennes et
durcissait encore la répression, marquée par des pics après quelques
attentats-suicides organisés par des groupes islamistes palestiniens.
Mais à l'évidence la forme de la répression contre
le peuple palestinien indique la possibilité d'un tournant, celui qui verrait
l'Etat d'Israël se débarrasser purement et simplement de l'Autorité
palestinienne. Il faut reproduire les propos - qui ont le mérite de la
franchise dans l'abjection - tenus par le ministre israélien de la sécurité
intérieure au Monde du 14 décembre 2001.
Il
faut donc, comme en Afghanistan, détruire ici les infrastructures de la
terreur. Je ne parle pas seulement du Hamas et du Djihad mais des talibans
locaux qui les protègent, le Tanzim, bras armé du Fatah, la force 17, la garde
rapprochée d'Arafat, toute l'autorité à travers ses ministères, ses activités.
Il faut mettre toutes ses organisations hors-la-loi, et hors d'état de nuire.
(…)La
destruction d'Israël est inscrite dans le code génétique de l'Autorité
palestinienne. Nous devons prendre des mesures beaucoup plus drastiques pour
lutter contre elle. Tuer ses soldats, détruire ses bâtiments, l'étrangler
financièrement.
(…)Quant
aux responsables politiques, qu'ils retournent à Tunis !
(…)Nous
sommes aujourd'hui 5 millions de juifs ici, et, plaise à Dieu, nous sommes
plus riches que tous nos voisins arabes réunis. On a perdu trop de temps avec
Oslo. Maintenant, il faut faire venir 1 million de juifs supplémentaires
en dix ans et continuer à progresser.
En réalité, la tactique du gouvernement Sharon-Pérès
est simple: exercer une pression telle sur l'autorité palestinienne que
celle-ci se soumette totalement à ses ordres, quitte à la briser si cela
s'avérait impossible pour elle.
Quoiqu'en
disent les faux "amis" des Palestiniens qui prônent le retour au
"processus de paix", la situation actuelle est l'aboutissement
logique des accords d'Oslo-Wahington. Ceux-ci n'étaient rien d'autre que
l'enfermement du peuple palestinien dans des ghettos gérés, comme toujours les
ghettos dans l'histoire, par des collaborateurs des autorités de tutelle. La
police palestinienne ne pouvait fonctionner que comme "gourdin
d'Israël". Qu'Arafat soit aujourd'hui cloué au piquet à Ramallah, à portée
des canons sionistes, n'est que l'illustration de la situation créée par les
accords: Israël dicte sa loi et se renforce sur tout le territoire de la
Palestine.
Cherchant à sauver sa place, l'Autorité
palestinienne multiplie les signes de soumission à Israël. Elle a réprimé dans
le sang des manifestations s'opposant à la guerre contre l'Afghanistan. Elle
multiplie les arrestations, a interdit la branche militaire du FPLP, etc. Cela
l'amène de plus en plus ouvertement à s'opposer aux masses palestiniennes ainsi
qu'aux organisations nationalistes petites-bourgeoises qui composent l'OLP.
Mais l'Autorité n'a d'autre perspective: soit elle pourra servir à museler la
lutte des palestiniens au compte d'Israël, soit elle perdra tout crédit dans
cette voie et sera liquidée par les gouvernements de l'Etat sioniste.
On voit à quel point l'Etat d'Israël a progressé
dans la voie qui fut toujours la sienne: mater et expulser les Palestiniens,
poursuivre la colonisation de la Palestine. Dans cette voie, on ne peut exclure
que, suite à une nouvelle provocation (rappelons en effet que la création
du Hamas par exemple fut largement
impulsée par les services secrets israéliens pour faire pièce au Fatah), Israël
impose de nouveaux reculs historiques aux Palestiniens, et éventuellement
entame une nouvelle étape en procédant à la liquidation de l'Autorité
palestinienne, et surtout avec elle des organisations nées de la lutte de ce
peuple pour sa libération nationale. Le 22 décembre, le ministre israélien des
infrastructures évoquait carrément la "déportation" des "arabes israéliens" qui
soutiendraient les opérations contre Israël.
Telle est la situation dramatique qui est produite
par l'engagement de la "lutte anti-terroriste" par les puissances
impérialistes. Face à celle-ci, il faut réaffirmer: aucune solution n'est
possible au Proche-Orient qui ne passe par la destruction de l'Etat raciste et
colonial d'Israël, la tenue d'une Assemblée constituante fondant la République
Unifiée de Palestine, Assemblée constituante ayant comme préalable le retour
des réfugiés palestiniens, la restitution des terres et des biens dont ils ont
été spoliés. Seules les masses palestiniennes peuvent ouvrir cette issue, dans
la perspective d'un gouvernement ouvrier et paysan, d'une Fédération socialiste
du proche et Moyen-Orient.
Dans l'immédiat, aucune tâche n'est plus urgente que
de briser l'isolement du peuple palestinien face à la répression. C'est
pourquoi la responsabilité des organisations issues du mouvement ouvrier,
partis et syndicats, est d'appeler à de gigantesques manifestations devant les
ambassades d'Israël pour exiger l'arrêt de la répression et défendre le droit
du peuple palestinien à disposer de lui-même.
L'appréciation des conséquences de la guerre
impérialiste contre l'Afghanistan ne peut laisser de place au doute: l'intérêt
du prolétariat mondial était dans cette guerre l'échec de l'impérialisme, de se
situer en défense de l'Afghanistan et des masses de la région. Cela passait
évidemment par une lutte politique, le résultat sur le seul terrain militaire
étant couru d'avance, lutte politique autour des mots d'ordre exprimant
concrètement ce que serait l'échec de l'intervention impérialiste: le retrait
immédiat et inconditionnel des troupes impérialistes, le boycott de
l'intervention, la dénonciation des résolutions de l'ONU, mots d'ordre qui pour
leur succès exigeaient que soit réalisé le front unique des organisations
ouvrières.
Mais les travailleurs se sont heurtés une nouvelle
fois à leurs vieilles organisations dégénérées et traîtres, qui se sont dans
l'ensemble alignées derrière l'impérialisme américain. C'est vrai de l'AFL-CIO
aux Etats-Unis, mais surtout de la social-démocratie en Europe, dont les
représentants les plus en vue ont directement mené la guerre dans la mesure de
leurs moyens, qu'il s'agisse de Blair, Schröder ou Jospin, sans trop de
résistances internes dans les partis sociaux-démocrates. Tout aussi
significative fut la position des centrales syndicales, alignées elles aussi,
se félicitant parfois ouvertement de la prise de Kaboul.
Ce à quoi on doit ajouter que ceux des prolétaires
et jeunes qui cherchaient à engager le combat contre l'intervention ont vu se
mettre en place un dispositif dont l'armature fut fournie par les organisations
se réclamant frauduleusement du trotskysme, et notamment celles du Secrétariat
Unifié (en France, la LCR) qui renvoyaient dos à dos les camps en présence dans
cette guerre au nom du caractère clérical et ultra-réactionnaire du régime
Taliban. Proclamant -ouvertement ou non - que cette guerre n'était pas la leur,
ils oeuvraient pour leur compte au désarmement du prolétariat sur la question.
Au total, c'est sans réelle opposition que
l'impérialisme a pu mener sa sinistre besogne en Afghanistan (il suffit de
comparer avec les réactions – dévoyées par les appareils –qu'avait suscité la
guerre contre l'Irak en 1991). Cela fait partie intégrante de son succès qui
est d'abord politique contre les prolétariats du monde entier. Mais même dans
des conditions politiques relativement favorables pour ses défenseurs, le mode
de production capitaliste n'en reste pas moins ce qu'en écrivait Lénine en
1916:
"Monopoles,
oligarchie, tendances à la domination aux lieu des tendances à la liberté,
exploitation d'un nombre toujours croissant de nations petites ou faibles par
une poignée de nations extrêmement riches ou puissantes, tout cela a donné
naissance aux traits distinctifs de l'impérialisme qui le font caractériser
comme un capitalisme parasitaire ou pourrissant."
A propos de la situation économique mondiale, il
faut d'abord rappeler: les attentats du 11 septembre ne sont pas la cause du
ralentissement général. Ainsi, aux Etats-Unis, en rythme annuel, le PIB a
baissé de 1,3% au second trimestre, et de 1,1% au troisième, selon les données
actuelles. Autrement dit, c'est bien avant le 11 septembre que le
ralentissement de l'économie américaine avait commencé. A son origine,
l'essoufflement des conditions qui ont permis un phase de croissance de huit
années (1992-2000) - croissance dont l'ampleur et la durée sont grosso modo
identiques à celle du cycle précédent (1982-1991) – autrement dit, la baisse du
taux moyen de profit. Ainsi, le ralentissement général de l'économie a été
précédé du ralentissement de la production industrielle, qui a commencé à l'été
2000, avant de s'étendre à toutes les branches de l'économie, ainsi que CPS
l'a déjà analysé.
A la limite, peut même se produire le contraire de
ce qu'annoncent les commentateurs officiels: les attentats ont permis d'une
part de créer un climat d'union sacrée permettant des licenciements par
dizaines de milliers, qui contribuent au rétablissement du taux de profit. Le
nouveau maire de New-York, le milliardaire Bloomberg, annonçait ainsi fin
décembre que les effectifs municipaux seraient amputés de 20% !
Dans le même temps, la guerre (dont le coût serait
environ d'un milliard de dollars par jour) pris en charge par l'Etat fédéral
constitue un débouché nouveau pour de nombreux secteurs de l'économie, tous
ceux qui vivent directement de l'économie d'armement, qu'il s'agisse de la
sidérurgie, de la chimie, ce à quoi on doit ajouter les affaires mirobolantes
en perspective pour les compagnies pétrolières américaines.
En tout état de cause, selon le rapport de décembre
du Fonds Monétaire International, la croissance mondiale serait pour 2001 et
2002 à des niveaux historiquement bas. Ainsi pour ces deux années, le PIB des
USA croîtrait de 1% et de 0,7% contre 4% les années précédentes, celui du Japon
diminuerait de 0,4% puis 1%, celui de l'Allemagne n'augmentant que de 0,5% et
0,7%. Le commerce mondial stagnerait.
Quant à l'Union Européenne, les péroraisons des
Fabius et ses comparses en Europe n'y changent rien, pas plus que la
"dévaluation compétitive" de fait qu'a connu l'Euro depuis son
lancement par rapport au dollar. Avec des degrés divers, tous les pays sont
entraînés dans la même tendance à la stagnation économique, Allemagne en tête.
On doit à ce sujet relever que l'Euro va connaître son vrai baptême du feu:
c'est dans des circonstances analogues – la récession de 1992/93 – que le
Système monétaire européen avait éclaté. L'existence d'une monnaie commune à
des économies concurrentes et inégales dans une conjoncture économique
difficile va faire immanquablement ressurgir les tendances identiques. Ajoutons
que l'inertie de la Banque centrale Européenne comparé à la politique de la
Réserve Fédérale américain s'explique précisément par la difficulté de mener
une politique répondant des économies nationales largement antagoniques et concurrentes.
L'Union Européenne, comme son Euro, sont voués à l'éclatement, même si l'on ne
peut en prédire les échéances.
A cette conjonction sans précédent du ralentissement
simultané des trois premières économies mondiales se combine la santé
chancelante des marchés financiers. Wall Street a connu deux années de baisse
consécutive, ce qui ne s'était pas produit depuis 27 ans. Mais la baisse est
restée limitée (7% sur le Dow Jones, 13% sur le S&P500 – 21% sur le
Nasdaq), au regard des 20% de baisse moyenne enregistrés à Paris, Francfort,
Londres ou Tokyo.
Le ralentissement général de l'économie capitaliste,
les menaces sur la bulle financière posent la question de la faillite générale
de l'ensemble du mode de production capitaliste. En est un symptôme la faillite
du conglomérat de l'énergie Enron, rendue officielle le 12 décembre, faillite
qui est la plus importante de toute l'histoire américaine. L'action d'Enron
était cotée à quelques cents contre des dizaines de dollars cet été. Ce
"capital" fictif s'est évaporé devant l'annonce de pertes massives
ainsi que l'échec d'une procédure de sauvetage par fusion avec un concurrent,
réduisant à néant d'un coup la possibilité de l'entreprise de s'en sortir
(d'autant que de nombreuses irrégularités ont été mises à jour, dans lesquelles
l'administration Bush est peut-être mouillée). Enron montre le chemin que
pourrait prendre l'ensemble des groupes capitalistes: baisse des profits, chute
du cours en bourse, ou autrement dit de la possibilité de recourir au crédit
pour faire face aux échéances, et faillite au bout du compte.
Aussi, ayant conscience de ce danger, le capitalisme
US a pris des mesures qui rompent avec le mode de financement de l'économie
depuis les années 80. La banque fédérale a porté le 11 décembre son taux de
base à 1,75% (contre 6,50% au début de l'année 2001), soit un niveau nettement
inférieur à l'inflation. Il s'agit ainsi d'une part de permettre le recours
massif au crédit pour permettre aux capitalistes américains de traverser la
récession, mais encore d'éviter un krach boursier. Au vu de la remontée de Wall
Street le dernier trimestre, cet objectif a été atteint. Dans le même temps, le
gouvernement a recouru à l'injection massive de crédits dans l'économie,
notamment les crédits d'armement.
Autrement dit, on assiste à la fois à la fin
(provisoire) de la politique monétariste des taux élevés et aussi à un retour à
l'intervention de l'Etat. Le Financial Times du 6 octobre 2001
commentait cette amorce de tournant ainsi:
"On
peut valablement soutenir que, dans la mesure où la globalisation signifie des
contraintes à l'action des gouvernements et la diffusion des valeurs du marché
sous l'inspiration des Etats-Unis, le courant s'est renversé."
Mais en réalité, de tels expédients ont déjà été
employés au Japon, Etat largement endetté (à hauteur de 130% du PIB), où les
plans de relance se sont succédés. Mais dans ce pays, les faillites se
poursuivent. C'est que, malgré les promesses du gouvernement Koizumi, la purge
nécessaire à la relance durable de l'économie capitaliste dans ce pays
nécessite de liquider nombres d'acquis ouvriers ainsi que de canards boiteux du
capitalisme japonais, ce qui paraît difficile à un gouvernement qui reste
appuyé sur le vieux parti Libéral-Démocrate (sorte de Démocratie Chrétienne
nippone). Aussi l'économie japonaise subit-elle de plein fouet la perte de
débouchés que signifie pour elle le ralentissement marqué aux USA.
Mais
il est aujourd'hui un pays qui concentre à la fois les traits les plus poussés de
la crise récurrente du mode de production capitaliste et des questions
politiques auxquelles la classe ouvrière est confrontée: l'Argentine.
En
Argentine, l'effondrement financier conjugué à la lutte des classes a conduit à
une véritable situation pré-révolutionnaire. Que s'est-il passé? Les bons
élèves du FMI, qui ont durant des années mené strictement la politique
correspondant aux vœux de l'impérialisme. Plus encore qu'ailleurs en Amérique
latine, l'appareil productif de ce pays et les services publics ont été
privatisés, bradés, déchiquetés, soumis aux besoins des puissances
impérialistes, livrés à la voracité des grands groupes américains, espagnols,
français et britanniques.
Mais
encore, l'Argentine a maintenu contre vents et marées la parité entre sa
monnaie (le peso) et le dollar, pour maintenir l'afflux des capitaux étrangers.
La dévaluation du Réal brésilien lors de la crise de 1998 n'a du coup fait
qu'accroître les difficultés, alors que, en soi, la situation financière brute
de l'Argentine n'est pas aussi mauvaise que celle du Brésil. L'endettement de
l'Argentine représente en effet 50% du PIB contre 45% pour le Brésil, le
déficit public argentin est de 3% du PIB contre 6% au Brésil. Mais la structure
de la dette argentine – émissions obligataires en devises fortes -la rendait
plus vulnérable.
Surtout,
le fardeau de la dollarisation s'est conjugué à des problèmes politiques. Dans
l'incapacité de faire passer son plan de "zéro déficit", le
gouvernement de De la Rua s'est retrouvé dans une situation intenable. Les
mesures prises contre les masses – baisse de 13% des salaires et des pensions,
limitation des retraits bancaires –, la situation du prolétariat – 40% des
Argentins sont sous le seuil de pauvreté, et, chose incroyable dans ce pays, la
faim menace les travailleurs qui ont été contraints de mettre à sac les supermarchés,
ont précipité sa chute.
Lors
de deux journées, les 19 et 20 décembre, malgré une répression policière
féroce, le soulèvement populaire a eu raison de De la Rua.
En
haut, on, ne peut plus. La bourgeoisie argentine est en panique, elle cherche
une issue désespérément. Elle a dû renoncer au paiement de sa dette, en
catimini d'abord (en n'honorant pas les traites), puis très officiellement. Le
péroniste Saa, président moins d'une semaine, a tenté de lancer une nouvelle
monnaie "intérieure", se substituant aux monnaies provinciales émises
dans le désordre pour payer les salaires et retraites qui ne peuvent plus être
versés en pesos. Les déchirements de la bourgeoisie argentine l'ont fait
chuter, concomitamment à des manifestations importantes dans Buenos Aires lors
desquelles le parlement a été envahi (mais il n'y avait aucune protection
policière ce jour-là, signe que de nombreux secteurs de la bourgeoisie
voulaient aussi la chute de Saa) .
Le
nouveau président Duhalde a annoncé la fin de la dollarisation en même temps
qu'il reconnaissait la ruine du pays. La limitation des retraits bancaires (le
"corralito") ne signifie en effet rien d'autre que … les caisses sont
vides.
En
bas, les masses qui ont remporté une importante victoire en faisant choir le
gouvernement de la Rua cherchent une issue. A peine Duhalde nommé, des
manifestations hostiles se tenaient contre lui (prudent, le congrès argentin a
annulé les élections présidentielles annoncées initialement pour mars). La
question est posée de la constitution de "comités d'action", de
ravitaillement, de contrôle ouvrier sur la production, pouvant devenir les
fondements d'un véritable pouvoir ouvrier, d'un gouvernement ouvrier et paysan
appuyé sur la centralisation de ces comités. Mais pèse lourdement sur le
prolétariat argentin l'absence de parti ouvrier, constituant sa représentation
politique et duquel il pourrait exiger qu'il combatte pour prendre le pouvoir.
Un
tel gouvernement ouvrier et paysan seul pourrait prendre les mesures qui
s'imposent pour mettre fin à la situation catastrophique qui frappe le
prolétariat argentin: la répudiation définitive de la dette, la mise sur pied
d'un plan de production satisfaisant les besoins urgents des masses, qui
implique l'expropriation des groupes capitalistes en particulier des banques,
de l'agro-alimentaire, du commerce, dans la perspective des Etats-Unis
socialistes d'Amérique latine.
En Argentine, comme ailleurs, fait défaut un parti
ouvrier révolutionnaire agissant sur ces mots d'ordre.
Sa construction, celle d'une internationale ouvrière
révolutionnaire, sera liée à la capacité de mettre en avant les réponses
politiques saisissables par de larges masses, de s'organiser pour les faire
valoir. C'est ce à quoi entend contribue, à la mesure de ses moyens, en
utilisant les acquis politiques issus du combat pour la IV° Internationale,
notre Cercle.