Article paru dans Combattre
pour le Socialisme n°67 (avril
1997)
Adoption de la loi Debré: une défaite
due au PS, au PCF et aux dirigeants syndicaux
Le vote du projet de loi Debré par la majorité RPR-UDF à l’Assemblée
nationale le confirme: le gouvernement Chirac-Juppé est le gouvernement le plus
réactionnaire depuis Vichy.
L’article 1 du projet adopté à l’Assemblée le 19 février et au Sénat le
7 février semble avoir été recopié sur l’ordonnance promulguée par le
gouvernement Pétain en décembre 1941. Cette ordonnance spécifiait : "les
personnes juives ou non juives qui hébergent des juifs à quelque titre que ce
soit devront faire au commissariat de police une déclaration spéciale".
L’article 1 (initial) du projet de loi Debré reprenait :
"toute personne ayant signé un certificat d’hébergement ou hébergé un ressortissant étranger, dans le cadre d’une visite privée au sens du présent article, doit informer la mairie de la commune de résidence du départ de l’étranger accueilli."
Mais toute la loi Debré est une loi qui renforce le
caractère policier de l’État, une loi qui restreint les libertés démocratiques,
qui développe la répression contre les prolétaires et jeunes issus de
l’immigration: une loi vichyste.
Le délai de maintien en rétention des étrangers sans papiers est doublé
(de 24 à 48 heures), et, pire encore, si la préfecture fait appel d’une
décision de remise en liberté, cet appel est suspensif de la décision de
justice. En clair, la police pourra garder sous la main un étranger en
situation irrégulière pendant des semaines dans un de ses centres de rétention.
Pour la première fois depuis Vichy, la police pourra intervenir dans
les entreprises sous couvert de débusquer les travailleurs "au noir"
(au lieu d’étendre le pouvoir d’intervention et de sanctions, contre les
patrons, des inspecteurs du travail) Son droit à fouiller les véhicules est étendu.
Un fichier d’empreintes digitales des demandeurs de visa va être constitué,
ainsi qu’un fichier des hébergeants dans chaque préfecture.
Enfin, la carte de séjour de dix ans verra son renouvellement soumis à
conditions: l’État français pourra le refuser s’il considère que l’étranger en
question a "troublé l’ordre public". Pour les sans-papiers
non-expulsables (comme les parents d’enfants nés en France), une carte de
séjour d’un an est créée: elle ne peut leur permettre de trouver ni travail, ni
logement décent, mais elle facilitera le travail de la police et de la justice.
La loi Debré est une nouvelle preuve des buts du Chirac-Juppé :
retourner aux objectifs initiaux de la Vème République gaulliste, instaurer un
État bonapartiste, un État policier défenseur de l’ordre moral. C’est le
gouvernement qui a fait condamner le groupe de rap "NTM" pour
"outrage à la police" à de la prison ferme, et qui a officialisé par
la voix de Chirac, le 12 décembre 1996, le fait que la police procède à des
"rafles". C’est le gouvernement qui a pérennisé le plan
"Vigipirate" qui plante dans les grandes villes une toile de fond
policière et militaire menaçante, tandis que se multiplient les violences
policières dans les cités.
Un
projet de longue date
Le renforcement du caractère policier de l’État procède de la situation
de crise du capitalisme français: la bourgeoisie n’a aucun autre avenir à
offrir au prolétariat et à la jeunesse que la déchéance sociale, les
licenciements, la précarité et la misère.
C’est pourquoi, en plus du renforcement de la collaboration avec les
dirigeants des organisations ouvrières, le gouvernement Chirac-Juppé procède au
renforcement de l’État bourgeois (réforme de la Justice, création d’une armée
de métier, de guerre civile, ...), multiplie les lois pour diviser la classe
ouvrière (en frappant sa fraction la plus exposée) et pour préparer
l’affrontement avec elle..
Qui plus est, avec l’élection de Chirac en mai 1995, la Vème République
a été remise en ordre de bataille, le RPR en détenant l’essentiel des leviers.
L’instauration de cette Vème République visait à instaurer un pouvoir fort, à
porter des coups décisifs aux organisations ouvrières et aux libertés
démocratiques, pour instaurer un régime bonapartiste. Un des éléments de cette
politique a été la répression contre les travailleurs immigrés. Le 17 octobre
1961, le gouvernement de Gaulle et son préfet M. Papon font massacrer des
centaines de militants du FLN, battus à mort dans la cour de la préfecture de
police, leurs cadavres balancés dans la Seine.
Le renforcement de la Vème République était un des axes de campagne du
candidat Chirac. Dès le 13 octobre 1995, une commission parlementaire travaille
sur le durcissement des lois Pasqua. Le 16 avril 1996, elle publie son rapport.
L’occasion d’avancer vers sa mise en œuvre a été donnée par l’issue de
l’affaire des sans-papiers qui ont occupé l’église Saint-Ambroise, puis
l’église Saint-Bernard jusqu’à fin août 1996. L’Insurgé (le bulletin de
liaison des étudiants révolutionnaires) a rendu compte de ces développements
dans son numéro 14.
Rappelons ici que la ténacité des sans-papiers menaçait de constituer
un point d’accroche à la volonté du prolétariat d’engager le combat contre le
gouvernement. Des manifestations significatives avaient eu lieu à Paris en
plein mois d’Août. Jusque là, le PS, le PCF, les dirigeants syndicaux avaient
fait silence. Mais à l’initiative de R Hue, le PCF, le PS, les dirigeants
syndicaux (CGT, SNES, UNEF-se....) flanqués de la LCR et de LO s’adressaient à
J.Chirac :"au delà des considérations de nature politique",
afin que "l’image de la France" ne soit pas "durablement
ternie", ils demandaient au Président de la République "d’intervenir
auprès du gouvernement afin que celui-ci reprenne immédiatement les
négociations". À ce moment là, de telles négociations avaient
obligatoirement pour cadre les lois Pasqua. Ils permettaient ainsi au
gouvernement l’entrée à la hache dans l’église Saint Bernard et l’expulsion
hors du territoire français de centaines de "sans papiers".
La voie était libre pour le gouvernement. Le 25 août, Chirac annonce :
"les lois Pasqua seront clarifiées pour être plus efficaces",
précisant "nous avons pris une option de très grande fermeté à l’égard de
l’immigration". Après discussion en commission, le projet de loi Debré est
adopté en conseil des ministres le 6 novembre 1996 et voté l’Assemblée le 19
décembre 1996. Le PS, le PCF, n’engageront même pas un semblant de combat. Lors
du débat à l’Assemblée, leurs députés n’ont pas daigné se déplacer, mis à part
les préposés habituels à "l’antiracisme", tel J.Dray (PS). A son
tour, le Sénat adopte le projet le 7 février.
Il semble à ce moment que le PS, le PCF et les dirigeants syndicaux
vont permettre à ce projet de loi scélérat de passer comme une lettre à la poste.
l'appel
des cinéastes ouvre la voie
Le 11 février est publié un appel de 59 cinéastes, suite à la
condamnation de l’enseignante J.Deltombe pour "aide au séjour
irrégulier", appel dans lequel ils demandent leur mise en examen
collective, appellent à désobéir aux "lois inhumaines" et
déclarent : "nous continuerons à héberger, à ne pas dénoncer, à
sympathiser, et à travailler sans vérifier les papiers de nos collègues et amis".
Les signataires vont immédiatement réclamer le retrait de toute la loi Debré, éclairant
le sens de leur appel: un appel à engager le combat contre le gouvernement
Chirac-Juppé et sa politique.
Cet appel devait être soutenu inconditionnellement, car il ouvrait une
brèche permettant que le combat s’engage. Rapidement, des dizaines de milliers
de signatures affluent, essentiellement chez les étudiants, les lycéens et les
enseignants - chercheurs. Mais ce n’est là que la partie émergée d’un mouvement
de fond: derrière la masse de signatures, c’est la masse du prolétariat qui
cherche les voies pour défaire le gouvernement Chirac-Juppé.
Dans le même temps, dès le départ, la forme prise par ce combat qui
s’engage contient en germe les éléments de la dislocation de ce combat. D’une
part, parce que l’accent est mis sur la seule question de l’hébergement des
étrangers en situation irrégulière. Mais surtout parce que la forme d’appels à
titre individuel permet de masquer la responsabilité des organisations du
mouvement ouvrier, partis et syndicats. C’était à eux d’engager le combat sur
cette question, d’organiser la montée en masse pour réaliser la manifestation
nationale de la classe ouvrière et de la jeunesse à l’Assemblée, sur le mot
d’ordre de retrait du projet de loi Debré.
L’appel des cinéastes "à la désobéissance civile", aux
"citoyens", leur refus de s’adresser aux dirigeants des organisations
ouvrières qu’ils ont exprimé par crainte de toute "récupération"
politique vont être autant de points d’appui pour les directions syndicales, le
PS et le PCF. N’importe: dans un premier temps, tous sont bousculés par le flux
qui s’engage derrière l’initiative des cinéastes.
l'existence
du gouvernement est en jeu
C’est bien d’un mouvement de fond dont il s’agit, et il faut le
souligner. Les cinéastes se sont vus accusés d’être une "élite"
coupée du "peuple" par de nombreux politiciens du RPR. E.Raoult,
ministre de la ville du gouvernement tenait ouvertement le langage de Le Pen en
les engageant à aller dans les cités (ce qui signifie que la vie dans les cités
serait difficile à cause des immigrés). Pour sa part, A.Laguiller, qui usurpe
la qualification de trotskyste écrivait de la même manière dans Lutte
Ouvrière du 21 février : "les intellectuels sont loin des
préoccupations des travailleurs, y compris des préoccupations de la grande
masse des travailleurs immigrés".
S’il ne s’était agi que d’une poignée de cinéastes, le gouvernement les
aurait traités comme on mouche un enfant gâté qui fait un caprice. Mais leur
appel a rencontré un écho profond au sein de la classe ouvrière et de la
jeunesse. C’est pourquoi le gouvernement se trouve pour un temps sur la
défensive. Toute la semaine précédant la manifestation du 22 février, les
rumeurs de démission de Debré enflent, au point que la question lui est posée
plusieurs fois par des journalistes.
Pour leur part, le PS, le PCF et les dirigeants syndicaux sont
contraints de prendre position, de réajuster leur dispositif. Ainsi, alors que
Jospin déclare encore le 17 février sur France Inter que l’article 1 doit être
retiré, mais que le projet de loi Debré contient "quelques dispositions
positives" (sic!), le 19 février, le PS tourne. Après son bureau
national, sous la pression des clans Fabius et Emmanuelli, le PS se prononce
formellement pour le retrait de tout le projet de loi. Le même Fabius s’engage
à fond dans la bataille parlementaire.
Mais précisément parce que s’engage un mouvement de fond remettant en
cause l’existence du gouvernement, le PS, le PCF et les appareils syndicaux
multiplient les initiatives pour protéger le gouvernement Chirac-Juppé. De
toute évidence se pose la question d’interdire à la majorité RPR-UDF de voter
cette loi, ce à quoi répond l’organisation d’une gigantesque manifestation à
l’Assemblée pour balayer le projet de loi Debré, ce qui exige de combattre pour
le front unique des organisations ouvrières, enseignantes et étudiantes pour
réaliser une telle manifestation. Le gouvernement en serait mortellement
atteint.
contre-feux
et barrages en tout genre
L’appel des cinéastes à peine connu, surgit un nouvel appel, celui des
"121 noms difficiles à prononcer". A l’origine de cet appel,
A.Krivine (LCR) explique dans Le Monde du 25/02/97 : "après l’appel des
cinéastes, on s’est réuni en catastrophe et on a accéléré ce qui allait devenir
l’appel des 121". Parmi ceux-ci des responsables de la CGT, du PCF, de
la LCR, flanqués des bons samaritains qui ont fait leurs "preuves"
lors de l’affaire des "sans-papiers" de Saint-Bernard. C’est aux
organisations ouvrières (partis et syndicats) qu’il appartient d’engager le
combat, ce sont elles qui peuvent mobiliser la masse du prolétariat pour le
retrait de la loi Debré.
Or, masquées derrière leurs "121 noms", celles-ci rejettent
toute la responsabilité sur les actions individuelles, donc impuissantes, des
"citoyens". Cet appel est un obstacle dressé "en catastrophe"
face au mouvement qui cherche à s’engager.
Les "121 noms" appellent à manifester le samedi 22 février de
la gare de l’Est à la préfecture de police. Toute une comédie (invitation aux
manifestants à venir avec une valise, cortège ouvert par des personnalités
"citoyennes"), et une campagne sur les "valeurs de la
république" cadrent cette manifestation. Son but est clair : éviter que
l’affrontement s’engage ouvertement avec le gouvernement Chirac-Juppé.
Pendant ce temps, les dirigeants des confédérations ouvrières jettent
tout leur poids pour paralyser la classe ouvrière.
Libération du 25 février publie des témoignages de délégués syndicaux
d’entreprise. Tous s’opposent à ce que des pétitions circulent contre la loi
Debré. "Je ne la ferai pas circuler dans l’entreprise"
(responsable FO Moulinex), "le premier souci des salariés, c’est
l’emploi" (responsable CGT Disney), "En revanche, la CGT doit
s’exprimer sur les idées du FN" (responsable CGT Peugeot). Certains
atteignent des sommets d’ignominie: "la pétition ne circule pas. Chez
Moulinex, il y a très peu d’immigrés" (responsable CFDT Moulinex) !
Dans les villes, le PS et le PCF mènent la même politique. Le Journal
du dimanche du 23 février publie un reportage sur le quartier des minguettes, à
Vénissieux, dont le maire est au PCF. Une interview de "Salim, 23
ans" résume bien la situation. Il déclare :
"Si A.Gérin (le maire -
Ndlr) était vraiment opposé à cette loi, je pense qu’il aurait dû faire passer
le message dans les quartiers, sensibiliser les Vénissians, initier une
pétition locale ou ouvrir une permanence téléphonique. Mais il ne l’a pas fait,
dommage..."
De plus, le PCF liera systématiquement la question
du projet de loi Debré à l’abrogation des lois Pasqua, pour faire peser sur le
mouvement une charge aussi lourde que possible.
Les directions syndicales enseignantes se disposent elles aussi. La FSU
et la FEN signent un communiqué avec la CGT, la CFDT et l’UNSA le 19 février.
Elles y "condamnent" le projet de loi, mais n’en demandent pas le
retrait. Elles appellent à la manifestation du 22 février et, pour le jour du
vote à: "faire du 25 février, jour de la discussion à l’Assemblée
nationale, un temps fort de débats sur les lieux de travail et de
manifestations". C’est la bousille, un appel aux enseignants et à tous les
travailleurs à rester "sur les lieux de travail".
Pour sa part, la direction FO "encourage" ses adhérents à
manifester le 22 février "en tant que citoyens". Aucun d’entre eux
n’appelle à la grève.
A l’Université, le mouvement ne peut être comprimé par les appareils.
Aussi, les dirigeants de l’UNEF-ID et de l’UNEF-se prennent immédiatement leurs
dispositions pour dévoyer les aspirations à engager le combat contre le
gouvernement.
au
nom de la lutte contre le front national
C’est chez les étudiants que les professionnels de
"l’antifascisme" ont concentré leurs efforts. Les étudiants sont en
effet naturellement à l’avant-garde du combat pour le retrait de la loi Debré.
Après avoir repris dans un premier temps l’appel des cinéastes, les dirigeants
PS et LCR de l’UNEF-ID embrayent sur un appel contre "la lepénisation
de la société", et qui noie la revendication de retrait de la loi
Debré sous celles de la réintégration du directeur du TNDI de Chateauvallon (viré
par la mairie FN) et la démission du préfet du Var.
En conséquence, le PS et la LCR font monter en première ligne leurs
satellites : SOS-Racisme, Le Manifeste contre le Front National, et
Ras-l’front.
Il faut rappeler que le fascisme, c’est l’organisation de bandes armées
pour détruire le mouvement ouvrier, comme les chemises noires en Italie ou les
chemises brunes de Hitler.
Le FN n’est pas un parti fasciste. C’est un parti bourgeois
ultra-réactionnaire qui combat, comme son organisation jumelle en Italie,
l’Alliance Nationale (ex-MSI), pour l’instauration d’un régime bonapartiste,
d’un pouvoir fort. Le développement du FN a eu lieu après l’élection de
Mitterrand candidat du PS et d’une majorité PS-PCF en 1981, élections qui
marquaient l’échec de la Vème République à atteindre ces objectifs-là.
Aujourd’hui, le FN sert en tous domaines de poisson-pilote pour le
gouvernement Chirac-Juppé, il pèse sur celui-ci pour qu’il reprenne à son
compte et impulse sa politique. Loi Debré, multiplication des charters, rafles
policières. le gouvernement Chirac-Juppé-Debré, mène la politique réclamée par
Le Pen.
Le combat réel contre le FN, c’est le combat contre le gouvernement
Chirac-Juppé, pour le vaincre et le chasser. Or, derrière le PS, le PCF et la
LCR, les SOS-Racisme et autres Ras-l’front opposent l’un à l’autre, se drapent
dans les "valeurs de la république" de la "citoyenneté",
dans l’union sans rivage à droite incluant le RPR, qualifié de parti
"républicain".
Le PS, le PCF et les dirigeants syndicaux partagent les "valeurs
(dites) républicaines" du capitalisme pourrissant, celles qui intiment
l’ordre aux peuples des pays dominés de rester mourir de faim chez eux,
victimes du pillage et de la spoliation organisée par les grandes firmes
capitalistes françaises. Ainsi, à l’Assemblée, P.Braouzec, PCF, se prononçait
le 25 février pour une: "véritable maîtrise de l’immigration
irrégulière réaliste et juste". Il reprochait même à la loi Debré
d’affaiblir l’appareil d’État bourgeois :
"elle détourne la police de sa seule mission qui est d’assurer la
sécurité et creuse chaque jour un peu plus le fossé entre cette police et la
population, les jeunes en particulier." (sic!).
Enfin, il en appelait à "un véritable pacte républicain nous [quel
"nous" ? - Ndlr] interdisant désormais d’utiliser l’immigration comme
arme dans le combat politique".
Sur une telle base, Juppé pouvait donner dans Le Monde du 26 février
1997 tout son sens à la prétendue lutte anti-FN: un levier pour l’union
nationale. Fort à propos, la veille, une interview de la femme du dirigeant
Front National B.Megret (FN) était parue dans un quotidien allemand, dans
laquelle elle s’affirmait ouvertement raciste.
Juppé n’avait plus qu’à conclure : "pourquoi ce malentendu qui
oppose ceux qui, aujourd’hui, devraient être côte à côte ?" en
appelant "à rester solidaires, rassemblés autour de l’héritage de la
République, quels que soient nos choix politiques".
le
gouvernement manoeuvre
Appuyé sur l’activité déployée par les appareils pour interdire que
l’existence du gouvernement du capital ne soit remise en cause, celui-ci a
recours à une manœuvre pour désamorcer la situation. Profitant de ce que
l’accent avait été mis dès le départ sur la question des certificats
d’hébergement, il fait proposer le 19 février par le député RPR Mazeaud une
nouvelle rédaction de l’article 1. Elle confie aux préfectures le soin de
contrôler les certificats et reporte sur l’étranger hébergé la responsabilité
de déclarer lui-même son départ.
L’objectif est clair: "dégonfler" la mobilisation. Mais il
n’y a là aucun recul du gouvernement. R.Pandraud, député RPR responsable de la
"sécurité" du gouvernement Chirac-Pasqua au moment de l’assassinat de
Malik Oussekine en 1986, commente: "c’est aussi efficace, sinon plus".
Le 22 février, 100 000 personnes environ manifestent à Paris, et
seulement quelques milliers en province. Cela traduit le fait que les appareils
ont gardé la maîtrise de la situation. L’hésitation des manifestants face à la
manœuvre du gouvernement est physiquement perceptible: c’est une manifestation
sans slogans, noyée de symboles "républicains".
Il faut souligner que ni le 22, ni le 25 février, l’UNEF-ID ou
l’UNEF-se ne formeront de cortège. Les bureaucrates étudiants se situent sur
l’orientation de leurs grands frères, ceux des confédérations et fédérations
syndicales : la loi Debré est une affaire de "citoyens". Le PS et le
PCF assurent une présence symbolique. Jospin s’est abrité en manifestant à
Toulouse.
Le PCF pourra se féliciter à la "une" de l’Humanité du
24 février: "une leçon de civisme". Le cadre de la
manifestation, dirigée "contre l’article 1" selon R.Hue (Le
Monde daté du 25/02), a fonctionné. L.Jospin peut embrayer le dimanche soir
sur France 2 :
"tous ceux qui ont
participé à ce mouvement doivent se dire "nous avons gagné", car sur
le point qui avait déclenché les pétitions - l’appel à délation - le
gouvernement a reculé ".
une
défaite sévère
Le 25, jour du vote à l’Assemblée, il ne reste plus aux appareils du
mouvement ouvrier (particulièrement ceux des syndicats étudiants) qu’à enterrer
les dernières possibilités de combat.
L’appel des collectifs de signataires à cette manifestation donne le
ton. Il n’y est plus question du retrait du projet de loi Debré. Ils appellent
"tous les citoyens de ce pays à se rassembler devant les mairies et les
préfectures. A Paris, des actions diverses (sic!) se dérouleront autour de
l’Assemblée nationale. Un rassemblement se tiendra carrefour de l’Odéon."
C’est la dislocation totale. Sur les facs parisiennes, l’UNEF-se et la CNT
tentent même (en vain) d’organiser des assemblées générales ... sur la
"réforme"-destruction de l’Université ! Les milliers d’étudiants qui
se rendent malgré tout à la manifestation sont baladés dans Paris. Pour finir,
de nouvelles manifestations sont annoncées pour les 9 et 11 mars. "On
achève bien les chevaux"...
Dès le 25, Le Monde peut titrer : "la protestation
civique se prolonge contre le Front National" : le gouvernement n’est
plus menacé. Le 2 mars, Chirac pourra, pour la première fois, reprendre
nettement à son compte la loi Debré. Avant même le vote par le Sénat et
l’adoption définitive à l’Assemblée, la loi Debré est passée. C’est une défaite
pour toute la classe ouvrière, pour la jeunesse.
L’adoption de la loi Debré ne peut que faire peser sur le prolétariat
et la jeunesse un sentiment qu’il est impossible de vaincre le gouvernement
Chirac-Juppé, a fortiori de pouvoir le chasser. Le gouvernement Chirac-Juppé
est renforcé. Il peut même envisager de gagner les élections législatives (de
son côté, Jospin voit sa position au sein du PS affaiblie).
Le PS, le PCF, les dirigeants des organisations syndicales ouvrières,
enseignantes et étudiantes portent l’entière responsabilité de cette défaite.
des
initiatives importantes
A l’Université, le 24 février, à l’initiative des étudiants
révolutionnaires éditant le bulletin l’Insurgé 500 étudiants de Lille,
Paris et Dijon s’adressaient aux dirigeants syndicaux, au PS, au PCF : "Il
est possible d’arracher le retrait du projet de loi Debré. Pour cela, organisez
par tous les moyens possibles la montée en masse à Paris pour réaliser une
manifestation nationale et centrale à l’Assemblée pour le retrait du projet de
loi Debré." L’AGE de Dijon de l’UNEF-ID a repris cette position à son
compte.
Dans différents établissements scolaires de la région parisienne, des
appels similaires ont été repris, notamment par la majorité des enseignants du
collège Matisse d’Issy (92).
L’écho rencontré par ces appels montre sur quelle orientation il était
possible d’arracher le retrait du projet de loi Debré, de vaincre le
gouvernement Chirac-Juppé.
Le combat pour le retrait de la loi Debré pose les mêmes problèmes
politiques que chaque combat de la classe ouvrière, de la jeunesse. Pour
l’abrogation des lois racistes, pour les doits politiques égaux pour tous les
travailleurs (à commencer par le droit de vote des travailleurs immigrés à
toutes les élections), pour la défense des plus élémentaires libertés
démocratiques menacées (droit d’asile...), il est indispensable de combattre
pour que se réalise le Front unique des organisations ouvrières (partis et
syndicats) contre la politique ultra-réactionnaire du gouvernement
Chirac-Juppé, pour le vaincre et le chasser. Seule cette orientation pouvait
permettre d’arracher le retrait du projet de loi Debré, de défaire le
gouvernement de l’impérialisme français en crise.
Les initiatives prises en ce sens sont autant de jalons vers la construction de l’indispensable parti ouvrier révolutionnaire pouvant mettre en œuvre une telle orientation.
26 mars 1997
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