Article paru dans Combattre pour le Socialisme  n°66 (février 1997)

Bill Clinton et le congrès républicain réélus:

Une nouvelle étape dans l'offensive
contre le prolétariat américain

Le 4 novembre 1996, B.Clinton a été réélu président des États-Unis avec plus de 50% des voix (43% en 1992) contre 41% au candidat républicain B.Dole, et 8% au milliardaire R.Perot.

Au congrès, les républicains ont gardé la majorité absolue, tant au Sénat qu’à la chambre des représentants.

La participation a été inférieure à 50%, ce qui ne s’était pas produit depuis ...1924. En particulier, malgré les 30 millions de dollars dépensés par la direction de l’AFL-CIO en faveur de Bill Clinton et des candidats démocrates, la masse des prolétaires américains n’ a pas voté.

Vers l'union nationale

Dès le soir de son élection, Clinton prononçait un discours dans lequel il appelait les démocrates et les républicains à placer "le pays avant le parti". Le 8 novembre, il annonçait son intention de nommer des républicains au gouvernement.

Fin novembre, N.Gingrich, "speaker" (président) de la chambre des représentants, réélu à ce poste en janvier (malgré son implication dans de nombreuses "affaires"), "a renouvelé sa promesse de travailler en collaboration avec le président Clinton" (Le Monde - 27/11/96). Le 5/12, W.Cohen, républicain, ancien sénateur, était nommé secrétaire à la Défense par Clinton. Au travers de ces développements s’esquisse une sorte d’union nationale, réunissant le parti républicain et le parti démocrate.

Certes, Le Monde du 7/12/96 note bien que W.Cohen "n’est pas d’avantage représentatif de la majorité des élus républicains". D’autre part, depuis 1968, la configuration la plus fréquente aux USA a été celle d’un président républicain coexistant avec un congrès démocrate, sans crise majeure qui en résulte. En effet, Républicains et Démocrates sont deux partis bourgeois, représentants du grand capital américain, utilisés par telle ou telle fraction du capital financier, au travers de groupes de pressions (les "lobbies").

Mais il n’empêche: la réélection de Clinton, celle du congrès républicain, la nomination d’un républicain à un poste gouvernemental d’importance, pourraient bien marquer une évolution fondamentale de la situation politique aux États-Unis.

Les conseillers de Clinton avaient baptisé l’orientation de sa politique, comme de sa campagne électorale, dont le résultat est cette ébauche d’union nationale, débouche sur la nomination d’un républicain : gouverner au "centre vital" de la politique américaine. Cette formule du "centre vital" n’est pas nouvelle. JF Kennedy proclamait déjà avant son élection en 1960 : "Nous aurons besoin de ce que la constitution avait envisagé: un chef de l’Exécutif qui soit au centre vital de l’action de notre système gouvernemental".

Derrière le vocable de "centre vital" se trouve l’orientation de l’instauration d’un pouvoir exécutif fort, de la centralisation de l’État fédéral, celle du bonapartisme. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre l’appel au "peuple américain" qui était au centre du discours d’investiture de Clinton, le 20 janvier: former une "union plus parfaite".

Une telle évolution, à l’ordre du jour en réalité depuis le début de ce siècle et l’entrée dans l’époque de l’impérialisme, stade suprême du capitalisme, voit sa nécessité renforcée pour la bourgeoisie américaine dans la situation nouvelle qui est celle des USA depuis 1991: celle de seule puissance mondiale.

C’est ce que Clinton résumait ainsi dans son discours du 20 janvier: le 20ème siècle, a-t-il déclaré, a été un "siècle américain", le 21ème, lui, doit voir "la plus grande démocratie du monde prendre la tête de tout un monde de démocraties".

L’esquisse de l’Union nationale démocrates-républicains et l’orientation bonapartiste de l’administration Clinton s’inscrivent entièrement dans la lutte engagée par les États-Unis pour reconquérir leur position hégémonique.

Les Etats-Unis, seule puissance mondiale

Avec l’effondrement de la bureaucratie du Kremlin en 1991, les USA sont devenus la seule puissance mondiale. Libéré des limites que lui imposait l’existence de l’URSS, l’impérialisme américain mène une politique beaucoup plus agressive face à ses principaux concurrents, dont le premier acte aura été la guerre de brigandage contre l’Irak en 1991.

La première présidence Clinton a vu cette offensive se développer. Même le "pré carré" français de l’Afrique sub-saharienne n’est pas épargné: à l’automne 1996, lors de sa tournée en Afrique, W.Christopher déclarait qu’il fallait en finir avec "les chasses gardées", le "domaine privé" le "patronage exclusif" La guerre menée à l’Est du Zaïre par des bandes armées soutenues par l’Ouganda et le Rwanda, alliés des USA, est une illustration récente de cette orientation : éjecter l’impérialisme français de ses positions historiques et faire main basse sur les ressources en matières premières des pays concernés. Mais il s’agit d’un processus mondial.

Sous la présidence Clinton, le renforcement de l’impérialisme américain n’a cessé de s’accentuer, de l’entrée en vigueur du traité de l’ALENA, en passant par l’ex-Yougoslavie, jusqu’aux sommets du G7 sur l’axe de "la lutte contre le terrorisme".

À ce sujet, il faut rappeler l’importance de deux lois récentes, les lois d’Amato et Helms-Burton. La loi d’Amato, adoptée en Août 96, vise à sanctionner les entreprises commerçant avec la Libye ou l’Iran. Ces entreprises se verraient en particulier interdites d’exportations vers les USA, ou d’aides gouvernementales si ce sont des entreprises américaines.

La loi Helms-Burton, signée le 12 mars 1996 par Clinton, permet quant à elle de traîner devant les tribunaux américains toute entreprise commerçant avec une société utilisant des biens expropriés par la révolution cubaine (qu’il s’agit ici ni plus ni moins que d’effacer). Mais, il faut noter que Clinton a gelé cette disposition pour l’instant.

Avec ces lois, comme le note Libération du 6 août 1996, il s’agit ni plus ni moins "que ce soit le congrès américain ou la Maison Blanche qui décide qui peut commercer avec qui".

D’une manière générale, le renforcement du poids de l’impérialisme américain depuis 1991 est symbolisé par le retour à la mode de la formule de Théodore Roosevelt (1901 à 1908), premier président à affirmer la nécessité pour les USA de combattre pour établir leur domination mondiale: "parle doucement, porte un gros bâton, et tu iras loin".

Le nouveau gouvernement de Bill Clinton exprime cette orientation. D’abord et surtout, cela a été souligné plus haut, par l’entrée d’un républicain dans ce gouvernement.

Mais ce n’est pas tout. Le nouveau secrétaire d’État (ministre des affaires étrangères), M.Allbright, jusqu’ici ambassadeur des USA à l’ONU, y a été l’instrument de leur renforcement au sein de cette caverne de brigands. B.Daley, le nouveau secrétaire au commerce, a été remarqué pour avoir été en pointe du combat pour imposer le traité de l’ALENA qui renforce la soumission du Canada et surtout du Mexique aux USA.

Charlène Barshefsky, nouvelle représentante au commerce du gouvernement (surnommée "Dragon Lady" - sic!) déclarait quant à elle dès le lendemain de la victoire de Clinton: "nous allons évidemment poursuivre une politique agressive de négociation d’accords commerciaux pour accéder à de nouveaux marchés et accroître nos exportations".

Mais l’instrument nécessaire pour discipliner les autres impérialismes, pour permettre à la "politique agressive" de l’impérialisme américain de s’affranchir de ses limites présentes, c’est un État fort, centralisé, condition de l’instauration d’un régime bonapartiste aux USA. Cet instrument fait défaut à la bourgeoisie américaine.

Pour l'impérialisme américain une question récurrente:
celle de la centralisation de son Etat

Il faut rappeler qu’aux États-Unis, ce n’est que très progressivement qu’un État fédéral s’est mis en place au dessus des multiples institutions locales. Le FBI, police fédérale, ne se développe qu’à partir de 1924, parallèlement aux premières grandes lois anti-immigration. Le Pentagone, l’appareil militaire de l’État fédéral, ne se met en place qu’à partir de la seconde guerre mondiale. La CIA n’est fondée qu’en 1947. L’intervention directe de l’État dans l’économie ne date que du "New Deal", dans les années 1930. Les États, leurs parlements et leurs gouverneurs, ont gardé des prérogatives importantes.

Dans le même temps, le renouvellement à chaque élection de tous les titulaires de postes dans la haute administration fédérale, comme celle des États, le caractère électif de nombreuses fonctions locales, sapent partiellement la base "naturelle" du développement de tendances bonapartistes.

Du coup, les progrès accomplis vers la centralisation de son État par la bourgeoisie américaine sont inégaux. A chaque pas, le gouvernement fédéral se heurte à la résistance des fractions de la bourgeoisie accrochées dans les replis du fédéralisme.

Nixon a cherché à atteindre cet objectif à marche forcée, multipliant les vetos à l’encontre du Congrès, centralisant le gouvernement à la Maison Blanche autour de son cabinet (alors que les ministres, eux, voient leur nomination soumise à la ratification du Sénat). C’est pour cela qu’a éclaté l’affaire du Watergate qui a servi à l’éjecter de la Maison-Blanche. Les "affaires" dans lesquelles Clinton est impliqué pourraient jouer le même rôle si il s’aventurait trop loin, trop vite.

Il n’en demeure pas moins que, depuis le début du siècle, l’intervention en tous domaines de l’État fédéral s’est développée considérablement. Cette tendance est inéluctable à l’époque de l’impérialisme, des guerres et des révolutions, époque dans laquelle le capitalisme ne peut prolonger provisoirement sa mortelle agonie qu’au prix du développement du parasitisme dans tous les domaines, et du renforcement de la coercition, donc d’un État fort, pour comprimer d’avantage ses contradictions.

L’actualité de nouveaux développements en ce sens est donnée par la place nouvelle de seule puissance mondiale qui est celle de l’impérialisme américain. Ils seront rythmés par les développements de la crise du mode de production capitaliste.

Mais justement, la situation économique conjoncturelle aux USA fait que des économistes se sont sentis autorisés à annoncer avec tambours et trompettes l’avènement d’une nouvelle époque de croissance: les "vingt merveilleuses".

Croissance économique: jusqu'à quand?

Le dernier trimestre 1996 a vu le produit intérieur brut (PIB) américain progresser sur un rythme annuel de 4,7%. Pour les années précédentes la croissance du PIB avait été respectivement en 1991: -0,6%; en 1992: +2,7%, en 1993: +2,2%, en 1994: +3,5% et en 1995: +2%. Pour 1996 la croissance du P.I.B.serait de +2,5%.

D’abord, ces chiffres sont nettement inférieurs à ceux des années 50 ou 60 et ne justifient donc pas l’enthousiasme des propagandistes du "nouveau modèle américain". Ensuite, il n’y a aucun secret: à l’origine de la reprise économique aux USA, il y a des coups contre les masses laborieuses sur lesquels cet article revient.

Mais il faut le noter : le renforcement politique de l’impérialisme américain joue un rôle important dans le maintien de la croissance. En quatre ans de présidence Clinton, les exportations américaines ont augmenté de 30% (selon L’Expansion du 9 au 22 janvier 1997). De 1994 à 1996, les excédents commerciaux réalisés par le Japon face aux USA ont diminué d’un tiers.

À nouveau, le dernier trimestre 1996 a vu l’illustration de cette tendance: les exportations ont crû de 25%. Selon Le Monde des 2-3 février 1997, cela serait à l’origine de la moitié de l’accroissement du PIB pour cette période.

Qui plus est, la récession de 1991 a accéléré puissamment le processus de renouvellement du capital constant, la liquidation d’une partie du capital obsolète. En particulier dans l’industrie automobile, des usines entièrement neuves ont été installées par les "Big Three" (General Motors, Ford, Chrysler), avec la participation des dirigeants du syndicat de l’automobile, l’UAW..

Pendant et depuis cette récession, le processus de centralisation et de concentration du Capital s’est accéléré. Les fusions/acquisitions se sont multipliées, comme la récente fusion Bœing/Mc Donnel Douglas. Le Monde du 8 janvier 1997 rappelle à ce propos que la concentration de l’industrie militaire américaine se fait "à marche forcée" et commente : "trois ans après le signal de départ donné par W.Perry, le Secrétaire d’État américain à la défense (...), le Pentagone [donc l’État fédéral - Ndlr] est sur le point d’atteindre ses objectifs" : ordonner cette industrie en fonction de ses besoins. Le secteur où ce mouvement est le plus significatif et spectaculaire est celui des banques. Depuis 1994, elles peuvent développer leurs activités dans tous les États des USA. Les cloisons entre les différents types d’activité bancaires ont également été supprimées.

Cette concentration du capital aux USA est une composante de la croissance économique. Mais celle-ci provient avant tout des conditions d’exploitation que les capitalistes américains ont pu imposer à la classe ouvrière, avec la complicité active des dirigeants de l’AFL-CIO, la fédération syndicale ouvrière.

"L’emploi américain à plein régime"

C’est sous ce titre que le supplément économique du Monde du 5 novembre 1996 prétend décrire la situation des États-Unis. Il serait bien plus juste de dire que ce sont les licenciements et la surexploitation des travailleurs qui fonctionnent à plein régime. Les licenciements se poursuivent par centaines de milliers tous les ans. Il faut ajouter qu’aux États-Unis, on le département de la justice dénombrait 1,6 millions de prisonniers en juin 1996 ! Ceux-ci ne sont pas comptabilisés dans les statistiques du chômage.

Selon les syndicats, le vrai taux de chômage serait non pas de 5,2% mais de 10,1% de la population active. Mais il est de mise de souligner que plus de huit millions d’emplois ont été créés sous la présidence Clinton. À ce sujet, L’expansion (du 2 au 14 mai 1996) donne les secteurs les plus créateurs et les plus destructeurs d’emplois de janvier 1990 à juin 1995. Le résultat est parlant. D’un côté, on a: entreprises de travail temporaire: + 899 000; bars et restaurants: +738 000; divertissements (gym, casinos): +344 000. Parallèlement, on peut relever: aviation: -251 000; caisses d’épargne - 184 000; matériel informatique: - 116 000.

Ces chiffres illustrent l’ampleur de la concentration industrielle, de l’augmentation de la productivité du travail, qui se traduit par une certaine "désindustrialisation". Il y a de moins en moins d’emplois industriels, et dans le même temps, les ouvriers d’industrie sont de plus en plus exploités. Ainsi, chez Chrysler-Jeep, à Toledo, les ouvriers travaillent 54 heures par semaine (après un accord avec les dirigeants de l’UAW).

Le Monde Diplomatique de janvier 1997 souligne que les ouvriers américains travaillent 360 heures de plus que les ouvriers français, et n’ont que deux semaines de congés payés.

L’augmentation de l’exploitation a pour conséquence une situation sans cesse aggravée pour le prolétariat américain.

Le salaire moyen a diminué de 0,73% par an sur les 20 dernières années.

La tendance à la baisse des salaires est telle que l’on parle maintenant de "working poors", de pauvres qui travaillent. Le Monde diplomatique de Juillet 1996 donne à ce sujet les indications suivantes:

"Entre 1969 et 1994, le nombre de travailleurs à temps partiel subi est passé de 6 à 12,9% de la population active. La part des salariés mal payés (moins de 15 000 dollars par an [moins de 7 000 francs par mois - Ndlr]) a triplé, passant de 8,4% à 23,2%. Celle des pauvres qui travaillent et des chômeurs a crû de 22,9% à 38,5% du total"

L’OCDE recense 30 millions de travailleurs à temps complet vivant au dessous du seuil de pauvreté. Un tableau publié par l’OCDE en septembre sur l’évolution des coûts salariaux horaires des ouvriers d’industrie résume bien la situation. L’évolution entre 1985 (après 4 ans de présidence Reagan) et 1995 est frappante. Si les USA servent de référence, avec un indice 100, alors les coûts salariaux varient ainsi :

 

1985

1995

Allemagne

74

154

France

58

97

Japon

49

114

Cela donne une idée du chemin parcouru par l’impérialisme américain contre son propre prolétariat. Mais le même tableau souligne que l’essentiel de l’abaissement de la valeur de la force de travail du prolétariat américain a eu lieu entre 1985 et 1990. Un rapide aperçu sur le bilan des présidences Reagan et Bush permet d’expliquer ce mouvement.

Pour la bourgeoisie américaine, un "acquis": les présidences Reagan et Bush

La propagande enthousiaste au sujet des États-Unis n’a rien de neuf. Les années 80 avaient vu fleurir les mêmes commentaires sur le "retour des États-Unis ".

Au compte de sa politique visant à mettre la bureaucratie du Kremlin à genoux au profit exclusif de l’impérialisme américain, le gouvernement Reagan a creusé profondément les déficits de tous ordres aux États-Unis. La "relance" économique a été impulsée par un développement sans précédent des crédits d’armement (entre 1979 et 1987, les dépenses d’armements ont augmenté de 57% !). Dans le même temps les impôts ont été amplement diminués, la déréglementation des marchés financiers a reçu une formidable impulsion afin de recourir toujours plus à l’emprunt pour financer toutes les dépenses parasitaires mises en œuvre. Mais ce qui a permis que l’économie capitaliste ne s’effondre pas sous le poids de ces nouveaux déséquilibres, ce sont les coups violents portés contre le prolétariat.

Le premier acte politique en ce sens de la présidence Reagan, c’est le licenciement de plus de 10 000 contrôleurs aériens en grève en septembre 1981. Les mesures anti-ouvrières se sont multipliées. En particulier , des lois vont autoriser, au nom du "droit au travail", le remplacement pur et simple des travailleurs en grève, et restreindre l’exercice du droit syndical.

Les longues grèves menées de 1993 à 1995 par les ouvriers de Stanley, de Bridgestone, et de Caterpillar ... contre la journée de 12 heures, illustrent la portée de ces mesures. À chaque fois les ouvriers ont été lock-outés, remplacés, ils ont été défaits.

Le gouvernement Reagan a également durci les conditions de l’indemnisation chômage : au bout de six mois, le chômeur ne touche plus rien (et donc est amené à ne plus pointer, à sortir ainsi des statistiques). Qui plus est, l’organisation de la protection sociale entreprise par entreprise fait qu’un chômeur, en règle générale, n’a plus aucune protection sociale. Il faut ajouter à cela le fait que le salaire minimum, certes indicatif, est resté bloqué de 1981 à 1989. Il faut rappeler enfin la répression des émeutes de Los Angeles et des autres villes des USA en mars 1992.

Au total, selon Le Monde Diplomatique d’octobre 1992, le nombre de grèves impliquant plus de 1000 salariés aux USA est passé de 187 en 1980 à 35 en 1992. On peut mesurer "l’acquis" pour la bourgeoisie des présidences Reagan et Bush. La croissance économique aux USA s’appuie sur leur bilan.

En profondeur, le pourrissement se poursuit

La croissance économique aux USA depuis 1991 a enfin bénéficié de conditions favorables, exceptionnelles. Après la reprise de 1992, la croissance a été tirée par les reprises en Europe en 1994, et plus largement par l’élargissement important du commerce mondial en 1994 et 1995. Mais malgré les chiffres forts du quatrième trimestre 96, la perspective reste celle du ralentissement économique.

Au delà des changements conjoncturels, pendant ces dernières années, les déséquilibres qui minent l’impérialisme américain n’ont fait que s’amplifier. Et en effet, une raison fondamentale de la décision de la banque fédérale de ne pas monter les taux d’intérêts, c’est la crainte d’un krach. Le président de la FED, A.Greenspan, déclarait au début du mois de décembre 1996: "Comment savons-nous si ce n’est pas une exubérance irrationnelle" qui provoque une hausse factice des valeurs boursières, qui s’exposent ainsi à des replis inattendus et prolongés?" Ces propos avaient déclenché de sérieuses secousses sur les marchés financiers. Ils ont souligné qu’un krach est à l’ordre du jour, krach dont les répercussions entraîneraient vraisemblablement l’effondrement économique de l’ensemble de l’économie capitaliste.

Le pourrissement de l’économie des Etats-Unis ne cesse de se développer. Leur endettement est colossal. En 1980, la dette publique était de 914 milliards de dollars, en 1990, de 3200 milliards de dollars, soit 55,6% du PIB. En 1996 la dette devrait représenter 64,1% du PIB, soit plus de 4 800 milliards de dollars! L’endettement total (État plus particuliers plus entreprises) atteindrait 18 500 milliards de dollars, contre 9 150 milliards seulement en 1990.

A Washington, capitale fédérale, étranglée par ses dettes: "les routes se creusent d’ornières et de trous rarement comblés qui les font ressembler à celles de Moscou, les ordures sont ramassées une fois par semaine" (Libération du 8 mars 1995).

Hausse du dollar … et des déficits

La récente hausse du dollar est à situer dans cette perspective. La hausse de la bourse et la réduction relative des déficits commerciaux américains ont nourri la spéculation à la hausse sur le dollar. Celui-ci s’échangeait au 24 janvier pour 1,64 mark et 5,54 francs, pour la première fois depuis plus de deux ans, et plus de 120 yen, son niveau d’il y a quatre ans.

Fondamentalement, cette hausse provient de l’inondation des marchés financiers par le Yen, conséquence des taux à court termes négatifs pratiqués par la Banque du Japon. S’y ajoute la baisse régulière des taux d’intérêts des pays européens censés entrer dans l’UEM (donc pas l’Angleterre). Enfin, tant le Japon que les impérialismes européens ont favorisé cette hausse. Mais elle souligne à nouveau que les tensions s’accumulent. Le Monde du 19-20 janvier écrit:

"le dollar est entré dans une zone dangereuse, parce que la flambée de Wall street augmente la possibilité d’une correction brutale, de nature à déstabiliser la monnaie américaine en provoquant des sorties massives de capitaux hors des Etats-Unis" .

De plus, au troisième trimestre 1996, le déficit de la balance des paiements courants des États-Unis a été de 48 milliards de dollars (240 milliards de francs), déficit record. La diminution relative des déficits commerciaux et budgétaires est compensée par l’augmentation de l’importation des capitaux, des investissements directs aux États-Unis mêmes.

Cette diminution des déficits commerciaux n’empêche donc pas que l’ensemble des déficits se creusent. Pour en finir avec ceux-ci, il faudrait que les États-Unis imposent une complète réorganisation de la division internationale du travail à leurs principaux concurrents. Mais les États-Unis ne peuvent précipiter aucun de leurs rivaux impérialistes dans l’abîme sans y être entraînés eux-mêmes aussitôt (par exemple, c’est le Japon qui finance les déficits américains).

Sur un autre plan, le déficit budgétaire 1996 est le plus bas depuis 1981: 1,4% de déficit du PIB contre 2,3% en 1995, 4,3% en 1992. Mais cette baisse exprime à la fois des coupes dont le prolétariat fait les frais et la réduction de dépenses parasitaires, notamment militaires. Ces réductions, qui ferment une série de débouchés à l’industrie, expriment l’impérieuse nécessité pour l’impérialisme américain de contenir ses déficits.

À cet égard, il faut relever comme un signe important des tensions sans cesse croissantes qui pèsent sur l’économie américaine l’émission par le Trésor d’obligations à taux variable, c’est à dire qui ne se dévaloriseraient pas en cas de reprise de l’inflation : en quelque sorte, la bourgeoisie américaine se prépare pour le moment, pas très éloigné, où le fardeau des déficits cumulés deviendra intolérable.

Aussi bien la lutte pour l’hégémonie et pour la centralisation de l’État qu’a engagé le capitalisme américain, que le prévisible ralentissement de la croissance économique, mettent donc à l’ordre du jour une nouvelle et violente offensive contre les prolétaires américains.

La campagne présidentielle: sous le signe de l'offensive contre la classe ouvrière et la jeunesse

La campagne pour l’élection présidentielle a été toute entière cadrée par cette nécessité: réduire plus avant les maigres acquis du prolétariat. Déjà, on a vu lors des derniers mois le congrès républicain et la Maison blanche donner un aperçu de ce que pouvait signifier leur rapprochement.

D’abord avec l’accord intervenu sur la perspective du retour à l’équilibre du budget fédéral, intervenu après un conflit pendant l’hiver 1995-96 qui avait entraîné la fermeture provisoire de certaines administrations. Cet accord doit entraîner, selon la chambre des représentants, des coupes massives d’ici l’an 2000 dans les budget de l’éducation, de la santé, etc ...

Mais surtout, le vrai coup d’envoi de la campagne présidentielle a été la "réforme" du Welfare, système d’aides sociales en argent ou en nature, instauré en 1935, et destiné aux plus pauvres. La loi, signée en août 96 par Clinton, doit faire économiser à l’État fédéral plus de 55 milliards de dollars (près de 300 milliards de francs) sur six ans.

La durée maximale de perception d’aides sur la vie d’un individu est désormais portée à cinq ans maximum. Elle sera retirée en cas de condamnation pour un délit grave, en cas de refus d’une offre d’emploi, quel qu’il soit, ainsi qu’aux mères célibataires mineures qui ne sont pas scolarisées! Elle sera enfin refusée aux immigrants légaux.

La gestion de presque toutes les allocations est transférée aux États, à la condition ... que 50% des bénéficiaires aient trouvé un emploi dans les deux ans suivant leur inscription à l’aide publique. Pour cela, les États pourront faire travailler les bénéficiaires en échange de leurs allocations: c’est l’instauration du travail forcé! Cette monstrueuse "réforme" plongerait entre 2 et 6 millions d’enfants supplémentaires dans la misère d’ici 2006.

On comprend que le premier discours du candidat Clinton ait été, selon les termes d’un sénateur républicain, "emprunté au manuel de Ronald Reagan". Il s’est présenté comme le candidat des "valeurs familiales", de l’ordre moral contre la classe ouvrière, promettant de mettre 100 000 flics de plus dans les rues. Pour sa part, vite résigné, le républicain Dole s’est cantonné au rôle d’aiguillon dans ce sens, s’affichant notamment aux côtés de la "Christian coalition", organisation ultra-réactionnaire anti-avortement.

Commentant après coup l’élection, le Wall street journal du 6 novembre écrit : "une des rares choses qu’aura produite cette campagne est un consensus sur le fait qu’il faut installer une commission bipartisane pour donner aux politiciens une couverture quand ils s’attaqueront à Medicare après l’élection". (Medicare est le système d’aides aux handicapés, basé sur les principes de la charité, comme le Welfare qui vient d’être démantelé ou encore Medicaid, système destiné aux retraités). Le Wall Street journal prévient: le prolétariat américain va subir une nouvelle et profonde offensive.

Les dirigeants de l'AFL-CIO: soutien total à Clinton

La direction de la fédération syndicale, l’AFL-CIO, a apporté son soutien aux candidats du parti démocrate et à Clinton. Elle a même engagé une campagne de spots télévisés contre les candidats républicains. Ce soutien exprime la profonde subordination de cette direction à son impérialisme, qui s’était notamment manifesté par son soutien à la guerre du Vietnam.

Cette subordination a amené l’AFL-CIO à prendre en charge la politique de la bourgeoisie américaine aussi étroitement que possible. C’est pourquoi, depuis la proclamation de l’AFL-CIO en 1955, le taux de syndicalisation est passé de près de 35% à environ 15% aujourd’hui.

En octobre 1995, à l’issue d’un vote opposant deux candidats (pour la première fois dans l’histoire de la confédération), John Sweeney, dirigeants du syndicat des employés et membre de la direction nationale de l’AFL-CIO depuis plus de dix ans, a été élu contre Thomas Donahue, président sortant.

La presse a multiplié les commentaires sur l’aspect "combatif" de Sweeney. Le Monde Diplomatique d’octobre 1996 affirme que son élection est un "virage à gauche". Certes, lors d’un débat contradictoire avec T.Donahue, le 24 Août 1995, lors d’un débat qu’il fallait en finir avec "l’inertie du mouvement ouvrier américain", avec "le silence assourdissant" des organisations ouvrières. Mais il se fixait aussitôt comme perspective: "renforcer l’aile progressiste des démocrates".

La "combativité" affirmée de la direction Sweeney a vite montré sa nature. Lors de la grève de plus de deux mois des 32 000 mécaniciens de Bœing, qui ont obtenu le maintien de leur régime d’assurance-maladie, Sweeney, assurant les grévistes de son "soutien", a soutenu un accord de "compromis" avec la direction après un mois de grève... Cet accord a été rejeté par un vote à une écrasante majorité par les travailleurs de Boeing.

Le Monde du 16 novembre 1995 notait: la crise à la tête de l’AFL-CIO s’est produite après l’élection historique en 1994 d’une majorité républicaine dans les deux chambres du congrès. Le journaliste expliquait que l’élection de Sweeney procédait d’une volonté d’être plus efficace que l’ancienne direction, c’est à dire d’empêcher les républicains de gagner les présidentielles, de défaire leur majorité au congrès.

C’est sur cette orientation que la "combativité" de la direction de l’AFL-CIO s’est principalement exprimée. Même si le congrès républicain a été reconduit, l’élection présidentielle a été néanmoins l’occasion de réaffirmer l’arrimage de l’AFL-CIO au char de l’impérialisme américain. Ce fait a une importance énorme, car il s’agit de la seule organisation dont dispose le prolétariat américain.

La question du parti, question fondamentale

Un aspect fondamental de la situation politique aux États-Unis, c’est l’absence de parti ouvrier. Dans les années 30, en relation avec de grandes grèves de masse le CIO se constituait, en rompant avec la vieille AFL. Dans le même mouvement des embryons de partis ouvriers se constituaient à l’échelle de certains États. Mais la direction du CIO finissait pas se soumettre entièrement au parti Démocrate.

Le rapprochement Républicains-Démocrates, l’offensive qu’ils mènent conjointement contre la classe ouvrière, qui ne cesse de prouver sa capacité à combattre, pose la question de la rupture de l’AFL-CIO avec les démocrates, avec la bourgeoisie. Le combat pour un Labor Party reprend une grande actualité. Aussi un contre-feu a-t-il été allumé.

Un congrès s’est tenu en juin 1996, lors duquel une organisation baptisée "Labor Party" a été proclamée, à l’initiative des dirigeants de plusieurs fédérations syndicales de l’AFL-CIO (fédérations qui regroupent au total plus d’un million d’adhérents). Ce "Labor Party" est dirigé principalement par les dirigeants de l’OCAW, la fédération syndicale de la Chimie, du Pétrole et de l’énergie atomique. Ce sont ces derniers qui avaient lancé, fin 1990, l’organisation "Labor Party Advocates" (les partisans d’un parti ouvrier), qui a été la cheville ouvrière de l’organisation de ce congrès.

Si un réel Labor Party voyait le jour aux USA, il s’agirait d’un évènement historique, la classe ouvrière pouvant ainsi poser la question du pouvoir. Telle n’est pas la ligne des "Labor Party Advocates". Ses dirigeants ont soutenu la candidature de Sweeney à la direction de l’AFL-CIO. Et ils se situent sur la même orientation que lui. Ainsi, leur Lettre de L.P.A. d’avril 1992 écrivait :

"Nous ne cherchons pas un troisième parti. Nous nous contenterons de deux vrais partis. (...) Mais nous devons commencer à parler d’un parti ouvrier pour que l’on débatte de nos revendications".

Le congrès du "Labor Party" a donc décidé que ce "parti" ne se présenterait pas à ces élections, qu’elles soient présidentielles, fédérales ou locales. Un amendement stipulant qu’un "parti ouvrier ne peut soutenir des candidats venus des partis des patrons" a été largement battu. les partisans de la constitution d’un véritable Labor Party étaient de toute évidence minoritaires dans ce congrès (40% des délégués ont voté néanmoins un amendement pour la présentation sans attendre de candidats au niveau des États).

En refusant de présenter des candidats ouvriers aux élections, ce "Labor Party" s’est situé dans la continuité de ce que représente l’élection de Sweeney à la tête de l’AFL-CIO: un visage plus combatif au compte d’une politique de pression sur le parti démocrate, de soumission au capitalisme américain.

Le programme adopté par ce congrès témoigne de cette même orientation. On n’y trouve pas un mot remettant en question la politique de trahison de la direction de l’AFL-CIO. Le premier point de ce programme propose d’amender la constitution américaine pour y inclure le droit au travail (comme c’est le cas dans la constitution française depuis 1946). Le second point propose d’instaurer "une taxe sur licenciements" ce qui revient à les accepter. Enfin, ce "parti" a même refusé de se prononcer pour la défense du droit à l’avortement.

Le prolétariat américain est décidément loin d’avoir résolu la question de sa constitution en parti politique et cette situation pèse sur l’ensemble du prolétariat mondial. En même temps l’existence de ce"Labor Party" prouve que la question se pose au prolétariat américain.

Après l'élection présidentielle

Présentant son programme le 4 février, Clinton se fixait comme objectif d’inculquer "l’ordre et la discipline" à la jeunesse américaine, pour en faire de "bons citoyens". Son mandat débute sous le signe du renforcement de l’État fédéral, de l’offensive contre la classe ouvrière. Mais il a de fortes chances d’être celui de l’effondrement économique qui est inscrit dans toute la situation de pourrissement de l’économie américaine et de l’économie capitaliste en général.

C’est dans cette situation que le prolétariat américain sera conduit à combattre, un Labor Party permettant de poser la question du pouvoir. Pour cela il faut un programme. Pour impulser et préciser à chaque moment ce programme, pour permettre à un tel parti de jouer pleinement son rôle, il faut une avant-garde organisée sur le programme de la révolution prolétarienne. Le combat pour le parti ouvrier s’inscrit comme transition dans la perspective de la construction du parti ouvrier révolutionnaire.

Le 5 février 1997

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