Article paru dans Combattre pour le Socialisme  n°3 (85) de mars 2001

 

Normalisation à l'espagnole

 

Mars 2000: nouvelle victoire électorale du Parti Populaire


Le dimanche 12 mars 2000, des élections législatives, sénatoriales et une élection régionale en Andalousie, se tenaient en Espagne. Depuis 1996, le Parti Populaire, principal parti bourgeois de ce pays, avec Jose Maria Aznar comme premier ministre, était au pouvoir, allié aux Catalans de Convergècia i Unio (CiU) et le parti canarien.

 

Les élections législatives ont représenté une victoire écrasante du P.P. : il obtient 183 sièges, c’est à dire la majorité absolue aux Cortés (fixée à 176 sièges) et 44,54% des voix. En 1996, il n’avait obtenu que 156 sièges et 38,8% des voix. Les résultats (le vote a lieu à la proportionnelle par liste dans chaque Province qui élit un nombre de députés proportionnel à sa population).


 

 

1996

2000

Inscrits

32.531.833

33.045.318

 

Pourcentage

Sièges

Voix 

Pourcentage

Sièges

Voix

Abstention

22,62%

-

7.358.706

30,2%

-

9.979.686

Parti Populaire

38,85%

156

9.716.006

44,54%

183

10.230.345

PSOE

37,48%

141

9.425.678

34,98%

141

7829.210

I.U.[1]

10,58%

21

2.639.744

5,46%

8

1.253.859

CiU

4,61%

16

1.151.633

4,2%

15

964.990

P.N.V.[2]

1,28%

5

318.951

1,53%

7

351.816

Herri-Batasuna

(Euskal Herritarrok)

0,73%

2

181.304

-

-

-

Autres[3]

4,01%

9

780.181

5,46%

12

1.300.828

 


Pour le PSOE et IU, ces élections représentent une véritable défaite : ils ont 1,2 millions de voix de moins que le PP et 50 sièges de différence. En même temps le prolétariat et la jeunesse se sont abstenus massivement.

 

Le PSOE, le seul parti ouvrier représenté en tant que tel, a environ 2,5 millions de voix d’écart avec le PP. Depuis 1982, année de son arrivée au pouvoir, sa puissance décline régulièrement : 48,1% des voix en 1982, 44% en 86, 39,6% en 89, 38,8% en 93 et 37,5% en 1996, année où il perd le pouvoir. Pour le PSOE, les résultats de cette année sont les pires qu’il ait eu depuis 1979.

IU, une coalition hétéroclite constituée autour du PCE allant de formations bourgeoises aux pablistes de l'ex-LCR espagnole, subit une défaite encore plus importante. Elle perd la moitié de ses députés et de ses voix par rapport à 1996. Cette défaite était annoncée depuis les européennes de 1999, où IU n’avait eut que 5% des voix.

 

Le PP progresse dans toutes les Provinces. Ainsi, à Seville, où Felipe Gonzales se présentait, le PSOE passe sous la barre des 50%, perd 1,5% de ses voix par rapport à 1996, alors qu’en même temps le PP gagne quatre points (il passe à 35% des voix) et un siège. En Andalousie, Province détenue traditionnellement par le PSOE et est considérée comme un bastion d’IU, le PSOE se maintien à 44,2%, mais IU réalise le résultat le plus bas de son histoire : elle passe de 14,1% à 8,1% des voix et de 13 à 6 sièges. Le plus important reste le fait que le PP passe de 34,2% à 38,1% des voix et gagne 6 sièges.

 

Enfin les résultats des élections font apparaître une relative réussite des partis régionalistes ou “ nationalistes ” : CiU, qui faisait partie de la coalition soutenant le gouvernement Aznar, devient le troisième parti aux Cortès. En même temps, les Galiciens gagnent un siège, les Andalous et les Aragonais gagnent un député chacun, ce qui leur permet d’entrer aux Cortès.

 

Au Pays Basque, le PNV gagne deux sièges. Il profite en partie du mot d’ordre de boycott lancé par ETA, qui a conduit à ce que Herri Batasuna, qui avait eu 13% des voix au Pays Basque en 1996, ne se présente pas et perde ses deux députés. En outre, la consigne de boycott a été peu suivie, puisque l’abstention n’est que de 35,5%, soit cinq points de plus que dans toute l’Espagne.

 

Le fait majeur de ces élections, c’est la victoire écrasante du PP, qui a les mains totalement libres pour poursuivre une politique de combat contre le prolétariat et la jeunesse menée depuis quatre années.

 

Cette victoire a une grande portée: en un sens elle clôt définitivement la période politique de l'après-franquisme ouverte en 1975 en Espagne.



A l'origine du Parti Populaire: "un cartel d’anciens ministres de Franco"


Le parti populaire est le nouveau nom que s'est donnée en 1989 l’Alliance Populaire, parti héritier direct du franquisme. Ce parti est fondé en 1976 comme un cartel de sept partis dirigés chacun par d'anciens dignitaires du franquisme, dont cinq fusionneront l'année suivante.

 “ la continuité avec la période la plus récente, c’est à dire le franquisme, est nettement affirmée dans le premier manifeste de l’AP qui récuse aussi bien les “ desseins revanchards ” - en clair, ceux attribués à la gauche anti-franquiste- que toute rupture avec l’œuvre accomplie par le peuple pendant près d’un demi siècle... il faut dire qu’à l’origine -octobre 1976- l’AP n’est rien d’autre qu’un cartel d’anciens ministres de Franco (...). ” (J.MAURICE, C.SERRANO, L’Espagne au XX° siècle, Carré Histoire, Hachette, 1992, p.184).

 

Il faut aussi préciser que le fondateur et chef de l’AP, Manuel Fraga, n’est rien d’autre qu’un ancien ministre de l'information de Franco, et ministre de l'intérieur dans le gouvernement constitué au lendemain de la mort de Franco. A partir de 1989, les personnalités directement liées au franquisme se retirent de la direction du PP. Aznar prend la direction du PP, il rajeunit et renouvelle son appareil, tout en “ recentrant ” idéologiquement le parti : par exemple, au niveau européen, il quitte le groupe conservateur pour rejoindre le Parti Populaire Européen. Pourtant, en 1996, la presse présente encore le PP comme le parti des anciens franquistes :

“ Le Caudillo est mort en 1975, Manuel Fraga, ancien ministre du dictateur, a fondé le parti en 1976, avec des franquistes convertis. José Maria Aznar, qui a pris en 1990 la direction du PP, a grandi dans une famille naturellement franquiste. Son grand-père a été l’un des historiens de la “ croisade ”. Son père était l’un des responsables de la radio officielle. Ses rares écrits de jeunesse révèlent un jeune homme très conformiste. Les nostalgiques de l’ancien régime qui avaient jusqu’ici voté sans état d’âme pour les “ populaires ” sont pourtant perplexes. José Maria Aznar affecte en effet une élégante distance verbale à l’égard des droites franquistes qu’il qualifie de “ classiques ”. Tendu vers la conquête du pouvoir, il a lancé une OPA sur le centre et renvoyé à l’histoire les éventuelles leçons sur le passé.

(...)Les héritiers de la dictature ont été discrètement éloignés. Ils sont pourtant nécessaires et le font toujours savoir. Manuel Fraga préside la Galice ; de Santiago de Compostela, il dit haut et clair tout le mal qu’il pense des concessions fiscales accordées par Aznar aux régionalistes catalans. (...) Jeune élue européenne et conseillère municipale de Madrid, Mercedes de la Merced a revendiqué les acquis sociaux du franquisme. ” (Problèmes politiques et sociaux, La Documentation Française, N°792, 24 octobre 1997, p.32).

 

Ajoutons que le groupement catholique particulièrement réactionnaire Opus Dei est omniprésent dans le PP. Ce groupement a prospéré avec le franquisme; la politique de Jean-Paul II, pape élu grâce à l'Opus Dei, donne une idée du caractère réactionnaire de cette église.

 

L'accession du PP au pouvoir en 1996, plus encore sa victoire nette en 2000, sont à apprécier d'abord au regard de cette origine historique.


Retour sur l'agonie du franquisme


Au terme de la guerre civile en 1939, la classe ouvrière d'Espagne avait été écrasée. Les franquistes avaient instauré sur cette base un régime fasciste, corporatiste (unicité syndicale – CNS - et partidaire – la phalange), niant les libertés démocratiques élémentaires; une monarchie, mais sans roi, Franco, caudillo, étant chef de l'Etat à vie. Mais progressivement, la classe ouvrière a recouvré ses forces et engagé le combat contre le régime franquiste. D'abord lors de la grève générale et des affrontements de rue à Barcelone en février-mars 1951. Puis avec la vague nationale de grève qui démarra dans les mines des Asturies en 1962 (mouvement qui donnera naissance aux commissions ouvrières qui seront ensuite chapeautées par le PCE). Il faut encore mentionner les manifestations de 1970 contre la condamnation à mort des "six de Burgos" qui imposera à Franco de renoncer à leur exécution, et l'activité grandissante des organisations ouvrières clandestines, à commencer par la confédération syndicale UGT et le PSOE.

 

Les années 1970 verront les grèves se multiplier, se durcir. En 1974, au Portugal voisin, la révolution prolétarienne fracasse le régime corporatiste mis en place par Salazar.

La maladie puis la mort de Franco vont être également un élément de fragilisation extrême du régime. Ainsi que l'écrivait en février1976 La Vérité n°570, revue théorique de l'Organisation Communiste Internationaliste:

avec Franco disparaît celui qui a été pendant quarante ans au sens le plus plein du terme le bourreau de la classe ouvrière d’Espagne ; celui dont l’ensemble des forces de répression tenaient en dernière instance leur force ; celui qui était le seul encore en mesure politiquement de leur faire jouer tout leur rôle ; celui qui symbolisait, face à la classe ouvrière, l’écrasement de 1939. Franco disparu, c’est tout ce que le système répressif gardait encore comme force dissuasive effective face à la classe ouvrière qui tend à se désagréger rapidement.

 

(…) la conduite de la bourgeoisie est d’ores et déjà commandée par le fait qu’il n’y a plus à la tête de l’Etat d’homme politique en mesure, politiquement, de se servir des armes répressives établies et maniées si longtemps par Franco. La mort de Franco constitue ainsi, par son seul fait, un nouvel élément de modification  des rapports de force entre les classes en faveur de la classe ouvrière.

Cette nouvelle modification des rapports entre les classes intervient, d’autre part, au moment précis où la bourgeoisie se trouve placée dans une situation où elle est contrainte, en raison même du vide créé par la disparition de Franco, de bouger tant soit peu les éléments constitutifs de l’édifice constitutionnel dans un sens qui doit obligatoirement comporter l’introduction dans cet édifice d’éléments incompatibles avec ce qu’est celui-ci. ”

C'est Juan Carlos qui va diriger les opérations de transformation du régime franquiste.


Juan Carlos, successeur désigné de Franco, organise la "réforme politique" du régime


A la mort de Franco, le 2 novembre 1975, Juan Carlos, qu'il a désigné comme son successeur, accède au trône. Très rapidement, il va se lancer dans une opération de "réforme politique" du franquisme pour préserver l'Etat bourgeois espagnol et ses institutions essentielles. Le gouvernement Juan Carlos – Suarez constitué en juillet 1976 (au retour de Juan Carlos d'un voyage aux Etats-Unis) accouchera d'une loi de "réforme politique", validée par référendum en 1976.

 

Cette loi correspond à la nécessité pour la bourgeoisie espagnole d'adapter la forme de sa domination aux nouveaux rapports politiques avec sa classe ouvrière, de tenter de préserver contre elle l'essentiel des institutions de l'Etat. Il s'agit également ainsi pour le capitalisme espagnol d'accroître son insertion dans la division internationale du travail (et en particulier dans la CEE) à un moment où la crise récurrente du capitalisme pèse d'un lourd poids sur la péninsule ibérique.

 

Mais elle est lourde de dangers: l'apparition de fissures dans l'édifice franquiste peut précipiter l'irruption révolutionnaire des masses. C'est pourquoi de nombreux secteurs de la bourgeoisie espagnole s'opposent à la "réforme politique", comme plus tard certains secteurs de l'armée tenteront un coup d'Etat dans une tentative vaine de rétablir l'ordre antérieur des choses.

 

La loi de "réforme politique" garantit cependant l'essentiel: elle préserve l'Etat bourgeois.

"Le projet de réforme des institutions présenté aujourd'hui par le gouvernement Suarez prévoit un système qui comporterait deux chambres élues dans des conditions qui en limiteraient au maximum la représentativité. Ces deux chambres fonctionneraient de façon à permettre à la seconde chambre, désignée de surcroît encore en partie par le roi, d'exercer son veto sur la première. Ainsi que le note le "Times", le roi concentrerait entre ses mains des pouvoirs beaucoup plus importants que la plupart des chefs d'Etat européens et possèderait en particulier le droit de recourir sur toutes les questions à la voie du référendum. Le projet de loi réaffirme "l'Unité du royaume et de l'Etat" c'est-à-dire se prononce contre le droit de séparation des nationalités et pour le maintien de l'état actuel d'oppression nationale. Il laisse surtout intact l'appareil répressif policier militaire et juridictionnel construit par Franco".

(La vérité n°574 de décembre 1976)

 

Ce projet de réforme va mener tout droit à des élections (scrutin à un tour, avec circonscriptions soigneusement découpées) à des Cortes (parlement) octroyées, dites "constituantes" en juin 1977. En mars 1977, le PCE est légalisé. En avril, la liberté syndicale est restaurée (l'unicité syndicale avait été maintenue jusque-là notamment à cause du PCE qui avait appelé à participer aux élections syndicales corporatistes en 1975).

Le prolétariat et la jeunesse, participent massivement aux élections (il y a 75% de participation). Les fraudes électorales ne seront pas moins massives. 800 000 voix seront "reportées" de l'abstention au compte de l'UCD durant les trois semaines nécessaires à un décompte "officiel" des voix, tandis que les urnes des quartiers ouvriers de Madrid "disparaissent".

 

L’UCD (Union du Centre Démocratique), une coalition des courants de la bourgeoisie les moins impliqués avec Franco, remporte les élections avec une majorité relative de 34,6% des voix (166 sièges). Son dirigeant, Adolfo Suarez, qui a été le second Premier ministre de Juan Carlos, de 1976 à 1977, reste alors à la tête du gouvernement. En même temps, le PSOE obtient 29,2% des voix (118 sièges),  le PCE 9% (20 sièges). Les partis bourgeois issus du franquisme, c’est à dire l’UCD et l’Alliance Populaire (le parti des franquistes avoués, l’ancêtre du PP), ont la majorité absolue aux Cortès.

 

Pourtant, pour parvenir à mener à bien la “ Transition Démocratique " il est nécessaire que Juan Carlos, Suarez et l’UCD, aient le soutien des partis ouvriers afin de faire barrage au mouvement des masses et élaborer une politique de consensus autour du maintien de la monarchie, garante du maintien de la continuité des institutions de l’Etat franquiste.


Contre l'irruption révolutionnaire des masses: les directions ouvrières traîtres, et en premier lieu le PCE.


Dès avant leur légalisation, les partis politiques de la classe ouvrière espagnole ont répondu positivement à la "transition démocratique". Au premier rang d'entre eux, le PCE (dont il faut rappeler qu'il a poignardé la révolution espagnole des années 30 dans le dos au compte de la bureaucratie stalinienne). En mars 1975, La Vérité relate les propos de Santiago Carillo, dirigeant du PCE

"La bourgeoisie espagnole, les forces capitalistes, ont de plus en plus confiance en la possibilité de se maintenir dans le cadre d'un changement politique en Espagne. (…) Ce changement politique va se faire sans détruire l'appareil d'Etat. "(…)

 

Il tend la main à l'appareil d'Etat franquiste:

"Nous posons la question d'un passage relativement pacifique d'un système bourgeois à un autre système bourgeois. (…) L'appareil d'Etat n'est plus le même appareil d'Etat fasciste qu'il y a vingt ans. (…) Ce n'est plus l'appareil fasciste du passé: avec des retouches, il pourrait presque convenir à un Etat démocratique bourgeois. Dans ces conditions cette convergence momentanée peut déterminer un changement sans convulsions. Aujourd'hui, nous ne voyons pas cette issue et nous travaillons à sa traduction dans les faits."

 

En mars 1977, avec sa légalisation, le PCE abandonnait le drapeau républicain pour adopter celui de la monarchie franquiste. A sa suite, le PSOE s'intégrait aussi dans le dispositif de sauvetage de l'Etat hérité du franquisme, non sans contradictions internes. Et avec eux les appareils des commissions ouvrières et de l'UGT (qui passe de 20 000 membres début 1976 à 2 millions en octobre 1977).

Face au mouvement de la classe ouvrière, le PCE et le PSOE, les appareils syndicaux, vont se maintenir sur la ligne de la "transition démocratique". Ils participeront aux élections pour les Cortès octroyées de 1977, et négocieront en leur sein une constitution qui aboutira évidemment ainsi à ce qui était prévu (le PSOE défendra pour la forme un amendement proposant la République … sans même que le PCE ne le soutienne!).

 

Puis, face à une nouvelle poussée des masses en septembre 1977 (des centaines de milliers, voire des millions de manifestants) sur les questions nationales et pour les revendications ouvrières, en octobre 1977, l’UCD, le PSOE, le PCE et l’AP, signent les accords de la Moncloa (le Matignon espagnol), qui mettent en place un plan d’assainissement économique et financier, et qui, en même temps, donnent au gouvernement Suarez la tâche d’élaborer une nouvelle constitution.

Pourtant, la signature du pacte de la Moncloa s’est faite malgré la résistance de la classe ouvrière espagnole :

" La réaction immédiate de la classe ouvrière au pacte de la Moncloa a été celle d’une mobilisation massive pour le rejeter, refuser l’ensemble des mesures d’agression économique anti-ouvrière qui y sont inscrites. Cette  mobilisation a bien entendu pris la forme de manifestations de rue massives (…).

Mais elle a aussi pris au départ la forme d’une condamnation du pacte et de ses mesures anti-ouvrières par la CNT et pratiquement par toutes les instances syndicales, sections syndicales, unions départementales et instances fédérales de l’UGT (…)."

(La Vérité, N°581, avril 1978)


Seule la direction de l’UGT refusait de prendre position aux côtés de la classe ouvrière espagnole, puis en s’alignant sur l’appareil des commissions ouvrières, elle empêchait que le mouvement vers la destruction des institutions franquistes se poursuive. Cette situation stoppait alors la mobilisation des masses. Insistons encore une fois sur la politique du PCE, fer de lance du pacte de la Moncloa,  qui combat ouvertement contre tout mouvement de grève. C’est cela qui a permis que la nouvelle constitution soit adoptée par un referendum en décembre 1978, malgré une abstention de plus de 30%, allant jusqu'à 56 % dans certaines provinces du Pays Basque. Le PSOE et le PCE avaient fait campagne pour l'adoption de cette constitution, dont l’article 2 fait du roi la personnification de la permanence des institutions, qui en assure la continuité et les arbitrages après chaque élections, le premier ministre devant lui prêter serment au moment de son investiture.

 

Malgré le coup porté par le pacte de la Moncloa et l’adoption de la nouvelle constitution, la mobilisation des masses a repris. Les directions des organisations ouvrières ne parviendront pas à signer un second pacte prolongeant le premier. En 1979, le nombre de jours de grèves atteint son chiffre le plus élevé depuis la mort de Franco. Malgré la politique de soutien à la monarchie qu’a mené le PSOE depuis 1976, aux législatives de 1982, le prolétariat vote en masse pour ses partis.

 

Les masses expriment leur volonté que le PSOE rompe avec la monarchie et la bourgeoisie espagnole, qu’il en finisse avec les restes du franquisme. Ainsi, l’UCD la représentation politique de la monarchie s’écroule et n’a plus que 7,1% des voix et 12 sièges ; elle finie par se dissoudre en 1983. Pour le PSOE, ces élections représentent une victoire écrasante : il obtient un peu plus de dix millions de voix, soit 48,4% et 202 députés. Même si le PCE s’effondre du fait de sa politique acharnée de défense de la monarchie (il se retrouve avec 4,1% des voix et 4 sièges), les partis ouvriers détiennent la majorité absolue des voix et des sièges.


Le  PSOE au pouvoir (1982-1996): au compte du capital


Quand en 1982 le PSOE arrive au pouvoir, il n’a nullement l’intention de remettre en cause la constitution dont il a contribué à la mise en place, il se soumet à l’autorité de Juan Carlos et s’engage dans une politique au compte des intérêts de la bourgeoisie. Le programme du gouvernement Gonzales est celui du rétablissement des "grands équilibres économiques" par la relance de l’investissement et la restructuration de l’appareil productif: les licenciements vont vite pleuvoir.

 

Ainsi, dans les années 1980, il parvient à réduire l’inflation, à relancer l’investissement et à reconstituer les marges bénéficiaires des entreprises. Pour le prolétariat, cette politique se traduit par une réduction continue du salaire réel, une augmentation importante du chômage et par la précarisation de l’emploi.

 

Pourtant cette politique ne suffit pas au redressement de l’économie espagnole. En 1993, l’Espagne est dans un état de quasi crise économique : l’inflation se maintien à plus de 5%, le taux de croissance est tombé à son taux le plus bas depuis la chute du franquisme ; en même temps, la consommation recule de 2,2% et l’investissement s’effondre de 17%.

La politique anti-ouvrière que mène le PSOE depuis 1982, conjuguée à la situation économique de l’Espagne, conduisent à ce qu’aux élections législatives de 1993, le Parti Populaire progresse en passant de 25,8% des voix en 89, à 34,8%. En même temps, le PSOE perd la majorité absolue des sièges aux Cortès. Néanmoins, il faut noter que le PSOE était donné perdant avant les élections et que c'est un sursaut de dernière minute de fractions du prolétariat qui a fait barrage à la victoire annoncée du Parti Populaire. Malgré la politique du PSOE, il s'agissait de se saisir de celui-ci pour voter contre le retour des héritiers de Franco au pouvoir.

 

Le PSOE s’appuye alors sur CiU et poursuit sa politique au compte de la bourgeoisie. Entre 1993 et 1996, le prolétariat subit le découplage de la hausse des salaires par rapport à la hausse des prix, des privatisations et une "réforme" du marché du travail.

Le caractère ouvertement bourgeois de la politique du PSOE, conjuguée aux nombreux scandales financiers qui touchent Gonzales et son parti, permettent une courte victoire du PP aux législatives de 1996. Celui-ci arrive alors au pouvoir grâce à une coalition avec CiU, un parti canarien et le PNV. Pour mener à bien son programme de guerre contre les masses espagnoles, le PP dispose de l’acquis laissé par le PSOE.

De plus, le ravalement du PP a porté ses fruits, puisqu’en 1993 il progresse pour la première fois depuis, 1982, aux élections législatives et gagne les élections en 1996. Mais, il n’a alors que 300 000 voix d’écart avec le PSOE, soit environ un pour cent des voix, et une différence de seulement 15 sièges . En 1996, la victoire du PP est due, d’une part au fait qu’une partie du prolétariat ne s’est pas déplacée pour voter PSOE, ou s’est reportée sur IU.

 

Cela dit, la position du P.P. est d’Aznar est fragile : il lui faut deux mois de négociations pour conclure un accord avec CiU. Cette alliance avec les “ nationalistes ”  catalans, canariens et basques, constitue une première rupture avec la tradition dite “ espagnoliste ” des franquistes.


Le parti populaire au pouvoir (1996-2000)


En 1996, le programme du gouvernement Aznar est celui d’une offensive générale contre le prolétariat espagnol, cela en s’appuyant sur les acquis laissés par la politique qu’ont conduit les différents gouvernement du PSOE de 1982 à 1996. Le programme d’Aznar est le suivant : strict respect des critères de Maastricht, lancement d’un “ plan d’austérité ”, d’un “ plan stratégique de privatisation ”... accompagnés d’un “ dialogue social ”.

 

Le Monde du 12 et 13 mars 2000 dressait le bilan suivant de la politique menée par le gouvernement Aznar:

“ L’Espagne va bien”, plaide [Aznar]. Sur trois grands fronts, celui de la croissance, des grands équilibres financiers et surtout du chômage, traditionnel talon d’Achille de l’Espagne, José Maria Aznar peut en effet s’enorgueillir d’un bilan de législature positif. De 2% à peine en 1996, le taux de croissance du produit intérieur brut (PIB) espagnol a quasiment doublé quatre ans plus tard. Un bond qui s’explique par le dynamisme de la consommation “ mais aussi par la plus grande flexibilité de l’offre, notamment en raison des réformes libérales entreprises et l’élimination des rigidités ”, tient à souligner José Luis de Molina, directeur général de la Banque d’Espagne. (...)

Pour l’heure, la bonne santé de l’économie et les rentrées fiscales qui en ont découlé ont permis de réduire de façon drastique le déficit public (4,4% du PIB en 1996, 1,1% fin 1999) et, dans une moindre mesure, de diminuer la dette de l’Etat (70% au début de la législature, 63% à ce jour). De 22% encore en 1996, le nombre de demandeurs d’emploi (...) est tombé à 15,4% fin 1999. (...) Cette amélioration résulte de plusieurs facteurs, notamment la modération salariale qui a encouragé la demande de main d’œuvre, mais, patronat et syndicats en conviennent, elle doit beaucoup à la réforme du marché du travail intervenue en 1997 et négociée par les partenaires sociaux. ”

 

Avant de revenir sur cette "réforme du marché du travail", il faut ajouter à ce panégyrique qu'en même temps, le prolétariat a subit une politique de privatisations. Entre 1996 et 2000, il y a eut au total 43 entreprises privatisées, dont la plupart en 1996 et 1997 (21 en 96, 18 en 97). Ces privatisations ont touché des grands groupes des secteurs clés de l’économie : dans le secteur bancaire (Argentaria), l’électricité (Endesa, l’EDF espagnol, pour une valeur de 1600 milliards de pestas), les télécommunications (Telefonica et Retevision), le pétrole (Repsol), la sidérurgie (Aceralia). Au total, les privatisations ont permis la suppression de 60000 emplois, dont 20000 chez Telefonica.


L'accord patronat-syndicats sur la "réforme du marché du travail", la "réforme" des retraites


Lors de la dernière campagne des législatives, le PP et Aznar ont mis au centre de celle-ci la baisse “ spectaculaire ” du taux de chômage. En effet, celui-ci est tombé de 21,7% en 1996 à 15,4% en 2000, alors que l’Espagne a eut le taux de création d’emploi le plus élevé d’Europe. Ainsi, de janvier 1998, à fin septembre 1999, 1,03 million d’emplois ont été créés et en quatre ans, il y en a eut 1,8 million : autant que pour le reste de l’Union Européenne réunie.

La baisse du chômage qu’a connu l’Espagne doit être relativisée, même si elle est réelle. 33% des contrats de travail sont à durée déterminée ; en trois ans, les contrats précaires ont augmenté de 34% et leur durée moyenne est passée de 90 à 69 jours. De plus, bien qu’ayant baissé de dix points depuis 1997, le chômage des jeunes est encore de 30% et le chômage des femmes s’accroît et  le chômage de longue durée s’est maintenu à 51%. Enfin, le SMIC en Espagne est le plus bas d’Europe.

 

Enfin, cette baisse a aussi pour cause la politique de modération salariale et la “ réforme ” du marché du travail de 1997. Cette “réforme” a été élaborée et mise en place par une négociation entre les directions des Commissions Ouvrières, de l’UGT et le patronat (c’est à dire la Confédération Espagnole des Organisations d’Entrepreneurs et la confédération des PME).

Cet accord a mis en place un nouveau CDI à destination des “ jeunes de moins de 29 ans, des personnes de plus de 45 ans et des handicapés physiques ”, ainsi qu’aux travailleurs ayant un contrat à durée déterminée, dont le contrat est transformé en CDI. C’est en fait un CDI au rabais : le nombre de jours d’indemnisation accordés pour licenciement non justifié est abaissé à 33 jours par années de travail, au lieu de 45 auparavant et l’indemnisation maximale passe de trois ans et demi à deux ans. De plus, pour l’ensemble des contrats de travail, la possibilité de licencier individuellement pour raisons économiques est légalisée. Cet accord est une véritable attaque contre les acquis du prolétariat.

Depuis la contre-réforme de 1997, près de 2,5 millions de nouveaux "CDI" auraient été signés, contre 800 mille pour les anciens CDI. En même temps, les directions de l’UGT et des commissions ouvrières négocient avec les organisations patronales un nouvel accord sur les contrats de travail prolongeant le premier.

 

En s’insérant dans le cadre de la négociation avec le patronat, les directions syndicales font savoir qu’il ne s’agit pas de rompre avec la bourgeoisie et donc de combattre en défense des intérêts des travailleurs. Les résultats de l’accord de 1997 sont là pour montrer que les directions syndicales sont prêtes à s’associer à une nouvelle offensive contre les contrats de travail, au nom de la "lutte contre la précarité".

Quant aux retraites, en 1996, le gouvernement et les directions syndicales des CCOO et de l’UGT ont signé un accord valable jusqu’en 2001. Dans cet accord, en “ échange ” de l’indexation des retraites sur le coût de la vie, entre 1996 et 2001, la période de référence servant pour le calcul de la retraite passe de 8 aux 15 dernières années travaillées. De même, la pondération annuelle change : 35ans de cotisation assurent toujours 100% de la retraite, mais elle tombe à 50% pour 15 années cotisées (le minimum requis) contre 60% auparavant.

 

La politique qu’a menée le gouvernement Aznar depuis 1996 se traduit par une dégradation des conditions de vie du prolétariat et de la jeunesse :

“ Si en trois ans, le gouvernement peut se targuer d’avoir abaissé le chômage de 23 à 17%, le prix est élevé : accès interdit au logement pour les jeunes, éducation en chute libre par manque d’appui de l’Etat, spéculation immobilière saisie d’une nouvelle fièvre, état des routes et aéroports faisant craindre pour la sécurité des usagers, pollution obscurcissant chaque jour l’horizon des citadins, délinquance croissante. ” (Monde du 25 juin 1999)


Crises à répétition au Parti Socialiste Ouvrier Espagnol


Après les élections de 1996, une crise s’est ouverte dans le PSOE : Felipe Gonzales qui le dirigeait depuis 1974 a démissionné du secrétariat général sous le coup de sa défaite électorale et de scandales financiers qui l’ont touché de près. Il est alors remplacé par Almunia, son dauphin, élu avec 73% des voix. Avec Almunia, c’est la clique regroupée autour de Gonzales qui se maintient à la tête du PSOE. Almunia engage une soit disant “ refondation ” du parti, sur la ligne de la continuité avec l’héritage politique des gouvernements PSOE : il défend l’Euro, les privatisations et la libéralisation de l’économie. En même temps, Almunia débarrasse la direction du PSOE du courant “ gauche ” regroupé derrière Guerra (l’homme qui a codirigé le PSOE avec Gonzales de 1982 à 91).

 

Aussi, en 98, c’est avec la quasi certitude d’être élu qu’Almunia organise des primaires internes pour être désigné candidat du PSOE. José Borell, en tant que représentant du courant “ gauche ”, se présente contre Almunia, et à la surprise de la direction du PSOE, il est élu avec 55,1% des voix des 383 000 adhérents du parti.

Ce vote révèle une réaction des militants du PSOE contre les héritiers de Gonzales ; l’élection de Borell a été, à travers les militants du PSOE, la réfraction indirecte de la volonté du prolétariat espagnol de s’opposer au cours de plus en plus ouvertement réactionnaire de l’orientation des dirigeants du PSOE, en même temps que la crainte d’une partie de l’appareil d’aller au devant de nouvelles défaites.

 

Finalement en mai 99, l’appareil obtient sa démission à la suite de scandales financiers où sont impliqués des personnes de son entourage. Ainsi, à la veille des élections européennes, régionales et municipales, le PSOE se retrouve sans tête de liste officielle ; Almunia n’a plus qu’à prendre la place. Même si ces élections sont une défaite pour le PSOE, il progresse légèrement, ce qui conforte Almunia. En même temps, il est conscient que pour les législatives il va vers une nouvelle défaite, c’est principalement la raison pour laquelle il cherche à conclure un accord avec I.U.


Pour les élections de mars 2000: accord PSOE-Izquierdia Unida


L’accord PSOE-I.U. conclu le 2 février 2000, est le suivant :

“ Une déclaration de programme commun entre le PSOE et I.U., le soutien de la candidature d’Almunia à la présidence du gouvernement et la présentation de candidatures communes aux élections sénatoriales. ” (Le Monde, 3 février 2000).

 

C’est la première fois depuis 1936, que le PSOE et le PCE (qui vertèbre I.U.) concluent un accord de gouvernement. Mais il faut immédiatement relever qu'IU est une coalition  que le PCE a créée en 1986, regroupant autour de lui des petites organisations bourgeoises, le MCE regroupant ex-maoïstes et pablistes, organisations qui s'étaient regroupées lors d'un référendum contre l'adhésion de l'Espagne à l'OTAN. I.U. est une coalition étrangère au mouvement ouvrier, facteur de dissolution du PCE et de confusion politique pour le prolétariat.

Cet accord , bien que le PSOE présentent indépendamment ses propres candidats, offre comme perspective un gouvernement bourgeois dans le style “ gauche plurielle ” à la française, baptisé “ gouvernement de progrès ”.

 

Dans ce programme, il n’est nullement question de remettre en cause la politique d’Aznar ; d’ailleurs, pendant toute la campagne électorale, Almunia n’a cessé de déclaré que les privatisations avaient été initiées par Gonzales et qu’il les respecterait. Par ailleurs, les grandes lignes de ce programme restent dans le vague : pour le mieux elles n’engagent à rien, pour le reste, elles reprennent à leur compte la défense des intérêts de la bourgeoisie :

“ Ainsi l’emploi, notamment celui des jeunes, est une priorité [Aznar ne dit pas le contraire-Ndlr], tout comme l’éducation et la formation. Concernant l’U.E., l’accent est mis sur la construction d’une Europe sociale où seront garantis les droits de l’homme, la coopération et le développement. On ne manquera pas toutefois de noter que le PSOE veut tenir les engagements contenus, en matière de déficit public, dans le pacte de stabilité, quand I.U. souhaite aller “ au delà de Maastricht ”( ? ! !). ”

(Le Monde, 9 février 2000).

Ajoutons-y la reprise des "35 heures" à la sauce Aubry, c'est-à-dire avec annualisation et flexibilité maximale. 

 

Cette alliance in extremis n'avait rien qui soit de nature à éveiller l'intérêt des masses espagnoles. L'abstention ouvrière aura été significative, et la "gauche plurielle" à l'Espagnole a frayé la voie à une victoire du PP. La défaite qu’ils ont subi aux élections a provoqué une nouvelle crise dans le PSOE et aggravé celle d’I.U.


Après les élections: nouvelles crises


I.U. existe seulement grâce au PCE, qui, depuis 1979, est resté très minoritaire dans le prolétariat espagnol. En fait, depuis la chute du franquisme, le PCE n’a pas une influence réellement importante dans la classe ouvrière, à part en Catalogne. En revanche, il a joué un rôle contre-révolutionnaire central en tant que représentant de la bureaucratie du Kremlin (place héritée des années 1930, lors desquelles le PCE a été la principal liquidateur de la révolution espagnole). La constitution d’I.U. à partir de 1986 a été une tentative pour le PCE d’échapper à une disparition certaine tout en accroissant son insertion et sa dissolution dans la société bourgeoise. Aux législatives de 1989, I.U. rassemble 9% des voix et se maintien autour de 10% jusqu’en 1996. Lors des élections européennes de mai 1999, c’est la débâcle pour I.U. qui se retrouve avec 5% des voix ; les élections législatives de 2000 ont confirmé ce recul. Les défaites d’I.U. en 99, ont conduit à ce que Julio Anguita, son dirigeant depuis 1986, secrétaire général du PCE de 88 à 98, démissionne de la direction d’I.U. avec 18 de ses membres.

Le déclin d’I.U. est le fruit de la décomposition du PCE, qui, aujourd’hui, après la dislocation de la bureaucratie stalinienne, n’a plus de place en Espagne. Sa disparition est inéluctable.

 

La défaite qu’a subi le PSOE aux élections de 2000 y a provoqué une nouvelle crise. En effet, dès le lendemain des élections, Almunia démissionnait de la direction du PSOE. A la suite de cela, la comité exécutif votait à 117 voix contre 38 pour la formation d’un comité de gestion chargé d’organiser un congrès en juillet 2000.

Deux courants s’affrontent : d’un côté, les pro-Gonzales, qui se réclament ouvertement de l’héritage de la politique qu’il a mené au pouvoir entre 82 et 96 et qui se prononcent pour une “ transition démocratique ” dans le PSOE. ; de l’autre côté, l’aile “gauche”, représentée par Guerra et dans une certaine mesure par Borell.

Ces derniers se prononcent pour une “ refondation véritable du parti ”, ce qu’exprime plus clairement le président de la section d’Aragon du PSOE : “ les responsables de la déroute ne sont pas seulement M.Almunia, mais l’ensemble de la direction de l’exécutif. ” Ce second courant  ne remet pas en cause l’orientation en défense des intérêts de la bourgeoisie que mène le PSOE.

 

Le 35° congrès du PSOE qui s’est tenu le 22 juillet dernier a élu un nouveau secrétaire général, Luis Rodriguez Zapatero. Mais, face à trois candidats, Zapatero n’a obtenu que 9 voix de majorité sur 995 voix. Ses deux principaux rivaux étaient José Bono candidat de l’ancienne direction, et Mathilde Fernandez représentante de la “ gauche ” du parti, auxquels il faut ajouter Rosa Diez un “ réformiste basque ”. Zapatero doit son élection en particulier au fait qu’une partie des délégués de “ l’aile gauche ” ont voté pour lui contre le candidat de l’appareil. D’ailleurs, l’une des premières mesures de Zapatero à la tête du PSOE a été de vider tous les anciens membres de la commission exécutive.

Zapatero se présentait pour "le changement par le dialogue en rénovant l’héritage reçu" et défendait une "nouvelle voie", sans préciser en quoi consistait celle-ci :

"Seule certitude, M.Zapatero veut “ une politique de proximité privilégiant les nouvelles technologies, en accord avec la nouvelle société ” ( ?). Mais il entend aussi, face aux défis de la globalisation, “ protéger les intérêts d’une majorité sociale ” en en retrouvant “ des valeurs menacées en Espagne ”. " (Le Monde 25 juillet 2000)

 

Une chose est sûre: la "rénovation" de Zapatero , comme celle de ses compères sociaux-démocrates et socialistes ailleurs en Europe, ne peut que tendre à déliter tant et plus le caractère ouvrier du PSOE.


Aznar bénéficie d'un soutien particulièrement net des directions des organisations ouvrières


Face aux coups portés aux masses, la victoire écrasante du P.P. aux dernières élections semble d’autant plus étonnante. La baisse du chômage et la reprise économique jouent en partie dans ces résultats, mais c’est d'abord la politique des dirigeants du mouvement ouvrier qui en est responsable. Ainsi, Aznar s’est appuyé sur les acquis laissés par les gouvernements du PSOE, desquels le PSOE se réclame encore. Aznar a également bénéficié de la politique de collaboration des directions syndicales à la mise en place de ses contre-réformes et de leur soutien à sa politique.

Les CCOO sont à l’avant garde de cette politique. Ainsi, lors de leur dernier congrès, qui s’est tenu après les élections, les CCOO ont proclamé leur fidélité à Aznar et fait l’éloge de sa politique :

“ Tout un symbole : CCOO, traditionnellement proche des communistes,(…) couvre de louanges l’exécutif de José Maria Aznar, renforcé après sa victoire triomphale aux législatives de mars.

Lune de miel. Le 7e congrès du syndicat, ouvert hier à Madrid, illustre la lune de miel entre une centrale d’inspiration communiste et un gouvernement de droite. Devant quelques 700 délégués et des centaines d’invités, Antonio Gutierez, le secrétaire général, n’a pas manqué d’applaudir les “ efforts du gouvernement en matière d’emploi et de protection des travailleurs ”, et de faire l’éloge de la politique sociale d’Aznar. L’invité de marque n’était autre qu’Alberto Ruiz Gallardon, président PP de la Région, qui côtoyait José Maria Cuevas, président du patronat espagnol ! ”(Libération, 13 avril 2000).

 

Aujourd’hui, le P.P. sort renforcé des élections législatives, il a les mains libres pour continuer et approfondir sa politique et sait qu’il peut compter sur le soutien des dirigeants du mouvement ouvrier. En février, avant les élections, dans une interview pour le Monde, Aznar donnait l’axe de cette politique :

“ Pour les quatre années qui viennent, si je suis reconduit dans mes fonctions, je vise un surplus budgétaire en 2002, une baisse des dépenses de l’Etat d’un point par an pour les ramener à 40% du PIB en 2004 et un nouveau volet de réformes. Elles concerneront la fiscalité, avec une baisse des impôts des familles, des PME et des travailleurs indépendants ; le marché du travail, avec des aides à l’emploi des femmes ; et la sécurité sociale. (...)

- Comment maintenir la paix sociale avec les dures réformes structurelles qui restent à faire ? - Certains critiquent en disant qu’il faudrait réformer plus vite. Je dis non : il faut procéder petit à petit, dans le consensus. ”

(Le Monde, 28 février 2000).

Aznar l’affirme clairement : si il a pu mener à bien son offensive contre les acquis du prolétariat, sans que celui-ci n’est pu combattre son gouvernement, c’est avant tout grâce à l’élaboration d’une politique de “ consensus ” avec les dirigeants des organisations syndicales.

 

Mais ont joué et jouent un rôle très important dans la victoire du Parti Populaire les opérations à répétition d'union nationale qui ont été orchestrées ces dernières années sur l'axe de la lutte contre "le terrorisme", opérations d'union nationale dont le PP est le principal bénéficiaire.


La question Basque: un axe d'union nationale…


Par un de ces renversements dont l'histoire a le secret, la question nationale basque, qui, sous Franco a servi de détonateur à de multiples mobilisations de masse contre le régime corporatiste, est devenue aujourd'hui un axe de regroupement autour du régime issu de la "transition démocratique".  Des manifestations immenses ont jalonné les attentats commis par l'E.T.A., qui a totalement dégénéré depuis les années 70, et dont le cours politique est de plus en plus désespéré, criminel et totalement étranger et contraire aux intérêts de la classe ouvrière et même à la cause de l'indépendance du pays basque.

 

En  juillet 1997, près de six millions d'espagnols (selon la presse) se retrouvaient dans la rue après l'assassinat d'un conseiller municipal du Parti Populaire. A nouveau, en janvier 2000, soit deux mois avant les élections, une démonstration massive d'union nationale était organisée. Ses responsables (cf. L'Humanité du 24 janvier 2000):

"Le premier ministre, José Maria Aznar, le leader de l'opposition socialiste Joaquim Almunia, le candidat de Gauche unie, Francisco Frutos, les trois anciens présidents de gouvernement, Adolfo Suarez, Leopoldo Calvo Sotelo, Felipe Gonzalez, et les représentants des grands syndicats espagnols ont pris la tête de la manifestation."

 Ce sont les dirigeants du PSOE, de la I.U., des confédérations syndicales qui ont appelé la population laborieuse à défiler contre l'ETA, main dans la main avec les héritiers directs du franquisme (PP et Suarez, dans ce cas), avec ceux qui ont organisé parfois personnellement la répression des militants basques, qui ont perpétué une oppression nationale sauvage au pays basque, et aussi en Catalogne et d'autres régions de l'Etat espagnol. Les dirigeants du vieux mouvement ouvrier espagnol ont ainsi puissamment contribué à estomper le caractère franquiste du Parti Populaire. Mais ils ont aussi défilé aux côtés et sous la direction d'un parti qui continue autant que faire se peut à opprimer les basques.

 

C'est en effet le gouvernement Aznar qui a procédé à l'arrestation collective de tous les dirigeants de Herri Batasuna en 1997 pour avoir voulu diffuser une cassette video de l'ETA pendant leur campagne électorale (CPS a publié une déclaration contre cette arrestation en date du 3 janvier 1998). Cette arrestation collective, viol éhonté des libertés démocratiques élémentaires, a finalement été cassé par la cour constitutionnelle espagnole en 1999… décision fort opportune puisqu'elle intervenait après que l'ETA ait décrété une trêve des attentats. Les dirigeants d'Herri Batasuna, l'interdiction de ce parti, ont servi d'otages, de monnaie d'échange, ni plus ni moins, dans les tractations secrètes entre le gouvernement et l'ETA par l'intermédiaire du PNV, pour aboutir un à "processus négocié" (ce sera l'objet de la déclaration de Lizarra en septembre 1998 cosignée par Herri Batasuna et le PNV).

 

Ajoutons encore que le gouvernement Aznar refuse le rapprochement des prisonniers politiques (sur environ 600 prisonniers, un cinquantaine seulement se trouve au pays basque). Le 10 mars 2001, à nouveau, 16 dirigeants de l'organisation de jeunesse basque Haika étaient écroués pour "appartenance (présumée) à l'ETA".

 

Les dirigeants du PSOE (qui avaient au pouvoir couvert les GAL, groupes paramilitaires menant une campagne de terreur contre les militants basques) ont pavé la voie à la victoire électorale du Parti Populaire en lui servant la soupe de l'Union nationale. Il a franchi un nouveau cran en décembre 2000, en signant avec le Parti Populaire un pacte “ contre le terrorisme ”, qui affirme:

"Nous voulons affirmer notre ferme intention de faire échouer la stratégie terroriste (…) et défendre le droit des Basques et de tous les espagnols à vivre en paix et en liberté" (Le Monde, 11 décembre 2000).

 

De son côté Aznar a déclaré :

"C’est un grand exercice de responsabilité et de cohérence, pour la défense des libertés et de notre cadre commun de convivialité." (idem)

En réalité, cet accord représente l’alliance du PSOE et du PP pour le renforcement de l’Etat policier et monarchiste, de la répression contre les droits du peuple basque. Ainsi, en septembre, en même temps que le  PSOE appelait à un “ front-uni ” à la violence, 1500 policiers supplémentaires étaient postés aux frontières espagnoles et françaises.


… en deçà et au delà des Pyrénées


La prétendue "lutte contre le terrorisme" est en réalité une lutte contre les droits nationaux du peuple basque. Et celle-ci est menée en étroite collaboration avec les gouvernements français, et reçoit le soutien des dirigeants du mouvement ouvrier français. Les gouvernements successifs en France ont tous collaboré à la répression. Depuis 1996 (l'arrivée d'Aznar au pouvoir), plus de 150 militants basques ont été arrêtés en France et livrés à la police espagnole.

 

Cette coopération policière repose sur le soutien des dirigeants des organisations syndicales ouvrières. Dans la foulée du pacte anti –terroriste conclu en Espagne, le 14 février 2001, les dirigeants CGT, CCOO, UGT (rejoints ultérieurement par ceux de FO) adoptaient avec la CFDT et l'UNSA une déclaration: "Pour les libertés et contre le terrorisme" . Elle exige notamment "la dissolution de l'ETA" qu'elle caractérise de "fasciste". Encore une fois, si les attentats de l'ETA sont totalement condamnables, l'emploi du terme de "fasciste" s'agissant d'un pays qui connut le joug franquiste est particulièrement pervers.

Mais c'est qu'il s'agit dans cette déclaration d'exiger le respect préalable de la monarchie instituée par le franquisme, ou encore de la 5ème République:

" Nous exigeons de tous les partis politiques du Pays-Basque et d’ailleurs qu’ils défendent leurs idées par des voies démocratiques et dans le cadre des systèmes politiques et institutionnels existants dans l’Union européenne, en France et en Espagne, seule garantie de défense de tout projet politique."

Pis encore, la déclaration somme

"tout syndicat concerné, en particulier à ceux qui, avec nous, font partie de la CES, et qui, cependant, maintiennent une stratégie politique de collaboration avec les organisations syndicales, politiques et sociales dans la mouvance de ETA, de rompre leurs alliances, lesquelles sont incompatibles avec l’affiliation à des organisations."

 

Point n'est besoin d'un décodeur: la "mouvance" de l'ETA est une expression policière qui désigne les indépendantistes basques quels qu'ils soient. La "confédération européenne des syndicats", confédération de soumission des organisations syndicales ouvrières au cadre de l'Union Européenne, s'engage pour l'isolement politique des militants basques, et cautionne la répression policière des deux côtés des Pyrénées.

 

Prolongement du pacte PP-PSOE de décembre 2000, le PNV qui s'est retrouvé isolé a dû se résoudre à la dissolution du parlement régional basque et à convoquer des élections législatives anticipées pour le 13 mai. Pour la première fois depuis 1979, là aussi, le Parti Populaire peut sérieusement envisager de remporter les élections. A défaut d'une majorité absolue, le PP pourra s'appuyer sur l'accord passé avec le PSOE sur le "terrorisme" pour constituer un gouvernement de "grande coalition" dirigé par le PP, nouveau pas dans la dégénérescence politique du mouvement ouvrier non seulement en Espagne, mais qui aurait des répercussions partout en Europe.


Pour le droit des nationalités à l'autodétermination


En 1931, Trotsky expliquait:

"Les tendances séparatistes posent devant la révolution le problème démocratique du droit des nationalités à disposer d’elles mêmes. Ces tendances, considérées superficiellement, se sont aggravées pendant la dictature. Mais tandis que le séparatisme de la bourgeoisie catalane n’est qu’un moyen pour elle de jouer avec le gouvernement madrilène contre le peuple catalan et espagnol, le séparatisme des ouvriers et paysans n’est que l’enveloppe d’une révolte intime, d’ordre social. Il faut établir une rigoureuse distinction entre ces deux genres de séparatisme. Cependant, et précisément pour disjoindre de leur bourgeoisie les ouvriers et les paysans opprimés dans leur sentiment national, l’avant-garde prolétarienne doit prendre, sur cette question du droit des nationalités à disposer d’elles-mêmes, la position la plus hardie, la plus sincère. Les ouvriers défendront intégralement et sans réserves le droit des Catalans et des Basques à vivre en Etats indépendants, dans la cas où la majorité des nationaux se prononcerait pour une complète séparation. Ce qui ne veut nullement dire que l’élite ouvrière doive pousser les Catalans et les Basques dans la voie du séparatisme. Bien au contraire : l’unité économique du pays, comportant une large autonomie des nationalités, offrirait aux ouvriers et aux paysans de grands avantages du point de vue de l’économie et de la culture générales."

(La révolution espagnole et les tâches communistes, 24 janvier 1931)

 

En 1978, La Vérité analysait que:

"Le franquisme, à un degré qualitativement plus élevé encore que la monarchie et la dictature militaire de Primo de Riveira, a fait de l’oppression nationale des Basques, des Catalans et des Galiciens l’une des bases fondamentales de l’Etat bourgeois. Les revendications nationales ont acquis de ce fait, aux côtés des revendications centrales du droit à l’organisation, à l’expression, à la grève, pour l’affirmation desquelles la classe ouvrière s’est regroupée toujours plus résolument face au franquisme, le caractère des revendications s’attaquant aux fondements mêmes de la domination bourgeoise en Espagne." (La Vérité, N°581, avril 1978)

 

Ainsi, en août 1977, des procédures d’extradition engagées contre un militant de l’ETA entraînèrent de gigantesques manifestations dans toutes les villes basques. Au cours de ces manifestations, le mot d’ordre d’indépendance prédominait, contre celui d’autonomie défendu par les partis traditionnels bourgeois (e PNV), et le PSOE (alors majoritaire dans la classe ouvrière basque). De même, en septembre, en Catalogne, une manifestation de plus d’un million de personnes avait lieu, mais maintenue dans un cadre étriqué par les partis catalans et les partis ouvriers. La Vérité expliquait alors :

"Seuls les mots d’ordre de “ République libre d’Euzkadi et de République libre de Catalogne dans une Union des Républiques libres d’Espagne ” (…) et liés directement à ceux de “ A bas la monarchie ”, “ République et constituante ”, pouvaient libérer l’ensemble des potentialités révolutionnaires des ces puissantes mobilisations." (Ibidem)

 

Aujourd'hui, la responsabilité des directions du  mouvement ouvrier, en France comme en Espagne, est de se prononcer pour le droit du peuple Basque à l'autodétermination, la libération des prisonniers politiques, pour le droit d'asile en France des militants qui en font la demande et contre toute poursuite menée pour "délit d'assistance" ou d'hébergement de ces militants. Il s'agit de combattre contre tout accord liant une organisation du mouvement ouvrier aux partis bourgeois espagnols ou basques (PNV) sur la question nationale.


Combattre contre le gouvernement dirigé par Aznar, pour le front unique des organisations ouvrières.


Tant sur la question des nationalités opprimés, que sur celle de la légitimité de l’Etat bourgeois espagnol, aujourd’hui, Aznar peut se réclamer d’avoir débarrassé la bourgeoisie espagnole des séquelles du franquisme pour ce qui la concerne. La bourgeoisie espagnole au travers de son principal parti a récupéré les moyens politiques lui permettant d'exercer de nouveau, sans entraves, le pouvoir. Ainsi est définitivement close la période politique de l'après-franquisme, au profit de la bourgeoisie.

 

Contre le gouvernement Aznar et sa majorité aux Cortés, il s'agit aujourd'hui au prolétariat d'Espagne d'imposer aux directions des confédérations ouvrières UCGT et COOO, au PSOE et au PCE, qu'ils rompent avec le gouvernement d'Aznar et le combattent dans l'unité. En particulier, il faut exiger d'eux qu'ils dénoncent tout pacte passé avec le gouvernement Aznar tant en matière de destruction des acquis ouvriers que sur la question nationale basque.

 

Le combat sur l'axe du front unique des organisations ouvrières contre le gouvernement Aznar peut permettre que se réunissent les conditions du renversement de celui-ci, de la venue au pouvoir d'un gouvernement résultant de ce front unique dont les masses exigeraient la satisfaction de leurs revendications politiques, sociales, et nationales. Cette satisfaction exige à l'évidence la liquidation de l'Etat monarchique hérité de Franco, le respect scrupuleux des nationalités opprimées à disposer d'elles-mêmes, dans la perspective d’une fédération des républiques socialistes ibériques.  C'est sur une telle ligne que pourrait être construit le parti ouvrier révolutionnaire dont l'existence, en Espagne comme en France, sera la question décisive.

 

15 mars 2001


 

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[1] Izquierda Unida : Gauche Unie, coalition du P.C.E. avec des petites organisations bourgeoises, à laquelle appartiennent les pablistes (ex-LCR).

[2] Parti Nationaliste Basque : Parti Basque “ modéré ”, démocrate-chrétien, créé en 1895. A rompu, le 22 septembre 1997, l’accord de gouvernement conclu avec le P.P. en 1996.

[3] Divers partis régionaux, dont la Coalition Canarienne, le Bloc nationaliste galicien, le Parti Andalou, la Gauche Républicaine de Catalogne, Eusko Alkartasuna et la Junte aragonaise.