Editorial de C.P.S Nouvelle série n°33 (n°115)  - 31 MAI 2008

 

Temps de travail, assurance-chômage, retraites, statut des fonctionnaires, droit de grève… :

L’assemblée nationale s’apprête à voter en rafale des lois anti-ouvrières.

 

Alors que les travailleurs cherchent à stopper l’offensive du gouvernement,

les appareils syndicaux opposent le verrou du « dialogue social »

 

Toute la situation appelle de combattre pour briser le « dialogue social », d’en finir avec les journées d’action disloquées, et d’imposer l’appel uni au rassemblement de la force du prolétariat contre le gouvernement,

La manifestation centrale en masse à l’Assemblée nationale

contre le gouvernement Sarkozy-Fillon.

 


Au moment où ces lignes sont écrites, dans plusieurs secteurs de la Fonction Publique, Finances, Enseignement, etc., comme ce numéro de CPS s’en fait l’écho, des centaines de travailleurs, des sections syndicales, des syndicats, prennent position pour l’appel à la manifestation centrale à l’Assemblée nationale pour le retrait du projet de loi « mobilité ». Dans tous les secteurs, la volonté de centraliser le combat contre le gouvernement Sarkozy-Fillon cherche à s’exprimer.

 

Des mouvements épars mais réels se déroulent dans les entreprises contre les licenciements ou pour des hausses de salaire. Parmi les travailleurs de la Fonction Publique la volonté de combattre le gouvernement s’exprime (comme aux impôts dont plusieurs centres sont en grève, ou dans l’enseignement). L’ébauche de mouvement lycéen n’a existé que du fait du profond rejet de la politique réactionnaire des Sarkozy-Fillon.

 

Or, que constatent les travailleurs ? Les appareils syndicaux organisent une succession de journées d’action éparpillées, impuissantes. Pour le gouvernement Sarkoy-Fillon, le chemin vers la réalisation de ses contre-réformes est pavé de journées d’action : le 15 une journée d’action Fonction Publique, le 18 une manifestation FSU dans l’enseignement, le 22 une journée de manifestation sur les retraites (sans mots d’ordres ni appel uni à la grève), le 24 une nouvelle journée dans l’enseignement (un samedi), avant que de la réunion « unitaire » il ressorte « une suspension » tandis que de leur côté FSU, CGT et SUD convoquent une « journée nationale de grèves et manifestations » (au pluriel) dans la Fonction Publique pour le 10 juin, tandis que CGT et CFDT appellent, cette fois sur le temps de travail et les retraites, le 17 juin, en précisant qu’en aucun cas cette journée ne devra perturber les épreuves du baccalauréat ( !), tandis que la direction FO propose elle une journée de grève sur les seules retraites et affirme lors de la réunion intersyndicale du 30 mai : «nous ne sommes pas d’accord avec la dérégulation des 35 heures qui n’est autre qu’une conséquence de l’article 17 de ladite position commune, mais cela échappe au problème des retraites qui est le dossier le plus important » . Division, journées d’actions décentralisées et délibérément inefficaces : au moment où l’offensive du gouvernement redouble, où en particulier il entend démanteler la durée légale du travail entreprise par entreprise, c’est inacceptable !

Il y a urgence : le gouvernement Sarkozy avance à marche forcée


Dans notre précédent numéro, nous annoncions l’imminence d’une nouvelle accélération de l’offensive du gouvernement Sarkozy-Fillon contre la population laborieuse et la jeunesse, offensive préparée par une intensification ans précédent du « dialogue social » avec les directions syndicales CGT, FO et FSU.

Et en effet, la liste des contre-réformes que le gouvernement et sa majorité UMP-NC entendent réaliser d’ici l’été a de quoi donner le tournis : c’est la majeure partie du programme développé par Sarkozy qui devrait, sauf si l’intervention des masses l’en empêche, être mise en voie d’achèvement en un temps record !

 

En effet, après avoir fait voter la loi sur la « modernisation du marché du travail », l’Assemblée devrait, d’ici la mi-juillet (Fillon ayant convoqué une session extraordinaire) voter :

- le projet de loi sur la ‘modernisation de l’économie’ que le gouvernement utilise comme un bouclier pour s’opposer aux augmentations de salaires (un projet de loi sur la participation qui vise le même objectif devrait suivre)

- le projet de loi sur la « mobilité » dans la Fonction Publique qui est une étape d’envergure vers le démantèlement des garanties statutaire des fonctionnaires, tandis que le conseil des ministres devrait adopter un projet de loi anti-grève dans l’enseignement primaire.

 

- Un projet de loi sur « les devoirs des demandeurs d’emploi » qui vise à contraindre les chômeurs à accepter leur déqualification professionnelle et des emplois payés pour des salaires de misère sous peine d’être exclus de l’assurance-chômage (tandis que sous couvert du futur RSA se prépare un plan similaire pour les Rmistes).

 

- Un projet de loi sur le « dialogue social », lequel, prenant appui sur la « position commune » Thibault-Parisot en matière de représentativité, ouvrirait la voie au démantèlement de la durée du travail par des négociations d’entreprise.

 

Dans le même temps, par décret, vraisemblablement, le gouvernement porterait la durée de cotisation pour toucher une retraite à taux plein à 41 annuités en 2012 (appuyé notamment sur l’avis favorable du Conseil d’orientation des Retraites dans lequel siègent les dirigeants syndicaux confédéraux et fédéraux).


Coup de force contre l’existence de la durée légale du travail : un test


En cette fin de mois de mai, le gouvernement a annoncé par la bouche de Xavier Bertrand que le projet de loi sur la « démocratie sociale » qu’il entend faire voter avant la mi-juillet comprendrait un volet autorisant la mise en pièces, par des négociations entreprise par entreprise, de la durée légale du travail. En effet, l’avant-projet de loi stipule que c’est à ce niveau que seraient définis non seulement le contingent d’heures supplémentaires, mais également les repos compensateurs, et encore la mise en place pour tous les salariés de forfaits horaires ou jours et les conditions de l’annualisation du temps de travail (deux dispositifs mis en place par les lois Aubry d’ARTT).

 

Il est incontestable que ce projet prend appui sur la « position commune » CGT-CFDT-Medef sur la représentativité qui est sortie, le 10 avril, des « négociations » ouvertes à la demande du gouvernement, nous y reviendrons. Tout particulièrement son article 17 qui stipule :

« Des accords d'entreprise conclus avec des organisations syndicales représentatives et ayant recueilli la majorité absolue des voix aux élections des représentants du personnel peuvent dès à présent, à titre expérimental, préciser l'ensemble des conditions qui seront mises en œuvre pour dépasser le contingent conventionnel d'heures supplémentaires »

 

Mais le gouvernement prend appui sur cette position pour aller plus loin, plus vite, talonné en particulier par l’approche d’une grave crise économique. C’est pour lui un test : si le « dialogue social » lui a permis d’engranger d’importantes victoires, il manifeste aujourd’hui son impatience et sa volonté d’aller plus loin quitte à forcer la main des appareils syndicaux. Il ne s’en cache d’ailleurs pas. Le Monde du 28 mai rapporte :

« Le conseiller social, Raymond Soubie, met en avant le "caractère équilibré" du texte. "Il s'agit d'un équilibre entre tous ceux qui veulent tout casser sur la durée légale du temps de travail et ceux qui ne voulaient des modifications qu'à la marge". Et de souligner que les partenaires sociaux ont eu tout le loisir de négocier sur ce thème dont le chef de l'Etat les avait saisis. "La négociation a eu lieu, les partenaires sociaux ont élaboré une position commune, et nous en reprenons 90 % sur la représentativité", fait-il valoir M. Soubie.

De son côté, Xavier Bertrand, le ministre du travail, déplore dans Les Echos (28 mai) que sur le temps de travail, les partenaires sociaux n'aient pas "voulu réellement se saisir de ce sujet". "Nous avions prévenu les partenaires sociaux que nous irions plus loin et aujourd'hui, nous l'assumons pleinement", précise-t-il. »

 

L’enjeu est de taille pour tout le prolétariat. Pour le gouvernement et le patronat, c’est un test décisif sur leur capacité à redoubler de coups en tous domaines contre les travailleurs et la jeunesse, et aussi un test sur leur capacité à aller de l’avant sans attendre systématiquement le feu vert des appareils syndicaux, leur capacité à utiliser à leur profit la concertation, le « dialogue social », sans s’y cantonner en toutes circonstances.

 

La seule réponse qui soit à même de faire barrage à cette offensive visant à effacer des décennies de combats ouvriers pour limiter l’exploitation, c’est la manifestation centrale à l’Assemblée nationale avant que ce projet ne soit voté, pour en exiger le retrait, à l’appel des confédérations syndicales – lesquelles affirment d’ailleurs toutes formellement du moins être contre ce projet.

 

Mais il faut donner acte à Mailly (FO) qu’il a raison quand il déclare sur France Inter le 29 mai : « Ils (CGT et CFDT) peuvent retirer leurs signatures, ça règlera le problème. A eux de prendre leurs responsabilités ». Car si le gouvernement, déclenchant les cris d’orfraie de Thibault et Chérèque devant un tel coup de force, a enclenché la vitesse supérieure, c’est sur la base de l’existence d’une « position commune » Thibault-Parisot et notamment de son article 17 cité plus haut. C’est aussi sur la base de l’existence de ces négociations sur la représentativité, lesquelles étaient ouvertes dans le cadre de « l’agenda 2008 » des contre-réformes de Sarkozy, et dont la lettre de mission de Fillon demandait aux bureaucrates syndicaux, comme nous l’écrivions dès janvier dans notre bulletin:

« de lui faire des propositions visant à renvoyer aux accords d’entreprise le « seuil de déclenchement des heures supplémentaires », « leur taux de rémunération », et ouvrant même la voie à un « accord direct » individuel entre chaque salarié et son patron « en matière de durée du travail ». » 

 

Autant dire que, sans que ce soit un préalable à l’engagement immédiat du combat dans le front unique des organisations syndicales ouvrières, le point d’appui décisif du gouvernement dans cette offensive contre la durée légale du travail en France a été et demeure le « dialogue social ».


La position commune Thibault-Parisot sur la « représentativité » a ouvert la porte au gouvernement


A peine la « position commune » ratifiée, non sans difficulté par l’appareil CGT (où un quart des fédérations se sont prononcées contre la signature), Sarkozy s’engageait à la ratifier dans une tribune au journal  Le Monde du 19 avril.  Il suffit d’en lire le contenu pour comprendre pourquoi !

L’appareil CGT (lequel a validé l’accord avec le soutien de 19 fédérations contre 7) cherche à vendre cet accord en affirmant qu’il permettra une véritable « démocratie sociale » que serait « l’accord majoritaire ». En réalité ledit « accord majoritaire » est en réalité un accord soutenu par des syndicats représentants 30% des voix (mais c’était déjà une barre trop haute pour l’appareil FO, d’où son refus de signer au final).  

Mais le processus de fond que cet accord exprime, et qui est celui qui permet au patronat d’envisager des « accords majoritaires », c’est l’engagement de plus en plus ouvert des dirigeants confédéraux aux côtés du patronat et de Sarkozy pour accompagner les « réformes » réactionnaires, c’est « l’esprit de responsabilité » que salue Sarkozy dans la tribune au Monde dans laquelle il approuve la « position commune » avant de saluer les dirigeants syndicaux en ces termes:

« Je veux leur dire mon estime. Ce sont des hommes et des femmes de ma génération : assez expérimentés pour connaître les limites du système des décennies passées, assez jeunes pour avoir envie de changer, de faire bouger les choses.  C'est pourquoi je leur ai proposé, fait unique dans l'histoire de notre République, de construire un agenda social partagé, que nous avons arrêté ensemble »

 

Sarkozy conclut : « Et je crois enfin que nous sommes sur le bon chemin. ». C’est clair et limpide : le « bon chemin » pour le gouvernement, pavé de journées d’actions, c’est celui du dialogue social.

Et c’est un chemin qui mène à la liquidation des organisations syndicales ouvrières. Car que stipule la position commune ? Elle va vers le contrôle de facto de l’Etat sur les comptes des syndicats, qui remet en cause la loi de 1884, et donne son feu vert par avance (article 1-5) à une nouvelle loi sur la certification de leurs comptes. Elle remet aussi en cause de la liberté de désignation par le syndicat de son délégué d’entreprise, voire son existence, car celui-ci devrait dorénavant nécessairement être candidat aux élections du personnel, et qui plus est recueillir plus de 10% des voix. Faute de quoi il n’y n aurait plus !

C’est donc la liberté de désignation du délégué syndical qui est remise en cause, et sa fusion, dans la pratique, avec la fonction d’élu du personnel, ce qui est un facteur d’affaiblissement des organisations syndicales – jusqu’à remettre en cause la possibilité de constituer un syndicat ! En effet, si on ajoute qu’une organisation syndicale ne peut présenter de candidat qu’au bout de deux ans d’existence avérée ; cela signifie que pendant deux ans , les militants qui déclarent constituer un syndicat le font  désormais sans aucun mandat les protégeant de la répression patronale.

 

Voilà où mène le « dialogue social » avec le gouvernement, à la destruction d’acquis fondamentaux de la durée légale du travail à l’existence du délégué syndical et d’organisations syndicales ouvrières dans les affaires desquelles l’Etat ne peut fourrer son nez. Voilà pourquoi il faut, répétons-le, combattre pour le retrait de la signature de la CGT, qui rendrait cette « position commune » caduque.

 

Mais cet accord a fait école, le gouvernement mesurant parfaitement les bénéfices qu’il en retire : aussi a-t-il procédé de même dans la Fonction Publique.


Accord-bis sur la « représentativité » dans la Fonction Publique, pour accompagner la liquidation du statut


Ce 2 juin aura lieu la cérémonie de signature de l’accord passé entre le gouvernement et la quasi-totalité des fédérations syndicales de la Fonction Publique (notamment CGT, FSU, UNSA, SUD et bien sûr CFDT). « Au-delà des plus folles espérances du gouvernement! » commente le Figaro du 26 mai, lequel gouvernement caractérise ce texte « d’historique ». Cet accord, comme sa matrice Thibault-Parisot, prévoit l’instauration, toujours pour reprendre les termes du Figaro « d’une culture du compromis ». Il est vrai qu’il écrit noir sur blanc que ce qui fonde le renforcement du « dialogue social » dans la Fonction Publique, c’est le constat partagé qu’« il est possible de parvenir à des convergences et des compromis entre l’administration et les représentants des personnels ».  Traduisez : des convergences entre le gouvernement et les appareils syndicaux.

 

Cette signature est coup de poignard dans le dos des travailleurs de la Fonction Publique au moment même où ceux-ci cherchent à engager le combat (notamment dans plusieurs centres des impôts en grève) contre la politique du gouvernement, et que ce combat cherche à se centraliser sur l’exigence du retrait du projet de loi « mobilité » et de l’appel uni à une manifestation centrale et nationale à l’Assemblée au moment où il sera discuté. Ainsi, le 10 juin, à l’occasion de la journée de grève dans la Fonction Publique, des syndicats ont dû reprendre à leur compte cette exigence. Citons l’appel du congrès du syndicat CGT des douanes qui s’achève ainsi : « Le Congrès du SNAD relaie l’appel des AG de personnels pour que cette action prenne la forme d’une manifestation nationale devant l’Assemblée ». Dans le même temps, pour le 10 juin, les syndicats des Finances CGT et SNUI ont décidé d’appeler à « une manifestation nationale à Paris ». En elle-même cette position ne va guère au-delà d’un « alibi » ; puisque d’une part elle ne désigne pas l’objectif de la manifestation (à l’Assemblée, là où se vote la loi mobilité) ; que d’autre part elle ne s’accompagne d’aucun appel aux fédérations de fonctionnaires à faire de même. Mais en même temps, l’appel des dirigeants SNADGI CGT et SNUI manifeste que la question de la manifestation centrale pour arrêter le gouvernement est bel et bien posée (voir aussi dans ce numéro la prise de position nette des syndicats CGT, FO, FSU et CFDT du Medad de la région Auvergne).

C’est donc dans ce contexte que les fédérations signent un texte manifestant leurs « convergences » avec le gouvernement ! Mais à vrai dire ce texte ne s’arrête pas là : c’est un texte qui s’inscrit dans la perspective de la mise en œuvre de la liquidation du statut des fonctionnaires dont le projet de loi « mobilité » est une étape d’importance.

Outre le recours à massif à l’intérim et l’incitation au départ de la Fonction Publique, ce texte place le fonctionnaire dont le poste aurait été supprimé dans une situation où il devra accepter un reclassement dans l’une des trois fonctions publiques, sinon des situations où il cumulerait plusieurs postes à temps partiel dans des administrations différentes… à défaut de quoi il pourrait être mis en retraite d’office ou en « disponibilité d’office », c’est-à-dire licencié !

 

Au moment où ledit projet de loi mettrait en œuvre la mobilité forcée pour les agents entre les trois fonctions publiques, le protocole sur la représentativité instaure un Conseil Supérieur de toute la Fonction Publique chargé des questions relatives … à la « mobilité » ! Autre champ de compétences de ce futur Conseil : les « valeurs » de la Fonction Publique. Or c’est le titre du futur projet de loi qui doit découler du « livre blanc » remis au gouvernement ! Et que prône ce livre blanc ? D’une part d’organiser la privatisation de tous les services publics qui peuvent être rentables pour les entreprises privées. D’autre part d’organiser le décloisonnement de la Fonction Publique en passant à une « Fonction Publique de métiers » organisée autour de quelques grandes filières. Ainsi la « mobilité » entre les administrations et y compris les différentes fonctions publiques serait considérablement facilitée : c’est l’instauration de la flexibilité généralisée comme mode de gestion des fonctionnaires. Pour en rajouter, le rapport propose de changer totalement le mode de recrutement et de mutations, passant à une gestion locale des recrutements que permettrait la création d’un « marché de l’emploi public » où postuleraient les fonctionnaires cherchant à changer de poste.

 

C’est dans cette perspective qu’un deuxième protocole soumis à signature, mais dont le gouvernement a annoncé qu’il s’appliquerait de toute façon, propose de liquider les Commissions Administratives Paritaires, où les élus syndicaux sont chargés de veiller au respect des règles statutaires dans chaque corps de la Fonction Publique. Liquider les CAP est essentiel pour organiser la « mobilité », le recrutement local.

 

Qui plus est, le protocole signé par la plupart des appareils syndicaux instaure le principe, qui va dans le même sens, de « négociations » au niveau local qui sur toute une série de sujets pourraient aboutir, « selon les spécificités locales », à des règles locales différentes des règles statutaires ! Tout converge vers l’explosion du statut.

 

La signature de ce texte n’est pas passée comme une lettre à la Poste, reflet indirect l’opposition des travailleurs de la Fonction Publique à ce que leurs organisations syndicales soient associées à la liquidation de leur statut – mais aussi des craintes qui saisissent une fraction de l’appareil devant la perspective, notamment, de la liquidation des commissions paritaires. Au sein du Conseil National de la FSU du 21 mai, le vote en faveur de la signature n’a pas eu dans un premier temps le nombre de voix nécessaire pour être entériné. S’en est suivie une crise interne : Aschieri son secrétaire général mettant sa démission dans la balance, et menaçant la tendance « Ecole Emancipée », dirigée par des militants LCR, de perdre sa place et ses postes dans la fédération car nombre de ses représentants au Conseil National avaient refusé de soutenir la signature. Fidèle à elle-même en matière de lutte contre les bureaucrates, la tendance dirigée par la LCR s’est finalement aplatie, acceptant que le vote soit même… refait, en violation des règles élémentaires de la démocratie syndicale.

Au passage, Aschieri révélait le dessous des cartes, en annonçant que SUD et la CGT ne pouvaient pas signer si la FSU s’y refusait. La solidarité entre bureaucrates syndicaux était ainsi opposée à la volonté des fonctionnaires de combattre le gouvernement et non de « dialoguer » avec lui. Si la FSU n’avait pas signé, non seulement la voie du combat pour le retrait du projet de loi « mobilité » s’ouvrait en grand, mais y compris la signature de la confédération CGT sur la « position commune » aurait pu être menacée sérieusement.

 

Quant à la traduction concrète de ce que signifie une telle signature, le secteur de l’enseignement permet parfaitement de le mesurer.


Sur la base de la liquidation du mouvement lycéen, le gouvernement accélère son offensive
contre l’enseignement public, contre le droit de grève… dans la concertation


A partir du moment où les suppressions de postes se sont concrétisées dans les établissements scolaires, les lycéens ont tenté d’entrer en mouvement. Que celui-ci n’ait jamais pris une ampleur massive n’est pas surprenant : les lycéens se trouvaient en première ligne pour tenter de s’opposer à des suppressions de postes que les directions syndicales de l’enseignement n’avaient pas levé le petit doigt pour combattre. Combattre les suppressions de postes revenait qui plus est à remettre en cause le budget, toute la politique du gouvernement. Un tel objectif surpassait nécessairement les forces des lycéens, compte tenu de l’isolement dans lequel ils ont été maintenus par les appareils syndicaux, à commencer par celui du SNES-FSU (cf. le supplément à destination des lycéens dans ce numéro). De plus, la multiplication par les « syndicats » lycéens qui ont contrôlé de bout en bout le mouvement de journées de manifestations répétitives a achevé le travail. Darcos s’est appuyé sur ces derniers pour tourner à son profit l’impasse dans laquelle les lycéens ont été entraînés : la Fidl et l’Unl ont en effet accepté « d’ouvrir des discussions » sur ce qui intéresse le gouvernement, à savoir la « réforme des lycées » (assaisonnée de l’implantation « d’assistants pédagogiques » précaires en lieu et place d’enseignants qualifiés). Or cette « réforme » (lycée modulaire) n’a d’autre but que de permettre – comme celle des lycées professionnels – de plus amples suppressions de postes.

 

Quelques jours après la grève du 15 mai, relativement bien suivie dans les établissements scolaires – notamment dans le primaire où la suppression du samedi et les nouveaux programmes provoquent de vives réactions – Darcos a écrit aux directions des fédérations syndicales enseignantes pour leur proposer d’ouvrir des discussions sur la « réforme » du lycée, le statut des professeurs. En clair : sur la poursuite de sa politique, sur la mise en œuvre du rapport Pochard. En répondant positivement à cette invitation, les directions syndicales, et notamment de la FSU, donnent le sens de la signature du protocole sur le « dialogue social » : c’est une politique d’accompagnement des mesures gouvernementales.

 

Mais le plus éloquent est leur réaction face à la remise en cause du droit de grève annoncée par Sarkozy dès le 15 mai au soir, remise en cause qui étendrait aux écoles primaires les dispositifs existant dorénavant dans les transports : obligation d’attendre deux semaines pour pouvoir se mettre en grève, déclaration individuelle 48 heures à l’avance, utilisation de personnels précaires pour ouvrir les écoles. C’est une attaque frontale contre le droit de grève, or la réaction des dirigeants notamment du SNU-IPP (FSU) a été d’aller au ministère en discuter avec André Santini (lequel s’est illustré en proposant de remplacer la grève par le port d’un brassard !), et ce pour proposer des aménagements au projet de loi ! Le Conseil National de la FSU a refusé explicitement de se prononcer pour la défense du droit de grève !


Le gouvernement manie d’une main le « dialogue social », de l’autre la répression


Il est donc une fois de plus avéré que, comme l’avoue cyniquement Thibault au Monde du 12 mai :

« Le gouvernement reçoit les organisations syndicales dans le seul but qu'elles accompagnent les réformes dont les arbitrages sont déjà faits. On peut difficilement se plaindre de l'absence de rendez-vous avec les ministres du gouvernement : il y en a quasiment tous les jours ! ».

Donc, si l’on comprend bien, tous les jours, les dirigeants syndicaux se rendent dans les ministères pour participer à des réunions d’accompagnement des « réformes » !

Mais telle est bien l’essence du « dialogue social », arme décisive du gouvernement. Sarkozy s’en félicitait dans la tribune au Monde du 19 avril déjà évoquée  en qualifiant de « dialogue social » de « clé du succès » pour « conduire les réformes ». Exemples à l’appui :

« l'accord conclu le 11 janvier entre les partenaires sociaux sur le marché du travail, qui est une étape décisive pour donner plus de sécurité et plus de souplesse aux salariés comme aux entreprises (…) la réforme des régimes spéciaux de retraite, qui a pu être menée à bien à l'automne grâce à une intense période de concertation au niveau national et des négociations dans chacune des entreprises concernées » (nous soulignons).

 

Le « dialogue social » n’a pour but que de faire passer la politique du gouvernement. Il lui est d’autant plus indispensable que sans lui, les éléments de tension qui s’affirment jour après jour pourraient prendre un tour ravageur. Le renforcement des traits bonapartistes de la 5ème République par Sarkozy comme jamais depuis de Gaulle (ce qui en dit long sur la prétendue « parlementarisation » de celle-ci que permettrait la future « réforme constitutionnelle » sur laquelle pourtant le PS cherche toujours à s’entendre avec l’UMP) est source de crispations jusque dans les rangs du parti dominant et du gouvernement lui même. Ainsi Sarkozy réunit-il ouvertement un cabinet restreint de 7 ministres autour de lui… sans Fillon ! De même, à plusieurs reprises, la majorité UMP a tenté de se démarquer du gouvernement, sur la réforme constitutionnelle ou bien sur les OGM, ou encore pour infliger quelques soufflets à la chouchoute de Sarkozy Rachida Dati. Tandis que Sarkozy continue d’essayer de « faire président » selon ses propres termes, ce qui résume la nullité du personnage, des couches de la petite-bourgeoisie prises à la gorge par la hausse des prix du carburant font savoir leur colère. Tout cela s’est manifesté, le précédent numéro de CPS l’a analysé, lors des élections municipales que l’UMP a perdues du fait de la moindre mobilisation de son électorat.

 

Le « dialogue social » est donc indispensable au gouvernement… Mais pour ceux qui s’opposent à sa politique – et tel n’est pas le cas des appareils syndicaux – il n’y a pas de « dialogue», mais la répression. Ce fut une nouvelle fois le cas pour nombre de lycéens arrêtés arbitrairement durant les manifestations–l’un d’entre eux, à Nantes, a perdu un œil. Ce fut aussi le cas pour les dockers à Marseille en butte à la répression policière, notamment le 20 mai où la police a notamment interdit un rassemblement devant l’hôtel de ville. Ce fut aussi le cas pour les manifestants venus huer Sarkozy à Vienne, le 13 mai, ou à Melun le 16, manifestants qui furent parfois arrêtés, ou dont le matériel politique a été confisqué, les banderoles saisies par la flicaille.

 

L’arsenal des lois policières anti-ouvrières de ces dernières années, dont les travailleurs immigrés sont les premières victimes en même temps que les cobayes, donne tout son sens à ce que signifie le « dialogue social », c’est-à-dire la soumission au gouvernement Sarkozy-Fillon.

Mais cet arsenal répressif risque fort d’être utilisé tant et plus par le gouvernement dans les mois qui viennent, car l’aggravation de la situation économique mondiale et française ne peut que durcir la lutte des classes.


Les symptômes d’une grave crise économique s’accumulent


Car si le « dialogue social » permet au gouvernement d’accélérer la mise en œuvre de sa politique, cette accélération est dictée par l’aggravation inéluctable de la crise économique et financière. A cet égard, le rebond des marchés financiers ne doit pas faire figure d’arbre cachant la forêt. Outre qu’il est alimenté d’abord par la baisse des taux d’intérêts américains, qui valorise les placements en actions et engendre un nouvel afflux de capital de prêt, capital fictif et dans les circonstances actuelles hautement spéculatif, les banques sont loin d’avoir apuré la crise née de l’immobilier américain. L’actuel répit a un caractère provisoire. D’une part, il repose sur la dissimulation délibérée par les grandes banques de l’ampleur de leurs problèmes. Pour exemple, on apprenait en avril, via un article du Wall street journal, que le Libor, indice qui mesure les taux auxquels les banques se prêtent entre elles, venait de faire un bond. Pourquoi ? Parce que l’association des banques britanniques avait menacé de sanctions les banques qui feraient des déclarations faussées sur le taux auxquels elles empruntent à leurs consoeurs. Aussitôt, plusieurs « rectifiaient » à la hausse leurs déclarations, ce qui en termes décryptés veut dire qu’elles dévoilaient la réticence de leurs consoeurs à leur prêter – laquelle réticence se traduit par une hausse du taux du prêt. D’où viennent ces réticences sinon que le secret bancaire dissimule aujourd’hui d’importantes pertes non déclarées encore, des faillites potentielles ? Les annonces en ce sens du mois de mai du Crédit Agricole (qui a besoin de 6 milliards d’euros de recapitalisation) ou du Crédit suisse (1,3 milliards d’euros de pertes au premier trimestre) sont venues le confirmer.

 

Mais ce n’est pas tout : la crise économique est engagée, particulièrement aux Etats-Unis où personne ne conteste que l’activité économique est en recul. Quant à l’Europe, le FMI indiquait le 21 avril « Des risques "considérables" pèsent sur la croissance européenne » - le capitalisme allemand nageant pour le moment au dessus du lot. A ce ralentissement se conjugue une inflation grandissante, laquelle procède pour l’essentiel de la spéculation, alimentée par la baisse des taux d’intérêt US, spéculation qui joue avec la vie de millions d’êtres humains quand elle fait flamber les prix des matières premières, et qui s’est aussi emparée pour l’instant du pétrole, l’emmenant à de tels sommets que les conséquences pour la croissance économique s’en trouvent aggravées.

 

Or dans cette situation, le capitalisme français qui commence à être touché durement est dans une position délicate : la production industrielle a commencé de diminuer, alors que le retournement du marché du logement est maintenant avéré.

 

Il faut le marteler : cette crise, ses premières conséquences, sont à mettre au compte du régime capitaliste, elles sont les conséquences des moyens employés pour repousser une faillite dont l’heure a sonné depuis longtemps (historiquement, en août 1971 quand le lien entre la monnaie de référence, le dollar, et l’or, a été rompu). Ce sont toutes les traites de cavalerie émises des décennies durant, l’immense amoncellement de dettes, de capital fictif, qui aujourd’hui menacent une nouvelle fois d’emporter l’humanité toute entière dans une crise économique potentiellement dévastatrice. Et cette course folle qui est celle du Capital est jalonnée de guerres impérialistes, de famines qui découlent directement de la propriété privée des moyens de production agricoles, ou encore d’un chômage réel qui frappe des dizaines de millions de prolétaires dans les seuls pays capitalistes dominants.

 

Or c’est précisément à ce régime faillitaire qu’une nouvelle fois les dirigeants du PS viennent de faire allégeance en adoptant une nouvelle déclaration de principes, qui, si elle ne change pas la nature du PS, est un coup politique porté aux masses, que Hollande lui-même caractérise en ces termes dans  Le Monde du 29 mai : « Depuis le temps que l'on nous sommait de faire notre aggiornamento ou notre Bad Godesberg, voilà qui est fait. » ce n’est pas un hasard que, concomitamment à l’adoption de cette déclaration de principes, Delanoë, candidat à la direction du PS, se déclare « libéral ». C’est servir sur un plateau les cercles dirigeants du capitalisme français qui ont et auront besoin d’un maximum de confusion politique. C’est envoyer au prolétariat le message que toute alternative à une politique se situant dans le cadre de la défense de ses intérêts est bouchée.

 

Mais le PS n’est pas seul sur ce terrain. Par exemple, il faut souligner la portée politique de la participation d’un Le Duigou (n°2 de la CGT) à la gestion du « fonds de réserve des retraites», fonds de pension placé sur les marchés financiers et dont on a appris qu’il avait perdu 3 milliards d’euros dans la tempête qui secoue les places boursières. Les dirigeants de la CGT jouent l’argent public dans les casinos financiers !

 

Sur leur propre plan, le PT-CCI, qui va proclamer un nouveau parti avec à sa tête un Schivardi qui se réclame publiquement (dans France Soir du 24 avril) de la propriété privée, du gaullisme, et s’oppose aux attaques contre Sarkozy, ou la LCR dont le nouveau parti « anticapitaliste » aurait comme caractéristique essentielle… de ne plus être communiste, contribuent aussi à nourrir un sentiment d’impasse politique. 

 

Il est donc indispensable pour lutter contre la confusion politique, pour nourrir la volonté d’engager le combat contre le gouvernement Sarkozy-Fillon et sa politique, de brandir plus que jamais l’étendard du combat pour le socialisme, seule issue positive à la crise de l’humanité.

 

Cette issue, c’est celle du combat pour la venue au pouvoir d’un gouvernement ouvrier, révolutionnaire, lequel, en s’appuyant sur le prolétariat et la jeunesse, organise sur les décombres de la 5ème République la production en fonction de leurs besoins et non plus de la loi du profit, un gouvernement qui s’engage sur la voie qui mène au socialisme en expropriant les principaux groupes industriels et financiers pour mettre l’appareil productif au service de la majorité de la population.


Pour la manifestation centrale à l’Assemblée nationale
pour porter un coup d’arrêt à la politique des Sarkozy-Fillon


Malgré le verrou du « dialogue social » et la politique de bousille que mènent les appareils en conséquence, la volonté de combattre le gouvernement Sarkoy-Fillon et le Medef, pour porter un coup d’arrêt au feu roulant de contre-réformes se manifeste.

L’attestent notamment les grèves dans les entreprises pour les hausses de salaire (qui selon Thibault dans  Le monde du 12 mai ont atteint un niveau sans précédent depuis des années). Mentionnons les grèves à La Redoute, ou dans les usines Coca-Cola, ou encore à Arcelor contre les licenciements (et contre Sarkozy), ou encore la grève à Goodyear à Amiens contre l’alourdissement de la charge de travail, grève qui a d’autant plus d’importance qu’elle a lieu dans l’entreprise où les travailleurs avaient récemment imposé que les responsables du syndicat CGT qui avaient signé avec la direction soient révoqués.

De même, il faut souligner que le 22 mai, le nombre de manifestants contre le passage à 41 annuités n’a pas été négligeable si l’on tient compte de ce que les appareils syndicaux n’avaient même pas appelé à la grève et écarté tout mot d’ordre saisissable.

 

La question posée est bel et bien celle du rassemblement de la force des travailleurs, de la classe ouvrière, au grand jour, contre la politique du gouvernement, contre le gouvernement. C’est à cette nécessité que répond le mot d’ordre de manifestation à un million et plus à l’Assemblée nationale, mot d’ordre qui peut et doit se saisir de toutes les concrétisations que le calendrier gouvernemental offre, comme le projet de loi « mobilité » ou celui sur « représentativité » qui liquide en même temps toute définition légale du temps de travail Telle est la voie de la satisfaction des revendications, et notamment :

- Pas un trimestre de cotisation de plus ! - Retrait des mesures annoncées contre les chômeurs

- Augmentation générale des salaires pour rattraper le pouvoir d’achat perdu depuis des années

- Retrait des « réformes » contre les fonctionnaires, du projet de loi « mobilité » qui permet de les licencier !

- Rétablissement de tous les postes supprimés dans la Fonction Publique, à bas la RGPP !

 

Telle est la voie qui permettra de battre en brèche la politique du « dialogue social » entre le gouvernement et les appareils syndicaux, laquelle vise à paralyser les masses face à leur ennemi.

 

Telle est la voie que défendent et pour laquelle combattent  les militants du Groupe, au compte de la construction de l’indispensable Parti Ouvrier Révolutionnaire.


Le 30 mai 2008

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