Editorial de C.P.S nouvelle série n°29 (n°111) –25 mai 2007

 

Pour faire face à l’offensive ultra-réactionnaire

qu’annonce la victoire électorale de Sarkozy :

Opposer au gouvernement Sarkozy-Fillon le front unique

des organisations du mouvement ouvrier (syndicats, partis),

combattre contre toute concertation avec ce gouvernement

 

Un gouvernement de guerre pour « changer le pays » (Sarkozy)


A peine intronisé président avec la pompe à caractère monarchique qui caractérise la Ve République, Sarkozy a formé un gouvernement UMP-UDF dont la seule composition permet déjà de le caractériser comme un gouvernement de guerre contre le prolétariat et la jeunesse. A sa tête, il a placé Fillon, l’homme de la contre-réforme des retraites, « mère de toutes les réformes » (dixit Seillière) de 2003, mais aussi celui de la loi sur le « dialogue social » qui a mis fin au principe de faveur qui interdisait qu’un accord d’entreprise soit moins favorable aux salariés que l’accord de branche, ou encore a sorti la formation professionnelle du temps de travail. Il est également l’homme de la « loi d’orientation », véritable machine à déréglementer l’enseignement public. Lui qui se vantait lors de son départ du gouvernement de Chirac qu’il ne resterait comme bilan de ce dernier que les dites réformes annonce la couleur : « j’ai le sentiment d'être en mesure de mettre en oeuvre un changement radical de la vie politique française » (sur TF1 le 18 mai).

 

A ses côtés, droit dans ses bottes, le repris de justice Alain Juppé, homme associé au plan du même nom,  « rapt du siècle » sur la sécurité sociale (cf. Blondel de Force Ouvrière), mais qui dû reculer sur la réforme des régimes spéciaux face au mouvement de classe de novembre-décembre 1995, face à la grève générale de la SNCF et de la RATP, dont la destruction figure sur l’agenda du nouveau gouvernement.

On trouve encore dans ce gouvernement, dont l’ossature est faite de barons de l’UMP et de la garde rapprochée de Sarkozy, une grenouille de bénitier anti-avortement, Christine Boutin, mais aussi le globe-trotter de l’arrivisme qu’est Bernard Kouchner, ex-gouverneur colonial du Kosovo. Or ce n’est pas seulement pour son appartenance au PS qu’il a été désigné, mais aussi parce qu’il fut en 2003 l’un des partisans déclarés de l’intervention impérialiste contre l’Irak.

Ajoutons encore la présence au ministère de l’éducation de X.Darcos, lequel, déjà adjoint de Fillon lors du vote de la « loi d’orientation » contre laquelle les lycéens avaient tenté de se dresser, est aussi l’auteur d’un récent rapport proposant de « desserrer le carcan des statuts » des enseignants en procédant à l’annualisation et la globalisation de leur temps de travail.

 

La structure même de ce gouvernement resserré est lourde de menaces contre les travailleurs. Le redécoupage des ministères, notamment celui des Finances, annonce un violent plan de  « restructuration » de la fonction publique d’Etat. D’ailleurs, le ministère de la fonction publique lui-même est fusionné et place sous les fourches caudines de celui du budget. Qui plus est, le même ministère s’octroie la surveillance des « comptes publics », comprendre, ceux de l’assurance-maladie.  

 

(suite page 2)

Il s’agit donc non seulement de ministère de la réduction de la fonction publique, mais encore de celui qui, dans le prolongement de la contre-réforme de 2004 (dont le maître d’œuvre, Xavier Bertrand, assureur de son métier, est lui aussi récompensé par un maroquin) va dicter à l’Union Nationale des Caisses d’Assurance-maladie sa ligne de déremboursements massifs et de privatisation accélérée du système de santé public.

De plus, derrière la séparation du ministère de l’emploi de celui du travail (ce qui fait disparaître ce dernier), se forme un nouveau ministère consacré également aux « relations sociales » et à la « solidarité », véritable pôle consacré exclusivement au démantèlement des garanties collectives de la classe ouvrière et de leur remplacement par la charité, Emmaüs à l’appui. Dans le même temps, le ministère des affaires sociales, celui de l’équipement, sont rayés de la carte.  Ajoutons enfin la constitution du ministère de « l’identité nationale et de l’immigration », d’inspiration pétainiste, dirigé par le sinistre chien de garde de Sarkozy, Brice Hortefeux.

Voilà donc l’équipe de choc chargée par Sarkozy de « changer le pays », « faire bouger les lignes » ainsi qu’il l’a annoncé à la presse, de mettre en œuvre un programme d’une brutalité exceptionnelle.


Le Medef  exulte et salue avec « enthousiasme » l’arrivée de Sarkozy au pouvoir


Le Medef ne se tient plus de joie. « Que du bonheur » s’exclamait au soir du second tour le baron Seillière. Quant à Laurence Parisot, elle faisait part de l’« enthousiasme » du Medef. Pour préciser quelques jours plus tard sur France 2: « Si on s’y met tous", gouvernement, syndicats et patronat, "d’ici un an, un an et demi, il peut y avoir des résultats tout à fait significatifs »

Cette prise de position suffirait à elle seule à caractériser le gouvernement dont le Medef, mais au-delà tous les patrons attendent beaucoup. Laurence Parisot, encore elle, envisage carrément avec « espoir » qu’un « nouveau cycle, peut-être pas de cinq ans mais de dix ou vingt ans, s’ouvre pour le pays ».

 

Il faut aussi rappeler que Sarkozy est, et tout particulièrement depuis l’échec de Chirac au référendum sur la constitution européenne de mai 2005, le candidat chéri du Medef, « notre Zidane à nous » disait Seillière. Homme du patronat et de la grande bourgeoisie, Sarkozy l’est depuis toujours, lui, le maire de Neuilly sur Seine,  dont les témoins de mariage étaient Martin Bouygues et Bernard Arnault. A cet égard, sa « retraite » sur le yacht du milliardaire Bolloré après sa victoire est un acte politique, l’affirmation « décomplexée » de ce qu’il se met tout entier au service du petit groupe des grands bourgeois Bolloré, Bouygues, Lagardère, ou encore Pinault, qui avec Sarkozy et son gouvernement entendent bien que toutes les mesures qu’ils exigent soient prises.

 

Ajoutons enfin que Sarkozy concentre aujourd’hui entre ses mains un pouvoir considérable, contrôlant directement tous les aspects de la politique gouvernementale, mais centralisant également autour de lui plus étroitement l’appareil d’Etat, que ce soit par la constitution d’un « conseil de sécurité » ou le regroupement en cours de tous les services spéciaux (renseignement, etc.) de l’Etat bourgeois.


L’ambition de la bourgeoisie et du gouvernement Sarkozy-Fillon-Juppé: « effacer mai 68 » les défaites et les échecs subis ces dernières années, renouer avec les objectifs fondateurs de la 5ème République.


En meeting à Bercy entre les deux tours, Sarkozy a fixé comme objectif de « liquider l’héritage de mai 68 », attribuant à cette occasion un cynisme éhonté en attribuant à « l’esprit de 68 » l’existence des stock options et autres parachutes dorés. L’ambition du nouveau gouvernement est de « rétablir l’autorité » ainsi que Sarkozy l’a redit dans son premier discours d’après-élection. Quelle « autorité » ? Celle de l’Etat bourgeois, celle de la Ve république, régime de type bonapartiste, à caractère policier, qui répond tellement à cette définition de l’Etat bourgeois par Marx : « Un despotisme militaire à armature bureaucratique et à blindage policier, serti dans une bordure de formes parlementaires(...)" (Critique du programme de Gotha).

 

L’objectif essentiel de la Ve République était à sa création suite au coup d’état de de Gaulle de liquider le mouvement ouvrier organisé. « L’autorité » de ce régime, c’est celle contre laquelle se sont dressés les mineurs lors de leur grève générale de 1963, refusant l’ordre de réquisition émis par de Gaulle. « L’autorité » de ce régime, c’est celle qui a reçu un coup terrible avec la grève générale avec occupation des usines en mai-juin 1968, obligeant la bourgeoisie à remiser pour toute une période politique ses espoirs d’en finir avec le mouvement ouvrier, au point de souffrir qu’en 1981, une majorité PS-PCF soit élue à l’Assemblée nationale après la victoire du premier secrétaire du PS François Mitterrand à l’élection présidentielle.

Depuis 2002, un renforcement significatif de l’appareil d’Etat s’est déjà opéré, pour l’essentiel sous la houlette de Sarkozy, via la cohorte de lois réactionnaires qu’il a fabriquées au ministère de l’intérieur. Mais son élection lui offre la possibilité d’aller plus loin. On en a un avant-goût avec la lourdeur des condamnations frappant les participants aux maigres manifestations désespérées qui ont eu lieu après le second tour.

Il faut également relever le souci du nouveau président de multiplier depuis son élection les facteurs de crise du PS et du PCF, nommant contre le premier une série de ralliés au gouvernement, et procédant contre le second à un hold-up contre le symbole de Guy Môquet – avec un assentiment écoeurant de la part de la direction du PCF, qui l’autorise ainsi à effacer que les jeunes communistes du début des années 1940 voulaient combattre non seulement le nazisme, mais encore les prédécesseurs de Sarkozy et de ses amis intimes du grand patronat français. Le gouvernement d’alors désigna, pour être fusillés, des membres du PCF ainsi que des trotskystes arrêtés par la police française.  L’Humanité, fidèle à sa tradition stalinienne, a publié ce mois de mai 2007 la liste des fusillés… en effaçant la présence des trotskystes.

En tout état de cause, la volonté de Sarkozy de voir se constituer aux côtés de l’UMP une « majorité présidentielle » comprenant un « pôle du centre » (avec l’essentiel des députés et sénateurs UDF) et un « pôle de gauche » (en utilisant notamment la formation bourgeoise des « radicaux de gauche »… une fois ses députés élus grâce au PS), indique bien la volonté, selon la formule de de Gaulle, « d’en finir avec le régime des partis ». De même, l’organisation d’un « Grenelle de l’environnement » est révélatrice de ces velléités corporatistes: sous couvert « d’écologie », le gouvernement organise un « dialogue direct » avec la « société civile » sous la forme d’un rassemblement d’ONG et d’associations réactionnaires peintes en vert, pour donner blanc-seing à Juppé avec le soutien de leur complice et ami Nicolas Hulot.

 

Quant aux organisations syndicales, là aussi le nouveau gouvernement entend « faire bouger les lignes ». Dans le prolongement de la loi de Chirac et Borloo sur le « dialogue social », qui prévoit d’amplifier l’association des sommets syndicaux en leur enjoignant d’abandonner leur « tradition protestataire » (cf. Chirac), c’est la modification des règles de la « représentativité syndicale » qui doit servir de levier en ce sens. Là encore, Fillon n’a pas fait mystère de son objectif : aboutir à la constitution d’un « pôle réformiste ». La réception de l’UNSA par Sarkozy, en plus des cinq confédérations « représentatives », indique qu’il ne s’agit pas de paroles en l’air.

La fin du monopole de ces dernières, notamment sur les candidatures aux élections professionnelles, va être utilisé comme un instrument contre l’existence même des organisations syndicales ouvrières (CGT et FO), ainsi que des fédérations du mouvement ouvrier.  

 

Le gouvernement veut donner à une bourgeoisie assoiffée de revanche la possibilité d’effacer les défaites et échecs les plus marquants qu’elle a subis ces dernières décennies, en décembre 1986 sur le projet de loi Devaquet de privatisation des universités; en novembre-décembre 1995 sur les régimes spéciaux de retraite ; en 2006 sur le C.P.E. Mais une des premières tâches du nouveau pouvoir est d’effacer l’échec du référendum du 29 mai 2005.


 « La France est de retour en Europe  » (Sarkozy)


Lors de son dernier sommet européen, Chirac avait avoué que le « non » au référendum de mai 2005 était un « vote contre le gouvernement ». Certes, l’échec du gouvernement Chirac-Raffarin au référendum a été rapidement surmonté, grâce au soutien apporté au nouveau gouvernement Chirac-Villepin par le PS, le PCF et les appareils syndicaux. Mais il en va autrement sur la scène de l’Union Européenne.

 

En effet, le projet de constitution est une initiative française, fruit de la pseudo convention présidée par Giscard, suite au changement profond intervenu dans l’UE avec son élargissement à l’est de mai 2004, qui a eu comme conséquence de donner à l’impérialisme allemand une place centrale sur tous les plans au sein de l’Union. L’objectif de ce texte était de définir des règles de fonctionnement nouvelles permettant à l’impérialisme français d’accompagner ce nouveau renforcement de son puissant voisin en préservant une place de second rang en Europe – quitte à réduire pour cela l’influence des pays de taille moyenne, comme notamment la Pologne et l’Espagne, lesquels s’étaient opposés initialement pour cette raison au traité. Or, l’échec du référendum en France, puis en Hollande, a transformé cette initiative en son contraire. Non seulement les nouvelles règles de fonctionnement défendues par Paris pour limiter autant que possible sa perte d’influence ne sont pas entrées en vigueur, mais encore l’échec de ce projet de traité a été un échec politique direct de l’impérialisme français au sein de l’Union Européenne, qui l’a marginalisé. Le cri lancé par Sarkozy salle Gaveau au soir du second tour « la France est de retour en Europe », signifie que l’impérialisme français va reprendre l’initiative pour arriver à une solution préservant ce qui est pour lui l’essentiel, à savoir la partie I du défunt traité (cf. pour plus de détails sur celle-ci l’article paru dans CPS nouvelle série n°16).

C’est ce qu’a salué immédiatement l’inévitable baron Seillière (Le Monde du 15 mai), cette fois en tant que dirigeant de l’association « business europe »:

« [la construction européenne] s'est trouvé mise entre parenthèses par le non français. L'Europe vivote depuis dans l'incertitude. La question est de savoir si on redémarre le processus en surmontant la crise institutionnelle ou si on n'y arrive pas, marquant ainsi la fin de cinquante ans de construction européenne. C'est un choix fondamental. (…)

Dans les milieux européens, nous étions convaincus que, si Ségolène Royal arrivait au pouvoir avec sa proposition d'un nouveau référendum en France, c'en était fini du processus de relance. Alors que l'approche de Nicolas Sarkozy est assez proche de celle d'Angela Merkel, de Tony Blair et des Hollandais. Il peut donner le signal de la relance. De ce point de vue, son élection a été un véritable soulagement. (…) Nous attendons que M. Sarkozy, avec son énergie et son talent, renoue les fils cassés en 2005. » 

A peine Sarkozy élu, Merkel, présidente en titre de l’UE, a fait savoir qu’un accord pourrait être trouvé dès juin.

Une autre raison plaide pour l’enterrement du texte de la constitution européenne, et son remplacement par un mini-traité reprenant l’essentiel de la partie 1 sur les nouvelles règles de vote, les coopérations renforcées, etc.   Bien qu’il ait été voté par une vingtaine de pays, le « traité constitutionnel » correspond à une situation politique qui n’existe plus. Il était en effet le fruit d’un accord franco-allemand, produit du rapprochement entre ces deux impérialismes après 2001 face à l’offensive de l’impérialisme US, rapprochement qui s’est cristallisé par leur opposition à l’intervention en Irak. Or depuis, de l’eau a coulé sous les ponts notamment dans la position française qui n’a cessé d’évoluer, à partir de l’accord Chirac-Bush sur le Liban, vers un rapprochement des positions de Washington, comme l’ont analysé plusieurs articles parus dans CPS.

 

Le seul fait de la nomination de Kouchner, partisan déclaré de l’intervention US en Irak, en dit long sur les intentions de Sarkozy en la matière, tout comme le fait qu’il ait rencontré Blair avant Merkel. 


A propos de la politique de l’impérialisme français en Afrique


La politique étrangère de l’impérialisme français restera dictée par la compréhension qu’auront, à un moment donné, les cercles dirigeants du capital financier de leurs intérêts – ils pourront compter sur Kouchner qui fut, entre autre méfaits, rétribué grassement par Total pour publier un rapport de défense des « affaires » de ce groupe avec la junte birmanienne, et qui aujourd’hui prône l’intervention (« ingérence humanitaire » oblige) au Darfour, région précisément riche en pétrole.

 

Concernant l’Afrique subsaharienne, rappelons que Chirac et Villepin, au contraire de Sarkozy, étaient directement issus des réseaux tissés par le gaullisme dans les anciennes colonies africaines de la France. Avant de quitter le pouvoir, ils ont tenté d’y mettre la situation « à plat ».

D’une part en intervenant militairement à plusieurs reprises pour conforter les dictatures tchadienne et centrafricaine- mais aussi ce faisant en posant les jalons d’une participation française à toute intervention militaire directe ou indirecte au Darfour voisin.

D’autre part en acceptant en Côte d’Ivoire, via l’ami de Chirac Blaise Compaoré, un compromis qui semble plus durable que les précédents, mais qui entérine un échec de l’impérialisme français, puisque ce compromis garantit le maintien au pouvoir de Laurent Gbagbo que l’Elysée a cherché à évincer par tous les moyens depuis 2002. Du coup, même si la domination économique française sur la Côte d’Ivoire demeure, politiquement, dans ce pays décisif du « pré carré » africain, l’impérialisme français a dû en rabattre en étant incapable d’imposer à la tête du pays un dirigeant qui lui soit totalement inféodé, précédent qui peut avoir des conséquences importantes à terme dans d’autres pays.

 

Mais que ce soit au sein de l’Union Européenne, dans ses semi-colonies d’Afrique, ou au Moyen-Orient, une donnée fondamentale s’impose : la capacité de la bourgeoisie française à défendre ses intérêts dépendra au bout du compte de l’ampleur des reculs qu’elle imposera à son propre prolétariat. C’est ce que rappelle Seillière en conclusion de l’interview citée :

« On trouve que la France a beaucoup de retard. Le social est très souvent un sujet d'affrontement arbitré vivement par l'Etat. Il faut pouvoir échanger, comme en Allemagne, du salaire et de la durée du travail contre de l'emploi, de l'investissement. »

En d’autres termes : la clé de tout est dans l’intensification de l’exploitation. C’est précisément ce à quoi veut répondre le programme de Sarkozy.


Le programme de Sarkozy-Fillon : à court terme, une véritable ruée réactionnaire


« Je tiendrai mes engagements, scrupuleusement ». Sarkozy une fois élu n’a laissé aucune ambiguïté planer sur ses intentions. Il est nécessaire de rappeler ce qu’il en est de ces « engagements », pris au compte du grand Capital, d’autant plus que les directions syndicales n’ont pas manqué au lendemain des élections, comme le bureau confédéral de la CGT réuni le 7 mai, de déclarer que « la campagne a témoigné d’une forte attente de changement, tant dans la société que dans le travail. La Cgt estime que l’élection confirme la vigueur de ces attentes. ». Mais à quelles « attentes » répond le programme de Sarkozy, sinon celles du Medef et de la CGPME ? Quand les dirigeants syndicaux affirment qu’ils jugeront « aux actes » (B.Thibault et J-C.Mailly dixit), ils adoptent une attitude qui revient à laisser un ennemi à frapper d’abord pour, ensuite, juger des dégâts commis. Or ceux-ci seraient considérables.

Dès la session extraordinaire de l’Assemblée prévue en juillet, Sarkozy entend adopter deux nouvelles lois de renforcement des pouvoirs de la police, contre la jeunesse, d’abord, mais aussi contre toute la classe ouvrière. Il compte aussi faire passer la loi défiscalisant et exonérant de toutes charges les heures supplémentaires, ce qui les rendrait moins chères que les heures normales, et signifierait de facto la disparition de toute durée légale du travail. Enfin, pour récompenser son électorat, la majorité UMP-UDF serait chargée de supprimer l’essentiel des taxes sur l’héritage et de renforcer le « bouclier fiscal », accroissant mécaniquement la proportion du fardeau fiscal porté par les classes populaires.

 

Egalement au programme : le projet de loi sur l’université qui vise à détruire l’enseignement supérieur public en instaurant leur autonomie totale, et donc permettre d’y instaurer la sélection sous toutes ses formes – ce serait là effacer la défaite de Chirac en novembre décembre 1986.

 

A brève échéance, en plus de l’université, le gouvernement Sarkozy-Fillon a comme buts essentiels :

- instaurer le « service minimum », c’est-à-dire remettre en cause le droit de grève, dans les transports, mais aussi dans l’enseignement, à commencer par le primaire. Ce serait une revanche terrible contre les mouvements de 1995 et 2003.

- Remettre en cause le CDI au profit d’un « contrat de travail unique » - sorte de super C.P.E., effaçant ainsi la défaite subie en 2006.

- Supprimer des centaines de milliers de postes dans les fonctions publiques, en restructurant, on l’a vu, la fonction publique d’Etat, notamment le ministère des Finances (fusion impôts/Trésor, mais aussi liquidation des Douanes annoncée par Sarkozy à la télévision), en rabougrissant encore le contenu de l’enseignement public et cassant les statuts des enseignants, en fusionnant l’Unedic et l’Anpe, et en allant vers la destruction accélérée du système public de santé.

- Ajoutons, sous la houlette de l’ancien dirigeant d’Emmaüs, l’entreprise de « remise au travail » des Rmistes contre une aumône, sous peine d’être voués à la déchéance totale. Suivrait, pour 2008, l’offensive contre les régimes spéciaux (RATP, SNCF, etc.) et le régime général des retraites et pensions, l’instauration de « franchises » sur les dépenses médicales, etc.

 

Aucun doute n’est de mise : c’est à une telle offensive réactionnaire de grande ampleur que le prolétariat, la jeunesse, doivent s’apprêter pour la combattre. Et pour cela, il est indispensable de saisir par quel moyen Sarkozy et son gouvernement entendent la faire passer.


 « Je crois au dialogue social » (Sarkozy)


Le 1er mai, Sarkozy a précisé dans une prestation télévisée comment il entendait faire passer son programme. « Je crois au dialogue social », a-t-il dit, en précisant bien de quel « dialogue » il s’agissait : une concertation tournée vers l’application de son programme : « Je compte appliquer scrupuleusement mon programme (…) dans la concertation avec les forces syndicales, mais que les choses soient claires ».

 

C’est cette « concertation » qui a été inaugurée par le nouveau président, avant même, fait sans précédent, son investiture officielle, en recevant dans ses locaux provisoires les représentants des appareils syndicaux – à l’exception de ceux de la FSU et de « solidaires »… lesquels ont protesté contre cette mise à l’écart. Ils auraient sans doute voulu venir partager, eux aussi, les petits fours et le café avec l’ennemi public n°1 des travailleurs et des jeunes. En réalité, que les dirigeants syndicaux CGT, FO, etc. aient accouru auprès de Sarkozy, avant même son intronisation, avant même tout discours de politique générale, avant même les élections législatives, est un véritable vote de confiance qu’ils ont accordé au nouveau pouvoir. Ne se sont-ils pas d’ailleurs tous dit « rassurés » en sortant de ces entretiens ? « Pas de couteau sous la gorge », se sont-ils entendu dire. Oui, Sarkozy « croit au dialogue social », c’est-à-dire qu’il escompte que les appareils syndicaux lui paveront la voie vers ses objectifs.

 

 

Car il faut y insister de nouveau : c’est donc pour « tenir ses engagements », rien d’autre, que le gouvernement va lancer un cycle de « concertations » tout azimut. Sarkozy ou Fillon en ont plus d’une fois donné leur calendrier. Après les rencontres préliminaires, prévues dès la constitution du nouveau gouvernement, on se dirigerait vers l’organisation en septembre de quatre grandes conférences censées préparer le terrain, notamment à la refonte/liquidation du contrat de travail. Dans le même temps, le Medef a fait valoir que les travaux de sa « délibération sociale » pourraient parfaitement s’insérer et contribuer à ce processus de destruction concertée des acquis ouvriers. S’y ajoutent notamment les tractations autour du prochain projet de loi contre l’université, ou encore une « table ronde sur les services des enseignants » avant l’été, selon le rapport pondu par le nouveau ministre de l’Education, Darcos.

 

Sarkozy a tiré les leçons de la défaite du gouvernement auquel il appartenait sur le C.P.E. En plaçant à la tête du gouvernement François Fillon, en l’adjoignant des Bertrand et Borloo, il a placé aux postes clés des hommes parfaitement rompus à cet exercice, et qui ont fait leur preuve en matière de concertation au moyen de laquelle ils ont fait passer des contre-réformes capitales. Et, dans la continuité de ce que signifiait la loi de 2006 de « modernisation du dialogue social », il compte bien sur la collaboration des dirigeants syndicaux pour arriver à ses fins.


Les appareils syndicaux se placent d’emblée aux côtés du gouvernement Sarkozy


Les appareils syndicaux, car telle est leur nature, ont choisi de répondre à l’appel de Sarkozy à ce  « dialogue » dont il a besoin pour faire passer ses « réformes ». Pis encore, ils se font donneurs de bons conseils quant à la manière de les réaliser. « Ne pas confondre vitesse et précipitation », lui a conseillé le bureau confédéral de Force Ouvrière au lendemain du second tour. Dans une interview aux Echos, deux jours plus tard, J-C.Mailly en rajoutait « les attentes sociales se sont exprimées très fortement pendant la campagne électorale et portent sur des questions qui doivent se négocier, comme l’impose la loi de modernisation du dialogue social de février dernier. ». Nous avons eu l’occasion de dire quelles « attentes sociales » le gouvernement de guerre dirigé par Sarkozy s’apprête à contenter. Se réclamer en regard de telles attentes de la loi de « modernisation du dialogue social », c’est se déclarer prêt à le servir. Rappelons en effet, selon les termes de Chirac, que cette loi repose sur un « engagement » plus important que jamais des « partenaires sociaux », lesquels – en pratique, les directions des confédérations ouvrières – doivent devenir des co-législateurs au compte des gouvernements bourgeois. Joignant les actes aux paroles, les dirigeants patronaux et syndicaux et notamment FO ont annoncé depuis le siège du Medef le 14 mai, que, dans le cadre de la « délibération sociale » (à laquelle ne participe pas la direction CGT), un « état des lieux du marché du travail» serait rendu public le 29 mai, tout en demandant au gouvernement « le temps et la place de négocier ».

La direction CGT quant à elle a le cynisme de déclarer qu’elle « ne fait pas de procès d’intention », Thibault ayant précisé dans Le monde du 10 mai : « La CGT n’est pas une force d’opposition a priori » (en réponse à la question : ‘vous préparez-vous au conflit’ ?).

 

Mais encore : s’agissant de l’instauration du service minimum dans les transports, où l’appareil CGT est en première ligne, Thibault s’est félicité au sortir de son entrevue avec Sarkozy d’avoir reçu : «l’assurance qu’il n’y aurait pas de décision unilatérale »… et d’annoncer : « des discussions pendant l’été » sur ce sujet ! Auxquelles bien entendu les directions fédérales CGT se préparent à participer, à discuter, donc,  de l’atteinte au droit de grève. Et Mailly de rapporter les propos de Sarkozy sur ce sujet « si vous arrivez à vous mettre d'accord entreprise par entreprise je n'y vois pas d'inconvénient ». Il s’agit donc bien de faire le travail du gouvernement  sa place.

 

Dans l’enseignement, lui aussi dans le collimateur sur la question du droit de grève, en plus de la liquidation totale des statuts, les dirigeants FSU se sont quant à eux indignés… de n’avoir point été reçus par Sarkozy, au nom, eux aussi, du « dialogue social » avec les ennemis de enseignants. Darcos nommé, l’intersyndicale lui a envoyé une demande de rendez-vous sur la question des décrets Robien, assortie de la précision suivante, donnée au nom de l’intersyndicale par un dirigeant SE-Unsa « Notre lettre n'est pas menaçante, nous ne faisons pas de procès d'intention » !

De son côté, le SNES, en première ligne sur cette question, organise un « rassemblement de délégations d’établissements » devant le ministère… « pour que les engagements soient tenus » ! Mais quels « engagements » (terme repris également par le bureau national de la FSU) Sarkozy ou Darcos auraient-ils pris qui ne soit de casser les reins du corps enseignant et de briser l’enseignement public ? Darcos, sur France Info le 20 mai, a été clair : il a répété, outre sa volonté de se débarrasser de la carte scolaire, que le décret de Robien serait revu… dans le cadre d’une négociation globale sur le « métier d’enseignant ». On a dit au début du présent éditorial ce qu’il en était. Mais Darcos, comme Sarkozy, peut être rassuré sur les intentions on en peut plus pacifiques de la direction du SNES. Bernard Boisseau écrit dans L’US que cette dernière se fixe comme seul objectif une « contribution naturelle à la bonne marche démocratique de notre société ». C’est sans doute avec ce même esprit que la direction du SNU-IPP, réagissant à la question du « service minimum », met en garde… contre toute « disposition unilatérale » (dans un communiqué du 16 mai).

 

Que dire enfin de la direction de l’Unef, laquelle, par la voix de Julliard, ouvre franchement la porte à la future contre-réforme des universités ! Une dépêche AFP du 18 mai rapporte sa réaction : « S'il y a une réforme, c'est bien qu'on ait un interlocuteur unique, un ministre qui tranche" qui soit le même que celui avec qui les organisations discutent. Pour lui, Mme Pécresse devra "éviter une réforme ultralibérale" et "éviter de passer en force". "Si elle évite ces écueils, la communauté universitaire est prête", a-t-il commenté. »

 

Il est pourtant clair que la première mesure à prendre pour faire face à l’offensive réactionnaire qui s’amorce est que les organisations syndicales n’y prêtent pas leur concours ! C’est à l’évidence sur cette orientation qu’il faut intervenir dans les organisations syndicales.

Mais les bureaucrates syndicaux y opposent en chœur la « légitimité » que Sarkozy aurait conquis par la grâce de son élection. « Attention, nous ne menaçons pas d’un troisième tour social. À FO, nous sommes républicains et démocrates » déclare Mailly au Monde du 16 mai. « On prend acte de l'élection de Nicolas Sarkozy, on respecte les résultats du scrutin, il n'y a aucune raison de contester cette victoire », fait écho Julliard, pour dénoncer publiquement les quelques manifestations spontanées et désemparées qui ont eu lieu – alors même que l’Unef avait appelé à battre Sarkozy au second tour.

Ce chœur est en fait unanime. Mais pour les travailleurs salariés, pour la jeunesse, si la victoire de Sarkozy est incontestablement une dure défaite politique, il n’en découle pas une seule seconde qu’il faille dorénavant s’incliner devant le nouveau maître de l’Elysée.

 

Car si Sarkozy a été élu, les travailleurs n’en sont nullement responsables. Et au contraire, le devoir des organisations du mouvement ouvrier serait, en tirant les leçons de cette défaite politique, de préparer le combat contre le nouveau pouvoir. S’y refusant, elles prolongent en fait la politique… qui a permis à Sarkozy de l’emporter.


L’élection de Sarkozy : une victoire politique pour la bourgeoisie,
une défaite pour les travailleurs et la jeunesse


Le tableau ci-après donne les résultats, par rapport aux exprimés puis aux inscrits, des principales échéances électorales depuis les présidentielles 1995 jusqu’à celles de 2002 en passant par les élections cantonales de 2004, dernière échéance de ce type en date, qui avaient un caractère national.


 

 

P1995-%exp

L1997%exp.

P2002  %exp.

L2002 %exp

C2004

%exp

P2007

% exp

 

P1995-%ins.

(abst 21,6%)

L1997- %ins.

(abst 32,0%)

P2002 - %ins.

(abst 28,4%)

L2002

%ins.

(abst 35,58)

C2004

%ins

(abst 36,09%)

P2007

%ins

(abst 16,23%)

P.S.

P.C.F.

EG

23,3%

8,6%

5,3%

25,5%

9,9%

2,2%

16,2%

3,4%

10,4%

24,11

4,82

2,79

26,25

7,79

2,99

25,87

1,93

5,41

 

17,7%

6,6%

4,0%

16,5%

6,4%

1,4%

11,2%

2,3%

7,2%

14,85

2,96

1,70

16,09

4,77

1,83

21,36

1,59

4,47

Total partis «ouvriers»

 

37,2%

 

37,6%

 

30,0%

 

31,72

 

37,03

 

33,21

 

 

28,4%

 

24,3%

 

20,7%

 

19,51

 

22,69

 

27,42

Div.g,

Verts

 

3,3%

3,1%

6,3%

7,6%

5,2%

2,63

4,51

7,30

4,09

1,32

1,57

 

 

2,5%

2,0%

4,0%

5,3%

3,6%

1,61

2,77

4,47

2,51

1,09

1,30

Sous-total

3,3%

9,4%

12,8%

7,14

11,39

2,89

 

2,5%

6,0%

8,9%

4,38

6,98

2,39

RPR/UMP

UDF + DL

Div.d

20,8%

18,6%

4,7%

16,8%

14,7%

4,6%

19,9%

10,7%

3,1%

33,30

5,26

4,82

20,95

4,76

11,36

31,18

18,57

2,23

 

15,9%

14,1%

3,6%

10,9%

9,5%

3,0%

13,8%

7,4%

2,1%

20,52

3,24

2,98

12,84

2,92

6,96

25,74

15,33

1,84

Sous-total

44,2%

36,2%

33,7%

43,38

37,07

53,13

 

33,6%

23,4%

23,3%

26,74

22,72

42,91

Divers

0,3%

1,8%

4,2%

5,06

2,03

1,49

 

0,2%

1,2%

2,9%

3,11

1,24

0,83

FN

MNR etc.

15,0%

15,1%

16,9%

2,3%

11,34

1,33

12,13

0,36

10,44

 

11,4%

9,8%

11,7%

1,6%

6,98

0,81

7,43

0,22

8,62

Sous total FN-MNR

15,0%

15,1%

19,2%

12,67

12,49

10,44

 

11,4%

9,8%

13,3%

7,78

7,65

8,62

Total

partis bourgeois

 

62,8%

 

62,4%

 

70,0%

 

68,27

 

62,97

 

66,79

 

 

47,8%

 

40,3%

 

48,4%

 

42,01%

 

38,59%

 

54,75%

 


Ce tableau permet de mesurer les ressorts immédiats qui ont abouti au résultat des élections, Sarkozy recueillant au second tour 53,06% des exprimés, 42,68% des inscrits – un score sans précédent depuis des décennies pour le candidat d’un parti bourgeois, comme le fut celui qu’il obtint au premier tour.

 

C’est un fait : Sarkozy a réussi à mobiliser derrière lui l’électorat bourgeois et la petite bourgeoisie, enchantés par le caractère particulièrement réactionnaire autant que détaillé de ses promesses, attirés par l’odeur de la revanche sur les défaites du passé, chauffés à blanc à l’idée d’en faire baver plus que jamais aux prolétaires, à la jeunesse. La participation dans les villes où se concentre la grande bourgeoisie est extrêmement élevée, ainsi que les scores du candidat UMP. Cette polarisation électorale a entraîné dans son mouvement une partie écrasante de l’électorat FN au second tour.

 

Parallèlement, il faut souligner que la mobilisation d’une importante fraction de l’électorat populaire a utilisé le bulletin de vote de la candidate du PS, Ségolène Royal, pour manifester son opposition à ce programme et au candidat Sarkozy – tout particulièrement dans les cités populaires où la participation a aussi été relativement élevée. C’est là – et malgré le programme et la campagne de Royal, repoussants – une nouvelle illustration de la nature du Parti Socialiste qui reste encore un parti « ouvrier-bourgeois », que les masses cherchent à utiliser, particulièrement sur le terrain électoral, pour battre les partis et organisations bourgeois. Elles l’ont fait cette fois-ci notamment au détriment du PCF, qui enregistre un nouveau revers électoral historique, ainsi que nous l’avions prévu dans le précédent numéro de CPS.

Néanmoins, la campagne et le programme de la candidate Royal et du PS (cf. le précédent numéro de CPS et les déclarations reproduites dans ce numéro) ont limité ce mouvement au sein de la classe ouvrière. L’abstention est restée conséquente dans les secteurs de vieille tradition ouvrière – là où le FN a maintenu par ailleurs des scores supérieurs à son score national.

 

Les déclarations sur « l’ordre juste », l’exhibition des drapeaux tricolores, l’invention d’un remake du CPE, le « contrat première chance », les déclarations anti-enseignants, voire la personnalité même de Ségolène Royal, ont été un important facteur de désarroi politique, dont a profité notamment Bayrou. En retour, le score de ce dernier a permis à la direction du PS de se lancer plus à droite encore, en proposant des ministres à l’UDF entre les deux tours, c’est-à-dire d’intégrer dans un éventuel gouvernement les coresponsables de la politique menée entre 2002 et 2007.

Mais la campagne du PS et de Royal n’est pas la seule responsable de la victoire de Sarkozy. Depuis des mois, les appareils syndicaux se sont employés à liquider systématiquement les possibilités ouvertes par la défaite infligée au gouvernement Chirac-Villepin sur la question du C.P.E. (cf. le précédent numéro de CPS), notamment dans l’enseignement, tout particulièrement à Airbus, nous allons y revenir. Et après avoir dégagé la voie des présidentielles à la bourgeoisie, ils se sont refusés dans l’ensemble à prendre position contre l’élection de Sarkozy

 

Circonstance aggravant la portée de la victoire de Sarkozy : dès le soir du second tour, les ténors du PS, à commencer par Hollande, affirmaient sur les plateaux télés ne pas vouloir de « nouvelle cohabitation ». En clair : que l’UMP gagne les législatives ! Quant à Royal, arborant un sourire radieux et insultant pour les jeunes et les travailleurs qui avaient voté pour elle pour faire barrage à Sarkozy, elle promettait d’emmener ses sympathisants … « vers de nouvelles victoires » !

 

Dans la foulée, PS, PCF, comme dirigeants syndicaux proclamaient, on l’a vu, la « légitimité » du nouveau président. En fait, ce sont eux qui lui confèrent la « légitimité » la plus précieuse, celle dont il a besoin impérativement pour appliquer sa politique.


Le PS et le PCF en crise


C’est la première fois depuis 1981 qu’une majorité sortante remporte les élections, c’est également la troisième défaite consécutive du PS aux élections présidentielles. Les dirigeants du PS voient à nouveau la porte du pouvoir leur claquer au nez. Immédiatement, les règlements de comptes ont commencé (incluant plusieurs appels au départ de Hollande). Mais la crise du PS a pris une dimension particulière, en ce qu’elle a immédiatement mis en cause l’existence même de ce parti. Et qui plus est par la bouche de celui qui est son premier secrétaire depuis 10 ans, Hollande. Une semaine après la défaite électorale du PS, il annonçait la tenue prochaine « d’assises » pour la constitution d’un « grand parti de la gauche » incluant radicaux, chevènementistes et centristes. Hollande n’est pas le seul remettre en cause l’existence du PS : Strauss-Kahn prône une « refondation » programmatique. Quant à Royal, elle a carrément proposé de se faire investir dès l’automne comme … candidate pour 2012, proposition grotesque qui marque la volonté de prolonger le fait qu’elle se soit subordonnée le PS avec son investiture. Enfin, Emmanuelli a aussi proposé de constituer un nouveau parti, ouvert cette fois sur la « gauche » du PS, ce qui ne change rien au fait que c’est une autre prise de position visant à liquider ce parti.

 

Or ce qui est en jeu, c’est rien de moins que la possibilité de la classe ouvrière, des travailleurs, de manifester même de manière déformée leur existence en tant que classe sur la scène politique, jusqu’à poser la question du pouvoir. Le modèle du « parti de la gauche » que propose Hollande existe : il vient d’être constitué en Italie, sous le nom du « parti démocrate ».

Ce parti est le fruit de l’accouplement de la majorité de l’ex-PC Italien, devenu successivement « PDS » (« parti démocrate de gauche »), puis « DS » (démocrates de gauche), avec des résidus de la démocratie chrétienne dirigés par Prodi, le tout assaisonné « d’écologistes » non moins bourgeois. Sous toutes réserves, la constitution de ce parti sur lequel le prochain numéro de CPS reviendra semble bien sonner le glas de l’existence du principal parti issu du mouvement ouvrier en Italie.

Le même Prodi a salué par un message la candidate Royal en meeting à Lyon, au moment même où cette dernière s’engageait à fond sur la ligne de l’alliance avec le « centre » de Bayrou. Et ce dernier, dépouillé fort logiquement de l’essentiel de ses élus par Sarkozy, a constitué un nouveau mouvement, le « Modem », qui ne pourra avoir d’avenir qu’en devenant l’allié de la direction du PS. D’ores et déjà, Ayrault, poids lourd de la direction du PS, s’est prononcé pour des accords PS-Modem aux législatives. Dans le même temps la presse s’est faite l’écho des grincements de dents au sein du PS concernant la ligne de « l’ouverture » à l’UDF, tout comme de critiques acides de Royal et de sa campagne. A n’en pas douter, au lendemain des législatives, la crise du PS va s’accentuer pour prendre un tour aigu.

 

De son côté, le PCF, qui a réalisé un score résiduel, se prépare lui aussi à une crise qui pourrait virer à l’implosion lors de son prochain congrès extraordinaire de l’automne – d’autant plus si son groupe parlementaire disparaissait à l’Assemblée. Gayssot s’est d’ores et déjà signalé en proposant, à l’instar d’Emmanuelli, une « force nouvelle » passant par-dessus bord l’étiquette communiste. L’existence du PCF comme force politique nationale est aujourd’hui menacée.

 

Bien que cela ne soit pas du tout sur le même plan, il faut enfin ajouter à cette série de crises celle qui ne peut manquer de toucher le Parti des travailleurs de Lambert et Gluckstein, après le score désastreux du « candidat de maires » Gérard Schivardi derrière lequel le PT avait cru bon de s’effacer. Qu’à cela ne tienne : Gluckstein a jugé cette campagne si calamiteuse qu’il a décidé, sans même consulter les instances du PT, de lancer le processus de constitution d’un nouveau « parti ouvrier » - ce qui vaut bilan d’échec total du PT, lequel prétendait déjà être le dit « parti ». Ce qui est à l’ordre du jour, après le soutien à une campagne chauvine – Schivardi qualifiant les militants du PT de « vrais patriotes », une campagne marquée par les références à de Gaulle – c’est une nouvelle étape dans la dégénérescence politique du « courant communiste internationaliste » du PT au profit duquel fut liquidé en 1991 le PCI, dernière organisation se situant dans la continuité de la IV° Internationale.  

L’issue de ces crises, comme le développement de la situation politique se noueront sur le terrain direct de la lutte de classe. Il faut donc accorder la plus grande importance aux développements intervenus à Airbus.


Airbus : les ouvriers se heurtent de plein fouet aux appareils syndicaux


Nous écrivions dans notre précédent numéro au sujet d’Airbus : « la seule issue positive est l’appel à la grève générale du groupe, contre toute suppression d’emploi, pour le retrait du plan « Power 8 », dont les grèves spontanées ont montré la possibilité ». Malgré les journées d’actions de quelques heures appelées par toutes les organisations syndicales, qui ne servaient qu’à amoindrir les possibilités de combat, fin avril, l’annonce du montant de la prime de départ touchée par l’ex-Pdg Forgeard, 8,4 millions d’euros, a mis le feu aux poudres d’autant que dans le même temps le groupe annonçait que le montant de la prime annuelle serait … de 2 à 10 euros (contre 1 500 l’année précédente). Par centaines, à Toulouse d’abord, puis à Saint-Nazaire, puis à Nantes, les ouvriers débraient alors spontanément, arrêtent les chaînes. Dans un premier temps, les directions syndicales locales, mises en question pour leur « passivité » dans les Assemblées générales, doivent accompagner le mouvement. Très vite, à Toulouse, la direction FO, ultra-majoritaire dans l’entreprise, arrive à faire reprendre le travail. Mais en Loire-Atlantique, le mouvement continue. Les directions syndicales le font suspendre le temps du pont de 1er mai, mais la grève reprend le 2. La direction lâche du lest, et annonce une prime portée à 500 euros...en échange de l’arrêt de la grève. Alors que les carnets de commande sont pleins à craquer, elle indique elle-même qu’elle peut être prise à la gorge par une grève qui durerait. Entretemps, les grévistes de Saint-Nazaire et Nantes ont adopté une plate-forme exigeant non seulement le rétablissement de la prime, mais encore le retrait total du plan « Power 8 ». Ils constituent un comité de grève.

A Toulouse, la direction CGT, certes minoritaire, fait circuler… un questionnaire pour demander l’avis des ouvriers sur la hauteur du montant de la prime ! La direction FO finit par employer tous les moyens pour en finir avec cette grève.

Ainsi, l’un des représentants FO, Jean-François Knepper, dénonce le 4 mai à l’AFP « une poignée d’irréductibles (…) tenus par la LCR, LO et le Parti des Travailleurs ». C’est un appel à peine voilé à la répression patronale. Le 8, c’est ouvertement que « l’entente » FO-CFDT-CGC-CFTC appelle à cesser la grève.  «La voie de la négociation est la seule voie de la raison. La grève c’est l’arme ultime quand la négociation n’aboutit pas » écrit la direction FO aux salariés en « en appelant à leur responsabilité ». Mais ceux-ci sont aussi isolés, non seulement dans l’entreprise, mais nationalement. Ni la fédération de la métallurgie CGT, qui se contente d’un lâche « La CGT sera toujours présente et motrice pour que les salariés continuent leurs mouvements sur la base de leurs revendications et continuent de décider ensemble les formes d’action », ni la confédération, mais ni non plus la candidate du PS, alors que nous sommes à quelques jours du second tour des élections présidentielles, ne prennent la moindre initiative, ne lancent le moindre appel au combat. Après l’élection de Sarkozy, Mailly déclare dans Les Echos : « Concernant Airbus, nous allons lui rappeler ses engagements ».  

 

Pour en finir, la direction FO organise le 9 à Nantes une « assemblée de syndiqués » pour voter la reprise du travail… tandis que l’assemblée des grévistes, incluant les syndiqués FO de l’usine, votent la poursuite de la grève à l’extérieur de l’usine !

Isolés, face à un tel acharnement des appareils syndicaux, mais aussi sans doute parce Sarkozy a été élu, les grévistes votent la reprise le 10 à Saint-Nazaire, puis le 11 à Nantes.

 

Sarkozy fraîchement élu peut venir comme en terre conquise rencontrer une semaine plus tard les représentants syndicaux de l’entreprise à Toulouse, pour recevoir les « chaleureuses félicitations » des dirigeants FO Knepper et Tavalan, tant pour son élection que pour l’annonce d’une révision du « pacte d’actionnaires »... tandis que Sarkozy leur annonce qu’il maintient « le plan power 8 », y compris la liquidation du site de Méaulte.  


Préparer le combat contre le gouvernement Sarkozy-Fillon,
notamment à l’occasion des élections législatives


La grève spontanée des ouvriers d’Airbus entre les deux tours de l’élection, malgré ses limites (l’absence de combat pour imposer aux directions syndicales l’appel à la grève générale, à la formation de comités de grève, du comité central de grève) a indiqué que, même si elle a subi une défaite dans les élections, la classe ouvrière peut engager le combat sur son propre plan, avec ses propres méthodes. Les multiples grèves de ces derniers mois dans les entreprises pour les augmentations de salaires, ou contre les licenciements, en attestent également. C’est sur cette possibilité, cette spontanéité, qu’il faut faire fond.  

Aucune illusion ne peut être de mise : la victoire de Sarkozy est une défaite politique pour les travailleurs, et elle va les marquer pour un temps indéterminé. Ce qui est nécessaire aujourd’hui, c’est une orientation qui leur permette de faire face à l’offensive ultra-réactionnaire que concoctent le gouvernement Sarkozy-Fillon et le Medef. 

Or, cet éditorial l’a amplement souligné, même si il ne fait aucun doute que la session d’été de l’Assemblée nationale sera le théâtre de nombreux coups contre les droits ouvriers et les libertés démocratiques, la première préoccupation du nouveau gouvernement est de lancer des concertations tout azimut pour préparer le terrain à l’essentiel de ses « réformes » futures. Il s’est immédiatement engagé dans la préparation des quatre « conférences » pour la rentrée pour remettre en cause les acquis subsistant en matière de droit du travail, a annoncé une concertation dès cet été sur le service minimum, une autre, dès avant l’été, sur les statuts des enseignants ou sur l’autonomie des universités, etc.

 

Alors, la première mesure de défense de la classe ouvrière, des travailleurs et de la jeunesse, que devraient prendre les dirigeants syndicaux, c’est de refuser la « concertation » avec le gouvernement.

Le refus, la rupture de cette concertation par les directions des organisations syndicales serait perçue par les travailleurs comme un appel clair à se préparer à faire la guerre contre le gouvernement, un appel au combat dans l’unité des organisations issues du mouvement ouvrier (partis, syndicats).

 

Face au gouvernement Sarkozy-Fillon, l’urgence, c’est donc de lutter pour que se constitue contre lui le front unique des organisations du mouvement ouvrier, syndicats et partis.

Le 10 et le 17 juin se tiendront les élections législatives. Même si les sondages servent à matraquer politiquement les masses, il n’en demeure pas moins que sauf évènement exceptionnel, elles seront remportées par la « majorité présidentielle », par l’UMP, face à un PS et un PCF en crise.

Pour autant, ces élections sont une occasion de militer pour le front unique des organisations du mouvement ouvrier, contre toute concertation, toute collaboration, avec le gouvernement. En outre, plus nombreux seront les suffrages portés sur les candidats présentés par le PS et le PCF, voire LCR et LO ou du PT, plus se manifestera ainsi la volonté du prolétariat de résister à la politique du gouvernement Sarkozy-Fillon, de combattre ce gouvernement au service du capitalisme français.

 

Encore faut-il préciser que de nombreux candidats soutenus par le PS ou le PCF ne sont pas des candidats de ces partis, et que donc les travailleurs n’auraient aucune prise sur eux s’ils étaient élus, aucune possibilité de leur dicter leurs exigences. Il en va naturellement ainsi des candidats du PRG, dont le président s’est même imprudemment avancé à dire avant l’élection qu’il envisageait un rapprochement avec l’UMP via le parti Radical de Borloo. Mais il n’en va pas autrement des candidats bourgeois des Verts, chevènementistes ou « divers gauche », y compris les candidats « antilibéraux » de tout poil soutenus par le PCF. Combattre pour le front unique des partis et syndicats du mouvement ouvrier, mais aussi contre la liquidation des partis traditionnels du mouvement ouvrier, qui, dans les circonstances présentes, se ferait totalement au profit de la bourgeoisie.  

 

Aussi notre Groupe appelle-t-il à voter au premier tour pour les seuls candidats PS, PCF (LCR ou LO), et au second tour pour celui de ces candidats resté en lice, contre les candidats des partis bourgeois.

 

Dans ces élections, aucun parti ou organisation ne défend la perspective du socialisme, de l’expropriation du Capital dont les principaux dirigeants, les Bolloré, Bouygues, Lagardère, et cie, exercent le réel pouvoir dans ce pays aux côtés de Sarkozy et son, gouvernement de choc. Or, au travers du programme de Sarkozy, c’est bien aux conséquences et aux exigences féroces de la survie du mode de production capitaliste que les masses sont confrontées.

Pour assurer le droit au travail en organisant la production selon les besoins des masses et non du profit, en finir avec l’oppression et l’exploitation sous toutes ses formes, porter au pouvoir un gouvernement révolutionnaire menant une politique ouvrière, socialiste, il faut s’organiser.

 

C’est ce à quoi appelle le Groupe pour la construction du parti ouvrier révolutionnaire, de l’internationale ouvrière révolutionnaire.

Le 20 mai 2007


 

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