Editorial de C.P.S nouvelle série n°29 (n°111) –25 mai 2007
Pour faire face à l’offensive ultra-réactionnaire
qu’annonce la victoire électorale de Sarkozy :
Opposer au gouvernement Sarkozy-Fillon le front unique
des organisations du mouvement
ouvrier (syndicats, partis),
combattre contre toute concertation
avec ce gouvernement
Un gouvernement de guerre pour « changer le pays » (Sarkozy)
A peine intronisé président avec
la pompe à caractère monarchique qui caractérise la Ve République,
Sarkozy a formé un gouvernement UMP-UDF dont la seule composition permet déjà
de le caractériser comme un gouvernement de guerre contre le prolétariat et la
jeunesse. A sa tête, il a placé Fillon, l’homme de la contre-réforme des
retraites, « mère de toutes les réformes » (dixit Seillière) de 2003,
mais aussi celui de la loi sur le « dialogue social » qui a mis fin
au principe de faveur qui interdisait qu’un accord d’entreprise soit moins
favorable aux salariés que l’accord de branche, ou encore a sorti la formation
professionnelle du temps de travail. Il est également l’homme de la « loi
d’orientation », véritable machine à déréglementer l’enseignement public.
Lui qui se vantait lors de son départ du gouvernement de Chirac qu’il ne
resterait comme bilan de ce dernier que les dites réformes annonce la
couleur : « j’ai le sentiment
d'être en mesure de mettre en oeuvre un changement radical de la vie politique
française » (sur TF1 le 18 mai).
A ses côtés, droit dans ses
bottes, le repris de justice Alain Juppé, homme associé au plan du même
nom, « rapt du siècle » sur la
sécurité sociale (cf. Blondel de Force Ouvrière), mais qui dû reculer sur la
réforme des régimes spéciaux face au mouvement de classe de novembre-décembre
1995, face à la grève générale de la SNCF et de la RATP, dont la destruction
figure sur l’agenda du nouveau gouvernement.
On trouve encore dans ce
gouvernement, dont l’ossature est faite de barons de l’UMP
et de la garde rapprochée de Sarkozy, une grenouille de bénitier
anti-avortement, Christine Boutin, mais aussi le globe-trotter de l’arrivisme
qu’est Bernard Kouchner, ex-gouverneur colonial du Kosovo. Or ce n’est pas seulement
pour son appartenance au PS qu’il a été désigné, mais aussi parce qu’il fut en
2003 l’un des partisans déclarés de l’intervention impérialiste contre l’Irak.
Ajoutons encore la présence au
ministère de l’éducation de X.Darcos, lequel, déjà
adjoint de Fillon lors du vote de la « loi d’orientation » contre
laquelle les lycéens avaient tenté de se dresser, est aussi l’auteur d’un
récent rapport proposant de « desserrer
le carcan des statuts » des enseignants en procédant à l’annualisation
et la globalisation de leur temps de travail.
La structure même de ce
gouvernement resserré est lourde de menaces contre les travailleurs. Le
redécoupage des ministères, notamment celui des Finances, annonce un violent
plan de « restructuration » de
la fonction publique d’Etat. D’ailleurs, le ministère
de la fonction publique lui-même est fusionné et place sous les fourches
caudines de celui du budget. Qui plus est, le même ministère s’octroie la
surveillance des « comptes publics », comprendre, ceux de
l’assurance-maladie.
(suite page 2)
Il s’agit donc non seulement de
ministère de la réduction de la fonction publique, mais encore de celui qui,
dans le prolongement de la contre-réforme de 2004 (dont le maître d’œuvre,
Xavier Bertrand, assureur de son métier, est lui aussi récompensé par un
maroquin) va dicter à l’Union Nationale des Caisses
d’Assurance-maladie sa ligne de déremboursements
massifs et de privatisation accélérée du système de santé public.
De plus, derrière la séparation
du ministère de l’emploi de celui du travail (ce qui fait disparaître ce
dernier), se forme un nouveau ministère consacré également aux « relations
sociales » et à la « solidarité », véritable pôle consacré
exclusivement au démantèlement des garanties collectives de la classe ouvrière
et de leur remplacement par la charité, Emmaüs à l’appui. Dans le même temps,
le ministère des affaires sociales, celui de l’équipement, sont
rayés de la carte. Ajoutons enfin la
constitution du ministère de « l’identité nationale et de
l’immigration », d’inspiration pétainiste, dirigé par le sinistre chien de
garde de Sarkozy, Brice Hortefeux.
Voilà donc l’équipe de choc
chargée par Sarkozy de « changer le
pays », « faire bouger les
lignes » ainsi qu’il l’a annoncé à la presse, de mettre en œuvre un
programme d’une brutalité exceptionnelle.
Le Medef exulte
et salue avec « enthousiasme »
l’arrivée de Sarkozy au pouvoir
Le Medef ne se tient plus de
joie. « Que du bonheur »
s’exclamait au soir du second tour le baron Seillière. Quant à Laurence
Parisot, elle faisait part de l’« enthousiasme » du Medef. Pour
préciser quelques jours plus tard sur France 2: « Si on s’y met tous", gouvernement, syndicats et patronat,
"d’ici un an, un an et demi, il peut y avoir des résultats tout à fait
significatifs »
Cette prise de position suffirait
à elle seule à caractériser le gouvernement dont le Medef, mais au-delà tous les
patrons attendent beaucoup. Laurence Parisot, encore elle, envisage carrément
avec « espoir » qu’un
« nouveau cycle, peut-être pas de
cinq ans mais de dix ou vingt ans, s’ouvre pour le pays ».
Il faut aussi rappeler que
Sarkozy est, et tout particulièrement depuis l’échec de Chirac au référendum
sur la constitution européenne de mai 2005, le candidat chéri du Medef, « notre Zidane à
nous » disait Seillière. Homme du patronat et de la grande bourgeoisie,
Sarkozy l’est depuis toujours, lui, le maire de Neuilly sur Seine, dont les témoins de mariage étaient Martin Bouygues et Bernard Arnault. A cet égard, sa
« retraite » sur le yacht du milliardaire Bolloré après sa victoire
est un acte politique, l’affirmation « décomplexée » de ce qu’il se
met tout entier au service du petit groupe des grands bourgeois Bolloré,
Bouygues, Lagardère, ou encore Pinault, qui avec Sarkozy et son gouvernement
entendent bien que toutes les mesures qu’ils exigent soient prises.
Ajoutons enfin que Sarkozy
concentre aujourd’hui entre ses mains un pouvoir considérable, contrôlant
directement tous les aspects de la politique gouvernementale, mais centralisant
également autour de lui plus étroitement l’appareil d’Etat,
que ce soit par la constitution d’un « conseil de sécurité » ou le
regroupement en cours de tous les services spéciaux (renseignement, etc.) de l’Etat bourgeois.
L’ambition de la bourgeoisie et du gouvernement Sarkozy-Fillon-Juppé: « effacer mai 68 » les défaites et les échecs subis ces
dernières années, renouer avec les objectifs fondateurs de la 5ème
République.
En meeting à Bercy entre les deux
tours, Sarkozy a fixé comme objectif de « liquider l’héritage de mai
68 », attribuant à cette occasion un cynisme éhonté en attribuant à
« l’esprit de 68 » l’existence des stock options et autres parachutes
dorés. L’ambition du nouveau gouvernement est de « rétablir l’autorité » ainsi que Sarkozy l’a redit dans son
premier discours d’après-élection. Quelle
« autorité » ? Celle de l’Etat
bourgeois, celle de la Ve république, régime de type bonapartiste, à
caractère policier, qui répond tellement à cette définition de l’Etat bourgeois par Marx : « Un despotisme
militaire à armature bureaucratique et à blindage policier, serti dans une
bordure de formes parlementaires(...)"
(Critique du programme de Gotha).
L’objectif essentiel de la Ve
République était à sa création suite au coup d’état de de
Gaulle de liquider le mouvement ouvrier organisé. « L’autorité » de
ce régime, c’est celle contre laquelle se sont dressés les mineurs lors de leur
grève générale de 1963, refusant l’ordre de réquisition émis par de Gaulle.
« L’autorité » de ce régime, c’est celle qui a reçu un coup terrible
avec la grève générale avec occupation des usines en mai-juin
1968, obligeant la bourgeoisie à remiser pour toute une période politique ses
espoirs d’en finir avec le mouvement ouvrier, au point de souffrir qu’en 1981,
une majorité PS-PCF soit élue à l’Assemblée nationale
après la victoire du premier secrétaire du PS François Mitterrand à l’élection
présidentielle.
Depuis 2002, un renforcement significatif
de l’appareil d’Etat s’est déjà opéré, pour
l’essentiel sous la houlette de Sarkozy, via la cohorte de lois réactionnaires
qu’il a fabriquées au ministère de l’intérieur. Mais son élection lui offre la possibilité
d’aller plus loin. On en a un avant-goût avec la lourdeur des condamnations
frappant les participants aux maigres manifestations désespérées qui ont eu
lieu après le second tour.
Il faut également relever le
souci du nouveau président de multiplier depuis son élection les facteurs de
crise du PS et du PCF, nommant contre le premier une série de ralliés au
gouvernement, et procédant contre le second à un hold-up contre le symbole de
Guy Môquet – avec un assentiment écoeurant de la part
de la direction du PCF, qui l’autorise ainsi à effacer que les jeunes
communistes du début des années 1940 voulaient combattre non seulement le
nazisme, mais encore les prédécesseurs de Sarkozy et de ses amis intimes du
grand patronat français. Le gouvernement d’alors désigna, pour être fusillés, des
membres du PCF ainsi que des trotskystes arrêtés par la police française. L’Humanité, fidèle à sa tradition stalinienne, a publié
ce mois de mai 2007 la liste des fusillés… en effaçant la présence des
trotskystes.
En tout état de cause, la volonté
de Sarkozy de voir se constituer aux côtés de l’UMP une
« majorité présidentielle » comprenant un « pôle du
centre » (avec l’essentiel des députés et sénateurs UDF) et un « pôle
de gauche » (en utilisant notamment la formation bourgeoise des
« radicaux de gauche »… une fois ses députés élus grâce au PS),
indique bien la volonté, selon la formule de de
Gaulle, « d’en finir avec le régime
des partis ». De même, l’organisation d’un « Grenelle de l’environnement » est révélatrice de ces
velléités corporatistes: sous couvert « d’écologie », le gouvernement
organise un « dialogue direct » avec la « société civile »
sous la forme d’un rassemblement d’ONG et d’associations réactionnaires peintes
en vert, pour donner blanc-seing à Juppé avec le soutien de leur complice et
ami Nicolas Hulot.
Quant aux organisations
syndicales, là aussi le nouveau gouvernement entend « faire bouger les lignes ». Dans le prolongement de la loi de
Chirac et Borloo sur le « dialogue social », qui
prévoit d’amplifier l’association des sommets syndicaux en leur enjoignant
d’abandonner leur « tradition
protestataire » (cf. Chirac), c’est la
modification des règles de la « représentativité syndicale » qui doit
servir de levier en ce sens. Là encore, Fillon n’a pas fait mystère de son
objectif : aboutir à la constitution d’un « pôle réformiste ». La réception de l’UNSA
par Sarkozy, en plus des cinq confédérations « représentatives »,
indique qu’il ne s’agit pas de paroles en l’air.
La fin du monopole de ces dernières,
notamment sur les candidatures aux élections professionnelles, va être utilisé
comme un instrument contre l’existence même des organisations syndicales ouvrières
(CGT et FO), ainsi que des fédérations du mouvement ouvrier.
Le gouvernement veut donner à une
bourgeoisie assoiffée de revanche la possibilité d’effacer les défaites et
échecs les plus marquants qu’elle a subis ces dernières décennies, en décembre
1986 sur le projet de loi Devaquet de privatisation
des universités; en novembre-décembre 1995 sur les
régimes spéciaux de retraite ; en 2006 sur le C.P.E. Mais une des premières
tâches du nouveau pouvoir est d’effacer l’échec du référendum du 29 mai 2005.
« La France est de retour en Europe »
(Sarkozy)
Lors de son dernier sommet
européen, Chirac avait avoué que le « non » au référendum de mai 2005
était un « vote contre le
gouvernement ». Certes, l’échec du gouvernement Chirac-Raffarin
au référendum a été rapidement surmonté, grâce au soutien apporté au nouveau
gouvernement Chirac-Villepin par le PS, le PCF et les
appareils syndicaux. Mais il en va autrement sur la scène de l’Union Européenne.
En effet, le projet de
constitution est une initiative française, fruit de la pseudo convention
présidée par Giscard, suite au changement profond intervenu dans l’UE avec son
élargissement à l’est de mai 2004, qui a eu comme conséquence de donner à
l’impérialisme allemand une place centrale sur tous les plans au sein de l’Union. L’objectif de ce texte était de définir des règles
de fonctionnement nouvelles permettant à l’impérialisme français d’accompagner
ce nouveau renforcement de son puissant voisin en préservant une place de
second rang en Europe – quitte à réduire pour cela l’influence des pays de
taille moyenne, comme notamment la Pologne et l’Espagne, lesquels s’étaient
opposés initialement pour cette raison au traité. Or, l’échec du référendum en
France, puis en Hollande, a transformé cette initiative en son contraire. Non
seulement les nouvelles règles de fonctionnement défendues par Paris pour limiter
autant que possible sa perte d’influence ne sont pas entrées en vigueur, mais
encore l’échec de ce projet de traité a été un échec politique direct de
l’impérialisme français au sein de l’Union
Européenne, qui l’a marginalisé. Le cri lancé par Sarkozy salle Gaveau au soir
du second tour « la France est de
retour en Europe », signifie que l’impérialisme français va reprendre
l’initiative pour arriver à une solution préservant ce qui est pour lui
l’essentiel, à savoir la partie I du défunt traité (cf.
pour plus de détails sur celle-ci l’article paru dans CPS nouvelle série n°16).
C’est ce qu’a salué immédiatement
l’inévitable baron Seillière (Le Monde
du 15 mai), cette fois en tant que dirigeant de l’association « business europe »:
« [la construction européenne] s'est
trouvé mise entre parenthèses par le non français. L'Europe vivote depuis dans
l'incertitude. La question est de savoir si on redémarre le processus en
surmontant la crise institutionnelle ou si on n'y arrive pas, marquant ainsi la
fin de cinquante ans de construction européenne. C'est un choix fondamental.
(…)
Dans les milieux européens, nous étions convaincus que, si Ségolène
Royal arrivait au pouvoir avec sa proposition d'un nouveau référendum en
France, c'en était fini du processus de relance. Alors que l'approche de
Nicolas Sarkozy est assez proche de celle d'Angela Merkel, de Tony Blair et des Hollandais. Il peut donner le
signal de la relance. De ce point de vue, son élection a été un véritable
soulagement. (…) Nous attendons que M. Sarkozy, avec son énergie et son talent,
renoue les fils cassés en 2005. »
A peine Sarkozy élu, Merkel, présidente en titre de l’UE, a fait savoir qu’un
accord pourrait être trouvé dès juin.
Une autre raison plaide pour
l’enterrement du texte de la constitution européenne, et son remplacement par
un mini-traité reprenant l’essentiel de la partie 1
sur les nouvelles règles de vote, les coopérations renforcées, etc. Bien qu’il ait été voté par une vingtaine de
pays, le « traité constitutionnel » correspond à une situation
politique qui n’existe plus. Il était en effet le fruit d’un accord
franco-allemand, produit du rapprochement entre ces deux impérialismes après
2001 face à l’offensive de l’impérialisme US, rapprochement qui s’est
cristallisé par leur opposition à l’intervention en Irak. Or depuis, de l’eau a
coulé sous les ponts notamment dans la position française qui n’a cessé
d’évoluer, à partir de l’accord Chirac-Bush sur le
Liban, vers un rapprochement des positions de Washington, comme l’ont analysé
plusieurs articles parus dans CPS.
Le seul fait de la nomination de
Kouchner, partisan déclaré de l’intervention US en Irak, en dit long sur les
intentions de Sarkozy en la matière, tout comme le fait qu’il ait rencontré
Blair avant Merkel.
A propos de la politique de l’impérialisme français en
Afrique
La politique étrangère de
l’impérialisme français restera dictée par la compréhension qu’auront, à
un moment donné, les cercles dirigeants du capital financier de leurs intérêts
– ils pourront compter sur Kouchner qui fut, entre autre méfaits, rétribué
grassement par Total pour publier un rapport de défense des
« affaires » de ce groupe avec la junte birmanienne,
et qui aujourd’hui prône l’intervention (« ingérence humanitaire »
oblige) au Darfour, région précisément riche en pétrole.
Concernant l’Afrique
subsaharienne, rappelons que Chirac et Villepin, au contraire de Sarkozy,
étaient directement issus des réseaux tissés par le gaullisme dans les
anciennes colonies africaines de la France. Avant de quitter le pouvoir, ils
ont tenté d’y mettre la situation « à plat ».
D’une part en intervenant
militairement à plusieurs reprises pour conforter les dictatures tchadienne et
centrafricaine- mais aussi ce faisant en posant les jalons d’une participation
française à toute intervention militaire directe ou indirecte au Darfour
voisin.
D’autre part en acceptant en Côte
d’Ivoire, via l’ami de Chirac Blaise Compaoré, un compromis qui semble plus durable que les
précédents, mais qui entérine un échec de l’impérialisme français, puisque ce
compromis garantit le maintien au pouvoir de Laurent Gbagbo
que l’Elysée a cherché à évincer par tous les moyens depuis 2002. Du coup, même
si la domination économique française sur la Côte d’Ivoire
demeure, politiquement, dans ce pays décisif du « pré carré »
africain, l’impérialisme français a dû en rabattre en étant incapable d’imposer
à la tête du pays un dirigeant qui lui soit totalement inféodé, précédent qui
peut avoir des conséquences importantes à terme dans d’autres pays.
Mais que ce soit au sein de l’Union Européenne, dans ses semi-colonies
d’Afrique, ou au Moyen-Orient, une donnée fondamentale s’impose : la
capacité de la bourgeoisie française à défendre ses intérêts dépendra au bout
du compte de l’ampleur des reculs qu’elle imposera à son propre prolétariat.
C’est ce que rappelle Seillière en conclusion de l’interview citée :
« On trouve que la France a beaucoup de retard. Le social est très
souvent un sujet d'affrontement arbitré vivement par l'Etat. Il faut pouvoir
échanger, comme en Allemagne, du salaire et de la durée du travail contre de
l'emploi, de l'investissement. »
En d’autres termes : la clé
de tout est dans l’intensification de l’exploitation. C’est précisément ce à
quoi veut répondre le programme de Sarkozy.
Le programme de Sarkozy-Fillon :
à court terme, une véritable ruée réactionnaire
« Je tiendrai mes engagements, scrupuleusement ».
Sarkozy une fois élu n’a laissé aucune ambiguïté planer sur ses intentions. Il
est nécessaire de rappeler ce qu’il en est de ces « engagements »,
pris au compte du grand Capital, d’autant plus que les directions syndicales
n’ont pas manqué au lendemain des élections, comme le bureau confédéral de la
CGT réuni le 7 mai, de déclarer que « la
campagne a témoigné d’une forte attente de changement, tant dans la société que
dans le travail. La Cgt estime que l’élection confirme la vigueur de ces
attentes. ». Mais à quelles « attentes »
répond le programme de Sarkozy, sinon celles du Medef
et de la CGPME ? Quand les dirigeants syndicaux affirment qu’ils jugeront
« aux actes » (B.Thibault et
J-C.Mailly dixit), ils adoptent une
attitude qui revient à laisser un ennemi à frapper d’abord pour, ensuite, juger
des dégâts commis. Or ceux-ci seraient considérables.
Dès la session extraordinaire de
l’Assemblée prévue en juillet, Sarkozy entend adopter
deux nouvelles lois de renforcement des pouvoirs de la police, contre la
jeunesse, d’abord, mais aussi contre toute la classe ouvrière. Il compte aussi
faire passer la loi défiscalisant et exonérant de toutes charges les heures
supplémentaires, ce qui les rendrait moins chères que les heures normales, et
signifierait de facto la disparition de toute durée légale du travail. Enfin,
pour récompenser son électorat, la majorité UMP-UDF serait chargée de supprimer
l’essentiel des taxes sur l’héritage et de renforcer le « bouclier
fiscal », accroissant mécaniquement la proportion du fardeau fiscal porté
par les classes populaires.
Egalement au programme : le
projet de loi sur l’université qui vise à détruire l’enseignement supérieur public
en instaurant leur autonomie totale, et donc permettre d’y instaurer la
sélection sous toutes ses formes – ce serait là effacer la défaite de Chirac en
novembre décembre 1986.
A brève échéance, en plus de
l’université, le gouvernement Sarkozy-Fillon a comme buts
essentiels :
- instaurer le « service
minimum », c’est-à-dire remettre en cause le droit de grève, dans les
transports, mais aussi dans l’enseignement, à commencer par le primaire. Ce
serait une revanche terrible contre les mouvements de 1995 et 2003.
- Remettre en cause le CDI au
profit d’un « contrat de travail unique » - sorte de super C.P.E.,
effaçant ainsi la défaite subie en 2006.
- Supprimer des centaines de
milliers de postes dans les fonctions publiques, en restructurant, on l’a vu,
la fonction publique d’Etat, notamment le ministère
des Finances (fusion impôts/Trésor, mais aussi liquidation des Douanes annoncée
par Sarkozy à la télévision), en rabougrissant encore le contenu de
l’enseignement public et cassant les statuts des enseignants, en fusionnant l’Unedic
et l’Anpe, et en allant vers la destruction accélérée
du système public de santé.
- Ajoutons, sous la houlette de
l’ancien dirigeant d’Emmaüs, l’entreprise de « remise au travail »
des Rmistes contre une aumône, sous peine d’être voués à la déchéance totale. Suivrait,
pour 2008, l’offensive contre les régimes spéciaux (RATP, SNCF, etc.) et le régime général des retraites et pensions,
l’instauration de « franchises » sur les dépenses médicales, etc.
Aucun doute n’est de mise :
c’est à une telle offensive réactionnaire de grande ampleur que le prolétariat,
la jeunesse, doivent s’apprêter pour la combattre. Et pour cela, il est
indispensable de saisir par quel moyen Sarkozy et son gouvernement entendent la faire passer.
« Je crois au dialogue social »
(Sarkozy)
Le 1er mai, Sarkozy a
précisé dans une prestation télévisée comment il entendait faire passer son
programme. « Je crois au dialogue
social », a-t-il dit, en précisant bien de quel « dialogue »
il s’agissait : une concertation tournée vers l’application de son
programme : « Je compte
appliquer scrupuleusement mon programme (…) dans la concertation avec les
forces syndicales, mais que les choses soient claires ».
C’est cette « concertation » qui a été inaugurée par
le nouveau président, avant même, fait sans précédent, son investiture
officielle, en recevant dans ses locaux provisoires les représentants des
appareils syndicaux – à l’exception de ceux de la FSU et de
« solidaires »… lesquels ont protesté contre cette mise à l’écart. Ils
auraient sans doute voulu venir partager, eux aussi, les petits fours et le
café avec l’ennemi public n°1 des travailleurs et des jeunes. En réalité, que
les dirigeants syndicaux CGT, FO, etc. aient accouru
auprès de Sarkozy, avant même son intronisation, avant même tout discours de
politique générale, avant même les élections législatives, est un véritable
vote de confiance qu’ils ont accordé au nouveau pouvoir. Ne se sont-ils pas
d’ailleurs tous dit « rassurés » en sortant de ces entretiens ?
« Pas de couteau sous la gorge »,
se sont-ils entendu dire. Oui, Sarkozy « croit au dialogue social », c’est-à-dire qu’il escompte que
les appareils syndicaux lui paveront la voie vers ses objectifs.
Car il faut y insister de
nouveau : c’est donc pour « tenir ses engagements », rien d’autre,
que le gouvernement va lancer un cycle de « concertations » tout
azimut. Sarkozy ou Fillon en ont plus d’une fois donné leur calendrier. Après
les rencontres préliminaires, prévues dès la constitution du nouveau
gouvernement, on se dirigerait vers l’organisation en septembre de quatre
grandes conférences censées préparer le terrain, notamment à la
refonte/liquidation du contrat de travail. Dans le même temps, le Medef a fait
valoir que les travaux de sa « délibération sociale » pourraient
parfaitement s’insérer et contribuer à ce processus de destruction concertée
des acquis ouvriers. S’y ajoutent notamment les tractations autour du prochain
projet de loi contre l’université, ou encore une « table ronde sur les services des enseignants » avant l’été,
selon le rapport pondu par le nouveau ministre de l’Education,
Darcos.
Sarkozy a tiré les leçons de la
défaite du gouvernement auquel il appartenait sur le C.P.E. En plaçant à la
tête du gouvernement François Fillon, en l’adjoignant des Bertrand et Borloo, il a placé aux postes clés des hommes parfaitement
rompus à cet exercice, et qui ont fait leur preuve en matière de concertation
au moyen de laquelle ils ont fait passer des contre-réformes capitales. Et, dans
la continuité de ce que signifiait la loi de 2006 de « modernisation du dialogue
social », il compte bien sur la collaboration des dirigeants syndicaux
pour arriver à ses fins.
Les appareils syndicaux se placent d’emblée aux côtés
du gouvernement Sarkozy
Les appareils syndicaux, car
telle est leur nature, ont choisi de répondre à l’appel de Sarkozy à ce « dialogue » dont il a besoin pour
faire passer ses « réformes ». Pis encore, ils se font donneurs de
bons conseils quant à la manière de les réaliser. « Ne pas confondre vitesse et précipitation », lui a conseillé
le bureau confédéral de Force Ouvrière au lendemain du second tour. Dans une
interview aux Echos, deux jours plus
tard, J-C.Mailly en rajoutait « les
attentes sociales se sont exprimées très fortement pendant la campagne
électorale et portent sur des questions qui doivent se négocier, comme l’impose
la loi de modernisation du dialogue social de février dernier. ». Nous
avons eu l’occasion de dire quelles « attentes sociales » le
gouvernement de guerre dirigé par Sarkozy s’apprête à contenter. Se réclamer en
regard de telles attentes de la loi de « modernisation du dialogue social »,
c’est se déclarer prêt à le servir. Rappelons en effet, selon les termes de
Chirac, que cette loi repose sur un « engagement »
plus important que jamais des « partenaires
sociaux », lesquels – en pratique, les directions des confédérations
ouvrières – doivent devenir des co-législateurs au compte des gouvernements
bourgeois. Joignant les actes aux paroles, les dirigeants patronaux et
syndicaux et notamment FO ont annoncé depuis le siège du Medef le 14 mai, que,
dans le cadre de la « délibération
sociale » (à laquelle ne participe pas la direction CGT), un « état des lieux du marché du travail»
serait rendu public le 29 mai, tout en demandant au gouvernement « le temps et la place de négocier ».
La direction CGT quant à elle a
le cynisme de déclarer qu’elle « ne
fait pas de procès d’intention », Thibault ayant précisé dans Le monde du 10 mai : « La CGT n’est pas une force d’opposition a priori » (en réponse
à la question : ‘vous préparez-vous au conflit’ ?).
Mais encore : s’agissant de
l’instauration du service minimum dans les transports, où l’appareil CGT est en
première ligne, Thibault s’est félicité au sortir de son entrevue avec
Sarkozy d’avoir reçu : «l’assurance qu’il n’y aurait pas de décision
unilatérale »… et d’annoncer : « des discussions pendant l’été » sur ce sujet ! Auxquelles
bien entendu les directions fédérales CGT se préparent à participer, à
discuter, donc, de l’atteinte au droit de grève. Et Mailly de rapporter
les propos de Sarkozy sur ce sujet « si
vous arrivez à vous mettre d'accord entreprise par entreprise je n'y vois pas
d'inconvénient ». Il s’agit donc bien de faire le travail du
gouvernement sa place.
Dans l’enseignement, lui aussi
dans le collimateur sur la question du droit de grève, en plus de la
liquidation totale des statuts, les dirigeants FSU se sont quant à eux
indignés… de n’avoir point été reçus par Sarkozy, au nom, eux aussi, du
« dialogue social » avec les ennemis de enseignants. Darcos nommé, l’intersyndicale lui a envoyé une demande de
rendez-vous sur la question des décrets Robien, assortie de la précision
suivante, donnée au nom de l’intersyndicale par un dirigeant SE-Unsa « Notre
lettre n'est pas menaçante, nous ne faisons pas de procès d'intention » !
De son côté, le SNES, en première
ligne sur cette question, organise un « rassemblement de délégations
d’établissements » devant le ministère… « pour que les engagements soient tenus » ! Mais quels
« engagements » (terme repris également par le bureau national de la
FSU) Sarkozy ou Darcos auraient-ils pris qui ne soit de casser les reins du corps enseignant et de briser l’enseignement
public ? Darcos, sur France Info le 20 mai, a
été clair : il a répété, outre sa volonté de se débarrasser de la carte
scolaire, que le décret de Robien serait revu… dans le cadre d’une négociation
globale sur le « métier d’enseignant ». On a dit au début du présent
éditorial ce qu’il en était. Mais Darcos, comme
Sarkozy, peut être rassuré sur les intentions on en peut plus pacifiques de la
direction du SNES. Bernard Boisseau écrit dans L’US que cette dernière se fixe comme seul objectif une « contribution naturelle à la bonne marche
démocratique de notre société ». C’est sans doute avec ce même esprit
que la direction du SNU-IPP, réagissant à la question du « service
minimum », met en garde… contre toute « disposition
unilatérale » (dans un communiqué du 16 mai).
Que dire enfin de la direction de
l’Unef, laquelle, par la voix de Julliard, ouvre
franchement la porte à la future contre-réforme des universités ! Une
dépêche AFP du 18 mai rapporte sa réaction : « S'il y a une réforme, c'est bien qu'on ait un interlocuteur
unique, un ministre qui tranche" qui soit le même que celui avec qui les
organisations discutent. Pour lui, Mme Pécresse devra
"éviter une réforme ultralibérale" et "éviter de passer en
force". "Si elle évite ces écueils, la communauté universitaire est
prête", a-t-il commenté. »
Il est pourtant clair que la
première mesure à prendre pour faire face à l’offensive réactionnaire qui
s’amorce est que les organisations syndicales n’y prêtent pas leur
concours ! C’est à l’évidence sur cette orientation qu’il faut intervenir
dans les organisations syndicales.
Mais les bureaucrates syndicaux y
opposent en chœur la « légitimité » que Sarkozy aurait conquis par la
grâce de son élection. « Attention,
nous ne menaçons pas d’un troisième tour social. À FO, nous sommes républicains
et démocrates » déclare Mailly au Monde
du 16 mai. « On prend acte de
l'élection de Nicolas Sarkozy, on respecte les résultats du scrutin, il n'y a
aucune raison de contester cette victoire », fait écho Julliard, pour
dénoncer publiquement les quelques manifestations spontanées et désemparées qui
ont eu lieu – alors même que l’Unef avait appelé à
battre Sarkozy au second tour.
Ce chœur est en fait unanime.
Mais pour les travailleurs salariés, pour la jeunesse, si la victoire de
Sarkozy est incontestablement une dure défaite politique, il n’en découle pas
une seule seconde qu’il faille dorénavant s’incliner devant le nouveau maître
de l’Elysée.
Car si Sarkozy a été élu, les
travailleurs n’en sont nullement responsables. Et au contraire, le devoir des
organisations du mouvement ouvrier serait, en tirant les leçons de cette
défaite politique, de préparer le combat contre le nouveau pouvoir. S’y
refusant, elles prolongent en fait la politique… qui a permis à Sarkozy de
l’emporter.
L’élection de Sarkozy : une victoire politique
pour la bourgeoisie,
une défaite pour les travailleurs et la jeunesse
Le tableau ci-après donne les
résultats, par rapport aux exprimés puis aux inscrits, des principales
échéances électorales depuis les présidentielles 1995 jusqu’à celles de 2002 en
passant par les élections cantonales de 2004, dernière échéance de ce type en
date, qui avaient un caractère national.
|
P1995-%exp |
L1997%exp. |
P2002 %exp. |
L2002 %exp |
C2004 %exp |
P2007 % exp |
|
P1995-%ins. (abst 21,6%) |
L1997- %ins. (abst 32,0%) |
P2002 - %ins. (abst 28,4%) |
L2002 %ins. (abst 35,58) |
C2004 %ins (abst 36,09%) |
P2007 %ins (abst 16,23%) |
P.S. P.C.F. EG
|
23,3% 8,6% 5,3% |
25,5% 9,9% 2,2% |
16,2% 3,4% 10,4% |
24,11 4,82 2,79 |
26,25 7,79 2,99 |
25,87 1,93 5,41 |
|
17,7% 6,6% 4,0% |
16,5% 6,4% 1,4% |
11,2% 2,3% 7,2% |
14,85 2,96 1,70 |
16,09 4,77 1,83 |
21,36 1,59 4,47 |
Total
partis «ouvriers» |
37,2% |
37,6% |
30,0% |
31,72 |
37,03 |
33,21 |
|
28,4% |
24,3% |
20,7% |
19,51 |
22,69 |
27,42 |
Div.g, Verts |
3,3% |
3,1% 6,3% |
7,6% 5,2% |
2,63 4,51 |
7,30 4,09 |
1,32 1,57 |
|
2,5% |
2,0% 4,0% |
5,3% 3,6% |
1,61 2,77 |
4,47 2,51 |
1,09 1,30 |
Sous-total |
3,3% |
9,4% |
12,8% |
7,14 |
11,39 |
2,89 |
|
2,5% |
6,0% |
8,9% |
4,38 |
6,98 |
2,39 |
RPR/UMP UDF + DL Div.d |
20,8% 18,6% 4,7% |
16,8% 14,7% 4,6% |
19,9% 10,7% 3,1% |
33,30 5,26 4,82 |
20,95 4,76 11,36 |
31,18 18,57 2,23 |
|
15,9% 14,1% 3,6% |
10,9% 9,5% 3,0% |
13,8% 7,4% 2,1% |
20,52 3,24 2,98 |
12,84 2,92 6,96 |
25,74 15,33 1,84 |
Sous-total |
44,2% |
36,2% |
33,7% |
43,38 |
37,07 |
53,13 |
|
33,6% |
23,4% |
23,3% |
26,74 |
22,72 |
42,91 |
Divers |
0,3% |
1,8% |
4,2% |
5,06 |
2,03 |
1,49 |
|
0,2% |
1,2% |
2,9% |
3,11 |
1,24 |
0,83 |
FN MNR
etc. |
15,0% |
15,1% |
16,9% 2,3% |
11,34 1,33 |
12,13 0,36 |
10,44 |
|
11,4% |
9,8% |
11,7% 1,6% |
6,98 0,81 |
7,43 0,22 |
8,62 |
Sous
total FN-MNR |
15,0% |
15,1% |
19,2% |
12,67 |
12,49 |
10,44 |
|
11,4% |
9,8% |
13,3% |
7,78 |
7,65 |
8,62 |
Total
partis
bourgeois |
62,8% |
62,4% |
70,0% |
68,27 |
62,97 |
66,79 |
|
47,8% |
40,3% |
48,4% |
42,01% |
38,59% |
54,75% |
Ce tableau permet de mesurer les
ressorts immédiats qui ont abouti au résultat des élections, Sarkozy
recueillant au second tour 53,06% des exprimés, 42,68% des inscrits – un score
sans précédent depuis des décennies pour le candidat d’un parti bourgeois,
comme le fut celui qu’il obtint au premier tour.
C’est un fait : Sarkozy a
réussi à mobiliser derrière lui l’électorat bourgeois et la petite bourgeoisie,
enchantés par le caractère particulièrement réactionnaire autant que détaillé
de ses promesses, attirés par l’odeur de la revanche sur les défaites du passé,
chauffés à blanc à l’idée d’en faire baver plus que jamais aux prolétaires, à
la jeunesse. La participation dans les villes où se concentre la grande
bourgeoisie est extrêmement élevée, ainsi que les scores du candidat UMP. Cette
polarisation électorale a entraîné dans son mouvement une partie écrasante de
l’électorat FN au second tour.
Parallèlement, il faut souligner
que la mobilisation d’une importante fraction de l’électorat populaire a
utilisé le bulletin de vote de la candidate du PS, Ségolène Royal, pour
manifester son opposition à ce programme et au candidat Sarkozy – tout
particulièrement dans les cités populaires où la participation a aussi été
relativement élevée. C’est là – et malgré le programme et la campagne de Royal,
repoussants – une nouvelle illustration de la nature du Parti Socialiste qui
reste encore un parti « ouvrier-bourgeois »,
que les masses cherchent à utiliser, particulièrement sur le terrain électoral,
pour battre les partis et organisations bourgeois. Elles l’ont fait cette
fois-ci notamment au détriment du PCF, qui enregistre un nouveau revers
électoral historique, ainsi que nous l’avions prévu dans le précédent numéro de
CPS.
Néanmoins, la campagne et le
programme de la candidate Royal et du PS (cf. le
précédent numéro de CPS et les déclarations
reproduites dans ce numéro) ont limité ce mouvement au sein de la classe
ouvrière. L’abstention est restée conséquente dans les secteurs de vieille
tradition ouvrière – là où le FN a maintenu par ailleurs des scores supérieurs à
son score national.
Les déclarations sur « l’ordre juste », l’exhibition des
drapeaux tricolores, l’invention d’un remake du CPE, le « contrat première
chance », les déclarations anti-enseignants, voire la personnalité même de
Ségolène Royal, ont été un important facteur de désarroi politique, dont a
profité notamment Bayrou. En retour, le score de ce dernier a permis à la
direction du PS de se lancer plus à droite encore, en proposant des ministres à
l’UDF entre les deux tours, c’est-à-dire d’intégrer dans un éventuel
gouvernement les coresponsables de la politique menée entre 2002 et 2007.
Mais la campagne du PS et de
Royal n’est pas la seule responsable de la victoire de Sarkozy. Depuis des
mois, les appareils syndicaux se sont employés à liquider systématiquement les
possibilités ouvertes par la défaite infligée au gouvernement Chirac-Villepin sur la question du C.P.E. (cf. le précédent numéro de CPS), notamment dans l’enseignement, tout particulièrement à
Airbus, nous allons y revenir. Et après avoir dégagé la voie des
présidentielles à la bourgeoisie, ils se sont refusés dans l’ensemble à prendre
position contre l’élection de Sarkozy
Circonstance aggravant la portée
de la victoire de Sarkozy : dès le soir du second tour, les ténors du PS,
à commencer par Hollande, affirmaient sur les plateaux télés ne pas vouloir de
« nouvelle cohabitation ».
En clair : que l’UMP gagne les
législatives ! Quant à Royal, arborant un sourire radieux et insultant
pour les jeunes et les travailleurs qui avaient voté pour elle pour faire
barrage à Sarkozy, elle promettait d’emmener ses sympathisants … « vers de nouvelles victoires » !
Dans la foulée, PS, PCF, comme
dirigeants syndicaux proclamaient, on l’a vu, la « légitimité » du
nouveau président. En fait, ce sont eux qui lui confèrent la « légitimité » la plus précieuse,
celle dont il a besoin impérativement pour appliquer sa politique.
Le PS et le PCF en crise
C’est la première fois depuis
1981 qu’une majorité sortante remporte les élections, c’est également la
troisième défaite consécutive du PS aux élections présidentielles. Les
dirigeants du PS voient à nouveau la porte du pouvoir leur claquer au nez. Immédiatement,
les règlements de comptes ont commencé (incluant plusieurs appels au départ de
Hollande). Mais la crise du PS a pris une dimension particulière, en ce qu’elle
a immédiatement mis en cause l’existence même de ce parti. Et qui plus est par
la bouche de celui qui est son premier secrétaire depuis 10 ans, Hollande. Une
semaine après la défaite électorale du PS, il annonçait la tenue prochaine
« d’assises » pour la constitution d’un « grand parti de la gauche » incluant radicaux, chevènementistes
et centristes. Hollande n’est pas le seul remettre en cause l’existence du
PS : Strauss-Kahn prône une « refondation » programmatique.
Quant à Royal, elle a carrément proposé de se faire investir dès l’automne
comme … candidate pour 2012, proposition grotesque qui marque la volonté de
prolonger le fait qu’elle se soit subordonnée le PS avec son investiture. Enfin,
Emmanuelli a aussi proposé de constituer un nouveau parti, ouvert cette fois sur
la « gauche » du PS, ce qui ne change rien au fait que c’est une
autre prise de position visant à liquider ce parti.
Or ce qui est en jeu, c’est rien
de moins que la possibilité de la classe ouvrière, des travailleurs, de
manifester même de manière déformée leur existence en tant que classe sur la
scène politique, jusqu’à poser la question du pouvoir. Le modèle du
« parti de la gauche » que propose Hollande existe : il vient
d’être constitué en Italie, sous le nom du « parti démocrate ».
Ce parti est le fruit de
l’accouplement de la majorité de l’ex-PC Italien,
devenu successivement « PDS » (« parti démocrate de
gauche »), puis « DS » (démocrates de gauche), avec des résidus
de la démocratie chrétienne dirigés par Prodi, le tout assaisonné
« d’écologistes » non moins bourgeois. Sous toutes réserves, la
constitution de ce parti sur lequel le prochain numéro de CPS reviendra semble bien sonner le glas de l’existence du
principal parti issu du mouvement ouvrier en Italie.
Le même Prodi a salué par un
message la candidate Royal en meeting à Lyon, au moment même où cette dernière
s’engageait à fond sur la ligne de l’alliance avec le « centre » de
Bayrou. Et ce dernier, dépouillé fort logiquement de l’essentiel de ses élus
par Sarkozy, a constitué un nouveau mouvement, le « Modem », qui ne
pourra avoir d’avenir qu’en devenant l’allié de la direction du PS. D’ores et
déjà, Ayrault, poids lourd de la direction du PS, s’est prononcé pour des
accords PS-Modem aux législatives. Dans le même temps
la presse s’est faite l’écho des grincements de dents au sein du PS concernant
la ligne de « l’ouverture » à l’UDF, tout comme de critiques acides
de Royal et de sa campagne. A n’en pas douter, au lendemain des législatives,
la crise du PS va s’accentuer pour prendre un tour aigu.
De son côté, le PCF, qui a
réalisé un score résiduel, se prépare lui aussi à une crise qui pourrait virer
à l’implosion lors de son prochain congrès extraordinaire de l’automne –
d’autant plus si son groupe parlementaire disparaissait à l’Assemblée.
Gayssot s’est d’ores et déjà signalé en proposant, à
l’instar d’Emmanuelli, une « force nouvelle » passant par-dessus bord
l’étiquette communiste. L’existence du PCF comme force politique nationale est
aujourd’hui menacée.
Bien que cela ne soit pas du tout
sur le même plan, il faut enfin ajouter à cette série de crises celle qui ne
peut manquer de toucher le Parti des travailleurs de Lambert et Gluckstein, après le score désastreux du « candidat de
maires » Gérard Schivardi derrière lequel le PT
avait cru bon de s’effacer. Qu’à cela ne tienne : Gluckstein
a jugé cette campagne si calamiteuse qu’il a décidé, sans même consulter les
instances du PT, de lancer le processus de constitution d’un nouveau
« parti ouvrier » - ce qui vaut bilan d’échec total du PT, lequel
prétendait déjà être le dit « parti ». Ce qui est à l’ordre du jour, après
le soutien à une campagne chauvine – Schivardi
qualifiant les militants du PT de « vrais
patriotes », une campagne marquée par les références à de Gaulle –
c’est une nouvelle étape dans la dégénérescence politique du « courant
communiste internationaliste » du PT au profit duquel fut liquidé en 1991
le PCI, dernière organisation se situant dans la continuité de la IV°
Internationale.
L’issue de ces crises, comme le
développement de la situation politique se noueront sur le terrain direct de la
lutte de classe. Il faut donc accorder la plus grande importance aux
développements intervenus à Airbus.
Airbus : les ouvriers se heurtent de plein fouet
aux appareils syndicaux
Nous écrivions dans notre
précédent numéro au sujet d’Airbus : « la seule issue positive est l’appel à la
grève générale du groupe, contre toute suppression d’emploi, pour le retrait du
plan « Power 8 », dont les grèves spontanées ont montré la
possibilité ». Malgré les journées d’actions de quelques heures
appelées par toutes les organisations syndicales, qui ne servaient qu’à
amoindrir les possibilités de combat, fin avril, l’annonce du montant de la
prime de départ touchée par l’ex-Pdg Forgeard, 8,4 millions d’euros, a mis le feu aux poudres
d’autant que dans le même temps le groupe annonçait que le montant de la prime
annuelle serait … de 2 à 10 euros (contre 1 500 l’année précédente). Par
centaines, à Toulouse d’abord, puis à Saint-Nazaire, puis à Nantes, les
ouvriers débraient alors spontanément, arrêtent les chaînes. Dans un premier
temps, les directions syndicales locales, mises en question pour leur
« passivité » dans les Assemblées générales, doivent accompagner le
mouvement. Très vite, à Toulouse, la direction FO, ultra-majoritaire
dans l’entreprise, arrive à faire reprendre le travail. Mais en
Loire-Atlantique, le mouvement continue. Les directions syndicales le font
suspendre le temps du pont de 1er mai, mais la grève reprend le 2.
La direction lâche du lest, et annonce une prime portée à 500 euros...en
échange de l’arrêt de la grève. Alors que les carnets de commande sont pleins à
craquer, elle indique elle-même qu’elle peut être prise à la gorge par une
grève qui durerait. Entretemps, les grévistes de
Saint-Nazaire et Nantes ont adopté une plate-forme exigeant non seulement le
rétablissement de la prime, mais encore le retrait total du plan « Power
8 ». Ils constituent un comité de grève.
A Toulouse, la direction CGT,
certes minoritaire, fait circuler… un questionnaire pour demander l’avis des
ouvriers sur la hauteur du montant de la prime ! La direction FO finit par
employer tous les moyens pour en finir avec cette grève.
Ainsi, l’un des représentants FO,
Jean-François Knepper, dénonce le 4 mai à l’AFP
« une poignée d’irréductibles (…)
tenus par la LCR, LO et le Parti des Travailleurs ». C’est un appel à
peine voilé à la répression patronale. Le 8, c’est ouvertement que
« l’entente » FO-CFDT-CGC-CFTC appelle à cesser la grève. «La
voie de la négociation est la seule voie de la raison. La grève c’est l’arme
ultime quand la négociation n’aboutit pas » écrit la direction FO aux
salariés en « en appelant à leur
responsabilité ». Mais ceux-ci sont aussi isolés, non seulement dans
l’entreprise, mais nationalement. Ni la fédération de la métallurgie CGT, qui
se contente d’un lâche « La CGT sera
toujours présente et motrice pour que les salariés continuent leurs mouvements
sur la base de leurs revendications et continuent de décider ensemble les
formes d’action », ni la confédération, mais ni non plus la candidate
du PS, alors que nous sommes à quelques jours du second tour des élections
présidentielles, ne prennent la moindre initiative, ne lancent le moindre appel
au combat. Après l’élection de Sarkozy, Mailly déclare dans Les Echos : « Concernant Airbus, nous allons lui rappeler
ses engagements ».
Pour en finir, la direction FO
organise le 9 à Nantes une « assemblée de syndiqués » pour voter la
reprise du travail… tandis que l’assemblée des grévistes, incluant les
syndiqués FO de l’usine, votent la poursuite de la grève à l’extérieur de
l’usine !
Isolés, face à un tel acharnement
des appareils syndicaux, mais aussi sans doute parce Sarkozy a été élu, les
grévistes votent la reprise le 10 à Saint-Nazaire, puis le 11 à Nantes.
Sarkozy fraîchement élu peut
venir comme en terre conquise rencontrer une semaine plus tard les
représentants syndicaux de l’entreprise à Toulouse, pour recevoir les « chaleureuses félicitations » des
dirigeants FO Knepper et Tavalan,
tant pour son élection que pour l’annonce d’une révision du « pacte
d’actionnaires »... tandis que Sarkozy leur annonce qu’il maintient
« le plan power 8 », y compris la liquidation du site de Méaulte.
Préparer le combat contre le gouvernement Sarkozy-Fillon,
notamment à l’occasion des élections législatives
La grève spontanée des ouvriers
d’Airbus entre les deux tours de l’élection, malgré ses
limites (l’absence de combat pour imposer aux directions syndicales l’appel à
la grève générale, à la formation de comités de grève, du comité central de
grève) a indiqué que, même si elle a subi une défaite dans les élections, la
classe ouvrière peut engager le combat sur son propre plan, avec ses propres
méthodes. Les multiples grèves de ces derniers mois dans les entreprises pour
les augmentations de salaires, ou contre les licenciements, en attestent
également. C’est sur cette possibilité, cette spontanéité, qu’il faut faire
fond.
Aucune illusion ne peut être de
mise : la victoire de Sarkozy est une défaite politique pour les
travailleurs, et elle va les marquer pour un temps indéterminé. Ce qui est
nécessaire aujourd’hui, c’est une orientation qui leur permette de faire face à
l’offensive ultra-réactionnaire que concoctent le gouvernement Sarkozy-Fillon
et le Medef.
Or, cet éditorial l’a amplement
souligné, même si il ne fait aucun doute que la session d’été de l’Assemblée nationale sera le théâtre de nombreux coups
contre les droits ouvriers et les libertés démocratiques, la première
préoccupation du nouveau gouvernement est de lancer des concertations tout
azimut pour préparer le terrain à l’essentiel de ses « réformes »
futures. Il s’est immédiatement engagé dans la préparation des quatre
« conférences » pour la rentrée pour remettre en cause les acquis
subsistant en matière de droit du travail, a annoncé une concertation dès cet
été sur le service minimum, une autre, dès avant l’été, sur les statuts des
enseignants ou sur l’autonomie des universités, etc.
Alors, la première mesure de
défense de la classe ouvrière, des travailleurs et de la jeunesse, que
devraient prendre les dirigeants syndicaux, c’est de refuser la « concertation »
avec le gouvernement.
Le refus, la rupture de cette
concertation par les directions des organisations syndicales serait perçue par
les travailleurs comme un appel clair à se préparer à faire la guerre contre le
gouvernement, un appel au combat dans l’unité des organisations issues du
mouvement ouvrier (partis, syndicats).
Face au gouvernement Sarkozy-Fillon, l’urgence, c’est donc de lutter pour que se
constitue contre lui le front unique des organisations du mouvement ouvrier,
syndicats et partis.
Le 10 et le 17 juin se tiendront
les élections législatives. Même si les sondages servent à matraquer
politiquement les masses, il n’en demeure pas moins que sauf évènement
exceptionnel, elles seront remportées par la « majorité
présidentielle », par l’UMP, face à un PS et un
PCF en crise.
Pour autant, ces élections sont
une occasion de militer pour le front unique des organisations du mouvement
ouvrier, contre toute concertation, toute collaboration, avec le gouvernement.
En outre, plus nombreux seront les suffrages portés sur les candidats présentés
par le PS et le PCF, voire LCR et LO ou du PT, plus se manifestera ainsi la
volonté du prolétariat de résister à la politique du gouvernement Sarkozy-Fillon, de combattre ce gouvernement au service du
capitalisme français.
Encore faut-il préciser que de
nombreux candidats soutenus par le PS ou le PCF ne sont pas des candidats de
ces partis, et que donc les travailleurs n’auraient aucune prise sur eux s’ils
étaient élus, aucune possibilité de leur dicter leurs exigences. Il en va
naturellement ainsi des candidats du PRG, dont le président s’est même
imprudemment avancé à dire avant l’élection qu’il envisageait un rapprochement
avec l’UMP via le parti Radical de Borloo. Mais il n’en va pas autrement des candidats
bourgeois des Verts, chevènementistes ou « divers gauche », y compris
les candidats « antilibéraux » de tout poil soutenus par le PCF.
Combattre pour le front unique des partis et syndicats du mouvement ouvrier,
mais aussi contre la liquidation des partis traditionnels du mouvement ouvrier,
qui, dans les circonstances présentes, se ferait totalement au profit de la
bourgeoisie.
Aussi notre Groupe appelle-t-il à
voter au premier tour pour les seuls candidats PS, PCF (LCR ou LO), et au
second tour pour celui de ces candidats resté en lice, contre les candidats des
partis bourgeois.
Dans ces élections, aucun parti ou organisation ne défend la
perspective du socialisme, de l’expropriation du Capital dont les principaux
dirigeants, les Bolloré, Bouygues, Lagardère, et cie,
exercent le réel pouvoir dans ce pays aux côtés de Sarkozy et son, gouvernement
de choc. Or, au travers du programme de Sarkozy, c’est bien aux conséquences et
aux exigences féroces de la survie du mode de production capitaliste que les
masses sont confrontées.
Pour assurer le droit au travail en organisant la production selon les
besoins des masses et non du profit, en finir avec l’oppression et
l’exploitation sous toutes ses formes, porter au pouvoir un gouvernement
révolutionnaire menant une politique ouvrière, socialiste, il faut s’organiser.
C’est ce à quoi appelle le Groupe pour la construction du parti ouvrier
révolutionnaire, de l’internationale ouvrière révolutionnaire.
Le 20 mai 2007