Editorial de CPS Nouvelle série n°25 (n°107) 3 juin 2006

 

 

Après la défaite des Chirac, Villepin et Sarkozy sur le CPE :

S’organiser, combattre pour en finir avec Chirac, son gouvernement,

la « majorité » UMP, la Ve république

 

 

Situation de crise au sommet de l’Etat : une conséquence immédiate de la défaite du gouvernement


Le 10 avril, Chirac et Villepin devaient se résoudre à retirer le Contrat Première Embauche, après avoir concocté avec les directions syndicales un dispositif visant à minimiser l’impact de cette première défaite politique subie sur le terrain direct de la lutte des classes depuis 2002.

Le 13 avril, une perquisition était organisée au ministère de la défense, dans le bureau de M.Alliot-Marie, au sujet de « l’affaire clearstream », qui allait rapidement prendre une ampleur considérable, provoquant des appels à la démission de Villepin jusque dans les rangs de l’UMP, notamment par la bouche de François Fillon, bras droit d’un Sarkozy dénonçant pour sa part les « apprentis comploteurs » d’un gouvernement auquel pourtant il appartient.

Il ne s’agit évidemment pas d’une coïncidence, d’autant que l’on sait maintenant que cette affaire occupait Chirac et Villepin, quel que soit le ministère officiel de ce dernier, depuis au moins deux ans, et que Sarkozy était au courant.

C’est une des conséquences de la défaite politique essuyée par le gouvernement en retirant le CPE.

 

En effet cette défaite a été au premier chef celle du couple Chirac-Villepin qui dirige l’Etat main dans la main depuis des années, lequel Villepin a payé le prix fort d’avoir tenté de passer en force, sur le CPE, sans recourir au préalable à la concertation et au dialogue avec les bureaucraties syndicales, car il voulait réaffirmer ainsi le caractère bonapartiste de la Ve  République.

 

Cette défaite, s’ajoutant sur ce plan au « non » du 29 mai dernier, signifie entre autres pour le grand capital qu’il est impensable que l’équipe de Chirac continue de diriger (et d’accaparer) l’appareil d’Etat après les prochaines élections. C’est pour Chirac et sa clique un affaiblissement considérable, la perte annoncée de leur pouvoir de rétorsion et de promotion. C’est cela qui a ouvert la porte à l’engagement de règlements de comptes violents entre les différentes factions et clans de la bourgeoisie française, sur le terrain judiciaire et médiatique.

 

Avive cet affrontement la volonté de faire payer à Chirac et Villepin le fait qu’ils aient, avec le CPE, interrompu momentanément la continuité jusqu’ici sans faille depuis 2002 des contre-réformes (danger contre lequel, l’éditorial de notre précédent numéro l’avait rappelé, avaient mis en garde des ministres – Larcher – et, entre autres, le journal Le Monde).

 

Jusqu’où iront ces règlements de comptes, ces affrontements, cette crise au sommet de l’Etat ? Impossible de le dire. Mais cette affaire Clearstream est d’ores et déjà riche en enseignements d’un grand intérêt politique.

 

Une affaire qui révèle les traits caractéristiques de l’impérialisme français décadent


Les affrontements au sommet de l’Etat font affleurer les traits les plus fondamentaux et somme toute ordinaires de ce qu’est le capitalisme français aujourd’hui, traits qui de coutume  sont dissimulés derrière les rideaux de la « démocratie », des diverses institutions bourgeoises, et du dialogue social constant entre exploiteurs et oppresseurs d’un côté, et les directions syndicales de l’autre.

 

Les affaires en tout genre, les scandales financiers, sont consubstantiels au capitalisme. Mais ce scandale fait apparaître le visage des maîtres réels du pays: une coterie issue de la fusion pour ainsi dire organique entre les dirigeants politiques, l’armée, et les grands groupes de l’industrie et notamment de l’armement, les marchands de mort.

 

Il faut donner à ce titre des éléments du portrait d’un des protagonistes de cette affaire, le nommé Gergorin, vice-président d’EADS et « corbeau » à ses heures, portrait dressé par Le Monde dans son édition du 10 mai.

« Jean-Louis Gergorin connaît le Tout-Paris ministériel, industriel, le gotha diplomatique (…), y compris dans la presse». Membre de la même promotion de l’Ena que les Juppé, Perben, Fabius, Gallois, Spinetta ou Jérôme Clément, il s’en va travailler, déjà, au compte d’un groupe d’armement américain pendant des années. Avant de revenir travailler au ministère de la défense, et de se lier avec Villepin, dont l’anniversaire, apprend-on, est célébré dans l’hôtel particulier  de Jean-Luc Lagardère ! Mais encore, indique Le Monde, ce qui fait la « valeur » de Villepin, c’est que « à la direction des affaires africaines et malgaches, il a appris à explorer les réseaux du continent noir. »

 

Ces « réseaux », ce sont ceux du pillage organisé de l’Afrique « décolonisée » (cf. l’article paru à ce sujet dans CPS n°19). Ce sont les réseaux du gaullisme, ceux des Foccart, des Pasqua, du Quai d’Orsay, ses diplomates – dont Villepin -, ses barbouzes. Ce sont tout particulièrement les « réseaux » de Chirac, dont il faut rappeler que le parrain en politique fut Dassault, Chirac qui assura cette continuité en Afrique subsaharienne, en d’autres termes qui encouragea, arma et défend en permanence les pires dictateurs et bouchers aux mains sanguinolentes que l’on puisse imaginer (Chirac déclara en 1999, hors antenne  il faut bien que les dictateurs gagnent les élections sans quoi ils n’en organiseraient pas » cf. F-X.Verschave, Noir Chirac).

 

Au premier rang de ces dictateurs, on compte Idriss Deby, qui sévit au Tchad, grand pourvoyeur de chantiers et de marchés à des groupes tels Bouygues et Bolloré, et fauteur de tortures sadiques et brutales largement connues et dénoncées. Or, une nouvelle fois, à la mi-avril, Idriss Deby a reçu un soutien décisif de l’armée française pour repousser une offensive militaire hostile (avec les applaudissements de l’impérialisme américain qui a fait main basse sur le pétrole tchadien). Le but de l’intervention française Deby l’a mise par écrit, avec cynisme, à l’attention de Chirac : soutenez-moi, dit-il, pour garder le contrôle d’une place-forte stratégique : « Le Tchad est un pont. Si le pont cède, on peut dire adieu à toute la sous-région. Ce serait encore plus grave que le conflit des Grands Lacs ». A bon entendeur…

 

Voilà le vrai visage de la classe capitaliste française, voilà sur quoi elle appuie son pouvoir : des clans reliés organiquement aux plus grands groupes militaro-industriels, qui puisent leurs ressources ultimes dans le pillage meurtrier qui dévaste le continent africain.

Les voilà, les prétendus « démocrates », les hommes de dialogue avec lesquels les dirigeants syndicaux pratiquent le « dialogue social ». Les voilà les « hommes d’Etat » et autres « diplomates » répugnants auxquels des hommages incessants sont rendus, les voilà ces grands bourgeois devant lesquels le PS et le PCF s’aplatissent toujours, comme à nouveau en se refusant à évoquer, même du bout des lèvres, une exigence vitale pour qui entend combattre sérieusement l’impérialisme français: le combat dans l’unité pour « troupes françaises, hors d’Afrique ! »

 

Et c’est à l’aune de leur attitude complice sur l’Afrique que l’on peut mesurer la portée de leur mise en question affichée aujourd’hui de la Ve République et des « réformes institutionnelles » qu’ils entendent y apporter.


A bas Chirac, à bas la Ve République !


Le second aspect essentiel de l’affaire Clearstream, c’est qu’elle débouche sur une mise en cause objective de la Ve République. Encore une fois, c’est le retour de bâton de la tentative de Villepin et Chirac, au travers du CPE, après l’instauration de l’Etat d’urgence, d’en réaffirmer ouvertement le caractère bonapartiste.

 

L’affaire Clearstream en a encore rajouté, en remettant à en évidence l’impunité incroyable, les pouvoirs énormes, dont jouit le président. Elle a jeté un coup de projecteur sur les cabinets noirs et leurs coups tordus qui sont une marque de fabrique de cette République parce qu’ils découlent naturellement des pouvoirs concentrés sur la présidence.

Et comme si cela ne suffisait pas encore, comme par provocation, Chirac a enfin rappelé les pouvoirs personnels évoquant ceux d’un monarque dont dispose le président, en amnistiant spectaculairement l’un de ses proches, Guy Drut, sous un fallacieux prétexte, alors que des centaines de jeunes ont été et sont durement frappés par des condamnations arbitraires suite aux manifestations ou blocages contre le CPE.

 

Mais voilà que fleurissent d’un coup de tous côtés les propositions de « réformes institutionnelles ». C’est le cas au PS, au PCF notamment mais encore à l’UDF et même à l’UMP où Sarkozy a plaidé pour un renforcement des pouvoirs du parlement et la diminution de ceux du premier ministre au profit de ceux du président.

 

Toutes ces propositions ont un objectif avoué, rendre les institutions plus efficaces, et pour cela les faire fonctionner en associant plus largement et étroitement les couches intermédiaires de la société, et au premier chef les appareils syndicaux, à l’exercice de la domination de la classe capitaliste.

Il faut mentionner parmi ces propositions de replâtrage institutionnel celles du PCF, dont le comité exécutif s’est prononcé pour une « 6ème République, franchement sociale et démocratique, solidaire et participative» dans une déclaration solennelle du 4 mai. Il s’agirait, déclarent-ils, d’en finir avec le « dérèglement de la vie démocratique » provoquée par ce que « l’esprit du gain et les petites ambitions personnelles ont pris la place du sens du bien commun et de l’intérêt général. »

Quand donc la « République » fut-elle l’expression de « l’intérêt général », phrase creuse sous laquelle les capitalistes défendent toujours leur intérêt propre ? Fut-ce sous la IVe République pendant la guerre d’Algérie ? Ou aux débuts de la Ve, issue du coup d’état du général de Gaulle et que dès ses débuts même François Mitterrand dénonçait comme un « coup d’état permanent » ?

 

Faudrait-il alors remonter jusqu’en 1945 ? C’est ce à quoi engage une convention nationale d’élus locaux et de syndicalistes convoquée et dirigée par le Parti des Travailleurs  « pour la reconquête de la démocratie politique », « démocratie politique » qui, selon cette conférence a vu « ses conditions mises en place en 1945 ». Pensent-ils aux massacres des insurgés algériens le 8 mai 1945 à Setif ? En 1945 il y eut en France une Assemblée constituante. Elle fut l’un des éléments de reconstitution de l’Etat bourgeois après l’effondrement du nazisme et du régime de Vichy, un instrument de défense de la propriété privée. Le PCF tint un rôle essentiel en ce sens, proportionnel à son poids politique, son prestige. Il justifia sa politique au nom de la nécessité recouvrer la « souveraineté nationale » d’abord, avant de parler socialisme, face aux « trusts » américains et anglais, langage chauvin et mensonger que le PT reprend aujourd’hui à son compte, en se faisant – nous citons la résolution issue de cette conférence - le champion de la « souveraineté nationale », de la « nation » française « menacée ».

 

Alors, face à la crise au sommet de l’Etat, et alors que les projet de réformes institutionnelles sont autant de propositions de remodelage ayant toutes en commun de chercher, d’une part, une plus grande efficacité, et, d’autre part, chercher de nouvelles formes d’association capital-travail, il faut défendre la seule réponse immédiate qui corresponde aux intérêts des travailleurs, de la jeunesse : A bas cette Ve République !

 

La seule République qui puisse répondre aux aspirations des larges masses, la seule République dans laquelle, de manière arrogante ou dissimulée, les gouvernements ne soient pas peu ou prou les instruments et les paravents du grand capital, c’est la république socialiste, ce sont les Etats-Unis Socialistes d’une Europe débarrassée des frontières, des magnats de la finance et de l’industrie, des monarchies médiévales, etc. Mais une telle république ne peut évidemment procéder que de la prise du pouvoir par le prolétariat, que du mouvement pour en finir avec les gouvernements bourgeois et leurs politiques qui génèrent un océan de misère et de réaction.

 

Aussi, intervenir inconditionnellement pour le renversement de la Ve République, cela signifie agir immédiatement pour en finir avec Chirac, son gouvernement, sa majorité UMP, sans attendre 2007.

 

Or, le point commun de tous les « réformateurs » autoproclamés de la Ve République, c’est de renvoyer les changements qu’ils proposent … au lendemain des échéances électorales de 2007. En d’autres termes de les remettre au bon vouloir du futur président, doté de tous les pouvoirs que lui confère la constitution ! Ce qui donne une indication sur l’ampleur des changements annoncés.

 

Force est de constater que tel n’est en aucun cas le but du PS, du PCF et pourrait-on rajouter de la LCR qui inscrit déjà toute son activité publique dans des discussions/manoeuvres avec le PCF pour capter l’héritage électoral supposé du « non de gauche » du 29 mai dernier. Pour sa part, François Hollande a déclaré au nom du Parti Socialiste le 4 mai :

« Je suis républicain, je respecte les échéances. La droite peut gouverner (...) jusqu'en 2007. Ce que je demande c'est qu'elle ne gouverne pas dans ce climat-là." »

 

Comment être plus glaçant ? Le chef du principal parti d’opposition revendique…. que la « majorité » UMP puisse sévir un an encore dans un « climat » serein ! La tonalité de la motion de censure votée par le PS ou le PCF est exactement identique : que Chirac gouverne, que l’UMP fasse jusqu’au bout sa besogne.  Le moins qu’on puisse dire, c’est que le message est reçu cinq sur cinq.


Les rapports entre les classes n’ont pas été inversés :
le gouvernement Chirac-Villepin et la « majorité » UMP continuent leur politique


Dans le supplément à CPS paru le 14 avril pour tirer les premières leçons de la défaite, nous indiquions au sujet de la façon dont le CPE a été enterré :

« La comédie honteuse du « remplacement » du CPE a permis d’éviter d’afficher son abrogation pure et simple. Elle a aussi servi aux dirigeants de l’intersyndicale, du PS et du PCF, à réaffirmer que pour eux la « majorité » UMP, ultra-minoritaire, était légitime à légiférer. »

 

Cette dernière ne s’est pas privée d’en profiter.

Le premier projet qu’elle examinait après le retrait du CPE était le projet de loi Sarkozy sur l’immigration. Sans rentrer dans les détails, on est fondé à dire que ce projet est aux travailleurs immigrés et leurs familles ce que le CPE était à la jeunesse : un formidable instrument de précarisation, une arme contre toute la classe ouvrière. Suppression de toute perspective de régularisation, contrôle policier renforcé sur la vie intime des immigrés, leur mariage, nouvelles restrictions au regroupement familial, création de visas de courte durée, temporaires, saisonniers, pour des immigrés jetables, voilà ce que recouvre le concept de « l’immigration choisie »…  « choisie » en fonction des besoins du patronat.

 

D’ailleurs le parallèle avec le CPE peut être prolongé : de la même manière qu’ils prônent la « sécurisation des parcours professionnels », de la même manière, loin de revendiquer la liberté de circuler pour tous les travailleurs, les pleins droits de citoyenneté pour les travailleurs immigrés, les appareils syndicaux proposent de « construire un parcours sécurisé du migrant » (communiqué CGT, CFDT et UNSA). Et surtout, au lendemain du retrait du CPE, le mot d’ordre est donné : « un débat responsable et serein reposant sur les principes fondamentaux de la République » (communiqué cité). Toutes les confédérations syndicales ont dépêché des représentants rencontrer Mariani, rapporteur UMP du projet, pour en discuter avec lui. Au lendemain du retrait du CPE, les bureaucrates syndicaux signifiaient au gouvernement qu’il aurait les mains libres, qu’ils laissaient cette affaire aux associations, voire aux églises.

 

Ainsi la machine à légiférer contre le prolétariat et la jeunesse s’est remise immédiatement en route. Fort de ceci, Sarkozy a mis en chantier un nouveau projet de loi, centré sur la délinquance des mineurs cette fois-ci, tout aussi scandaleux, au point qu’un membre du syndicat de la magistrature l’a caractérisé d’instrument de « passage à un état totalitaire ».  Nouveaux pouvoirs répressifs pour les maires (s’ils l’acceptent) contre les familles de « délinquants », nouveaux fichiers, nouveaux moyens de video-surveillance, nouveaux pouvoirs pour la police (encore !), criminalisation à outrance des mineurs délinquants au point qu’il ne restera rien des principes de l’ordonnance de 1945, qu’on reviendrait aux temps de la « chasse à l’enfant » d’avant-guerre. Enfin, ce projet durcit les sanctions pénales contre les occupations d’entreprise et les sittings !

 

Deux autres projets significatifs au moins doivent venir à l’ordre du jour avant la fin de la session parlementaire, après que les députés UMP se sont même autorisés à faire sauter les quelques obligations existantes en matière de construction de logements sociaux. Celui sur la participation, projet sans cesse repoussé depuis des mois car le rythme des lois réactionnaires était tel qu’il n’avait pu trouver de niche parlementaire, qui prévoit de doter les patrons français de fonds de pension significatifs, à l’aide une nouvelle fois de fonds publics (exonérations des versements, etc.), mais dans lequel il a été également introduit un article autorisant dans les « pôles de compétitivité » (à titre « expérimental ») le louage, le prêt de main d’œuvre d’une entreprise à l’autre, jusqu’ici passible de sanctions pénales !

 

Est également prévu un projet de loi sur la fonction publique, y introduisant nombre de dispositions s’appliquant déjà au secteur privé, à savoir le « droit individuel à la formation »… en dehors du temps de travail, la « validation des acquis de l’expérience »… contre les concours ; et y favorisant la « mobilité », concomitamment à la création d’un répertoire des métiers (RIME) qui supprime la référence aux corps de la fonction publique – fruit là encore de la concertation avec les directions syndicales.

 

Tandis que, pour la rentrée, le projet de loi permettant la privatisation sans limite de GDF est déjà sur les rails, il faut aussi relever la suppression massive annoncée de services hospitaliers, la poursuite des suppressions de postes, la privatisation d’ADP, et la mise en œuvre du plan de privatisation de la SNCM, approuvé par 77% des salariés lors d’un vote dont la responsabilité échoit à la direction de la CGT de l’entreprise.

Dans l’enseignement, c’est la mise en place intégrale de la loi Fillon: « socle commun », « conseil pédagogique » dans les lycées, « parcours personnalisés», contractualisation, « réforme » des ZEP en prime (cf. sur ce sujet le précédent numéro de CPS). 


Redoublement de la concertation


Pour autant, ce n’est pas dans les mêmes rapports politiques que cette politique peut aujourd’hui s’appliquer. En témoigne la façon dont le gouvernement gère l’annonce de la fermeture de l’entreprise Sogerma, à Mérignac, par le groupe EADS. Alors que l’Etat-actionnaire a voté pour la fermeture, le gouvernement fait mine de chercher à « sauver l’emploi ». L’hypocrisie et le cynisme de ces gens n’ont pas de borne, certes, mais il s’agit surtout d’obtenir des dirigeants syndicaux un blanc-seing que ceux-ci sont d’autant plus prêts à décerner aux liquidateurs de la Sogerma qu’ils ne se situent pas sur le seul terrain permettant de le combattre : aucun licenciement et pour cela : nationalisation sans indemnité ni rachat de la Sogerma.

 

Pour le gouvernement, la relance du « dialogue social » est aujourd’hui une condition de survie, d’abord, mais aussi du recouvrement de sa pleine capacité de nuisance.  Il peut aisément le mesurer avec le plan sur l’emploi des seniors qui crée notamment un CDD dérogatoire, sorte de « Contrat Dernière Embauche ». Parce que ce projet est issu d’une concertation Medef/Syndicats dans laquelle, sans avoir signé, les directions CGT et FO se sont engagées, ce plan est bien parti pour s’appliquer.

 

Combien symbolique est l’organisation du premier des trois « chantiers » annoncés par Villepin, celui portant sur la dite « professionnalisation de l’enseignement supérieur », à la Sorbonne, qui fut l’un des points névralgiques de l’affrontement entre le gouvernement et les étudiants ! A la Sorbonne, en présence des dirigeants FSU et de ceux de l’Unef – Villepin se permettant même de tancer Bruno Julliard, arrivé en retard depuis le congrès de la CGT. Et pour installer quelle commission !

 

Son objectif se lit dans sa composition : on y trouve des dirigeants de premier plan de Danone, de Veolia, d’Axa et d’autres dirigeants en ressources humaines. La « professionnalisation » de l’enseignement, c’est sa soumission aux impératifs du patronat. D’ailleurs, les dirigeants syndicaux, en acceptant de discuter « professionnalisation » se situent d’emblée sur le terrain du patronat, qui entend, concomitamment au « pacte » sur la recherche , mettre la main sur les secteurs universitaires rentables et étrangler les autres, via l’autonomie des universités, prenant prétexte de l’engorgement de filières qui est le sous-produit du manque de moyens et aussi du chômage de masse qui frappe particulièrement la jeunesse.

 

Qu’on ne s’imagine pas que cette commission et le grand « débat national » qu’elle mène (les dirigeants UNEF et FSU l’ont déjà rencontrée) n’ont pour seul but que de resserrer les liens entre le gouvernement et les appareils syndicaux. Les intentions de Villepin sont toujours aussi guerrières. Le 1er juin il a déclaré de nouveau qu’il s’agissait avec cette commission d’aboutir, et d’effacer le retrait CPE: 

« C’est vrai, je suis allé trop vite sur un sujet où les inquiétudes étaient à vif. C’est vrai, la nature de mon projet qui visait à apporter une réponse aux jeunes les moins qualifiés n’a pas été comprise. Mais je n’ai pas changé de conviction : un chômage des jeunes de 10 points plus élevé que le chômage moyen, ce n’est pas acceptable. Et nous ne reviendrons à une situation normale, dans ce domaine, qu’avec des décisions courageuses et fortes. En ouvrant le débat sur les liens entre université et emploi, j’entends reprendre les choses à la base avec les étudiants et trouver avec eux les moyens d’améliorer leur insertion dans la vie professionnelle. »

 

L’engagement de ce premier chantier est un pas important pour le gouvernement, même affaibli. Il devrait être suivi de la mise en place des autres « chantiers » et notamment celui portant sur les contrats de travail, dans le cadre duquel, sous couvert de reprendre la « sécurité sociale professionnelle », l’offensive contre le contrat de travail dont le CPE était la pointe avancée va être relancée.

 

D’où la nécessité décisive de combattre contre la participation des dirigeants syndicaux à ces chantiers. De combattre contre leur orientation qui est au contraire celle sur laquelle par exemple Mailly s’est accordé avec Laurence Parisot dans le cadre des rencontres Medef/confédérations syndicales « La réunion avec FO a été extrêmement intéressante. Nos deux délégations se sont placées immédiatement dans l'après-CPE (sic !).  Nous avons fait un point des différents chantiers en cours, et de la manière dont nous pourrions avancer sur les flexibilités et les précarités » (Parisot)

 

Le gouvernement, le patronat, les appareils syndicaux, peuvent prendre appui dans cette voie sur les résultats du congrès confédéral de la CGT.


Le congrès de la CGT : un succès pour Thibault et l’appareil confédéral


Comme c’était prévisible, la défaite du gouvernement sur le CPE a renforcé la position de Thibault et de l’appareil confédéral à l’entrée du congrès. En effet, cette défaite du gouvernement n’a pas été une défaite des bureaucraties syndicales, lesquelles au contraire (bien que ce soit in fine grâce au mouvement des étudiants) sont apparues comme les vainqueurs, n’ont jamais été débordées et ont même pu offrir au gouvernement leur protection rapprochée pour en finir proprement avec le CPE tout en maintenant la loi sur l’égalité des chances ou le CNE. Thibault s’est fait acclamer, main dans la main avec les dirigeants des syndicats étudiants et lycéens.

 

L’article paru dans le précédent numéro de CPS avait dégagé les enjeux de ce congrès pour la direction confédérale : faire franchir un nouveau pas à la CGT, première confédération ouvrière du pays, dans le sens de sa dénaturation. Elle y est parvenue. Après avoir fait plus que largement entériner son bilan d’activité, la direction a fait passer quasiment sans changements le texte d’orientation qui s’échinait à effacer toute revendication ouvrière, toute perspective de combat, au profit du concept du « nouveau statut du travail salarié », véritable cheval de Troie des exigences patronales. L’appareil a atteint ses fins. Le texte d’orientation a été adopté largement, par plus de 80% des voix. Certes il a vu réintroduits, sous forme d’amendements, des références à « la lutte contre les licenciements », aux « acquis sociaux », mais rien de substantiel, rien qui lie les mains de la direction confédérale, rien qui ne l’empêche de déployer pleinement son drapeau de la « sécurité sociale professionnelle » au nom de laquelle, on l’a dit, sont et vont être attaquées les garanties collectives des salariés. Et ceci d’autant plus que, après son échec sur le CPE, c’est pour le moment au rythme indiqué par les directions syndicales, et pas un autre, que le gouvernement devra avancer.

 

Les quelques oppositions rencontrées par la direction CGT se sont cristallisées sur la réforme du système de cotisations, qui doit servir de levier à la refonte/liquidation des structures historiques de la confédération. C’est le signe incontestable que ces oppositions sont des oppositions d’appareil, celle de fédérations cherchant à défendre leur place face à l’offensive de la direction confédérale, comme les cheminots (dont le dirigeant Le Reste aura été le mieux élu à la nouvelle commission exécutive de la CGT, quelques semaines seulement après le fiasco des grèves à la SNCF à l’automne dont il porte la responsabilité). Néanmoins, cette réforme, qui avait jusqu’ici des airs d’arlésienne, a été adoptée (par 63%) après des années de préparation. Ce n’est pas non plus négligeable.

Cela dit, un congrès de la CGT, surtout trié sur le volet comme celui de Lille, rassemble par définition l’appareil, et il faut des circonstances exceptionnelles pour qu’y parvienne et s’y exprime l’écho des aspirations de la classe ouvrière. Rappelons qu’en plein mouvement de novembre-décembre 1995, ses grèves et ses manifestations, dont la puissance n’a pas été égalée depuis, le congrès avait écarté sans trop de mal (bien que n’ayant pu éviter d’en discuter) l’appel à la grève générale. Dès lors que l’on s’éloigne du cœur de l’appareil, la tonalité change.

 

L’enseignement primaire vient d’en fournir un exemple. Le gouvernement y avait négocié avec les directions du SNU et de SE un protocole d’accord visant à mettre fin à la grève administrative des directeurs d’école. Ledit protocole proposait entre autres de recruter des dizaines de milliers de précaires – au lendemain du CPE ! – ou encore de s’en prendre à la formation continue et initiale des enseignants du primaire.

 

Malgré une présentation particulièrement favorable de ce texte, appelant le « oui » à la question « doit –on signer », les syndiqués du SNU ont répondu « non » à plus de 60% Seul le SE-UNSA a signé ce texte, et encore malgré une forte opposition à cette signature dans ses propres rangs (ni FO, ni le SGEN-CFDT n’ont signé). C’est une des illustrations de ce que la défaite du gouvernement sur le CPE n’a pas été effacée.


La défaite du gouvernement marque les rapports politiques


Deux mois après le retrait du CPE, c’est une certitude que le gouvernement a repris l’initiative et qu’il continue à porter des coups. Mais la défaite qu’il a subie sur le CPE n’est pas effacée. Elle marque même les relations existantes à l’intérieur de l’UMP – dont une grande partie des députés se sont ostensiblement abstenus de venir soutenir Villepin lors du vote de la motion de censure déposée par le PS.

 

Au demeurant la situation de crise au sommet de l’Etat et au sein de l’UMP renvoie à la crise de l’impérialisme français, dans une situation économique difficile au point que l’on a vu le Monde, pour l’expliquer, mettre en cause la politique menée … par le voisin allemand (« la politique économique allemande nuit à la croissance française »), mais aussi inquiet face aux nouveaux craquements financiers, de l’Islande au krach de la bourse de Bombay. Mais sa situation politique est tout autant délicate, en particulier au sein de l’Union européenne, dans un isolement relatif, un an après le « non » au référendum de Chirac et après l’avènement au pouvoir en Allemagne de la chancelière Merkel qui a manifesté sa volonté de s’éloigner de Paris pour se rapprocher de Londres. Les échecs à répétition de Chirac dans ses différents voyages à l’étranger en tant que VRP des groupes français sont illustratifs de cette situation.

 

Mais, pour le prolétariat, la jeunesse, le retrait du CPE demeure comme un point d’appui, un encouragement à engager d’autres combats contre le gouvernement et sa politique. Que cette tendance spontanée ne règle rien en définitive en l’absence d’un parti capable d’orienter et d’impulser ces futurs combats, c’est certain et c’est pourquoi il faut s’organiser au compte de la construction du parti ouvrier révolutionnaire.

 

D’ailleurs le passé en témoigne. En 1994, le gouvernement Balladur RPR-UDF subissait coup sur coup deux défaites. Moins d’un an après avoir pourtant remporté une majorité parlementaire écrasante, avoir engagé une rude offensive (retraites, loi quinquennale pour l’emploi) dont les traces sont toujours là, il devait retirer d’abord la loi Bayrou levant toute les restrictions au financement de l’enseignement privé, loi dont il faut souligner que déjà à l’époque elle fut une tentative d’accélérer brutalement l’offensive en cours, sans concertation avec les directions syndicales. Puis c’était la mobilisation de la jeunesse qui faisait ravaler à Balladur et Chirac le Smic-jeunes, le CIP.

 

Le gouvernement Balladur est resté marqué indélébilement par ces défaites. Il n’en a pas moins continué, dans ces nouveaux rapports, à gouverner au compte de la bourgeoisie française. Et c’est Chirac qui a été élu, en 1995,  la présidence de la République, signal de la relance de l’offensive contre les masses. Or en novembre-décembre 1995, le plan Juppé se heurtait à la mobilisation de pans entiers de la classe ouvrière et de la jeunesse, à la grève générale de la SNCF et de la RATP, et le gouvernement devait abandonner la réforme des régimes spéciaux de retraites tout en maintenant le plan Juppé contre la Sécurité Sociale.

 

Bref, la lutte des classes n’est pas écrite à l’avance et en tout état de cause n’est jamais linéaire.

 

Qu’aujourd’hui, en particulier à la Ratp ou dans la fonction publique, les régimes de retraites aient été enfoncés indique avec force qu’aucun acquis, aucune position, n’est à l’abri, et que de combattre pour les défendre exige en fin de compte de combattre pour le socialisme.

 

Cela souligne aussi les limites de la spontanéité, du mouvement spontané. Aussi fondamental soit-il, s’il peut tout bousculer, le mouvement spontané ne peut rien régler. Il ne peut ouvrir de par lui-même le débouché politique du pouvoir, question des questions. Ce n’est qu’en relation avec les organisations qui structurent le prolétariat à un moment donné, les partis, syndicats, les organismes que son mouvement peut faire surgir, que la question du pouvoir peut être posée sérieusement.

 

Et ce n’est que l’existence d’un parti révolutionnaire qui peut permettre d’y répondre pour de bon.

 


Sans attendre 2007, infliger une défaite décisive à Chirac, son gouvernement, sa  « majorité » UMP


Utiliser pleinement le point d’appui que représente le retrait du CPE, c’est en dégager les leçons essentielles, comme nous l’indiquions dans notre supplément :

« La preuve est faite : sans la couverture du « dialogue social », de la concertation, et face à l’unité des organisations du mouvement ouvrier, le gouvernement Chirac-Villepin-Sarkozy ne peut continuer à mener sa politique. »

 

Aujourd’hui, la question posée, en prenant appui sur les enseignements essentiels de ce mouvement, c’est d’infliger une défaite décisive au gouvernement Chirac-Villepin-Sarkozy ou toute autre mouture qui lui succèderait avant les élections prévues pour 2007.

Pour cela : militer sur la ligne du front unique des organisations du mouvement ouvrier pour combattre, vaincre et chasser le gouvernement, donc pour briser les concertations, tractations, en cours à commencer par celles organisées par le gouvernement sur l’université ou la remise en cause des contrats de travail, où encore d’agir pour le boycott des instances mises en place par la loi d’orientation Fillon/Robien dans l’enseignement.

 

Evidemment cette orientation s’oppose à celle de tous les appareils, petits et grands, qui se sont déjà fixés 2007 comme objectif essentiel, ce qui signifie que pour eux, le fait que le gouvernement et la « majorité » UMP sévisse pendant un an encore n’est pas un souci majeur.

 

On peut compter parmi ceux-ci le PCF, et à sa traîne la LCR, engagés dans des manœuvres que le PCF voudrait voir aboutir pour s’épargner une nouvelle et prévisible humiliation électorale, mais qui pourraient éventuellement débucher – quoique ce soit peu vraisemblable – sur l’émergence d’une candidature du dit « non de gauche », qui ne serait donc pas une candidature se rattachant à un titre ou un autre au mouvement ouvrier. 

C’est plus encore vrai au Parti Socialiste où tous se situent plus ouvertement encore dans l’attente de 2007 – la citation de Hollande reportée plus haut le souligne.

 

Mais précisément, la préparation des échéances électorales donne lieu à une offensive de grande ampleur contre le PS.

La bourgeoisie essaye à toute force, sondages et presse complaisante à l’appui, d’imposer Ségolène Royal comme candidate à l’appareil et aux adhérents – comme elle tenta de le faire en son temps avec M.Rocard. Comme ce dernier, c’est en tant que candidate potentielle la plus réactionnaire de tous qu’elle est propulsée – au point, sur les questions dites de « sécurité », de poser au Sarkozy en jupons. Un signe est plus que révélateur : quand Bayrou a voté la motion de censure du PS, ce fut en ouvrant la perspective d’une grande coalition. Balle reprise immédiatement au bond par Julien Dray, porte-parole du PS et « royaliste » de fraîche date. La flambée d’adhésions à bon marché, qui concourt à la transformation du PS en pure et simple machine électorale, et permet toutes les manœuvres, attise la crise qui se dessine.

Mais les travailleurs, les jeunes ne peuvent attendre de miracles des futures élections présidentielles et législatives, même s’ils ne peuvent y être indifférents. L’heure n’est pas aux élections, et d’ailleurs celles-ci seront d’autant moins défavorables aux travailleurs que ceux-ci auront engagé le combat sur leur propre terrain, avec leurs propres méthodes, pour en finir avec Chirac, son gouvernement, sa « majorité », pour un gouvernement du front unique des organisations du mouvement ouvrier.

 

C’est sur cette orientation que combat le Cercle, qu’il invite les lecteurs de CPS à le soutenir, le rejoindre, sur la perspective tracée par notre supplément du 14 avril:

« Oui, assurer le droit au travail est possible. Les besoins des masses à satisfaire sont immenses et ne devraient pas attendre. Il est nécessaire d’orienter la production de manière à les satisfaire -  commencer par la construction massive de nouveaux logements pour en finir avec cette situation insupportable qui ne profite qu’aux spéculateurs immobiliers. Il est tout autant nécessaire de recruter massivement, sur des postes à statuts, des infirmières, de enseignants, etc.

 

Il est indispensable d’interdire les licenciements, le travail précaire, de diminuer le temps de travail de façon à permettre à tous de travailler. Cela signifie tout simplement rompre avec la loi du profit, porter au pouvoir un gouvernement qui ne plie pas devant les exigences des capitalistes, qui n’hésite pas à s’engager dans la voie de l’expropriation des grands groupes, des banques, des spéculateurs, pour mettre fin aux conditions d’existence sans cesse dégradées de la majorité de la population.

 

C’est pour cette issue, pour un gouvernement ouvrier s’engageant dans la voie du socialisme, des Etats-Unis Socialistes d’Europe, que milite le Cercle pour la construction du Parti ouvrier révolutionnaire, de l’Internationale ouvrière révolutionnaire. C’est la seule qui permette d’offrir un avenir à la jeunesse.

Pour s’ouvrir cette issue, il est indispensable de construire la seule arme dont puissent disposer les travailleurs, la jeunesse, dans cette société qui engendre en permanence la misère sociale et intellectuelle, l’abrutissement de l’exploitation et l’aliénation, la barbarie et les guerres : l’arme de l’organisation révolutionnaire.

C’est ce à quoi nous vous invitons sans plus attendre, en prenant contact avec nous.

 

C’est dans cette perspective qu’il faut contribuer pleinement aujourd’hui au combat pour mettre à bas Chirac, Villepin, Sarkozy, la 5ème République, pour le boycott de la concertation du gouvernement et du Medef par les directions syndicales ouvrières, enseignantes, étudiantes, pour le front unique des organisations du mouvement ouvrier (partis, syndicats) contre le gouvernement, pour le vaincre et le chasser. »

 

Le 2 juin 2006


 

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