Article paru dans CPS nouvelle série n°24 de mars 2006
C.P.E,
Destruction des ZEP, apprentissage junior, …
le gouvernement poursuit sa guerre
contre l’enseignement public
Un fait révélateur : Aschieri (FSU) participe aux
raouts des Sarkozy et Bayrou
Le 16 janvier, on le sait,
le gouvernement Chirac-Villepin dévoilait le C.P.E., pointe avancée de la
deuxième étape de son plan dit « bataille pour l’emploi ». Il va de
soi que c’est d’abord sur cette question que les militants révolutionnaires
combattant dans l’enseignement public sont intervenus autant que faire se peut,
comme l’indique la section de ce bulletin consacrée à leurs interventions.
Le 10 février, faute de
motion de censure, le projet de loi sur l’égalité des chances, d’une violence
toute particulière contre l’enseignement public et la jeunesse, était considéré
comme adopté sans vote. Le calendrier initial prévoyait qu’il soit adopté le 21
février à l’Assemblée nationale.
Le 22 février se tenait la
convention sur l’éducation de l’UMP, sous la houlette de Nicolas Sarkozy,
lequel on s’en souvient avait sonné le premier la charge contre les Zep en
proposant de « déposer le bilan ». Lors de cette convention, Sarkozy
a développé un programme qui en réalité se propose d’amplifier le mouvement
engagé avec la loi Fillon (Cf. Libération
du 23/02/2006):
« autonomie de tous les établissements, suppression de la carte scolaire pour
laisser le «libre choix» de
l'école aux parents, suppression des zones d'éducation prioritaires,
installation d'écoles privées dans les banlieues, rémunération des enseignants
au mérite... »
Invité remarquable de
cette réunion : Gérard Aschieri, secrétaire général de la FSU. Il y sera,
certes, hué. Mais quelle affirmation de sa part d’aller, en pleine offensive
gouvernementale contre la jeunesse et les acquis ouvriers, discuter avec les
ennemis jurés du corps enseignants ! D’accepter de se faire le
punching-ball volontaire des amis de Sarkozy, en tant que représentant de la
première fédération de l’enseignement public ! S’il fallait un concentré
de la politique de l’ensemble des bureaucraties syndicales enseignantes, on
l’aurait là : accompagner l’offensive de l’UMP, quoiqu’il en cuise, sur le
terrain du « dialogue » et de la « concertation », de conseilleur, là où l’ennemi dresse ses
plans de guerre.
Mais cela n’était sans
doute pas assez. Le 10 mars, soit trois
jours après la journée d’actions du 7, Aschieri allait prodiguer cette fois-ci
ses conseils à l’UDF, qui tenait elle aussi une convention sur l’éducation –
UDF, faut-il le rappeler, qui est le parti du ministre Robien ? Que le secrétaire général de la FSU ne se
soit pas fait siffler en cette occasion ne change rien à l’affirmation déterminée
de poursuivre le dialogue avec les partis qui soutiennent depuis 2002 les
gouvernements successifs formés par Jacques Chirac, et servir de marchepied aux
hommes qui les dirigent. On est là au cœur des problèmes qui sont posés
aux enseignants.
C.P.E et loi sur l’égalité des chances : contre
les enseignants contre les jeunes des cités
Il n’est pas utile de
revenir ici sur le C.P.E en tant que tel. Rappelons par contre que, lors de l’automne
2005, après une série de provocations, le gouvernement parvenait à mettre le
feu dans les banlieues de région parisienne, puis de toute la France. Il
retirait aussitôt le profit politique de l’opération en intensifiant sa
politique : nouveaux contrats précaires, poursuite de la destruction du
logement social, accroissement de la chasse aux immigrés, renforcement de
l’appareil répressif de l’Etat, nouveaux cadeaux fiscaux aux entreprises
implantées en banlieue… Une des préoccupations essentielles du gouvernement fut
alors de donner une nouvelle impulsion à l’application de son programme dans
l’enseignement public.
Dès le 7 novembre, de
Villepin s’empressait ainsi de trouver un lien entre l’échec scolaire et les
incendies de voitures. Il préconisait sa « solution » :
l’exclusion du système scolaire dès 14 ans, au travers de
l’ « apprentissage junior » - mesure qui constituait déjà un
objectif politique de la « loi quinquennale pour l’emploi » du
gouvernement Balladur (1993).
G. Aschiéri (FSU) déclarait
aussitôt que ce projet était « lamentable » ; P. Gonthier (UNSA) le qualifiait quant
à lui de « scandaleux ».
Pour autant, ni l’un, ni l’autre n’en réclamaient explicitement le retrait.
Par la suite, inspiré en
cela par les maires UMP de banlieue, de Villepin assortissait sa proposition
d’un complément tout aussi scandaleux : la suppression des allocations
familiales pour les parents d’enfants absentéistes, par l’intermédiaire d’un
« contrat de responsabilité parentale ». Il obtenait les mêmes réactions,
platoniques, de la part des dirigeants syndicaux.
Le 14 novembre, dans une
allocution télévisée, Chirac présentait la mise en œuvre de la loi
d’orientation pour l’école (« loi Fillon ») comme une réponse aux
difficultés de la jeunesse des banlieues : « La loi sur l'école entre en application: elle donnera à chaque élève
les moyens d'acquérir le socle des connaissances indispensables et permettra de
lutter plus efficacement contre le fléau de l'illettrisme. » Le
même jour, en parfaite synchronie avec l’Elysée, les quatre secrétaires
nationaux du SNES avaient pris l’initiative d’écrire au ministre de Robien pour
exiger… un « Grenelle des
établissements difficiles », une grande concertation dont l’objectif
serait de revoir de fond en comble le fonctionnement de ces
établissements : ils n’allaient pas tarder à voir leur vœux exaucés.
Le mois n’en était pas
encore à sa fin que de Villepin pressait son ministre de l’Education Nationale
d’annoncer la mise en chantier d’une « réforme » des Zones
d’Education Prioritaire (ZEP) – « réforme » dont les principes
essentiels étaient déjà établis depuis des mois (v. l’article enseignant de CPS n°22).
Dans la foulée, de Robien
conviait l’ensemble des directions syndicales enseignantes à une rencontre le
28 novembre sur l’apprentissage junior : toutes s’y rendaient, accréditant
de facto, quoiqu’elles en disent, l’idée que cette mesure pouvait être
discutée. Puis, selon une tartufferie institutionnelle désormais bien rôdée,
leurs représentants se ruaient, le 8 décembre, au Conseil Supérieur de
l’Education, pour y voter contre ce projet…Ainsi il pouvait être rapidement
examiné par le conseil des ministres, ce qu’un boycott du CSE aurait ralenti.
La loi dite par antiphrase « d’égalité des chances » était ainsi sur
les rails.
En complément à cette loi,
à partir du mois de janvier, s’engageait le travail de
« concertation », aux niveaux
national, académique, départemental, puis la mise en œuvre, dans quelques
dizaines de collèges, des premières mesures du dispositif de Robien sur les
ZEP : aujourd’hui, ce dispositif s’impose comme une véritable machine de
guerre contre la forteresse enseignante, dans le prolongement de la loi
« d’orientation ».
Les enjeux d’une « réforme »-destruction des
ZEP
Pour le gouvernement,
l’intérêt d’une « réforme » des ZEP est d’importance : des
centaines de collèges, des milliers d’écoles, des dizaines de milliers
d’enseignants et de personnels, près d’un écolier et d’un collégien sur cinq,
une bonne partie des enfants de la classe ouvrière, des travailleurs immigrés
et des couches les plus précaires de la population sont intégrés à des ZEP ou à
des « Réseaux d’Education
Prioritaire », variantes au rabais inventées par Jospin en 1999 pour
éviter d’avoir à financer de nouvelles zones. Pourtant, au point de départ, il
s’agissait avec leur création de porter un coup au cadre national de
l’enseignement public. Mais la réalité a chargées les Zep d’un contenu plus
simple, celui de moyens supplémentaires pour les établissements et les
enseignants. La crise du capitalisme français, les assauts continuels portés en
conséquence par les gouvernements bourgeois contre la population laborieuse,
les conditions de vie portées dans nombre de cités-ghettos à la limite du
supportable exacerbent les difficultés de fractions toujours plus importantes
de la jeunesse : la question d’une extension de ces zones se pose donc
chaque année avec davantage d’insistance et il n’est pas question, pour le
gouvernement, de payer l’addition.
Du simple fait qu’ils
reçoivent des moyens supplémentaires (10% de postes d’enseignants et de crédits
pédagogiques en moyenne) et que les enseignants qui y exercent perçoivent une
prime spécifique, les établissements classés dans ces zones sont dans la ligne
de mire du gouvernement. Mais surtout,
« réformer » les ZEP est une façon pratique d’engager la mise
en œuvre de la loi Fillon - encore largement en suspens - sans heurter de front
le corps enseignant dans son ensemble, tout en aggravant la « cure
d’amaigrissement » imposée à l’enseignement public.
Dans une interview au Monde du 13 décembre 2005, de Robien
présentait son plan sur les Zep en ces termes : « Plutôt que de s'attacher à la notion de zone, il s'agit de
s'intéresser aux élèves scolarisés dans
des établissements précis. » Passer d’une logique de zone à une
logique individuelle signifie, en l’occurrence, remettre en cause l’idée selon
laquelle l’origine sociale des élèves serait l’une des principales sources de
leurs difficultés scolaires : la réussite scolaire devenant, dans l’esprit
de la loi Fillon, une simple question de « mérite » individuel, on
cesse de prétendre accorder « plus à
ceux qui ont moins », et on se contente de… leur enseigner moins,
d’indiquer le plus tôt possible la sortie du système scolaire à un nombre
croissant de jeunes.
A ce titre, le
gouvernement parviendrait non seulement à restreindre encore l’enveloppe de ses
dépenses d’éducation, mais il livrerait aussi une partie de la jeunesse
ouvrière à la précarité, vouant l’autre partie à la misère la plus noire –
aggravant encore la décomposition sociale qui gangrène déjà de nombreux
quartiers populaires, taillant à l’enseignement public des oripeaux à la mesure
de la crise du capitalisme français. Par ailleurs, il s’offrirait le plaisir
d’amorcer la dislocation du corps enseignant, amoindrissant la force
considérable dont les enseignants ont fait montre par le passé.
Du « redéploiement » façon Robien des
Bois : prendre aux uns pour ne pas rendre aux autres
C’est sous couvert d’un
« redéploiement » des moyens accordés à l’Education Prioritaire que
de Villepin a annoncé la mise en chantier de son plan pour les ZEP, prétendant « concentrer les moyens sur les
établissements où les difficultés sont les plus lourdes ». A ce titre,
de Robien programmait dès la mi-décembre 2005, pour les années à venir, la
subdivision des ZEP en trois catégories. Rappelons au préalable que, selon le
SNU-IPP, près de 1100 collèges sont aujourd’hui classés en
ZEP, et avec eux 7115 écoles. Le plan De Robien prévoit que jusqu’à 250
collèges (et 1600 écoles) seraient placés à la tête de réseaux « ambition
réussite » (EP1) - réseaux où la loi Fillon s’appliquerait à plein en
contrepartie d’une prétendue hausse des moyens -, les autres établissements
étant répartis entre un niveau EP2 où « les
établissements (continueraient) de
recevoir les moyens actuels » et un niveau EP3 où les établissements « ont vocation à sortir en trois ans du
dispositif de l’éducation prioritaire » (Le Monde du 13/12/2005).
Cette présentation sur le
terrain des moyens pédagogiques a été accréditée par la direction du SNES qui,
même si elle condamne verbalement le dispositif EP1, n’a eu de cesse de
stigmatiser, avant toute autre chose, le « redéploiement » au
détriment d’une majorité d’établissements – ce qui induit que des moyens
d’enseignement supplémentaires seraient effectivement apportés à certains
autres.
Il ne s’agit en réalité
que d’un écran de fumée : tandis que le gouvernement apporte une nouvelle
« justification » aux suppressions massives de postes d’enseignants,
de crédits pédagogiques et d’heures de cours, les réseaux « ambition
réussite » héritent du douteux privilège d’expérimenter de nouveaux emplois
précaires. Ce sont en effet des « assistants pédagogiques », déjà
présents dans 344 lycées – en réalité des assistants d’éducation dont la
mission est redéfinie pour en faire des substituts
polyvalents aux enseignants dans la prise en charge du soutien scolaire.
Par ailleurs, serait créé
un nouveau statut: les « professeurs-référents », sortes de tuteurs
permanents imposés aux équipes enseignantes du réseau et dûment gratifiés pour
ce rôle par « un contingent
supplémentaire d’accès à la hors classe, le degré d’avancement le plus élevé
(…) après cinq années passées dans un collège « ambition
réussite » » (de Robien au Monde,
le 13/12/2005). Enfin, l’obligation d’organiser des études du soir et des
opérations « école ouverte » au cours des vacances scolaires implique
une exploitation accrue des personnels TOS et des équipes « vie
scolaire ».
Le discours des dirigeants
FSU a toutefois son utilité… pour le gouvernement : le 31 janvier, cinq
jours après une journée de grève dans la seule Seine-Saint-Denis, de Robien
faisait savoir qu’il n’établirait pas la liste des établissements voués à être
rayés de la carte des ZEP avant la rentrée 2006. Ses assistants
précisaient : « On ne renonce
pas au principe que des établissements sortent des ZEP mais on réfléchira à
ceux qui pourront sortir après la rentrée 2006 ».
Aschieri applaudissait
aussitôt, prétendant que le gouvernement « manœuvrait
en recul » : « C’est
la preuve que la mobilisation commence à porter ses fruits » (AFP,
31/1/2006). Le SNES inventait pour l’occasion une augmentation du nombre de
collèges EP1 (« de 220 à 249 »),
présentée comme une victoire, au même titre que la réaffirmation « du premier degré dans le
dispositif » (communiqué du 8/2/2006). La réalité, toute autre, est énoncée
dans un communiqué du ministère : « Tous
les interlocuteurs syndicaux (…) reconnaissent la nécessité d’une politique
plus concentrée, destinée à apporter des moyens supplémentaires à des
établissements qui en ont le plus besoin, sans en retirer à d’autres. » Il
s’agit là d’une allusion explicite à une proposition publique du SNES sur les
ZEP… Grâce à une manœuvre sans conséquences, de Robien et les dirigeants de la
FSU redonnaient donc un coup de manivelle au « dialogue social » sur
l’objectif principal du gouvernement.
Un dispositif de déscolarisation massive
Le projet de Robien est en
réalité centré sur deux mesures découlant de la loi Fillon : la définition de
« Projets Personnalisés de Réussite
Educative » (PPRE) et la contractualisation des établissements,
contraints de mettre en œuvre des formations au rabais sous peine de se faire
couper les vivres.
En effet, les réseaux EP1
doivent signer un contrat conclu « pour quatre à cinq ans entre chaque établissement
et l’inspecteur d’académie » et leurs moyens seraient conditionnés aux
résultats d’ « une évaluation
régulière des résultats fondée sur un baromètre de la réussite scolaire » (de
Robien, le 13/12/2006). Ce langage administratif signifie tout simplement que
l’attribution de moyens aux établissements dépendrait de la mise en œuvre
servile, par les conseils d’administration et les conseils d’écoles, sous la
tutelle d’un « comité exécutif » constitué du principal du collège et
des directeurs d’écoles, de filières d’exclusion et de parcours au rabais, dès
l’école primaire. C’est là aussi que réside l’utilité des « professeurs
référents », qui n’effectueraient qu’un demi-service en classe, mais
imposeraient leur tutelle à l’ensemble des équipes pédagogiques du réseau –
qu’il s’agisse de veiller au respect des projets d’établissements, à la
définition de « formations spécifiques sur site», au
« tutorat » des néo-titulaires ou à la coordination des assistants
pédagogiques.
Les PPRE sont des parcours
dont le but est d’expulser nombre d’élèves de l’enseignement public :
définis dès l’école primaire, ils ont en effet pour objectif de transmettre aux
élèves, non plus les programmes nationaux, mais
le seul « socle commun » prévu par la loi Fillon - un ensemble
vague de notions restreintes dont la seule maîtrise ne permet pas de réelle
poursuite d’études.
Ils peuvent en outre
impliquer des partenariats, définis localement, avec des structures extérieures
à l’Education Nationale et totalement déréglementées : les « dispositifs de réussite
éducative » prévus par la loi dite de « cohésion sociale »
(loi Borloo). A ce titre, de nombreux enseignants du primaire ont d’ores et
déjà été invités à établir des listes d’élèves en grande difficulté, listes
soumises aux structures Borloo en cours de constitution … sans que, dans la
plupart des cas, ces enseignants sachent même à quoi elles serviront. Plus
généralement, par le biais de ces structures, des personnels sans statut ou des
« intervenants extérieurs » vont être amenés à assumer des missions
dévolues en principe aux équipes éducatives : internats, activités
sportives et associatives…
Au collège, les PPRE
peuvent impliquer une sortie partielle ou totale du système scolaire avant 16
ans, puisque l’option « découverte professionnelle » de 3 à 6 heures
hebdomadaires – déjà effective en 3ème – pourrait être mise en œuvre
dès le niveau 4ème, tandis que l’apprentissage junior livrerait de
nombreux jeunes à l’exploitation précoce ou à la rue. L’objectif d’organiser
l’orientation massive des élèves de ZEP vers des filières de relégation est
encore exprimée par deux mesures : la suppression des redoublements et la
possibilité offerte à une poignée d’élèves « méritants », nantis de
mentions au brevet, de … déroger à leur secteur en choisissant de poursuivre
leurs études hors des établissements des cités.
Du « Haut Conseil à l’Education » aux
CFA : le patronat entre à l’école par la grande porte
Avec la progression de la
mise en œuvre de la loi d’orientation, le patronat français menace d’acquérir
une réelle emprise sur le fonctionnement même de l’enseignement public.
En effet, un décret de
l’application de la loi Fillon prévoyait, dès la rentrée 2005, de mettre en
place un « Haut Conseil à
l’Education » dont les attributions couvrent un champ non
négligeable : la définition du socle commun (qui doit être communiqué ce
mois-ci au ministre) et l’émission d’avis sur « la pédagogie », les « résultats
du système éducatif » et la formation des enseignants. Ce « Haut
Conseil » a été institué par de Robien le 8 novembre : à l’exception
d’une unique autorité scientifique, le mathématicien Lafforgue, évincé à
l’issue des premières délibérations, et d’un Inspecteur Général, Christian Forestier,
n’y figurent que des idéologues réactionnaires et d’éminents représentants du
capitalisme français. Qu’on en juge : Bruno Racine, président du conseil
d’administration d’une « Fondation pour la Recherche Stratégique » où
siègent tous les représentants de l’industrie d’armement ; Valérie Hannin,
directrice de la revue l’Histoire,
favorable à l’enseignement des « apports positifs » de la
colonisation ; Alain Bouvier, ancien recteur, auteur de Management et sciences cognitives et
partisan du « salaire au mérite » pour les enseignants ;
Marie-Thérèse Geffroy, tête de proue d’un lobby patronal pour le développement
de l’apprentissage ; Denis Tillinac, PDG des éditions de la Table
Ronde et ami personnel de Chirac ; Jean-Pierre Foucher, député UDF ; et
Michel Pébereau, PDG de BNP-Paribas, responsable du comité école du MEDEF et
auteur d’un rapport préconisant les suppressions massives de postes dans
l’enseignement public.
A travers eux, la
bourgeoisie française, le MEDEF peuvent directement procéder à l’élagage des
programmes nationaux que le gouvernement entend imposer dans les ZEP… pour
donner par la suite leur avis sur les « résultats »
obtenus par les établissements.
Par ailleurs, à tous les
niveaux, le gouvernement œuvre à accroître la place du patronat dans les dispositifs
de formation. Développement, au détriment des collèges et des Lycées
Professionnels, des Centres de Formation d’Apprentis, financés en majeure
partie par les Régions, mais largement gérés par le patronat, comme le révèle
le Monde du 13/3/2006: « si 15% d’entre eux sont publics, les
autres sont gérés par des organismes aussi divers que les chambres de commerce
et d’industrie, les chambres des métiers ou d’agriculture, ou encore les
organisations professionnelles. ».
C’est encore une
professionnalisation accrue et une suppression d’heures de cours que le
gouvernement prépare, au collège, au travers du développement dès la 4ème
de l’ « option découverte professionnelle », des stages
obligatoires pour tous les collégiens des réseaux EP1 et, dans les lycées, par
des projets de « réforme » des filières technologiques (STG, SMS,
STI, STL) ou la création de nouveaux BTS.
La liste n’est pas exhaustive : dans un contexte où les crédits
pédagogiques des enseignants sont réduits année après année, le gouvernement
entend encore, sous prétexte de respect du droit d’auteur, intensifier le
pillage et le contrôle de l’éducation nationale par les magnats de l’édition,
de l’audiovisuel ou de l’informatique.
Nouvelles suppressions de postes et en ligne de
mire, toujours, les statuts
Parallèlement à son projet
de destruction des ZEP, le gouvernement faisait connaître, fin décembre 2005,
le nombre de postes offerts aux concours de l’enseignement public. Dans
l’enseignement primaire, 1500 départs en retraite ne seront pas
remplacés ; dans le second degré, il s’agit d’une véritable
hécatombe : outre une diminution de 30% des recrutements, des corps de
profession entiers sont confrontés à un tarissement spectaculaire des recrutements.
Selon un communiqué du SNES, plus de 7000 personnels devraient manquer à la
rentrée 2007, et près de 20000 postes auront été supprimés en quatre ans. Il
s’agit bien sûr, pour le gouvernement, de réduire massivement les dépenses
d’éducation : mais, plus encore qu’une nouvelle vague de suppressions de
postes, les concours 2006 participent d’un dispositif de casse des statuts
spécifiques, ainsi que d’une surexploitation des personnels.
Ainsi, dans plusieurs
corps de profession - tels que les Conseillers Principaux d’Education ou les
Conseillers d’Orientation et Psychologues – le recrutement est littéralement
tari, augurant d’une remise en cause ultérieure de ces métiers, au point qu’ « une centaine d’établissements
n’auront plus de CPE » dès la rentrée 2006 (communiqué SNES,
13/1/2006). Pour les professeurs d’éducation physique et sportive, les postes
offerts sont tout aussi dérisoires : 400 au CAPEPS externe pour près de
10000 candidats.
L’objectif de substitution
du « socle commun » aux programmes nationaux, pour des dizaines de
milliers de jeunes, annonce en effet une déqualification massive des
enseignants et personnels et la suppression d’options, de disciplines,
voire de filières entières dans de nombreux établissements. Pour faciliter la
mise en œuvre de son dispositif sur les remplacements de courte durée - pour
l’instant en sommeil mais nullement abandonné - de Robien a par ailleurs fait
savoir qu’il était favorable au développement de la bivalence des enseignants,
et institué une « mention complémentaire » pour certains concours.
Mais encore, les dispositifs EP1 prévoient-ils la démultiplication des services
partagés entre le secondaire et le primaire, où l’intervention de professeurs
de lycée professionnel (PLP) dans les collèges. On doit aussi mentionner
l’introduction dans les filières STG de plus de contrôle continu pour
l’évaluation des langues au bac.
Un « cahier des charges de la formation initiale des personnels
enseignants » rendu public en février 2006, intégrant les exigences de
la loi Fillon, insiste également sur le développement de la polyvalence et
le profilage des postes : mise en place d’un « portefeuille des compétences » pour chaque enseignant,
choix de « mettre l’ensemble des
professeurs des écoles en mesure d’enseigner une langue étrangère »,
certification complémentaire en informatique, préconisation faite aux
universités d’enseigner, dès la licence, « les
enseignements appartenant (…) à une double valence », intégration d’ « un module dans une ou plusieurs
discipline(s) connexe(s) de la discipline enseignée ». La porte est
ainsi ouverte, étape par étape, à la définition locale des missions des
personnels, transformés en super-factotums.
Les enseignants et les personnels mis sous tutelle
Ces mesures, pour être
efficaces, ne vont pas sans impliquer de multiples tentatives pour soumettre le
corps enseignant et les personnels, les pressurer par la tutelle permanente
d’une hiérarchie renforcée.
Le transfert des
personnels TOS, quasiment achevé, constitue un premier pas d’importance dans la
casse des statuts nationaux de l’enseignement public : mais il implique
également un renforcement significatif du poids des hiérarchies locales
(collectivités territoriales, chefs d’établissement) à leur encontre, leur
surexploitation. Il faut souligner à cet égard la responsabilité énorme des
directions syndicales (CGT, FO, UNATOS-FSU…) qui, de
« concertations » nationales en groupes de travail locaux, ont
participé jusqu’au bout à l’organisation de ces transferts.
Dans les réseaux
« ambition réussite », nous l’avons vu, le poids des inspections
académique et pédagogique sera accru, de même que celui des chefs
d’établissements (principaux, principaux adjoints et directeurs d’école) réunis
en « comités exécutifs » chargés notamment de désigner les
« professeurs-référents », version adaptée du « conseil
pédagogique » préconisé par la loi Fillon.
Chez les enseignants du
primaire, les velléités du ministre pour imposer un manuel unique pour l’apprentissage
de la lecture - à l’origine une manœuvre pour détourner l’attention du plan de
destruction des ZEP - sont ressenties à juste titre comme une remise en cause
de leur autonomie pédagogique. Il faut souligner que les directions syndicales
ont boycotté le CSE du 14 mars consacré à la réforme des programmes de
l’enseignement primaire- l’effervescence sur la question du CPE n’y étant pas
étrangère.
Rappelons-le à toutes
fins utiles: l’autonomie relative dont jouissent les enseignants dans l’exercice
de leur profession – au même titre que le droit d’expression, ou celui de se
syndiquer - ne leur ont jamais été octroyés par « la République », bien au contraire. Elle est le produit
de leurs luttes, de la constitution de leurs syndicats, conjointement à la
construction du syndicalisme ouvrier. La tentative récente d’imposer aux
enseignants l’enseignement du « rôle
positif de la colonisation » est à ce titre des plus instructives,
même si Chirac a dû freiner pour des raisons principalement diplomatiques les
ardeurs réactionnaires de sa majorité UMP.
C’est pourquoi les projets
soumis au Haut Conseil à l’Education revêtent une certaine importance. Ainsi,
une note sur le socle commun, rendue publique en janvier, précise-t-elle la
nécessité pour les enseignants de préparer chaque élève à « partager une culture européenne par une connaissance simple [« simple »,
c’est-à-dire en-dehors de toute perspective critique ou historique, ndlr] de la Bible ». Il en est de même du
cahier des charges sur les IUFM qui exige des enseignants et CPE qu’ils mettent
« leurs compétences professionnelles
(…) au service des valeurs défendues par la République et l’Europe »
mais taisent les idées qui ne seraient pas dictées par le gouvernement : « Au cours de leur formation, ils sont
avertis du devoir de réserve auquel ils sont soumis vis-à-vis des usagers du
service comme des partenaires et des médias ainsi que des règles de
responsabilité et de déontologie propre à la fonction enseignante ». A
bon entendeur…
Mais encore, le choix des
formations professionnelles des enseignants et personnels leur serait-il
largement confisqué : « Chaque
professeur ou CPE est doté d’un dossier mentionnant la nature et le volume des
actions de formation continue qu’il a suivies. Ce dossier permet à l’employeur [sic,
ndlr] d’identifier, afin d’y recourir,
les compétences et les ressources existant au sein de l’académie. Il permet
également de vérifier que les professeurs ou CPE ont bien suivi les actions de
formation qui leur sont prescrites par les membres du corps
d’inspection. »
Policiers-référents à l’école, criminalisation de la
jeunesse
L’agression au couteau
d’une enseignante, Karen Montet-Toutain, à la veille des vacances scolaires de
décembre 2005, a fourni à de Robien une opportunité: « Avec Nicolas Sarkozy et les partenaires sociaux, j’aimerais
réfléchir à une permanence, une fois, deux fois, trois fois par semaine le cas
échéant, de la justice ou de la police dans les établissements
sensibles. » (Libération du
19/12/2005).
Pour l’UMP et l’UDF - qui
rejoignent en cela le Front National - l’idée de faire entrer la police à
l’école n’est pas nouvelle : elle prolonge, de façon logique, le reste de
leur politique. Le gouvernement n’a rien caché de ses objectifs : « rassurer les professeurs, bien sûr [sic,
ndlr], mais aussi permettre aux policiers
de savoir ce qui se passe à l’intérieur de l’école » (Libération du
19/12/2005). Sarkozy précise : « Je
propose que l’on institue un véritable carnet de développement de l’enfant qui
le suivra de l’enfance à sa vie d’adulte ». Il ajoute encore qu’il
souhaite instaurer « une possibilité
de comparution immédiate devant la justice pour les mineurs » (Reuters).
Dès avant la mise en œuvre de ces mesures, dans
l’éducation nationale, certaines instances académiques en ont donné un
avant-goût en demandant aux chefs d’établissements de recenser les élèves
« sans-papiers », dont l’expulsion est programmée pour juillet 2007,
lorsque les enseignants seront en vacances…
Quant au « carnet de
développement »… comment ne pas faire le lien avec la volonté du
gouvernement, appuyée sur un rapport de l’Inserm, de « repérer les futurs
délinquants dès la crèche ». En attendant
de donner une réalité à ce cauchemar, lors de ses vœux, Robien a annoncé que la
« note vie scolaire », qui « valoriserait
le respect des règles et stigmatiserait les comportements déviants et le manque
d'assiduité » serait portée tous les trimestres sur les bulletins, de
la 6ème à la 3ème.
En regard de ces enjeux, les
dirigeants de la FSU se sont contentés de déclarer (le 19/12) que les
déclarations du ministre « ne sont
pas à la hauteur des évènements » d’Etampes, caractérisant la
proposition d’introduire la police à l’école comme « au mieux une fausse bonne solution, au pire un effet
d’annonce », ce qui revenait à dire que la fédération ne s’y
opposerait pas.
Dès lors, pendant trois mois,
l’absence de toute opposition affichée par les organisations syndicales a
permis au gouvernement de développer son projet. Fin février, sous l’égide de Sarkozy, était
annoncée la mise en place d’un protocole expérimental « visant à renforcer la sécurité au sein des collèges de
Haut-de-Seine », impliquant la création de permanences de police dans
12 établissements scolaires « à la
demande des chefs d’établissements ».
Parallèlement, dans la
discrétion, de Robien convoquait les organisations syndicales enseignantes pour
discuter d’une généralisation du dispositif : toutes répondaient au coup
de sonnette. Toutefois, les sections locales du SNES faisaient connaître, sur
le terrain douteux des conseils d’administration, leur refus du protocole.
Le 10 mars, le SNES se
fendait donc d’un communiqué :
« Le SNES, qui n’est pas hostile par
principe à l’existence de coopérations entre les autorités chargées du maintien
de l’ordre et les autorités chargées de la gestion des collèges, ne peut
cependant accepter un dispositif qui créera des contraintes aux collèges
concernés ».
Mais quel reproche
principal le syndicat apporte-t-il au protocole Sarkozy ? « Aucune concertation n’a eu
lieu ». Et quel dispositif de lutte ? La saisine du tribunal
administratif de Versailles, comme si la « légalité » d’un tel projet
pourrait le rendre acceptable ! L’ « US mag » n°633, précisant encore la position du syndicat,
indique : « Le travail avec les
partenaires extérieurs doit reposer sur un libre choix des équipes acté en
conseil d’administration et basé avant tout sur des actions de
prévention ». Est-ce à dire que des « policiers-référents »,
acceptés par un conseil d’administration, ne souffriraient plus d’être remis en
cause?
La position élémentaire de
tout syndicat enseignant devrait être d’exiger : des moyens pour
enseigner, pas pour réprimer ! Pas de police à l’école ! Mais à ce
stade, la position de la FSU laisse au gouvernement la possibilité de redéfinir
son dispositif, pour mieux l’imposer.
Briser l’offensive gouvernementale
L’éditorial de ce bulletin
le souligne assez fortement : ce que montre le combat pour arracher
l’abrogation du CPE, c’est que sans la concertation et le « dialogue
social », il se trouve exposé, et peut être autrement plus facilement mis
en difficulté le cas échéant.
Il est évident que
l’avenir de l’offensive gouvernementale se joue partiellement sur la question
du C.P.E. Sur ce point, il faut noter que la direction de la FSU a pris sa
place dans le concert des directions syndicales, au diapason en quelque sorte
des dirigeants CGT FO ou de l’Unef, ce qui signifie par exemple qu’elle s’est
opposée à la demande de la coordination nationale étudiante de la convocation
d’une manifestation centrale et nationale le 23 mars à Paris, à l’Assemblée
nationale – seul le courant « Front Unique » se prononçant pour !
A l’inverse, on découvrait
dans l’US mag n°633 que, lors d’une
réunion des fédérations de l’éducation sur ce sujet, « la FSU a par ailleurs rappelé la proposition d’une manifestation
nationale pour l’éducation en précisant qu’il fallait peut être en revoir le
calendrier initial (fin mars, début avril) en fonction de l’évolution du
mouvement contre le CPE ». On le voit, pour Aschiéri et ses
semblables, une manifestation ne vaut que si elle est sans danger pour
Matignon.
Mais tirer les premières
leçons du combat contre le CPE, c’est souligner à quel point c’est la politique
des directions syndicales qui lui permettent d’avancer, et d’abord celle de la
principale fédération, la FSU.
Il faut ainsi le
relever : aucun syndicat ne combat aujourd’hui publiquement le retrait du
plan Robien sur les ZEP. Au contraire de cela, la direction du SNES faisait
connaître dès le mois de décembre 2005 une série de 17 propositions adressées
au gouvernement, notamment celles-ci : « Toute
décision doit faire l’objet d’une véritable concertation avec les acteurs de
terrain » ; « La
nouvelle carte des ZEP ne doit pas être un instrument de redéploiement des
moyens, mais doit intégrer la quasi totalité des 1000 établissements
aujourd’hui labellisés » ; ou encore « Favoriser l’ouverture culturelle dans le cadre de projets
pédagogiques à l’initiative des équipes et financés par les
établissements ».
C’est sur un tel terrain
que, le 8 mars, tous les syndicats de la FSU convoquaient des « Assises nationales ZEP » préparées
par un questionnaire aux réponses prédéterminées, dans l’objectif d’aller
porter des « propositions » au ministère ! Le SE-UNSA
convoquant, de son côté, un colloque pour le 22 mars…
Même affaiblie par les
défaites, la capacité de mobilisation du corps enseignant reste une menace
potentielle pour le gouvernement. Depuis le mois de janvier, les directions
syndicales ont multiplié les initiatives disloquées (grèves académiques ou
départementales, manifestations locales…) et les journées d’action sans
efficacité ni lendemain. Dans l’académie de Créteil, les sections
départementales du SNES sont allées jusqu’à se mettre d’accord… pour appeler à
des initiatives séparées (grève départementale du 93 le 26 janvier sur les ZEP,
manifestation « contre les dhg » dans le 94, le 1er
février, à la veille d’une journée de grève nationale sur la question des
salaires).
Au contraire de cela,
combattre la politique du gouvernement de Villepin implique d’imposer aux
dirigeants des organisations syndicales enseignantes qu’elles se prononcent
clairement contre toute mise en œuvre de la loi Fillon, de la loi Borloo, du
plan de destruction des ZEP, contre les « policiers-référents » dans
les collèges, et qu’à ce titre les syndicats rompent avec le gouvernement,
cessent toute concertation avec lui. Et bien sûr, au moment où ces lignes sont
écrites, qu’ils appellent à la manifestation centrale, nationale, à Paris, au
siège du pouvoir, pour imposer l’abrogation du C.P.E.