Article paru dans CPS nouvelle série n°24 de mars 2006

 

 

C.P.E, Destruction des ZEP, apprentissage junior, …

le gouvernement poursuit sa guerre contre l’enseignement public

 

 

Un fait révélateur : Aschieri (FSU) participe aux raouts des Sarkozy et Bayrou


Le 16 janvier, on le sait, le gouvernement Chirac-Villepin dévoilait le C.P.E., pointe avancée de la deuxième étape de son plan dit « bataille pour l’emploi ». Il va de soi que c’est d’abord sur cette question que les militants révolutionnaires combattant dans l’enseignement public sont intervenus autant que faire se peut, comme l’indique la section de ce bulletin consacrée à leurs interventions.

 

Le 10 février, faute de motion de censure, le projet de loi sur l’égalité des chances, d’une violence toute particulière contre l’enseignement public et la jeunesse, était considéré comme adopté sans vote. Le calendrier initial prévoyait qu’il soit adopté le 21 février à l’Assemblée nationale.

 

Le 22 février se tenait la convention sur l’éducation de l’UMP, sous la houlette de Nicolas Sarkozy, lequel on s’en souvient avait sonné le premier la charge contre les Zep en proposant de « déposer le bilan ». Lors de cette convention, Sarkozy a développé un programme qui en réalité se propose d’amplifier le mouvement engagé avec la loi Fillon (Cf. Libération du 23/02/2006):

« autonomie de tous les établissements, suppression de la carte scolaire pour laisser le «libre choix» de l'école aux parents, suppression des zones d'éducation prioritaires, installation d'écoles privées dans les banlieues, rémunération des enseignants au mérite... »

Invité remarquable de cette réunion : Gérard Aschieri, secrétaire général de la FSU. Il y sera, certes, hué. Mais quelle affirmation de sa part d’aller, en pleine offensive gouvernementale contre la jeunesse et les acquis ouvriers, discuter avec les ennemis jurés du corps enseignants ! D’accepter de se faire le punching-ball volontaire des amis de Sarkozy, en tant que représentant de la première fédération de l’enseignement public ! S’il fallait un concentré de la politique de l’ensemble des bureaucraties syndicales enseignantes, on l’aurait là : accompagner l’offensive de l’UMP, quoiqu’il en cuise, sur le terrain du « dialogue » et de la « concertation »,  de conseilleur, là où l’ennemi dresse ses plans de guerre.

 

Mais cela n’était sans doute pas assez.  Le 10 mars, soit trois jours après la journée d’actions du 7, Aschieri allait prodiguer cette fois-ci ses conseils à l’UDF, qui tenait elle aussi une convention sur l’éducation – UDF, faut-il le rappeler, qui est le parti du ministre Robien ?  Que le secrétaire général de la FSU ne se soit pas fait siffler en cette occasion ne change rien à l’affirmation déterminée de poursuivre le dialogue avec les partis qui soutiennent depuis 2002 les gouvernements successifs formés par Jacques Chirac, et servir de marchepied aux hommes qui les dirigent. On est là au cœur des problèmes qui sont posés aux enseignants.


C.P.E et loi sur l’égalité des chances : contre les enseignants contre les jeunes des cités


Il n’est pas utile de revenir ici sur le C.P.E en tant que tel. Rappelons par contre que, lors de l’automne 2005, après une série de provocations, le gouvernement parvenait à mettre le feu dans les banlieues de région parisienne, puis de toute la France. Il retirait aussitôt le profit politique de l’opération en intensifiant sa politique : nouveaux contrats précaires, poursuite de la destruction du logement social, accroissement de la chasse aux immigrés, renforcement de l’appareil répressif de l’Etat, nouveaux cadeaux fiscaux aux entreprises implantées en banlieue… Une des préoccupations essentielles du gouvernement fut alors de donner une nouvelle impulsion à l’application de son programme dans l’enseignement public. 

 

Dès le 7 novembre, de Villepin s’empressait ainsi de trouver un lien entre l’échec scolaire et les incendies de voitures. Il préconisait sa « solution » : l’exclusion du système scolaire dès 14 ans, au travers de l’ « apprentissage junior » - mesure qui constituait déjà un objectif politique de la « loi quinquennale pour l’emploi » du gouvernement Balladur (1993).

G. Aschiéri (FSU) déclarait aussitôt que ce projet était « lamentable » ; P. Gonthier (UNSA) le qualifiait quant à lui de « scandaleux ». Pour autant, ni l’un, ni l’autre n’en réclamaient explicitement le retrait.

Par la suite, inspiré en cela par les maires UMP de banlieue, de Villepin assortissait sa proposition d’un complément tout aussi scandaleux : la suppression des allocations familiales pour les parents d’enfants absentéistes, par l’intermédiaire d’un « contrat de responsabilité parentale ». Il obtenait les mêmes réactions, platoniques, de la part des dirigeants syndicaux.

Le 14 novembre, dans une allocution télévisée, Chirac présentait la mise en œuvre de la loi d’orientation pour l’école (« loi Fillon ») comme une réponse aux difficultés de la jeunesse des banlieues : « La loi sur l'école entre en application: elle donnera à chaque élève les moyens d'acquérir le socle des connaissances indispensables et permettra de lutter plus efficacement contre le fléau de l'illettrisme. » Le même jour, en parfaite synchronie avec l’Elysée, les quatre secrétaires nationaux du SNES avaient pris l’initiative d’écrire au ministre de Robien pour exiger… un « Grenelle des établissements difficiles », une grande concertation dont l’objectif serait de revoir de fond en comble le fonctionnement de ces établissements : ils n’allaient pas tarder à voir leur vœux exaucés.

 

Le mois n’en était pas encore à sa fin que de Villepin pressait son ministre de l’Education Nationale d’annoncer la mise en chantier d’une « réforme » des Zones d’Education Prioritaire (ZEP) – « réforme » dont les principes essentiels étaient déjà établis depuis des mois (v. l’article enseignant de CPS n°22).

Dans la foulée, de Robien conviait l’ensemble des directions syndicales enseignantes à une rencontre le 28 novembre sur l’apprentissage junior : toutes s’y rendaient, accréditant de facto, quoiqu’elles en disent, l’idée que cette mesure pouvait être discutée. Puis, selon une tartufferie institutionnelle désormais bien rôdée, leurs représentants se ruaient, le 8 décembre, au Conseil Supérieur de l’Education, pour y voter contre ce projet…Ainsi il pouvait être rapidement examiné par le conseil des ministres, ce qu’un boycott du CSE aurait ralenti. La loi dite par antiphrase « d’égalité des chances » était ainsi sur les rails.

En complément à cette loi, à partir du mois de janvier, s’engageait le travail de « concertation »,  aux niveaux national, académique, départemental, puis la mise en œuvre, dans quelques dizaines de collèges, des premières mesures du dispositif de Robien sur les ZEP : aujourd’hui, ce dispositif s’impose comme une véritable machine de guerre contre la forteresse enseignante, dans le prolongement de la loi « d’orientation ».


Les enjeux d’une « réforme »-destruction des ZEP


Pour le gouvernement, l’intérêt d’une « réforme » des ZEP est d’importance : des centaines de collèges, des milliers d’écoles, des dizaines de milliers d’enseignants et de personnels, près d’un écolier et d’un collégien sur cinq, une bonne partie des enfants de la classe ouvrière, des travailleurs immigrés et des couches les plus précaires de la population sont intégrés à des ZEP ou à des « Réseaux d’Education Prioritaire », variantes au rabais inventées par Jospin en 1999 pour éviter d’avoir à financer de nouvelles zones. Pourtant, au point de départ, il s’agissait avec leur création de porter un coup au cadre national de l’enseignement public. Mais la réalité a chargées les Zep d’un contenu plus simple, celui de moyens supplémentaires pour les établissements et les enseignants. La crise du capitalisme français, les assauts continuels portés en conséquence par les gouvernements bourgeois contre la population laborieuse, les conditions de vie portées dans nombre de cités-ghettos à la limite du supportable exacerbent les difficultés de fractions toujours plus importantes de la jeunesse : la question d’une extension de ces zones se pose donc chaque année avec davantage d’insistance et il n’est pas question, pour le gouvernement, de payer l’addition.

 

Du simple fait qu’ils reçoivent des moyens supplémentaires (10% de postes d’enseignants et de crédits pédagogiques en moyenne) et que les enseignants qui y exercent perçoivent une prime spécifique, les établissements classés dans ces zones sont dans la ligne de mire du gouvernement. Mais surtout,  « réformer » les ZEP est une façon pratique d’engager la mise en œuvre de la loi Fillon - encore largement en suspens - sans heurter de front le corps enseignant dans son ensemble, tout en aggravant la « cure d’amaigrissement » imposée à l’enseignement public.

 

Dans une interview au Monde du 13 décembre 2005, de Robien présentait son plan sur les Zep en ces termes : « Plutôt que de s'attacher à la notion de zone, il s'agit de s'intéresser aux élèves  scolarisés dans des établissements précis. » Passer d’une logique de zone à une logique individuelle signifie, en l’occurrence, remettre en cause l’idée selon laquelle l’origine sociale des élèves serait l’une des principales sources de leurs difficultés scolaires : la réussite scolaire devenant, dans l’esprit de la loi Fillon, une simple question de « mérite » individuel, on cesse de prétendre accorder « plus à ceux qui ont moins », et on se contente de… leur enseigner moins, d’indiquer le plus tôt possible la sortie du système scolaire à un nombre croissant de jeunes.

 

A ce titre, le gouvernement parviendrait non seulement à restreindre encore l’enveloppe de ses dépenses d’éducation, mais il livrerait aussi une partie de la jeunesse ouvrière à la précarité, vouant l’autre partie à la misère la plus noire – aggravant encore la décomposition sociale qui gangrène déjà de nombreux quartiers populaires, taillant à l’enseignement public des oripeaux à la mesure de la crise du capitalisme français. Par ailleurs, il s’offrirait le plaisir d’amorcer la dislocation du corps enseignant, amoindrissant la force considérable dont les enseignants ont fait montre par le passé.


Du « redéploiement » façon Robien des Bois : prendre aux uns pour ne pas rendre aux autres


C’est sous couvert d’un « redéploiement » des moyens accordés à l’Education Prioritaire que de Villepin a annoncé la mise en chantier de son plan pour les ZEP, prétendant « concentrer les moyens sur les établissements où les difficultés sont les plus lourdes ». A ce titre, de Robien programmait dès la mi-décembre 2005, pour les années à venir, la subdivision des ZEP en trois catégories. Rappelons au préalable que, selon le SNU-IPP, près de 1100 collèges sont aujourd’hui classés en ZEP, et avec eux 7115 écoles. Le plan De Robien prévoit que jusqu’à 250 collèges (et 1600 écoles) seraient placés à la tête de réseaux « ambition réussite » (EP1) - réseaux où la loi Fillon s’appliquerait à plein en contrepartie d’une prétendue hausse des moyens -, les autres établissements étant répartis entre un niveau EP2 où « les établissements (continueraient) de recevoir les moyens actuels » et un niveau EP3 où les établissements « ont vocation à sortir en trois ans du dispositif de l’éducation prioritaire » (Le Monde du 13/12/2005).

Cette présentation sur le terrain des moyens pédagogiques a été accréditée par la direction du SNES qui, même si elle condamne verbalement le dispositif EP1, n’a eu de cesse de stigmatiser, avant toute autre chose, le « redéploiement » au détriment d’une majorité d’établissements – ce qui induit que des moyens d’enseignement supplémentaires seraient effectivement apportés à certains autres.

Il ne s’agit en réalité que d’un écran de fumée : tandis que le gouvernement apporte une nouvelle « justification » aux suppressions massives de postes d’enseignants, de crédits pédagogiques et d’heures de cours, les réseaux « ambition réussite » héritent du douteux privilège d’expérimenter de nouveaux emplois précaires. Ce sont en effet des « assistants pédagogiques », déjà présents dans 344 lycées – en réalité des assistants d’éducation dont la mission est redéfinie pour en faire des substituts polyvalents aux enseignants dans la prise en charge du soutien scolaire.

Par ailleurs, serait créé un nouveau statut: les « professeurs-référents », sortes de tuteurs permanents imposés aux équipes enseignantes du réseau et dûment gratifiés pour ce rôle par « un contingent supplémentaire d’accès à la hors classe, le degré d’avancement le plus élevé (…) après cinq années passées dans un collège « ambition réussite » » (de Robien au Monde, le 13/12/2005). Enfin, l’obligation d’organiser des études du soir et des opérations « école ouverte » au cours des vacances scolaires implique une exploitation accrue des personnels TOS et des équipes « vie scolaire ».

Le discours des dirigeants FSU a toutefois son utilité… pour le gouvernement : le 31 janvier, cinq jours après une journée de grève dans la seule Seine-Saint-Denis, de Robien faisait savoir qu’il n’établirait pas la liste des établissements voués à être rayés de la carte des ZEP avant la rentrée 2006. Ses assistants précisaient : « On ne renonce pas au principe que des établissements sortent des ZEP mais on réfléchira à ceux qui pourront sortir après la rentrée 2006 ».

Aschieri applaudissait aussitôt, prétendant que le gouvernement « manœuvrait en recul » : « C’est la preuve que la mobilisation commence à porter ses fruits » (AFP, 31/1/2006). Le SNES inventait pour l’occasion une augmentation du nombre de collèges EP1 (« de 220 à 249 »), présentée comme une victoire, au même titre que la réaffirmation « du premier degré dans le dispositif » (communiqué du 8/2/2006). La réalité, toute autre, est énoncée dans un communiqué du ministère : « Tous les interlocuteurs syndicaux (…) reconnaissent la nécessité d’une politique plus concentrée, destinée à apporter des moyens supplémentaires à des établissements qui en ont le plus besoin, sans en retirer à d’autres. » Il s’agit là d’une allusion explicite à une proposition publique du SNES sur les ZEP… Grâce à une manœuvre sans conséquences, de Robien et les dirigeants de la FSU redonnaient donc un coup de manivelle au « dialogue social » sur l’objectif principal du gouvernement.


Un dispositif de déscolarisation massive


Le projet de Robien est en réalité centré sur deux mesures découlant de la loi Fillon : la définition de « Projets Personnalisés de Réussite Educative » (PPRE) et la contractualisation des établissements, contraints de mettre en œuvre des formations au rabais sous peine de se faire couper les vivres.

 

En effet, les réseaux EP1 doivent signer un contrat conclu « pour quatre à cinq ans entre chaque établissement et l’inspecteur d’académie » et leurs moyens seraient conditionnés aux résultats d’ « une évaluation régulière des résultats fondée sur un baromètre de la réussite scolaire » (de Robien, le 13/12/2006). Ce langage administratif signifie tout simplement que l’attribution de moyens aux établissements dépendrait de la mise en œuvre servile, par les conseils d’administration et les conseils d’écoles, sous la tutelle d’un « comité exécutif » constitué du principal du collège et des directeurs d’écoles, de filières d’exclusion et de parcours au rabais, dès l’école primaire. C’est là aussi que réside l’utilité des « professeurs référents », qui n’effectueraient qu’un demi-service en classe, mais imposeraient leur tutelle à l’ensemble des équipes pédagogiques du réseau – qu’il s’agisse de veiller au respect des projets d’établissements, à la définition de « formations spécifiques sur site», au « tutorat » des néo-titulaires ou à la coordination des assistants pédagogiques.

Les PPRE sont des parcours dont le but est d’expulser nombre d’élèves de l’enseignement public : définis dès l’école primaire, ils ont en effet pour objectif de transmettre aux élèves, non plus les programmes nationaux, mais  le seul « socle commun » prévu par la loi Fillon - un ensemble vague de notions restreintes dont la seule maîtrise ne permet pas de réelle poursuite d’études.

 

Ils peuvent en outre impliquer des partenariats, définis localement, avec des structures extérieures à l’Education Nationale et totalement déréglementées : les « dispositifs de réussite éducative » prévus par la loi dite de « cohésion sociale » (loi Borloo). A ce titre, de nombreux enseignants du primaire ont d’ores et déjà été invités à établir des listes d’élèves en grande difficulté, listes soumises aux structures Borloo en cours de constitution … sans que, dans la plupart des cas, ces enseignants sachent même à quoi elles serviront. Plus généralement, par le biais de ces structures, des personnels sans statut ou des « intervenants extérieurs » vont être amenés à assumer des missions dévolues en principe aux équipes éducatives : internats, activités sportives et associatives…

 

Au collège, les PPRE peuvent impliquer une sortie partielle ou totale du système scolaire avant 16 ans, puisque l’option « découverte professionnelle » de 3 à 6 heures hebdomadaires – déjà effective en 3ème – pourrait être mise en œuvre dès le niveau 4ème, tandis que l’apprentissage junior livrerait de nombreux jeunes à l’exploitation précoce ou à la rue. L’objectif d’organiser l’orientation massive des élèves de ZEP vers des filières de relégation est encore exprimée par deux mesures : la suppression des redoublements et la possibilité offerte à une poignée d’élèves « méritants », nantis de mentions au brevet, de … déroger à leur secteur en choisissant de poursuivre leurs études hors des établissements des cités.


Du « Haut Conseil à l’Education » aux CFA : le patronat entre à l’école par la grande porte


Avec la progression de la mise en œuvre de la loi d’orientation, le patronat français menace d’acquérir une réelle emprise sur le fonctionnement même de l’enseignement public.

En effet, un décret de l’application de la loi Fillon prévoyait, dès la rentrée 2005, de mettre en place un « Haut Conseil à l’Education » dont les attributions couvrent un champ non négligeable : la définition du socle commun (qui doit être communiqué ce mois-ci au ministre) et l’émission d’avis sur « la pédagogie », les « résultats du système éducatif » et la formation des enseignants. Ce « Haut Conseil » a été institué par de Robien le 8 novembre : à l’exception d’une unique autorité scientifique, le mathématicien Lafforgue, évincé à l’issue des premières délibérations, et d’un Inspecteur Général, Christian Forestier, n’y figurent que des idéologues réactionnaires et d’éminents représentants du capitalisme français. Qu’on en juge : Bruno Racine, président du conseil d’administration d’une « Fondation pour la Recherche Stratégique » où siègent tous les représentants de l’industrie d’armement ; Valérie Hannin, directrice de la revue l’Histoire, favorable à l’enseignement des « apports positifs » de la colonisation ; Alain Bouvier, ancien recteur, auteur de Management et sciences cognitives et partisan du « salaire au mérite » pour les enseignants ; Marie-Thérèse Geffroy, tête de proue d’un lobby patronal pour le développement de l’apprentissage ; Denis Tillinac, PDG des éditions de la Table Ronde et ami personnel de Chirac ; Jean-Pierre Foucher, député UDF ; et Michel Pébereau, PDG de BNP-Paribas, responsable du comité école du MEDEF et auteur d’un rapport préconisant les suppressions massives de postes dans l’enseignement public.

 

A travers eux, la bourgeoisie française, le MEDEF peuvent directement procéder à l’élagage des programmes nationaux que le gouvernement entend imposer dans les ZEP… pour donner par la suite leur avis sur les « résultats » obtenus par les établissements.

 

Par ailleurs, à tous les niveaux, le gouvernement œuvre à accroître la place du patronat dans les dispositifs de formation. Développement, au détriment des collèges et des Lycées Professionnels, des Centres de Formation d’Apprentis, financés en majeure partie par les Régions, mais largement gérés par le patronat, comme le révèle  le Monde du 13/3/2006: « si 15% d’entre eux sont publics, les autres sont gérés par des organismes aussi divers que les chambres de commerce et d’industrie, les chambres des métiers ou d’agriculture, ou encore les organisations professionnelles. ».

 

C’est encore une professionnalisation accrue et une suppression d’heures de cours que le gouvernement prépare, au collège, au travers du développement dès la 4ème de l’ « option découverte professionnelle », des stages obligatoires pour tous les collégiens des réseaux EP1 et, dans les lycées, par des projets de « réforme » des filières technologiques (STG, SMS, STI, STL) ou la création de nouveaux BTS. La liste n’est pas exhaustive : dans un contexte où les crédits pédagogiques des enseignants sont réduits année après année, le gouvernement entend encore, sous prétexte de respect du droit d’auteur, intensifier le pillage et le contrôle de l’éducation nationale par les magnats de l’édition, de l’audiovisuel ou de l’informatique.


Nouvelles suppressions de postes et en ligne de mire, toujours, les statuts


Parallèlement à son projet de destruction des ZEP, le gouvernement faisait connaître, fin décembre 2005, le nombre de postes offerts aux concours de l’enseignement public. Dans l’enseignement primaire, 1500 départs en retraite ne seront pas remplacés ; dans le second degré, il s’agit d’une véritable hécatombe : outre une diminution de 30% des recrutements, des corps de profession entiers sont confrontés à un tarissement spectaculaire des recrutements. Selon un communiqué du SNES, plus de 7000 personnels devraient manquer à la rentrée 2007, et près de 20000 postes auront été supprimés en quatre ans. Il s’agit bien sûr, pour le gouvernement, de réduire massivement les dépenses d’éducation : mais, plus encore qu’une nouvelle vague de suppressions de postes, les concours 2006 participent d’un dispositif de casse des statuts spécifiques, ainsi que d’une surexploitation des personnels.

 

Ainsi, dans plusieurs corps de profession - tels que les Conseillers Principaux d’Education ou les Conseillers d’Orientation et Psychologues – le recrutement est littéralement tari, augurant d’une remise en cause ultérieure de ces métiers, au point qu’ « une centaine d’établissements n’auront plus de CPE » dès la rentrée 2006 (communiqué SNES, 13/1/2006). Pour les professeurs d’éducation physique et sportive, les postes offerts sont tout aussi dérisoires : 400 au CAPEPS externe pour près de 10000 candidats.

 

L’objectif de substitution du « socle commun » aux programmes nationaux, pour des dizaines de milliers de jeunes, annonce en effet une déqualification massive des enseignants et personnels et la suppression d’options, de disciplines, voire de filières entières dans de nombreux établissements. Pour faciliter la mise en œuvre de son dispositif sur les remplacements de courte durée - pour l’instant en sommeil mais nullement abandonné - de Robien a par ailleurs fait savoir qu’il était favorable au développement de la bivalence des enseignants, et institué une « mention complémentaire » pour certains concours. Mais encore, les dispositifs EP1 prévoient-ils la démultiplication des services partagés entre le secondaire et le primaire, où l’intervention de professeurs de lycée professionnel (PLP) dans les collèges. On doit aussi mentionner l’introduction dans les filières STG de plus de contrôle continu pour l’évaluation des langues au bac.

 

Un « cahier des charges de la formation initiale des personnels enseignants » rendu public en février 2006, intégrant les exigences de la loi Fillon, insiste également sur le développement de la polyvalence et le profilage des postes : mise en place d’un « portefeuille des compétences » pour chaque enseignant, choix de « mettre l’ensemble des professeurs des écoles en mesure d’enseigner une langue étrangère », certification complémentaire en informatique, préconisation faite aux universités d’enseigner, dès la licence, « les enseignements appartenant (…) à une double valence », intégration d’ « un module dans une ou plusieurs discipline(s) connexe(s) de la discipline enseignée ». La porte est ainsi ouverte, étape par étape, à la définition locale des missions des personnels, transformés en super-factotums.


Les enseignants et les personnels mis sous tutelle


Ces mesures, pour être efficaces, ne vont pas sans impliquer de multiples tentatives pour soumettre le corps enseignant et les personnels, les pressurer par la tutelle permanente d’une hiérarchie renforcée.

Le transfert des personnels TOS, quasiment achevé, constitue un premier pas d’importance dans la casse des statuts nationaux de l’enseignement public : mais il implique également un renforcement significatif du poids des hiérarchies locales (collectivités territoriales, chefs d’établissement) à leur encontre, leur surexploitation. Il faut souligner à cet égard la responsabilité énorme des directions syndicales (CGT, FO, UNATOS-FSU…) qui, de « concertations » nationales en groupes de travail locaux, ont participé jusqu’au bout à l’organisation de ces transferts.

Dans les réseaux « ambition réussite », nous l’avons vu, le poids des inspections académique et pédagogique sera accru, de même que celui des chefs d’établissements (principaux, principaux adjoints et directeurs d’école) réunis en « comités exécutifs » chargés notamment de désigner les « professeurs-référents », version adaptée du « conseil pédagogique » préconisé par la loi Fillon.

 

Chez les enseignants du primaire, les velléités du ministre pour imposer un manuel unique pour l’apprentissage de la lecture - à l’origine une manœuvre pour détourner l’attention du plan de destruction des ZEP - sont ressenties à juste titre comme une remise en cause de leur autonomie pédagogique. Il faut souligner que les directions syndicales ont boycotté le CSE du 14 mars consacré à la réforme des programmes de l’enseignement primaire- l’effervescence sur la question du CPE n’y étant pas étrangère.

Rappelons-le à toutes fins utiles: l’autonomie relative dont jouissent les enseignants dans l’exercice de leur profession – au même titre que le droit d’expression, ou celui de se syndiquer - ne leur ont jamais été octroyés par « la République », bien au contraire. Elle est le produit de leurs luttes, de la constitution de leurs syndicats, conjointement à la construction du syndicalisme ouvrier. La tentative récente d’imposer aux enseignants l’enseignement du « rôle positif de la colonisation » est à ce titre des plus instructives, même si Chirac a dû freiner pour des raisons principalement diplomatiques les ardeurs réactionnaires de sa majorité UMP.

 

C’est pourquoi les projets soumis au Haut Conseil à l’Education revêtent une certaine importance. Ainsi, une note sur le socle commun, rendue publique en janvier, précise-t-elle la nécessité pour les enseignants de préparer chaque élève à « partager une culture européenne par une connaissance simple [« simple », c’est-à-dire en-dehors de toute perspective critique ou historique, ndlr] de la Bible ». Il en est de même du cahier des charges sur les IUFM qui exige des enseignants et CPE qu’ils mettent « leurs compétences professionnelles (…) au service des valeurs défendues par la République et l’Europe » mais taisent les idées qui ne seraient pas dictées par le gouvernement : « Au cours de leur formation, ils sont avertis du devoir de réserve auquel ils sont soumis vis-à-vis des usagers du service comme des partenaires et des médias ainsi que des règles de responsabilité et de déontologie propre à la fonction enseignante ». A bon entendeur…

 

Mais encore, le choix des formations professionnelles des enseignants et personnels leur serait-il largement confisqué : « Chaque professeur ou CPE est doté d’un dossier mentionnant la nature et le volume des actions de formation continue qu’il a suivies. Ce dossier permet à l’employeur [sic, ndlr] d’identifier, afin d’y recourir, les compétences et les ressources existant au sein de l’académie. Il permet également de vérifier que les professeurs ou CPE ont bien suivi les actions de formation qui leur sont prescrites par les membres du corps d’inspection. »


Policiers-référents à l’école, criminalisation de la jeunesse


L’agression au couteau d’une enseignante, Karen Montet-Toutain, à la veille des vacances scolaires de décembre 2005, a fourni à de Robien une opportunité: « Avec Nicolas Sarkozy et les partenaires sociaux, j’aimerais réfléchir à une permanence, une fois, deux fois, trois fois par semaine le cas échéant, de la justice ou de la police dans les établissements sensibles. » (Libération du 19/12/2005).

Pour l’UMP et l’UDF - qui rejoignent en cela le Front National - l’idée de faire entrer la police à l’école n’est pas nouvelle : elle prolonge, de façon logique, le reste de leur politique. Le gouvernement n’a rien caché de ses objectifs : « rassurer les professeurs, bien sûr [sic, ndlr], mais aussi permettre aux policiers de savoir ce qui se passe à l’intérieur de l’école » (Libération du 19/12/2005). Sarkozy précise : « Je propose que l’on institue un véritable carnet de développement de l’enfant qui le suivra de l’enfance à sa vie d’adulte ». Il ajoute encore qu’il souhaite instaurer « une possibilité de comparution immédiate devant la justice pour les mineurs » (Reuters).

 Dès avant la mise en œuvre de ces mesures, dans l’éducation nationale, certaines instances académiques en ont donné un avant-goût en demandant aux chefs d’établissements de recenser les élèves « sans-papiers », dont l’expulsion est programmée pour juillet 2007, lorsque les enseignants seront en vacances…

Quant au « carnet de développement »… comment ne pas faire le lien avec la volonté du gouvernement, appuyée sur un rapport de l’Inserm, de « repérer les futurs délinquants dès la crèche ».  En attendant de donner une réalité à ce cauchemar, lors de ses vœux, Robien a annoncé que la « note vie scolaire », qui « valoriserait le respect des règles et stigmatiserait les comportements déviants et le manque d'assiduité » serait portée tous les trimestres sur les bulletins, de la 6ème à la 3ème.

En regard de ces enjeux, les dirigeants de la FSU se sont contentés de déclarer (le 19/12) que les déclarations du ministre « ne sont pas à la hauteur des évènements » d’Etampes, caractérisant la proposition d’introduire la police à l’école comme « au mieux une fausse bonne solution, au pire un effet d’annonce », ce qui revenait à dire que la fédération ne s’y opposerait pas.

Dès lors, pendant trois mois, l’absence de toute opposition affichée par les organisations syndicales a permis au gouvernement de développer son projet.  Fin février, sous l’égide de Sarkozy, était annoncée la mise en place d’un protocole expérimental « visant à renforcer la sécurité au sein des collèges de Haut-de-Seine », impliquant la création de permanences de police dans 12 établissements scolaires « à la demande des chefs d’établissements ».

Parallèlement, dans la discrétion, de Robien convoquait les organisations syndicales enseignantes pour discuter d’une généralisation du dispositif : toutes répondaient au coup de sonnette. Toutefois, les sections locales du SNES faisaient connaître, sur le terrain douteux des conseils d’administration, leur refus du protocole.

Le 10 mars, le SNES se fendait donc d’un communiqué :

 « Le SNES, qui n’est pas hostile par principe à l’existence de coopérations entre les autorités chargées du maintien de l’ordre et les autorités chargées de la gestion des collèges, ne peut cependant accepter un dispositif qui créera des contraintes aux collèges concernés ».

Mais quel reproche principal le syndicat apporte-t-il au protocole Sarkozy ? « Aucune concertation n’a eu lieu ». Et quel dispositif de lutte ? La saisine du tribunal administratif de Versailles, comme si la « légalité » d’un tel projet pourrait le rendre acceptable ! L’ « US mag » n°633, précisant encore la position du syndicat, indique : « Le travail avec les partenaires extérieurs doit reposer sur un libre choix des équipes acté en conseil d’administration et basé avant tout sur des actions de prévention ». Est-ce à dire que des « policiers-référents », acceptés par un conseil d’administration, ne souffriraient plus d’être remis en cause?

 

La position élémentaire de tout syndicat enseignant devrait être d’exiger : des moyens pour enseigner, pas pour réprimer ! Pas de police à l’école ! Mais à ce stade, la position de la FSU laisse au gouvernement la possibilité de redéfinir son dispositif, pour mieux l’imposer.


Briser l’offensive gouvernementale


L’éditorial de ce bulletin le souligne assez fortement : ce que montre le combat pour arracher l’abrogation du CPE, c’est que sans la concertation et le « dialogue social », il se trouve exposé, et peut être autrement plus facilement mis en difficulté le cas échéant.

 

Il est évident que l’avenir de l’offensive gouvernementale se joue partiellement sur la question du C.P.E. Sur ce point, il faut noter que la direction de la FSU a pris sa place dans le concert des directions syndicales, au diapason en quelque sorte des dirigeants CGT FO ou de l’Unef, ce qui signifie par exemple qu’elle s’est opposée à la demande de la coordination nationale étudiante de la convocation d’une manifestation centrale et nationale le 23 mars à Paris, à l’Assemblée nationale – seul le courant « Front Unique » se prononçant pour !

A l’inverse, on découvrait dans l’US mag n°633 que, lors d’une réunion des fédérations de l’éducation sur ce sujet, « la FSU a par ailleurs rappelé la proposition d’une manifestation nationale pour l’éducation en précisant qu’il fallait peut être en revoir le calendrier initial (fin mars, début avril) en fonction de l’évolution du mouvement contre le CPE ». On le voit, pour Aschiéri et ses semblables, une manifestation ne vaut que si elle est sans danger pour Matignon.

 

Mais tirer les premières leçons du combat contre le CPE, c’est souligner à quel point c’est la politique des directions syndicales qui lui permettent d’avancer, et d’abord celle de la principale fédération, la FSU.

Il faut ainsi le relever : aucun syndicat ne combat aujourd’hui publiquement le retrait du plan Robien sur les ZEP. Au contraire de cela, la direction du SNES faisait connaître dès le mois de décembre 2005 une série de 17 propositions adressées au gouvernement, notamment celles-ci : « Toute décision doit faire l’objet d’une véritable concertation avec les acteurs de terrain » ; « La nouvelle carte des ZEP ne doit pas être un instrument de redéploiement des moyens, mais doit intégrer la quasi totalité des 1000 établissements aujourd’hui labellisés » ; ou encore « Favoriser l’ouverture culturelle dans le cadre de projets pédagogiques à l’initiative des équipes et financés par les établissements ».

C’est sur un tel terrain que, le 8 mars, tous les syndicats de la FSU convoquaient des « Assises nationales ZEP » préparées par un questionnaire aux réponses prédéterminées, dans l’objectif d’aller porter des « propositions » au ministère ! Le SE-UNSA convoquant, de son côté, un colloque pour le 22 mars…

 

Même affaiblie par les défaites, la capacité de mobilisation du corps enseignant reste une menace potentielle pour le gouvernement. Depuis le mois de janvier, les directions syndicales ont multiplié les initiatives disloquées (grèves académiques ou départementales, manifestations locales…) et les journées d’action sans efficacité ni lendemain. Dans l’académie de Créteil, les sections départementales du SNES sont allées jusqu’à se mettre d’accord… pour appeler à des initiatives séparées (grève départementale du 93 le 26 janvier sur les ZEP, manifestation « contre les dhg » dans le 94, le 1er février, à la veille d’une journée de grève nationale sur la question des salaires).

 

Au contraire de cela, combattre la politique du gouvernement de Villepin implique d’imposer aux dirigeants des organisations syndicales enseignantes qu’elles se prononcent clairement contre toute mise en œuvre de la loi Fillon, de la loi Borloo, du plan de destruction des ZEP, contre les « policiers-référents » dans les collèges, et qu’à ce titre les syndicats rompent avec le gouvernement, cessent toute concertation avec lui. Et bien sûr, au moment où ces lignes sont écrites, qu’ils appellent à la manifestation centrale, nationale, à Paris, au siège du pouvoir, pour imposer l’abrogation du C.P.E.


Le 18 mars 2006

 

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