Editorial de C.P.S Nouvelle série n°24 (n°106) du 24 mars 2006

 

 

Premiers enseignements du mouvement

pour arracher le retrait du contrat première embauche


Le C.P.E., pointe avancée d’une nouvelle vague réactionnaire


Lors des cérémonies des vœux, Villepin avait annoncé qu’il comptait faire de 2006 une « année utile », Chirac promettant de son côté « nous allons accélérer ».  Quelques jours plus tard, le 16 janvier, lors de sa conférence de presse mensuelle, Villepin annonçait la création du Contrat première Embauche, mesure emblématique de la « deuxième étape » de son plan dit de « bataille pour l’emploi ».

 

La « première étape » de ce plan, c’étaient pour l’essentiel les ordonnances de l’été dernier, avec au coeur la création du CNE, Contrat Nouvelle Embauche, permettant à tous les patrons de petites entreprises de mettre fin sans heurt au contrat de travail pendant une période de deux ans. Outre cette création de salariés jetables, le contrat de travail en tant que tel était aussi attaqué par la création du « chèque emploi universel » s’y substituant et donc supprimant tout contrat en certains cas. Parallèlement étaient prises de nouvelles mesures visant à expulser les chômeurs de leur droit à l’indemnisation.

 

Le C.P.E est la pointe avancée de la seconde étape, au menu de laquelle figurent d’autres mesures annoncées le 16 janvier, notamment concernant les seniors. Le gouvernement décidait de valider par anticipation le projet d’accord issu des discussions entre patronat et syndicats sur les seniors (à ce moment, ni les dirigeants CGT, ni ceux de FO ne l’avaient rejeté formellement). Au nom du « retour à l’activité », il s’agit de créer des CDD renouvelables pour un maximum de trois ans, ainsi que de permettre le cumul du revenu de l’activité et des retraites.

 

Et qu’est-ce que le C.P.E ? La généralisation de la précarité comme norme pour toute la jeunesse, ce qui revient à dire que pour elle, sur son lieu de travail, la seule posture acceptée serait « sois jeune et tais-toi ». Sous couvert de « garanties » incertaines en matière de logement ou de crédit, il s’agit de faire droit à l’exigence formulée par Mme Parisot depuis son accession à la tête du Medef et présentée comme une loi de la nature : que le travail soit par définition précaire. Au passage, le patronat engrange nouvelles exonérations de charges (pendant trois ans) pour toute embauche de jeune au chômage depuis 6 mois.

 

Cette deuxième étape en annonçait déjà une troisième. En annonçant son train de mesures, Villepin l’indiquait :

«Nous devons tirer les conséquences du lancement réussi du contrat nouvelles embauches (CNE) pour lancer une réflexion avec tous les partenaires sociaux sur l'évolution générale des contrats de travail dans notre pays» 

 

Il annonçait « d’ici quelques mois » des mesures « sur l’évolution générale des contrats de travail », les « allègements de charges sur les heures supplémentaires », et la réforme de l’assiette des cotisations sociales annoncée par Chirac dans ses vœux, une concertation devant s’ouvrir dans la semaine sur ces sujets. 


 « Il est quand même gonflé, Villepin » (Copé)


Le Monde du 17 janvier rapporte cette interjection admirative de J-F.Copé, porte-parole du gouvernement, dans un article intitulé « Villepin où l’art de faire ce qu’on avait pas prévu » :                                   

« Gonflé d'avoir élargi le contrat nouvelles embauches (CNE) aux jeunes de moins de 26 ans, d'avoir ouvert le chantier du travail au-delà de 60 ans, de faire sauter le verrou des 35 heures en autorisant le cumul emploi à temps plein et intérim et d'annoncer la refondation prochaine du contrat à durée indéterminée et du droit du licenciement...  (…) »

 

Villepin, féru de Bonaparte, est un adepte de la guerre de mouvement. En décembre il annonçait solennellement la tenue d’une conférence nationale sur les finances publiques qui, finalement, n’a pas eu autant d’importance qu’on aurait pu le penser, même si la participation des directions syndicales valait engagement de la part à participer à l’effort de réduction d’une dette publique qu’il ne revient pourtant en aucun cas aux travailleurs de payer.

Un débat a eu lieu au sein du gouvernement avant de se lancer dans cette nouvelle étape. La presse a ainsi rapporté que Gérard Larcher – et avec lui tant le Medef que les appareils, sans doute aucun – proposait une autre voie :

« Gérard Larcher n'aura pas manqué de mettre en garde le Premier ministre sur la levée de boucliers que ne manquerait pas de susciter une telle annonce chez les syndicats. (…) Au ministère de l'Emploi, on préférerait attendre, et généraliser le CNE quels que soient l'âge du salarié et la taille de l'entreprise, mais en prenant le temps d'en débattre avec les partenaires sociaux pour mesurer l'efficacité mais aussi les effets pervers, et éventuellement renforcer les droits du salarié. » (Libération du 14 janvier)

 

Finalement, précise Le Monde, la décision a été arrêtée la veille au soir : 

« dimanche soir  M. Villepin crée la surprise : il va ouvrir plusieurs chantiers en même temps, faire sauter les verrous. Mieux, il annoncera, le lendemain, la perspective d'un troisième plan emploi... "On a la chance d'être à la fin du quinquennat, la chance inouïe de pouvoir faire bouger les choses, de faire ce qu'on n'avait pas prévu", justifiera-t-il lundi 16 janvier. »

 

Si Villepin n’a pas écouté Larcher, ce n’est pas par « autisme » « surdité », ou autres maladies auditives dont les appareils prétendent, pour le protéger, qu’il serait affligé. C’est partant d’une appréciation politique sur la situation.


Après les victoires gouvernementales de l’automne, l’instauration de l’état d’urgence,
Villepin s’affranchit de la concertation coutumière


En effet, comme le précédent éditorial de Combattre pour le socialisme l’a analysé, le gouvernement Chirac-Villepin a, dans un premier temps, montré sa capacité à poursuivre et amplifier l’offensive au compte du capital après le « non » au référendum sur la constitution européenne, grâce au soutien des appareils syndicaux, du PS, du PCF. Puis il a remporté sur le terrain direct de la lutte de classe de nettes victoires, et en particulier celle contre les marins de la SNCM, victimes au premier chef de la politique de l’appareil CGT à tous les niveaux (cf. l’article dans notre précédent numéro), mais aussi la destruction sans combat du régime spécial des retraites à la Ratp (voir le supplément Ratp dans ce numéro).

 

Après la défaite à la SNCM, Villepin avait obtenu sans mal des directions confédérales qu’elles acceptent de rentrer dans un nouveau cycle de négociations avec le gouvernement. La rencontre inaugurale, le 12 décembre au ministère du travail, venait conclure une série de journées d’actions éparpillées dont le résultat pour la classe ouvrière a été catastrophique, notamment à la SNCF, mais surtout après que le gouvernement ait instauré dans ce pays l’état d’urgence en novembre.

Notre précédent éditorial avait caractérisé cette instauration, prise sous prétexte des violences dans les quartiers populaires dont le gouvernement porte l’entière responsabilité, comme « le signal d’une accélération de l’offensive anti ouvrière », ouvrant « une fenêtre de tir » au gouvernement selon les termes mêmes des conseillers gouvernementaux, notamment pour faire avancer la contre-réforme des Zep (voir l’article dans ce numéro), et la loi sur l’égalité des chances, propulsée à l’Assemblée nationale par l’instauration de l’état d’urgence. C’est précisément dans cette loi que viendra se nicher le C.P.E., comme pour symboliser que la nouvelle étape de l’offensive gouvernementale prenait directement appui sur les bénéfices qu’il avait retiré de l’instauration sans opposition réelle de l’état d’urgence.

 

Avec le recul, la rencontre de Villepin avec les partenaires sociaux organisée le 12 décembre 2005 au ministère du travail apparaît comme un véritable ballon d’essai. En effet, Villepin y annonçait, outre la loi sur la participation, loi d’association capital-travail, loi contre les augmentations de salaires, la mise en place d’un Contrat de transition Professionnelle, devant être « expérimenté » rapidement.

Comme nous l’avions expliqué dans notre précédent éditorial, ce « Contrat » n’en est pas véritablement un puisqu’il n’est pas signé avec un employeur, mais avec un « groupement d’intérêt public » qui sert d’intermédiaire vers, soit une formation, un stage, soit la mise à disposition du chômeur pour un patron dans son bassin d’emploi, gratuitement ou presque, sur le mode de la « prestation de services ». Cette mesure s’apparente par ce biais à du travail forcé en échange des allocations Le signataire de ce contrat n’est donc plus considéré comme un chômeur, son contrat n’est rattaché à aucune des garanties collectives arrachées dans les branches par le combat de la classe ouvrière. C’est, il faut le souligner, l’ébauche de la « sécurité sociale professionnelle » que propose la direction de la CGT.

C’est un jalon pour « mettre en pièce le contrat de travail », le CDI, ainsi que nous l’avons écrit dans notre précédent numéro. Or tel est précisément le contenu de la prétendue « bataille pour l’emploi » du gouvernement Chirac-Villepin.

 

Nous avions souligné dans notre précédent éditorial que sur cette question du CTP, le patronat comme les syndicats avaient été pris de court par le gouvernement. Mme Parisot se déclarant même « choquée » de découvrir après la presse le contenu de ce CTP. Idem pour les directions syndicales. Villepin pouvait se sentir conforté : nulle réaction sérieuse ne venait menacer un tant soit peu le « CTP ». Tout était en place pour dévoiler brutalement l’artillerie de la « deuxième étape ».

 

La décision de s’affranchir de la concertation préalable à l’annonce du C.P.E ne tombe donc pas du ciel. Elle est dans le prolongement direct de ce qu’a signifié l’instauration de l’état d’urgence, en prétextant de l’action montée en épingle des petites meutes réactionnaires dans les quartiers: une tentative pour renforcer le caractère bonapartiste du régime, le signal d’un nouveau durcissement de l’offensive anti-ouvrière.

Pour autant, il ne faut pas s’y tromper : cela ne signifie en rien que le gouvernement décide d’en finir d’une manière générale avec le « dialogue social », au contraire puisque toute la troisième étape  du plan gouvernemental repose sur celui-ci, on l’a vu. Villepin le rappellera à l’Assemblée nationale le 25 janvier :

« Le dialogue social, je l'ai engagé dès le premier jour de mon arrivée au Gouvernement et depuis, je n'ai pas cessé de le pratiquer : dialogue direct et officiel, rencontres informelles, tout le temps ! »

Mais réussir à se passer des dispositifs de concertations avec les directions syndicales, alors que ceux-ci furent systématiquement utilisés depuis 2002 et avant, signifierait incontestablement un renforcement de la capacité d’action et de manœuvre des gouvernements au service du capital.


Loi sur « l’égalité des chances » au parlement : le gouvernement accélère encore
pour couper l’herbe sous le pied à toute opposition


Il fallait donc pour Villepin agir vite et bien – de son point de vue. C’est logiquement, on l’a dit, dans la loi sur « l’égalité des chances » que le C.P.E. venait s’insérer, sous forme d’amendement.

Cette loi rassemble les mesures annoncées par le gouvernement au terme des violences qui ont secoué les banlieues, mesures plus réactionnaires les unes que les autres (voir aussi l’article enseignant de ce numéro).

Un supplément à CPS du 22 janvier les résumait :

« Ce projet de loi prévoit– recul historique ! – de liquider l’obligation scolaire jusqu’à 16 ans en instaurant l’apprentissage dès 14 ans. Il prévoit aussi – sous prétexte de réponse à la « crise des banlieues », d’y élargir le recours à un autre contrat (« jeune en entreprise ») totalement exonéré de charges sociales. Il crée de nouvelles « zones franches ». Ce projet prévoit aussi un dispositif permettant de supprimer les allocations familiales aux parents de « délinquants » … ou désignés comme tels par la Police, comme les centaines de jeunes condamnés arbitrairement en novembre dernier dans les quartiers populaires. »

 

Jusqu’au terme de son parcours parlementaire, le sort du C.P.E. se trouvait lié au sort de la loi sur « l’égalité des chances », sans lequel pourtant il est plus que vraisemblable qu’elle serait passée comme une lettre à la poste malgré sa profonde nocivité. Ainsi, lors du débat parlementaire il est apparu qu’elle permettait le travail de nuit des enfants à partir de 15 ans. Mais l’élément central, autour duquel se nouait le sort de la « seconde étape » de la « bataille pour l’emploi » en fait du programme du gouvernement Chirac-Villepin, c’est le C.P.E.

 

Le gouvernement décidait de déclarer l’urgence, de faire examiner ce projet avant celui sur la recherche, dès le 31 janvier 2006. Le but : prendre toute opposition éventuelle de vitesse, et utiliser le calendrier des vacances scolaires pour faire voter la loi, avec en prime le recours la procédure d’urgence qui permet de limiter à une lecture l’examen du projet. Cette procédure d’urgence a été enclenchée préventivement, à l’annonce de la tenue d’une réunion unitaire de l’ensemble des confédérations syndicales.

 

Le 24 janvier, en effet, l’ensemble des dirigeants des organisations syndicales ouvrières, ceux des organisations étudiantes et lycéennes, se réunissent au siège de FO. A se moment, la direction CGT a déjà prévu une journée d’action… sans grève (!) le 31 janvier, jour qui est précisément celui de l’ouverture de la discussion parlementaire. Les dirigeants des fédérations de fonctionnaires ont prévu une journée de grève le 2 février sur la question des salaires.

Pas question pour les bonzes syndicaux de changer leurs plans bureaucratiques à cause du C.P.E !

 

Ils présenteront donc en façade un front uni pour exiger le « retrait du C.P.E. », complété sur son propre plan par le collectif « Stop C.P.E » qui rassemble depuis le 19 janvier l’UNEF, Sud-Etudiants, l’UNL, les Jeunes CGT, le MJS, la JC et l’UEC, les JCR, Jeunes Verts et radicaux de gauche. Unis… pour appeler à une journée d’action, sans mot d’ordre clair de grève,  … le 7 février, c’est-à-dire une fois commencés et les vacances scolaires, et l’examen parlementaire du projet de loi.

Le gouvernement pouvait donc le faire voter dans une certaine sérénité, sans être confronté à la seule réponse possible, la manifestation à l’Assemblée nationale, avant que le vote n’intervienne.  D’autant qu’à cette étape, malgré l’unité de façade réalisée par l’ensemble des organisations syndicales, le climat dans les universités notamment est « verglacé », pour utiliser l’expression d’une étudiante de Nanterre reprise dans libération. De facto, les manifestations du 31 janvier, puis du 7 février, rassemblent peu, essentiellement des lycéens, et encore en nombre inférieur à celui des manifestations de l’année précédente contre la loi d’orientation sur l’éducation nationale (environ 200 000 manifestants éparpillés aux quatre coins du pays). Mais, dans deux ou trois universités, et notamment celle de Rennes, des Assemblées générales massives se tiennent.

 

La réunion du 10 février des dirigeants confédéraux convoque  une journée nationale d’actions le 7 mars, avec … ou sans appel à la grève, suivant les confédérations !

Or, à ce moment on sait depuis plusieurs jours que c’est la date du mardi 21 février qui doit voir le projet de loi doit être voté au parlement. La question de l’appel à la manifestation à l’Assemblée devrait en couler de source - ce que n’interdit pas une seule seconde les vacances scolaires pourvu que les directions confédérales se donnent les moyens de réussir.

Mais les dirigeants se refusent à y appeler. A l’assemblée nationale, les députés PS et PCF multiplient les amendements et les artifices de procédure. Villepin, désireux d’en finir, utilise une autre arme qui fait partie de l’arsenal bonapartiste de la cinquième république : le 49-3.

Surprise : ni les députés PS, ni les députés PCF, ne déposent de motion de censure contre le projet de loi, au profit d’une motion de censure plus générale. Résultat : le projet de loi d’égalité des chances est considéré comme adopté sans vote, le 10 février, et transmis au Sénat.


Amorce d’un mouvement dans les universités


Jusqu’ici, après trois semaines, la situation dans les universités n’offre pas motif d’inquiétude pour le gouvernement. Mis à part Rennes, théâtre d’Assemblées générales massives, ailleurs celles-ci restent très faibles. Le 15 février, selon l’Unef, 5 universités sont en grève. Et encore ! L’utilisation du blocage des bâtiments pour contraindre les étudiants à aller dans les assemblées générales ne traduit pas, c’est le moins qu’on puisse dire, une position de force. Bien entendu, le milieu étudiant n’est plus celui d’il y a vingt ans, il est plus fragmenté et éclaté que jamais, des centaines de milliers d’étudiants sont par ailleurs salariés pour payer leurs études. Néanmoins, le rapport de force n’est pas en faveur des grévistes. Au lendemain de la journée de manifestations du 16 février, Libération peut titrer sardoniquement « la lutte anti-CPE sans troupes et sans allant », précisant « le front anti-CPE prend surtout la forme de poches de résistance ici et là (…)Les séquelles du mouvement lycéen de l'an passé sont bien là. Et viennent s'ajouter à celles du mouvement des enseignants de 2003. »

 

La rentrée des universités parisiennes semble ne pas devoir démentir cette appréciation, avec des Assemblées générales qui dans la plupart des cas ne dépassent pas 200 à 300 participants. Le 23 février, le premier mars, les cortèges restent maigrelets, surtout, en région parisienne, rapportés au nombre d’étudiants. Mais, comme s’ébrouant après des années de relative inactivité, ce sont progressivement une dizaine d’universités qui vont se retrouver, sinon en grève, du moins bloquées en tout ou partie suite à des assemblées générales significatives. Des comités de grève se mettent en place (comme à Censier).

 

Une coordination étudiante embryonnaire se réunit à Rennes, puis à Toulouse et commence à servir d’élément de centralisation. Néanmoins la direction de l’Unef, réapparaissant comme par enchantement et occupant illico un rôle central, garde les mains totalement libres par rapport à celle-ci tout en y participant. Début mars, une douzaine d’universités connaissent des assemblées générales significatives. Mais la coordination qui se réunira le 4 mars à Jussieu fait un long inventaire des universités engagées dans cette « drôle de grève », pour reprendre le titre d’un article du Monde, dans lesquelles les Assemblés générales ne dépassent pas 300 personnes, quand ce n’est pas moins.


Le gouvernement tient son cap: privatisation totale de GDF, « pacte pour la recherche »


Pendant ce temps, le gouvernement ne perd pas le nord de sa boussole, qui est la satisfaction des appétits du capital financier. Le 25 février, Villepin annonce l’achèvement brutal et rapide de la privatisation de GDF. Le prétexte est une Opa italienne qui n’en restera d’ailleurs qu’au stade de rumeur, sinon de manipulation. Dégainant le « patriotisme économique », Villepin y oppose un projet de fusion GDF/Suez dont on imagine bien qu’il était discuté peut être même depuis le changement de statut de GDF. On se souvient de la « garantie » qu’avait donné en 2004 le gouvernement sur le seuil de 70% de participation pour l’Etat prévu par la loi, et que les dirigeants syndicaux CGT notamment avaient appelé les agents à prendre comme argent comptant !.. La loi sera donc changée, sauf intervention des personnels, et Suez deviendra le premier concurrent d’EDF sur le territoire (car Suez produit aussi de l’électricité). Le grand capital met pleinement la main sur GDF. Or, le premier mars se tient une première réunion des fédérations syndicales de l’énergie au terme de laquelle elles déclarent : « Nous ne sommes pas parvenus à nous mettre d'accord ».

 

En passant, soulignons l’ambiance fraternelle qui règne au sein de l’Union Européenne, en particulier depuis le rejet du traité « constitutionnel ». Le ministre de l’industrie italien déclare « Si le néo-protectionnisme prévaut, alors le destin économique et politique de l'Union européenne sera compromis ». Son collègue de l’économie de renchérir « Nous avons encore du temps pour empêcher les Etats de l'Union européenne d'ériger des barrières nationales. Sinon, nous risquons l'effet d'août 1914 » !

 

Fin février, après que le Sénat s’en soit occupé, l’Assemblée nationale se penchait à son tour sur la loi sur la recherche à compter du 28 février, projet qui, notamment au travers des Pôles de Recherche et d’Enseignement Supérieur (Pres), de « pôles de compétitivité », organise la mise en concurrence des chercheurs et leur passage sous la coupe des entreprises, mais constitue aussi par ricochet un pas en avant vers l’autonomie totale des universités. A noter : le nom de ce projet de loi est « pacte », parce qu’il est issu d’une immense concertation dont le moteur aura été « sauvons la recherche ». Il est voté sans encombres.

Le gouvernement tient son cap, Villepin poursuit l’offensive sabre au clair et le Medef, au départ dubitatif sur le C.P.E. (cf. les propos de G.Larcher rapportés plus haut), fait bloc derrière le gouvernement. C’est pour une raison simple, que Mme Parisot  va donner sans finasser: la situation économique l’exige. Le Figaro du 20 février rapporte ainsi les termes alarmistes sa conférence de presse, qui s’inscrit totalement dans la perspective de la « troisième étape » qu’annonce le CPE.

« Les chiffres de l'Insee attestant que la France a tourné au ralenti fin 2005 n'ont guère étonné les chefs d'entreprise, a-t-elle confié. Hormis dans l'immobilier, le BTP et les services aux entreprises, les marges des entreprises se sont «affaiblies, voire effondrées».(…)

Surtout, l'autofinancement aurait chuté de 15,3% à 15,1%, son plus bas niveau depuis 1994. Le tableau contraste avec l'optimisme du gouvernement qui croit au rebond. (…)Au-delà de ces indices conjoncturels en dents de scie, le Medef fait état de trésoreries très tendues dans les PME et d'un endettement des entreprises en hausse de 6% en 2005. (…)

 

C'est dans ce contexte que Laurence Parisot a salué tout à la fois le plan Borloo de services à la personne et la nouvelle version de la directive Bolkestein qui est «dans l'intérêt des PME françaises». Oubliées aussi les «réserves» émises il y a quelques jours sur le CPE (…).

Au lendemain d'un conseil exécutif animé sur la question, la présidente du Medef a fait amende honorable, reconnaissant «beaucoup de choses formidables dans l'approche du gouvernement pour encourager le travail et faire un pas vers la flexibilité». Et lui sachant gré «d'avoir fait en sorte que la question du contrat de travail ne soit plus taboue». Le Medef a constitué en son sein un groupe de travail pour faire un recensement de ce qui existe et un diagnostic «de ce qui marche et de ce qui ne marche pas» avant de faire des propositions qu'il souhaite discuter «publiquement», et peut-être aborder en même temps que la mise à plat de l'assurance-chômage. »

 

A ces données il faut ajouter la persistance du déficit commercial : « Deux jours après la publication d'un excédent record en Allemagne (160 milliards d'euros), la France a annoncé, vendredi 10 février, un déficit historique de sa balance commerciale. Celui-ci s'est établi à 26,4 milliards d'euros, après 8,3 milliards d'euros en 2004. En un an, il a plus que triplé. » (le Monde, 10 février), ou encore les menaces qui pèsent sur les grands groupes comme Arcelor, menacé d’être racheté par le groupe Mittal Steel. Les préoccupations du patronat ne sont pas feintes.

 

Le 6 mars, le Sénat adopte le projet de loi sur l’égalité des chances. Ne reste plus que la formalité de la commission paritaire mixte. Il faut préciser que l’adoption de ce projet de loi n’empêche pas plus l’abrogation du Contrat première Embauche que l’adoption de la loi quinquennale pour l’emploi n’avait empêché en 1994 que les C.I.P., qui en faisaient partie, soient abrogés. Mais ce vote est évidemment un point marqué par le gouvernement, pour lequel, jusqu’ici, tout se déroule comme prévu. Complique également ô combien la tâche des étudiants mobilisés le dispositif de journées d’actions à répétition prévues par la coordination et l’Unef. Les lycéens n’y ont pas résisté et sont rentrés.


Le 7 mars : des centaines de milliers manifestent, l’Unef appelle à la grève jusqu’au retrait


Mais les manifestations du 7 mars, convoquées dans l’unité de toutes les organisations syndicales, sont significatives et marquent une modification de la situation. Le nombre de manifestants avoisine ceux réunis le 4 octobre par les directions syndicales (175 manifestations – quelle dispersion !) avec cette fois-ci l’appoint non négligeable de la jeunesse étudiante qui forme une fraction importante des cortèges. Et surtout, avec cette différence fondamentale que, en octobre, aucun mot d’ordre, aucun combat, ne structurait les cortèges, alors que le 7 mars met lui à l’ordre du jour le combat pour infliger une défaite au gouvernement en lui faisant rentrer son CPE dans la gorge.

Pour autant qu’on puisse en juger, la grève n’est pas fortement suivie parmi les salariés sauf rare exception (le chiffre officiel, donc minoré, fait ainsi état de 9% de grévistes dans la fonction publique).

 

Cependant il est clair que les appareils syndicaux ont mobilisé leurs troupes, pour les manifestations, notamment la direction Force Ouvrière qui avait, contrairement à celle de la CGT lancé un appel confédéral à la grève. Pourquoi ? C’est que pour les appareils syndicaux, avec leurs propres méthodes et objectifs, l’enjeu est réel.

Répétons-le : le gouvernement a décidé sur cette question du C.P.E. de s’affranchir de la concertation préalable, quitte à « choquer » Mme Parisot, quitte à s’attirer en permanence dans le débat parlementaire le reproche des députés PS et PCF de ne pas avoir respecté les termes de la loi Fillon sur le dialogue social, laquelle fait de la concertation une obligation.

 

L’enjeu premier pour les directions syndicales CGT et FO, c’est rien de moins que de défendre leur place dans la société capitaliste, de faire valoir qu’effectivement, sans leur concours, sans la concertation, le gouvernement ne saurait se sortir indemne d’une lutte de classe un tant soit peu sérieuse. S’ajoute pour la direction CGT la proximité du congrès confédéral de Lille (voir dans ce numéro) à l’orée duquel elle ne peut se permettre des signes de faiblesses trop ostensibles, qui risqueraient d’entraver la nouvelle étape qu’elle veut faire franchir à la confédération (la CFDT également prépare son congrès pour juin).

Pour autant, ils n’ont pas changé de politique et de moyens : pas question pour eux de remettre en cause le gouvernement UMP, pas question pour eux de recourir à autre chose que des journées d’action soigneusement cadrées et limitées.

 

Ils ne sont seuls à se situer ainsi. Comment en effet comprendre autrement l’éditorial d’informations ouvrières du 9 mars qui se conclut :

« A poursuivre dans cette voie, ceux qui nous gouvernent ne laisseraient pas d’autre choix aux travailleurs et à la jeunesse, unis, que la grève, la grève générale, interprofessionnelle, dans l’unité travailleurs-étudiants-lycéens et organisations pour la satisfaction des revendications.

A moins que… le CPE ne soit purement et simplement retiré, maintenant, sans délai.  Qui peut nier que ce serait la solution la plus simple? Qui peut nier que ce serait là le respect de la démocratie ? Saura-t-on le comprendre en haut lieu ? »

La « grève générale interprofessionnelle » (donc pas politique), dont on ne sait trop ici si elle doit être de 24 heures ou illimitée, est carrément présentée comme une menace qu’il s’agirait d’éviter ! Et quel est le personnage dont le « haut lieu » est le pseudonyme ? Jacques Chirac. Et c’est précisément vers celui-ci que se tourne le bureau confédéral de Force Ouvrière, réuni le 8, dans des termes quasi identiques :

« S'ils sont effectivement et sincèrement soucieux d'écoute, de démocratie et d'apaisement, il est nécessaire qu'ils renoncent à la mise en place du CPE. L'exercice de la responsabilité politique implique des choix, la démocratie suppose qu'ils puissent être révisés lorsqu'ils n'emportent pas l'adhésion.

C'est pourquoi le Bureau Confédéral de Force Ouvrière en appelle solennellement non seulement au gouvernement mais aussi à la plus haute autorité de l'Etat, le Président de la République, pour que la sagesse et la raison l'emportent. »

Quelques jours plus tard, en écho, le collectif « stop cpe », JCR incluses, fera aussi appel à Chirac, en tant que « garant de l’unité nationale ».

 

L’après-midi du 7, à l’Assemblée, Villepin appelle les organisations syndicales à préparer avec lui la suite de son programme, comme prévu, sous couvert « d’améliorer le CPE» :

« je suis prêt à l'enrichir de toute proposition nouvelle dans le cadre de la troisième phase de la bataille de l'emploi (…) Jean-Louis Borloo et Gérard Larcher ouvriront une large concertation dès la semaine prochaine »

 

Au soir de ces manifestations, un fait important se produit. Bruno Julliard, président de l’Unef (et membre du PS) appelle tous les étudiants à « se mettre en grève jusqu’au retrait ». De fait, très rapidement, le nombre d’universités touchées par la grève et les blocages grimpe en flèche, 38 (sur 88) le 8 mars contre 18 deux jours auparavant, à en croire l’Unef – à noter que le caractère de cette « drôle de grève » permet à l’AFP d’affirmer exactement le contraire.

Mais, tandis que les directions syndicales vont décider de convoquer sur proposition de la Cfdt une journée de manifestations pour le 18 mars, un samedi, afin de ne pas avoir à appeler à la grève, dans les jours qui suivent, le développement d’un réel mouvement étudiant est incontestable, et va poser de nouvelles questions politiques.


Le combat pour la manifestation centrale à paris, au siège du pouvoir…


Le 8 mars, l’Assemblée nationale adopte définitivement le texte issu de la Commission paritaire mixte. Villepin a prévenu ceux qui, à l’UMP, profitent de la situation pour se disposer en perspective de la présidentielle 2007 : capituler sur le CPE serait perdre la présidentielle, quel que soit le candidat. Tous n’en sont pas convaincus. Mais c’est Villepin qui dirige, et annonce que « dans les prochaines semaines » les premiers contrats seront conclus. L’éditorial du figaro du 10 le soutien sans état d’âme :

« Avis aux hésitants : dans l'affaire du CPE, c'est un peu du destin de la droite qui se joue. Un texte, si nécessaire soit-il, ne saurait évidemment valoir à l'actuelle majorité une quelconque assurance de victoire en 2007. En revanche, un recul en rase campagne serait le pire des préambules avant le grand rendez-vous. Avec François Fillon, Nicolas Sarkozy l'a bien compris qui, sourd aux conseils de ceux qui lui suggèrent de prendre ses distances pour se concilier la jeunesse, vient de réaffirmer sa solidarité avec le gouvernement. »

 

Les ouvertures se multiplient en direction des directions syndicales. Mais en la matière, c’est l’Unef, aussi petite soit-elle, qui donne le ton « On ne discutera pas avec le gouvernement avant le retrait et l'abrogation du contrat » (Julliard), position reprise avec une nuance d’importance par J-C.Mailly le 10 : « la condition minimale à une reprise du dialogue, c’est une suspension ». Suspendre des décrets – surtout quand ils n’ont pas été publiés – ce n’est pas retirer purement et simplement le C.P.E. Ca peut même être le contraire : ainsi la loi Fillon fut-elle « suspendue » quelques jours après le référendum de mai 2005 avant de … retomber sur les enseignants, telle qu’en elle-même.

 

Le développement de la mobilisation étudiante pose la question de sa centralisation pour affronter et vaincre le gouvernement : de la manifestation à Paris, au siège du pouvoir. Dès le 7, l’Assemblée générale de Lyon-II vote la motion suivante :

« L’assemblée générale se prononce pour le principe de l’organisation d’une manifestation massive, centrale, à Paris pour arracher au gouvernement le retrait du C.P.E. Elle s’adresse à l’ensemble des confédérations et fédérations syndicales investies dans le mouvement contre le C.P.E. pour définir les modalités pratiques de l’organisation d’une telle manifestation. »

Le 11 à Poitiers se tient la coordination étudiante, composée de délégués élus dans les universités, dans lesquelles les comités de grève se constituent. Son communiqué final est un véritable fourre-tout contradictoire: elle parle « grève reconductible totale » pour les « jeunes travailleurs », démultiplie les journées d’actions au rythme maintenu de deux par semaines. Mais elle fixe aussi un objectif et une date : « nous sollicitons les syndicats que le 23 mars soit une journée de grève interprofessionnelle et de manifestation centrale à Paris ». Paris, en réalité le siège du pouvoir, du gouvernement et de l’Assemblée nationale, voilà l’objectif qui commence à se dégager.

Pour autant, à l’initiative de l’Unef qui ne tient aucunement à avoir les mains liées, la coordination repousse la proposition d’envoyer une délégation à la prochaine réunion des organisations syndicales pour leur demander leur soutien. Partout où il est soumis au vote des Assemblées générales, l’appel aux directions des confédérations pour qu’elles appellent à cette manifestation centrale à Paris est repris, par exemple dès le 13 mars à Clermont-Ferrand, le 17 à Jussieu. Or celles-ci ont annoncé qu’elles se réuniraient le 18 au soir.

Le 16 mars, les manifestations convoquées à l’initiative de la coordination rassemblent des dizaines de milliers d’étudiants, des centaines de milliers de manifestants. Cette mobilisation empêche que joue l’effet recherché par les directions confédérales lorsqu’elles avaient appelé à des manifestations le samedi 18 après midi, à savoir faire ressortir l’isolement de la jeunesse étudiante et lycéenne et ainsi l’affaiblir.

Néanmoins cet isolement persistant alors que le C.P.E n’est pas l’affaire de la seule jeunesse, produit ses fruits pour l’instant en marge : des affrontements épars qui prêtent le flanc à la répression, et créent progressivement les conditions propices à toutes les provocations gouvernementales. Le 18 au soir, un militant syndical de Sud-PTT est piétiné par les CRS et sombre dans le coma. La réaction des organisations syndicales ouvrières est pour le moins d’une retenue extrême.

 

Le 16, au soir, l’Assemblée générale, massive, de Clermont Ferrand adopte le texte suivant :

« Adresse aux organisations syndicales, à l’UNEF, à la FSU, à la CGT et à FO

 Vous vous réunissez au soir du 18 mars à Paris : si le gouvernement n’a pas annoncé l’abrogation du CPE à ce moment là, répondez favorablement à l’appel de la coordination nationale, appelez à la grève, à la montée en masse des étudiants, lycéens, travailleurs, à Paris, au siège du gouvernement, le 23 mars, organisez-là.

C’est cela, le soutien réel aux étudiants et lycéens aujourd’hui mobilisés ». 


…et son sabotage


Les manifestations du 18 mars sont massives, plus d’un million de personnes, 1 500 000 selon la direction de la CGT, défilent, dans une ambiance cela dit marquée par l’absence de mot d’ordre de grève

 

Il faut préciser que la coordination n’appellera clairement elle-même à manifester à Paris qu’au lendemain des manifestations du 18 mars, tout en décidant de fixer la destination de la manifestation à l’Assemblée nationale, pour poser la question du pouvoir.

Bien que votant pour dans la coordination, la direction de l’Unef sera quasiment muette publiquement sur l’appel à une manifestation centrale et nationale d’une montée nationale à Paris. Elle ne va pas être la seule. Ni la LCR, ni LO, pourtant présents à la coordination, ne populariseront l’appel à manifester à Paris. Les lambertistes de leur côté, via leur « Comité pour un vrai syndicat étudiant », reproduisent dans un « communiqué national » du 13 mars l’appel de la coordination de Poitiers… à la seule exception du membre de phrase (cité plus haut) appelant à la montée à Paris !

Si les dirigeants lambertistes pointent sans cesse Bruxelles du doigt : c’est pour ne pas remettre en cause le gouvernement, ravalé régulièrement dans la presse du PT au rang d’exécutant des « directives européennes».

 

Or précisément le contenu potentiel de la manifestation du 23 à l’Assemblée, c’est de poser la question du pouvoir, du gouvernement.

Voilà pourquoi tous les appareils, grands et petits, vont se dresser contre elle et organiser son sabotage méthodique alors même que les militants de ces organisations sont favorables à la centralisation du combat contre le gouvernement. D’un côté : black out, refus d’organiser la montée autrement que de délégations symboliques. De l’autre : le dispositif des directions confédérales qui se réunissent, toujours dans l’unité, au soir du samedi 18 et … décident d’attendre le lundi.

 

Elles décident alors de ne pas soutenir l’appel de la coordination, et organisent une nouvelle journée d’action … le 28. Avec cette précision : « Réfutant ce terme de "grève générale" à "connotation insurrectionnelle", le responsable de FO, René Valladon, a évoqué le jeudi 28 mars comme "premier jour possible", pour une éventuelle journée de grèves, compte tenu du préavis à respecter dans la fonction publique. ». Traduction de Gérard Aschieri : « Dans le public se sera 24 heures de grève et dans le privé ce sera des arrêts de travail flexibles ». Voilà qui laisse du temps pour toutes les manœuvres, et pour le pourrissement. Maryse Dumas déclare : « Il ne faut pas non plus d'impatience quand on conduit un grand mouvement. (…) Villepin a engagé une course de vitesse et nous une course de fond. ». La presse s’alarmait d’un « ultimatum » de « grève générale ». Les dirigeants syndicaux rassurent. Le lendemain, Villepin peut donc clamer grâce eux : « ni retrait, ni suspension, ni dénaturation », pas question de « capituler »


Les appareils syndicaux organisent la reprise du dialogue


Chirac avait été sollicité par la totalité des directions syndicales et des organisations de jeunesse du collectif stop-cpe. Chacune de ses interventions publiques, quasi quotidiennes, n’aura qu’un objectif : appeler à la concertation – et aussi au soutien par la totalité de l’UMP à Villepin (« cela va de soi » dira Chirac).

 

En effet, sous l’effet de cette situation marquée avant tout par l’absence de concertation et les difficultés qui en découlent pour le gouvernement, devant aussi la persistance des manifestations et des blocages des universités, dans la bourgeoisie on reproche à voix haute à Villepin de s’être dispensé du dialogue social.

Ainsi les présidents d’universités appellent-ils à la « suspension » du C.P.E. pour permettre la réouverture de leurs universités.

Ainsi le journal Le Monde du 20 mars, dans un éditorial  titré « attention danger », écrit :

« Il n'est nul besoin d'être de gauche ni de figurer parmi les détracteurs du contrat première embauche (CPE) pour en venir à la conclusion que la méthode de Dominique de Villepin - le passage en force - est la plus mauvaise qui soit. »

Deux jours plus tôt le même journal critiquait: « Dominique de Villepin aggrave le cas des réformes au lieu de convaincre le pays de leur bien-fondé ».

 

Au passage, soulignons que si la concertation est rompue sur le C.P.E., elle se poursuit sur d’autres sujets. Ainsi les confédérations participent-elles toutes à un groupe de travail sur le « toilettage » du code du travail pour son centenaire, prétexte en réalité, selon les dignes représentants confédéraux, pour affaiblir les protection des travailleurs. « Ce qui est en cours, c’est la mise à plat du Code du travail, et l’écriture d’un texte nouveau qui en modifie substantiellement le contenu, le sens général et l’interprétation jurisprudentielle qui en sera faite », déclare le représentant CGT dans l’Humanité du 23/02 pour décrire l’opération à laquelle il s’associe. Le 17 mars, c’est cette fois-ci dans le cadre du conseil supérieur de la participation, où il est venu présenter le projet de loi sur la participation, que Villepin retrouve les représentants des confédérations.

 

C’est cette antienne de dialogue social que, à fronts curieusement renversés, les partisans de Sarkozy, théoriquement partisans de la « rupture » pour 2007, vont reprendre de plus en plus – tout en continuant de soutenir quant au fond le C.P.E. : « la refonte du contrat de travail ne peut se faire que dans un dialogue social approfondi » dira Devedjian, regrettant les « choix aventureux » de Villepin, avant que Sarkozy propose une « expérimentation » pour six mois du C.P.E.

 

Après les manifestations du 18, le nombre de lycées bloqués s’accroît de manière exponentielle. Mais en parallèle réapparaissent les méthodes qui avaient été employées pour liquider les manifestations contre la loi Fillon en 2005 : l’emploi de petites meutes de malfrats réactionnaires qui attaquent les manifestations, mais pas seulement. Le 23, ils sont présents par centaines pour casser la manifestation étudiante et lycéenne à Paris, et sont à deux doigts de faire stopper le cortège, et s’attaquent aux manifestants avec la complaisance remarquée de la police, mais surtout à cause de la présence a minima des services d’ordres des organisations syndicales ouvrières qui ont les moyens de balayer de tels agresseurs, de faire respecter le droit à manifester. Décidément, pour le gouvernement, même totalement vidée de sa force, la manifestation à l’Assemblée nationale doit être sabotée jusqu’au bout.

Quand on ne trouve pas de voyous pour attaquer les manifestations, la police fait le travail elle-même. Ainsi, l’intersyndicale de Clermont-ferrand rapporte-t-elle au soir du 18 mars:

 « samedi, sans raison valable, les forces de l’ordre ont chargées dès le départ des adultes (matraque et gaz ) ce qui a donné une trentaine de blessés (dont un enfant de cinq ans qui a passé sa nuit aux urgences), plusieurs interpellations dont des mineurs… »

Ce n’est pas tout : en région parisienne notamment, de petites bandes s’infiltrent dans les manifestations de lycéens et attaquent, détruisent et mettent parfois à sac quand ils le peuvent des établissements scolaires, semant la panique autour d’eux. Le 24, c’est le centre-ville de Saint-Denis est attaqué.

 

En quelque sorte, et le gouvernement en porte la totale responsabilité, des relents du climat qui présida à l’instauration de l’Etat d’urgence apparaissent.

Ceci va être le levier permettant au gouvernement pour renouer le dialogue avec les directions syndicales, comme le relate Libération du 24 mars :

« Tout commence mardi par un coup de téléphone de François Chérèque à Bernard Thibault. «J'allais t'appeler», répond le secrétaire général de la CGT à son homologue de la CFDT. Thibault s'inquiète du risque de voir les manifestations étudiantes et lycéennes dégénérer et finir en drame. Jean-Claude Mailly, qu'ils appellent, partage cette inquiétude et confirme qu'il est partant pour une démarche unitaire. (…)

 

La rencontre de cet après-midi à Matignon ne sera qu'une première prise de contact.(…) Le but de la rencontre est avant tout de préparer l'après 28 mars et une sortie de crise rapide. Syndicats et gouvernement ont conscience qu'un pourrissement du conflit serait un scénario catastrophe et que l'opinion ne leur pardonnerait pas de ne rien avoir tenté pour l'éviter. »

 

Le 24, donc, les cinq confédérations se rendent à Matignon pour cette première prise de contact, piétinant leurs propres engagements à ne pas dialoguer avant le retrait du C.P.E. Mais la rencontre tourne court. Chirac ayant annoncé dès avant celle-ci, depuis Bruxelles, que « la loi s’appliquera ».

Les dirigeants confédéraux ne peuvent à cette étape « plonger ». Il faut ajouter que les organisations syndicales étudiantes et lycéennes vont-elles carrément refuser de rencontrer le gouvernement, ce qui complique la tâche des directions confédérales qui cherchent à reprendre le dialogue.


Pour vaincre le gouvernement Chirac-Villepin-Sarkozy,
tirer les premières leçons du combat contre le C.P.E.


Ces lignes sont écrites quelques heures avant la grève du 28. Le gouvernement à cette heure maintien tout, tout en cherchant à rouvrir la porte de la concertation avec les dirigeants syndicaux. S’il tient ainsi, c’est qu’il compte sur la volonté des dirigeants syndicaux d’éviter tout affrontement véritable. Au besoin, il pourra se servir du Conseil constitutionnel à loisir pour permettre d’atteindre son objectif, qui est la refonte totale des contrats de travail, dans le cadre de la « troisième étape » de son plan. Mais encore lui faut-il franchir, d’une manière ou d’une autre, la deuxième. Ce n’est pas écrit. Il s’agit pour l’en empêcher de tout faire pour arracher l’abrogation du C.P.E.

 

Une première démonstration est faite : la concertation, l’association des directions syndicales à la mise en œuvre de la politique du gouvernement, lui demeure indispensable pour faire passer sa politique – et le bilan de la tentative de Villepin de s’affranchir de cette contrainte n’est pas fait pour convaincre la bourgeoisie du contraire.

 

La deuxième démonstration qui est faite est que la réalisation, même formelle, de l’unité des organisations syndicales, et sur leur propre plan, des partis issus du mouvement ouvrier, sur une revendication claire de retrait d’un plan gouvernemental, est un levier puissant pour la mobilisation contre les projets gouvernementaux.

 

Plus que jamais, cela doit pousser à se regrouper, s’organiser, pour militer comme le fait le Cercle pour la construction du parti ouvrier révolutionnaire, pour la rupture des organisations ouvrières avec les capitalistes, pour réaliser le front unique des organisations du mouvement ouvrier contre le gouvernement Chirac-Villepin et leur « majorité » UMP, pour en finir avec eux.

Mais on ne peut en rester là. La situation est telle que, au soir du 28 mars, il ne restera qu’une seule alternative. Soit les directions syndicales capitulent devant le gouvernement ou tout du moins lui permettent d’engager une manœuvre lui évitant de subir une défaite politique, soit, en appelant ensemble à la grève générale pour permettre la montée en masse, à un million et plus à Paris, au siège du pouvoir, pour imposer l’abrogation du C.P.E, ils s’orientent pour lui infliger une défaite décisive. Telle est la question qui est posée aujourd’hui.

 

Dans un tract diffusé le 28 mars, nous concluons :

« Etudiants, travailleurs, jeunes. Les revendications ne s’arrêtent pas à l’abrogation du C.P.E.  Mais si le gouvernement ne capitule pas en retirant le C.P.E., alors aucune revendication ne pourra être satisfaite. S’il ne subit pas une défaite, alors inévitablement il reprendra l’offensive et continuera de semer le malheur et la misère dans le pays.  S’il est battu, les conditions seront propices pour chasser Chirac, son gouvernement, sa « majorité » UMP, porter au pouvoir un autre gouvernement, un gouvernement d’unité des organisations du mouvement ouvrier, sans représentants de la classe capitaliste.

 

Assurer le droit au travail, c’est possible. Les besoins sont immenses. Orienter la production de façon à les satisfaire, recruter massivement dans les secteurs utiles, interdire les licenciements, diminuer le temps de travail pour que tous travaillent, avec un CDI pour tous, sans flexibilité ni précarité, voilà comment on peut vaincre le chômage ! Pour cela, il faut porter au pouvoir un gouvernement qui rompe avec la loi du profit, rejette les exigences des patrons et des marchés financiers, n’hésite pas à les exproprier.

 

Nous, militants du Cercle qui publie combattre pour le socialisme sommes convaincus que dans le combat pour infliger une défaite au gouvernement Chirac-Villepin-Sarkozy, pour imposer l’abrogation du C.P.E, peuvent se regrouper ceux qui contribueront à construire le parti nécessaire pour défendre cette orientation, le parti révolutionnaire, pour le socialisme.

 

Ne restez pas isolés ! Prenez contact ! »

 

C’est ce à quoi nous invitons tous nos lecteurs.


Le 24 mars

 

Additif du 30 mars.

Les directions syndicales réunies à Paris le 29 mars, au lendemain de manifestations d’une ampleur exceptionnelle ont décidé – sans être dérangés par les étudiants parisiens en grève - une autre journée d’actions pour le 4 avril. Ils ont explicitement écarté l’idée d’une manifestation centrale à Paris, et de l’appel à la grève générale. B.Julliard, président de l’Unef, a déclaré au sortir de cette réunion qu’il n’est question pour l’intersyndicale « ni de la démission du gouvernement, ni d’une défaite politique» ! Maryse Dumas (CGT) précisait elle que « le président de la République a les clés de la situation en main » - ce qui revient à les lui remettre.

 

Rassérénés par ces déclarations aussi peu belliqueuses, et aussi constatant le fait que la flamme étudiante n’a allumé l’incendie de la grève dans aucun secteur du prolétariat, le soir même, l’AFP rapportait que « les députés UMP ont resserré les rangs mercredi derrière Dominique de Villepin dans la crise du CPE, ravalant les inquiétudes qu'ils avaient exprimées la veille en se ralliant à une proposition de Nicolas Sarkozy. ». Le lendemain, le conseil constitutionnel a validé la loi sur l’égalité des chances. Chirac, ainsi mis en orbite, doit intervenir le 31 mars.

Ce que son entourage laisse filtrer n’étonnera pas les lecteurs de cet éditorial. D’une part : promulgation du CPE. De l’autre, proposition d’une grande négociation dont les conclusions pourraient se substituer au CPE. En d’autres termes : si les directions syndicales aident le gouvernement, grâce à la reprise du dialogue social, a réaliser la « troisième étape » de sa « bataille pour l’emploi », la casse du CDI, et rendent ainsi le CPE caduc, le gouvernement … en prendra acte.

 

Cela ne peut que renforcer l’exigence, tant qu’il en est encore temps, que soit convoquée la manifestation centrale en masse à Paris au siège du pouvoir, appuyée sur l’appel à la grève générale, pour imposer l’abrogation du CPE, posant ainsi ouvertement la question de chasser Chirac et son gouvernement. Mais aussi, comme tout l’indique, l’exigence que la concertation avec le gouvernement des destructeurs de tous les acquis ouvriers ne reprenne pas. Propager cette orientation, s’organiser autour d’elle, voilà ce que signifie à ce stade tirer les leçons du combat pour le retrait du C.P.E.

 

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ANNEXE : Supplément à CPS après l’intervention de Chirac

 

 

Contre les 3 millions de manifestants du 28 mars, Chirac a promulgué le C.P.E. 

Il propose une « concertation » sur une nouvelle loi … aménageant les détails du C.P.E. 

 

A bas le C.P.E !

A bas Chirac, Villepin, Sarkozy  et leur « majorité » UMP!

 

Le 28 mars, ce sont près de trois millions de manifestants qui ont défilé dans tout le pays pour exiger le retrait du C.P.E., et, avec ainsi porter un coup décisif qui briserait l’offensive du gouvernement UMP-UDF et du Medef.

Le 31 mars Chirac, retranché derrière la constitution bonapartiste de la 5ème république, a promulgué la loi qui crée le CPE. Chirac a aussi annoncé une autre loi, dans un certain délai, pour en modifier des détails.

Il manœuvre, mais maintient l’essentiel : un contrat dérogatoire pour la jeunesse, un contrat précaire pour la faire taire, la deuxième étape, après le CNE, pour casser tout le droit du travail en France.

 

Comment cela est-il possible ? Alors que des dizaines d’universités, des centaines de lycées, sont en lutte avec une détermination remarquable, alors que tout le mois de mars, ce sont des centaines de milliers de travailleurs et de jeunes qui ont répondu chaque fois plus nombreux à l’appel des directions à manifester et à faire grève, il faut répondre à cette question.

Ce sont les dirigeants syndicaux réunis le 29 mars après-midi à Paris qui ont à en répondre.

En effet ce sont eux qui ont décidé d’écarter ce que notamment, la coordination étudiante leur demande depuis des semaines, à savoir l’appel à la grève générale. Ils ont écarté l’appel à une manifestation nationale et centrale à Paris, au siège du pouvoir, là où des milliers de jeunes ont voulu se rendre le 31 au soir : l’Elysée, Matignon, l’Assemblée nationale.

 

Les directions syndicales CGT, FO, FSU, UNEF, etc., ont décidé de convoquer une nouvelle journée d’actions, à 4 jours du début des vacances scolaires. Pourquoi ? Ils ne veulent pas « infliger une défaite politique au gouvernement », dont ils « ne demandent pas la démission », a précisé au nom de tous, à l’issue de l’intersyndicale, Julliard (UNEF). Ils s’en sont tous remis à Chirac, tout comme l’a fait la « gauche unie » (PS, PCF, Verts, LCR…), laquelle vient de décider... le lancement d’une pétition ! Voilà pourquoi Chirac, appuyé sur son conseil constitutionnel, a promulgué la loi. Il a déclaré à son tour: « il ne doit y avoir ni vainqueur, ni vaincu ». Mais la loi est promulguée : le CPE est maintenu !

 

Si, il doit y avoir un vaincu : Chirac, son gouvernement, sa « majorité » UMP. Voilà ce que veulent l’immense majorité des travailleurs et de la jeunesse.  En engageant la préparation d’une nouvelle loi, ce que cherche Chirac, c’est à ce que soit renoué le « dialogue social ». Villepin, désireux de renforcer le caractère bonapartiste de la 5ème République en prenant appui sur les défaites infligées à la classe ouvrière à l’automne, s’était dispensé, pour passer en force. Mais la démonstration a été faite : sans concertation avec les directions des organisations syndicales le gouvernement peut se trouver face aux plus grandes difficultés politiques. Chirac a chargé Accoyer, chef du groupe parlementaire UMP, d’engager la concertation pour associer les directions syndicales, le PS, le PCF, à la future loi. Accoyer et Sarkozy ont déjà cherché à prendre contact.

La première responsabilité des dirigeants syndicaux, c’est de refuser toute concertation, toute coopération avec le gouvernement ou ses chargés de mission de la « majorité » UMP, ultra-minoritaire dans le pays.

 

Le gouvernement veut faire voter une deuxième fois le CPE, relooké, à l’Assemblée nationale ? On peut l’en empêcher !

Pour cela, la jeunesse, les travailleurs, doivent imposer aux directions syndicales tant qu’il en est temps :

Aucune concertation avec la « majorité » UMP, avec le gouvernement

Appelez à la manifestation nationale, à l’Assemblée, pour l’abrogation du C.P.E.

Appelez immediatement pour vaincre le gouvernement À la grève générale

 

Etudiants, travailleurs, jeunes. Les revendications ne s’arrêtent pas à l’abrogation du C.P.E.  Mais si le gouvernement ne capitule pas en retirant le C.P.E., alors aucune revendication ne pourra être satisfaite. S’il ne subit pas une défaite, alors inévitablement il reprendra l’offensive et continuera de semer le malheur et la misère dans le pays.  S’il est battu, les conditions seront propices pour chasser Chirac, son gouvernement, sa « majorité » UMP, sans attendre 2007, porter au pouvoir un autre gouvernement, un gouvernement d’unité des organisations du mouvement ouvrier, sans représentants de la classe capitaliste.

Assurer le droit au travail, c’est possible. Les besoins sont immenses. Orienter la production de façon à les satisfaire, recruter massivement dans les secteurs utiles, interdire les licenciements, diminuer le temps de travail pour que tous travaillent, avec un CDI pour tous, sans flexibilité ni précarité, voilà comment on peut vaincre le chômage ! Pour cela, il faut porter au pouvoir un gouvernement qui rompe avec la loi du profit, rejette les exigences des patrons et des marchés financiers, n’hésite pas à les exproprier.

Dans le combat pour infliger une défaite au gouvernement Chirac-Villepin-Sarkozy, pour imposer l’abrogation du C.P.E, peuvent se regrouper ceux qui contribueront à construire le parti nécessaire pour défendre cette orientation, le parti révolutionnaire, pour le socialisme.

Ne restez pas isolés ! Prenez contact !