Article paru dans CPS
n°23 nouvelle série (105) de janvier 2006
Après le congrès du PS
Une
trêve : pour combien de temps ?
La coalition Hollande, Strauss-Kahn, Aubry, Lang l’emporte
Le congrès du Parti Socialiste s’est tenu les 18, 19 et 20 novembre 2005. A l’issue du vote sur les motions d’orientation qui a eu lieu le 9 novembre, les résultats ont été les suivants :
Motions |
% par rapport aux exprimés |
Motion 1
Socialistes – Pour réussir à gauche (Hollande, Aubry, Strauss-Kahn, Lang) |
53.6 |
Motion 2
Rassembler à gauche (Fabius) |
21.2 |
Motion 3
Utopia (Pupunat) |
1.04 |
Motion 4
Pour un socialisme libéral (Bockel) |
0.65 |
Motion 5
Nouveau Parti Socialiste (Montebourg, Peillon, Emmanuelli) |
23.6 |
La participation a été élevée : 83.21 % des 127 514
adhérents ont pris part au vote et le nombre de bulletins blancs ou nuls n’a été
que de 1.07 %. Si élevée d’ailleurs que dans un certains nombre de fédérations
elle a dépassé le nombre d’adhérents déclarés… Dans ces cas, les dirigeants du
PS ont pratiqué sans état d’âme et de concert « le ramené » qui
consiste à recalculer à la proportionnelle le score de chacune des motions en
prenant une base de 100 % de votant (cas des fédérations du Calvados, du Jura,
du Var, du Lot, du Lot-et-Garonne, du Haut-Rhin, de la Haute-Saône, de la
Haute-Loire). Pour ce vote, les états-majors des motions ont mobilisé le ban et
l’arrière ban.
C’est dans la douleur que les résultats ont été promulgués.
Avant même que les résultats définitifs ne soient connus, la direction sortante
a fait parvenir à la presse des estimations selon lesquelles la motion de Laurent
Fabius ne dépasserait pas la barre des 20 %. Immédiatement les partisans de
Fabius se sont mobilisés et ont obtenu que les résultats de certaines grosses
fédérations dont en particulier celles du Pas-de-Calais et de l’Hérault fassent
l’objet de rectifications. Ces « petits
arrangements entre ennemis » (Libération du 12/11/2005) ont permis que
la motion 2 atteigne finalement le score de 21.2 %.
Manifestement, il y a eu des tentatives de tricherie, en
particulier dans la fédération du Pas-de-Calais dont le chef de file est Jack
Lang, un grand « démocrate », qui représente à elle seule près de 10
% des adhérents. C’est la motion 5 qui a fait pour l’essentiel les frais de
l’opération des urnes communicantes au grand dam de Montebourg qui a déclaré « Quel est ce curieux parti où la
totalisation nationale réalisée en secret, a donné lieu d’après des sources concordantes, à des arrangements
entre camarades ? » (Libération
du 12/11/2005).
La direction sortante issue du congrès de Dijon de 2003, dont
faisait alors partie Fabius, reste majoritaire (avec Fabius, la motion sortante
avait réalisé un score de 61.12%). Elle conserve par ailleurs la direction de
soixante fédérations sur un total de 102 en reprenant à l’opposition la
fédération du Nord que Marc Dolez a perdu au profit des partisans de Martine
Aubry et de Pierre Mauroy. Ainsi, quelque soit le résultat du congrès, synthèse
ou pas, François Hollande était assuré de garder son poste de premier
secrétaire. Le cumul des scores réalisés par les motions 2 et 5, 44.8 %, se
situe sensiblement au-dessus du résultat du vote non, 41.38 %, lors du
référendum interne au PS sur la question de la constitution européenne.
Après le 29 mai 2005
Lors du référendum du 29 mai 2005, le PS a appelé à voter
« oui ». Une nouvelle fois après mai 2002, il appelait de fait à
voter Chirac. Pour déterminer sa position, le congrès du PS de Dijon de mai
2003 avait décidé de l’organisation d’un référendum interne qui s’est tenue le
1er décembre 2004. La bataille au sein du PS a été rude. En effet,
Laurent Fabius a décidé de rompre avec la majorité du congrès de Dijon autour
de François hollande et de s’engager aux cotés des courants NPS de Montebourg /
Peillon et Nouveau Monde de Mélenchon / Emmanuelli pour que le PS prenne
position pour le « non » au référendum. Les débats sur la
constitution européenne ont montré qu’en réalité rien n’opposait sur le fond
les partisans du « oui » et du « non » (voir à ce propos
C.P.S. nouvelle série n° 18 (n°100) du 14/01/2005). Mais les partisans du
« non » analysaient qu’il était probable que l’électorat du PS
refuserait en grande partie de voter Chirac une seconde fois de par son aspiration à en finir avec le
gouvernent Chirac-Raffarin et sa politique et qu’appeler à voter
« oui » était dangereux pour l’avenir du PS. Ils se référaient en
cela aux résultats des élections régionales et cantonales de mars 2004. A ce
réflexe de préservation du PS, s’est combiné la volonté de Laurent Fabius de se
dégager des manœuvres de François Hollande, Strauss-Kahn, Aubry et autres pour
le marginaliser et pour entraver son ambition forcenée d’être désigné candidat
du PS lors de l’élection présidentielle de 2007.
Finalement, au sein du PS, le camp du « oui » l’a
emporté par 58.62 % des exprimés contre 41.38 % pour le « « non ».
Dans ces conditions les dirigeants de NPS décidaient de rallier le camp du
« oui » tandis que de leurs côtés, Fabius, Mélenchon et Emmanuelli
persévéraient à mener campagne pour le « non ».
Mais au soir du 29 mai, la défaite de Chirac annoncée, partisans
du « oui » et du « non » conjuguaient leurs efforts sur une
même orientation : pas question d’exiger le départ de Chirac, la prochaine
échéance pour lui devait avoir lieu en 2007 lors de l’élection présidentielle.
Certains, tel Fabius, exigeaient même que Chirac applique le
« mandat » du « non » en renégociant avec son gouvernement
la constitution européenne, ce qui était en réalité une affirmation claire de
la reconnaissance de sa légitimité à rester à la présidence de la République.
Une fois de plus, tous les dirigeants du PS sont montés en première ligne, aux
côtés de ceux du PCF, de la CGT, de la CGT-FO et de la FSU, pour permettre à
Chirac de surmonter sa défaite et faire obstacle à ce que le prolétariat ait la
moindre possibilité de l’exploiter pour son propre compte en chassant Chirac.
Règlements de comptes
Lors d’un conseil national du PS de juin 2005, la direction
sortante a décidé de remettre les pendules à l’heure. Laurent Fabius et cinq de
ses partisans ont été éjectés de la direction du PS :
« Le vote du texte proposé par François Hollande,
secrétaire général du PS, a été acquis par 167 voix pour, 122 contre et 18
abstentions, a précisé le numéro trois du parti, François Rebsamen, qui s'est
félicité que "la proposition d'orientation et d'organisation de la
direction du parti a(it) été majoritairement approuvée". Le Conseil
national, sorte d'instance parlementaire composé de délégués des militants, a
également voté la convocation d'un Congrès anticipé, le 18 novembre plutôt que
mi-2006, afin de trancher sur "l'orientation du parti". (Le Monde du 4/06/2005).
Les dirigeants de NPS qui avaient respecté la discipline du vote
« oui » ont été épargnés. Ils ont protesté vivement contre l’éviction
de Fabius qui n’a pas été avalisée sans douleurs : seulement 99 des 200
membres élus du conseil national ont voté les sanctions contre Fabius et le
vote n’a été acquis que grâce à celui des premiers secrétaires fédéraux.
Une fois cette question réglées, Hollande, Strauss-Kahn, Aubry
et Lang ont décidé de convoquer pour novembre 2005 un congrès
« anticipé » annoncé comme un congrès de
« clarification » : en réalité comme une tentative d’aller vers
une « normalisation » au sein du PS. Il est d’ailleurs à noter que
certains partisans du « non » comme Emmanuelli et Mélenchon ont alors
exprimé clairement leurs craintes devant cette perspective, tentant mollement
de s’opposer à la tenue d’une congrès extraordinaire en avançant pour le premier le lancement de
l’organisation de « primaire à gauche » ou pour le second la priorité
à donner à l’organisation d’ « États généraux » faisant ainsi écho
aux propositions du PCF. Le Monde du
3/06/2005 indiquait en rapportant les propos de l’un et de l’autre :
« « Je ne pense pas que la réédition d'un congrès classique
puisse être la solution à cette sorte d'insurrection démocratique que nous
venons de vivre. Il faut donner de l'oxygène", a déclaré l'ex-premier
secrétaire du PS. Il a préconisé l'élaboration par "la gauche toute
entière, sans exclusive, d'une plate-forme de législature" et "une
primaire" au sein de toute la gauche pour désigner un candidat commun pour
2007. "Frère ennemi" du député des Landes, Jean-Luc Mélenchon a lui
aussi exprimé son scepticisme à l'égard d'un congrès anticipé. "Un congrès
pour quoi faire, surtout s'il s'agit de punir les traîtres", s'est-il
demandé, en stigmatisant "les intrigues d'appareils". Le sénateur PS
de l'Essonne s'est demandé s'il ne vaudrait pas mieux tenir, "comme après
la défaite de la gauche aux législatives de 1993, des états généraux du
PS".a-t-il dit. ».
Le conseil national du 9 juillet 2005 ouvrait la discussion préparatoire
au congrès et enregistrait 1280 pages de contributions. Le conseil national de
synthèse était fixé au 17 septembre 2005.
La préparation du congrès
Les développements de la situation au sein du PS sont
fondamentalement déterminés par ceux de la situation politique, de la lutte des
classes du prolétariat. De ce point de vue, en toile de fond de la période de
la préparation du congrès, il y a d’abord le fait qu’avec le soutien du PS, du
PCF et des dirigeants des syndicats la défaite de Chirac au référendum est
restée sans suite, presque un non événement. Le nouveau gouvernement
Chirac-Villepin a pu en quelques jours reprendre l’offensive contre les masses
et, avec le soutien sans faille des appareils syndicaux, leur infliger de
nouveaux coups (voir l’éditorial du présent numéro de CPS).
D’une certaine manière, la capacité de Chirac à surmonter sa
défaite puis celle des marins de la SNCM ont ordonné la préparation et le
déroulement du congrès du PS. Cette situation politique a été l’atout majeur
permettant à François Hollande et ses alliés d’envisager sereinement de
maîtriser pour leur propre compte l’exacerbation de la crise du PS avant et
après le référendum du 29 mai 2005.
C’est donc à contre courant que les oppositions à la direction
ont eu, peut-être, l’illusion que sur la base du rassemblement du camp du
« non » élargi aux partisans du « oui » qui auraient les
leçons politiques du résultat du référendum, pouvait se constituer une nouvelle
majorité dont aurait été issue une nouvelle direction.
Ainsi dans la première phase de la préparation du congrès, les
dirigeants du NPS, en particulier, ont martelé que tel était l’enjeu. Selon eux
l’avenir du PS avait un préalable : en finir avec François Hollande et ses
alliés. Commentant l’université d’été de ce courant, Le Monde du 26/08/2005 indique «L’unité à NPS, il est vrai apparue totale dès qu’il
s’est agi de dénoncer l’action de l’actuelle majorité de François Hollande,
qualifiée de « gauche molle » et de « gauche à minima ».
Pour débarrasser la France de la droite, ça va être très dur si on ne se
débarrasse pas de la direction actuelle du PS ». Telle était la
tonalité alors.
Toutefois Arnaud Montebourg et Vincent Peillon ont refusé
les avances de Laurent Fabius pour signer une motion commune. Ils ont jugé
opportun de « se compter »… pour négocier ensuite au cas où la
direction sortante serait minoritaire.
De son côté Laurent Fabius s’est encore efforcé de donner une tour gauche à son orientation.
En la comparant à celle de la direction sortante, il expliquait « « Il
y a d’un côté une ligne à gauche et une autre sociale libérale ». Il
revendique la première et veut convaincre qu’il n’a plus rien à voir avec la
seconde. « J’ai réfléchi à nos erreurs, y compris sur ce que j’ai fait
moi-même », dit-il, lorsque, ministre du gouvernement Jospin, il militait
pour la baisse des impôts » (Le Monde du
28/08/2005).
Lui qui fut après 1988 l’homme de main de François Mitterrand
dans les grandes manœuvres pour pousser la PS vers des alliances au centre, se
permettait d’être au premier rang pour fustiger Michel Rocard lorsque, égal à
lui-même dans son combat pour la liquidation du PS, il se prononçait pour une
scission du PS en cas d’une victoire des partisans du « non » et
qu’il considérait une alliance avec l’UDF, à
laquelle il reconnaît une « tripe sociale », comme une
perspective à envisager.
Les tentatives de Fabius pour rassembler le camp du « non » ont échoué. Avant le dépôt définitif des motions des reclassements se sont opérés. Le courant « Nouveau Monde » a éclaté : Mélenchon et son club « Pour la République Sociale » ont décidé de rallier Fabius (il faut tout de même rappeler que lorsque Mélenchon a constitué en 2002 le courant Nouveau Monde avec Emmanuelli, il prenait pour cible principale le « social libéral » Fabius, soupçonné de blairisme...).
De ce fait, Emmanuelli, rejoint par Marc Dolez, a constitué un
nouveau regroupement Alternative socialiste. Il a cherché en vain à négocier
d’égal à égal une alliance avec le NPS. Mais affaiblit par la rupture avec
Mélenchon, il n’a pas eu d’autre choix, craignant d’être marginalisé, que de
rallier avec armes et bagages NPS.
De son côté, malgré la nécessité de procéder à de nombreux
rappels à l’ordre, en particulier en direction de Dominique Strauss-Kahn,
François Hollande a réussi à maintenir l’unité de sa coalition de
présidentiables potentiels constituée , outre Strauss-Kahn, par Martine Aubry,
Jack Lang et Ségolène Royal. Leur objectif commun qui scellait leur coalition à
ce stade : barrer la route Laurent Fabius.
Les motions
Au conseil national du 17 septembre 2005 ce sont finalement cinq
motions d’orientation qui ont été déposées pour être soumises au vote. Les
motions 3 (Utopia) et 4 (Pour un socialisme libéral) ont un caractère ultra
marginal que reflètent les scores qu’elles ont réalisés par la suite. La
première est l’expression d’un rassemblement de « baba cools »
décomposés. La seconde n’est qu’un document de propagande au sein du PS en
faveur de la politique de Tony Blair, son porte parole Jean-Marie Bockel se
distinguant notamment chaque fois que l’occasion se présente d’apporter un
soutien à la politique de répression du gouvernement.
Seules les motions 1, 2 et 5 doivent être prises en
considération. Préparant en éclaireur au compte de Laurent Fabius la synthèse
du congrès du Mans, Henri Weber a commis dans Le Monde du 18/11/2005 une tribune intitulée « De quoi débattent les socialistes ? Pas si divisé que cela,
le Parti socialiste. Les grandes questions du temps font consensus ».
En introduction il constate : «En réalité, le PS a un projet, affiné de congrès en congrès depuis dix
ans. C'est sur les modalités concrètes de sa mise en oeuvre que portent les
1 280 pages des contributions au congrès du Mans ». Il établit
ensuite que sur le fond les trois motions sont totalement convergentes sur
l’essentiel. Pour Henri Weber il en va ainsi pour : « l’instauration progressive
d’une autre mondialisation et d’une meilleure gouvernance internationale. L’alter-mondialisme est la figure moderne du vieil internationalisme prolétarien ».
Sur la question de l’Europe il constate que :
« Tous les socialistes déplorent la dérive libérale, que l'Union
européenne connaît depuis une quinzaine d'années, qui l'empêche de jouer
efficacement le rôle de bouclier pour les salariés européens et de levier d'une
mondialisation équitable. Tous s'accordent sur une stratégie européenne de
sortie de crise. Il s'agit de regagner l'adhésion des peuples à la construction
européenne, en démontrant que l'Europe se préoccupe autant de croissance,
d'emploi, de protection sociale que de concurrence et de monnaie ».
Il poursuit en se félicitant que
« La grande majorité des socialistes français récuse la voie
sociale-libérale préconisée par le New Labour de Tony Blair. La motion des «
blairistes » français n'a recueilli que 1% des voix. Elle récuse également la
crispation conservatrice sur le modèle social-démocrate du siècle dernier
frappé d'obsolescence par la mondialisation et la financiarisation du
capitalisme.(…)
Concrètement, les trois principales motions socialistes préconisent une
même politique de reconquête du plein-emploi. Celle-ci s'inspire, sans la
répéter, de la politique mise en oeuvre avec succès entre 1997 et 2002 et qui a
contribué à créer 2 millions d'emplois supplémentaires dans notre pays. Cette
politique combine des mesures conjoncturelles initiatives (relance de la
demande par la hausse du pouvoir d'achat des salariés,...), une politique
macro-économique volontariste et des réformes de structure à moyen terme
(recherche, enseignement supérieur, formation continue) favorisant une
meilleure spécialisation de notre économie dans les industries de pointe et les
services à haute valeur ajoutée.
S'agissant de la réforme de
l’État, enfin - quatrième volet du projet socialiste -, nous convergeons sur la
nécessaire modernisation démocratique de nos institutions ; tous les
socialistes veulent renforcer le pouvoir des assemblées élues, et en premier
lieu celui du Parlement, tous veulent développer la démocratie participative et
la politique contractuelle. Tous sont d'accord aussi pour rénover les services
publics et lutter contre l'instauration de « l’État providence résiduel »
qu'appellent de leurs vœux les conservateurs libéraux.
Le nouvel âge du
capitalisme appelle un nouvel âge de la social-démocratie. Celle-ci sera
altermondialiste, altereuropéenne, féministe et social-écologiste. Derrière
chacun de ces termes se trouve un programme d'action. C'est de son contenu que
débattent les socialistes français et européens. Il serait dommage que la
compétition - légitime - des meilleurs d'entre eux pour la magistrature suprême
rende cette controverse inaudible. ».
En réalité, après coup, c’est-à-dire après le vote, Henri Weber
lâche le morceau : rien sur le fond ne distingue les trois motions. De
fait c’est sur la même orientation générale qu’elles se situent, orientation
délimitée par la motion adoptée à l’unanimité par le congrès du PS en décembre
1991 qui affirmait en conclusion « Le
capitalisme borne désormais notre horizon historique ». Ce congrès faisait suite à celui de Rennes où,
ici encore à l’unanimité, avait été adoptée la modification de la déclaration
de principe du PS substituant à la perspective d’en finir avec le capitalisme
celle de « l’économie de marché ».
Ce cadre commun aux trois motions n’élimine pas le fait que des
nuances subsistaient entre elles. Les motions Fabius et Montebourg, cette
dernière sous l’influence d’Emmanuelli, se prononçaient, par exemple pour
l’abrogation de la loi Fillon sur les retraites… sans toutefois préciser qu’il
s’agissait par conséquent de revenir aux 37.5 annuités pour tous, de rétablir
les régimes spéciaux pour les fonctionnaires et d’abroger les décrets Balladur.
Il s’agissait tout au plus, sur la base de cette abrogation, d'ouvrir de
nouvelles négociations. De même sur un certains nombre de questions comme les
salaires, le « retour d’EDF dans le giron public » (formule
alambiquée qui n’a rien à voir avec la nationalisation sans indemnité ni
rachat) et la liquidation du code du travail ces motions, plus que la motion de
la majorité sortante, faisaient écho
très lointain et déformé aux des aspirations des travailleurs à en finir avec
la politique du gouvernement Chirac-Villepin.
Mais en dernière analyse, il est certain qu’elles ne
représentaient pas une alternative ouvrant le moindre début de perspective
politique face à la direction du PS.
L’avis d’un connaisseur
Interviewé dans Le Monde du
9/11/2005, Pierre Mauroy, membre de la direction du PS depuis 1963 a donné son
avis sur les enjeux du congrès.
Il déclarait notamment :
« C'est un congrès ordinaire malgré des circonstances
extraordinaires. Le premier événement tient au fait qu'un membre de la majorité
du parti, et pas n'importe lequel puisqu'il s'agissait du numéro deux, a décidé
de s'éloigner pour animer un débat de contestation. Ça, c'est rare. Et puis il
y a eu la question européenne, déchirante. Enfin, derrière tout cela, il y a
l'élection présidentielle, la grande compétition. Tout se mêle et crée des
tensions, disons... palpitantes (…)J'ai été très surpris que Fabius quitte la
majorité, mais une fois que ce pas était franchi... Il était celui qui,
autrefois, justifiait la marche en avant à travers un socialisme tempéré.
Aujourd'hui, il veut faire plus à gauche que les autres. Il utilise l'art d'en
rajouter un peu. Ce n'est pas un débat entre réformistes et révolutionnaires,
mais entre socialistes, c'est déjà un progrès (…)
La motion Hollande est cohérente. Elle contient, c'est vrai, un grand
nombre de candidats putatifs ou virtuels - pour être président ou pour jouer un
ticket gagnant et se retrouver dans les conseils de la République. Mais ils ne
se sont pas désolidarisés sur les idées essentielles. En revanche, l'alliance
entre Laurent Fabius et Jean-Luc Mélenchon, que je trouve pleine d'une audace
dangereuse pour le PS, me paraît fort peu cohérente. Je trouve qu'il y a
également une très grande incohérence entre Henri Emmanuelli, qui s'est institutionnalisé
au fil du temps dans l'opposition du parti, et le NPS [Nouveau Parti
socialiste], qui veut être le courant du renouvellement... Le maniement des
contraires ne me paraît pas efficace. ».
De fait dans la situation politique où s’est tenu le congrès,
son seul véritable enjeu se situait au niveau de la bataille interne pour la
direction dans la perspective de la prochaine élection présidentielle. C'est en
fonction de cet échéance que se sont nouées les alliances et cristallisés les
reclassements avant le congrès et pendant le congrès.
Dans ce contexte, avec le résultat du vote, le 9 novembre 2005,
Laurent Fabius a jugé qu’il avait acquis une position lui permettant de
poursuivre la bataille en vue de sa désignation pour la candidature à l’élection
présidentielle. Ceci d’autant plus que dans le camp de la coalition autour de
Hollande les candidats se bousculent au portillon. Les dirigeants du NPS ont
pris acte que la direction du PS sur la base d’une alliance avec Fabius ne
pouvait pas leur revenir mais que leur score permettait de négocier une place
conséquente au sein de la direction.
Pour François Hollande, son maintien en tant que premier
secrétaire était acquis. Malgré les réticences de Dominique Strauss-Kahn, il a
décidé d’ouvrir la voie pour que se réalise dans le congrès une synthèse ayant
valeur de trêve autant au sein de sa coalition qu’avec Laurent Fabius dans la
course à la candidature pour l’élection présidentielle.
État d’urgence : une présynthèse
Le 7 novembre 2005 le gouvernement Chirac-Villepin a décidé de
recourir par décret à la loi de 1955 pour instaurer l’état d’urgence pour faire
face à la situation qu’il avait lui-même généré par la provocation dans
certaines banlieues. A cette occasion, le gouvernement a reçu de fait un soutien
quasi unanime de la part des dirigeants du PS. Libération du 9/11/2005 commente ainsi les réactions au sein du PS
le 8 novembre 2005 : « Cette journée d’hésitations- que résume Julien
Dray : « Nous ne sommes pas de ceux qui veulent empêcher le retour à
l’ordre. Mais nous doutons fortement de la capacité du gouvernement à le
faire »- débute par une réunion à huit clos du groupe PS à l’Assemblée
nationale. Tous les députés PS ont en tête les propos de François Hollande tenus le matin même dans
le Parisien : « Nous serons évidemment vigilants sur l’application de
cette mesure, qui ne peut être qu’exceptionnelle ». Sur France Inter,
Laurent Fabius va dans le même sens « Il ne suffit pas de décréter le
couvre-feu. Il faut aussi qu’il y ait sur le train les forces de sécurité
maîtrisées qui puissent l’appliquer ». Devant les députés socialistes il
décrit une situation « d’état d’urgence sociale ». Seul le NPS-
Henri Emmanuelli- dénonce « une utilisation disproportionnée » du
couvre-feu. Il est coupé net par Jean-Marc Ayrault, le patron du groupe.
Quelques heures plus tard, il tente une synthèse lors du débat parlementaire
« Nous ne réussirons pas en imposant des lois d’exception. nous ne sommes
pas hostiles par principe au couvre feu » (…) Delanoë, Vaillant, Mauroy et
Cambadélis renvoient le responsabilité de la situation au gouvernement. Et ne
dénoncent pas le recours au couvre-feu. Exactement la position de Jospin.
Conclusion : le bureau national se refuse à prendre une position de
principe et s’en remet à la « libre appréciation »de ses élus dans
les communes concernés par les violences ».
Le Monde du
10/11/2005 ajoutait :
« Dominique Strauss-Kahn est resté silencieux pour ne pas dit-on,
étaler les divisions dans la majorité. Un souci partagé par beaucoup tous
courants confondus, dans un contexte où les joutes socialistes apparaissent
décalées ».
Indiscutablement, la quasi unanimité des dirigeants du PS sur
cette question fondamentale annonçait la synthèse au congrès, sur une ligne,
une fois de plus, de soutien à Chirac et à son gouvernement.
La synthèse
Le congrès du PS s’est donc conclu sur une synthèse générale. En
effet le rapport de la commission des résolutions au sein de laquelle elle
avait été concoctée a été adopté par 471 votes oui, 3 votes non, 22 refus de
votes et 18 abstentions. Dans son rapport sur les travaux de la commission Éric
Besson a indiqué :
« Notre débat a été long, exigeant, passionné. Vous savez sans
doute déjà qu’il a été fructueux. Je dois ajouter qu’il s’est fait dans la
clarté.(…) Clarté parce que la synthèse s’est opérée sur la base du texte
majoritaire qui a été enrichi. Les amendements retenus n’ont pas altéré sa
cohérence (…) Question européenne tout d’abord. Chacun sait qu’elle nous a
profondément divisés au cours de l’année qui s’achève. Je n’insiste pas. Il nous
appartenait de dépasser le Oui et Non. Nous y sommes - je crois - parvenus.
Les Français ont voté le 29 mai dernier. Le traité constitutionnel a
été rejeté par une majorité de nos concitoyens. Ce n’était pas le choix du
parti socialiste, mais la volonté populaire doit être respectée. Nul n’en
doutait, mais nous le réaffirmons clairement. Il nous appartient maintenant de
redéfinir les bases de relance du projet européen. Lors du débat sur la
constitution européenne, nous avions divergé sur la meilleure réponse à
apporter pour bâtir l’Europe puissance et solidaire. Ces objectifs étaient et
demeurent partagés par tous. C’est autour de ces buts communs que nous avons
cherché à bâtir notre synthèse. (…)La question sociale sera évidemment au cœur
du projet des socialistes pour 2007. Nos débats de congrès avaient déjà fait
apparaître de très nombreuses propositions communes qu’il s’agisse d’emploi, de
pouvoir d’achat, de logement, de lutte contre la ségrégation urbaine...: Lors
de notre retour au pouvoir, nous reviendrons sur ces réformes qui sont autant
de reculs en les abrogeant pour aussitôt les remplacer par des réformes
profondes et progressistes. Notre retour au pouvoir ne sera donc pas le retour
au statu quo ante. Il marquera de nouveaux progrès. C’est ainsi que nous
renouerons avec notre base sociale. (…)
Avec la réforme Fillon, la droite engage la fin du système des
retraites par répartition, nous voulons au contraire le pérenniser en lui
assurant un financement plus juste. énergétique et met en danger la sécurité de
nos concitoyens (…) nous souhaitons qu’EDF redevienne 100 % publique. ».
En résumé c’est sur la base de la motion 1 que s’est réalisé la
synthèse. Au sein de la commission des résolutions puis dans le congrès, seule
une minorité des représentants de la motion NPS l’on refusé et ce pour des
raisons différentes. D’une part Arnaud
Montebourg et sa garde rapprochée n’ont pas pu accepter que leur orientation
pour une sixième république parlementaire ne soit pas prise en compte ;
d’autre part Marc Dolez et quelques autres se sont estimés totalement floués
sur les « engagements » de la motion finale en matière d’abrogation
des réformes. Suite au congrès, François Hollande a été le seul candidat au
poste de premier secrétaire. Lors du conseil national du 26 novembre 2005, les
instances de direction du PS ont été
constituées (bureau national, conseil national, postes de responsables et
secrétaires nationaux) en se basant sur le résultat des votes sur les motions.
Avant la reprise des combats
François Hollande et ses alliés sortent vainqueurs du congrès.
Leurs adversaires n’ont pas pu faire autrement que d’accepter la synthèse.
C’était de leur part reconnaître qu’ils n’étaient pas en mesure de revendiquer
la direction du parti et qu’ils devaient concéder une trêve.
Mais en même temps François Hollande n’a pas pour autant
stabilisé durablement les rapports au sein du PS. Immédiatement après le
congrès s’est déroulé l’élection du premier secrétaire. François hollande était
le seul candidat, synthèse oblige. Dans ce vote, où la participation a été de
69.80 %, il a obtenu 77.13 % des voix et les bulletins blancs ou nuls ont
représentés 22.87%. Ce n’est pas vraiment un franc succès pour un candidat
unique.
Indépendamment des développements de la lutte des classes, plus
l’échéance des élections présidentielles va se rapprocher, plus les tensions
vont s’exacerber. Au moment présent, la trêve décrétée par la synthèse au
congrès tient toujours mais non sans accrocs.
Après que le groupe PS à l’Assemblée nationale se soit abstenu
sur la loi Sarkozy contre le terrorisme, les sénateurs PS ont décidé de voter
contre. Jack Lang a déjà tenté de faire cavalier seul en lançant sa propre
initiative pour l’abrogation de l’article 4 de loi du 23 février reconnaissant
le rôle positif de la colonisation ; immédiatement Hollande et
Strauss-Kahn ont dû le stopper en lançant la pétition du PS. Tandis
qu’Emmanuelli multiplie les déclarations pour l’organisation de primaires à
l’italienne pour la désignation du candidat de la gauche, Ségolène Royal
affirme ses prétentions et déclare à l’occasion de la publication de photos
avec ses enfants dans le Nouvel Observateur du 15/12/2005 « Je sais bien que François est réticent. Mais il pose bien avec Sarkozy. Il ne va pas jouer les
saintes-nitouches ».
C’est un avant goût de ce qui se prépare. Pour la désignation du
candidat à l’élection présidentielle une lutte féroce va s’engager, non
seulement avec Fabius mais aussi entre les alliés de Hollande.
Sans compter que par ailleurs Lionel Jospin n’a pas renoncé. Un
mois avant le congrès, il a publié un livre intitulé « Le monde tel que je le vois ». A ce propos, Emmanuelli
a commenté fort pertinemment « Six
motions pour le congrès, cinq
gratuites et une payantes ».
Jour après jour par petites touches Jospin affirme sa présence.
Il vient d’inviter le PS a dresser l’inventaire sur ses années de gouvernement
de 1997 à 2007 (lui-même ne reconnaît qu’une seule erreur importante,
l’application des 25 heures dans les hôpitaux).
Mais il convient de préciser, parmi les clans, clubs et cercles
etc. qui se disputent le pouvoir au sein du PS et qui dans ce contexte
défendront les couleurs de leur champion dans la course la candidature, aucun
ne peut être caractérisée comme se profilant comme une « courant
gauche » ou même comme représentant le moindre point d’appui pour le
prolétariat.
La ligne de partage au sein du PS se situe entre ceux qui
opèrent directement pour sa liquidation en tant que parti se situant dans la
continuité historique de la social-démocratie et ceux qui à certains moments,
en fonctions des circonstances politiques, expriment une certaine résistance à
cette liquidation.
Dans le camp des premiers, il y a bien entendu Michel Rocard qui
depuis son entrée au PS en 1974, s’est toujours situé sur une orientation de
liquidation du PS et de constitution d’une troisième « force » avec
le centre. Rocard est aujourd’hui marginalisé Dans ce camp on peut aussi
cataloguer Jacques Delors, démocrate-chrétien dans l’âme, qui a été l’un des
inspirateurs politique de François Hollande, Martine Aubry et Ségolène Royal.
Arnaud Montebourg en est proche. Il personnifie au sein du PS
une pâle résurgence du radicalisme d’antan. Aujourd’hui, grand cocu de la
synthèse du Mans, il a décidé de constitué un nouveau regroupement militant
pour le retour à une sixième république parlementaire. A ce stade, il est lui
aussi isolé.
Dans le second camp, la ligne jaune est souvent franchie pour
passer dans le premier en fonction des luttes internes du moment. Ainsi de 1981
à 1992, Lionel Jospin et Pierre Mauroy ont exprimé une certaine résistance à la
politique d’ouverture au centre, en particulier celle inspirée par François
Mitterrand, ceci avec plus acuité à après sa réélection en 1988. Laurent Fabius
a été l’homme de cette orientation. En 1992 il est élu premier secrétaire du PS
en alliance avec Rocard. Puis en 1993, Fabius est déboulonné par Rocard,
soutenu par … Jospin. Rocard cherche à engager alors des « états généraux de
refondation » du PS afin de le transformer en « mouvement »,
soutenu par… Jean-Luc Mélenchon et Ségolène Royal. Cette initiative échouera et
en 1994 Rocard passe lui-même à la trappe victime d’une alliance nouvelle entre
Emmanuelli et Fabius. Au congrès de Liévin, en 1994, c’est Emmanuelli qui
lancera un appel vibrant à la candidature de Delors (tout en soutenant par
ailleurs la constitution d’une fédération incluant le PS et les Radicaux …et
Bernard Tapie). Delors ayant renoncé, Jospin s’emparera de la direction du PS
après avoir battu Emmanuelli dans le vote pour la désignation du candidat à
l’élection présidentielle de 1995.
Après 1997, le PS au gouvernement, une cessez le feu relatif
s’établit. La direction revient à un pôle « rénovateur », inspiré par
Jospin, dont le porte-parole est François Hollande. Jospin, distribuant avec
habileté les postes ministériels, pourra s’appuyer sur une majorité du PS
regroupant Rocard, Fabius, Lang, Aubry, Strauss-Kahn. Emmanuelli s’est cantonné
dans une opposition à la direction faisant écho d’une manière très déformée à
la résistance de la classe ouvrière aux attaques du gouvernement Jospin (par
exemples sur les questions du PARE et du projet de privatisation de EDF).
Avant d’être ministre dans le gouvernement Jospin, Fabius,
président de l’Assemblée nationale, affichait ouvertement ses sympathies pour
Tony Blair en prenant l’initiative de l’inviter à venir discourir devant la
dite assemblée. En mai 2002, tous les dirigeants du PS ont appelé à voter
Chirac. Après 29 mai, tous ont proclamé que le résultat du référendum ne
remettait pas en cause la place de Chirac. Dernièrement, sur la question
fondamentale de la promulgation de l’état d’urgence ou de la loi Sarkozy contre
le terrorisme, ils ont en réalité apporté leur soutien au gouvernement
Chirac-Villepin.
Les clivages sur la question du référendum n’ont pas
fondamentalement changé la donne. Pour preuve la synthèse réalisée au congrès
du Mans.
L’un des plus farouches partisans du « non », Henri
Emmanuelli, est aujourd’hui la porte parole de l’organisation de primaires à
l’italienne pour la désignation du candidat de la « gauche » aux
élections présidentielle. Il est clair que l’engagement de Fabius pour le
« non » a d’abord procédé de considérations liées à la lutte interne
au PS.
Inévitablement de nouveaux reclassements vont s’opérer au cours
de la lutte qui se prépare et la trêve ne va pas durer très longtemps. Mais en
toile de fond, au stade actuel, prévaut l’immense désarroi politique du
prolétariat et le fait que c’est la bourgeoisie qui a pleinement l’initiative.