Article paru dans CPS n°23 nouvelle série (105) de janvier 2006

 

Après le congrès du PS

Une trêve : pour combien de temps ?

 

La coalition Hollande, Strauss-Kahn, Aubry, Lang l’emporte


Le congrès du Parti Socialiste s’est tenu les 18, 19 et 20 novembre 2005. A l’issue du vote sur les motions d’orientation qui  a eu lieu le 9 novembre, les résultats ont été les suivants :

 

Motions

% par rapport aux exprimés

Motion 1 Socialistes – Pour réussir à gauche (Hollande, Aubry, Strauss-Kahn, Lang)

53.6

Motion 2 Rassembler à gauche (Fabius)

21.2

Motion 3 Utopia (Pupunat)

1.04

Motion 4 Pour un socialisme libéral (Bockel)

0.65

Motion 5 Nouveau Parti Socialiste (Montebourg, Peillon, Emmanuelli)

23.6

 

La participation a été élevée : 83.21 % des 127 514 adhérents ont pris part au vote et le nombre de bulletins blancs ou nuls n’a été que de 1.07 %. Si élevée d’ailleurs que dans un certains nombre de fédérations elle a dépassé le nombre d’adhérents déclarés… Dans ces cas, les dirigeants du PS ont pratiqué sans état d’âme et de concert « le ramené » qui consiste à recalculer à la proportionnelle le score de chacune des motions en prenant une base de 100 % de votant (cas des fédérations du Calvados, du Jura, du Var, du Lot, du Lot-et-Garonne, du Haut-Rhin, de la Haute-Saône, de la Haute-Loire). Pour ce vote, les états-majors des motions ont mobilisé le ban et l’arrière ban.

 

C’est dans la douleur que les résultats ont été promulgués. Avant même que les résultats définitifs ne soient connus, la direction sortante a fait parvenir à la presse des estimations selon lesquelles la motion de Laurent Fabius ne dépasserait pas la barre des 20 %. Immédiatement les partisans de Fabius se sont mobilisés et ont obtenu que les résultats de certaines grosses fédérations dont en particulier celles du Pas-de-Calais et de l’Hérault fassent l’objet de rectifications. Ces « petits arrangements entre ennemis » (Libération du 12/11/2005) ont permis que la motion 2 atteigne finalement le score de 21.2 %.

Manifestement, il y a eu des tentatives de tricherie, en particulier dans la fédération du Pas-de-Calais dont le chef de file est Jack Lang, un grand « démocrate », qui représente à elle seule près de 10 % des adhérents. C’est la motion 5 qui a fait pour l’essentiel les frais de l’opération des urnes communicantes au grand dam de Montebourg qui a déclaré « Quel est ce curieux parti où la totalisation nationale réalisée en secret, a donné lieu d’après des sources concordantes, à des arrangements entre camarades ? » (Libération du 12/11/2005).

La direction sortante issue du congrès de Dijon de 2003, dont faisait alors partie Fabius, reste majoritaire (avec Fabius, la motion sortante avait réalisé un score de 61.12%). Elle conserve par ailleurs la direction de soixante fédérations sur un total de 102 en reprenant à l’opposition la fédération du Nord que Marc Dolez a perdu au profit des partisans de Martine Aubry et de Pierre Mauroy. Ainsi, quelque soit le résultat du congrès, synthèse ou pas, François Hollande était assuré de garder son poste de premier secrétaire. Le cumul des scores réalisés par les motions 2 et 5, 44.8 %, se situe sensiblement au-dessus du résultat du vote non, 41.38 %, lors du référendum interne au PS sur la question de la constitution européenne.


Après le 29 mai 2005


Lors du référendum du 29 mai 2005, le PS a appelé à voter « oui ». Une nouvelle fois après mai 2002, il appelait de fait à voter Chirac. Pour déterminer sa position, le congrès du PS de Dijon de mai 2003 avait décidé de l’organisation d’un référendum interne qui s’est tenue le 1er décembre 2004. La bataille au sein du PS a été rude. En effet, Laurent Fabius a décidé de rompre avec la majorité du congrès de Dijon autour de François hollande et de s’engager aux cotés des courants NPS de Montebourg / Peillon et Nouveau Monde de Mélenchon / Emmanuelli pour que le PS prenne position pour le « non » au référendum. Les débats sur la constitution européenne ont montré qu’en réalité rien n’opposait sur le fond les partisans du « oui » et du « non » (voir à ce propos C.P.S. nouvelle série n° 18 (n°100) du 14/01/2005). Mais les partisans du « non » analysaient qu’il était probable que l’électorat du PS refuserait en grande partie de voter Chirac une seconde fois  de par son aspiration à en finir avec le gouvernent Chirac-Raffarin et sa politique et qu’appeler à voter « oui » était dangereux pour l’avenir du PS. Ils se référaient en cela aux résultats des élections régionales et cantonales de mars 2004. A ce réflexe de préservation du PS, s’est combiné la volonté de Laurent Fabius de se dégager des manœuvres de François Hollande, Strauss-Kahn, Aubry et autres pour le marginaliser et pour entraver son ambition forcenée d’être désigné candidat du PS lors de l’élection présidentielle de 2007.

Finalement, au sein du PS, le camp du « oui » l’a emporté par 58.62 % des exprimés contre 41.38 % pour le « « non ». Dans ces conditions les dirigeants de NPS décidaient de rallier le camp du « oui » tandis que de leurs côtés, Fabius, Mélenchon et Emmanuelli persévéraient à mener campagne pour le « non ».

Mais au soir du 29 mai, la défaite de Chirac annoncée, partisans du « oui » et du « non » conjuguaient leurs efforts sur une même orientation : pas question d’exiger le départ de Chirac, la prochaine échéance pour lui devait avoir lieu en 2007 lors de l’élection présidentielle.

Certains, tel Fabius, exigeaient même que Chirac applique le « mandat » du « non » en renégociant avec son gouvernement la constitution européenne, ce qui était en réalité une affirmation claire de la reconnaissance de sa légitimité à rester à la présidence de la République. Une fois de plus, tous les dirigeants du PS sont montés en première ligne, aux côtés de ceux du PCF, de la CGT, de la CGT-FO et de la FSU, pour permettre à Chirac de surmonter sa défaite et faire obstacle à ce que le prolétariat ait la moindre possibilité de l’exploiter pour son propre compte en chassant Chirac.


Règlements de comptes


Lors d’un conseil national du PS de juin 2005, la direction sortante a décidé de remettre les pendules à l’heure. Laurent Fabius et cinq de ses partisans ont été éjectés de la direction du PS :

« Le vote du texte proposé par François Hollande, secrétaire général du PS, a été acquis par 167 voix pour, 122 contre et 18 abstentions, a précisé le numéro trois du parti, François Rebsamen, qui s'est félicité que "la proposition d'orientation et d'organisation de la direction du parti a(it) été majoritairement approuvée". Le Conseil national, sorte d'instance parlementaire composé de délégués des militants, a également voté la convocation d'un Congrès anticipé, le 18 novembre plutôt que mi-2006, afin de trancher sur "l'orientation du parti". (Le Monde du 4/06/2005).

Les dirigeants de NPS qui avaient respecté la discipline du vote « oui » ont été épargnés. Ils ont protesté vivement contre l’éviction de Fabius qui n’a pas été avalisée sans douleurs : seulement 99 des 200 membres élus du conseil national ont voté les sanctions contre Fabius et le vote n’a été acquis que grâce à celui des premiers secrétaires fédéraux.

Une fois cette question réglées, Hollande, Strauss-Kahn, Aubry et Lang ont décidé de convoquer pour novembre 2005 un congrès « anticipé » annoncé comme un congrès de « clarification » : en réalité comme une tentative d’aller vers une « normalisation » au sein du PS. Il est d’ailleurs à noter que certains partisans du « non » comme Emmanuelli et Mélenchon ont alors exprimé clairement leurs craintes devant cette perspective, tentant mollement de s’opposer à la tenue d’une congrès extraordinaire  en avançant pour le premier le lancement de l’organisation de « primaire à gauche » ou pour le second la priorité à donner à l’organisation d’ « États généraux » faisant ainsi écho aux propositions du PCF. Le Monde du 3/06/2005 indiquait en rapportant les propos de l’un et de l’autre :

« « Je ne pense pas que la réédition d'un congrès classique puisse être la solution à cette sorte d'insurrection démocratique que nous venons de vivre. Il faut donner de l'oxygène", a déclaré l'ex-premier secrétaire du PS. Il a préconisé l'élaboration par "la gauche toute entière, sans exclusive, d'une plate-forme de législature" et "une primaire" au sein de toute la gauche pour désigner un candidat commun pour 2007. "Frère ennemi" du député des Landes, Jean-Luc Mélenchon a lui aussi exprimé son scepticisme à l'égard d'un congrès anticipé. "Un congrès pour quoi faire, surtout s'il s'agit de punir les traîtres", s'est-il demandé, en stigmatisant "les intrigues d'appareils". Le sénateur PS de l'Essonne s'est demandé s'il ne vaudrait pas mieux tenir, "comme après la défaite de la gauche aux législatives de 1993, des états généraux du PS".a-t-il dit. ».

Le conseil national du 9 juillet 2005 ouvrait la discussion préparatoire au congrès et enregistrait 1280 pages de contributions. Le conseil national de synthèse était fixé au 17 septembre 2005.


La préparation du congrès


Les développements de la situation au sein du PS sont fondamentalement déterminés par ceux de la situation politique, de la lutte des classes du prolétariat. De ce point de vue, en toile de fond de la période de la préparation du congrès, il y a d’abord le fait qu’avec le soutien du PS, du PCF et des dirigeants des syndicats la défaite de Chirac au référendum est restée sans suite, presque un non événement. Le nouveau gouvernement Chirac-Villepin a pu en quelques jours reprendre l’offensive contre les masses et, avec le soutien sans faille des appareils syndicaux, leur infliger de nouveaux coups (voir l’éditorial du présent numéro de CPS).

D’une certaine manière, la capacité de Chirac à surmonter sa défaite puis celle des marins de la SNCM ont ordonné la préparation et le déroulement du congrès du PS. Cette situation politique a été l’atout majeur permettant à François Hollande et ses alliés d’envisager sereinement de maîtriser pour leur propre compte l’exacerbation de la crise du PS avant et après le référendum du 29 mai 2005.

C’est donc à contre courant que les oppositions à la direction ont eu, peut-être, l’illusion que sur la base du rassemblement du camp du « non » élargi aux partisans du « oui » qui auraient les leçons politiques du résultat du référendum, pouvait se constituer une nouvelle majorité dont aurait été issue une nouvelle direction.

Ainsi dans la première phase de la préparation du congrès, les dirigeants du NPS, en particulier, ont martelé que tel était l’enjeu. Selon eux l’avenir du PS avait un préalable : en finir avec François Hollande et ses alliés. Commentant l’université d’été de ce courant, Le Monde du 26/08/2005 indique «L’unité à NPS, il est vrai apparue totale dès qu’il s’est agi de dénoncer l’action de l’actuelle majorité de François Hollande, qualifiée de « gauche molle » et de « gauche à minima ». Pour débarrasser la France de la droite, ça va être très dur si on ne se débarrasse pas de la direction actuelle du PS ». Telle était la tonalité alors.

 

Toutefois Arnaud Montebourg et Vincent Peillon ont refusé les avances de Laurent Fabius pour signer une motion commune. Ils ont jugé opportun de « se compter »… pour négocier ensuite au cas où la direction sortante serait minoritaire.

De son côté Laurent Fabius s’est encore efforcé de donner une tour gauche à son orientation.

En la comparant à celle de la direction sortante, il expliquait « « Il y a d’un côté une ligne à gauche et une autre sociale libérale ». Il revendique la première et veut convaincre qu’il n’a plus rien à voir avec la seconde. «  J’ai réfléchi à nos erreurs, y compris sur ce que j’ai fait moi-même », dit-il, lorsque, ministre du gouvernement Jospin, il militait pour la baisse des impôts » (Le Monde du 28/08/2005).

 

Lui qui fut après 1988 l’homme de main de François Mitterrand dans les grandes manœuvres pour pousser la PS vers des alliances au centre, se permettait d’être au premier rang pour fustiger Michel Rocard lorsque, égal à lui-même dans son combat pour la liquidation du PS, il se prononçait pour une scission du PS en cas d’une victoire des partisans du « non » et qu’il considérait une alliance avec l’UDF, à  laquelle il reconnaît une « tripe sociale », comme une perspective à envisager.

 

Les tentatives de Fabius pour rassembler le camp du « non » ont échoué. Avant le dépôt définitif des motions des reclassements se sont opérés. Le courant « Nouveau Monde » a éclaté : Mélenchon et son club « Pour la République Sociale » ont décidé de rallier Fabius (il faut tout de même rappeler que lorsque Mélenchon a constitué en 2002 le courant Nouveau Monde avec Emmanuelli, il prenait pour cible principale le « social libéral » Fabius, soupçonné de blairisme...).

De ce fait, Emmanuelli, rejoint par Marc Dolez, a constitué un nouveau regroupement Alternative socialiste. Il a cherché en vain à négocier d’égal à égal une alliance avec le NPS. Mais affaiblit par la rupture avec Mélenchon, il n’a pas eu d’autre choix, craignant d’être marginalisé, que de rallier avec armes et bagages NPS.

 

De son côté, malgré la nécessité de procéder à de nombreux rappels à l’ordre, en particulier en direction de Dominique Strauss-Kahn, François Hollande a réussi à maintenir l’unité de sa coalition de présidentiables potentiels constituée , outre Strauss-Kahn, par Martine Aubry, Jack Lang et Ségolène Royal. Leur objectif commun qui scellait leur coalition à ce stade : barrer la route Laurent Fabius.


Les motions


Au conseil national du 17 septembre 2005 ce sont finalement cinq motions d’orientation qui ont été déposées pour être soumises au vote. Les motions 3 (Utopia) et 4 (Pour un socialisme libéral) ont un caractère ultra marginal que reflètent les scores qu’elles ont réalisés par la suite. La première est l’expression d’un rassemblement de « baba cools » décomposés. La seconde n’est qu’un document de propagande au sein du PS en faveur de la politique de Tony Blair, son porte parole Jean-Marie Bockel se distinguant notamment chaque fois que l’occasion se présente d’apporter un soutien à la politique de répression du gouvernement.

Seules les motions 1, 2 et 5 doivent être prises en considération. Préparant en éclaireur au compte de Laurent Fabius la synthèse du congrès du Mans, Henri Weber a commis dans Le Monde du 18/11/2005 une tribune intitulée « De quoi débattent les socialistes ? Pas si divisé que cela, le Parti socialiste. Les grandes questions du temps font consensus ».

En introduction il constate : «En réalité, le PS a un projet, affiné de congrès en congrès depuis dix ans. C'est sur les modalités concrètes de sa mise en oeuvre que portent les 1 280 pages des contributions au congrès du Mans ». Il établit ensuite que sur le fond les trois motions sont totalement convergentes sur l’essentiel. Pour Henri Weber il en va ainsi pour : « l’instauration progressive d’une autre mondialisation et d’une meilleure gouvernance internationale. L’alter-mondialisme est la figure moderne du vieil internationalisme prolétarien ».

Sur la question de l’Europe il constate que :

« Tous les socialistes déplorent la dérive libérale, que l'Union européenne connaît depuis une quinzaine d'années, qui l'empêche de jouer efficacement le rôle de bouclier pour les salariés européens et de levier d'une mondialisation équitable. Tous s'accordent sur une stratégie européenne de sortie de crise. Il s'agit de regagner l'adhésion des peuples à la construction européenne, en démontrant que l'Europe se préoccupe autant de croissance, d'emploi, de protection sociale que de concurrence et de monnaie ».

Il poursuit en se félicitant que

« La grande majorité des socialistes français récuse la voie sociale-libérale préconisée par le New Labour de Tony Blair. La motion des « blairistes » français n'a recueilli que 1% des voix. Elle récuse également la crispation conservatrice sur le modèle social-démocrate du siècle dernier frappé d'obsolescence par la mondialisation et la financiarisation du capitalisme.(…)

Concrètement, les trois principales motions socialistes préconisent une même politique de reconquête du plein-emploi. Celle-ci s'inspire, sans la répéter, de la politique mise en oeuvre avec succès entre 1997 et 2002 et qui a contribué à créer 2 millions d'emplois supplémentaires dans notre pays. Cette politique combine des mesures conjoncturelles initiatives (relance de la demande par la hausse du pouvoir d'achat des salariés,...), une politique macro-économique volontariste et des réformes de structure à moyen terme (recherche, enseignement supérieur, formation continue) favorisant une meilleure spécialisation de notre économie dans les industries de pointe et les services à haute valeur ajoutée.

 S'agissant de la réforme de l’État, enfin - quatrième volet du projet socialiste -, nous convergeons sur la nécessaire modernisation démocratique de nos institutions ; tous les socialistes veulent renforcer le pouvoir des assemblées élues, et en premier lieu celui du Parlement, tous veulent développer la démocratie participative et la politique contractuelle. Tous sont d'accord aussi pour rénover les services publics et lutter contre l'instauration de « l’État providence résiduel » qu'appellent de leurs vœux les conservateurs libéraux.

Le nouvel âge du capitalisme appelle un nouvel âge de la social-démocratie. Celle-ci sera altermondialiste, altereuropéenne, féministe et social-écologiste. Derrière chacun de ces termes se trouve un programme d'action. C'est de son contenu que débattent les socialistes français et européens. Il serait dommage que la compétition - légitime - des meilleurs d'entre eux pour la magistrature suprême rende cette controverse inaudible. ».

En réalité, après coup, c’est-à-dire après le vote, Henri Weber lâche le morceau : rien sur le fond ne distingue les trois motions. De fait c’est sur la même orientation générale qu’elles se situent, orientation délimitée par la motion adoptée à l’unanimité par le congrès du PS en décembre 1991 qui affirmait en conclusion « Le capitalisme borne désormais notre horizon historique ». Ce congrès faisait suite à celui de Rennes où, ici encore à l’unanimité, avait été adoptée la modification de la déclaration de principe du PS substituant à la perspective d’en finir avec le capitalisme celle de « l’économie de marché ».

 

Ce cadre commun aux trois motions n’élimine pas le fait que des nuances subsistaient entre elles. Les motions Fabius et Montebourg, cette dernière sous l’influence d’Emmanuelli, se prononçaient, par exemple pour l’abrogation de la loi Fillon sur les retraites… sans toutefois préciser qu’il s’agissait par conséquent de revenir aux 37.5 annuités pour tous, de rétablir les régimes spéciaux pour les fonctionnaires et d’abroger les décrets Balladur. Il s’agissait tout au plus, sur la base de cette abrogation, d'ouvrir de nouvelles négociations. De même sur un certains nombre de questions comme les salaires, le « retour d’EDF dans le giron public » (formule alambiquée qui n’a rien à voir avec la nationalisation sans indemnité ni rachat) et la liquidation du code du travail ces motions, plus que la motion de la majorité sortante, faisaient  écho très lointain et déformé aux des aspirations des travailleurs à en finir avec la politique du gouvernement Chirac-Villepin.

 

Mais en dernière analyse, il est certain qu’elles ne représentaient pas une alternative ouvrant le moindre début de perspective politique face à la direction du PS.


L’avis d’un connaisseur


Interviewé dans Le Monde du 9/11/2005, Pierre Mauroy, membre de la direction du PS depuis 1963 a donné son avis sur les enjeux du congrès.

Il déclarait notamment : 

« C'est un congrès ordinaire malgré des circonstances extraordinaires. Le premier événement tient au fait qu'un membre de la majorité du parti, et pas n'importe lequel puisqu'il s'agissait du numéro deux, a décidé de s'éloigner pour animer un débat de contestation. Ça, c'est rare. Et puis il y a eu la question européenne, déchirante. Enfin, derrière tout cela, il y a l'élection présidentielle, la grande compétition. Tout se mêle et crée des tensions, disons... palpitantes (…)J'ai été très surpris que Fabius quitte la majorité, mais une fois que ce pas était franchi... Il était celui qui, autrefois, justifiait la marche en avant à travers un socialisme tempéré. Aujourd'hui, il veut faire plus à gauche que les autres. Il utilise l'art d'en rajouter un peu. Ce n'est pas un débat entre réformistes et révolutionnaires, mais entre socialistes, c'est déjà un progrès (…)

La motion Hollande est cohérente. Elle contient, c'est vrai, un grand nombre de candidats putatifs ou virtuels - pour être président ou pour jouer un ticket gagnant et se retrouver dans les conseils de la République. Mais ils ne se sont pas désolidarisés sur les idées essentielles. En revanche, l'alliance entre Laurent Fabius et Jean-Luc Mélenchon, que je trouve pleine d'une audace dangereuse pour le PS, me paraît fort peu cohérente. Je trouve qu'il y a également une très grande incohérence entre Henri Emmanuelli, qui s'est institutionnalisé au fil du temps dans l'opposition du parti, et le NPS [Nouveau Parti socialiste], qui veut être le courant du renouvellement... Le maniement des contraires ne me paraît pas efficace. ».

 

De fait dans la situation politique où s’est tenu le congrès, son seul véritable enjeu se situait au niveau de la bataille interne pour la direction dans la perspective de la prochaine élection présidentielle. C'est en fonction de cet échéance que se sont nouées les alliances et cristallisés les reclassements avant le congrès et pendant le congrès.

Dans ce contexte, avec le résultat du vote, le 9 novembre 2005, Laurent Fabius a jugé qu’il avait acquis une position lui permettant de poursuivre la bataille en vue de sa désignation pour la candidature à l’élection présidentielle. Ceci d’autant plus que dans le camp de la coalition autour de Hollande les candidats se bousculent au portillon. Les dirigeants du NPS ont pris acte que la direction du PS sur la base d’une alliance avec Fabius ne pouvait pas leur revenir mais que leur score permettait de négocier une place conséquente au sein de la direction.

Pour François Hollande, son maintien en tant que premier secrétaire était acquis. Malgré les réticences de Dominique Strauss-Kahn, il a décidé d’ouvrir la voie pour que se réalise dans le congrès une synthèse ayant valeur de trêve autant au sein de sa coalition qu’avec Laurent Fabius dans la course à la candidature pour l’élection présidentielle.


État d’urgence : une présynthèse


Le 7 novembre 2005 le gouvernement Chirac-Villepin a décidé de recourir par décret à la loi de 1955 pour instaurer l’état d’urgence pour faire face à la situation qu’il avait lui-même généré par la provocation dans certaines banlieues. A cette occasion, le gouvernement a reçu de fait un soutien quasi unanime de la part des dirigeants du PS. Libération du 9/11/2005 commente ainsi les réactions au sein du PS le 8 novembre 2005 : « Cette journée d’hésitations- que résume Julien Dray : « Nous ne sommes pas de ceux qui veulent empêcher le retour à l’ordre. Mais nous doutons fortement de la capacité du gouvernement à le faire »- débute par une réunion à huit clos du groupe PS à l’Assemblée nationale. Tous les députés PS ont en tête les propos  de François Hollande tenus le matin même dans le Parisien : « Nous serons évidemment vigilants sur l’application de cette mesure, qui ne peut être qu’exceptionnelle ». Sur France Inter, Laurent Fabius va dans le même sens « Il ne suffit pas de décréter le couvre-feu. Il faut aussi qu’il y ait sur le train les forces de sécurité maîtrisées qui puissent l’appliquer ». Devant les députés socialistes il décrit une situation «  d’état d’urgence sociale ». Seul le NPS- Henri Emmanuelli- dénonce «  une utilisation disproportionnée » du couvre-feu. Il est coupé net par Jean-Marc Ayrault, le patron du groupe. Quelques heures plus tard, il tente une synthèse lors du débat parlementaire « Nous ne réussirons pas en imposant des lois d’exception. nous ne sommes pas hostiles par principe au couvre feu » (…) Delanoë, Vaillant, Mauroy et Cambadélis renvoient le responsabilité de la situation au gouvernement. Et ne dénoncent pas le recours au couvre-feu. Exactement la position de Jospin. Conclusion : le bureau national se refuse à prendre une position de principe et s’en remet à la « libre appréciation »de ses élus dans les communes concernés par les violences ».

Le Monde du 10/11/2005 ajoutait :

« Dominique Strauss-Kahn est resté silencieux pour ne pas dit-on, étaler les divisions dans la majorité. Un souci partagé par beaucoup tous courants confondus, dans un contexte où les joutes socialistes apparaissent décalées ».

 

Indiscutablement, la quasi unanimité des dirigeants du PS sur cette question fondamentale annonçait la synthèse au congrès, sur une ligne, une fois de plus, de soutien à Chirac et à son gouvernement.


La synthèse


Le congrès du PS s’est donc conclu sur une synthèse générale. En effet le rapport de la commission des résolutions au sein de laquelle elle avait été concoctée a été adopté par 471 votes oui, 3 votes non, 22 refus de votes et 18 abstentions. Dans son rapport sur les travaux de la commission Éric Besson a indiqué 

« Notre débat a été long, exigeant, passionné. Vous savez sans doute déjà qu’il a été fructueux. Je dois ajouter qu’il s’est fait dans la clarté.(…) Clarté parce que la synthèse s’est opérée sur la base du texte majoritaire qui a été enrichi. Les amendements retenus n’ont pas altéré sa cohérence (…) Question européenne tout d’abord. Chacun sait qu’elle nous a profondément divisés au cours de l’année qui s’achève. Je n’insiste pas. Il nous appartenait de dépasser le Oui et Non. Nous y sommes - je crois - parvenus.

Les Français ont voté le 29 mai dernier. Le traité constitutionnel a été rejeté par une majorité de nos concitoyens. Ce n’était pas le choix du parti socialiste, mais la volonté populaire doit être respectée. Nul n’en doutait, mais nous le réaffirmons clairement. Il nous appartient maintenant de redéfinir les bases de relance du projet européen. Lors du débat sur la constitution européenne, nous avions divergé sur la meilleure réponse à apporter pour bâtir l’Europe puissance et solidaire. Ces objectifs étaient et demeurent partagés par tous. C’est autour de ces buts communs que nous avons cherché à bâtir notre synthèse. (…)La question sociale sera évidemment au cœur du projet des socialistes pour 2007. Nos débats de congrès avaient déjà fait apparaître de très nombreuses propositions communes qu’il s’agisse d’emploi, de pouvoir d’achat, de logement, de lutte contre la ségrégation urbaine...: Lors de notre retour au pouvoir, nous reviendrons sur ces réformes qui sont autant de reculs en les abrogeant pour aussitôt les remplacer par des réformes profondes et progressistes. Notre retour au pouvoir ne sera donc pas le retour au statu quo ante. Il marquera de nouveaux progrès. C’est ainsi que nous renouerons avec notre base sociale. (…)

Avec la réforme Fillon, la droite engage la fin du système des retraites par répartition, nous voulons au contraire le pérenniser en lui assurant un financement plus juste. énergétique et met en danger la sécurité de nos concitoyens (…) nous souhaitons qu’EDF redevienne 100 % publique. ».

 

En résumé c’est sur la base de la motion 1 que s’est réalisé la synthèse. Au sein de la commission des résolutions puis dans le congrès, seule une minorité des représentants de la motion NPS l’on refusé et ce pour des raisons différentes.  D’une part Arnaud Montebourg et sa garde rapprochée n’ont pas pu accepter que leur orientation pour une sixième république parlementaire ne soit pas prise en compte ; d’autre part Marc Dolez et quelques autres se sont estimés totalement floués sur les « engagements » de la motion finale en matière d’abrogation des réformes. Suite au congrès, François Hollande a été le seul candidat au poste de premier secrétaire. Lors du conseil national du 26 novembre 2005, les instances de direction du PS  ont été constituées (bureau national, conseil national, postes de responsables et secrétaires nationaux) en se basant sur le résultat des votes sur les motions.


Avant la reprise des combats


François Hollande et ses alliés sortent vainqueurs du congrès. Leurs adversaires n’ont pas pu faire autrement que d’accepter la synthèse. C’était de leur part reconnaître qu’ils n’étaient pas en mesure de revendiquer la direction du parti et qu’ils devaient concéder une trêve.

Mais en même temps François Hollande n’a pas pour autant stabilisé durablement les rapports au sein du PS. Immédiatement après le congrès s’est déroulé l’élection du premier secrétaire. François hollande était le seul candidat, synthèse oblige. Dans ce vote, où la participation a été de 69.80 %, il a obtenu 77.13 % des voix et les bulletins blancs ou nuls ont représentés 22.87%. Ce n’est pas vraiment un franc succès pour un candidat unique.

Indépendamment des développements de la lutte des classes, plus l’échéance des élections présidentielles va se rapprocher, plus les tensions vont s’exacerber. Au moment présent, la trêve décrétée par la synthèse au congrès tient toujours mais non sans accrocs.

Après que le groupe PS à l’Assemblée nationale se soit abstenu sur la loi Sarkozy contre le terrorisme, les sénateurs PS ont décidé de voter contre. Jack Lang a déjà tenté de faire cavalier seul en lançant sa propre initiative pour l’abrogation de l’article 4 de loi du 23 février reconnaissant le rôle positif de la colonisation ; immédiatement Hollande et Strauss-Kahn ont dû le stopper en lançant la pétition du PS. Tandis qu’Emmanuelli multiplie les déclarations pour l’organisation de primaires à l’italienne pour la désignation du candidat de la gauche, Ségolène Royal affirme ses prétentions et déclare à l’occasion de la publication de photos avec ses enfants dans le Nouvel Observateur du 15/12/2005 « Je sais bien que François est réticent. Mais il pose bien avec Sarkozy. Il ne va pas jouer les saintes-nitouches ».

 

C’est un avant goût de ce qui se prépare. Pour la désignation du candidat à l’élection présidentielle une lutte féroce va s’engager, non seulement avec Fabius mais aussi entre les alliés de Hollande.

 

Sans compter que par ailleurs Lionel Jospin n’a pas renoncé. Un mois avant le congrès, il a publié un livre intitulé « Le monde tel que je le vois ». A ce propos, Emmanuelli a commenté fort pertinemment «  Six motions pour le congrès, cinq gratuites et une payantes ».

Jour après jour par petites touches Jospin affirme sa présence. Il vient d’inviter le PS a dresser l’inventaire sur ses années de gouvernement de 1997 à 2007 (lui-même ne reconnaît qu’une seule erreur importante, l’application des 25 heures dans les hôpitaux).

 

Mais il convient de préciser, parmi les clans, clubs et cercles etc. qui se disputent le pouvoir au sein du PS et qui dans ce contexte défendront les couleurs de leur champion dans la course la candidature, aucun ne peut être caractérisée comme se profilant comme une « courant gauche » ou même comme représentant le moindre point d’appui pour le prolétariat.

 

La ligne de partage au sein du PS se situe entre ceux qui opèrent directement pour sa liquidation en tant que parti se situant dans la continuité historique de la social-démocratie et ceux qui à certains moments, en fonctions des circonstances politiques, expriment une certaine résistance à cette liquidation.

 

Dans le camp des premiers, il y a bien entendu Michel Rocard qui depuis son entrée au PS en 1974, s’est toujours situé sur une orientation de liquidation du PS et de constitution d’une troisième « force » avec le centre. Rocard est aujourd’hui marginalisé Dans ce camp on peut aussi cataloguer Jacques Delors, démocrate-chrétien dans l’âme, qui a été l’un des inspirateurs politique de François Hollande, Martine Aubry et Ségolène Royal.

Arnaud Montebourg en est proche. Il personnifie au sein du PS une pâle résurgence du radicalisme d’antan. Aujourd’hui, grand cocu de la synthèse du Mans, il a décidé de constitué un nouveau regroupement militant pour le retour à une sixième république parlementaire. A ce stade, il est lui aussi isolé.

 

Dans le second camp, la ligne jaune est souvent franchie pour passer dans le premier en fonction des luttes internes du moment. Ainsi de 1981 à 1992, Lionel Jospin et Pierre Mauroy ont exprimé une certaine résistance à la politique d’ouverture au centre, en particulier celle inspirée par François Mitterrand, ceci avec plus acuité à après sa réélection en 1988. Laurent Fabius a été l’homme de cette orientation. En 1992 il est élu premier secrétaire du PS en alliance avec Rocard. Puis en 1993, Fabius est déboulonné par Rocard, soutenu par … Jospin. Rocard cherche à engager alors des « états généraux de refondation » du PS afin de le transformer en « mouvement », soutenu par… Jean-Luc Mélenchon et Ségolène Royal. Cette initiative échouera et en 1994 Rocard passe lui-même à la trappe victime d’une alliance nouvelle entre Emmanuelli et Fabius. Au congrès de Liévin, en 1994, c’est Emmanuelli qui lancera un appel vibrant à la candidature de Delors (tout en soutenant par ailleurs la constitution d’une fédération incluant le PS et les Radicaux …et Bernard Tapie). Delors ayant renoncé, Jospin s’emparera de la direction du PS après avoir battu Emmanuelli dans le vote pour la désignation du candidat à l’élection présidentielle de 1995.

Après 1997, le PS au gouvernement, une cessez le feu relatif s’établit. La direction revient à un pôle « rénovateur », inspiré par Jospin, dont le porte-parole est François Hollande. Jospin, distribuant avec habileté les postes ministériels, pourra s’appuyer sur une majorité du PS regroupant Rocard, Fabius, Lang, Aubry, Strauss-Kahn. Emmanuelli s’est cantonné dans une opposition à la direction faisant écho d’une manière très déformée à la résistance de la classe ouvrière aux attaques du gouvernement Jospin (par exemples sur les questions du PARE et du projet de privatisation de EDF).

Avant d’être ministre dans le gouvernement Jospin, Fabius, président de l’Assemblée nationale, affichait ouvertement ses sympathies pour Tony Blair en prenant l’initiative de l’inviter à venir discourir devant la dite assemblée. En mai 2002, tous les dirigeants du PS ont appelé à voter Chirac. Après 29 mai, tous ont proclamé que le résultat du référendum ne remettait pas en cause la place de Chirac. Dernièrement, sur la question fondamentale de la promulgation de l’état d’urgence ou de la loi Sarkozy contre le terrorisme, ils ont en réalité apporté leur soutien au gouvernement Chirac-Villepin.

 

Les clivages sur la question du référendum n’ont pas fondamentalement changé la donne. Pour preuve la synthèse réalisée au congrès du Mans.

L’un des plus farouches partisans du « non », Henri Emmanuelli, est aujourd’hui la porte parole de l’organisation de primaires à l’italienne pour la désignation du candidat de la « gauche » aux élections présidentielle. Il est clair que l’engagement de Fabius pour le « non » a d’abord procédé de considérations liées à la lutte interne au PS.

 

Inévitablement de nouveaux reclassements vont s’opérer au cours de la lutte qui se prépare et la trêve ne va pas durer très longtemps. Mais en toile de fond, au stade actuel, prévaut l’immense désarroi politique du prolétariat et le fait que c’est la bourgeoisie qui a pleinement l’initiative.


29/12/2005

 

 

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