Article publié dans CPS nouvelle série n°22 de septembre 2005
Grande-Bretagne: après les
élections du 5 mai 2005
Attentats du 7 juillet 2005 : le gouvernement
Blair est responsable
Le 7 juillet 2005, Londres était
frappée par quatre attentats terroristes dans les transports publics. Le bilan
est lourd pour la population laborieuse : 56 morts, plus de 700 blessés.
Aussitôt, au nom de la lutte contre le terrorisme, l’union sacrée se réalisait
le 11 juillet autour du gouvernement de Tony Blair au sein du parlement
nouvellement élu deux mois auparavant lors des élections générales du 5 mai
2005. Une fois de plus, les députés du Labour Party,
majoritaires au parlement, apportaient sur le coup un soutien sans faille à
Tony Blair. Tous les partis approuvaient l’annonce par Blair de la mise en
œuvre accélérée et le renforcement d’un arsenal de mesures policières qui
faisait déjà l’objet du programme électoral du Labour Party.
Le 21 juillet, une nouvelle série d’attentats échouait. Parmi les mesures
d’urgences adoptées par le gouvernement Blair, la police recevait
l’autorisation d’abattre sans sommation tout suspect
et de «tirer pour tuer». Le 22
juillet, un ouvrier électricien brésilien, «suspect» était abattu de huit
balles dont sept dans la tête dans la station de métro Stokwell.
De toute évidence, la victime n’avait rien à voir avec les tentatives
d’attentats. Les enquêtes ont établi que les agents de Scotland Yard se sont
livrés à un véritable assassinat et ont tenté
par la suite de maquiller les faits.
Il ne peut être question
d’apporter une quelconque caution au terrorisme aveugle. Mais pour autant, il
doit être affirmé que le premier responsable des actes terroristes, c’est le
gouvernement Blair par sa prise en charge de la politique de l’impérialisme
anglais.
Ce dernier est le plus sûr
soutien de l’impérialisme américain dans la conduite des nouvelles guerres
coloniales, en particulier au Moyen-Orient et en Asie centrale. Il suffit de rappeler
que dans le sillage de l’impérialisme américain, l’impérialisme anglais est
celui qui s’est le plus engagé. Il faut notamment mentionner sa participation
active au blocus économique de l’Irak qui a été la cause de centaines de
milliers morts, essentiellement des enfants « chers à Tony Blair »,
aux bombardements massifs de l’Irak en décembre 1998 et février 2001, à
l’expédition militaire contre l’Afghanistan en octobre 2001 et à la guerre
contre l’Irak en mars 2003. Aujourd’hui, l’armée britannique est la principale
force d’occupation de l’Irak, après celle de l’impérialisme US, avec 10 000
hommes chargés de faire régner l’ordre impérialiste dans le sud du pays.
Le premier responsable c’est
effectivement le gouvernement anglais qui, au compte des intérêts de
l’impérialisme anglais, prend part aux guerres de rapine à caractère
colonialiste contre les peuples opprimés menées sous la conduite de
l’impérialisme américain, semant ainsi le feu, le fer, le sang et la misère.
Une fois de plus, ce sont les masses laborieuses qui en payent le prix.
La responsabilité du Labour Party
et du TUC
Lors du congrès du Labour Party de septembre 2004, les dirigeants de syndicaux de
l’UNISON (services publics), du TGWU (transports), du GMB (fonction publique
territoriale) et de l’AMICUS (industrie), syndicats qui représentent à eux
seuls plus de 40 % des mandats au sein
du congrès Labour Party, ont accepté à la demande du
gouvernement de retirer au dernier jour du congrès une motion se prononçant, en
des termes certes fort mesurés, pour le retrait «rapide » des troupes d’occupation,
motion qui avait été adoptée quelques jours auparavant par le congrès du TUC
(une motion équivalente a été finalement repoussée par 86 % des mandats contre
14 % : il est clair que c’est la capitulation des dirigeants syndicaux
détenant 40 % des mandats qui a permis à Blair de s’imposer).
En février et mars 2003, dans
toute le Royaume-Uni s’étaient pourtant déroulées d’imposantes manifestations
contre la participation de la Grande-Bretagne à la guerre contre l’Irak. Ainsi,
le 13 février 2003, plus de deux millions de personnes manifestaient à Londres.
Ce rejet de la prochaine guerre impérialiste s’est réfracté au sein du TUC et
du Labour Party. Le 18 mars 2003, 139 députés du
Labour Party sur 412 refusaient de soutenir le
gouvernement Blair sur la question de l’entrée en guerre ; dans le même
temps des leaders du Labour Party comme Robin Cook,
ancien ministre des affaires étrangères ou Clare Short, secrétaire d’État au
développement préféraient démissionner du gouvernement.
Mais en fin de compte, le
gouvernement Blair a gardé les mains libres. En effet ni les députés
« rebelles » du Labour Party ni les dirigeants
du TUC n’ont ouvert de perspective politique au combat contre l’intervention
impérialiste. Après les attentats de Madrid du 11 mars 2004, le prolétariat a
imposé le retrait des troupes espagnoles en chassant Aznar lors des élections.
S’opposer victorieusement à l’intervention impérialiste nécessite d’affronter
et de vaincre le gouvernement Blair. De ce point de vue reste à l’ordre du jour
en Grande-Bretagne, le combat pour la manifestation centrale des travailleurs
au parlement pour imposer à la nouvelle majorité des députés du Labour Party qu’elle décrète contre le gouvernement Blair le
retrait immédiat des troupes britanniques d’Irak et d’Afghanistan. C’est la
responsabilité des dirigeants des syndicats, du TUC, du Labour Party d’appeler à une telle manifestation. De la même
manière, il est de la responsabilité des dirigeants des syndicats d’organiser
le boycott du transport et du ravitaillement des troupes impérialistes. Dans
cette voie seulement il est possible d’en finir avec le terrorisme : il
s’agit d’abord de commencer à mettre un terme à l’oppression des peuples par
son propre impérialisme.
Dans les semaines qui ont suivi,
l’union nationale s’est réalisée du Labour aux Tories autour du gouvernement
Blair pour l’adoption de nouvelles dispositions renforçant considérablement les
pouvoirs répressifs de la police et de la justice au nom de la lutte contre le
terrorisme. Une nouvelle fois les dirigeants du TUC et des syndicats ont pris
en charge la politique de Blair.
Les élections du 5 mai 2005
Les élections ont été convoquées
le 5 mai 2005. Les résultats portant sur tout le Royaume-Uni ont été les
suivants, un siège restant non pourvu du fait du décès à la veille des
élections d’un des candidats, du parti libéral démocrate (SLD). Un rappel des
résultats des élections générales de 1997 et de 2001 est éclairant.
|
|
Labour Party |
Conservateurs (Tories) |
Libéraux (SLD) |
Autres*** |
||||||||
année |
% |
% |
% |
sièges |
% |
% |
sièges |
% |
% |
Sièges |
% |
% |
sièges |
part. |
expr |
inscrits |
|
expr |
inscrits |
|
expr |
inscrits |
|
Expr |
inscrits |
|
|
1997 |
71,22 |
43,17 |
30,74 |
419 |
30,6 |
21,8 |
165 |
16,7 |
11,89 |
46 |
9,53 |
6,79 |
29 |
2001 |
59,38 |
41,96 |
24,92 |
412 |
32,69 |
19,41 |
166 |
18,84 |
11,19 |
52 |
6,51 |
3,866 |
29 |
2005 |
61,30 |
35,20 |
21,58 |
356 |
32,30 |
19,80 |
197 |
22,00 |
13,49 |
62 |
10,50 |
6,44 |
30 |
Avant les élections de 2005, à la
suite d’élections partielles, la composition du parlement était la
suivante : Labour Party 408, conservateurs
160 ; libéraux 55, autres 36. Entre 2001 et 2005, le nombre de députés a
été réduit de 659 à 646 du fait d’une réduction du nombre de circonscriptions
en Écosse.
En voix les données sont les
suivantes :
|
Labour Party |
Conservateur (Tories) |
Libéraux (SLD) |
Autres*** |
1997 |
13 517 911 |
9 591 082 |
5 243 440 |
2 144 674 |
2001 |
10 591 082 |
8 355 193 |
4 814 321 |
1 662 542 |
diff. voix |
-2 926 829 |
-1 235 889 |
-429 119 |
-482 132 |
diff.% |
-21,65 |
-12,89 |
-8,18 |
-22,48 |
2005 |
9 556 183 |
8 772 598 |
5 982 045 |
2 821 501 |
diff. voix |
-1 034 899 |
417 405 |
1 167 724 |
1 158 959 |
diff.% |
-9,77 |
5,00 |
24,26 |
69,71 |
***Dans le total « Autres »
sont comptabilisés les résultats de plus de 50 partis et organisations. Parmi
eux, obtiennent des députés en 2005, comme en 1997 et 2001, essentiellement les
partis bourgeois et petits bourgeois que sont les nationalistes écossais,
gallois et ceux représentés en ’Irlande du Nord (le Labour Party
ne présente pas de candidat en Irlande du Nord). Pour ces partis le décompte
est le suivant : 9 députés pour le DUP (Démocrates Unioniste d’Irlande
du Nord…) ; 6 pour le SNP (Parti Nationaliste Écossais) ; 5 pour le Sinn Fein (Parti Républicain
Irlandais) ; 3 pour le Plaid Cymru (Parti
nationaliste Gallois) ; 3 pour le SDLP (Parti Social-démocrate et
Travailliste d’Irlande du Nord) ; 1 pour l’UUP (Unioniste d’Ulster). Ces
derniers représentent près de la moitié des votes
classés ici dans la catégorie Autres.
Pour
le reste il faut
mentionner le député obtenu à Londres aux dépends du Labour Party
par la coalition Respect (68 065 voix seulement sur tout le Royaume-Uni). Il
faut aussi noter le score de l’UKIP (United Kingdom Independant Party), ultra conservateur, ouvertement anti
européen et xénophobe, qui, sans obtenir de député, passe, par rapport à 2001,
de 390 910 à 618 898 voix (soit en exprimés de 1,5 à 2,3 %) alors que ce parti
avait obtenu 16,1 % des exprimés lors des élections européennes de juin 2004,
soit 12 eurodéputés, au troisième rang derrière le Labour et les conservateurs.
En fin le BNP (British National Party), l’équivalent
du FN en Grande-Bretagne obtient 192 850 voix, progressant de 0,5 % par rapport
aux exprimés alors qu’il avait obtenu 4,9 % aux élections européennes. Il reste
une organisation marginale.
Une majorité aux Communes acquise de justesse
Un premier fait à relever :
l’abstention reste à un niveau très élevé (38,70 %) sans atteindre le record
historique des élections de 2001 (40,62
%, niveau le plus haut depuis 1918) et se situant à près de 10 % au-dessus de
celles des élections de 1997 (28,78 %). Comme depuis 1997, à nouveau les tories
(conservateurs) ont été incapables de rallier leur électorat petit-bourgeois
traditionnel (de ce fait malgré une forte participation des couches populaires,
en 1997, la participation s’était située en-dessous de celles observées en
moyenne pour ces élections depuis 1945, soit 75 %). Par contre comme en 2001,
s’est manifestée une très forte abstention de l’électorat ouvrier et populaire.
Ainsi ce sont dans les régions les plus ouvrières (Grand Londres, North East, North
West, Yorkshire and the
Humberside) que la participation est la plus basse (respectivement 58,2 ;
57,2 ; 57,1 et 58,7 %).
Toutefois dans les principales
villes ouvrières, le Labour conserve tout de même ses positions en terme de
députés élus grâce au mode de scrutin. Déjà en 2001, le Labour Party avait perdu plus de 20 % des voix obtenues en 1997.
En 2005, il en perd près de 10%
de plus. Au total depuis 1997, il perd plus de 29 % de son électorat, soit 3
961 728 voix. Quoiqu’en disent tous ceux qui glosent sur la nouvelle victoire
électorale « historique » de Tony Blair c’est une gifle pour le New
Labour qui réalise par rapport aux inscrits son plus mauvais résultat depuis
1945, à l’exception des élections de 1983 où il était descendu au plus bas avec
20,1 % des inscrits.
Le New Labour conserve cependant
la majorité absolue au parlement avec 356 députés (la majorité absolue est de
324 sièges). Il ne doit ce résultat en trompe l’œil qu’au mode de scrutin uninominal
à un tour et au fait que le parti conservateur stagne. Les Tories n’obtiennent
que 19,8 % des inscrits et c’est aussi leur plus mauvais score depuis 1945
hormis celui réalisé en 2001. Ils se voient âprement disputer une partie de
leur électorat par le parti libéral. Ce dernier progresse
significativement : le fait qu’il ait pris position contre la
participation à la guerre contre l’Irak n’est probablement pas étranger à ce
résultat. Les sondages indiquent qu’il a aussi recueilli une partie significative
de l’électorat du Labour Party de ce seul fait (les
libéraux gagnent 12 sièges au Labour Party et 3 aux
conservateurs tout en leur en cédant cinq, soit un gain total de 10 sièges).
Dans le même sens, les candidats du Labour qui subissent une moindre érosion de
leur score électoral sont ceux qui se sont clairement démarqués de la politique
du gouvernement Blair en Irak
Le moins que l’on puisse dire,
c’est que le Labour Party et Tony Blair ont eu chaud.
Le Labour ne devance le parti
conservateur que de 785 585 voix. Conservateurs et Libéraux obtiennent 54,30 %
des suffrages exprimés contre 35,20 % pour le Labour Party.
En réalité le New Labour ne doit son salut au fait qu’une grande partie de la
« Middle Class » (la classe moyenne) lui est restée fidèle.
Cet électorat petit-bourgeois
avait fait les frais de la politique des gouvernements conservateurs de
Thatcher et Major. Il ne trouve pas dans le Parti conservateur une nouvelle
perspective crédible.Ceci pas plus que le capital financier : à la veille
des élections, The Economist, journal
patronal, titrait « Il n’y a pas d’alternative hélas ! ».
Un signe qui indique que le
capital financier, autant au plan de la politique intérieure que de la
politique extérieure s’accommode des gouvernements dirigés par Tony Blair. Ni
le parti conservateur, toujours déchiré en particulier sur la ligne à suivre
vis-à-vis de L’Union Européenne, ni les libéraux ne sont à même de prendre le
relais, « hélas ! ».
C’est aussi une donnée qui a évité le pire au New Labour : perdre les
élections.
Sur le terrain défriché par Thatcher et Major….
Ces dernières élections
confirment d’une manière amplifiée celles de 2001 : les masses laborieuses
rejettent la politique du gouvernement Blair et du Labour Party.
En 1997, elles ont chassé les
conservateurs qui étaient au pouvoir depuis 1979 avec la volonté de porter un
coup d’arrêt à la politique ultra réactionnaire menée par Thatcher puis Major.
Elles ont à cet effet utilisé la seule voie possible : le vote pour le
Labour Party.
Mais par la suite force est de
constater que de 1997 à 2001, elles ont été dans l’incapacité d’utiliser pour
leur compte le fait que les conservateurs aient été chassés du pouvoir en
s’engageant sur leur propre terrain pour imposer au Labour Party
et au TUC de rompre avec le gouvernement Blair et sa politique. Il est à noter
que de 1997 à 2001, le gouvernement Blair a bénéficié d’une relative
« paix sociale », sans qu’aucun mouvement important de la classe
ouvrière ne vienne entraver son action et que d’une manière concomitante ne
trouve une certaine expression au sein du Labour Party
et des syndicats. Le seul accroc de taille au sein du Labour fût, lors des
élections municipales de mai 2000, la défaite du candidat de Blair face à Ken
Livingstone qui fut exclu du Labour puis réintégré. Pourtant, dès sa
constitution en 1997, le premier gouvernement Blair s’est engagé sans fard à se
situer dans la continuité de la politique menée par les conservateurs depuis
1979.
En 1997, l’un des premiers actes
politique de Blair fut d’inviter Margaret Thatcher à déjeuner : plus qu’un
symbole. Tirant un bilan des huit années de gouvernement Blair, Le Monde du
26/04/2005 résumait :
«En 1997, le Labour s’était
autoproclamé « le parti des milieux d’affaires ». ceux-ci
n’ont effectivement pas eu trop à se plaindre de l’équipe Blair . Elle n’a
pas remis en cause l’héritage des tories : la flexibilité du travail est
devenu monnaie courante, particulièrement celle des mères de famille et des
hommes âgés de plus de 50 ans, et l’absence de restriction aux licenciements a
été maintenue.». Grâce à la bonne santé de l’économie, le nombre de faillite
est tombé à son plus bas niveau depuis 1933. Le Labour a diminué l’impôt sur
les sociétés et les actifs des entreprises ainsi que sur les actions et le parc
immobilier. Il encourage l’innovation, notamment au profit des PME. Le patronat
se félicite des mesures favorables à la concurrence et du bon fonctionnement du
New Deal, un programme de formation accélérée, offert aux demandeurs d’emploi
après six mois de chômage »
Au cours des huit dernières
années, les gouvernements de Tony Blair ont développé leur politique en
cultivant sur le terrain défriché par les gouvernements conservateurs de 1979 à
1997.
…les lois antisyndicales…
Les gouvernements de Tony Blair
ont maintenu et fait appliquer les lois antisyndicales adoptées par les
conservateurs entre 1980 et 1990. Il s’agit pour l’essentiel de la loi interdisant
les grèves de solidarité (Employment Act, 1980), de la loi donnant droit aux employeurs de
poursuivre un syndicat en justice pour dommage et intérêts en cas de
« grève illégale » et imposant qu’une grève ne peut être décidée
qu’après un vote à bulletin secret et précisant même que les délégués d’atelier
doivent être élus à bulletin secret (Employment Act 1982 au nom duquel par exemple le syndicat TGWU se vit
infliger une amende de 200 000 livres suite à une grève chez Rover en 1984) et
du Trade Union Act de 1984
qui stipule que les responsables des syndicats doivent être élus au scrutin
secret. L’Employment Act de
1988 autorise les employeurs et les membres d’un syndicat à exiger un vote
avant tout mouvement de grève ; il stipule que les comptes des syndicats
doivent être ouverts à l’inspection de tout membre qui demanderait à les voir.
Enfin, l’Employment Act de
1990 rend illégales toutes les grèves de solidarité.
Ces lois ne sont pas restées
lettre morte. En août 2005, la compagnie Gate Gourmet
qui fournit les repas aux passagers de la British Airways
a délibérément par la provocation poussé ses 670 employés à une grève
spontanée, donc « illégale », pour, en application de l’Employment Act de 1990 les
licencier sur le champ.
Libération
du 16/08/2005 rapporte qu’une note interne de l’entreprise définissait la
stratégie
« « Recruter et
former de nouveaux employés. L’annoncer aux représentants syndicaux, provoquer
une grève spontanée, licencier les grévistes et les remplacer par les nouvelles
recrues ». Le mémo estime à quinze semaines le temps pour mettre en
pratique une telle stratégie. Comme par hasard, Gate
Gourmet a créé voici exactement trois mois une filiale chargée de recruter des
saisonniers d’Europe centrale à des salaires moins élevés que le personnel
permanent ».
De leur côté, les dirigeants du
syndicat du secteur, le TGWU, acceptent totalement. L’un des porte-parole a
commenté l’événement :
« En Grande-Bretagne, ce
genre de stratégie de management est légal. Il faudrait que nous ayons des preuves
très solides pour pouvoir les poursuivre pour licenciement abusif. Ce qui nous
semble le plus urgent est de faire en sorte que les employés licenciés
retrouvent leur travail ».
… et policières
Pendant la campagne électorale
des dernières élections , le gouvernement s’est
évertué à rivaliser avec les conservateurs en matière de renforcement des
pouvoirs de la police et de la justice. De 1979 à 1994, les pouvoirs de la
police en matière de fouille et d’arrestation ont été considérablement
renforcés. Après la victoire électorale du New Labour en 1997, Tony Blair s’est
situé dans la continuité de cette politique. Après les attentats du 11
septembre 2001 le gouvernement a fait voter l’Anti-Terrorism,
Crime and Security Act qui autorise la détention de suspects étrangers pour
une durée indéterminée et sans qu’aucune charge ne leur soit notifiée. Même la
très réactionnaire chambre des Lords s’est émue de ses dispositions en tentant
de déclarer illégale cette législation. En décembre 2004, le gouvernement a
fait adopter, avec le soutien des dirigeants du parti conservateur, un projet
de loi rétablissant la carte d’identité obligatoire pour tous les
ressortissants sur le territoire britannique. Avant les élections de mai 2005,
l’arsenal des dispositions anti immigrés a été
considérablement renforcé. Suite aux attentats de juillet 2005, un nouveau
projet de loi à l’initiative du gouvernement aggrave la législation de 2001.
Il prévoit que la durée de la
garde à vue en matière de terrorisme soit portée de quinze jours à trois mois y
compris pour les citoyens britanniques et que pendant cette période les
suspects, qu’ils soient britanniques ou étrangers, pourront être détenus sans
être inculpés.
Le démantèlement de l’État providence
Les gouvernements de Tony Blair
ont poursuivi la tâche largement engagée par les conservateurs depuis
1979 : en finir avec le « Welfare
State », l’État providence, autrement dit la plupart des conquêtes
sociales arrachées par le prolétariat anglais après la deuxième guerre
mondiale. Sous l’impulsion de Tony Blair, le New Labour a érigé en dogme la
nécessité d’en finir avec la « culture de la dépendance » et de laisser
toute la place à la responsabilisé individuelle en matière de système de santé,
d’éducation, d’assurance chômage et de régime de retraite au détriment de
l’engagement de l’État dont l’intervention doit être réduite au minimum. Pour
le New Labour, l’ère des services publics gérés par l’État est définitivement
révolue. Dans la lignée de la politique des conservateurs, ont été poursuivies
les privatisations, l’introduction systématique de la logique du profit dans
les services de santé, le transfert des services municipaux vers le privé, la
privatisation rampante de l’éducation, la réduction à la portion congrue du
parc des logements sociaux.
Les gouvernements Blair ont
maintenu les mesures de réduction des prestations sociales mises en place par
les conservateurs ; Par exemple, le fait qu’en 1985 le Family
Income, supplément d’allocation versé aux familles
les plus pauvres ait été remplacé par… un système de prêt.
La contre réforme du système de
santé (NHS) lancée par le gouvernement Major au début des années 1990 a été
elle aussi appliquée et amplifiée.
A l’encadrement draconien des
dépenses générées par les médecins généralistes se combine celui des dépenses
des hôpitaux qui sont incités à soumettre systématiquement à la concurrence
toutes les prestations annexes (entretien ; repas blanchisserie etc. ). La politique consistant à soumettre le secteur
hospitalier à la « discipline du marché » et la détermination du
gouvernement à s’en tenir au seul niveau de financement prévu sans autoriser la
moindre rallonge budgétaire ont contribué au développement de situations
dramatiques. Certains hôpitaux ont dû renoncer à prodiguer des soins à des
patients au-delà d’un certain âge ou encore à certains traitements jugés très
onéreux. Au printemps 2003, le gouvernement a fait adopter une nouvelle loi
autorisant les meilleurs hôpitaux publics à s’ériger en établissement autonome
(« foundation hospital »),
c’est-à-dire à faire un grand pas vers leur privatisation (65 députés du Labour
Party avaient alors voté contre cette loi).
En matière d’enseignement, les
gouvernements en place depuis 1997, ont engagé les contre réformes que les
conservateurs projetaient de réaliser. En trame de fond, la plupart des
investissement en matière d’infrastructures scolaires, de l’enseignement primaire
à l’université, sont basés sur l’appel à l’investissement privé Pour ce
qui est de l’enseignement public, en résumé :
« Lancé en 2001, le plan,
quinquennal pour l’enseignement secondaire tourne en effet radicalement le dos
à quarante ans de politique travailliste en matière d’éducation, en remettant à
l’honneur le principe de la sélection des élèves. (…) Très critique à l’égard
des comprehensives (écoles généraliste - ndlr) le premier ministre souhaite promouvoir la montée en
puissance des specialist schools
(écoles spécialisées à caractère professionnel - ndlr) »
(Le Royaume-Uni aujourd’hui. Hachette 2004).
Entre autres mesures, en 2000,
ont été adoptées par le parlement des dispositions permettant le licenciement
« rapide » des professeurs jugés incompétents, ainsi que le système
de rémunération au mérite pour récompenser les meilleurs enseignants. Pour
l’université, où la marche à l’autonomie complète est là aussi l’orientation,
le gouvernement à soumis en janvier 2004 au parlement une loi autorisant chaque
université à relever les droits d’inscription en fonction de leur besoins (loi
adoptée de justesse par 316 voix contre 311, avec le soutien des députés
conservateurs malgré la fronde d’une large majorité de députés du New labour).
En application ce cette loi, les droits d’inscription étaient en 2004 d’au
moins 1600 euros et plafonnés à… 4290 euros !
Enfin en ce qui concerne la part
des retraites assurées par l’État, financée par l’impôt, la suppression de
l’indexation sur les salaires depuis 1980 a été maintenue. Les pensions versées
sont réduites à la portion congrue (115 euros par personne et par semaine, 184
euros pour un couple) et un retraité sur dix vit au-dessous du seuil de
pauvreté. Les retraités sont par ailleurs touchés de plein fouet par la crise
du système privé par capitalisation
« L’éclatement de la
bulle boursière en 1999 a sonné le glas de ses plans d’entreprise, laissant la
place à un système beaucoup moins favorable ne garantissant plus un niveau de
retraite précis et faisant dépendre plus étroitement la valeur des pensions des
performances aléatoires du marché ». (Le Monde du 14/10/2004).
La situation est telle que ce
sont aujourd’hui les employeurs qui dans de nombreuses entreprises refusent
l’accès des nouveaux embauchés aux plans d’épargne. Pour les caisses
complémentaires gérées par l’État le gouvernement Blair s’est engagée sur la
voie des contre réformes. Fin 2004 il a avancé un projet visant à allonger de
60 à 65 ans l’âge de la retraite pour les agents de la fonction publique
locale, certains agents étant susceptibles de plus de voir réduire le montant
de leur pension de 25%.
Ces dispositions devaient entrer
en vigueur au 1er avril 2005. Face à la menace d’une grève a l’appel des syndicats du secteur, le gouvernement a
« suspendu » sa réforme en attendant que soit passé le cap des
élections.
Le « partenariat public/privé »
De 1983 à 1996, les conservateurs
ont procédé à une vague impressionnante de privatisations, le plus souvent
après avoir réduit les effectifs au frais de l’État quand c’était nécessaire.
Toutes les grandes entreprises publiques des secteurs de l’énergie (pétrole,
gaz, électricité), des télécommunications, de la distribution d’eau, de
l’automobile, de la construction aéronautique et navale et de la sidérurgie ont
été privatisées. La quasi totalité du secteur des
transports a subi le même sort. Pour le peu qui restait, les gouvernements de
Tony Blair ont poursuivi cette politique. Ils ont par exemple à leur actif la
privatisation du contrôle aérien et la privatisation partielle du métro de
Londres.
Mais de plus, depuis 1997 s’est
développé à plein le système du partenariat public/privé (Public-Private
Partenerships - PPP) instauré par les conservateurs
en 1992 avec le Private Finance Initiative (PFI). En
résumé, la gestion des équipements « publics » dans les domaines de
la santé (hôpitaux), de l’éducation (écoles, collèges, universités), des services
municipaux ou encore des infrastructures routières est confié
au secteur privé sur la base d’investissements conjoints des entreprises
concernées et de l’État. Même la construction et la gestion des bâtiments des
administrations centrales, des prisons et des commissariats de police est concernée. Les concessionnaires privés conçoivent les
projets, les réalisent, les font fonctionner et en assurent la
maintenance ... L’État ou la collectivité locale n’exercent plus qu’un
« rôle régulateur » et rémunèrent le « service rendu ». En
2004, 15% des dépenses de l’État ont été engagées dans le cadre du PPP.
Depuis 2001, les syndicats
s’élèvent contre le développement des PPP et constatent le coût élevé pour
l’État des prestations rendues par le secteur privé et dénoncent les rentes qui
lui reviennent ainsi. C’est sur cette base que le gouvernement Blair a pu se
prévaloir d’une augmentation conséquente au titre de la « rénovation des
services publics » des dépenses publiques depuis 2001 en matière de santé,
d’éducation et de transport (notamment dans le domaine du transport ferroviaire
où la privatisation de British Rail avait conduit à un délabrement sans
précédent du réseau ferré marqué par une série d’accidents dramatiques et où le
gouvernement a dû provisoirement reprendre le contrôle de l’entretien des
réseaux ferrés, la perspective restant celle de la privatisation).
De fait entre 2001 et 2005, la
dépense publique dans ces domaines a augmenté de plus de 4 % en termes réels au
plus grand profit du secteur privé, en particulier des trusts dans le domaine
du bâtiment et des travaux publics ainsi que des services associés. Dans ces
activités, plus de 800 000 emplois, avec des statuts des travailleurs du privé,
c’est-à-dire dans les mêmes conditions de précarité, auraient été créés depuis
1997 selon Capital de mai 2005. Mais
pour ce qui est des postes de fonctionnaires des administrations centrales, la
politique des conservateurs a été poursuivie. Leur nombre est passé de 745 000
en 1976 à 565 000 en 1992 puis à 515 000 en 2002. D’ici 2008, le nouveau
gouvernement Blair prévoit 40 000 suppressions de postes supplémentaires. De
1990 à 2000, les dépenses publiques n’ont cessé de décroître et le budget de
l’État est devenu excédentaire (corrélativement la dette publique n’atteint
«que» 41.6 % du PIB en 2004, nettement moins que l’Allemagne ou la France).
A partir de 2001, la tendance
s’est inversée en particulier du fait du développement du PPP. De 1 % du PIB en
2001, le déficit est passé à 3 % en 2004 (mais ont aussi pesé le coût des
expéditions militaires). Comme l’impérialisme US, l’impérialisme anglais a eu
recours au budget de l’État pour « soutenir la croissance ». Le PPP
constitue une vaste entreprise de privatisation dans tous les domaines. Rares
sont les activités qui y échappent comme par exemple le secteur de la poste qui
reste toutefois dans le collimateur.
Le royaume de la flexibilité
Pour les
« entrepreneurs » de l’Europe entière, la Grande-Bretagne reste la
référence du fait de la quasi-absence de réglementation limitant
l’exploitation. C’est effectivement le royaume de la flexibilité. En matière de
licenciements les patrons n’ont aucune obligation pour les salariés employés
depuis moins de deux ans et ils « peuvent
virer jusqu’à vingt personnes du jour au lendemain, sans demander
l’autorisation à qui que ce soit. Licencier ne coûte presque rien. Selon les
calculs du Cercle d’outre-Manche, un groupe de dirigeants français en poste au
Royaume-Uni, le licenciement économique,
y revient trois fois moins cher qu’en France » (Capital de mai 2005).
Pour les salariés de moins de
deux ans d’ancienneté ou en CDD, il n’y a pas d’indemnités de licenciement.
Pour les salariés de plus de deux ans, les indemnités de licenciement sont
réduites à la portion congrue : l’indemnité de licenciement s’élève au
maximum entre 18 et 30 semaines de salaire plafonné à 280 livres par semaine,
soit environ 400 euros. Dans le cas où l’entreprise est insolvable, c’est 12
semaines maximum versés par un fond public, ce qui est le cas des salariés de
Rover aujourd’hui. Et de plus, les indemnités de licenciement affectent le
montant des indemnités du chômage. Par ailleurs le préavis de licenciement peut
varier de 1 à 12 semaines. Le nombre de CDD est trois fois plus important qu’en
France.
Le gouvernement Blair a maintenu
la mise en œuvre de la contre réforme du système d’assurance chômage décidée en
1996. Quel que soit son dernier emploi, un chômeur touche 346 euros pas
mois ; après six mois de chômage, le suivi personnalisé via les « job
center » est incontournable : tout refus de
poste, même s’il ne correspond pas à la qualification, entraîne la suppression
ou la réduction des allocations. C’est le “New Deal” (le nouveau contrat)
théorisé par les dirigeants du New Labour : passer du « welfare state » au « workfare
state » (en France, le PARE promu par le MEDEF est totalement inspiré de
ce système). Dans ces conditions, le gouvernement Blair affiche un taux de
chômage limité à 4,7 %. Mais ces statistiques officielles sont biaisées.
En effet elles ne prennent pas en
compte les millions de travailleurs qui doivent se contenter du travail à temps
partiel. Elles tirent un trait sur les 2 600 000 personnes qui bénéficient
encore d’une maigre allocation d’incapacité parce que considérées comme
« inaptes au travail », classées comme « inactifs » et non
comme chômeurs.
Selon un rapport publié par
l’OCDE en 2004, le nombre de demandeurs de cette allocation « est aujourd’hui deux fois et demi
plus élevé que le nombre de demandeurs d’allocations chômage. C’est peut-être
parce que les autres mécanismes de garanties de ressources ont été
considérablement durcis que les prestations d’incapacité sont devenues une
« soupape de sécurité » ».
En réalité, le taux de chômage
officiel pourrait être au bas mot multiplié par trois et même plus si l’on
tenait compte du travail à temps partiel.
En matière de temps de travail,
il n’y a pas de durée hebdomadaire légale. En moyenne les salariés à plein
temps travailleraient 37 heures par semaine mais 25 % des salariés travaillent
plus de 48 heures par semaines. La loi prévoit ce que l’on appelle le droit de
retrait (« opt out ») qui permet de déroger
à la limite de la directive européenne fixant le seuil à 48 heures en moyenne
(en réalité l’annualisation du temps de travail fait que la directive autorise
des périodes pouvant atteindre trois mois avec des semaines à 65 heures par
semaine). De ce fait, 16% des salariés travaillent plus de 60 heures par
semaine. A noter que cette procédure est pour beaucoup appliquée dans le
secteur public, chez les travailleurs de la santé par exemple. 26 % des
salariés travaillent à temps partiel (17% en France) et plus d’un million de
travailleurs sont contraints de cumuler deux emplois pour survivre.
Un salaire minimum horaire à
géométrie variable a été instauré par Blair en 1998, avec la pleine adhésion du
patronat anglais : 5,05 livres en 2005 (7,22 euros) pour les plus de 22
ans ; 4,25 livres (6,07 euros) pour les 18-22 ans et pour les plus de 22
ans qui obtiennent un emploi chez un nouvel employeur. En 2004, a été instauré
un salaire minimum de 3 livres (4,29 euros) pour les
16/17 ans.
Forces et faiblesses de l‘impérialisme britannique
Les coups portés au prolétariat
depuis le début des années quatre-vingt sont l’explication première de la
relative bonne tenue de l’économie britannique par rapport à celle de ses
principaux concurrents, en particulier en Europe. La baisse générale du coût de
la force de travail s’est combinée, en particulier après de la défaite
politique infligée par Thatcher aux mineurs en 1985, avec une restructuration
rapide du capital par la liquidation sans presque aucun obstacle des
« canards boiteux » de l’économie, les privatisations et
l’augmentation de la productivité du travail dans les secteurs clefs de
l’économie. Dans ces conditions la croissance du PIB se situe depuis 1993
sensiblement au-dessus de celle de la zone euros et depuis 2003, le pays est
repassé au quatrième rang mondial, devant la France, au classement du PIB. Mais
faire état de ces « performances » ne doit pas masquer la situation
réelle de l’économie anglaise. La part du secteur productif dans le PIB est en
régression : elle est passée de 34 % en 1965, à 21.8 % en 1985, et à 15,6
% en 2003 ; le nombre d’employés dans ce secteur est passé de 36 % du
total des emplois en 1960, à 22.5 % en 1987 et à 14.1 % en 2002.
Corrélativement, le pays est devenu largement importateur de produits
manufacturés et ses échanges commerciaux sont devenus très déficitaires dans ce
domaine. Par contre la part des services dans le PIB représentait 73.6 % (77 %
des emploi) en 2001. Le Royaume- Uni est exportateur de services en tous genres
(services financiers, aux entreprises et informatiques, assurances). La City de
Londres emploie près de 300 000 salariés, 20 % des prêts bancaires dans le
monde, 50 % des transactions en actions, 30 % du négoce en devises et 40% des
patrimoines gérés en Europe par les fonds de pension transitent par Londres.
Les conditions d’exploitation du
prolétariat rendent attractif le Royaume-Uni pour les investisseurs étrangers
qui, de plus, présente l’avantage de constituer une entrée sur le marché unique
européen.
A titre d’exemple, le taux de pénétration
du capital étranger dans les services de la finance est de 37 %. En dernière
analyse, le développement de l’économie anglaise est profondément et
organiquement lié à celui du parasitisme dans tous les domaines.
Une certaine arrogance
La défaite de Chirac à l’occasion
du référendum plébiscite de mai 2005 sur la constitution européenne en a bloqué
le processus d’adoption. Tony Blair a pu pousser un profond soupir de
soulagement. Défendant la ligne adoptée par le capital financier anglais, il
s’était prononcé pour l’approbation de la constitution et un référendum était
envisagé pour 2006. L’affaire se présentait sous de mauvais augures. En 2004,
le TUC a refusé de se prononcer pour l’approbation de la constitution et
certains syndicats parmi les plus puissant, comme l’UNISON, s’orientaient
ouvertement vers une campagne contre. Le résultat du vote en France a donné à
Tony Blair l’occasion de se dégager et de jouer les gros bras.
A l’occasion de la présidence de
l’Union Européenne par le Royaume-Uni, le gouvernement anglais a repris
l’initiative. Il se propose de faire de cette présidence un
étape vers l’exportation en Europe du « modèle social » britannique.
Il poursuit l’objectif de briser l’axe Paris-Berlin
et de s’imposer comme l’interlocuteur privilégié de l’impérialisme allemand au
détriment de l’impérialisme français. Dans ce contexte il a pris l’initiative
de provoquer une crise à propos de l’adoption du projet de budget de l’UE,
remettant entre autre le compromis franco-allemand sur la politique agricole
commune (PAC). Toutefois, dans ce registre, le capital anglais doit agir avec
prudence car l’économie britannique est profondément dépendante du marché
unique européen. L’Union européenne accueille près de 60% de ses exportations.
Dans ce contexte, les cercles dirigeants du capital financier sont plutôt
favorables à l’adoption de l’euro.
Dans le même temps, dans le
sillage de l’impérialisme américain, l’impérialisme anglais a pour objectif de
reconquérir certaines positions et il s’affirme d’une certaine manière comme un
impérialisme guerrier. Le Monde
Diplomatique de mai 2005 indique :
« Alors que la fin de l’Empire
britannique date d’une génération à peine, sa réhabilitation fait l’objet d’une
offensive discrète mais concertée de la part de journaux britanniques
influents, d’universitaires conservateurs, et jusqu’au plus haut niveau du
gouvernement. On a pu apprécier la portée de cette campagne quand en janvier
dernier, M. Gordon Brown, l’actuel ministre des finances, qui est aussi
l’héritier présomptif de M. Anthony Blair, a déclaré en Afrique de l’Est :
« L’époque est révolue où la Grande-Bretagne devait présenter des excuses
pour son histoire coloniale » ».
On peut noter qu’en 2003, le
budget militaire de l’impérialisme britannique se situait au deuxième rang
mondial loin derrière l’impérialisme américain mais significativement devant
ceux de ses principaux concurrents (en milliard de dollars, pour 2003, ces
budgets étaient de : USA 382.6 ; RU 43.3 ; Japon 41,4 ;
.France 34.9 ; Allemagne 25.1).
Outre les interventions déjà
mentionnées en Afghanistan et en Irak, il faut noter la part prépondérante
prise par l’impérialisme britannique au Kosovo en 1999 et son intervention
directe en Sierra Leone en 2000. Ce n’est pas un hasard si lors du sommet du G8
en juillet 2005, Blair a mis au centre l’augmentation de l’aide aux pays
africains en stigmatisant le fait que l’aide au développement ne pouvait être
accordée à des régimes corrompus et anti démocratiques.
Chirac était particulièrement visé en particulier du fait de ces
« amitiés » au Togo. Cette réorientation de l’impérialisme anglais,
le gouvernement Blair fait tout ce qui est possible pour la mettre en œuvre.
Licenciements chez Rover
Le 7 avril 2005, moins d’un mois
avant les élections, les chaînes de production se sont arrêtées dans l’usine MG
Rover. C’était la suppression immédiate de 5100 emplois sur le site, 1000
employés et ouvriers conservant encore quelques mois leurs emplois pour achever
la production en cours. A terme c’est aussi la suppression de 20000 emplois
indirects de sous-traitants et de fournisseurs auxquels il faut ajouter les
8000 emplois du réseau de concessionnaires. Il s’agissait de la liquidation du
dernier constructeur automobile anglais. Face à cette situation le gouvernement
en la personne de Blair a affirmé qu’il était hors de question d’intervenir en
respect du principe de la « sélection naturelle » par le marché. Les
dirigeants du premier syndicat concerné, le TGWU, ont organisé deux
manifestations de protestation qui ont rassemblé quelques centaines de
personnes non pas pour s’opposer aux licenciements mais pour remettre en cause
le fait que les licenciements économiques n’avaient pas été négociés en amont.
De fait, les dirigeants syndicaux s’étaient engagés depuis des mois dans le
soutien à la direction des patrons de Rover – le fond d’investissement Phœnix
Venture qui avaient acquis l’entreprise à BMW en 2000 - dans leurs négociations
avec un constructeur chinois pour le rachat de la société. Ces négociations ont
échoué. En moins de trois semaines, l’affaire a été réglée. En réalité, aucune
résistance significative, remettant en cause la capitulation des dirigeants
syndicaux et exigeant que le combat contre les licenciements soit organisé, ne
s’est manifestée. Les dirigeants syndicaux ont approuvé l’engagement du
gouvernement à payer une partie des indemnités de licenciements pour pallier à
la faillite déclarée par le patron. Les conditions dans lesquelles la
liquidation de Rover s’est produite en disent long sur le désarroi politique du
prolétariat anglais.
Le prolétariat cherche à faire face
Néanmoins, depuis 2002, le
prolétariat a cherché à engager le combat contre la politique du gouvernement.
D’importants mouvements se sont développés à partir de revendications sur les
salaires, contre les privatisations ou sur le manque de personnel dans la
fonction publique locale, les services municipaux, les transports, l’éducation
et la santé. On peut relever en 2002-2003 : de juillet à octobre 2002, les
grèves des agents du métro de Londres contre sa privatisation partielle avec le
soutien du maire de Londres K. Livingstone ; en juillet 2002 la plus
importante grève depuis 1979 des fonctionnaires des collectivités territoriales
sur la question des salaires.
Suite à ces grèves le
gouvernement à été contraint de faire quelques concessions : il a dû céder
7,7 % d’augmentation sur deux ans et une augmentation de 10,9 % des bas
salaires. Face aux menaces de grèves dans les secteurs de la santé et de
l’éducation, le gouvernement a aussi dû lâcher du lest avec des augmentations
de salaire de 3,5 % en 2002. Les grèves des pompiers revendiquant initialement
une augmentation du pouvoir d’achat perdu depuis 1977, soit 40 %, et contre la
privatisation d’une partie des activités, se sont déroulées de novembre 2002 à
mars 2003 avec le soutien de la population laborieuse et de nombreux élus
locaux du Labour Party. Les pompiers ont rejeté
l’accord que s’apprêtaient à signer les dirigeants de leur syndicat, le FBU,
soit 16 % d’augmentation sur trois ans mais avec des dispositions en matière
d’heures supplémentaires qui entraînaient à terme une baisse de 20% des
effectifs.
Les imposantes manifestations de
février-mars 2003 contre la guerre en Irak ont été organisées avec le soutien
de nombreux syndicats et d’une fraction importante du Labour Party. Le gouvernement Blair a été contraint d’en tenir
compte à l’approche des élections. Ainsi, dans les négociations avec les
syndicats, il a accordé en 2004 des réévaluations du salaire minimum : 4 %
en 2005, 6 % en 2006. Face à la menace de la grève des agents de la fonction
publique locale, en accord avec les syndicats, il a différé sine die mais pas retiré la réforme
allongeant de cinq ans la durée de cotisations.
Malgré tout, le prolétariat a
manifesté depuis 2002 sa volonté de faire face à la politique du
gouvernement, se réfractant au sein des syndicats
qui, sans rompre politiquement avec le gouvernement, ont été contraints depuis
2002 de prendre plus ou moins en charge les revendications des masses.
Contrairement à Thatcher, surtout après la défaite de la grève des mineurs,
puis à Major et même à la période 1997-2001, Blair aujourd’hui ne peut
envisager de poursuivre sa politique au compte du capital sans la collaboration
des dirigeants syndicaux.
Les syndicats et le TUC
Les syndicats fédérés dans le TUC
(Trades Union Congress)
comptaient 12,5 millions d’adhérents en 1979.
En 1998 le nombre de syndiqués
est tombé à 7,15 millions. En 1997, ils se sont pliés à l’orientation du
gouvernement Blair : l’essentiel de la politique des gouvernement de Thatcher
et de Major ne sera pas remis en cause. Mais, fait notable, depuis 1999 la
tendance est plutôt à une progression sensible. En 2002, le nombre de membres
des syndicats a atteint 7,3 millions. Malgré le recul lié en partie à la
désindustrialisation, la syndicalisation est en légère progression dans le
secteur public et le secteur privé. De plus, depuis 2002, dans de nombreux
syndicats les directions ayant fait totale allégeance au gouvernement Blair et
engagées dans l’appareil du Labour Party ont dû laisser
la place à de nouveaux leaders réputés plus radicaux et plus en prise avec les
revendications des masses. En général ces nouvelles directions sont moins
impliquées dans l’appareil du New Labour. C’est en particulier le cas dans les
syndicats des personnels des services publics : ceux de télécommunications
et de la poste (CWU), des services publics (UNISON), des pompiers (FBU), des
personnels ferroviaires et du métro (RMT) et des travailleurs non qualifiés du
secteur public (GMB). Mais aussi dans ceux du secteur privé : le dirigeant
de l’AMICUS, qui avait été en 2003 anobli par …Tony Blair, qui avait déclaré à
son propos qu’il était « un
syndicaliste comme je les aime », a été débarqué au profit d’un
nouveau leader catalogué comme « pro
communiste ». Bon nombre de syndicats ont décidé de réduire leur
cotisation au New Labour au titre de membres affiliés et, au niveau local, de
conditionner leur soutien aux candidats du Labour Party
à leur prise de position sur les revendications.
En février 2004, le syndicat du
rail et du transport maritime et terrestre, RMT, a été exclu comme membre
affilié du Labour Party. Du point de vue de
l’histoire du Labour, c’est un événement : c’est le RMT qui proposa en
1899 la création du « Comité de représentation du travail »
(« Labour Représentation Committee ») dont
est issu en 1906 le Labour Party. Sous la pression
des cheminots le RMT mène campagne pour le renationalisation du transport
ferroviaire. Le New Labour refusant de rompre avec le gouvernement sur cette
question, le RMT a décidé d’autoriser ses syndicats locaux à adhérer à d’autres
partis en particulier le Scottish Socialist Party. De ce fait son exclusion a été prononcée.
Parmi les 69 syndicats qui sont
fédérés par le TUC, 18 restent affiliés au Labour Party.
Mais ces derniers représentent près de 80 % des syndiqués. Les adhérents de ces
syndicats, parce que membres d’un syndicat affilié et pour ceux qui payent une
cotisation à ce titre, constituent près de 90 % des membres du Labour Party (ils sont
« adhérents indirects »). Malgré les mesures prises par Blair pour
réduire le pouvoir de décision des syndicats affiliés et par conséquent des
adhérents « indirects » que sont ceux des syndicats, il n’en reste
pas moins que ces derniers ont un poids politique prépondérant.
S’ils le voulaient, les
dirigeants des syndicats affiliés pourraient décider encore de l’orientation du
Labour Party (le chef du parti travailliste est élu
par un collège électoral au sein duquel les sections locales possèdent 30 % des
vois, le groupe parlementaire 30 % et les syndicats 40 %).
Le New Labour
S’il est incontestable que les
relations entre d’une part les dirigeants des syndicats et du TUC et d’autre
part le Labour Party et le gouvernement se sont
tendues depuis 2002, il n’en reste pas moins vrai que les premiers ont
finalement accepté l’orientation vers le New Labour impulsée par Blair et son
équipe depuis 1994. Une première étape décisive fût franchie en mai 1995
lorsque Blair arracha lors d’une conférence du parti la suppression de la
clause IV, qui figurait au dos de la carte d’adhérent, et stipulait que le
Labour combattait pour la propriété collective des moyens de production, de
distribution et d’échange.
Par la suite et sur cette base,
la décomposition du Labour Party s’est accélérée. On
peut en mesurer la portée en se référant, par exemple, à la plate-forme commune
du Labour Party et du SPD allemand pour les élections
européennes de 1999 dans laquelle on pouvait lire « Nous voulons une société qui célèbre la réussite des
entrepreneurs de la même manière qu’elle célèbre les footballeurs ». Pour fixer les idées, les plus chauds
supporters de Blair au sein du PS en France sont représentés par famille Delors
(Jacques Delors et Martine Aubry), Dominique Srauss-Kahn,
Jean-Marie Bockel. Ils collaborent en permanence aux
groupes de réflexion (« réservoirs d’idées ») mis en place par Blair
qui compte parmi ses plus chauds admirateurs Alain Madelin, Denis Kessler, ex numéro 2 du MEDEF, Berlusconi et Aznar.
Le Labour Party
s’est vidé de ses adhérents directs. Il faut rappeler qu’ils étaient encore
près de 700 000 en 1979 et qu’ils ont chuté à 265 000 en 1994. Après la
victoire électorale de 1997, le nombre de membres a atteint 407 000 pour
retomber aujourd’hui autour de 200 000 et probablement moins. Aujourd’hui, le
Labour a été vidé de ses militants et transformé en machine électorale au
service de Blair et de son gouvernement : Pour peu il soutiendrait la
comparaison avec le parti démocrate aux États-Unis. La perte des cotisations
versées par les syndicats est en grande partie compensée par les dons de
grandes entreprises privées qui en 2004 ont donné plus au Labour Party qu’au parti conservateur (5 162 731 livres contre 4
610 849 livres).
Toutefois, se sont exprimées en
son sein les mobilisations du prolétariat contre la politique du gouvernement,
en particulier au niveau du groupe parlementaire où à plusieurs reprises des
députés du Labour ont refusé de soutenir
les projets du gouvernement (réformes hospitalière et universitaire, engagement
de la Grande-Bretagne dans la guerre contre l’Irak). Ces rebellions ne sont que
l’écho de la résistance qui s’exprime dans les syndicats. Elles se limitent à
une prise en charge de certaines revendications de la classe ouvrière et du
prolétariat. La plupart des députés impliqués sont intimement liés aux
directions syndicales desquelles ils reçoivent un soutien lors de leurs
candidatures aux élections. Elles se sont concrétisées fin 2003 par la
constitution du Labour Représentation Committee qui associe une quarantaine de députés dont
la plate-forme reste trade-unioniste et n’ouvre aucune perspective politique.
Dans le même temps, les ruptures organisées avec le Labour ont produit des
avatars réactionnaires et probablement sans lendemain. C’est par exemple le cas
de la coalition Respect, qui a pris au Labour un siège de député à Londres lors
des dernières élections, qui s’est constituée dans le prolongement du mouvement
contre la guerre en Irak et qui comprend dans sa direction des religieux
islamiques notoires.
Quel combat politique ?
Les conditions dans lesquelles le
Labour Party a conservé la majorité au parlement ne
doivent pas être oubliées. Rejetant la politique du gouvernement Blair, les
masses rejettent le Labour Party. Mais le rejet de
cette politique du New Labour s’est réfracté en son sein, jusqu’au parlement,
ainsi qu’au sein des organisations syndicales, à plusieurs occasions. Il en ira de même des futurs et potentiels
combats entre les masses et le nouveau gouvernement Blair. Cela nourrira la
volonté des masses de briser le soutien qu’apportent depuis toutes ces années
les dirigeants syndicaux, ceux du Labour, à un gouvernement qui poursuit une
guerre sans merci contre le prolétariat britannique, la volonté de dicter à ces
directions syndicales, du Labour, leurs exigences. Le débouché politique
nourrissant un tel mouvement existe : c’est celui d’un gouvernement
émanant de la majorité travailliste aux communes, un gouvernement dont les
travailleurs exigeraient qu’il satisfasse leurs revendications. Pour cela, il
faut rompre avec les exigences du capital renverser la monarchie, s’en prendre
à la propriété privée des moyens de production, il faut que dans le mouvement
même qui amènera les masses à chercher à imposer au Labour Party
d’emprunter cette voie, se regroupe une avant-garde, se construise le parti
ouvrier révolutionnaire.