Article publié dans CPS nouvelle série n°22 de septembre 2005

 

Grande-Bretagne: après les élections du 5 mai 2005

 

Attentats du 7 juillet 2005 : le gouvernement Blair est responsable


Le 7 juillet 2005, Londres était frappée par quatre attentats terroristes dans les transports publics. Le bilan est lourd pour la population laborieuse : 56 morts, plus de 700 blessés. Aussitôt, au nom de la lutte contre le terrorisme, l’union sacrée se réalisait le 11 juillet autour du gouvernement de Tony Blair au sein du parlement nouvellement élu deux mois auparavant lors des élections générales du 5 mai 2005. Une fois de plus, les députés du Labour Party, majoritaires au parlement, apportaient sur le coup un soutien sans faille à Tony Blair. Tous les partis approuvaient l’annonce par Blair de la mise en œuvre accélérée et le renforcement d’un arsenal de mesures policières qui faisait déjà l’objet du programme électoral du Labour Party. Le 21 juillet, une nouvelle série d’attentats échouait. Parmi les mesures d’urgences adoptées par le gouvernement Blair, la police recevait l’autorisation d’abattre sans sommation tout suspect et de «tirer pour tuer». Le 22 juillet, un ouvrier électricien brésilien, «suspect» était abattu de huit balles dont sept dans la tête dans la station de métro Stokwell. De toute évidence, la victime n’avait rien à voir avec les tentatives d’attentats. Les enquêtes ont établi que les agents de Scotland Yard se sont livrés à un véritable assassinat et ont tenté  par la suite de maquiller les faits.

 

Il ne peut être question d’apporter une quelconque caution au terrorisme aveugle. Mais pour autant, il doit être affirmé que le premier responsable des actes terroristes, c’est le gouvernement Blair par sa prise en charge de la politique de l’impérialisme anglais.

Ce dernier est le plus sûr soutien de l’impérialisme américain dans la conduite des nouvelles guerres coloniales, en particulier au Moyen-Orient et en Asie centrale. Il suffit de rappeler que dans le sillage de l’impérialisme américain, l’impérialisme anglais est celui qui s’est le plus engagé. Il faut notamment mentionner sa participation active au blocus économique de l’Irak qui a été la cause de centaines de milliers morts, essentiellement des enfants « chers à Tony Blair », aux bombardements massifs de l’Irak en décembre 1998 et février 2001, à l’expédition militaire contre l’Afghanistan en octobre 2001 et à la guerre contre l’Irak en mars 2003. Aujourd’hui, l’armée britannique est la principale force d’occupation de l’Irak, après celle de l’impérialisme US, avec 10 000 hommes chargés de faire régner l’ordre impérialiste dans le sud du pays.

 

Le premier responsable c’est effectivement le gouvernement anglais qui, au compte des intérêts de l’impérialisme anglais, prend part aux guerres de rapine à caractère colonialiste contre les peuples opprimés menées sous la conduite de l’impérialisme américain, semant ainsi le feu, le fer, le sang et la misère. Une fois de plus, ce sont les masses laborieuses qui en payent le prix.


La responsabilité du Labour Party et du TUC


Lors du congrès du Labour Party de septembre 2004, les dirigeants de syndicaux de l’UNISON (services publics), du TGWU (transports), du GMB (fonction publique territoriale) et de l’AMICUS (industrie), syndicats qui représentent à eux seuls plus de 40 % des mandats  au sein du congrès Labour Party, ont accepté à la demande du gouvernement de retirer au dernier jour du congrès une motion se prononçant, en des termes certes fort mesurés, pour le retrait «rapide » des troupes d’occupation, motion qui avait été adoptée quelques jours auparavant par le congrès du TUC (une motion équivalente a été finalement repoussée par 86 % des mandats contre 14 % : il est clair que c’est la capitulation des dirigeants syndicaux détenant 40 % des mandats qui a permis à Blair de s’imposer).

 

En février et mars 2003, dans toute le Royaume-Uni s’étaient pourtant déroulées d’imposantes manifestations contre la participation de la Grande-Bretagne à la guerre contre l’Irak. Ainsi, le 13 février 2003, plus de deux millions de personnes manifestaient à Londres. Ce rejet de la prochaine guerre impérialiste s’est réfracté au sein du TUC et du Labour Party. Le 18 mars 2003, 139 députés du Labour Party sur 412 refusaient de soutenir le gouvernement Blair sur la question de l’entrée en guerre ; dans le même temps des leaders du Labour Party comme Robin Cook, ancien ministre des affaires étrangères ou Clare Short, secrétaire d’État au développement préféraient démissionner du gouvernement.

 

Mais en fin de compte, le gouvernement Blair a gardé les mains libres. En effet ni les députés « rebelles » du Labour Party ni les dirigeants du TUC n’ont ouvert de perspective politique au combat contre l’intervention impérialiste. Après les attentats de Madrid du 11 mars 2004, le prolétariat a imposé le retrait des troupes espagnoles en chassant Aznar lors des élections. S’opposer victorieusement à l’intervention impérialiste nécessite d’affronter et de vaincre le gouvernement Blair. De ce point de vue reste à l’ordre du jour en Grande-Bretagne, le combat pour la manifestation centrale des travailleurs au parlement pour imposer à la nouvelle majorité des députés du Labour Party qu’elle décrète contre le gouvernement Blair le retrait immédiat des troupes britanniques d’Irak et d’Afghanistan. C’est la responsabilité des dirigeants des syndicats, du TUC, du Labour Party d’appeler à une telle manifestation. De la même manière, il est de la responsabilité des dirigeants des syndicats d’organiser le boycott du transport et du ravitaillement des troupes impérialistes. Dans cette voie seulement il est possible d’en finir avec le terrorisme : il s’agit d’abord de commencer à mettre un terme à l’oppression des peuples par son propre impérialisme.

Dans les semaines qui ont suivi, l’union nationale s’est réalisée du Labour aux Tories autour du gouvernement Blair pour l’adoption de nouvelles dispositions renforçant considérablement les pouvoirs répressifs de la police et de la justice au nom de la lutte contre le terrorisme. Une nouvelle fois les dirigeants du TUC et des syndicats ont pris en charge la politique de Blair.


Les élections du 5 mai 2005


Les élections ont été convoquées le 5 mai 2005. Les résultats portant sur tout le Royaume-Uni ont été les suivants, un siège restant non pourvu du fait du décès à la veille des élections d’un des candidats, du parti libéral démocrate (SLD). Un rappel des résultats des élections générales de 1997 et de 2001 est éclairant.

 

 

 

Labour Party

Conservateurs (Tories)

Libéraux (SLD)

Autres***

année

%

%

%

sièges

%

%

sièges

%

%

Sièges

%

%

sièges

part.

expr

inscrits

 

expr

inscrits

 

expr

inscrits

 

Expr

inscrits

 

1997

71,22

43,17

30,74

419

30,6

21,8

165

16,7

11,89

46

9,53

6,79

29

2001

59,38

41,96

24,92

412

32,69

19,41

166

18,84

11,19

52

6,51

3,866

29

2005

61,30

35,20

21,58

356

32,30

19,80

197

22,00

13,49

62

10,50

6,44

30

 

Avant les élections de 2005, à la suite d’élections partielles, la composition du parlement était la suivante : Labour Party 408, conservateurs 160 ; libéraux 55, autres 36. Entre 2001 et 2005, le nombre de députés a été réduit de 659 à 646 du fait d’une réduction du nombre de circonscriptions en Écosse.

En voix les données sont les suivantes :

 

Labour Party

Conservateur (Tories)

Libéraux (SLD)

Autres***

1997

13 517 911

9 591 082

5 243 440

2 144 674

2001

10 591 082

8 355 193

4 814 321

1 662 542

diff. voix

-2 926 829

-1 235 889

-429 119

-482 132

diff.%

-21,65

-12,89

-8,18

-22,48

2005

9 556 183

8 772 598

5 982 045

2 821 501

diff. voix

-1 034 899

417 405

1 167 724

1 158 959

diff.%

-9,77

5,00

24,26

69,71

***Dans le total « Autres » sont comptabilisés les résultats de plus de 50 partis et organisations. Parmi eux, obtiennent des députés en 2005, comme en 1997 et 2001, essentiellement les partis bourgeois et petits bourgeois que sont les nationalistes écossais, gallois et ceux représentés en ’Irlande du Nord (le Labour Party ne présente pas de candidat en Irlande du Nord). Pour ces partis le décompte est le suivant  : 9 députés pour le DUP (Démocrates Unioniste d’Irlande du Nord…) ; 6 pour le SNP (Parti Nationaliste Écossais) ; 5 pour le Sinn Fein (Parti Républicain Irlandais) ; 3 pour le Plaid Cymru (Parti nationaliste Gallois) ; 3 pour le SDLP (Parti Social-démocrate et Travailliste d’Irlande du Nord) ; 1 pour l’UUP (Unioniste d’Ulster). Ces derniers représentent près de la moitié des votes classés ici dans la catégorie Autres.

Pour le reste il faut mentionner le député obtenu à Londres aux dépends du Labour Party par la coalition Respect (68 065 voix seulement sur tout le Royaume-Uni). Il faut aussi noter le score de l’UKIP (United Kingdom Independant Party), ultra conservateur, ouvertement anti européen et xénophobe, qui, sans obtenir de député, passe, par rapport à 2001, de 390 910 à 618 898 voix (soit en exprimés de 1,5 à 2,3 %) alors que ce parti avait obtenu 16,1 % des exprimés lors des élections européennes de juin 2004, soit 12 eurodéputés, au troisième rang derrière le Labour et les conservateurs. En fin le BNP (British National Party), l’équivalent du FN en Grande-Bretagne obtient 192 850 voix, progressant de 0,5 % par rapport aux exprimés alors qu’il avait obtenu 4,9 % aux élections européennes. Il reste une organisation marginale.


Une majorité aux Communes acquise de justesse


Un premier fait à relever : l’abstention reste à un niveau très élevé (38,70 %) sans atteindre le record historique  des élections de 2001 (40,62 %, niveau le plus haut depuis 1918) et se situant à près de 10 % au-dessus de celles des élections de 1997 (28,78 %). Comme depuis 1997, à nouveau les tories (conservateurs) ont été incapables de rallier leur électorat petit-bourgeois traditionnel (de ce fait malgré une forte participation des couches populaires, en 1997, la participation s’était située en-dessous de celles observées en moyenne pour ces élections depuis 1945, soit 75 %). Par contre comme en 2001, s’est manifestée une très forte abstention de l’électorat ouvrier et populaire. Ainsi ce sont dans les régions les plus ouvrières (Grand Londres, North East, North West, Yorkshire and the Humberside) que la participation est la plus basse (respectivement 58,2 ; 57,2 ; 57,1 et 58,7 %).

Toutefois dans les principales villes ouvrières, le Labour conserve tout de même ses positions en terme de députés élus grâce au mode de scrutin. Déjà en 2001, le Labour Party avait perdu plus de 20 % des voix obtenues en 1997.

En 2005, il en perd près de 10% de plus. Au total depuis 1997, il perd plus de 29 % de son électorat, soit 3 961 728 voix. Quoiqu’en disent tous ceux qui glosent sur la nouvelle victoire électorale « historique » de Tony Blair c’est une gifle pour le New Labour qui réalise par rapport aux inscrits son plus mauvais résultat depuis 1945, à l’exception des élections de 1983 où il était descendu au plus bas avec 20,1 % des inscrits.

Le New Labour conserve cependant la majorité absolue au parlement avec 356 députés (la majorité absolue est de 324 sièges). Il ne doit ce résultat en trompe l’œil qu’au mode de scrutin uninominal à un tour et au fait que le parti conservateur stagne. Les Tories n’obtiennent que 19,8 % des inscrits et c’est aussi leur plus mauvais score depuis 1945 hormis celui réalisé en 2001. Ils se voient âprement disputer une partie de leur électorat par le parti libéral. Ce dernier progresse significativement : le fait qu’il ait pris position contre la participation à la guerre contre l’Irak n’est probablement pas étranger à ce résultat. Les sondages indiquent qu’il a aussi recueilli une partie significative de l’électorat du Labour Party de ce seul fait (les libéraux gagnent 12 sièges au Labour Party et 3 aux conservateurs tout en leur en cédant cinq, soit un gain total de 10 sièges). Dans le même sens, les candidats du Labour qui subissent une moindre érosion de leur score électoral sont ceux qui se sont clairement démarqués de la politique du gouvernement Blair en Irak

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le Labour Party et Tony Blair ont eu chaud.

Le Labour ne devance le parti conservateur que de 785 585 voix. Conservateurs et Libéraux obtiennent 54,30 % des suffrages exprimés contre 35,20 % pour le Labour Party. En réalité le New Labour ne doit son salut au fait qu’une grande partie de la « Middle Class » (la classe moyenne) lui est restée fidèle.

Cet électorat petit-bourgeois avait fait les frais de la politique des gouvernements conservateurs de Thatcher et Major. Il ne trouve pas dans le Parti conservateur une nouvelle perspective crédible.Ceci pas plus que le capital financier : à la veille des élections, The Economist, journal patronal, titrait « Il n’y a pas d’alternative hélas ! ».

 

Un signe qui indique que le capital financier, autant au plan de la politique intérieure que de la politique extérieure s’accommode des gouvernements dirigés par Tony Blair. Ni le parti conservateur, toujours déchiré en particulier sur la ligne à suivre vis-à-vis de L’Union Européenne, ni les libéraux ne sont à même de prendre le relais, « hélas ! ». C’est aussi une donnée qui a évité le pire au New Labour : perdre les élections.


Sur le terrain défriché par Thatcher et Major….


Ces dernières élections confirment d’une manière amplifiée celles de 2001 : les masses laborieuses rejettent la politique du gouvernement Blair et du Labour Party.

En 1997, elles ont chassé les conservateurs qui étaient au pouvoir depuis 1979 avec la volonté de porter un coup d’arrêt à la politique ultra réactionnaire menée par Thatcher puis Major. Elles ont à cet effet utilisé la seule voie possible : le vote pour le Labour Party.

 

Mais par la suite force est de constater que de 1997 à 2001, elles ont été dans l’incapacité d’utiliser pour leur compte le fait que les conservateurs aient été chassés du pouvoir en s’engageant sur leur propre terrain pour imposer au Labour Party et au TUC de rompre avec le gouvernement Blair et sa politique. Il est à noter que de 1997 à 2001, le gouvernement Blair a bénéficié d’une relative « paix sociale », sans qu’aucun mouvement important de la classe ouvrière ne vienne entraver son action et que d’une manière concomitante ne trouve une certaine expression au sein du Labour Party et des syndicats. Le seul accroc de taille au sein du Labour fût, lors des élections municipales de mai 2000, la défaite du candidat de Blair face à Ken Livingstone qui fut exclu du Labour puis réintégré. Pourtant, dès sa constitution en 1997, le premier gouvernement Blair s’est engagé sans fard à se situer dans la continuité de la politique menée par les conservateurs depuis 1979.

En 1997, l’un des premiers actes politique de Blair fut d’inviter Margaret Thatcher à déjeuner : plus qu’un symbole. Tirant un bilan des huit années de gouvernement Blair, Le Monde du 26/04/2005 résumait :

«En 1997, le Labour s’était autoproclamé « le parti des milieux d’affaires ». ceux-ci n’ont effectivement pas eu trop à se plaindre de l’équipe Blair . Elle n’a pas remis en cause l’héritage des tories : la flexibilité du travail est devenu monnaie courante, particulièrement celle des mères de famille et des hommes âgés de plus de 50 ans, et l’absence de restriction aux licenciements a été maintenue.». Grâce à la bonne santé de l’économie, le nombre de faillite est tombé à son plus bas niveau depuis 1933. Le Labour a diminué l’impôt sur les sociétés et les actifs des entreprises ainsi que sur les actions et le parc immobilier. Il encourage l’innovation, notamment au profit des PME. Le patronat se félicite des mesures favorables à la concurrence et du bon fonctionnement du New Deal, un programme de formation accélérée, offert aux demandeurs d’emploi après six mois de chômage »  

Au cours des huit dernières années, les gouvernements de Tony Blair ont développé leur politique en cultivant sur le terrain défriché par les gouvernements conservateurs de 1979 à 1997.


…les lois antisyndicales…


Les gouvernements de Tony Blair ont maintenu et fait appliquer les lois antisyndicales adoptées par les conservateurs entre 1980 et 1990. Il s’agit pour l’essentiel de la loi interdisant les grèves de solidarité (Employment Act, 1980), de la loi donnant droit aux employeurs de poursuivre un syndicat en justice pour dommage et intérêts en cas de « grève illégale » et imposant qu’une grève ne peut être décidée qu’après un vote à bulletin secret et précisant même que les délégués d’atelier doivent être élus à bulletin secret (Employment Act 1982 au nom duquel par exemple le syndicat TGWU se vit infliger une amende de 200 000 livres suite à une grève chez Rover en 1984) et du Trade Union Act de 1984 qui stipule que les responsables des syndicats doivent être élus au scrutin secret. L’Employment Act de 1988 autorise les employeurs et les membres d’un syndicat à exiger un vote avant tout mouvement de grève ; il stipule que les comptes des syndicats doivent être ouverts à l’inspection de tout membre qui demanderait à les voir. Enfin, l’Employment Act de 1990 rend illégales toutes les grèves de solidarité.

Ces lois ne sont pas restées lettre morte. En août 2005, la compagnie Gate Gourmet qui fournit les repas aux passagers de la British Airways a délibérément par la provocation poussé ses 670 employés à une grève spontanée, donc « illégale », pour, en application de l’Employment Act de 1990 les licencier sur le champ.

 Libération du 16/08/2005 rapporte qu’une note interne de l’entreprise définissait la stratégie

« « Recruter et former de nouveaux employés. L’annoncer aux représentants syndicaux, provoquer une grève spontanée, licencier les grévistes et les remplacer par les nouvelles recrues ». Le mémo estime à quinze semaines le temps pour mettre en pratique une telle stratégie. Comme par hasard, Gate Gourmet a créé voici exactement trois mois une filiale chargée de recruter des saisonniers d’Europe centrale à des salaires moins élevés que le personnel permanent ».

De leur côté, les dirigeants du syndicat du secteur, le TGWU, acceptent totalement. L’un des porte-parole a commenté l’événement :

« En Grande-Bretagne, ce genre de stratégie de management est légal. Il faudrait que nous ayons des preuves très solides pour pouvoir les poursuivre pour licenciement abusif. Ce qui nous semble le plus urgent est de faire en sorte que les employés licenciés retrouvent leur travail ».


… et policières


Pendant la campagne électorale des dernières élections , le gouvernement s’est évertué à rivaliser avec les conservateurs en matière de renforcement des pouvoirs de la police et de la justice. De 1979 à 1994, les pouvoirs de la police en matière de fouille et d’arrestation ont été considérablement renforcés. Après la victoire électorale du New Labour en 1997, Tony Blair s’est situé dans la continuité de cette politique. Après les attentats du 11 septembre 2001 le gouvernement a fait voter l’Anti-Terrorism, Crime and Security Act qui autorise la détention de suspects étrangers pour une durée indéterminée et sans qu’aucune charge ne leur soit notifiée. Même la très réactionnaire chambre des Lords s’est émue de ses dispositions en tentant de déclarer illégale cette législation. En décembre 2004, le gouvernement a fait adopter, avec le soutien des dirigeants du parti conservateur, un projet de loi rétablissant la carte d’identité obligatoire pour tous les ressortissants sur le territoire britannique. Avant les élections de mai 2005, l’arsenal des dispositions anti immigrés a été considérablement renforcé. Suite aux attentats de juillet 2005, un nouveau projet de loi à l’initiative du gouvernement aggrave la législation de 2001.

Il prévoit que la durée de la garde à vue en matière de terrorisme soit portée de quinze jours à trois mois y compris pour les citoyens britanniques et que pendant cette période les suspects, qu’ils soient britanniques ou étrangers, pourront être détenus sans être inculpés.


Le démantèlement de l’État providence


Les gouvernements de Tony Blair ont poursuivi la tâche largement engagée par les conservateurs depuis 1979 : en finir avec le « Welfare State », l’État providence, autrement dit la plupart des conquêtes sociales arrachées par le prolétariat anglais après la deuxième guerre mondiale. Sous l’impulsion de Tony Blair, le New Labour a érigé en dogme la nécessité d’en finir avec la « culture de la dépendance » et de laisser toute la place à la responsabilisé individuelle en matière de système de santé, d’éducation, d’assurance chômage et de régime de retraite au détriment de l’engagement de l’État dont l’intervention doit être réduite au minimum. Pour le New Labour, l’ère des services publics gérés par l’État est définitivement révolue. Dans la lignée de la politique des conservateurs, ont été poursuivies les privatisations, l’introduction systématique de la logique du profit dans les services de santé, le transfert des services municipaux vers le privé, la privatisation rampante de l’éducation, la réduction à la portion congrue du parc des logements sociaux.

Les gouvernements Blair ont maintenu les mesures de réduction des prestations sociales mises en place par les conservateurs ; Par exemple, le fait qu’en 1985 le Family Income, supplément d’allocation versé aux familles les plus pauvres ait été remplacé par… un système de prêt.

 

La contre réforme du système de santé (NHS) lancée par le gouvernement Major au début des années 1990 a été elle aussi appliquée et amplifiée.

A l’encadrement draconien des dépenses générées par les médecins généralistes se combine celui des dépenses des hôpitaux qui sont incités à soumettre systématiquement à la concurrence toutes les prestations annexes (entretien ; repas blanchisserie etc. ). La politique consistant à soumettre le secteur hospitalier à la « discipline du marché » et la détermination du gouvernement à s’en tenir au seul niveau de financement prévu sans autoriser la moindre rallonge budgétaire ont contribué au développement de situations dramatiques. Certains hôpitaux ont dû renoncer à prodiguer des soins à des patients au-delà d’un certain âge ou encore à certains traitements jugés très onéreux. Au printemps 2003, le gouvernement a fait adopter une nouvelle loi autorisant les meilleurs hôpitaux publics à s’ériger en établissement autonome (« foundation hospital »), c’est-à-dire à faire un grand pas vers leur privatisation (65 députés du Labour Party avaient alors voté contre cette loi).

 

En matière d’enseignement, les gouvernements en place depuis 1997, ont engagé les contre réformes que les conservateurs projetaient de réaliser. En trame de fond, la plupart des investissement en matière d’infrastructures scolaires, de l’enseignement primaire à l’université, sont basés sur l’appel à l’investissement privé  Pour ce qui est de l’enseignement public, en résumé :

« Lancé en 2001, le plan, quinquennal pour l’enseignement secondaire tourne en effet radicalement le dos à quarante ans de politique travailliste en matière d’éducation, en remettant à l’honneur le principe de la sélection des élèves. (…) Très critique à l’égard des comprehensives (écoles généraliste - ndlr) le premier ministre souhaite promouvoir la montée en puissance des specialist schools (écoles spécialisées à caractère professionnel - ndlr) » (Le Royaume-Uni aujourd’hui. Hachette 2004).

Entre autres mesures, en 2000, ont été adoptées par le parlement des dispositions permettant le licenciement « rapide » des professeurs jugés incompétents, ainsi que le système de rémunération au mérite pour récompenser les meilleurs enseignants. Pour l’université, où la marche à l’autonomie complète est là aussi l’orientation, le gouvernement à soumis en janvier 2004 au parlement une loi autorisant chaque université à relever les droits d’inscription en fonction de leur besoins (loi adoptée de justesse par 316 voix contre 311, avec le soutien des députés conservateurs malgré la fronde d’une large majorité de députés du New labour). En application ce cette loi, les droits d’inscription étaient en 2004 d’au moins 1600 euros et plafonnés à… 4290 euros !

 

Enfin en ce qui concerne la part des retraites assurées par l’État, financée par l’impôt, la suppression de l’indexation sur les salaires depuis 1980 a été maintenue. Les pensions versées sont réduites à la portion congrue (115 euros par personne et par semaine, 184 euros pour un couple) et un retraité sur dix vit au-dessous du seuil de pauvreté. Les retraités sont par ailleurs touchés de plein fouet par la crise du système privé par capitalisation

« L’éclatement de la bulle boursière en 1999 a sonné le glas de ses plans d’entreprise, laissant la place à un système beaucoup moins favorable ne garantissant plus un niveau de retraite précis et faisant dépendre plus étroitement la valeur des pensions des performances aléatoires du marché ». (Le Monde du 14/10/2004).

 

La situation est telle que ce sont aujourd’hui les employeurs qui dans de nombreuses entreprises refusent l’accès des nouveaux embauchés aux plans d’épargne. Pour les caisses complémentaires gérées par l’État le gouvernement Blair s’est engagée sur la voie des contre réformes. Fin 2004 il a avancé un projet visant à allonger de 60 à 65 ans l’âge de la retraite pour les agents de la fonction publique locale, certains agents étant susceptibles de plus de voir réduire le montant de leur pension de 25%.

Ces dispositions devaient entrer en vigueur au 1er avril 2005. Face à la menace d’une grève a l’appel des syndicats du secteur, le gouvernement a « suspendu » sa réforme en attendant que soit passé le cap des élections.


Le « partenariat public/privé »


De 1983 à 1996, les conservateurs ont procédé à une vague impressionnante de privatisations, le plus souvent après avoir réduit les effectifs au frais de l’État quand c’était nécessaire. Toutes les grandes entreprises publiques des secteurs de l’énergie (pétrole, gaz, électricité), des télécommunications, de la distribution d’eau, de l’automobile, de la construction aéronautique et navale et de la sidérurgie ont été privatisées. La quasi totalité du secteur des transports a subi le même sort. Pour le peu qui restait, les gouvernements de Tony Blair ont poursuivi cette politique. Ils ont par exemple à leur actif la privatisation du contrôle aérien et la privatisation partielle du métro de Londres.

 

Mais de plus, depuis 1997 s’est développé à plein le système du partenariat public/privé (Public-Private Partenerships - PPP) instauré par les conservateurs en 1992 avec le Private Finance Initiative (PFI). En résumé, la gestion des équipements « publics » dans les domaines de la santé (hôpitaux), de l’éducation (écoles, collèges, universités), des services municipaux ou encore des infrastructures routières est confié au secteur privé sur la base d’investissements conjoints des entreprises concernées et de l’État. Même la construction et la gestion des bâtiments des administrations centrales, des prisons et des commissariats de police est concernée. Les concessionnaires privés conçoivent les projets, les réalisent, les font fonctionner et en assurent la maintenance ... L’État ou la collectivité locale n’exercent plus qu’un « rôle régulateur » et rémunèrent le « service rendu ». En 2004, 15% des dépenses de l’État ont été engagées dans le cadre du PPP.

Depuis 2001, les syndicats s’élèvent contre le développement des PPP et constatent le coût élevé pour l’État des prestations rendues par le secteur privé et dénoncent les rentes qui lui reviennent ainsi. C’est sur cette base que le gouvernement Blair a pu se prévaloir d’une augmentation conséquente au titre de la « rénovation des services publics » des dépenses publiques depuis 2001 en matière de santé, d’éducation et de transport (notamment dans le domaine du transport ferroviaire où la privatisation de British Rail avait conduit à un délabrement sans précédent du réseau ferré marqué par une série d’accidents dramatiques et où le gouvernement a dû provisoirement reprendre le contrôle de l’entretien des réseaux ferrés, la perspective restant celle de la privatisation).

De fait entre 2001 et 2005, la dépense publique dans ces domaines a augmenté de plus de 4 % en termes réels au plus grand profit du secteur privé, en particulier des trusts dans le domaine du bâtiment et des travaux publics ainsi que des services associés. Dans ces activités, plus de 800 000 emplois, avec des statuts des travailleurs du privé, c’est-à-dire dans les mêmes conditions de précarité, auraient été créés depuis 1997 selon Capital de mai 2005. Mais pour ce qui est des postes de fonctionnaires des administrations centrales, la politique des conservateurs a été poursuivie. Leur nombre est passé de 745 000 en 1976 à 565 000 en 1992 puis à 515 000 en 2002. D’ici 2008, le nouveau gouvernement Blair prévoit 40 000 suppressions de postes supplémentaires. De 1990 à 2000, les dépenses publiques n’ont cessé de décroître et le budget de l’État est devenu excédentaire (corrélativement la dette publique n’atteint «que» 41.6 % du PIB en 2004, nettement moins que l’Allemagne ou la France).

 

A partir de 2001, la tendance s’est inversée en particulier du fait du développement du PPP. De 1 % du PIB en 2001, le déficit est passé à 3 % en 2004 (mais ont aussi pesé le coût des expéditions militaires). Comme l’impérialisme US, l’impérialisme anglais a eu recours au budget de l’État pour « soutenir la croissance ». Le PPP constitue une vaste entreprise de privatisation dans tous les domaines. Rares sont les activités qui y échappent comme par exemple le secteur de la poste qui reste toutefois dans le collimateur.


Le royaume de la flexibilité


Pour les « entrepreneurs » de l’Europe entière, la Grande-Bretagne reste la référence du fait de la quasi-absence de réglementation limitant l’exploitation. C’est effectivement le royaume de la flexibilité. En matière de licenciements les patrons n’ont aucune obligation pour les salariés employés depuis moins de deux ans et ils « peuvent virer jusqu’à vingt personnes du jour au lendemain, sans demander l’autorisation à qui que ce soit. Licencier ne coûte presque rien. Selon les calculs du Cercle d’outre-Manche, un groupe de dirigeants français en poste au Royaume-Uni, le licenciement économique, y revient trois fois moins cher qu’en France » (Capital de mai 2005).

Pour les salariés de moins de deux ans d’ancienneté ou en CDD, il n’y a pas d’indemnités de licenciement. Pour les salariés de plus de deux ans, les indemnités de licenciement sont réduites à la portion congrue : l’indemnité de licenciement s’élève au maximum entre 18 et 30 semaines de salaire plafonné à 280 livres par semaine, soit environ 400 euros. Dans le cas où l’entreprise est insolvable, c’est 12 semaines maximum versés par un fond public, ce qui est le cas des salariés de Rover aujourd’hui. Et de plus, les indemnités de licenciement affectent le montant des indemnités du chômage. Par ailleurs le préavis de licenciement peut varier de 1 à 12 semaines. Le nombre de CDD est trois fois plus important qu’en France.

 

Le gouvernement Blair a maintenu la mise en œuvre de la contre réforme du système d’assurance chômage décidée en 1996. Quel que soit son dernier emploi, un chômeur touche 346 euros pas mois ; après six mois de chômage, le suivi personnalisé via les « job center » est incontournable : tout refus de poste, même s’il ne correspond pas à la qualification, entraîne la suppression ou la réduction des allocations. C’est le “New Deal” (le nouveau contrat) théorisé par les dirigeants du New Labour : passer du «  welfare state » au « workfare state » (en France, le PARE promu par le MEDEF est totalement inspiré de ce système). Dans ces conditions, le gouvernement Blair affiche un taux de chômage limité à 4,7 %. Mais ces statistiques officielles sont biaisées.

En effet elles ne prennent pas en compte les millions de travailleurs qui doivent se contenter du travail à temps partiel. Elles tirent un trait sur les 2 600 000 personnes qui bénéficient encore d’une maigre allocation d’incapacité parce que considérées comme « inaptes au travail », classées comme « inactifs » et non comme chômeurs.

Selon un rapport publié par l’OCDE en 2004, le nombre de demandeurs de cette allocation « est aujourd’hui deux fois et demi plus élevé que le nombre de demandeurs d’allocations chômage. C’est peut-être parce que les autres mécanismes de garanties de ressources ont été considérablement durcis que les prestations d’incapacité sont devenues une « soupape de sécurité » ».

En réalité, le taux de chômage officiel pourrait être au bas mot multiplié par trois et même plus si l’on tenait compte du travail à temps partiel.

 

En matière de temps de travail, il n’y a pas de durée hebdomadaire légale. En moyenne les salariés à plein temps travailleraient 37 heures par semaine mais 25 % des salariés travaillent plus de 48 heures par semaines. La loi prévoit ce que l’on appelle le droit de retrait (« opt out ») qui permet de déroger à la limite de la directive européenne fixant le seuil à 48 heures en moyenne (en réalité l’annualisation du temps de travail fait que la directive autorise des périodes pouvant atteindre trois mois avec des semaines à 65 heures par semaine). De ce fait, 16% des salariés travaillent plus de 60 heures par semaine. A noter que cette procédure est pour beaucoup appliquée dans le secteur public, chez les travailleurs de la santé par exemple. 26 % des salariés travaillent à temps partiel (17% en France) et plus d’un million de travailleurs sont contraints de cumuler deux emplois pour survivre.

 

Un salaire minimum horaire à géométrie variable a été instauré par Blair en 1998, avec la pleine adhésion du patronat anglais : 5,05 livres en 2005 (7,22 euros) pour les plus de 22 ans ; 4,25 livres (6,07 euros) pour les 18-22 ans et pour les plus de 22 ans qui obtiennent un emploi chez un nouvel employeur. En 2004, a été instauré un salaire minimum de 3 livres (4,29 euros) pour les 16/17 ans.


Forces et faiblesses de l‘impérialisme britannique


Les coups portés au prolétariat depuis le début des années quatre-vingt sont l’explication première de la relative bonne tenue de l’économie britannique par rapport à celle de ses principaux concurrents, en particulier en Europe. La baisse générale du coût de la force de travail s’est combinée, en particulier après de la défaite politique infligée par Thatcher aux mineurs en 1985, avec une restructuration rapide du capital par la liquidation sans presque aucun obstacle des « canards boiteux » de l’économie, les privatisations et l’augmentation de la productivité du travail dans les secteurs clefs de l’économie. Dans ces conditions la croissance du PIB se situe depuis 1993 sensiblement au-dessus de celle de la zone euros et depuis 2003, le pays est repassé au quatrième rang mondial, devant la France, au classement du PIB. Mais faire état de ces « performances » ne doit pas masquer la situation réelle de l’économie anglaise. La part du secteur productif dans le PIB est en régression : elle est passée de 34 % en 1965, à 21.8 % en 1985, et à 15,6 % en 2003 ; le nombre d’employés dans ce secteur est passé de 36 % du total des emplois en 1960, à 22.5 % en 1987 et à 14.1 % en 2002. Corrélativement, le pays est devenu largement importateur de produits manufacturés et ses échanges commerciaux sont devenus très déficitaires dans ce domaine. Par contre la part des services dans le PIB représentait 73.6 % (77 % des emploi) en 2001. Le Royaume- Uni est exportateur de services en tous genres (services financiers, aux entreprises et informatiques, assurances). La City de Londres emploie près de 300 000 salariés, 20 % des prêts bancaires dans le monde, 50 % des transactions en actions, 30 % du négoce en devises et 40% des patrimoines gérés en Europe par les fonds de pension transitent par Londres.

Les conditions d’exploitation du prolétariat rendent attractif le Royaume-Uni pour les investisseurs étrangers qui, de plus, présente l’avantage de constituer une entrée sur le marché unique européen.

 

A titre d’exemple, le taux de pénétration du capital étranger dans les services de la finance est de 37 %. En dernière analyse, le développement de l’économie anglaise est profondément et organiquement lié à celui du parasitisme dans tous les domaines.


Une certaine arrogance


La défaite de Chirac à l’occasion du référendum plébiscite de mai 2005 sur la constitution européenne en a bloqué le processus d’adoption. Tony Blair a pu pousser un profond soupir de soulagement. Défendant la ligne adoptée par le capital financier anglais, il s’était prononcé pour l’approbation de la constitution et un référendum était envisagé pour 2006. L’affaire se présentait sous de mauvais augures. En 2004, le TUC a refusé de se prononcer pour l’approbation de la constitution et certains syndicats parmi les plus puissant, comme l’UNISON, s’orientaient ouvertement vers une campagne contre. Le résultat du vote en France a donné à Tony Blair l’occasion de se dégager et de jouer les gros bras.

A l’occasion de la présidence de l’Union Européenne par le Royaume-Uni, le gouvernement anglais a repris l’initiative. Il se propose de faire de cette présidence un étape vers l’exportation en Europe du « modèle social » britannique. Il poursuit l’objectif de briser l’axe Paris-Berlin et de s’imposer comme l’interlocuteur privilégié de l’impérialisme allemand au détriment de l’impérialisme français. Dans ce contexte il a pris l’initiative de provoquer une crise à propos de l’adoption du projet de budget de l’UE, remettant entre autre le compromis franco-allemand sur la politique agricole commune (PAC). Toutefois, dans ce registre, le capital anglais doit agir avec prudence car l’économie britannique est profondément dépendante du marché unique européen. L’Union européenne accueille près de 60% de ses exportations. Dans ce contexte, les cercles dirigeants du capital financier sont plutôt favorables à l’adoption de l’euro.

 

Dans le même temps, dans le sillage de l’impérialisme américain, l’impérialisme anglais a pour objectif de reconquérir certaines positions et il s’affirme d’une certaine manière comme un impérialisme guerrier. Le Monde Diplomatique de mai 2005 indique :

 « Alors que la fin de l’Empire britannique date d’une génération à peine, sa réhabilitation fait l’objet d’une offensive discrète mais concertée de la part de journaux britanniques influents, d’universitaires conservateurs, et jusqu’au plus haut niveau du gouvernement. On a pu apprécier la portée de cette campagne quand en janvier dernier, M. Gordon Brown, l’actuel ministre des finances, qui est aussi l’héritier présomptif de M. Anthony Blair, a déclaré en Afrique de l’Est : « L’époque est révolue où la Grande-Bretagne devait présenter des excuses pour son histoire coloniale » ».

 

On peut noter qu’en 2003, le budget militaire de l’impérialisme britannique se situait au deuxième rang mondial loin derrière l’impérialisme américain mais significativement devant ceux de ses principaux concurrents (en milliard de dollars, pour 2003, ces budgets étaient de : USA 382.6 ; RU 43.3 ; Japon 41,4 ; .France 34.9 ; Allemagne 25.1).

 

Outre les interventions déjà mentionnées en Afghanistan et en Irak, il faut noter la part prépondérante prise par l’impérialisme britannique au Kosovo en 1999 et son intervention directe en Sierra Leone en 2000. Ce n’est pas un hasard si lors du sommet du G8 en juillet 2005, Blair a mis au centre l’augmentation de l’aide aux pays africains en stigmatisant le fait que l’aide au développement ne pouvait être accordée à des régimes corrompus et anti démocratiques. Chirac était particulièrement visé en particulier du fait de ces « amitiés » au Togo. Cette réorientation de l’impérialisme anglais, le gouvernement Blair fait tout ce qui est possible pour la mettre en œuvre.


Licenciements chez Rover


Le 7 avril 2005, moins d’un mois avant les élections, les chaînes de production se sont arrêtées dans l’usine MG Rover. C’était la suppression immédiate de 5100 emplois sur le site, 1000 employés et ouvriers conservant encore quelques mois leurs emplois pour achever la production en cours. A terme c’est aussi la suppression de 20000 emplois indirects de sous-traitants et de fournisseurs auxquels il faut ajouter les 8000 emplois du réseau de concessionnaires. Il s’agissait de la liquidation du dernier constructeur automobile anglais. Face à cette situation le gouvernement en la personne de Blair a affirmé qu’il était hors de question d’intervenir en respect du principe de la « sélection naturelle » par le marché. Les dirigeants du premier syndicat concerné, le TGWU, ont organisé deux manifestations de protestation qui ont rassemblé quelques centaines de personnes non pas pour s’opposer aux licenciements mais pour remettre en cause le fait que les licenciements économiques n’avaient pas été négociés en amont. De fait, les dirigeants syndicaux s’étaient engagés depuis des mois dans le soutien à la direction des patrons de Rover – le fond d’investissement Phœnix Venture qui avaient acquis l’entreprise à BMW en 2000 - dans leurs négociations avec un constructeur chinois pour le rachat de la société. Ces négociations ont échoué. En moins de trois semaines, l’affaire a été réglée. En réalité, aucune résistance significative, remettant en cause la capitulation des dirigeants syndicaux et exigeant que le combat contre les licenciements soit organisé, ne s’est manifestée. Les dirigeants syndicaux ont approuvé l’engagement du gouvernement à payer une partie des indemnités de licenciements pour pallier à la faillite déclarée par le patron. Les conditions dans lesquelles la liquidation de Rover s’est produite en disent long sur le désarroi politique du prolétariat anglais.


Le prolétariat cherche à faire face


Néanmoins, depuis 2002, le prolétariat a cherché à engager le combat contre la politique du gouvernement. D’importants mouvements se sont développés à partir de revendications sur les salaires, contre les privatisations ou sur le manque de personnel dans la fonction publique locale, les services municipaux, les transports, l’éducation et la santé. On peut relever en 2002-2003 : de juillet à octobre 2002, les grèves des agents du métro de Londres contre sa privatisation partielle avec le soutien du maire de Londres K. Livingstone ; en juillet 2002 la plus importante grève depuis 1979 des fonctionnaires des collectivités territoriales sur la question des salaires.

 

Suite à ces grèves le gouvernement à été contraint de faire quelques concessions : il a dû céder 7,7 % d’augmentation sur deux ans et une augmentation de 10,9 % des bas salaires. Face aux menaces de grèves dans les secteurs de la santé et de l’éducation, le gouvernement a aussi dû lâcher du lest avec des augmentations de salaire de 3,5 % en 2002. Les grèves des pompiers revendiquant initialement une augmentation du pouvoir d’achat perdu depuis 1977, soit 40 %, et contre la privatisation d’une partie des activités, se sont déroulées de novembre 2002 à mars 2003 avec le soutien de la population laborieuse et de nombreux élus locaux du Labour Party. Les pompiers ont rejeté l’accord que s’apprêtaient à signer les dirigeants de leur syndicat, le FBU, soit 16 % d’augmentation sur trois ans mais avec des dispositions en matière d’heures supplémentaires qui entraînaient à terme une baisse de 20% des effectifs.

 

Les imposantes manifestations de février-mars 2003 contre la guerre en Irak ont été organisées avec le soutien de nombreux syndicats et d’une fraction importante du Labour Party. Le gouvernement Blair a été contraint d’en tenir compte à l’approche des élections. Ainsi, dans les négociations avec les syndicats, il a accordé en 2004 des réévaluations du salaire minimum : 4 % en 2005, 6 % en 2006. Face à la menace de la grève des agents de la fonction publique locale, en accord avec les syndicats, il a différé sine die mais pas retiré la réforme allongeant de cinq ans la durée de cotisations.

 

Malgré tout, le prolétariat a manifesté depuis 2002 sa volonté de faire face à la politique du gouvernement,  se réfractant au sein des syndicats qui, sans rompre politiquement avec le gouvernement, ont été contraints depuis 2002 de prendre plus ou moins en charge les revendications des masses. Contrairement à Thatcher, surtout après la défaite de la grève des mineurs, puis à Major et même à la période 1997-2001, Blair aujourd’hui ne peut envisager de poursuivre sa politique au compte du capital sans la collaboration des dirigeants syndicaux.


Les syndicats et le TUC


Les syndicats fédérés dans le TUC (Trades Union Congress) comptaient 12,5 millions d’adhérents en 1979.

En 1998 le nombre de syndiqués est tombé à 7,15 millions. En 1997, ils se sont pliés à l’orientation du gouvernement Blair : l’essentiel de la politique des gouvernement de Thatcher et de Major ne sera pas remis en cause. Mais, fait notable, depuis 1999 la tendance est plutôt à une progression sensible. En 2002, le nombre de membres des syndicats a atteint 7,3 millions. Malgré le recul lié en partie à la désindustrialisation, la syndicalisation est en légère progression dans le secteur public et le secteur privé. De plus, depuis 2002, dans de nombreux syndicats les directions ayant fait totale allégeance au gouvernement Blair et engagées dans l’appareil du Labour Party ont dû laisser la place à de nouveaux leaders réputés plus radicaux et plus en prise avec les revendications des masses. En général ces nouvelles directions sont moins impliquées dans l’appareil du New Labour. C’est en particulier le cas dans les syndicats des personnels des services publics : ceux de télécommunications et de la poste (CWU), des services publics (UNISON), des pompiers (FBU), des personnels ferroviaires et du métro (RMT) et des travailleurs non qualifiés du secteur public (GMB). Mais aussi dans ceux du secteur privé : le dirigeant de l’AMICUS, qui avait été en 2003 anobli par …Tony Blair, qui avait déclaré à son propos qu’il était «  un syndicaliste comme je les aime », a été débarqué au profit d’un nouveau leader catalogué comme « pro communiste ». Bon nombre de syndicats ont décidé de réduire leur cotisation au New Labour au titre de membres affiliés et, au niveau local, de conditionner leur soutien aux candidats du Labour Party à leur prise de position sur les revendications.

 

En février 2004, le syndicat du rail et du transport maritime et terrestre, RMT, a été exclu comme membre affilié du Labour Party. Du point de vue de l’histoire du Labour, c’est un événement : c’est le RMT qui proposa en 1899 la création du « Comité de représentation du travail » (« Labour Représentation Committee ») dont est issu en 1906 le Labour Party. Sous la pression des cheminots le RMT mène campagne pour le renationalisation du transport ferroviaire. Le New Labour refusant de rompre avec le gouvernement sur cette question, le RMT a décidé d’autoriser ses syndicats locaux à adhérer à d’autres partis en particulier le Scottish Socialist Party. De ce fait son exclusion a été prononcée.

 

Parmi les 69 syndicats qui sont fédérés par le TUC, 18 restent affiliés au Labour Party. Mais ces derniers représentent près de 80 % des syndiqués. Les adhérents de ces syndicats, parce que membres d’un syndicat affilié et pour ceux qui payent une cotisation à ce titre, constituent près de 90 % des membres du Labour Party  (ils sont « adhérents indirects »). Malgré les mesures prises par Blair pour réduire le pouvoir de décision des syndicats affiliés et par conséquent des adhérents « indirects » que sont ceux des syndicats, il n’en reste pas moins que ces derniers ont un poids politique prépondérant.

 

S’ils le voulaient, les dirigeants des syndicats affiliés pourraient décider encore de l’orientation du Labour Party (le chef du parti travailliste est élu par un collège électoral au sein duquel les sections locales possèdent 30 % des vois, le groupe parlementaire 30 % et les syndicats 40 %).


Le New Labour


S’il est incontestable que les relations entre d’une part les dirigeants des syndicats et du TUC et d’autre part le Labour Party et le gouvernement se sont tendues depuis 2002, il n’en reste pas moins vrai que les premiers ont finalement accepté l’orientation vers le New Labour impulsée par Blair et son équipe depuis 1994. Une première étape décisive fût franchie en mai 1995 lorsque Blair arracha lors d’une conférence du parti la suppression de la clause IV, qui figurait au dos de la carte d’adhérent, et stipulait que le Labour combattait pour la propriété collective des moyens de production, de distribution et d’échange.

Par la suite et sur cette base, la décomposition du Labour Party s’est accélérée. On peut en mesurer la portée en se référant, par exemple, à la plate-forme commune du Labour Party et du SPD allemand pour les élections européennes de 1999 dans laquelle on pouvait lire « Nous voulons une société qui célèbre la réussite des entrepreneurs de la même manière qu’elle célèbre les footballeurs ». Pour fixer les idées, les plus chauds supporters de Blair au sein du PS en France sont représentés par famille Delors (Jacques Delors et Martine Aubry), Dominique Srauss-Kahn, Jean-Marie Bockel. Ils collaborent en permanence aux groupes de réflexion (« réservoirs d’idées ») mis en place par Blair qui compte parmi ses plus chauds admirateurs Alain Madelin, Denis Kessler, ex numéro 2 du MEDEF, Berlusconi et Aznar.

 

Le Labour Party s’est vidé de ses adhérents directs. Il faut rappeler qu’ils étaient encore près de 700 000 en 1979 et qu’ils ont chuté à 265 000 en 1994. Après la victoire électorale de 1997, le nombre de membres a atteint 407 000 pour retomber aujourd’hui autour de 200 000 et probablement moins. Aujourd’hui, le Labour a été vidé de ses militants et transformé en machine électorale au service de Blair et de son gouvernement : Pour peu il soutiendrait la comparaison avec le parti démocrate aux États-Unis. La perte des cotisations versées par les syndicats est en grande partie compensée par les dons de grandes entreprises privées qui en 2004 ont donné plus au Labour Party qu’au parti conservateur (5 162 731 livres contre 4 610 849 livres).

 

Toutefois, se sont exprimées en son sein les mobilisations du prolétariat contre la politique du gouvernement, en particulier au niveau du groupe parlementaire où à plusieurs reprises des députés du  Labour ont refusé de soutenir les projets du gouvernement (réformes hospitalière et universitaire, engagement de la Grande-Bretagne dans la guerre contre l’Irak). Ces rebellions ne sont que l’écho de la résistance qui s’exprime dans les syndicats. Elles se limitent à une prise en charge de certaines revendications de la classe ouvrière et du prolétariat. La plupart des députés impliqués sont intimement liés aux directions syndicales desquelles ils reçoivent un soutien lors de leurs candidatures aux élections. Elles se sont concrétisées fin 2003 par la constitution du Labour Représentation Committee qui associe une quarantaine de députés dont la plate-forme reste trade-unioniste et n’ouvre aucune perspective politique. Dans le même temps, les ruptures organisées avec le Labour ont produit des avatars réactionnaires et probablement sans lendemain. C’est par exemple le cas de la coalition Respect, qui a pris au Labour un siège de député à Londres lors des dernières élections, qui s’est constituée dans le prolongement du mouvement contre la guerre en Irak et qui comprend dans sa direction des religieux islamiques notoires.


Quel combat politique ?


Les conditions dans lesquelles le Labour Party a conservé la majorité au parlement ne doivent pas être oubliées. Rejetant la politique du gouvernement Blair, les masses rejettent le Labour Party. Mais le rejet de cette politique du New Labour s’est réfracté en son sein, jusqu’au parlement, ainsi qu’au sein des organisations syndicales, à plusieurs occasions.  Il en ira de même des futurs et potentiels combats entre les masses et le nouveau gouvernement Blair. Cela nourrira la volonté des masses de briser le soutien qu’apportent depuis toutes ces années les dirigeants syndicaux, ceux du Labour, à un gouvernement qui poursuit une guerre sans merci contre le prolétariat britannique, la volonté de dicter à ces directions syndicales, du Labour, leurs exigences. Le débouché politique nourrissant un tel mouvement existe : c’est celui d’un gouvernement émanant de la majorité travailliste aux communes, un gouvernement dont les travailleurs exigeraient qu’il satisfasse leurs revendications. Pour cela, il faut rompre avec les exigences du capital renverser la monarchie, s’en prendre à la propriété privée des moyens de production, il faut que dans le mouvement même qui amènera les masses à chercher à imposer au Labour Party d’emprunter cette voie, se regroupe une avant-garde, se construise le parti ouvrier révolutionnaire.


 

Le 15 septembre 2005.  

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