Au
Moyen-Orient : sous la pression de l’impérialisme américain,
la roue de
l’Histoire tourne à l’envers
« Le Proche-Orient bouge :
faut-il remercier Bush ? ». Cette question, faussée, couvre la « une » du
journal Le
Monde en date du 9 mars 2005. Pour la
rédaction de cet honorable quotidien, malgré quelques prudentes réserves, il ne
fait pas de doute que la réponse est positive : « Des
choses bougent dans le monde arabe (…). Ces frémissements – réels – sont
d’autant plus remarquables qu’ils sont concentrés
dans le temps et qu’ils concernent – hormis le Liban – des pays clés ».
Ce
serait donc dans le « bon sens » qu’évolueraient aujourd’hui les Proche et Moyen-Orient,
sous l’égide bienveillante de l’impérialisme américain et de sa coalition
armée : les « élections » hyper-médiatisées
en Irak et en Palestine, les manifestations libanaises contre l’occupation
syrienne en fourniraient les expressions les plus probantes.
La
rédaction du Monde
n’est pas isolée : tour à tour Libération (12/3/2005), Le Figaro (15/3/2005), le Nouvel Observateur (17/3/2005)… accréditent, chacun à leur manière,
l’hypothèse selon laquelle un « printemps arabe » germerait sous les bottes des GI’s
et de leurs alliés. Il n’est pas jusqu’aux cercles dirigeants du PS qui,
discrètement, ne feignent de s’enthousiasmer.
Ainsi
Hubert Védrine, ancien conseiller diplomatique de
Mitterrand, ex-ministre des Affaires étrangères de Jospin, se campe-t-il en
conseiller gracieux du gouvernement UMP dans une tribune publiée par Le Monde du 25 mars:
« La
différence véritable n'est pas entre ceux qui sont pour la démocratie dans le
monde arabe et ceux qui seraient contre. Qui peut être contre ? (…) J'en conclus que nous, Français, et
les autres Européens devrions nous sentir plus nettement et plus visiblement
partie prenante, avec les Américains et autant qu'eux, de ce processus et pas
seulement comme spectateurs ou commentateurs. Profitons pour cela des
meilleures dispositions manifestées par l'administration Bush : déjà, quelques
nouvelles convergences apparaissent. »
Ce
consensus médiatique et politique reflète aujourd’hui un changement de
stratégie au sein des capitalistes français et de leur personnel politique. Après avoir essayé de mettre des bâtons
dans les roues lors de la guerre contre l’Irak qui anéantissait les positions économiques privilégiées que la France entretenait avec le régime de Saddam Hussein, et après avoir vu leur bâtons
brisés, ils cherchent à se faire une place aux côtés de ceux qui, étape après
étape, réalisent leurs plans au Moyen-Orient.
Il y
a désormais plus d’un an qu’a été rendu public le plan américain intitulé Greater Middle East Initiative (« Initiative pour un Grand Moyen-Orient »),
présenté en ces termes par Bush :
«
Tant que le Moyen-Orient restera un lieu de tyrannie, de désespoir et de
colère, il continuera de produire des hommes et des mouvements qui menacent la
sécurité des Etats-Unis et de nos amis. Aussi l’Amérique poursuit-elle une
stratégie avancée de liberté dans le Grand Moyen-Orient ».
Il
s’agit d’étendre, sous prétexte de « démocratisation », l’influence
de l’impérialisme américain sur une région allant… du Maghreb à l’Asie
centrale. Corollaire des « progrès » politiques exportés par Washington :
ce « Moyen-Orient » revu et corrigé serait intégré à une vaste zone
de libre-échange (option que les conditions de travail et les salaires
dérisoires d’une bonne partie des travailleurs de la région pourrait rendre attrayante) et de « libre circulation des
capitaux ».
En
clair, ce plan n’est autre chose que la « justification » d’un retour
à l’ordre colonial. Cela signifie
effacer cinquante ans d’histoire. En effet, il y a un peu plus de cinquante ans
maintenant que la crise de l’impérialisme et du stalinisme, quelques années
après la fin de la guerre, commençait à se manifester. Le Moyen-Orient voyait, les uns après les autres, les régimes soumis
à l’impérialisme sauter comme les maillons d’une chaîne, d’autant que toute la
région était déstabilisée par la création de l’Etat artificiel d’Israël et la
défaite des pays arabes coalisés contre lui lors de la guerre de 1948. En 1952,
en Egypte, la monarchie était renversée par un coup d’état militaire
s’inscrivant sur une toile de fond de grèves et de manifestations. De coup d’état en coup d’état, la Syrie voyait aussi à
partir de 1954 venir au pouvoir des fractions de la bourgeoisie se réclamant du
nationalisme arabe et refusant de s’inscrire dans le dispositif impérialiste
mis en place dans la région à partir de 1955, le pacte de Bagdad. Ce dernier
avait été rendu possible par le coup d’état orchestré par la CIA en Iran, en
1953, pour renverser au profit du Shah d’Iran un régime qui lui aussi avait
montré des velléités d’indépendance et avait en particulier nationalisé le
pétrole.
En
1958, c’était en Irak que le roi Fayçal II, fantoche de
l’impérialisme anglais, était renversé par un autre coup d’état. L’Irak quittait le
défunt pacte de Bagdad. Sous l’étendard du nationalisme bourgeois arabe, les principales
bourgeoisies de la région s’opposaient à l’impérialisme pour leur propre
compte. Elles le faisaient en s’appuyant sur l’existence de l’URSS comme puissance mondiale rivale des USA. Corrélativement, elles pouvaient compter sur l’appui que, dans chaque pays et sur ordre de la
bureaucratie du Kremlin, des Partis Communistes influents apportaient à ces
courants nationalistes
bourgeois et les aidaient à contenir les mouvements de masses avant d’être
en règle générale dissous
et victime d’une répression sanglante. De la nationalisation du canal de Suez
en 1956 par Nasser à celle du pétrole syrien ou irakien dans les années 60 et
70, ces bourgeoisies prenaient des mesures de permises par l’autonomie qu’elles
avaient acquises vis-à-vis de l’impérialisme en nouant des liens avec la
bureaucratie du Kremlin. Bien que n’hésitant pas à marier la phrase socialiste
à la propagande nationaliste, aucune mesure socialiste réelle n’était
bien entendu prise.
En
1979, la révolution prolétarienne éclatait en Iran. Même coiffée par le régime
des mollahs, saignée à blanc par l’agression militaire engagée contre elle par
les puissances impérialistes via l’Irak de Saddam Hussein, c’était l’une des
deux mâchoires de l’étau impérialiste au Moyen-Orient qui se brisait ainsi avec
le régime du Shah. Le rapprochement spectaculaire de l’Egypte avec
l’impérialisme US engagé alors sous la direction de Sadate, qui passait par le
reconnaissance d’Israël, était loin de la compenser, d’autant qu’en 1987
éclatait la révolution en Palestine, l’Intifada.
Mais
depuis, l’effondrement de l’URSS a permis à l’impérialisme US, devenu seule
puissance mondiale au plein sens du terme, de s’affranchir des limites
politiques qui lui imposait la poursuite de la « guerre froide », en
même temps que la disparition de l’URSS a mis fin aux possibilités de manœuvres
dont disposaient tant les régimes de la région que les impérialismes de second
rang, tels la France. C’est ce qu’annonçait la première guerre contre l’Irak en
1991. Depuis 2001, l’impérialisme américain a passé la vitesse supérieure, s’affranchissant ouvertement des règles prévalant
jusqu’ici, n’hésitant pas à imposer sa volonté par la force aux autres
impérialismes, réduits à l’alternative de s’aligner pour récolter quelques
miettes ou de subir. Face à cette alternative, l’attitude nouvelle de
l’impérialisme français s’explique sans doute par un constat indéniable :
l’impérialisme américain a marqué de nouveaux points.
Avant même
que se soient tenues les « élections » en Irak,
programmées de longue date, la mort de Yasser Arafat, le 11 novembre 2004, a
fourni à l’impérialisme US l’opportunité de mettre en œuvre sa conception de la
« démocratie », en portant à la tête de l’« Autorité Palestinienne »
un collaborateur zélé de l’Etat d’Israël.
Les « élections présidentielles » organisées le 9
janvier dans les territoires occupés ont en
effet été remportées par le candidat du Fatah, Mahmoud Abbas,
avec un score de 62,5%. En réalité, ces élections, qui n’avaient pour but de
que désigner le principal geôlier du peuple palestinien dans les cages où Tsahal le tient enfermé, n’ont mobilisé qu’un peu plus d’un
tiers des habitants des territoires occupés - habitants qui eux-mêmes
constituent moins de la moitié du peuple palestinien disséminé dans tout le
Proche-Orient : moins de 450 000 électeurs ont ainsi voté pour le
successeur autoproclamé d’Arafat…
Une concertation préalable entre Abbas et les principales
factions palestiniennes avait permis d’empêcher qu’un adversaire sérieux lui
fût opposé, tandis que la candidature de Marwan Barghouti, dirigeant du Fatah emprisonné, avait été
suspendue après que de fortes pressions eussent été exercées contre lui et ses
partisans. Les dirigeants du Hamas, quant à eux, avaient annoncé qu’ils
boycotteraient les élections, pour la raison parfaitement juste qu’il ne
s’agissait que de « désigner un candidat du Fatah
prêt à négocier avec Israël » (Reuters,
15/11/2004). Last but not least : à
aucun moment de ce processus électoral les troupes israéliennes n’ont cessé
leurs incursions, laissant tout juste entendre qu’Israël allait « limiter
ses interventions militaires à la neutralisation des kamikazes considérés comme
s’apprêtant à commettre des attentats » (dépêche
Reuters du 17/11/2005), ce qui revenait à dire continuer
d’arrêter ou d’abattre qui il voulait, quand il voulait...
Tout cela n’a pas empêché les observateurs internationaux,
dont les principaux représentants étaient confortablement installés à Jerusalem-est, où l’immense majorité des électeurs n’a pu
voter (la plupart des 120 000 habitants palestiniens étaient priés de se rendre
en Cisjordanie pour ce faire…) de saluer l’événement. Michel Rocard,
représentant pour l’occasion de l’Union Européenne, chantant les
louanges de Tsahal :
« Le
cas est unique au monde. Une armée d'occupation, d'un pays occupant, qui laisse
faire une élection au suffrage universel chez l'autre. L'élection se passe
démocratiquement et élit le seul Palestinien qui disait : il ne faut pas que
l'Intifada devienne militaire. Et maintenant on commence à se parler » (interview accordée à RTL-info le 16/2/2005).
« Se parler » ?
Dès l’issue du scrutin, la déclaration d’Abbas a été sans équivoque : «Nous tendons la main à nos voisins.
Les Palestiniens
sont prêts pour la paix, pour une paix basée sur la justice et nous espérons
que la réponse des Israéliens sera positive».
Sharon, pragmatique, a en réponse rappelé ses exigences : Abbas sera jugé
sur «la façon dont il
combattra le terrorisme et démantèlera
ses infrastructures» (RFI, le 12/1/2005). Bush, quant à
lui, fait adopter à Washington des mesures permettant le financement direct de
l’Autorité par l’impérialisme américain et invite le président de l’Autorité
Palestinienne à la Maison Blanche, un fait significatif puisque Arafat n’y
avait jamais été convié.
Qui est Mahmoud Abbas ? Un
représentant du cours imprimé aux organisations
palestiniennes depuis plus de dix ans. Il a
été, au lendemain de la première guerre du Golfe, le principal architecte du
processus d’Oslo, en vertu duquel l’OLP acceptait de reconnaître l’Etat
d’Israël, se ménageait un statut d’ « interlocuteur » officiel
de l’Etat sioniste et organisait une force de police pour mettre le peuple
palestinien en coupe réglée, dans les lambeaux de territoire où il se retrouve
parqué, sous l’égide d’une « Autorité Palestinienne » dont le budget
dépend d’Israël.
Après septembre 2000, lorsque Ariel Sharon et le
gouvernement Barak ont organisé une provocation pour « justifier » la
refonte des accords au détriment des palestiniens, Abbas a pris position…
contre la résistance du peuple palestinien, pour de nouvelles
« négociations ». C’est en vertu de ces états de service qu’au
lendemain de l’invasion de l’Irak, Bush a exigé qu’il soit promu au rang de
« premier ministre » palestinien, dans le but de mettre en œuvre ses
exigences - ce que, face au rejet de la majorité du Fatah et des
« Brigades des martyrs d’Al Aqsa », Abbas
n’avait pu accomplir. Par la suite, ce sont des proches de Mahmoud Abbas – et
en particulier son ancien chef de la sécurité à Gaza, Mohammed Dahlan – qui, au cours de l’été 2004, ont tenté de prendre
le contrôle de l’Autorité Palestinienne… réussissant à faire basculer de
nombreux protestataires du côté d’Arafat (v. l’article publié dans CPS
nouvelle série, n°17).
Abbas n’est pas un cas isolé à la tête du Fatah, de
l’OLP : la soumission croissante de ces organisations à l’Etat sioniste
n’aurait pu avoir lieu sans la corruption systématique de ses dirigeants, qui
se sont octroyés des marchés ou des secteurs de la vie économique, prélèvent
des « taxes » plus ou moins officielles, tirent profit du contrôle
sécuritaire de certains points de passage. La caste dirigeante du Fatah et de
l’OLP, habituée à gérer ces organisations comme des propriétés privées (aucune
réélection de la direction n’a eu lieu depuis des années), n’aspire qu’à
liquider définitivement la résistance pour profiter pleinement de ses
« affaires » ainsi que des subsides octroyés par Israël, par
l’impérialisme américain et par l’Union Européenne. C’est ce même objectif que
poursuivent Bush et Sharon… et précisément, les « élections
présidentielles » de janvier 2005 ont constitué une opportunité inespérée
pour porter un agent servile de leurs intérêts à la tête de l’Autorité.
C’est au lendemain de l’invasion de l’Irak par la coalition
impérialiste – le hasard n’y est pour rien – que Bush avait
imposé un énième plan de « paix » entre Israël et l’Autorité, la
« feuille de route » : ce plan pose comme condition première et sine qua non le
désarmement des milices palestiniennes. En contrepartie de ce suicide
politique, Israël accepterait, « dans un premier temps », de geler
ses colonies, avant de les démanteler « dans
un second temps ». Quoiqu’elle n’ait jamais été
consultée, la direction de l’OLP a apporté
son soutien à ce « plan ».
Dans les faits, la « feuille de route » est,
d’ores et déjà, caduque : Israël n’a jamais mis fin à la colonisation, ni
à la répression féroce du peuple palestinien. Politiquement,
sa prise en charge par l’OLP en fait un instrument pour cadenasser
politiquement le peuple palestinien.
Ainsi, dans les jours qui ont suivi
l’élection d’Abbas, pour la première fois, des
milliers de policiers palestiniens se sont déployés dans la bande de Gaza
« avec pour mission
d'empêcher les attaques contre Israël » (AFP,
20/1/2005).
Puis le Hamas, le Jihad
islamique, les « brigades des martyrs Al-Aqsa »
(milices armées issues du Fatah) ont accepté de
suspendre leurs attaques. A aucun moment, les incursions de l’armée israélienne
n’ont, quant à elles, cessé : les incursions, violations, arrestations,
assassinats sont quotidiens. Le 8
février, les accords de Charm-el-Cheikh, en Egypte,
ont précisé les termes des « négociations » reprises à grands
renforts de trompettes: en contrepartie du démantèlement des milices
palestiniennes, et sous réserve que l’Autorité s’acquitte la première de cette
tâche, Israël consent… à libérer partiellement les territoires occupés depuis
2000, à lever quelques barrages routiers, à libérer quelques centaines de
prisonniers palestiniens et à laisser travailler quelques milliers de
palestiniens en Israël… En clair, l’Autorité Palestinienne accepte de se substituer
à Israël dans le travail de répression des masses palestiniennes et, en
« contrepartie », entérine de nouvelles annexions.
La conférence de Londres, organisée par Blair un mois plus
tard, clarifie encore davantage les choses : tandis qu’Abbas y déclare son
adhésion aux clauses contenues dans la « feuille de route » (plan
imposé par l’impérialisme américain, défini au lendemain de l’invasion de
l’Irak), Sharon interdit à toute délégation israélienne d’y participer ;
si Abbas réaffirme l’objectif de démanteler les groupes armés palestiniens,
Israël fait ainsi savoir que l’objectif de démanteler dans un second temps
toutes ses colonies est, à ses yeux, caduc.
L’impérialisme US, quant à lui, s’ingère plus directement
que jamais dans la politique sécuritaire de l’Autorité, en instituant, le 31
janvier, un
« mécanisme supervisé par la CIA permettant d’assurer la coordination
sécuritaire israélo-palestinienne, même en cas d’attentats terroristes »
(AFP, 31/1/2005), puis en désignant un officier, le général Ward, « au poste délicat de
coordinateur en matière de sécurité » aux
côtés de Dahlan (Reuters, 7/2/2005).
Mais
l’application pratique de ces « accords » parle d’elle-même. Les 500
prisonniers libérés à ce jour? 70% d’entre eux
faisaient l’objet d’une « détention administrative », c’est-à-dire
d’une arrestation arbitraire ; les autres étaient arrivés au terme de leur
peine… Plus de 8000 prisonniers, dont des centaines d’enfants, de femmes,
d’adolescents, continuent de croupir dans les geôles de l’Etat sioniste ;
la torture y est pratique courante.
La
« levée » des barrages ? Les rares checkpoints israéliens qui ont été démantelés ou déplacés sont
remplacés par des checkpoints palestiniens sous
« surveillance » israélienne… Le « retrait » de Jericho ?
« la
route 90 qui longe la vallée du Jourdain restera sous contrôle sécuritaire
israélien, y compris le village d’Oudja. En
ce qui concerne les barrages, ils seront tous maintenus sauf le barrage situé à
l’ouest de la ville. » (Claude Leostic,
AFPS, 18/3/2005).
Celui
de Tulkarem ?
« Sur les trois barrages militaires
qui ceinturent la ville de Cisjordanie, un seul a été démantelé par l’armée
israélienne » (RFI,
23/3/2005).
La
souveraineté de l’Autorité Palestinienne ?
« Le Président
de l'Autorité Palestinienne, Mahmoud Abbas, a affirmé que dès que la
responsabilité de la sécurité sur Jéricho sera remise aux Palestiniens, Ahmed Saadat, un
haut dirigeant du Front Populaire pour la Libération de la Palestine [FPLP] qui
est incarcéré dans une prison palestinienne,
sera libéré. (…) « Si les Palestiniens osent les libérer, Israël mettra la
main sur eux plus vite qu'ils l'imaginent », a dit Mofaz. » (The Jerusalem
post, 15/3/2005).
Le
redéploiement de quelques policiers palestiniens à Jericho
et Tulkarem n’a été accepté, par contre, qu’en
contrepartie d’arrestations exigées par Sharon.
La
construction de nouvelles colonies ?
« Un responsable à la présidence du
Conseil a affirmé à l'AFP que la construction de logements allait continuer
« en fonction des besoins » dans les trois plus importants groupes de
colonies de Cisjordanie, Maalé Adoumim à
l'est de Jérusalem, Goush Etzion au
sud de Jérusalem et Ariel dans le nord de la Cisjordanie. » (AFP,
21/3/2005).
Bush
feint-il de se courroucer au sujet des ces provocations ? Sharon annonce
qu’il démantèlera les colonies… sauvages, à l’exclusion, donc, de toutes celles
que son gouvernement a agréées.
Le
statut de Jérusalem-est ?
« Au début du mois, le Premier
ministre Ariel Sharon avait proclamé que « grâce à la
colonisation, nous garderons pour l'éternité des positions importantes,
essentielles à notre existence, à Jérusalem notre capitale unifiée pour
toujours, et dans les groupes d'implantations » » (même source).
Les
brimades à l’encontre des palestiniens, la construction de milliers de
logements pour les colons, les rachats de terrain à des communautés religieuses
permettent à Israël d’avancer quotidiennement vers ce qui a toujours été son
objectif : le « transfert », l’expulsion des palestiniens.
Le
« retrait » de Gaza, programmé pour le 20 juillet ? Si tant est
que ce retrait ait lieu, il permettrait à un million de palestiniens de
s’entasser dans une vaste prison à ciel ouvert, sans accès à la mer ou au ciel,
contrôlée à l’ouest par Israël, au sud par l’Egypte, et quadrillée par les
policiers de l’Autorité, tandis que quelques milliers de colons seront
« dédommagés » à l’aide de millions de dollars octroyés par
Washington.
La
construction du mur de l’apartheid, quant à elle, continue de progresser :
sur les 622 km prévus pour le Mur, 255 km étaient déjà construits ou en cours
de construction au lendemain de Charm-el-Cheikh…
Tout cela n’a nullement empêché Abbas d’arracher aux
différentes factions palestiniennes le principe d’une « trève » jusqu’à la fin 2005, accueillie par Sharon
comme un « premier pas (!) positif »,
même si aucun accord final ne pourrait avoir lieu « sans une dissolution des
groupes terroristes » (Le Monde du
17/3/2005)…
La victoire électorale de Mahmoud Abbas, le contrôle exercé
par ses partisans sur l’OLP, le Fatah et l’Autorité palestinienne, constituent
une victoire historique de l’impérialisme US et de l’Etat d’Israël. La
décomposition des organisations nationalistes petites-bourgeoises
palestiniennes, reniant revendication après revendication du peuple palestinien
(dont celle fondamentale du droit au retour de tous les réfugiés) se fait au
profit de l’Etat d’Israël… et du Hamas (cf. les résultats impressionnants
obtenus par ce parti lors des élections municipales à Gaza : 75 des 118
sièges ont été remportés par cette formation).
Le droit au retour des réfugiés, le droit du peuple
palestinien à recouvrer sa terre, l’établissement sur cette base d’une
République palestinienne sur tout le territoire historique de la Palestine, par
la tenue sur cette base d’une Assemblée constituante, semble s’éloigner encore.
Les « élections » irakiennes ont, dans le
prolongement des « élections » palestiniennes, constitué une autre
victoire politique de l’impérialisme américain.
L’article sur le Moyen-Orient publié dans CPS n°17
avait indiqué quelles étaient les principales missions du « gouvernement
provisoire » d’Iyad Allaoui,
gouvernement fantoche officiellement chargé de préparer ces élections :
cautionner l’occupation impérialiste de l’Irak en préparant des élections-bidon, écraser pour cela les principaux foyers de
résistance en Irak, œuvrer à la constitution d’un début d’armée et de police
irakiennes servant de chair à canon pour l’Etat-major de la coalition. La
bataille de Fallouja, survenue depuis lors, a fourni depuis une illustration
très claire du fait qu’Allaoui et ses mentors avaient
avancé dans ce sens.
En mars-avril 2004, plutôt que de
poursuivre à Fallouja une bataille qui s’annonçait difficile, les troupes
impérialistes avaient préféré quitter la ville pour la pilonner,
quotidiennement, pendant des mois. Dans la nuit du 6 au 7 novembre 2004,
elles se sont toutefois engagées dans une vaste offensive contre cette ville. Au
préalable, les troupes impérialistes bombardent la ville de tracts et
de messages annonçant :
« dès que
l’assaut sera lancé, tout homme en âge de combattre sera considéré comme un
combattant ennemi, et arrêté ou tué » (Le Monde, 7-8/11/2004).
Effrayée, la grande majorité de la
population de cette ville de 400 000 habitants
fuient et abandonnent leurs demeures. Ceux qui restent sont les plus
pauvres, les plus âgés, les invalides, les impotents. Un officier US laisse
entendre, d’après Le
Monde du 9 novembre, que se prépare « le combat urbain le plus
violent depuis la guerre du Vietnam » :
«Les officiers américains espèrent que,
contrairement à ce qui s’est passé durant la bataille perdue d’avril, les
soldats irakiens ne déserteront pas. Ils comptent sur
eux pour constituer une première vague d’assauts, puis, lorsqu’il s’agira de
prendre Fallouja rue par rue et maison par maison, pour s’occuper des sites les
plus sensibles, notamment des mosquées ».
Le 29 novembre, la ville est officiellement « nettoyée » :
les morts, les blessés irakiens se comptent officiellement par milliers. La
ville est en ruines. C’est le point de départ d’un nouveau désastre humanitaire
pour d’innombrables sans-abris, venus
s’ajouter aux centaines de milliers que l’invasion impérialiste a déjà
engendrés :
« Fallouja
est désormais une ville fantôme. Une toute petite partie de la population est
revenue, sans doute moins de 20% »
(Le Monde du 7/2/2005).
L’écrasement de Fallouja est
l’expression révoltante de la détermination de Washington à
aller jusqu’au bout – jusqu’au carnage, à la barbarie, à l’écrasement
indistinct des masses irakiennes.
Cette offensive meurtrière témoigne
aussi des « progrès » accomplis dans la constitution d’une armée
irakienne de type colonial, recrutant grâce à la
misère et l’avivement des tensions
communautaires.
Deux
mois après Fallouja, les « élections » irakiennes du 30 janvier se
sont tenues dans des
conditions caricaturales. Dans
son enthousiasme un peu hypocrite, la représentante de l’assistance électorale
de l’ONU, Carina Perelli,
qui relaie les « informations » d’observateurs basés en Jordanie
(sic), en donne un aperçu significatif :
« En
ce moment, tout le monde se fait une idée à partir 'd'impressions'
(…)A Sadr-City par
exemple, [dans la banlieue de Bagdad] la presse a signalé que personne n'avait
voté, alors que la CEI a signalé que le taux de participation a été si élevé
qu'elle a dû envoyer du personnel supplémentaire » (communiqué du 1er février 2005).
Précision : la dite Commission électorale irakienne (CEI) avait été constituée
de A à Z par l’occupant…
Entre
appels au boycott (« resistance » et
religieux sunnites, moqtada al-sadrn
chef de l’armée du mahdi), et listes confessionnelles ou ethniques représentant
au contraire les factions kurdes et chiites décidées à investir pour leur
propre compte les institutions néo-coloniales, chacun a fait la pluie et le
beau temps en son fief.
Au
soir du 30 janvier, la commission électorale annonçait un taux de participation
de plus de 70%, pour revoir peu après ses prétentions à la baisse (60%), puis
annoncer qu’il ne pouvait être établi d’estimation fiable avant la fin du
comptage… comptage qui nécessitera deux semaines.
En
réalité, il s’agissait pour Washington de négocier la répartition des postes
entre factions chiites et kurdes, ainsi que de résoudre le problème épineux du
boycott de l’écrasante majorité des « partis sunnites » : la loi
électorale, œuvre d’un juriste new-yorkais, prévoyait en effet une répartition
des sièges « à la libanaise », en fonction de quotas attribués à
chaque « communauté ». De fait caduque, elle s’est vue substituer une
« loi » encore plus réactionnaire : celle du plus fort.
La répartition des sièges au sein de l’ « Assemblée
nationale provisoire » irakienne accorde ainsi la majorité absolue à
l’ « Alliance Unifiée Irakienne », chiite, tandis que
l’ « Alliance Kurde », qui comprend les alliés les plus fiables
de l’impérialisme US, conserve un droit de veto et
récolte un quart des sièges. La répartition des portefeuilles du gouvernement,
celle des postes à la tête de l’ « Etat » irakien fantoche, est
du même acabit : le « président » est le dirigeant de la
principale faction kurde, le « premier ministre » un chiite, tandis
que les postes-clés (Intérieur, Sécurité, Pétrole) sont attribués à des
serviteurs zélés des intérêts américains.
Si les « élections » irakiennes n’ont été qu’un
écran de fumée, elles n’en illustrent pas moins que la coalition impérialiste a
largement avancé dans la réalisation de ses objectifs. En 2003, face à la
puissance de feu monstrueuse de la coalition dirigée par les Etats-Unis, l’Etat
de Saddam Hussein, le parti Baas qui vertébrait cet Etat, la police, l’armée irakienne ont
été pulvérisés. Dans ces circonstances, de vastes
zones du pays, villes, quartiers urbains ont été livrés à eux mêmes… et à
divers regroupements armés. Depuis deux ans – de l’administration Bremer au
« gouvernement provisoire » d’Allaoui, puis
d’Allaoui au « gouvernement » actuellement
en gestation – l’impérialisme américain est parvenu à renforcer
considérablement son emprise sur ces groupes.
L’été 2004 avait été marqué par la neutralisation de
l’ « Armée du Mahdi » dirigée par Moqtada
Al Sadr et la prise de contrôle de Nadjaf, suivie de Sadr City (v. CPS
n°17). Puis avait commencé la saignée du « triangle
sunnite », dont la bataille de Fallouja a constitué le paroxysme.
Parallèlement à ces massacres, le « processus politique » a permis
d’entériner la soumission de nombreuses autres factions qui régissent la vie du
pays. La liste chiite « unifiée » est ainsi un regroupement très
hétérogène, comprenant une fraction du clergé chiite (Sistani), des
créatures de Washington (comme le
Congrès National Irakien d’Ahmed Chalabi), ainsi que
des organisations directement impulsées par l’Iran.
Quand bien même ces organisations
réclament officiellement un calendrier de retrait des
troupes impérialistes, toutes ont accepté dans les faits de faire acte d’obédience
à l’impérialisme américain.
L’Irak est aujourd’hui morcelé entre factions armées qui,
en contrepartie de la mise en coupe réglée de la population et d’une soumission
étroite aux exigences de l’impérialisme américain, récoltent les miettes de sa
table : pour s’assurer un meilleur contrôle de l’économie irakienne, à
commencer par sa production pétrolière, Washington n’hésite pas à régir ce pays
selon les mœurs de l’empire ottoman. Parce que les milices kurdes constituent
ses meilleurs alliés, l’impérialisme américain leur livre aujourd’hui Kirkouk, au risque de déclencher une vague d’épuration
ethnique. Parce que l’étau de la religion, le poids des milices chiites contribuent à la pax americana,
l’impérialisme américain ne s’oppose pas à la revendication d’un « Etat
islamique » ultra-réactionnaire. C’est à la
« légalisation » de ce partage du pouvoir entre factions régionales
que la prétendue « Assemblée nationale» a pour tâche d’œuvrer, sous
prétexte d’établir un État fédéral dont la constitution serait soumise à
référendum.
Le prolétariat n’a, dans cette situation, que bien peu
d’espace pour s’exprimer politiquement. Aujourd’hui,
au moins 50% de la population active est au chômage en
Irak, un irakien sur quatre dépend de l’aide alimentaire
publique, le pays compte plus d’un million et demi de sans-abris,
les diverses milices imposent leur joug aux
travailleurs et à la jeunesse. Quant
à la « résistance irakienne » composée
aujourd’hui des naufragés du régime de Saddam Hussein
mêlés aux intégristes islamistes proches de Ben Laden, il
n’est qu’à considérer ses crimes quotidiens contre la population civile – et
d’abord contre la population chiite - pour comprendre
qu’elle n’a pas d’avenir. D’autant que, puisqu’il faut bien que les armes et
l’argent arrivent et circulent, les Etats-Unis ont
encore accru la pression sur ses deux seules sources possibles
d’approvisionnement.
Au lendemain des « élections » irakiennes, Bush
déclarait, dans son discours sur l’état de l’Union du 2 février, son ambition
d’aller encore plus loin :
«
Afin de promouvoir la paix dans le Grand Moyen-Orient, nous devons affronter
des régimes qui continuent d’abriter des terroristes et cherchent à se doter
d’armes de destruction massive. La Syrie permet
encore que son territoire ainsi que certaines parties du Liban soient utilisés par
des terroristes qui cherchent à détruire toute chance de paix dans la région
(...). Aujourd’hui, l’Iran reste le principal Etat dans le monde à soutenir le
terrorisme et cherche à acquérir l’arme
nucléaire tout en privant son peuple de la liberté qu’il recherche et qu’il
mérite ».
Ce que Bush reproche en réalité à la Syrie et à l’Iran est
fort simple : pas plus que l’Irak baassiste
d’avant 2003, ces pays ne sont encore asservis
au joug politique, militaire et économique de l’impérialisme américain. Par
ailleurs, il est incontestable que l’Iran et la Syrie disposent d’une influence
considérable sur nombre d’organisations et de factions armées dans la région
(en Irak, en Palestine, au Liban, voire, concernant l’Iran, en Asie Centrale).
Enfin, il est évident que l’impérialisme américain convoite les immenses
ressources iraniennes en hydrocarbures.
Les pressions américaines sur l’Iran se concentrent
aujourd’hui sur la question du nucléaire : instrumentalisant des
recherches iraniennes sur l’enrichissement de l’uranium, Washington menace, si
l’Iran refuse de cesser toute activité dans ce sens, de porter le problème
devant le Conseil de Sécurité de l’ONU. Il n’en faut pas plus à Israël,
puissance nucléaire officieuse et alliée indéfectible de l’impérialisme
américain, pour annoncer sa candidature militaire à toute opération aérienne à
l’encontre de centrales iraniennes - réelles
ou prétendues. Parallèlement, l’organisation iranienne exilée des « Moujahidins du Peuple », qui dispose en Irak de
plusieurs milliers de combattants, vient tout récemment de rentrer en grâce
auprès de l’administration Bush. Un scénario à l’irakienne se profile… mais il
n’est pas le seul : les méthodes employées en Ukraine ont, elles aussi,
fait leurs preuves (v. CPS
n°18), et rien ne dit que l’impérialisme américain ne cherchera
pas à exploiter à son compte l’instabilité croissante
du régime des mollahs
taraudé par ses propres contradictions. Bush ne déclarait-il pas le 10
mars :
« Nous attendons le jour où les Iraniens seront libres. La
trompette de la liberté a sonné. Et ce n'est pas une trompette qui sonne la
retraite »
Et s’il a laissé la bride sur le cou à la troïka européenne
qui négocie avec l’Iran sur cette question, le gouvernement Bush a été clair
quand il a déclaré, via G.Rice (le 10 février à
Bruxelles, au siège de l’OTAN) :
«Il doit être clairement mentionné que si l'Iran ne
respecte pas ses obligations en matière de désarmement nucléaire, elle
sera renvoyée devant le conseil de sécurité de l'ONU», a affirmé, hier, le
secrétaire d'Etat américain. «Les Iraniens ont besoin d'entendre que les
discussions qu'ils mènent aujourd'hui avec les Européens ne sont pas une sorte
de pause durant laquelle ils sont autorisés à poursuivre leurs
activités. Ils doivent savoir qu'il y aura un terme à cela.»
«Le temps de la
diplomatie est encore ouvert. Il n'y a pas de date butoir» a précisé Condoleezza Rice avec
un sourire, «mais le président des Etats-Unis garde
toutes ses options sur la table.» Y compris l'option militaire, même si elle
n'est pas envisagée «pour le moment».
(Le Figaro du 11
février)
L’option militaire n’est pas envisagée… et pourtant elle
n’est pas écartée. La pression sur l’Iran va aller crescendo.
D’autant que, en plus des succès politiques remportés en Palestine et en Irak,
l’impérialisme US, paulé par l’impérialisme français,
vint d’en remporter un autre contre la Syrie, au Liban.
Le 14 février mourait, dans l’explosion d’une voiture
piégée, l’ancien premier ministre libanais, Rafic Hariri. Aussitôt, les
autorités américaines accusaient la Syrie de l’attentat et étaient relayées,
sur place, par une « opposition unifiée » proclamée, en décembre, au
Bristol, un hôtel cinq étoiles de Beyrouth. A son tour, Chirac se précipitait
aux funérailles de son « ami », se
prononçait en faveur d’une « commission d’enquête
internationale », puis réclamait, de concert avec
Bush, l’application immédiate de la résolution 1559 de l’ONU – résolution
adoptée par eux quelques mois plus tôt et exigeant le retrait des troupes
syriennes installées au Liban, ainsi que le désarmement des milices (le
Hezbollah et les camps palestiniens).
Dans
les semaines qui suivent, l’ « opposition du Bristol » organise
des manifestations de dizaines, puis de centaines de milliers de manifestants
pour exiger le départ des troupes de Bachar El-Assad et la démission du gouvernement pro-syrien dirigé par Omar Karamé.
Le 29 février, Karamé annonce la dissolution de son
gouvernement, puis, devant l’impossibilité de constituer un gouvernement
d’ « union nationale » intégrant l’opposition, présente sa
démission – refusée par le président Lahoud – le 29
mars. Parallèlement, les troupes de Damas s’engagent à un retrait progressif de
leurs troupes et agents, avant de présenter publiquement, le 7 avril, un
calendrier de retrait définitif qui doit prendre fin avant le 30 avril – date
du début des élections législatives.
Est-ce
à dire que, comme l’ont laissé entendre la télévision, la radio et la presse
française, les rassemblements organisés par l’opposition - que certains
appellent la « Révolution
du Cèdre » - est parvenue à imposer la volonté du « peuple
libanais » ? Les choses sont assurément plus
compliquées, si l’on tient compte du fait que des manifestations pro-syriennes organisées en particulier par le Hezbollah, ont rassemblé des foules au moins équivalentes à celles
qu’encadre l’opposition. Il suffit, au contraire, de constater que la Syrie est
aujourd’hui l’objet d’une menace militaire considérable – bordée à l’est par
l’Irak, au sud par la Jordanie et Israël, au nord par la Turquie – pour
constater que le grand vainqueur de cet affrontement est l’impérialisme américain.
Politiquement,
la fameuse « opposition du Bristol » repose d’ailleurs sur du
carton-pâte : on y trouve, entre autres, des fascistes chrétiens, des
« libéraux » pro-français, des transfuges
du Parti Communiste Libanais, des partisans du défunt Hariri, sans oublier le
très chrétien cardinal Sfeir, prélat de la communauté
maronite. Ce bric-à-brac est actuellement chapeauté par Walid Joumblatt,
dirigeant d’un « Parti Socialiste Progressiste » qui dissimule mal la
domination séculaire et féodale de sa famille sur la communauté druze de la
montagne libanaise. Une conclusion s’impose : l’ « opposition »
est, en fait, un agglomérat de factions communautaires et affairistes qui se
placent sous le haut patronage des impérialismes américain et français, lesquels marchent de front depuis
l’adoption en commun de la résolution 1559.
En
2003, Chirac avait opposé son droit de véto à la
l’invasion de l’Irak par l’impérialisme américain et ses alliés. Il s’agissait
pour lui de défendre les intérêts du capitalisme français dans ce pays – mais encore de tenter d’ériger une
digue (à l’inititative de l’impérialisme allemand et
s’appuyant sur la Russie) aux nouvelles ambitions américaines.
Les
succès politiques et militaires américains au Proche et Moyen-Orient ont amené
l’impérialisme français et Chirac a chercher de plus en plus à se faire une
place au sein du dispositif américain que contre lui. C’est pourquoi il a soutenu la résolution 1546 de l’ONU qui
entérine l’annexion de l’Irak (v. CPS n°17). Puis il a concédé la participation de l’OTAN à la
formation de l’armée et de la police irakiennes – s’engageant pour sa part à
encadrer des troupes hors d’Irak. Enfin, la conférence internationale de Charm-El-Cheikh qui a eu lieu fin novembre 2004 a consacré
l’annulation d’une part importante de la dette irakienne par l’impérialisme
français.
Dans
cette situation, le Liban constitue pour la France une monnaie
d’échange. C’est en effet la
dernière position historique de l’impérialisme français au Proche-Orient :
la France y a été la puissance
« mandataire » pendant plus de 20 ans. C’est l’impérialisme français
qui a dessiné les frontières du Liban, État artificiel, pour diviser la Syrie.
Il y a conservé une place de premier plan : Paris est le premier
investisseur du pays, son troisième partenaire commercial, et son premier
bailleur de fonds. Il y
dispose par ailleurs d’une petite force militaire : c’est un officier
français qui dirige la FINUL, force de l’ONU basée au sud du Liban.
La
conférence dite de « Paris II » avait en effet permis au gouvernement
Hariri de collecter un prêt de 4 milliards d’euros, dont 500 millions
provenaient de l’État français : en contrepartie, Hariri s’était engagé
pour le Liban à effectuer une série de « réformes structurelles »,
notamment la privatisation des entreprises publiques. Ces « réformes » ont
heurté les intérêts des castes pro-syriennes en place, qui les ont bloqué et ont fait
obstacle à leur instrument, Hariri, le poussant à
démissionner.
Chirac de
son côté a utilisé ces circonstances et n’a pas hésité à sacrifier ses
relations avec la Syrie (elles aussi datant de la colonisation du Moyen-Orient) pour se faire une place dans
le jeu américain. Libération du 22 mars 2005 en fait un récit non dénué
d’intérêt, sous le surtitre « Séisme dans la politique arabe de la France. »:
« Lorsqu'on
interroge des proches de l'Elysée sur les préoccupations
du chef de l'Etat, hors politique intérieure, quatre
chiffres reviennent inlassablement : la «1559». Ce numéro, attribué
à la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies demandant le respect
de «l'indépendance et de la souveraineté» du Liban et le départ «des forces
étrangères qui y sont encore», occupe depuis des mois une grande part
des pensées de Jacques Chirac.
Le texte, adopté aux forceps le 2 septembre dernier, porte la signature de la
France et des Etats-Unis. Mais Jacques Chirac peut, à juste titre, le
considérer comme son bébé tant il l'a porté à bout de bras. (…) Les services
de l'Etat et leurs bataillons d'analystes n'ont pas été mis dans la confidence.
Le Quai d'Orsay n'a appris l'existence du projet qu'à la veille de sa
présentation à New York. Avec surprise, parfois réticence, tant il marque un
tournant dans la politique française au Proche-Orient.
Son
langage diplomatique peut faire illusion, ses quelques lignes prennent soin de
ne nommer personne. Ce n'est pas la première fois que l'ONU appelle au respect
de la souveraineté libanaise. La 1559 est d'ailleurs passée presque
inaperçue lors de son vote. Elle s'apparente pourtant à une déclaration de
guerre, à un tremblement de terre dont les secousses se font toujours sentir.
D'alliée «critique» de Damas, la France apparaît comme une ennemie. (…) Cette
résolution (…) constitue
le seul moyen de reprendre pied au Proche-Orient.
(…) En juin 2004, il évoque la question avec George W. Bush, à
l'Elysée, en marge des cérémonies du débarquement. Le terrain a été balisé par
Maurice Gourdault-Montagne et Condoleezza Rice.
Chacun a son
propre agenda. Les Américains se préoccupent du soutien de la Syrie à des
organisations terroristes, comme le Hezbollah, et de la porosité de sa
frontière avec l'Irak. Les Français pensent d'abord au Liban.
Pourquoi
ne pas relier les deux dossiers et opérer par la même occasion un
début de réconciliation ? L'idée d'une initiative commune fait son chemin. (…)
Quand
le parrain syrien décide d'amender la Constitution du Liban afin de prolonger
le mandat de son président, Emile Lahoud, un
fidèle allié, tous les
clignotants virent au rouge. L'opposition hurle au putsch. Pour Hariri, ennemi
juré du chef de l'Etat, la rupture est consommée. Fin août, Bachar le
mande dans son palais. L'entretien ne dure que dix minutes. Hariri a rapporté
les propos du dirigeant syrien à quatre témoins dont
Walid Joumblatt, chef des Druzes : «Lahoud,
c'est moi, lui aurait déclaré le dirigeant syrien. Si Chirac veut me sortir du
Liban, je casserai le Liban.» (…)
A
Paris, c'est le branle-bas de combat. Jacques Chirac se rue au secours
de son ami. «Dans l'instant, on s'est parlé, avec les Américains. On leur a dit
: vous voulez promouvoir la démocratie dans cette région ? Au Liban, elle est
en train de disparaître. On ne peut pas laisser passer ça», raconte-t-on dans
l'entourage élyséen.
(…)
Ce coup diplomatique permet à la France de renouer avec les Etats-Unis sans
avoir à céder sur l'Irak. Ce rapprochement, même «s'il n'était pas la cause,
mais la conséquence de la 1559», dixit un diplomate, arrive à point nommé.
Sous le choc, les Syriens ont trouvé un
coupable. Ils accusent Rafic Hariri d'être le «serpent» qui a fomenté la
résolution. Pour un ancien ministre des Affaires étrangères, son implication ne
fait pas de doute. Vrai ou faux ? «C'est lui qui a poussé Chirac à s'engager
contre les Syriens», assure ce dernier. Le 20 octobre, le Premier ministre
libanais est poussé par les Syriens à la démission et rejoint l'opposition.
Cinq mois plus tard, une énorme déflagration pulvérise sa voiture blindée et
provoque des ravages sur plus d'une centaine de mètres. Pour
Paris, «une telle opération ne peut pas être menée en dehors d'un grand service
appuyé par un Etat».
Un
autre symptôme du changement
dans la politique française
s’est manifesté récemment : l’impérialisme français affiche un ton nouveau envers l’Etat d’Israël (dixit Raffarin : « La France est à vos côtés », Le
Parisien du 17/3/2005) et vient de conclure un nouvel accord de
coopération économique avec lui.
Les
travailleurs et la jeunesse, en Amérique comme dans les Etats d’Europe de
l’ouest, constituent aujourd’hui des facteurs essentiels de la lutte contre
l’horreur quotidienne qui sévit en Irak, en Palestine, et qui menace tous les
peuples du Moyen-Orient. La politique que mène Bush en Irak ou en Palestine,
celle que Chirac voudrait voir menée au Liban, au compte de leurs bourgeoisies
respectives, sont l’expression la plus barbare de ce à quoi conduit le mode de
production capitaliste – tandis que les coups portés aux acquis sociaux des
travailleurs de France ou d’Amérique sont là pour témoigner qu’ils n’ont, comme
les peuples d’Irak, qu’un seul et même ennemi.
En
avril 2002, au Caire, en réaction au massacre intolérable du peuple
palestinien, des dizaines de milliers d’étudiants ont déferlé vers l’ambassade
d’Israël, affrontant une répression féroce. Ce mouvement, qui a constitué le
point le plus élevé d’une vague de mobilisations traversant tout le
Moyen-Orient, témoigne de l’unité profonde des luttes que les masses de ces
régions ont à mener, ainsi que de l’unité des problèmes auxquels ils ont à
faire face. Car les Etats du Proche et du Moyen-Orient sont des Etats
artificiels, construits de toutes pièces par les puissances impérialistes pour
assurer leur domination. Pour briser cet étau, en finir avec les divisions
communautaires héritées d’un autre âge, les prolétariats du Proche et du
Moyen-Orient devront construire leurs organisations, leurs partis, et s’engager
dans la lutte pour renverser les Etats fantoches et semi-féodaux,
vers une Fédération Socialiste des Proche et Moyen-Orient. Mais il est
indispensable pour cela que les troupes impérialistes soient chassées d’Irak,
que les puissances impérialistes soient défaites.
En
mars 2004, les travailleurs et la jeunesse d’Espagne, en chassant Aznar et son
gouvernement, ont imposé de fait le retrait des troupes espagnoles
d’Irak : elles ont infligé à la coalition impérialiste le coup le plus dur
jamais porté jusqu’à maintenant. Il faut s’inspirer de cet exemple et en tirer
la conclusion : combattre, en France, l’occupation impérialiste de l’Irak,
c’est combattre le gouvernement Chirac-Raffarin.
Il
faut au contraire s’organiser et s’emparer de toutes les occasions possibles
pour exiger de ces organisations qu’elles se prononcent clairement : pour le retrait inconditionnel et
immédiat des troupes impérialistes d’occupation, contre le soutien apporté par Chirac
à l’ « Etat » fantoche d’Irak et à l’Etat d’Israël, et donc contre les résolutions de
l’ONU qui légalisent la recolonisation en cours du Moyen- Orient.