Editorial de CPS nouvelle série n° 19 (n°101) du 9 avril 2005

 

Pour arracher les revendications, en finir avec les contre-réformes, et lors du référendum :

Infliger une défaite à Chirac et son gouvernement

Le 10 mars, un million de manifestants ont dit : « assez de ce gouvernement et de sa politique ! »


« Coup de semonce ». C’est en ces termes que Le Monde du 12 mars a apprécié ce que signifiait pour le gouvernement la journée d’action du 10 mars convoquée par l’ensemble des confédérations syndicales (et à laquelle appelaient également le PS et le PCF). Il a suffit de l’apparence du front unique des organisations du mouvement ouvrier, sans même que celles-ci n’avancent ne serait-ce que l’ombre d’une revendication réelle, pour que se forment des manifestations pour le moins significatives de la volonté des travailleurs et de la jeunesse d’en découdre avec le gouvernement Chirac-Raffarin, d’en finir avec les contre-réformes, de voir leurs revendications satisfaites.

 

L’ampleur de cette journée d’action ne doit pas être exagérée. Mais elle traduit et confirme que, et ce pour la première fois depuis la défaite de 2003, la volonté de la classe ouvrière, de tous les travailleurs, de la jeunesse, de combattre et de vaincre le gouvernement Chirac-Raffarin est réapparue au grand jour sur la scène politique. La possibilité d’infléchir le cours politique et d’infliger une défaite au gouvernement, au patronat, est à l’ordre du jour.


« Le gouvernement a la "chance" d'avoir en face de lui des organisations syndicales responsables »


En réalité, depuis janvier, prolétaires et jeunes cherchent les voies et les moyens du combat contre le gouvernement et le Medef. La force de la journée d’action du 20 janvier, essentiellement dans la fonction publique, a montré notamment la volonté des enseignants de ne pas laisser passer la loi Fillon de casse de l’enseignement public. C’est sur elle que s’est appuyé le mouvement des lycéens qui sont descendus dans la rue par dizaines de milliers.

 

Des mouvements spontanés significatifs ont éclaté: grève des contrôleurs SNCF en janvier pour les postes, grève des agents de piste d’Orly, et la grève d’une partie des ouvriers de Citroën (PSA) à Aulnay, première dans cette usine depuis 1984. Dix jours durant, plusieurs centaines d’ouvriers, les plus jeunes, se sont mis en grève du 3 au 14 mars pour obtenir le paiement intégral des 20 jours de chômage technique imposés par la direction, lesquels signifiaient une perte de plusieurs centaines d’euros de salaire. Au bout du compte, après avoir rejeté un premier protocole d’accord (soutenu par FO) qui prévoyait que les jours chômés seraient payés en échange de leur rattrapage ultérieur sur les jours de RTT, les ouvriers ont obtenu satisfaction sur l’essentiel, y compris le paiement de la quasi-totalité des jours de grève. La grève d’Aulnay s’inscrit dans une série significative de grèves pour les salaires, dont certaines victorieuses. Citons SKF à Saint-Cyr (37) en février, la grève à Airbus Saint-Nazaire début février, lors desquelles de significatives augmentations de salaires ont été arrachées aux patrons. D’autres grèves plus ou moins fructueuses doivent être signalées, depuis celle des entrepôts H&M l’hiver dernier, jusqu’à celles qui touchent Carrefour et Conforama, en passant par des grèves dans les transports urbains, de Saint-Nazaire en décembre à l’Aisne, ou la Haute-Vienne en mars.

 

Le 5 février, cette question des salaires, la volonté de combattre en conséquence la proposition de loi UMP permettant l’allongement et la flexibilité accrue du temps de travail, avait mené plusieurs centaines de milliers de travailleurs à manifester.

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Rappelons pourtant que les confédérations syndicales appelaient à cette journée (un samedi) sans avancer aucun mot d’ordre et en spécifiant même que les cortèges et les revendications seraient « à géométrie variable » (FO).

En particulier, les confédérations n’exigeaient pas clairement le retrait du projet de loi d’allongement du temps de travail – ce à quoi correspondait le caractère fragmenté à l’extrême des manifestations –en lieu et place d’une montée de la classe ouvrière, à Paris, à l’Assemblée, pour le retrait de ce projet.

 

C’est à cette aune qu’il faut apprécier ce que l’éditorial du Monde du 12 mars déjà cité soulignait :

« Alors que le malaise social, dans un pays taraudé par le chômage, l'exclusion et les inégalités, va bien au-delà des cortèges syndicaux, le gouvernement a la "chance" d'avoir en face de lui des organisations syndicales responsables. La CGT, la CFDT, FO, la CFTC, l'UNSA et la FSU ont parfaitement maîtrisé la grogne sociale à travers une journée d'actions interprofessionnelles sur laquelle elles ont plus de prise que sur des grèves "spontanées" et "sauvages" (…)

 Au soir de leur succès du 10 mars, ils se sont tous montrés très prudents, évoquant des "suites", comme il est de tradition de le faire, mais en les subordonnant aux réponses attendues du gouvernement et du patronat ».

 

« Le gouvernement a de la chance »… « les syndicats se sont montrés prudents »… il n’y a pas besoin de chercher bien loin pour comprendre où se situe l’assurance du gouvernement. Elle s’appuie sur ce qu’a concentré une déclaration de J-C.Mailly (FO) au lendemain du 5 février : « personne ne remet en cause la légitimité du parlement ».


 « Les textes qui sont aujourd’hui en discussion au parlement iront au terme de leur parcours » (Raffarin)


Le 13 mars, Raffarin affirmait sur Radio-J:

«les textes qui sont aujourd’hui en discussion au parlement (…) notamment le projet Fillon, (…) iront au terme de leur parcours législatif… »

La machine à voter les lois réactionnaires qu’est la majorité UMP-UDF tourne effectivement à plein régime.

Le 15, elle votait en première lecture le texte sur les aéroports détruisant le statut notamment des Aéroports de Paris. Le 22 mars, elle votait définitivement la loi UMP Morange-Novelli sur le temps de travail. Le 29, le projet de loi d’orientation sur l’énergie, sur fond d’entrée prochaine en bourse d’EDF et de GDF.

 

Le 24 mars, c’était le tour de la loi Chirac-Fillon d’orientation sur l’enseignement. Jusqu’à la dernière minute, l’opposition des lycéens, des enseignants, rendait possible la convocation en urgence par les directions syndicales d’une puissante manifestation centrale à l’Assemblée nationale, contre l’adoption du projet de loi Fillon. Des centaines d’enseignants, mais aussi la « coordination lycéenne », s’étaient prononcés en ce sens.

 

Contre cette aspiration à un combat uni, centralisé, pour empêcher le vote de cette loi de casse de l’enseignement public, tout a été mis en œuvre par les directions syndicales, à commencer par celles de la FSU et du SNES. Journées d’actions tournantes, émiettées; refus d’exiger clairement le retrait du projet de loi ; utilisation des revendications sur les salaires pour noyer celle du retrait du projet de loi; enfin, isolement organisé de la mobilisation des lycéens, surtout le 8 mars, à Paris, lorsque la manifestation lycéenne a été tout simplement brisée par des bandes organisées, racistes, agissant sous les yeux complaisants de la police, dans une attaque sauvage annoncée depuis des jours (voir dans ce numéro). Une manifestation a été ainsi brisée, des jeunes humiliés, le droit à manifester a été remis en cause, parce que les syndicats et fédérations enseignantes, les confédérations, n’ont pas pris les mesures simples et nécessaires pour assurer la protection physique de la manifestation.

 

Constatant à la fois l’isolement des lycéens et aussi que les enseignants ne s’engageaient pas spontanément – pèse sur eux plus que sur d’autres le poids de la défaite de 2003-, les directions syndicales enseignantes ont attendu tranquillement que le projet de loi soit voté pour convoquer le 2 avril des manifestations régionales, qui, comme prévu, n’ont pas rassemblé les foules.

Qu’une partie des lycéens essayent encore, malgré la répression policière, malgré leur isolement, de combattre (mais sans plus oser manifester !) pour l’abrogation de la loi d’orientation indique combien était profonde leur volonté trahie de combattre. De même qu’il ne fait hélas guère de doute que les organisations (JCR, etc.) qui dirigent la « coordination », dans la plus pure tradition gauchiste « provocation-répression-mobilisation », font leur politique en exposant délibérément les crânes des lycéens aux matraques policières. Mais la loi Fillon a été votée. C’est une défaite qui pèse d’abord dans l’enseignement, mais sur tous les travailleurs, comme pèse d’une manière plus générale la poursuite de l’œuvre réactionnaire du gouvernement Chirac-Raffarin.

 

Pour autant, les potentialités manifestées par la journée du 10 mars ne sont pas liquidées. Mais pour qu’elles puissent déboucher, encore faut-il que soit brisé le dispositif mis en place au lendemain du 10 mars par les appareils syndicaux, le PS et le PCF, et en ce sens tirer les leçons de la défaite subie avec le vote de la loi Fillon : pour voir les revendications satisfaites, il faut rompre avec, combattre et vaincre le gouvernement Chirac-Raffarin.


Salaires : le gouvernement Chirac-Raffarin et le Medef ne cèdent sur rien.


C’est donc la question des salaires, combinée au rejet de la loi UMP d’allongement du temps de travail, qui cristallise la volonté de combattre des travailleurs. Quoi de plus normal ?

Dans la fonction publique, depuis 2000, la baisse du pouvoir d’achat serait de 5% à en croire les directions syndicales. Et encore, ces dernières se réfèrent à l’indice INSEE lequel n’est pas loin d’avoir divisé par deux l’inflation réelle. Dans le privé, les accords conclus aux termes de la loi Aubry de flexibilité comportaient tous des clauses de modération salariale, de baisse des salaires réels. Travailleurs du public et du privé payent la hausse des prix qui a suivi l’introduction de l’euro. Ils sont agressés par les conséquences financières des contre-réformes des retraites et de l’assurance-maladie. Ils subissent tous la hausse de la fiscalité locale, laquelle n’en est qu’à ses débuts avec les conséquences à venir des lois de décentralisation. Des millions de familles sont atteintes par la hausse des loyers, produit direct de la pénurie de logements sociaux organisée notamment par le plan Borloo de cohésion sociale, quand elles n’ont pas été jetées entre les griffes des banques par le surendettement. Avec plus de quatre millions de chômeurs réels, avec le franchissement du cap du million de rmistes, voués demain aux affres du Rma, exploités pour un euro de l’heure, derrière la revendication du rattrapage du pouvoir d’achat, il y a l’expression du refus de la classe ouvrière de se laisser réduire à un état généralisé de misère.

Ajoutons que ce refus se nourrit aussi du constat que les années de croissance – comme 2004 - voient les salaires réels reculer et les profits exploser (des dizaines de milliards pour les sociétés du Cac 40).

 

Mais comment obtenir ne serait-ce que le rattrapage du pouvoir d’achat perdu depuis 2000 dans tous les secteurs, comment gagner des augmentations de salaires sans affronter le gouvernement et le Medef ?

Pour qui en douterait, les réactions de ces derniers au lendemain du 10 mars ne laissent pas place au doute. Que l’on prenne l’interview au Monde daté du 15 mars du donneur d’ordre du gouvernement qu’est Seillière :

« Le pouvoir d’achat en 2004 a augmenté (…) Le smic est a un niveau trop élevé (…) Si l'entreprise a le sentiment que ses résultats sont pérennes, il faut qu'elle fasse de la hausse de salaires ; si elle n'est pas sûre de sa capacité à maintenir ces mêmes résultats, l'intéressement sera pour elle un moyen d'augmenter le pouvoir d'achat.

«On parle de 1 point supplémentaire d'augmentation générale (…) La seule façon de justifier une somme pareille, c'est d'avoir des contreparties en termes d'effectifs, de productivité, de réformes» 

C’est exactement le cap suivi par le gouvernement.

 

Pour ce qui est du privé, il a tout renvoyé à juin (après le référendum) en insistant sur « la participation », vieille antienne gaulliste dont le contenu est de lier le salaire aux profits, de substituer aux salaires des pourboires … et uniquement en cas d’accroissement de l’exploitation de la force de travail. Le 23 mars, devant le Conseil Economique et Social, Raffarin annonçait qu’il soumettait à concertation d’ici fin juin les axes d’un projet de loi sur la question. Pour les salaires : rien !

 

Quant à la fonction publique, le gouvernement a fait savoir (via la une du Monde) qu’il lâchait « du lest ». Ce « lest » ne pèsera pas lourd dans le porte-monnaie des fonctionnaires ! Après avoir opportunément baissé les prévisions d’inflation, le gouvernement a rajouté 0,8% d’augmentation aux 1% déjà prévus… mais en y procédant pour l’essentiel en novembre. Comme si les prix attendaient novembre pour s’envoler ! Cela n’a pourtant pas empêché les dirigeants syndicaux de se féliciter du maintien du pouvoir d’achat en 2005 comme « acquis de la mobilisation » ! Mais pour le gouvernement, cette petite carotte salariale n’a pour but que d’amener les organisations syndicales à discuter du prochain coup de bâton : la casse du statut de la fonction publique, la destruction des corps statutaires et des garanties qui y sont attachées, au profit de vingt-huit « cadres statutaires ».

 

Le 29 mars, puis le 5 avril, après les annonces salariales, c’est de cela que les directions syndicales ont été invitées à discuter. Pour 2006, Dutreil proposait immédiatement de faire entrer en vigueur des augmentations salariales « trinômes », à savoir combinant mesures générales, mesures liées à la croissance du PIB (manière d’introduire l’intéressement dans la fonction publique) et augmentations « au mérite ». Le 18 avril doit se tenir une réunion lors de laquelle Dutreil espère arracher la signature des directions syndicales sur un « agenda de négociations » parmi lesquelles figure l’ouverture de la négociation sur cette « réforme » statutaire.

 

Les directions des fédérations de fonctionnaires n’ont pas signé d’accord salarial avec le gouvernement. Elles ne le pouvaient pas au lendemain du 10 mars, d’autant qu’une telle signature aurait eu des répercussions bien au-delà de la seule fonction publique. Rien ne dit non plus qu’elles pourront signer le 18 avril l’accord-cadre de négociations, de Dutreil que ce dernier présente ainsi :

« Il faut voir s'il y a une vraie volonté de négocier, et la volonté de négocier, on la montre par la signature d'un accord de méthode ».

 

Tout ceci confirme qu’il ne peut y avoir satisfaction sur les salaires, défense du statut de la fonction publique, sans infliger une défaite au gouvernement, au Medef.


Après le 10 mars et avant le référendum : combattre, vaincre le gouvernement Chirac-Raffarin est possible


Après le 10 mars, la responsabilité des directions syndicales est une nouvelle fois totalement engagée. Le devenir du gouvernement est entre leurs mains, entre celles du PS et du PCF.

 

L’essentiel de la politique du gouvernement passe aujourd’hui par sa prise en charge par les directions syndicales. Qu’on en juge : la loi sur l’allongement du temps de travail ne peut s’appliquer qu’au travers d’accords de branche et d’entreprise, tout comme le volet « licenciement » du plan Borloo de « cohésion sociale ». Comme l’écrivait Le Monde le 2 février dernier : « la réforme peut être bloquée par les syndicats s’ils faisaient la grève de la négociation.»

Le chemin de la casse du statut de la fonction publique passe, Dutreil ne s’en cache pas, par une longue négociation avec les « partenaires sociaux ».

Fillon a annoncé l’ouverture d’une concertation sur les textes d’application de la « réforme » de l’éducation, notamment sur le baccalauréat : il ne tient qu’à la direction du SNES de la torpiller en refusant de s’y prêter et en appelant à boycotter les « conseils pédagogiques » instaurés dans les collèges et lycées.

Et que dire du transfert de compétences aux régions dirigées par le PS, lesquelles, sous des considérants qu’il faut leur laisser, viennent de le refuser en bloc, entravant ainsi considérablement la mise en œuvre de la loi de décentralisation ? Et la question est posée dans les départements, notamment en ce qui concerne la mise en œuvre du RMA.  Qui plus est, après avoir refusé de signer l’accord salarial dans la fonction publique, après avoir constaté la fin de non recevoir opposée aux revendications salariales, après les manifestations du 10 mars, une question ne peut pas ne pas se poser : maintenant, que vont faire les directions syndicales, et avec elles PS et PCF ?

 

A cette question il existe une réponse positive : la rupture des discussions en cours avec le gouvernement et le Medef dont il vient d’être question, la mise en avant des revendications des travailleurs à commencer par celle du rattrapage du pouvoir d’achat réellement perdu depuis 2000, le combat dans l’unité contre le gouvernement et sa majorité UMP-UDF pour les faire aboutir.

Mais les directions syndicales ont une tout autre réponse: poursuite des discussions, avec le patronat sur l’emploi des « seniors » (pour les moins payer), ou les « conventions de reclassement personnalisées » sorte de pré-PARE prévu par le plan Borloo qui sort les licenciés des PME des statistiques du chômage, accord signé immédiatement par la direction FO (la direction CGT se « réserve » de le faire ultérieurement).

Ainsi, la direction confédérale CGT a-t-elle mis en garde le gouvernement : pas question de casser le statut de la fonction publique… sans elle. Le 5 avril, face à la proposition d’accord de Dutreil pour entamer un cycle de négociations sur ce qu’il nomme « projet d’avenir pour la fonction publique », les fédérations CGT de la fonction publique ont réagi (le 5 avril) elles veulent participer :

« Ce projet d’accord laisse planer une menace : réserver aux seuls signataires la participation aux futures négociations. En réaction, la Cgt a demandé la levée de tout préalable de ce type. »

 

Et de revendiquer de pouvoir « négocier » sur une série de sujets, parmi lesquels (après le PACTE qui s’en prend au statut de la fonction publique) : « refonte de la grille, missions et emplois publics, dialogue social, validation des acquis », la liste est longue… La direction de la FSU ne tient pas un autre langage.


Le sort du gouvernement est entre les mains des directions confédérales et fédérales, du PS, du PCF


Le 10 mars, un million de travailleurs ont répondu à l’appel uni de leurs organisations, nul doute qu’ils répondraient à un appel à manifester à un million et plus à Paris, à l’Assemblée nationale, pour signifier leur volonté d’en finir avec le gouvernement et la politique qui sèment malheur et misère depuis trois ans, pour dire : dehors Chirac et sa « majorité » UMP-UDF !

C’est à l’aune d’une telle possibilité qu’il faut apprécier le dispositif mis en place par la direction confédérale CGT : elle appelle (le plus souvent toute seule) à des journées d’action dans l’énergie (semaine du 6 avril), le 12 avril à la Poste, « le 18 avril sur les salaires » selon B.Thibault au JDD du 3 avril, le 21 avril aux Finances et dans la métallurgie, le 22 à France-Telecom…

 

Mais dans ces circonstances, une journée prend un relief tout particulier : le lundi de pentecôte. Celle-ci transformée en journée de corvée par le gouvernement, est un véritable concentré de sa politique. C’est l’allongement du temps de travail, sous couvert d’aider les personnes âgées - mais la récolte prévisionnelle de cette restauration de la « corvée » est inférieure à toutes les baisses d’impôts dont ont été gratifiées ces dernières années les bourgeois et petits bourgeois de ce pays. C’est aussi la poursuite de la destruction de la sécurité sociale, dans la mesure où l’argent extorqué irait dans une nouvelle caisse totalement étrangère à la sécurité sociale. Or, « ça ne passe pas », avertissait Mailly (FO) fin mars. Là où le lundi de Pâques a été décrété « journée de solidarité », l’échec a été total.

Dans plusieurs entreprises, des accords ont été conclus pour préserver le week-end de trois jours tout en appliquant sous d’autres modalités la « corvée ».

Les dirigeants syndicaux préparent déjà une nouvelle journée d’action, « une journée de revendication sur les salaires et le temps de travail avec des arrêts de travail » (Thibault, au JDD du 3 avril). Certaines fédérations FO (comme celle de l’énergie) appellent déjà à une telle journée d’action, sur des mots d’ordres dont est soigneusement exclu l’abrogation du plan dépendance (le CCN FO doit lui se prononcer le 21 avril). C’est que Chérèque, en chien de garde du gouvernement, est venu rappeler qu’il serait illégal d’appeler à la grève le jour de corvée pour en exiger l’abrogation. On a envie de dire : « raison de plus ! ». Si les dirigeants confédéraux et des syndicats préparent une nouvelle « journée d’action », c’est qu’ils savent que les travailleurs répondraient à un appel à une véritable grève générale ce jour-là, ce qu’ils craignent comme la peste – et ce qui pourrait couler par le fond le « plan dépendance » du gouvernement.

 

Le gouvernement s’inquiète. Breton, nouveau ministre des finances, qui était payé voici peu cent cinquante mille euros par mois à France-Telecom, s’alarme de « l’égoïsme  des Français », posé dans le fauteuil chaud encore d’Hervé Gaymard, qui voulait depuis son appartement de fonction « désintoxiquer les Français de la dépense publique ».

Au même moment, « solidarité » oblige, le conseil d’administration de l’Assistance- Publique hôpitaux de Paris entérinait son « plan stratégique » de suppression de poste, tandis que la grève des urgentistes souligne à quel point le gouvernement prépare par sa politique d’autres catastrophes du type de celle de la canicule de l’été 2003.

 

Le gouvernement s’inquiète, car le 16 mai se situe quelques jours avant le référendum voulu par Chirac pour obtenir un « oui » sur la constitution européenne. Et s’il est possible que, avant le référendum, le gouvernement subisse une défaite sur le terrain de la lutte de classe du prolétariat, il est tout autant possible que Chirac, spécialiste des manœuvres qui se retournent en leur contraire, subisse le 29 mai une défaite cinglante.


Référendum : ce que veut Chirac


Hollande, Buffet et consorts présentent le référendum qui se tiendra le 29 mai et qu’ils ont réclamé comme un summum de « démocratie ». Les « citoyens», à ce qu’il paraît, pourraient s’exprimer. Mais ils n’ont pas eu besoin de forcer la main à Chirac quand bien même ils se sont portés candidats à la co-organisation du référendum, quand bien même c’est le « oui » du PS le premier décembre qui en a permis la tenue plus rapide qu’annoncé.

 

 Un tel référendum est particulièrement anti-démocratique.

Il s’agirait en effet formellement de faire ratifier un texte que l’immense majorité n’aura pas lu, et que parmi ceux qui l’auront lu, peu auront eu les moyens de comprendre. Ce nouveau traité comme les précédents est en effet rédigé dans le jargon obscur et à tiroirs des juristes chargés de coucher sur le papier les compromis passés entre les puissances contractantes. La propagande quotidienne des medias se charge de simplifier les choses : il s’agirait de savoir si l’on est « pour ou contre l’Europe ». Rien que ça. Mais c’est que tout référendum, en particulier sous la cinquième république, a une telle logique : ce qui compte n’est pas tant la question que la réponse.

Et Chirac veut un « Oui ». Voilà pourquoi il a décidé, seul du référendum, arme politique traditionnelle de tous les apprentis bonapartes qui entendent passer par-dessus la tête des partis, des classes, pour recueillir un plébiscite populaire. Voilà pourquoi il fallait combattre contre la tenue de ce référendum, d’autant que se situer des mois à l’avance sur ce terrain était participer à une diversion de couverture du gouvernement, considérer qu’il ne pouvait être vaincu sur un autre terrain que celui, déformé et limité, d’une élection.

Et pourquoi Chirac veut-il se faire plébisciter ? Pas par amour de « l’Europe » ou de la « constitution » ! Parce qu’il sait qu’un « oui » le servira politiquement, contribuera à lui donner les moyens politiques de lancer la dernière phase de son quinquennat sous les meilleures auspices, et de préparer ainsi, à son compte personnel ou non, les échéances électorales de 2007. Il n’y a aucun hasard à ce que certaines contre-réformes d’importance ait été situées après la date du 29 mai, notamment le projet de loi d’orientation sur la recherche, ou la « réforme » du bac découlant des termes de la loi d’orientation sur l’école, sans oublier la contre-réforme du code du travail. Non pas bien entendu qu’elles dépendent de l’adoption ou non de la constitution européenne, mais que le « oui » au référendum assurerait à Chirac et son gouvernement les conditions optimales pour les faire passer.

 

Que tel soit l’objectif premier du référendum ne fait aucun doute pour ceux qui se sentent directement concernés. Sarkozy par exemple. A l’occasion d’une réunion de Pasqua pour le « non », Libération rapportait:

« Charles Pasqua y croit. Convaincu que le non a des chances de l'emporter, le sénateur des Hauts-de-Seine reconnaît volontiers que son ami Nicolas Sarkozy ne lui complique pas trop la tâche : «Dans le camp du oui, il fait le service minimum.»

La preuve : plusieurs élus du parti majoritaire ont rejoint le leader souverainiste, sans que le président de l'UMP ne s'en émeuve. «Sarkozy m'a dit que je pouvais faire campagne pour le non, qu'il n'y avait pas de problème», confie Jacques Myard, député UMP des Yvelines, qui participait samedi au raout organisé par le Rassemblement pour la France (RPF) au Sénat.

 

Certes, à la différence des couches les plus fragiles de la bourgeoisie française qui se voient sans cesse étranglées par la concurrence impitoyable dont l’Union Européenne est le cadre et l’instrument, et que Pasqua, De Villiers ou le Pen représentent dans ce référendum, Sarkozy est favorable à la « constitution européenne ». Mais, d’autant qu’il sait que celle-ci peut ne jamais voir le jour, il s’accommoderait sans larme verser d’un échec de Chirac.

C’est sans doute à lui qu’on doit la démission du ministre chiraquien Gaymard, pour des pêchés somme toute d’une banalité effrayante, expression des mœurs corrompues qui se sont étalées au grand jour des années durant à la mairie de Paris et à l’Elysée... mais aussi au ministère des Finances sous Sarkozy sans qu’il en soit autrement inquiété que par des articles du Canard Enchaîné.


Le PS en crise, la direction confédérale CGT battue


Par contre, Hollande et les cercles dirigeants du Parti Socialiste, eux, ont choisi de mener campane à fond pour le « Oui », à tel point que c’est Hollande qui a soufflé la meilleur date (selon lui) à Chirac, à tel point qu’il n’est pas exagéré de qualifier Hollande de directeur de campagne de Chirac. Ce dernier, lançant le référendum, savait aussi qu’il diviserait le PS. Pari gagné. Le PS est en crise. Le référendum interne fut certes un succès net pour Hollande. Mais depuis décembre, la situation politique a changé, et les travailleurs qui cherchent à combattre et vaincre le gouvernement ont désormais le vote « non » en ligne de mire. C’est sur cette hostilité des masses au gouvernement qu’ont misé ceux qui, au PS, se sont accrochés après leur défaite au référendum interne, comme les anciens partenaires du courant Nouveau Monde Mélenchon et Emmanuelli, et plus discret, attendant son heure, Fabius.

 

Fait significatif, les dissidents ne sont pas sanctionnés. Bien sûr, au lendemain de cette arme à un coup qu’est le référendum, il risque d’y avoir des morts politiques rue de Solferino. L’activité débordante d’un Mélenchon provient de ce qu’il a mis en jeu – en tant qu’éclaireur de Fabius – son avenir politique sur le « non ». Mais à l’étape actuelle, alors que le « non » est majoritaire dans les sondages et sans doute d’ailleurs dans le pays, la direction du PS s’est contentée d’une « admonestation ». Les 56 députés PS qui n’ont pas voté la révision constitutionnelle ne seront pas d’avantage inquiétés. Il n’empêche, Hollande mène campagne, bat les estrades pour le « Oui ». Et comme il sait que Chirac est la première cible du « Non », il met en garde (le 31 mars à Marseille) travailleurs et jeunes:

« vous voulez sanctionner et vous avez raison, mais ne prenez pas l'Europe comme victime expiatoire. Le rendez-vous est pour 2007, d'autant que Jacques Chirac, je vous le dis, restera quoiqu'il arrive jusqu'à la fin. »

 

Ce que dit Hollande, ce n’est pas que Chirac restera au lendemain du référendum si le « non » l’emportait. C’est que, comme ce fut déjà le cas au lendemain des régionales, le PS ne mettra pas en cause Chirac. Autre chose est de savoir s’il en aura les moyens politiques. Qu’on avise en effet ce qui est arrivé à Bernard Thibault.

Ce dernier a tenté de faire prendre une position abstentionniste à la CGT, en fait une nouvelle position de soutien à Chirac. Il a été battu à plate couture lors du CCN du 3 février sur la question. Non pas d’ailleurs que la CGT ait pris position formellement pour le « non », ce qui n’est pas sans importance, même si Le Duigou en sortant de cette réunion affirmait que la position du CCN « revenait à un appel à voter non ». Ni que ce texte se situe de quelque manière que ce soit en rupture avec l’Union Européenne (il salue même nombre d’aspects de la constitution européenne sur lesquels nous reviendrons). Mais Thibault et la direction confédérale ont été battus : 81 pour le texte appelant à « rejeter » la constitution européenne (conclusion sur laquelle s’alignera le congrès du SNES) sans donner de consigne de vote, 18 contre.

Pourquoi ce camouflet ? C’est bien sûr un nouvel épisode de l’affrontement entre appareil central et les barons des fédérations, qui résistent aux volontés de la confédération de s’accaparer les cotisations et de dissoudre les fédérations. Lors du CCN Thibault s’en indignera : « Continuons dans cet état d’esprit à faire la CGT chacun dans son coin et il ne faudra pas s’étonner que rien ne puisse changer en matière de système de cotisation, de mode de fonctionnement et d’organisation de nos structures ».

Mais il faut noter que, quelques jours avant ce CCN, Thibault a publié un livre d’entretiens, Ma voie ouvrière. Il y affirme entre autres qu’il « ne croit pas » que le terme de lutte des classes soit toujours pertinent (p.107), souligne qu’avec l’appel confédéral à voter Chirac en 2002, ce dernier « aurait pu entrer dans l’histoire » en formant un gouvernement d’union nationale, « occasion manquée » (p.112). Dans ces circonstances, le CCN de la CGT n’a pas constitué un coup de barre à gauche, mais a d’abord signifié que l’appareil considérait que suivre Thibault si vite et si loin ouvrirait une crise profonde – laquelle est pourtant toujours à l’ordre du jour, une crise de décomposition de la CGT, ce dont augure aussi cette défaite sans précédent de la direction confédérale. Appréciation d’un connaisseur :

«La Cgt a subi un choc dans sa marche vers la modernité. (Celle-ci semble avoir subi) un coup d’arrêt et un rappel à l’ordre. (Le Medef reste) très vigilant quand à son avenir » (Seillière, 15 février)

 

Cela dit, en lien avec la modification de la situation politique, la prise de position de la direction de la CGT contre le traité n’en a pas moins eu une grande résonance – au point que Thibault s’efforce de l’enterrer, tout en ourdissant sa vengeance pour le prochain congrès.

C’est en relation avec cette position que le vote « non », compris d’abord comme un « non à Chirac » a grandi dans la classe ouvrière. Et c’est pour protéger Chirac, on l’a vu, que se disposent toutes les organisations du mouvement ouvrier. C’est le cas de la direction FO, qui, tout en se démarquant du traité, a refusé de donner ni consigne ni appréciation nette, de celle du PCF qui est entrée en lice contre la « constitution Giscard » (pour surtout ne pas parler de Chirac). Et c’est au premier chef le cas du PS.


Hollande argumenteur au compte de Chirac


C’est en effet sur le PS que reposent les espoirs réels des partisans du « oui » au référendum, dans la mesure où lui seul est en mesure de détourner une grande partie de l’électorat populaire du vote « non ». Hollande en tête, le PS présente la « constitution européenne » comme une avancée. Ecoutons Hollande la défendre (à Marseille):

 « L'orateur entre dans le détail des objectifs du traité, chapitre par chapitre. Dans le premier, figurent "la paix, le développement durable, l'économie sociale de marché, la lutte contre les discriminations", tout ce pour quoi, selon M. Hollande, les socialistes luttent depuis des années. Dans le chapitre 2, sont inscrits "les droits sociaux, l'égalité homme-femme, les droits individuels, l'interdiction de la peine de mort". Quant au chapitre 3, objet de tous les rejets des non de gauche : "C'est le recueil de tous les traités existants depuis le traité de Rome", avance-t-il. Vient alors un argument fatal : "L'Europe est un bateau, la Constitution tombe à l'eau, qu'est-ce qu'il reste ? La partie 3, c'est-à-dire les traités existants." Le public, jusqu'ici un peu froid, boit du petit lait : il remplit sa besace d'arguments qui jusqu'alors lui manquaient. » (Le Monde du 2 avril)

Tout cela est un tissu de mensonges. Suivons un instant Hollande. A l’en croire, si le traité était rejeté, sa partie III ne le serait pas, car elle ne serait que la reprise des traités antérieurs (que le PS a soutenu). En l’occurrence, c’est faux, puisque la dite partie III a été modifiée entre sa rédaction par la « convention » de Giscard et le texte adopté par Schröder, Chirac, Blair, et compagnie. Mais qu’en est-il des deux premières parties du traité ?

 

La première vise à organiser le fonctionnement de l’UE à 25. C’est édifiant. Dans le cadre des pouvoirs qui sont délégués par les gouvernements de l’UE à celle-ci, la commission européenne dispose de prérogatives exorbitantes. Elle est réputée « indépendante » (I-26), comme la banque centrale – autrement dit, elle ne prend ses ordres que du capital financier. Elle a le monopole des initiatives législatives : aucun texte ne peut être adopté s’il n’émane de cette commission. Mieux encore, si certains de ces textes (lois et lois-cadres) fixent des objectifs généraux, d’autres, bien plus précis (les règlements et décisions), peuvent être « directement applicables » dans la législation des pays concernés, sans même que le parlement européen croupion n’ait à les voter (article I-33). Les défenseurs de la « souveraineté des nations », de Pasqua au Parti des Travailleurs peuvent néanmoins dormir sur leurs deux oreilles : il faut que le conseil européen les adopte, et souvent à l’unanimité.

 

Mais cela signifie que dès lors que les gouvernements nationaux se sont mis d’accord, ils peuvent transposer directement dans le droit national ce que bon leur semble ou presque, de manière autocratique. Ce serait la généralisation de la procédure express des « ordonnances » qui avait par exemple permis en France de transposer en une nuit de 2000 à l’Assemblée les directives rétablissant le travail de nuit des femmes ou alignant le code de la mutualité sur celui des assurances privées. La partie I instaure aussi des coopérations renforcées (dont la première est l’euro, cf. CPS nouvelle série n°16) pour éviter les blocages inhérents du nombre nouveau de participants. Elle constitutionnalise le « dialogue social » sous la forme d’un sommet tripartite pour l’emploi (article I-48), rend incontournables les Eglises (I-52) (le mot « laïcité » n’existe pas dans ce texte), renforce la coopération policière et militaire (dans le cadre de l’OTAN).

 

Quant à la partie II, la « charte des droits fondamentaux » louée également par la résolution du CCN de la CGT du 3 février, en fait « d’avancées sociales », ce sont les avancées de l’Eglise catholique qui la marquent. Non seulement la « constitution » saluait dans son titre I les apports de la religion, mais cette partie II reconnaît le « droit à la vie » (II-62), mais pas à l’avortement qui est interdit dans plusieurs pays de l’UE ; le droit au mariage, mais pas au divorce (II-69) ; la liberté de faire de la propagande religieuse (II-70). Quid des avancées sociales ? Pas le droit au travail, mais le droit « de travailler » (II-75), pas le droit à une protection sociale mais le droit « d’accès à la sécurité sociale » (II-94), le droit de grève est reconnu … aux patrons, c’est-à-dire l’instauration partout du droit au lock-out (II-88), toute expropriation est interdite (II-77), on en passe.

 

Venons-en à la partie III. Répétons-le : s’il ne s’agissait que de la « reprise des traités existants », non seulement il n’y aurait pas trace de modifications, mais encore il n’eût pas été besoin de les inclure dans ce traité. Or, toute la partie 3 vise à interdire dans la pratique qu’il soit fait entorse au principe de « concurrence libre et non faussée » qui régit l’Union Européenne depuis le traité fondateur de Rome. Exemple de modification : l’article III-167 interdit toute aide publique menaçant de « fausser la concurrence » (sic !). Dans sa version initiale, il excluait sans limite de son champ d’application les aides accordées à la partie est de l’Allemagne. La version finale précise que cette exonération sera revue sous cinq ans. Ce qui traduit, nous l’avons souligné dans nos numéros précédents, l’écart entre les ambitions initiales de l’Allemagne et de la France, initiatrices de ce projet, et le résultat auquel elles sont parvenues. Autre innovation : le projet de traité prévoit la possibilité de déléguer aux « partenaires sociaux » la mise ne œuvre des décisions de la commission.

 

Inutile de se perdre dans les arcanes du texte. La France entière a été informée de l’existence d’un projet de directive Bolkenstein, qui se propose d’ouvrir totalement les « services » à la concurrence en instaurant le principe du « pays d’origine » (une prestation fournie dans un autre pays l’est selon le droit du travail du pays d’origine). Ce levier extraordinaire pour laminer les salaires et contourner les législations existantes a été, non pas retiré, mais remisé jusqu’au mois de juin, après le référendum. Mais de plus, que dit la constitution ?

« Les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de l'Union sont interdites à l'égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation ».(article III-144)

 

C’est clair : si la constitution passe, la directive Bolkenstein passe. Ce n’est pas tout. Ignorant avec superbe le terme de « service public », la « constitution » prévoit que les entreprises publiques doivent être soumises à la concurrence – et que d’ailleurs les « Services Economiques d’Intérêt Général » peuvent aussi bien être assurés par des entreprises privées. Ce n’est certes pas une nouveauté, en témoignent l’ouverture en cours à la concurrence des services postaux, du rail, de l’énergie, etc. Mais c’est un levier juridique réel pour saper l’existence légale de tout secteur public, car (article III-166):

« Les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général ou présentant le caractère d'un monopole fiscal sont soumises aux dispositions de la Constitution, notamment aux règles de concurrence»

Voilà ce que défend, au compte de Chirac, Hollande !


Contre l’Union Européenne, pour les Etats-Unis Socialistes d’Europe


La « constitution européenne » est un nouvel instrument réactionnaire mis entre les mains des gouvernements bourgeois capitalistes d’Europe. Mais elle reflète aussi fidèlement ce qu’est l’Union Européenne. Les divisions provoquées en Europe par la guerre contre l’Irak après mille autres épisodes comme la dislocation de la Yougoslavie, sont venues confirmer qu’il n’y avait pas « d’union » européenne, mais un cadre commun aux différentes bourgeoisies d’Europe, leur servant d’une part à régler les conditions de la concurrence qu’elles se livrent et d’autre part à s’appuyer les unes sur les autres pour donner la plus grande force aux politiques anti-ouvrières menées dans chaque pays. Comment pourrait-il en être autrement ? Dans une situation économique marquée par le pourrissement en profondeur de l’économie, par une concurrence exacerbée et se déroulant au rythme infernal des places financières, l’unification de l’Europe par la bourgeoisie ne peut que signifier la domination totale d’une bourgeoisie en Europe sur les autres, qui capituleraient devant elle. Mais même la puissante bourgeoisie allemande n’est pas, tant s’en faut dans une telle position, d’autant que son influence en Europe se heurte à celle de l’impérialisme américain.

 

Pour unifier l’Europe, il est nécessaire que le prolétariat porte au pouvoir des gouvernements qui lui soient fidèles, qui engagent une politique permettant de satisfaire les besoins les plus urgents des masses, expropriant le capital, ce qui, pour le moins, exige entre autres la rupture immédiate avec l’Union Européenne, ses traités, sa monnaie. C’est à partir de la prise du pouvoir dans un pays donné d’Europe qu’une impulsion réelle à l’unification de l’Europe pourrait avoir lieu, permettant de liquider les frontières nationales, d’organiser la production en fonction des besoins des masses dans le cadre des Etats-Unis Socialistes d’Europe.

 

C’est à l’opposé de cette orientation que se situent les tenants du « non de gauche », qui organisent sous l’égide du PCF un meeting le 14 avril à Paris « pour la victoire du non ».Y participeront Mélenchon (PS), Besancenot (LCR), Sarre (du bourgeois MDC), Zucarelli (radical « de gauche »), Le Reste (CGT) et José Bové… Tous ensemble ils réclament « une autre Europe », voire une « renégociation » (Buffet pour le PCF qui fixe la ligne et dirige). L’appel au meeting demande « l’harmonisation des législations sociales et démocratiques par le haut », « une transformation progressiste de l’Union Européenne ». Autant demander à une chambre de commerce et d’industrie de se transformer en syndicat lutte de classe. Que signifie « harmoniser des législations par le haut» quand les dites législations sont littéralement mises en pièces dans tous les pays d’Europe ? Que signifie une « transformation progressiste de l’Union Européenne » qui pourrait être menée, pour ne citer qu’eux, par Chirac et Berlusconi.

 

Et que dit l’affiche d’appel au meeting ? « Non à la constitution Giscard » ! Tout se tient : soutien au syndicat des capitalismes nationaux qu’est l’Union Européenne, et refus de combattre contre Chirac. C’est avec ce genre de campagne (auquel on se doit d’ajouter le discours ouvertement nationaliste du Parti des travailleurs) que l’on peut le pousser les travailleurs … à s’abstenir.

L’intérêt des travailleurs est de voter « non » lors du référendum. Mais le camp des travailleurs n’est pas le « camp du non », drôle de « camp » où se retrouveraient pêle-mêle nostalgiques de Vichy à la Le Pen, réactionnaires chouans à la De Villiers, dissidents UMP ou chevènementistes souverainistes, notables radicaux bastiais, et la cohorte habituelle des bureaucrates syndicaux et politiques jusqu’aux membres du PT qui n’ont mené aucun combat ouvert dans Force Ouvrière, où ils exercent d’importantes responsabilités, pour que cette  confédération appelle à voter « non ».

 

Quant au Cercle pour la construction du parti ouvrier révolutionnaire, parce qu’il est pour l’unification de l’Europe, les Etats-Unis Socialistes d’Europe, il appelle à voter « non à Chirac, non à la constitution européenne ».


Combattre pour vaincre et chasser le gouvernement Chirac-Raffarin


Si le 29 mai le « non » l’emporte, il n’y aura qu’une seule explication : c’est que, contre la position de l’ensemble des directions des organisations traditionnelles du mouvement ouvrier, militants et sympathisants du PS, du PCF, syndiqués à la GCT, à FO, à la FSU, à l’UNEF, seront allés utiliser à défaut d’autre chose le bulletin « Non » pour dire : « Chirac, dix ans, ça suffit ».

Au-delà de la crise de l’UE qu’un tel vote déclencherait, il poserait immédiatement la question de chasser Chirac.

 

Il reste que, durant les six semaines qui nous séparent du référendum au moment où ces lignes sont écrites, il ne s’agit pas que ce référendum serve de diversion. Répétons-le, Chirac et son gouvernement peuvent subir une défaite politique d’ici là sur le terrain propre de la classe ouvrière. Y contribuer, c’est combattre pour le front unique des organisations du mouvement ouvrier contre le gouvernement, pour la rupture avec le gouvernement, sa politique, pour le vaincre et le chasser.

Dans un tel combat se réuniraient les conditions pour porter immédiatement au pouvoir un autre gouvernement, un gouvernement issu de ce front, ne comprenant pas de représentants politiques de la bourgeoisie, et dont les masses exigeraient qu’il mène une politique satisfaisant leurs revendications les plus pressantes.

 

Une telle politique existe. Contre la vie chère, c’est le rattrapage immédiat du pouvoir d’achat perdu depuis 2000, sa garantie ultérieure par l’échelle mobile des prix et des salaires ; mais encore le gel immédiat des loyers, l’interdiction des expulsions, l’annulation des dettes qui écrasent les familles de travailleurs. Pour assurer le droit au soin, c’est l’abrogation des contre-réformes de la Sécurité sociale, le rétablissement de la gratuité des soins, l’arrêt immédiat des exonérations de charges au profit des patrons, l’embauche massive de personnel dans les hôpitaux, mais aussi dans l’enseignement et dans tous les secteurs publics où le besoin s’en fait particulièrement sentir. Pour assurer le droit au travail, l’interdiction des licenciements, du travail précaire, la diminution massive du temps de travail tout en liquidant la flexibilité introduite par les lois Aubry. Pour orienter la production en fonction des besoins des masses, mise sur pied d’un plan de production, de construction de logements, défini et réalisé sous le contrôle des organisations ouvrières.

 

Une telle politique se heurte à chaque pas aux intérêts du capital, actionnaires, rentiers, dirigeants des gros groupes capitalistes. Impossible de la briser sans leur ôter leur pouvoir de nuisance, sans exproprier sans indemnité ni rachat les gros groupes capitalistes du bâtiment à la santé, sans dénoncer comme nulle et non avenue la dette publique, sans démanteler l’appareil d’Etat et l’arsenal législatif qui protège les droits du capital.

 

Pour mener une telle politique révolutionnaire, pour le socialisme, un nouveau parti est nécessaire, un parti ouvrier révolutionnaire. C’est à sa construction que veut contribuer le Cercle.


Le 8 avril 2005

 

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