Editorial de Combattre
pour le socialisme n°17 (nouvelle série) – 1er octobre 2004
Comment stopper l’offensive généralisée du
gouvernement Chirac-Raffarin
«Maintenant nous
avons trois ans pour confirmer l'essai» (Chirac)
Juin 2004. Seillière, certain que
les textes du gouvernement sur l’assurance-maladie et EDF-GDF vont être votés,
lance, au nom du Medef, un appel vibrant au gouvernement : il faut y aller
«vite et fort»
«Le Conseil exécutif du MEDEF
constate que «nous entrons, pour trois ans, dans une deuxième partie du
quinquennat sans aucune consultation électorale». Le gouvernement est donc
libre d’agir et en mesure de conduire une action. Les entrepreneurs demandent
donc que l’on «mette en œuvre l’ensemble des réformes à faire» et que l’on
s’inscrive «dans le sens de la modernité». «Allons-y vite ! Allons y fort !»
14 juillet 2004. Dans des termes presque identiques (et soigneusement
pesés), Chirac, parlant en chef de gouvernement (mentionnant à peine
l’existence d’un Premier ministre), reprend : «Maintenant nous avons
effectivement trois ans pour confirmer l'essai». «L’essai» ? :
«Pendant deux ans, nous avons
remis la France sur les rails en réhabilitant l'Etat, la sécurité, la défense,
la responsabilité dans le monde, en engageant les réformes indispensables et
qui avaient été trop longtemps différées: les
retraites, aujourd'hui, l'assurance maladie»
Et de fixer le cap de la nouvelle
phase d’offensive qui s’engage en cette rentrée.
«restaurer
la valeur du travail, de la responsabilité, du mérite dans notre société et
renforcer la cohésion sociale, (...)donner la priorité à ce qui conditionnera
notre avenir - l'éducation, la formation, l'innovation, la recherche -, (...)
et faire le pari de l'Europe»
«Restaurer la valeur du
travail, du mérite» ? Signe que le gouvernement relaierait l’offensive
patronale pour rallonger sans bourse délier la durée du travail, comme chez
Bosch, tout en disant défendre le «droit acquis des 35 heures» (Chirac),
«35 heures» qui, on le sait, signifient pour la grande majorité, du fait des
lois Aubry : flexibilité maximum, annualisation du temps de travail, gel
des salaires. De fait, le gouvernement (G.Larcher)
concocte, appuyé sur des négociations patronat/syndicats, une loi sur cette
question ainsi que sur celles du code du travail et des restructurations.
«Renforcer la cohésion sociale» ?
Le plan de «cohésion sociale» préparé sous la houlette de Borloo est un plan de
coercition contre les chômeurs («on ne peut pas accepter qu'un chômeur
refuse éternellement un emploi» - Chirac) et de généralisation par
centaines de milliers de sous-contrats type RMA, de
l’alternance sous contrôle patronal pour la jeunesse.
«Donner la priorité à
l’éducation» ? C’est en réalité un projet de loi de démantèlement de
l’enseignement public et de destruction du statut des enseignants qui est en
préparation : le projet de loi d’orientation.
Le cadre d’une interview n’aurait pu suffire pour donner la mesure de l’offensive gouvernementale. On doit rajouter la volonté d’aller vers l’interdiction du droit de grève dans les transports publics, la casse de la Poste, un projet de budget en forme de gigantesque plan social (dix mille suppressions de postes) dans la fonction publique, …
C’est comme pour situer à l’avance la conclusion de cette nouvelle phase que Chirac a annoncé, pour le second semestre 2005, un référendum pour ratifier la «constitution» européenne, espérant s’offrir un plébiscite, sorte de cerise sur le gâteau, et aussi de mise en train pour les échéances électorales prévues pour 2007.
Au simple énoncé du contenu de cette nouvelle phase d’agression contre les travailleurs, les jeunes, une seule conclusion s’impose : tout doit être fait pour enrayer l’offensive de Chirac et son gouvernement, du Medef.
Mais comment en trouver les moyens sans revenir sur les raisons qui ont permis, selon les termes de Chirac, au gouvernement de marquer un «essai», à savoir la réalisation des contre-réformes de l’assurance-maladie et du statut d’EDF-GDF, après celle des retraites ?
«L’essai» : casse de l’assurance-maladie …
Paris, 29 juin. Alors que
l’Assemblée UMP-UDF s’apprête à voter la mise à mort
du statut d’EDF-GDF, deux rassemblements, départementaux, vers l’Assemblée
nationale, sont organisés, à deux heures différentes, par les UD CGT (à midi)
et FO (en fin d’après-midi). C’est sur cette miniature de division et de
dislocation que s’est achevé le processus ouvert par l’adoption, en janvier, du
«diagnostic partagé» (rapport Fragonard), par les directions syndicales
unanimes, ainsi que le PS (et le PCF). Ce «diagnostic» ouvrait en grand la voie
au gouvernement Chirac-Raffarin – d’autant que le congrès confédéral FO de
février ne le dénoncera pas – vers la mise en place du plan Douste-Blazy. Tout
du long, alors que le gouvernement avait déjà l’avantage de la brèche béante
ouverte avec la «réforme» des retraites de 2003, les directions CGT, FO et FSU
ont accompagné la mise en place de ce plan au nom de la nécessité d’une «réforme».
A ceux-là, on doit ajouter le
Parti Socialiste, dont la responsabilité était importante, et plus encore après
sa victoire électorale de mars 2004 qui lui donnait les moyens de remettre en
cause l’existence du gouvernement et de sa « majorité », et ainsi de
mettre à bas le plan de destruction de l’assurance-maladie. Mais Hollande,
glaçant, avertissait alors « la rue ne doit pas prendre la place des
urnes ». Du «diagnostic partagé» jusque lors des débats
parlementaires, le PS a martelé le même clou de la «réforme nécessaire», au
point de conclure les débats par cette tirade de François Hollande :
«Votre réforme n'en est pas une, (sic !)
pour cela vous signez l'échec de votre
plan. Ce n'est pas un plan de redressement mais simplement de renflouement.».
Le plan Douste-Blazy ne serait pas une véritable «réforme»? Cette argutie a trouvé son plein développement dans la résolution du CCN de Force Ouvrière des 16 et 17 septembre (adoptée unanimement moins une abstention, donc par les militants du PT qui sont nombreux dans cette instance), en ces termes :
«Le CCN rappelle que, lors des
discussions préalables à la loi «portant réforme de l'assurance maladie», ce
sont les fondements même de la Sécurité sociale qui étaient mis en cause par
l'évocation explicite «de mesures de redressement difficile» et l'intention
affichée de modifications en profondeur concernant tant le pilotage, le
financement que la maîtrise des dépenses (c’est ce qui a été voté ! – Ndlr).
Le CCN considère que la
détermination de FO et sa légitimité sur les questions de Sécurité sociale lui
ont permis cependant de peser dans le cadre des discussions tant vis-à-vis du
gouvernement que du patronat et de freiner pour l'heure la privatisation..»
Ainsi, le gouvernement aurait été
sensible à la détermination de FO ? Si «détermination» il y a, c’est
bien à masquer le caractère réel de ce plan. Or, en quoi consiste-t-il ? La
mise en place des nouvelles structures (UNCAM dirigée par le gouvernement, «comité
d’alerte») a pour objectif de faire appliquer strictement les objectifs de
dépenses fixées, depuis le plan Juppé de 1996, par l’Etat – et de les faire
assumer notamment par les organisations syndicales. C’est ce qu’annoncent
le forfait d’un euro sur la visite médicale, les premières vagues de
déremboursement, mais aussi la généralisation à l’hôpital de la tarification à
l’activité.
C’est en vue de ces restrictions
incessantes à l’accès aux soins que les mutuelles sont associées es qualités à
la gestion de l’assurance-maladie pour profiter de l’espace immense qui leur
sera ouvert. Un amendement adopté durant la discussion offre même un crédit
d’impôt pour la souscription d’une mutuelle (rappelons
que c’était à cause de difficultés financières alléguées que ce plan fut lancé)
! Or, les mutuelles, surtout depuis la modification du code de la mutualité par
le gouvernement de Jospin, sont des assurances privées, représentent le capital
financier.
C’est pourquoi il n’est pas étonnant que le 22 septembre, Douste-Blazy ait annoncé à la commission des comptes de la Sécurité sociale un objectif des dépenses d’assurance-maladie inférieur à la croissance des années précédente – ce que la CGT commentait en ces termes :
«Il faut rappeler qu’un projet
de décret en cours de discussion relatif au comité d’alerte institué par la
réforme de l’assurance maladie prévoit que dès qu’il apparaît que l’ONDAM risque d’être dépassé de 0,75%, l’assurance-maladie
doit «proposer des mesures de redressement». Ces mesures de redressement
risquent fort de consister en une baisse des dépenses remboursées, au moyen par
exemple d’une augmentation du forfait de 1 euro, qui devra à l’avenir être fixé
par l’assurance-maladie. Elles peuvent aussi concerner le fonctionnement des hôpitaux.
On est donc bien dans une logique de maîtrise comptable des dépenses.»
Avec le plan Douste-Blazy (et le plan «hôpital 2007»), le plan Juppé, que Blondel pour FO caractérisait alors de «hold-up du siècle», est poussé jusqu’au bout. C’est désormais l’Etat qui fera appliquer aux organisations syndicales un objectif budgétaire, fixé par la poursuite du pillage de la source essentielle de financement de la Sécurité sociale, à savoir le salaire différé des travailleurs.
On ne remboursera plus en fonction des besoins, mais en fonction des moyens que la bourgeoisie décidera d’allouer à la santé, et qu’ensuite, le dieu du capital reconnaisse les siens, ceux qui auront payé une bonne complémentaire. Masquer ce basculement, comme le font Hollande ou Mailly, ne sert qu’à justifier a posteriori la participation de bout en bout des directions confédérales, du PS et du PCF, à cette infamie – ainsi que signifier leur volonté de s’associer à l’application à venir de cette «réforme».
… et du statut d’EDF-GDF
Le 29 juin, donc, la majorité
parlementaire UMP-UDF entérinait le changement de
statut d’EDF-GDF, ouvrant la voie à sa privatisation et procédant à la
liquidation du régime des pensions des agents existant jusque lors. C’est un
acte politique dont l’ampleur ne doit pas être sous-estimée. EDF-GDF est l’un
des bastions ouvriers dont la constitution est intimement liée au flux
révolutionnaire de la fin de la seconde guerre mondiale. De plus, c’est le «non»
des agents d’EDF au référendum interne sur leur régime de retraites, contre la
direction et contre l’appareil CGT, qui avait ouvert la première brèche dans
laquelle s’était engagé le puissant mouvement de mai-juin
2003 contre la loi Fillon sur les retraites.
En juin denier, appréciant la
nocivité de la politique des dirigeants syndicaux des fédérations d’EDF,
combinant journées d’actions, actions éparpillées et négociation en continu
avec le gouvernement, nous écrivions «sur une telle ligne, les jeux seraient
faits». Nous y opposions, en s’appuyant sur la volonté affichée par des
dizaines de milliers d’agents de combattre en défense de leur statut, le combat
pour l’appel uni des fédérations (et d’abord la CGT) à la grève générale, à la
manifestation à l’Assemblée nationale pour arracher le retrait de ce projet de
loi.
Tout au contraire, le 25 juin,
allant jusqu’au bout du «syndicalisme de proposition» cher à Thibault, et en
présence de ce dernier, venu s’assurer de la solidité de l’appareil, la
direction CGT renonçait même au mot d’ordre de «retrait du projet», position
saluée aussitôt par Les Echo («un tournant»). Cela ne déclenchait
à l’intérieur de la fédération qu’un simple communiqué de protestation émanant
de l’opposition interne apparue lors du congrès de Biarritz, lequel se
terminait par une exhortation aux agents à «poursuivre leur actions»,
autrement dit par l’opposition obstinée à l’appel à la grève générale.
Il faut ajouter que quelques jours auparavant, le congrès de la fédération FO de l’énergie adoptait à l’unanimité une résolution qui, si elle se prononçait pour le retrait du projet de loi, se concluait par un appel… à une énième journée d’action (celle du 15 juin) et à des «grèves reconductibles» - tout sauf le combat pour la grève générale.
Les agents d’EDF-GDF ont été
victimes de cette politique des appareils. Bien qu’ayant témoigné de leur
volonté de combattre, il est à noter qu’au cours de leur combat, l’exigence que
les directions syndicales appellent à la grève générale a été plus que
marginale – contrairement à ce qui s’était produit en mai-juin
2003, c’est bien évidemment une conséquence différée de la lourde défaite subie
alors. On peut ainsi relever l’appel des travailleurs de la centrale de Golfech
à leurs fédérations adopté le 24 juin. Estimant que « le niveau des
appels ne correspond pas à la hauteur de l'attaque portée par le gouvernement
contre EDF et GDF, ni à la mobilisation nécessaire pour y faire échec.», il
condamne les «temps forts épisodiques», demandant «l’arrêt de toute
négociation» mais se bornant en fin de compte à la demande suivante,
désabusée : «donner au gouvernement et aux directions d'EDF des signaux
de plus en plus fort de notre détermination».
Une nouvelle vague d’attaques contre la classe
ouvrière se lève
Avec le vote des «réformes» de
l’assurance-maladie, du statut d’EDF-GDF, auxquelles il fait rajouter le vote
définitif et expédié à coup de 49-ter de la loi de décentralisation, le
gouvernement Chirac-Raffarin a réalisé les objectifs qu’il s’était fixé, dans
les délais prévus. Ce à quoi on pourrait ajouter que, malgré la faiblesse
persistante de la croissance économique, les grands groupes capitalistes
français engrangent des profits record (la hausse des profits des groupes du
CAC 40 devrait être de 22% cette année, la palme revenant à Axa, + 621% sur les
six premiers mois de l’année).
En mars dernier, lors des
régionales, l’UMP subissait une débâcle électorale.
La victoire électorale du PS, du PCF, mettait à l’immédiat ordre du jour la
question de chasser le gouvernement et sa « majorité » pour en finir
avec sa politique ultra-réactionnaire. Il a fait
passer néanmoins l’ensemble de ses «réformes», grâce à la protection rapprochée
qui lui a offerte notamment le PS et l’ensemble des appareils attachés à la
préservation de l’ordre établi, du calendrier électoral, et du «dialogue social».
La déroute électorale de l’UMP s’est du coup retournée en quelque sorte en son
contraire, puisqu’elle ne fait que renforcer le sentiment d’impuissance de la
classe ouvrière face à un déluge d’agressions – impuissance qui se résume en
fait à la capacité des appareils à poursuivre leur politique de soutien au
gouvernement.
En conséquence, les élections
européennes ont été ravalées au rang d’épiphénomène politique – les résultats
n’étant qu’un écho lointain de ceux de mars, mais sans les conséquences.
Ce serait faire grand cas des
rivalités exacerbées qui s’expriment au sein de l’UMP
que de les confondre avec une crise profonde de ce parti, aussi secoué ait-il certes
été par ses échecs électoraux, et miné par son incapacité à réaliser l’objectif
du parti parlementaire unique de la bourgeoisie. Juppé sur la touche, Sarkozy
va s’emparer de sa direction et s’y préparer aux échéances électorales de 2007.
Le seul parti bourgeois menacé d’une crise imminente, c’est plutôt le Front
National, pour les mêmes raisons qu’après les régionales de 1998, à savoir son
incapacité à accéder au pouvoir, ne serait-ce que dans les régions, sans subir
une profonde mutation, qu’aujourd’hui le maire d’Orange, comme Mégret avant
lui, se pique de pouvoir incarner. Quant au gouvernement, quelle que soit
l’ampleur du remaniement annoncé pour novembre – lors duquel Chirac pourrait
changer de premier ministre, pourquoi pas ? – il suffit de prendre en
compte le programme des mois qui viennent, programme gargantuesque, pour mesurer
que, s’il n’est pas bien sûr populaire, il n’en est nullement affaibli, et peut
compter qui plus est sur les appareils syndicaux, le PS et le PCF pour
accompagner la nouvelle vague d’offensive qui se lève – sauf si le prolétariat
parvient à les en empêcher.
«Avis positif»
des appareils sur le plan Borloo de « cohésion sociale »
Premier projet de loi adopté à la
rentrée par le conseil des ministres, le plan Borloo, sous couvert de «cohésion
sociale», constitue une attaque gravissime contre les travailleurs et de leurs
qualifications.
Ce plan vise d’abord – à l’image
de ce qui se fait en Allemagne – à en finir avec le droit à l’assurance-chômage
basé sur les cotisations. D’une part, il modifierait le passage du code du
travail qui autorise un chômeur à refuser un travail s’il ne correspond pas à
ses qualifications, ou à sa localisation géographique, pour obliger d’accepter
tout travail ou presque, sous peine de perte d’allocation. Ce qui permettrait
au PARE du Medef, ratifié en son temps par le gouvernement de la «gauche
plurielle», d’exercer pleinement ses ravages : formater les chômeurs en
fonction des besoins du patronat, ou les radier.
Pour ceux qui ont quitté le champ
de l’assurance-chômage (en vertu des scélérates conventions Unedic Medef-Cfdt), outre l’extension du RMA aux récipiendaires de
l’ASS, un dispositif élargi de contrats aidés viendrait se substituer aux CES
et CEC dans la fonction publique (nommés «contrats d’avenir», de 26 à 35 heures
par semaine, au SMIC horaire). Le plan prévoit un million d’entrées dans ces
deux formes de sous-contrats. Dans le même temps, ce
projet de loi entend donner une formidable impulsion à l’apprentissage, grâce
notamment à de nouvelles exonérations fiscales. Toujours contre les
qualifications et les statuts, ce projet prévoit de faire de l’apprentissage
une voie d’entrée dans la fonction publique, ce qui serait porter un coup
terrible au statut de la fonction publique.
Si l’on ajoute à cela que
l’effort annoncé sur les logements sociaux est surtout un effort pour aller
vers leur privatisation (les fonds consacrés au parc de logement publics sont
dix fois inférieurs à ceux consacrés au RMA !), ou encore un dispositif «d’équipes
éducatives» qui pousse au démantèlement du cadre national de l’enseignement et
des statuts des personnels, il paraît clair que le devoir des organisations
syndicales devrait être de combattre un tel projet.
Or, le 1er septembre,
le Conseil Economique et Social émettait un «avis positif» sur ce plan, avis
voté par les représentants CGT et FO à cette instance. Borloo, se «félicitant»
de cet avis, soulignait «le caractère constructif des suggestions formulées,
dont un bon nombre seront retenues dans le projet de loi de cohésion sociale.».
La mise en place de ce plan est
une priorité du gouvernement, et ce dernier entend mouiller jusqu’au cou les
directions syndicales pour éviter toute difficulté. Ainsi Chirac en personne,
s’exprimant le 30 septembre, a insisté pour que celles-ci soient associées au
suivi de ce plan anti-ouvrier au sein d’un «comité de vigilance» chargé de
suivre sa mise en œuvre - tout en réclamant un état «d’urgence réglementaire»
pour l’appliquer au plus vite !
Offensive patronale et gouvernementale contre le prix
de la force de travail
Le plan Borloo s’inscrit dans une
offensive d’ensemble pour faire baisser le prix de la force de travail, qui a
reçu une nouvelle impulsion cet été à l’usine Bosch de Vénisseux,
dans la voie tracée par les grands groupes industriels allemands, utilisant
dans notre pays la loi Fillon sur le dialogue social («La loi Fillon, votée
voilà un an, reconnaît que la négociation d'entreprise peut avoir plus de force
que la négociation de branche ou la négociation interprofessionnelle. Je crois
que c'est un tournant que l'on n'a peut-être pas assez souligné dans l'histoire
sociale de notre pays» Seillière au Figaro magazine du 28 août).
Les ouvriers et employés de cette
usine n’ont eu d’autre choix que d’accepter, la tête basse, un allongement sans
frais de leur durée annuelle du travail, à laquelle s’est combiné le gel des
salaires sur trois ans, sous la menace d’une délocalisation. Bien qu’elles
aient dénoncé l’accord, les directions locales CGT et FO, celles des
fédérations de la métallurgie, ont laissé ces ouvriers sans aucune issue,
totalement isolés dans leur entreprise, comme s’il s’agissait d’une question
locale, au lieu de prendre une initiative du type d’une conférence nationale
des travailleurs de la métallurgie. Seb, Solectron, Doux, et d’autres, ont immédiatement emprunté le
même chemin.
Le gouvernement, dans la foulée,
a organisé des concertations sur une nouvelle aggravation des lois Aubry, qui
prendrait la suite de leur premier «assouplissement» déjà adopté et dont Mailly, pour FO, n’a rien trouvé de mieux à faire, en
allant rencontrer le secrétaire d’Etat Larcher, que d’inviter les entreprises à
les utiliser : «nous allons dire au ministre des Relations du travail
que des assouplissements existent déjà, et qu'ils sont d'ailleurs très peu
utilisés par les branches professionnelles.»
A ce sujet, on ne peut manquer de
souligner la duperie qui consiste à présenter comme un «acquis» les «35 heures»,
alors que les lois d’ARTT signée Aubry ont été avant
tout des outils de flexibilité, d’annualisation du temps de travail et de
baisse des salaires réels. A Chirac évoquant «l’acquis social» fait écho Jean-Martin Folz, président de PSA, le 1er
septembre :
«Nous avons négocié
pendant beaucoup d'années un ensemble dont nous sommes relativement
satisfaits".
(…) «Le débat ne doit pas
porter sur la durée du temps de travail ; le vrai problème, c'est le coût
horaire du travail",
Même Edouard Michelin, PDG de
l’entreprise où un accord particulièrement réactionnaire fut imposé par
référendum fit date, reconnaissait ( Le
Figaro du 30/09 ):
«En termes techniques en
revanche, cette loi nous a permis d'introduire un peu plus de souplesse, de
flexibilité dans notre système de production. Et c'était vital !»
L’objectif du patronat, après
avoir engrangé les «acquis» des lois Aubry, et maintenant que les aides liées à
cette loi commencent à se tarir, est bel et bien, comme le demande le PDG de
PSA, d’engager un nouveau mouvement de baisse du prix de la force de travail.
C’est à cette exigence qu’entend
répondre le gouvernement et dans laquelle s’inscrivent les consultations
organisées par G.Larcher sur cette question.
Mais l’offensive ne se limite pas
à l’allongement sans frais de la durée du travail. Selon la délégation CGT au
ministère, Larcher a confirmé qu’il entendait, comme le réclame avec insistance
le Medef, s’en prendre au contenu du code du travail, avec comme axe essentiel «l’individualisation
du contrat de travail», autrement dit la casse de toute garantie collective.
Dans le même temps, le ministre a donné un délai au 15 octobre pour
l’aboutissement des discussions engagées entre le Medef et les syndicats sur
les restructurations. Faute de quoi, le gouvernement légifèrerait. Dans quel
sens ? Ecoutons encore Seillière (le 15 septembre), compréhensif en diable:
«C'était au dessus des forces
des partenaires sociaux d'arriver à un accord sur un sujet extrêmement
difficile et sur lequel les syndicats ne souhaitent pas faire de concessions
parce qu'il leur est très difficile de les justifier vis-à-vis de leur base.
(…) il appartient au gouvernement de prendre l'initiative de clarifier les
choses pour que les entreprises puissent s'adapter aux conditions du marché».
Allongement à la carte de la
durée du travail et gel des salaires, démantèlement des garanties collectives
et évidage du code du travail, facilitation des licenciements, … comment
accepter que les directions syndicales poursuivent les discussions avec
gouvernement et patronat au lieu de préparer d’ores et déjà le combat pour que
ces projets ne voient pas le jour ?
Il faut ajouter qu’en matière de
baisse du prix de la force de travail, prétextant lui aussi des délocalisations
alors qu’il s’agit objectivement d’un phénomène marginal, le gouvernement a
décrété la création de «pôles de compétitivité» dans certains sites, dont la
caractéristique essentielle serait des allègements de charges et d’impôts d’une
ampleur exceptionnelle pour le patronat (chiffrés à près de deux milliards
d’euros).
Feu sur les services publics
«Gargantuesque», avons-nous dit
au sujet du programme du gouvernement en cette rentrée. Qu’on en juge. En août
dernier était confirmée l’existence d’un plan de restructuration devant
entraîner la suppression de 6 000 bureaux de Poste et de nombreux centres
de tri, avec une aggravation considérable des conditions de travail des personnels.
Parallèlement, le projet de loi sur la régulation postale, adopté par le Sénat,
doit être examiné par l’Assemblée nationale à l’automne (après les élections
professionnelles à la Poste).
Ce projet, transposition des
directives européennes, participe de ce processus, en officialisant l’ouverture
à la concurrence du secteur postal et divisant la Poste en séparant le secteur
financier du secteur courrier. La fédération CGT, décisive dans cette
entreprise, appelait à une journée d’action pour le 21 septembre… mais sans
revendiquer le retrait de ce projet de loi !
Pourtant, les remous suscités par
l’annonce du plan de restructuration de l’entreprise attestent de la
possibilité d’agir effectivement pour le retrait du projet de loi, et par
exemple par la manifestation centrale des Postiers à l’Assemblée sur ce mot
d’ordre – ce qui porterait un coup à tout l’échafaudage de restructuration en
cours.
Pour cela, il faut à la Poste
comme ailleurs faire plier les directions syndicales, les affronter. C’est à cette
aune que doivent être appréciées des déclarations comme celle d’Olivier Besancenot, porte-parole de la LCR, le 21 septembre sur
France-Info :
«Cette grève (la journée
d’action du 21 - Ndlr) est une première étape: la spécificité c'est qu'il ne s'agit pas de
construire un mouvement de salariés aujourd'hui",(…) "A la différence
des dernières mobilisations, on a la possibilité de construire un mouvement de
l'opinion".
«Un mouvement de l’opinion,
pas de salariés». Les directions syndicales de la Poste peuvent dormir
tranquilles, le «petit facteur» veille – quant au gouvernement, le spectre de «l’opinion»
ne risque pas de lui faire perdre non plus le sommeil.
Outre la «réforme» de la Poste,
et après la privatisation d’EDF-GDF, le gouvernement compte – aussi à
l’automne, l’Assemblée réactionnaire va tourner à plein régime – procéder à la
privatisation des Aéroports de Paris ainsi qu’au changement de statut des plus
gros aéroports de province, là encore pour les ouvrir directement aux capitaux
privés – ce après des mois de journées d’action disloquées et répétitives à
ADP, où l’opposition des salariés à ce projet est patente.
Quant à l’enseignement public,
l’année qui s’ouvre est une année décisive puisque c’est celle d’une loi
d’orientation qui, comme l’établit l’article que publie notre bulletin vise,
conformément aux recommandations du rapport Thélot, à pulvériser le cadre
national et public de l’enseignement, ainsi que les statut des personnels. Mais
comment cette loi pourrait-elle advenir si les dirigeants syndicaux, notamment
ceux de la FSU, après avoir cautionné la duperie du «grand débat», n’en
fomentaient pas une nouvelle : «il faut une bonne loi d’orientation» -
au lieu de rejeter toute concertation, de rompre avec le gouvernement et
d’engager le combat sur un mot d’ordre clair, en défense de l’école publique et
des personnels : rejt total du rapport Thélot,
retrait du projet de loi d’orientation ?
Mais c’est sur la question du
service minimum dans les transports, elle aussi sur l’agenda du gouvernement
pour la fin de l’automne, qu’il ressort à quel point les directions syndicales
sont engagées aux côtés du gouvernement, jusqu’à avoir accompagné le ministre
de Robien dans son «tour d’Europe des pratiques» préliminaire.
Alors que le rapport Mandelkern, publié en juillet, dégage la nécessité d’une
loi pour restreindre le droit de grève dans les transports (donc l’interdire
pour un certain nombre de salariés); alors que c’est sur cette base que de
Robien a ouvert les concertations en septembre, tant au niveau du ministère que
dans les entreprises elles-mêmes, comme la SNCF, pour débroussailler le
terrain ; les directions syndicales n’ont même pas fait mine de refuser un
tel cadre. Elles se sont rendues chez de Robien, et pour tenir quel langage !
C’est à qui trouvera la meilleure solution pour en finir avec les grèves dans
les transports :
«La meilleure prévention des
conflits, c'est le dialogue. (…) Ceux qui aujourd'hui banalisent la loi n'ont
qu'un souci dogmatique. Animés par la volonté d'améliorer le transport des
usagers, nous, nous agissons en responsables car nos solutions visent à faire
baisser la conflictualité. (…) « (C’est D.Le Reste, secrétaire CGT-Cheminots, qui tient ce discours «responsable» à
l’écoeurement, rapporté par Le Monde du 15/09)
Que le gouvernement se sente
capable de porter des coups sur le terrain du service minimum, qui jusqu’ici
relevait, depuis des décennies, de l’arlésienne (et qui n’a pas oublié l’échec
de de Gaulle à réquisitionner les mineurs lors de
leur grève de 1963) est en soi un fait politique significatif – tout autant que
la participation plus qu’active à ce mauvais coup des dirigeants des
fédérations (et derrière eux des confédérations) – qui intéresse toute la
classe ouvrière. Y faire échec exige aujourd’hui que soient immédiatement
rompues les discussions en cours, dans les entreprises comme avec le
gouvernement.
Projet de budget 2005:
la responsabilité des directions syndicales est totalement engagée
Le 19 octobre, l’Assemblée UMP-UDF entamera l’examen du projet de budget pour 2005.
Naturellement, ce projet est un concentré de toute la politique du
gouvernement, qu’il sert à financer – notamment les allègements de charges du
plan Borloo sur l’apprentissage et le RMA.
D’une main, le gouvernement offre
de nouveaux cadeaux au patronat : 17 milliards (selon Raffarin)
d’allègements de charges, auxquels s’ajoutent de nombreux allègement d’impôts
(sur les sociétés notamment).
De l’autre, il procède à la
suppression de 10 211 postes (l’essentiel des 3 000 créations prévues allant à
la justice et à la sécurité, bref au renforcement de l’appareil répressif de
l’Etat). Jamais depuis 2002 le gouvernement n’avait supprimé autant de postes
dans la fonction publique : c’est un «plan social» record.
Ce à quoi s’ajoute une nouvelle
année blanche en prévision pour les fonctionnaires, le pouvoir d’achat du point
d’indice baissant en conséquence de 5% depuis 2000, situation qui pèse sur
l’ensemble des travailleurs.
Alors, face à ce budget qui
incarne toute la politique du gouvernement au service dévoué des capitalistes,
la responsabilité des directions syndicales CGT, FO, FSU, et avec elles du PS
et du PCF est totale : combattre contre la politique du gouvernement
UMP-UDF, c’est se prononcer contre ce projet de budget, c’est convoquer dans
l’unité une manifestation nationale, centrale, à l’Assemblée pour le rejet de
ce projet de budget. Une telle initiative – tout comme la rupture de
l’association sur tous les plans avec Chirac et son gouvernement – serait de
nature à inverser le cours actuel des choses.
Manœuvres en tout genre autour de la «constitution
européenne»
Au regard de l’ensemble de ce qui
précède, pour les travailleurs, la question de la ratification de la «constitution
européenne» adoptée par les chefs de gouvernement de l’U.E.
en juin dernier est à l’évidence de second ordre. Pourtant, elle occupe une
place non négligeable sur la scène politique. A cet égard, l’un des objectifs
de Chirac quand il annoncé le référendum est atteint. Car polariser la vie
politique autour de la ratification de ce traité, c’est rejeter
dans l’ombre l’essentiel, à savoir le cortège d’attaques anti-ouvrières qui est
lancé cette année.
Chirac, en annonçant le
référendum, a procédé à une manœuvre politique claire comme le jour :
obtenir, au terme d’une année qu’il espère particulièrement fructueuse du point
de vue de la bourgeoisie française, un plébiscite, à l’image de celui offert en
2002 par le PS, le PCF, la LCR et les directions des confédérations et
fédérations (à l’exception de Force Ouvrière). Un tel plébiscite, la
réalisation de l’union nationale derrière lui, serait alors une rampe de
lancement pour la dernière étape de l’action de son gouvernement, et pour les
échéances électorales prévues pour le printemps 2007. Une autre dimension de la
manœuvre de Chirac est de jouer sur les divisions du Parti Socialiste, en
escomptant qu’au terme de la discussion interne à ce parti, celui-ci se
prononce pour la ratification du traité, vote Chirac, tout en étant affaibli.
Mais Chirac, la dissolution de
1997 l’atteste, est spécialiste des manœuvres qui se retournent en leur
contraire. A l’évidence, au sein du Parti Socialiste, une majorité peut se
dégager pour rejeter la (dite) «constitution». En effet, dans la continuité des
positions adoptées lors du congrès de Dijon sous le feu du mouvement de mai-juin 2003, et aussi en relation avec la victoire
électorale remportée aux Régionales, nombreux sont les militants qui disent,
comme dans la réunion rapporte Le Monde du 20/09:
«Jamais je ne voterai avec Chirac et sa bande de pourris !». Nombreux
sont ceux qui rejettent le traité «constitutionnel» car ils mesurent sa
nocivité, notamment contre les services publics (voir sur le contenu de ce
texte l’article que nous avons publié en juin dernier). Cela Fabius l’a senti
et c’est pourquoi, prenant le contre-pied de toutes ses positions antérieures,
il a opté pour le «non», espérant ainsi se placer en tête des présidentiables
du PS. C’est une réelle crise qui s’est ouverte dans ce parti, dont le fond renvoie
au vote Chirac en mai 2002, et est de savoir jusqu’où le PS va soutenir Chirac
et son gouvernement, crise dont le dénouement ne sera pas sans conséquences sur
le développement de la situation et notamment dans les organisations syndicales
– comme la CGT, qui n’a pas encore arrêté sa position.
A tout cela se combine le fait
que le traité finalement adopté est bien en deçà des espoirs que plaçaient en
lui les impérialismes allemand et français (Chirac déclarait à Bruxelles :
«Nous sommes obligés de constater que les ambitions que nous pouvions avoir
se sont réduites par le 'non possumus' de la
Grande-Bretagne. C'est un vrai problème.» - à quoi répliquait le
porte-parole britannique «Nous fonctionnons dans l'Europe des Vingt-Cinq, pas des Six, des Deux ou d'un» - comprendre
la France). Au final, le compromis passé à Bruxelles limite considérablement
les espoirs de condominium allemand-français
(essentiellement par des restrictions considérables à l’usage de la majorité
qualifiée). La commission européenne nouvellement nommée en prend acte :
le France n’y occupe qu’un strapontin.
Mais le tir de barrage quasi
quotidien contre Fabius, une fois sa position arrêtée, témoigne de ce que le
capital financier à choisi de soutenir ce traité et l’opération référendaire de
Chirac, et craint particulièrement que le PS opte finalement pour le «Non», ce
qui porterait un coup presque fatal à l’opération de Chirac.
Contre la «constitution européenne», contre Chirac,
contre la tenue du référendum
Alors bien sûr l’intérêt des
travailleurs est que la constitution européenne ne voie pas le jour. C’est donc
que les organisations du mouvement ouvrier (partis et syndicats), mais d’abord
le PS pour qui l’échéance est immédiate, se prononcent contre ce traité, contre
l’opération de Chirac … et contre le référendum, pratique anti-démocratique de
type plébiscitaire qui interdit à la classe ouvrière d’apparaître sur son
propre terrain.
Accepter le cadre du référendum
un an à l’avance, celui fixé par Chirac, c’est renoncer à ce que ce soit sur leur
propre terrain que travailleurs et jeunes lui infligent, sur cette question ou
avant, une salutaire défaite politique, se dégageant des eaux mêlées des «non»
dans lesquels se trouveront une nouvelle fois les pieds écrasés de la
bourgeoisie française et leurs représentants (Le Pen,
de Villiers), et autres. C’est pourtant, par exemple, la position adoptée par
le récent congrès du SNU – IPP qui se situe déjà sur le terrain du «non»
version référendaire:
«le SNUipp exprime un profond désaccord avec ce projet de
texte. Il met en garde contre le caractère quasi irréversible des reculs que
son adoption entraînerait. L’importance de ces questions impose un large débat
démocratique dans lequel chaque citoyen puisse s’impliquer. Il doit aboutir à
un référendum.»
Encore faut-il préciser : si
pour le PS, cette position est d’une actualité brûlante, se polariser dès
maintenant autour d’une échéance prévue d’ici un an serait se placer dans la
perspective que d’ici là, le gouvernement ne subisse pas de défaite politique
sur la mise en œuvre des projets dont nous avons donné précédemment le contenu.
Or seule une telle défaite serait de nature à empêcher le référendum d’avoir
lieu et telle est la question décisive !
Que l’on considère par exemple la
résolution adoptée mi-septembre par le CCN de rentrée de Force Ouvrière que
nous avons cité. Cette résolution, on l’a vu, donne blanc-seing à la direction
confédérale de la politique d’association à la contre-réforme de
l’assurance-maladie. Elle ne prévoit aucune initiative d’aucune sorte contre le
gouvernement et sa politique. Par contre elle se conclut sur une dénonciation
du traité «constitutionnel» et évoque les mânes du référendum de 1969
c’est-à-dire ne ferme pas la porte au «non», pour lequel le PT dans FO tend ses
forces. On ne saurait mieux illustrer ce qu’est une politique de couverture du
gouvernement : pendant que ce dernier enchaîne les mesures réactionnaires,
la direction FO laisse tout passer car elle discute de la «constitution européenne».
Pourtant, il faut bien en avoir
conscience, il est tout à fait possible que ce traité ne voie jamais le jour.
Sa ratification par 25 pays, et notamment lors du référendum en
Grande-Bretagne, est plus qu’incertaine. L’échec de la ratification de ce
traité serait certes un revers pour l’ensemble des classes dominantes d’Europe
qui le portent et déversent une propagande incessante «pour l’Europe», en
réalité pour l’entente européenne des capitalismes. Si le référendum avait
lieu, il faudrait voter non.
Mais ce revers, surtout dans le
cadre référendaire, n’arrêterait pas le déluge d’attaques
anti-ouvrières : le faire cesser ne peut qu’être le produit de la
mobilisation du prolétariat français (ou d’autres pays d’Europe) sur son propre
plan, sur ses propres objectifs et par ses propres méthodes.
Aussi pour les travailleurs, tout
se ramène à ceci, sans s’en remettre à un hypothétique référendum à
l’automne 2005 : combattre, vaincre le gouvernement Chirac-Raffarin, lui
infliger une défaite décisive qui lui porte un coup d’arrêt. Et pour
cela : briser la collaboration éhontée que pratiquent avec le gouvernement
les dirigeants des centrales syndicales.
Agir pour la rupture des directions des confédérations
et fédérations (CGT, FO, FSU) avec le gouvernement et le patronat,
pour le front uni des organisations ouvrières (syndicats, partis)
On peut imaginer la délectation
le baron Seillière, lâchant les phrases suivantes au Figaro (du 28/08) :
««Je suis frappé par la
lucidité des analyses faites au sommet dans les syndicats sur la nécessité de
réformer par le dialogue social. Alors, bien sûr, il demeure - et c'est
compréhensible - bien des résistances à la base. Mais l'attitude actuelle des
syndicalistes français nous donne le sentiment que l'on pourra amplifier, comme
c'est le cas dans toute l'Europe, des négociations de partenariat.»
La situation à Perrier est venue
confirmer que Seillière ne plaçait pas en vain sa confiance dans les
« sommets syndicaux ». Confrontés à un plan social de plus de mille
postes lancé par la firme Nestlé, les dirigeants CGT locaux ont été contraints
d’abandonner leur «droit d’opposition» sur ce plan. Pourquoi ?
«La pression sur les épaules
des responsables syndicaux a été forte. L'intervention du secrétaire général de
la CGT, Bernard Thibault, dans le débat, après une entrevue avec Nicolas
Sarkozy, la pression locale des élus, notamment des communistes, dont certains
militent en coulisses pour que la CGT renonce à son droit d'opposition,
expliquent la reprise du dialogue et les nouvelles propositions amenées par
Nestlé.» (Le Monde, 24 septembre)
Aussitôt, Sarkozy saluait «l’esprit
de responsabilité qui préside à cette évolution». Et la direction de
Nestlé doublait aussitôt les enchères, exigeant que le syndicat local participe
totalement à la mise en place du plan social ! De capitulation en
capitulation, le chemin qu’empruntent les appareils n’est hélas que trop bien
connu par la classe ouvrière.
On est là au coeur des
problèmes de tous les travailleurs. En cette rentrée, face au gouvernement
et la poursuite de sa politique, la direction confédérale CGT faisait savoir le
premier septembre que : «L’heure n’est pas à trouver les grands thèmes
fédérateurs, mais bien à discuter de la situation économique et sociale et des
revendications à mettre à l’ordre du jour, entreprise par entreprise»
(entreprise par entreprise … comme à Perrier?).
La décision essentielle du CCN de
rentrée de la CGT aura été de lancer la création de «syndicats multiprofessionnels aux formes locales adaptées (sites,
zones, localités, bassins …).», des syndicats de site contre les syndicats
de branche, arme de dénaturation de la CGT, sous prétexte de rompre l’isolement
des syndiqués isolés.
Entre temps, B.Thibault,
à la fête de l’Humanité, avait prôné un «front uni des organisations syndicales».
Front uni fort bien, mais encore ? Ecoutons Thibault :
«front
uni pour dire au gouvernement qu'il y a une ligne blanche à ne pas dépasser, et
en tout cas sur laquelle nous allons nous mobiliser ensemble (….)Il nous faut
absolument échanger nos opinions syndicales avant que le gouvernement n'aille
plus loin dans ses intentions de bouleverser considérablement le droit social
français»
«Une ligne blanche à ne pas
dépasser ?» Elle n’aurait donc pas été franchie, avec les «réformes»
des retraites, de la Sécurité sociale, de la décentralisation ? On
comprend bien dans ces conditions ce que Thibault entend par front uni :
des initiatives communes avec la CFDT, comme l’appel commun de janvier 2003 qui
donnait feu vert au gouvernement pour s’en prendre aux 37,5 annuités.
Pour stopper l’offensive
généralisée du gouvernement Chirac-Raffarin contre les acquis les plus précieux
arrachés par la lutte de classe il y a des décennies, travailleurs, jeunes,
malgré le poids incontestable des défaites subies depuis deux ans, n’ont
d’autre voie que d’intervenir pour que cesse la politique de soutien au
gouvernement des directions syndicales, du PS, du PCF, d’intervenir pour
opposer au gouvernement et à sa politique le front uni de leurs organisations
(partis, syndicats). Loin de les soumettre aux appareils, au contraire, cette
politique est la seule qui leur permette de surmonter l’obstacle sur lequel ils
ont buté lors des grèves de mai-juin 2003, sur
l’assurance-maladie, à EDF-GDF. Elle ouvrirait la voie à l’alternative
politique au gouvernement UMP-UDF : un
gouvernement issu du front unique des organisations du mouvement ouvrier.
Mais aucune illusion ne peut être
de mise : si les appareils syndicaux, le PS, le PCF, s’efforcent de couvrir
totalement le gouvernement, c’est qu’ils sont eux-mêmes profondément insérés
dans la société bourgeoise. Même s’il est possible et nécessaire de leur
imposer qu’ils cessent de collaborer avec le gouvernement et combattent pour le
retrait de ses plans scélérats, de nourrir sur cette perspective les
possibilités que jaillissent des mouvements de masse, ils ne s’engageront pas
dans le seule voie qui permette de satisfaire les aspirations et les
revendications de la population laborieuse : l’expropriation du capital.
Rien n’est plus fondamental que
d’intervenir au compte de la construction du parti ouvrier révolutionnaire,
combattant pour le socialisme.