Editorial de C.P.S Nouvelle série n°14 (n°96) - 2 décembre 2003
Combattre pour le front uni des organisations
ouvrières
(partis et syndicats)
Pour mettre le gouvernement Chirac-Raffarin
hors d'état de nuire
Agressions gouvernementales à répétition
"Après la réforme des retraites, la suppression des emplois et du lundi
de Pentecôte, où va-t-on ?"
C'est Bernard Lhubert, secrétaire de la fédération des fonctionnaires
CGT, qui s'exprimait ainsi après l'annonce par Delevoye
que les salaires des fonctionnaires seraient bel et bien gelés pour 2003 – soit
4% de perte de pouvoir d'achat depuis 2000.
"Où va-t-on?" B.Lhubert et autres dirigeants fédéraux de la fonction
publique "s'interrogent" selon la presse sur leur
participation à une "conférence sur les salaires" convoquée par le
ministre Delevoye en janvier avec comme objectif
avoué d'en finir avec les augmentations collectives des fonctionnaires, pour
les salaires "au mérite".
Ni Lhubert,
ni ses collègues des autres fédérations n'auront exprimé la revendication du
rattrapage immédiat du pouvoir d'achat perdu depuis 2000, sans parler de sa
garantie par l'échelle mobile des salaires et des prix. Sans doute
"s'interrogent-t-il" sur la meilleure façon de ne pas rompre le
"dialogue social" avec le gouvernement?
"Où va-t-on?" Ce même 27 novembre, à l'Assemblée nationale, la
majorité UMP votait un amendement à une loi déjà particulièrement scélérate, la
loi Perben. Cet amendement crée un délit "d'interruption involontaire de
grossesse", donnant en catimini un statut juridique à l'embryon, posant
ainsi les fondements de l'abrogation du droit à l'avortement tel qu'il a été
arraché, même incomplètement, par la lutte dans le cadre des rapports
politiques issus de la grève générale de mai-juin 1968. Devant le tollé suscité
par ce vote, le gouvernement a promis… une "concertation".
"Où va-t-on"?
En juillet 1986, Chirac alors premier ministre fanfaronnait:
"Avant la fin de l'année,
la France aura un autre système de valeurs que celui sur lequel elle vivait précédemment".
C'était avant que son
gouvernement se casse les dents sur la grève générale des étudiants à l'appel
de l'UNEF(ID), obtenant le retrait du projet de loi Devaquet
d'autonomie des universités en manifestant par deux fois à plusieurs centaines
de milliers à l'Assemblée nationale, et en se tournant vers les organisations
du mouvement ouvrier (partis, syndicats) pour qu'elles combattent dans l'unité
la répression meurtrière orchestrée sous l'autorité de Chirac par le père
politique de Sarkozy, Pasqua.
Mais pour quel "système
de valeurs" militait et milite Chirac? Celui qui a présidé à la fondation
de la Cinquième République: la destruction de l'ensemble des acquis ouvriers
arrachés par la vague révolutionnaire de l'après-guerre, du mouvement ouvrier, "l'organisation
sociale modèle 45" que décrie le baron Seillière. C'est ce
"système de valeurs" réactionnaires, policières, corporatistes, anti-ouvrières,
qui demeure entièrement le fond du programme de l'UMP.
Chaque jour qui passe
confirme si besoin en était la portée de la défaite subie par l'ensemble des
travailleurs au printemps dernier avec le vote du plan Fillon. Depuis lors, le
gouvernement Chirac-Raffarin a eu – grâce à la politique des appareils – les
mains libres pour porter chaque jour de nouveaux coups contre le prolétariat,
la jeunesse.
Son budget, le budget de la
Sécurité sociale, contenant nombre de nouvelles mesures scélérates et
concentrant sa politique, ont été votés sans aucun obstacle par le parlement. "Avant
la fin de l'année, la France aura changé de système de valeurs". Après
avoir fait sauter le verrou des 37
annuités et demi, tel est bien le programme du gouvernement Chirac-Raffarin,
gouvernement UMP.
L'enjeu des mois qui viennent: briser une offensive
d'une ampleur exceptionnelle:
offensive contre le droit aux soins…
Après avoir reçu, tout début
septembre, les dirigeants confédéraux pour s'assurer de leur coopération, le
gouvernement a mis en place le 13 octobre un "haut conseil pour la
modernisation de l'assurance-maladie". Y participe également le PS. Le parallèle
avec le "Conseil d'Orientation des Retraites" qui servit à paver la
voie à la "réforme" des retraites en associant à sa prétendue
"inéluctabilité démographique" les directions des syndicats est
évident, mais limité. En effet, si la méthode est la même, les délais sont bien
plus courts. Raffarin a demandé à ce que la copie du sempiternel
"diagnostic partagé" soit rendue pour décembre (et elle devrait
l'être pour janvier). Il en avait d'ailleurs écrit lui-même l'essentiel, pour
"gagner du temps" (sic!).
Mais qui ignore ce qu'il en
est de cette "réforme"? Rappelons les données du problème: depuis des
années, et notamment depuis 1993, alors qu'elles sont déjà minées par le manque
de cotisation lié au chômage de masse dont les patrons sont responsables, les caisses
d'assurance-maladie sont pillées. Les exonérations cumulées consenties au
patronat, les milliards de dettes de l'Etat , des
patrons, sont la cause principale du déficit des caisses d'assurance-maladie.
Voici le diagnostic. Quel remède propose le gouvernement? Achever le malade.
Dans son discours lors de l'installation du haut conseil, comme Seillière,
Raffarin remettait en cause le "modèle 45":
"Depuis 1945, l’assurance
maladie repose sur l’idée que le remboursement social garantit l’accès aux
soins. Sur cette idée, nous avons fondé la construction progressive d’une
assurance maladie non seulement ouverte à tous mais aussi couvrant le maximum
de prestations. Aujourd’hui, cette protection étendue couvre une grande part de
notre demande de santé, faite de besoins essentiels et d’autres plus
subjectifs. Le sentiment de gratuité de notre système de santé au moment où
nous avons recours à lui nous fait méconnaître son coût réel. Nous devons faire
œuvre de responsabilisation
(…)
Faut-il couvrir dans les mêmes
conditions une fracture du bras causée par une chute dans la rue ou par un
accident de ski ? Dans "assurance maladie", quel sens
donnons-nous aux mots ? Des mécanismes personnalisés doivent-ils venir
renforcer l’assurance maladie dans sa gestion des mécanismes de solidarité
?"
C'est
clair: il s'agit de ramener la part de l'assurance-maladie à presque rien pour
laisser le marché de l'accès aux soins et aux médicaments aux "mécanismes
personnalisés", comprendre: Axa et cie,
assurances, mutuelles. Aux pauvres, un panier de soins. Procès d'intention?
Seul un bureaucrate syndical peut essayer de faire croire à la bonne foi du
gouvernement: le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS)
pour 2004 procède à des déremboursements massifs de médicaments. Aux assurés de
payer, et d'abord via la hausse des tarifs de leur mutuelle. Au passage,
"responsabilisation" oblige, le PLFSS organise la chasse aux arrêts
de maladie de "complaisance". C'est ce qui s'appelle
"réhabiliter le travail"… forcé. Dans le même temps, un projet de
décret – transposant un des fruits de la "refondation sociale" –
prévoit quasiment la mise en extinction de la médecine du travail, l'espacement
des visites à 24 mois, … De quoi garantir que les arrêts de travail vont
effectivement diminuer au profit des exploiteurs.
Et
que dire du "plan dépendance" du gouvernement finalement dévoilé le 6
novembre par Raffarin? Prétendant voler un jour de travail à tous les salariés,
le lundi de la pentecôte, dont une partie seulement servirait au financement de
ce "plan", il affecterait les recettes de cette journée de travail
non-payée, mais aussi une fraction de la CSG, à une nouvelle caisse, la Caisse
Nationale de Solidarité pour l'Autonomie, qui devrait voir le jour au printemps
2004. Cette caisse ne serait pas une caisse de Sécurité Sociale: décentralisée,
déléguant ses fonds aux départements, elle serait gérée notamment par les élus
et des associations. Comment ne pas y voir un événement: le début du dépeçage
des morceaux de la Sécurité sociale!
Alors comment accepter,
comment ne pas combattre pour que les dirigeants syndicaux, le PS, quittent le
haut conseil à la modernisation de l'assurance-maladie, et que, avec le PCF,
ils dénoncent la "réforme" de l'assurance-maladie, rejettent le plan dépendance?
C'est leur responsabilité en particulier, contre la suppression d'un jour
férié, d'affirmer que c'est aux patrons de payer, de préparer le combat contre
le vote du plan dépendance au printemps, pour le retrait du projet de loi
créant la nouvelle caisse et rallongeant la durée du travail à 1607 heures
annuelles – dont 7 gratuites.
… et l'hôpital public …
En ce début décembre, il aura
suffit d'un début d'épidémie de grippe et de bronchiolite pour que le
"plan blanc" soit déclenché dans les hôpitaux, notamment à paris,
pour faire face à l'afflux dans les urgences.
Dans le même temps, la
direction de l'AP-HP engage un plan d'économie
portant sur des centaines de millions , sous la
direction d'une ancienne cadre dirigeant de chez Danone. Tout est dit, ou
presque. L'hôpital public est étranglé par les plans successifs de maîtrise des
dépenses, par les conséquences des numerus clausus arrêtés par tous les
gouvernements successifs, par le protocole Guigou-Kouchner sur l'ARTT dans les
hôpitaux.
Mais il y a à tout ceci un
cadre: le plan "hôpital 2007". Or, en cette rentrée, un saut
qualitatif a été franchi.
Après l'ordonnance supprimant
la carte sanitaire en septembre dernier, le PLFSS a introduit un des éléments
clés du plan "hôpital 2007": la tarification à l'activité, c'est à
dire l'instrument de mise en concurrence complète de tous les services, de
toutes les structures. Complété par l'autorisation de recourir aux fonds privés
y compris quand il est question de construire des structures "publiques",
l'essentiel des instruments de ce plan est en place.
La voie est ouverte à de nouvelles fermetures de service, à la fin de leurs
habilitations, à la privatisation de l'essentiel des services hospitaliers.
Et que font les directions
fédérales hospitalières? Après avoir regardé passer le projet de loi de
financement comme une vache devant son train, elles aussi
"s'interrogent" sur leur participation à cette politique.
Le 8 octobre, les fédérations
CGT, FO, SUD, UNSA, CFTC, communiquaient:
" La mise en œuvre de la
T2A (tarification à l’activité) et des nouvelles procédures budgétaires
augmenteront le nombre de contractuels et favoriseront de nouvelles fermetures
de lits, de services au nom de la rentabilité. Nous demandons l’arrêt immédiat
des plans d’économie imposés aux établissements. C’est pourquoi, les
organisations syndicales demandent aux pouvoirs publics de réviser les méthodes
de discussion sur le devenir de l’hôpital. Devant l’absence de réponse du
gouvernement dans les prochains jours, nous déciderons ensemble de notre
positionnement concernant la suite de ce chantier."
Pour l'instant, elles
continuent de participer aux groupes de travail mis en place pour les associer
– et ainsi lier les personnels – au plan "hôpital 2007". Elles
appellent à une journée d'action(s) le 16 décembre pour "l'arrêt du plan
hôpital 2007 dans sa version actuelle" (sic!) et, on l'aurait parié:
" L’ouverture de réelles négociations sur d’autres bases" (re-sic!).
Cette journée doit préparer une journée, de grève cette fois-ci, pour le 16
janvier. Pendant ce temps, les personnels croulent sous la surcharge de
travail, pendant que de nombreuses structures hospitalières publiques sont
menacées de fermeture, qu'une épidémie de grippe sérieuse pourrait avoir des
conséquences dignes de la canicule de cet été.
… offensive contre le droit à l'instruction et l'école
publique …
Comme le droit aux soins,
celui à l'instruction, autre besoin vital du prolétariat, est sous la menace
d'une nouvelle entreprise tendant à sa liquidation. Ce n'est pas rien que
Chirac en personne ait inauguré officiellement le "grand débat
national" sur l'école. La bourgeoisie veut avancer pour liquider ce qui
fait obstacle à la baisse de la valeur de la force de travail qu'elle exige, et
pour ce faire cherche à porter, dans la foulée du plan Fillon sur les
retraites, de nouveaux coups au corps enseignant.
Dans le domaine de
l'enseignement public aussi, un saut qualitatif se prépare. La "loi
d'orientation" est prévue, elle aussi, pour 2004, autant dire pour demain.
Sa première pierre a été posée: c'est le projet de loi de décentralisation sur
les "responsabilités locales" dont le passage devant le parlement
(après son vote par le Sénat) est prévu pour février. Celui-ci, comme le
précédent numéro de CPS l'a souligné, transfère aux régions la définition de la
carte des formations, aux départements la santé scolaire – y compris la
médecine scolaire, promis à la même disparition que la médecine du travail par
le gouvernement UMP. Soulignons ici une nouvelle fois que cette loi, présentée
comme le summum de la "modernisation de l'Etat", devrait aboutir à
l'apparition de barrières de péages sur les routes "nationales".
Comme au Moyen-Age. Première conséquence de la décentralisation: le secteur le
plus touché par les suppressions de postes du budget est l'administration
centrale du ministère.
Mais la loi d'orientation
doit permettre, appuyée sur le "grand débat", de faire aboutir deux
vieilles exigences de la bourgeoisie: la polyvalence des enseignants,
l'autonomie des établissements. Les ministres chargés du secteur n'en font pas
mystère. Auditionnés le 28 octobre par une commission de l'Assemblée nationale
sur "les stratégies de réforme", ils ont déclaré:
« La perspective principale qui motive ce
ministère est de poursuivre la décentralisation et la déconcentration. Malgré
les décisions prises au printemps dernier, le projet de loi de décentralisation
maintient le transfert des personnels TOSS, soit 95 000 personnes. En outre,
concernant les établissements secondaires et universitaires, l’objectif reste
un développement de leur autonomie. Ainsi le recrutement des assistants
d’éducation est-il prévu au niveau local.
D’autres champs d’économies
sont possibles dans l’éducation. Certains passent par la redéfinition des services
par le développement de la bivalence, l’annualisation des services et la
rationalisation des offres de formation.
La mise en place de la
bivalence des professeurs de collège serait une très bonne chose. Il est clair
que de nombreux professeurs d’allemand, qui sont, en général, des personnes
très cultivées, pourraient assurer, par exemple, un cours d’histoire en classe
de sixième… » (Luc Ferry)
« Le véritable levier,
c'est l'autonomie des établissements, qui peut leur permettre de disposer d'un
budget global, d'une fongibilité des lignes de crédits et aussi d'une marge
d'autonomie sur les programmes de 10 à 15 %. Il n'est pas possible
d'imaginer passer une telle réforme en force. » (Luc
Ferry)
Pas de "passage en
force"? Darcos précisera:
"(…) le ministère s’interroge sur le fait de
savoir s’il ne vaut pas mieux attendre que le grand débat sur l’éducation
n’amène naturellement à poser ces questions de façon concrète"
Quelle honte qu'aucune
direction syndicale nationale de l'enseignement (SUD exceptée) n'ait appelé les
enseignants à boycotter ce "débat national" qui ne sert qu'au
gouvernement, pas même la direction PT de la fédération Force Ouvrière. Elles
engagent les enseignants à "se faire entendre" du gouvernement, des
grands patrons aussi, qui "débattent". Participent également à ce
"débat national" le PS et le PCF via leurs élus locaux. C'est
pourtant ce qui correspond aux aspirations des enseignants (voir dans ce
numéro). Mais cela signifie: rompre avec le gouvernement, le combattre, lui et
sa politique ultra-réactionnaire (voir le supplément enseignant à CPS
publié dans ce numéro).
Vers la clochardisation de pans entiers de la classe
ouvrière.
Ce n'est pas non plus une
mince affaire que la loi instaurant le R.M.A., dont les conséquences sur la
classe ouvrière vont être profondes, d'autant qu'elles se conjuguent avec la
suppression de l'ASS pour les chômeurs en fin de droits, plusieurs centaines de
milliers seront touchés dans les mois qui viennent. Une comparaison s'impose:
dans le même budget, les entreprises obtiennent la possibilité de reporter
leurs pertes de manière indéfinie. Mieux: dans le même budget, après
amendement, les débitants de tabac ont eu la garantie que 80% de la perte de
leur chiffre d'affaire serait prise en charge par le gouvernement. Impossible
de rapporter cela à la suppression de l'ASS sans ressentir un profond dégoût.
Les RMIstes actuels, plus les
centaines de milliers que va engendrer la contre-réforme de l'ASS, vont être
confrontés à un RMI de type nouveau, suite à la loi sur le RMA votée également
en novembre par l'Assemblée Ump qui décidément ne
s'arrête pas une seule minute. La gestion du RMI – comme par ailleurs de toute
l'aide sociale et en particulier des aides aux logements – est transférée aux
départements. Fillon à l'Assemblée y est allé sans détours: il s'agit ainsi de
lutter contre la fraude. Les départements y seront d'autant plus enclins… que
leurs crédits ne sont pas sans limites. Mais c'est un aspect des choses.
Au nom de l'activation des
dépenses passive, le R.M.A. quant à lui, bien que le projet de loi ne dise pas
qu'il est obligatoire, va fournir au patronat des emplois non qualifiés pour
183 euros par mois pour un mi-temps (soit 45 euros par semaine, deux euros de
l'heure), ce qui représente la différence entre le RMI et le SMIC net. Pas de
charges à payer. François Fillon envisage la création de 100 000 RMA.
"Détail": l'Assemblée a ouvert l'usage du R.M.A. aux agences d'interim (les contrats RMA pourront aller jusqu'à 18 mois).
Les négriers ont de beaux jours devant eux.
Aujourd'hui, après des
décennies, la bourgeoisie a imposé un chômage de masse, permanent, à la classe
ouvrière. Elle a imposé une précarité terrible. Mais ces projets (et aussi les
effets du projet de loi Fillon sur les retraites) vont généraliser une misère qu'on aura pas connue dans ce pays depuis des décennies. Il
s'agit au total d'une aggravation considérable des conditions d'existence de
centaines de milliers de prolétaires, qui risquent de passer de la misère à la
clochardisation; il s'agit dans le même temps d'une baisse considérable et
peut-être sans précédent du prix de la force de travail la moins qualifiée. Le
silence total des directions confédérales CGT et FO sur la question du RMA n'en
est que plus glaçant pour le prolétariat français.
C'est aussi en rapport avec
cette situation que le gouvernement renforce sans cesse les pouvoirs de
l'appareil d'Etat. Le projet Perben/Sarkozy est un nouvel instrument en ce
sens. Selon l'Humanité du 28 novembre:
" Pour mémoire, le
durcissement de l'arsenal répressif est contenu dans plusieurs mesures :
la création de juridictions inter-régionales spécialisées, l'extension du
statut de repenti et le renforcement des pouvoirs de la police et du parquet
(infiltration des réseaux, rémunération des indicateurs, extension des écoutes
téléphoniques et des perquisitions de nuit) ou la création du " plaider
coupable ", procédure permettant à un justiciable d'éviter instruction et
procès s'il accepte une sanction proposée par le parquet.
(…)
Micros et caméras pourront
désormais être installés dans un lieu privé (à l'exception des parlementaires,
avocats et entreprises de presse). Le parquet voit ses prérogatives renforcées
aux dépens du juge d'instruction. Il pourra, notamment, décider seul de moyens
d'enquête, tels que la mise sur écoute et les perquisitions, sans autre
contrôle que celui de la Chancellerie. Enfin, les délais de garde à vue de
quatre-vingt-seize heures sont étendus et concernent également les mineurs.
"
Le projet de loi Fillon sur le dialogue social, une
bombe à fragmentation contre la classe ouvrière
Le
12 décembre, l'Assemblée nationale bleu CRS UMP se saisira du projet de loi
Fillon portant sur le dialogue social et la formation professionnelle.
Présentant ce projet à la "Une", le Monde du 25 octobre titre
sur la "révolution sociale" (sic!) de F.Fillon, rapportant en
pages intérieures ceci:
"“ Sur le petit mot
qu’il fait passer à J-P. Raffarin, lors du conseil des ministres, F. Fillon a
écrit : ‘‘ Tu as rendez-vous avec l’histoire. ’’ C’est lui qui raconte
l’anecdote, pour dire l’importance qu’il accorde à ‘sa’ réforme du ‘dialogue
social’. Un texte qui, confie-t-il, importe plus encore que ‘‘ la réforme des
retraites ou celle, à venir, de l’assurance-maladie ’’...”
Ce
projet comporte deux aspects majeurs.
Le
premier, c'est qu'il fait de l'entreprise, et non plus de la branche, le niveau
de référence pour les conventions collectives, excepté pour ce qui concerne les
salaires et les qualifications. Cela permettrait au patronat de pulvériser les
garanties encore existantes au niveau de la branche, étant donné que le niveau
de l'entreprise est, par définition, celui où le rapport de force est le moins
favorable à la classe ouvrière, aux salariés dans leur ensemble.
Sur
ce point, on peut reprendre ce qu'en dit Marc Blondel:
"A partir du moment où,
dans les entreprises, on pourra faire moins bien que ce qui existe, c’est
ouvrir à l’individualisation des rapports du salarié avec l’employeur et c’est
en quelque sorte le retour du contrat de gré à gré."
Il
sera d'autant plus facile au patronat de procéder à ce concassage que la loi
autorise la dérogation à l'accord de branche – dans le cadre de la procédure
dite "accord majoritaire", par la signature d'un délégué du
personnel maison, "mandaté" (procédure introduite par la loi Aubry)
par une organisation syndicale majoritaire, ou d'un référendum. Autant de
moyens de mettre une pression maximum sur les salariés pour arriver à leurs
fins. Avec une telle procédure, vont refleurir selon toute vraisemblance les
syndicats "jaunes", les syndicats maisons, à la main du patron. Le
patronat se frotte déjà les mains: « l’accord d’entreprise a le mérite
d’être au plus prêt de la réalité sur le terrain dans le cadre d’un dialogue
social plus intime, plus susceptible d’adapter la norme sociale à la fois aux
exigences sociales et économiques »." (Seillière, le 18/11/03).
Autre
aspect du projet de loi: "l'accord majoritaire". Sous prétexte de
"démocratie sociale", il s'agit d'abord, en prenant appui sur la politique
"constructive" impulsée depuis des années à la tête de la CGT et
notamment sous Bernard Thibault, de donner une place de premier choix à
l'appareil CGT. En effet, jusqu'ici un
accord peut être validé dès lors qu'une des cinq centrales représentatives le
signe. Avec ce projet de loi, il faudrait que ceux qui le signent représentent
la majorité des salariés (la plus courroucée contre cette mesure est la GCG,
naturellement). Ou du moins que les syndicats majoritaires ne fassent pas jouer
leur "droit d'opposition". Des négociations de branche sur les
modalités d'application de ce principe sont prévues dans le projet de loi. Dans
son éditorial de FO-Hebdo du 26 novembre, Marc Blondel s'étrangle: selon lui le
péril de l'heure, c'est "le dialogue social en péril".
" En effet, pour corriger
les risques consécutifs à la remise en cause du principe de faveur, le
gouvernement initie la notion de l’accord majoritaire, qui va ainsi
conditionner l’application de l’accord éventuellement conclu à l’engagement supposé
(vérifié par les élections) de la majorité du personnel.
Combien y a-t-il d’organisations syndicales
qui, à elles seules, représentent 50% des salariés dans leur entreprise?
Dans les circonstances
actuelles, c’est donner plus de force et d’influence aux opposants qu’aux
partisans des contrats. La signature d’un accord est toujours une prise de
responsabilité, elle est toujours plus ou moins contestée à l’intérieur comme à
l’extérieur, la culture et la pratique contractuelle demandent beaucoup de conviction.
Nous pouvons en témoigner, nous, Force Ouvrière, qui ne bradons pas notre
signature, qui savons contracter mais aussi refuser l’abandon des garanties,
nous restons cohérents dans notre comportement."
Ce
n'est certes pas le "dialogue social" qui est en péril. Mais
l'appareil Force Ouvrière s'inquiète, lui qui, comme le rappelle Blondel, s'est
souvent illustré dans la "prise de responsabilité", responsabilité –
et prébendes afférentes - que le projet de loi transfère pour l'essentiel sur
les épaules de l'appareil CGT. Dans le même temps, le principe de
"l'accord majoritaire" est salué par tous ceux qui oeuvrent à la
division, l'affaiblissement des organisations syndicales ouvrières, tels
l'UNSA, le G10 (SUD), et la direction de la FSU quand elle s'aventure hors de
l'enseignement. Le projet de loi Fillon veut donner un coup d'accélérateur à la
"recomposition syndicale", au bouleversement du paysage syndical dont
bénéficieraient d'abord les "syndicalistes d'accompagnement" associés,
et certainement pas "le front du refus" qu'agite en vain Blondel.
Un projet issu de la collaboration des directions
syndicales ouvrières avec le gouvernement et le Medef
Fillon
ne manque pas une occasion de le rappeler: son projet de loi s'appuie sur les
résultats antérieurs du "dialogue social", de la collaboration qu'ont
apportée au Medef les directions confédérales ouvrières.
Le
pan de son projet concernant la formation professionnelle est la transposition
de l'accord signé par la totalité des organisations syndicales, CGT et FO en
tête, en octobre dernier. Nous avions analysé cet accord dans le précédent CPS
et annoncions que la direction de la CGT s'apprêtait à signer ("historique",
s'enflammait Le Monde). Il s'agit bien, essentiellement, de mettre un
temps de formation professionnelle en dehors du temps de travail, bref de
rallonger la durée effective annuelle du travail.
La
destruction de la hiérarchie des normes entre la branche et l'entreprise est
quand à elle la transposition de la "position commune" arrêtée dans
le cadre de la "refondation sociale" entre le Medef et quatre des
confédérations, excepté la CGT.
Enfin, pendant que le projet
de loi atterrit à l'Assemblée nationale, les réunions entre patronat et
syndicat se tiennent sur les "restructurations". Les dirigeants des
syndicats se plaignent que le patronat "ne veut pas faire avancer cette
négociation" (Maryse Dumas, CGT, dixit). Mais pourquoi se
donnerait-il cette peine? Avec le projet de loi Fillon, les règles régissant
les "restructurations" seraient définies entreprises par entreprise.
Elle annonce le temps des turbo-licenciements. Les "négociations" sur
les restructurations n'ont dans cette perspective qu'une seule fonction:
couvrir le vote de cette loi par le parlement.
Les déclamations la main sur
le cœur "contre les licenciements" en général d'ailleurs ne valent pas mieux. Comment en effet parler de la lutte contre
les licenciements et ne pas combattre
sur la ligne de la rupture des négociations avec les licencieurs, sur la ligne
du combat pour le retrait du projet de loi Fillon?
Les appareils paralysent la classe ouvrière
Ainsi, même appuyé sur la
victoire qu'il a remporté sur les retraites, pas question pour le gouvernement
Chirac-Raffarin de faire un pas sérieux sans s'assurer de la collaboration
aussi étroite que possible des directions syndicales, qui se comportent envers
lui comme de véritables garde du corps.
Si la participation au
conseil de modernisation de l'assurance-maladie, aux négociations sur les
restructurations, au grand débat sur l'école, etc. ne suffisaient pas, que l'on
prenne leur position sur le vol d'un jour férié, d'autant plus qu'elle est
unitaire, suffirait. Dans un communiqué commun en date du 20 novembre (ils
n'étaient pas pressés), dirigeants CGT et FO, avec l'UNSA, la CFDT, la FCTC,
commencent par se désoler de ce que: "Le plan présenté par le Premier
Ministre n’est pas à la hauteur", que la création d'une nouvelle
caisse est "unilatérale" et "peut contribuer"
(quelle prudence!) "à sa
déstructuration ce qui est inacceptable".
Enfin: "De plus (sic!) , les organisations syndicales manifestent leur
désaccord avec la suppression d’un jour férié pour financer ce plan."
Et pourquoi donc? Lisons: "C’est une remise en cause de la réduction du
temps de travail alors que le chômage augmente." Une remise en cause
des lois Aubry? Voilà tout ce que les confédérations auraient à reprocher au
vol pur et simple d'un jour de travail? Elles ajoutent: "C’est la
remise en cause unilatérale des conventions collectives et accords collectifs
d’entreprise et de branche, qui ne peut rencontrer que l’opposition des
organisations syndicales." Qui "ne peut que"… pour un peu
ils s'excuseraient. Conclusion? "Pour toutes ces raisons, les
organisations syndicales demandent au gouvernement de revoir ses propositions."
Face à l'opposition évidente
de l'immense majorité des travailleurs à la journée "dépendance", les
directions syndicales n'ont pu faire autrement que de se manifester. Mais de quelle manière!
Congrès de la fédération CGT d'EDF-GDF: un signe
important
Pourtant, un événement
important indique que le soutien des appareils syndicaux au gouvernement peut
être remis sérieusement en question.
S'est tenu en octobre le
congrès de la fédération mines-énergie de la CGT. Ce congrès se tenait alors
que le processus de privatisation d'EDF et GDF, dans le cadre de la
libéralisation du marché européen de l'énergie, n'a pas été ralenti, que le
projet de loi s'annonce, lui aussi pour 2004. Il se tenait après que, contre la
direction sortante et en particulier Denis Cohen, les travailleurs d'EDF-GDF
aient dit "Non" lors du référendum sur leur régime spécifique de
retraites. Il se tenait, enfin, alors que Raffarin avait déclaré le 24/07
"je ne vois pas la réforme de l'énergie sans la CGT, sans Force Ouvrière".
Le 29/07, Mer envoyait une feuille de route à Edf et Gdf; à propos de la
retraite: " Le gouvernement prendra, comme il s’y était engagé les
dispositions législatives nécessaires pour le mettre en œuvre. Le projet de loi
sera prochainement soumis à une concertation de la branche… " La
direction CGT se félicitait alors que "le gouvernement admette la
nécessité d’une grande négociation et n’ait pas pris de décision à la sauvette.".
Or, dans la préparation du
congrès de la fédération s'est constitué une opposition ouverte à la direction
sortante (Denis Cohen, prudent, ne se représentait pas), la "plate-forme
Biarritz 2003: rendons la Fnme à ses syndiqué(e)s et à ses syndicats ! ". Elle revendique 30
syndicats (10 000 adhérents), soit une autre dimension que celle qui s’est
constituée pour le non au référendum. ”. Son orientation est celle “ du
refus de la concurrence, de la privatisation et/ou l’ouverture du capital, du
rejet du relevé des conclusions, de la défense des acquis sociaux et de
nouvelles conquêtes, de la conservation et développement des Activités
sociales…C’est celle du refus de l’imprégnation d’un libéralisme teinté de
nuances sociales ”. Le texte dénonce fermement l’attitude de D. Cohen,
le responsable sortant.
Personne ne peut ignorer l’importance
d’une telle opposition. Son texte pose "la question de Congrès" en
ces termes :
“ Peut-on bloquer la
transposition de la 2ème directive et repousser le projet de loi de changement de statut juridique
d’Edf et de Gdf ? En clair, doit-on
se mobiliser et jeter toutes nos forces contre ces projets de déréglementation
portant en germes la privatisation des entreprises ? ”
Il
ne faut pas faire l’impasse sur les limites de ce regroupement, qui ordonne son
combat sur les intérêts de la "Nation" et se réclame du
"mouvement social antilibéral". "Seul le développement du
Service public nationalisé de l’Energie peut répondre aux intérêts des usagers
et de la Nation." La défense du statut des personnels apparaissant
comme une composante de celle du Service public ("Le statut du
personnel est un élément indissociable de cette cohérence pour la mise en œuvre
du Service public").
La présence de cette
opposition a influencé le congrès. Le secrétaire général sortant a été
houspillé. Le congrès a décidé de refuser toute négociation portant sur le
changement de statut d'EDF-GDF.
Pour autant, la direction,
par la voix du nouveau secrétaire général, a montré comment elle interprétait à
sa sauce le mandat insuffisamment précis du congrès. Le nouveau secrétaire
fédéral, Imbrecht, répondait aux questions précises
du monde du 17/10 ceci:
"Q:
Le congrès de la Fédération des mines et de l'énergie CGT vient de vous élire
secrétaire général, sur une ligne dure quant au changement de statut d'EDF et
de GDF, que vous jugez "non négociable". N'est-il pas trop tard pour
inverser la vapeur ?
R: Il n'est jamais trop tard
pour exiger un débat.
Q: Allez-vous pratiquer la
politique de la chaise vide sur le sujet du changement de statut ?
R: Le mandat que nous a donné
le congrès est clair : nous n'entrerons dans aucune négociation sur ce sujet.
Nous sommes d'accord avec le gouvernement pour modifier la loi de 1946 de
nationalisation d'EDF et de GDF, non pas pour désintégrer le statut public de
ces entreprises comme il le souhaite, mais au contraire pour renforcer leur
caractère complémentaire et public.
Et passez muscade! Au nom d'une "bonne modification"
de la loi de 1946, Imbrecht envisage les
"négociations" que le congrès vient de rejeter! Et d'embrayer sur
"l'intérêt général" (il saisit ainsi la perche tendue de "la
Nation"):
" Nous n’avons pas une
position dogmatique. Au-delà du changement de statut d’Edf-Gdf,
la question est d’avoir un grand débat avec les usagers, les salariés, les élus
de proximité, sur l’énergie dans son ensemble. Ces entreprises n’appartiennent
ni à l’Etat, ni aux électriciens et gaziers, elles appartiennent aux usagers et
aux citoyens. ”
Question : Vous demandez
un référendum ?
Réponse: Oui. Si le
gouvernement consulte les Français sur Edf-Gdf, nous respecterions leur choix.
(…) ”
Question: En cas de grève, le tabou des coupures
de courant aux usagers sera-t-il levé ?
Réponse: “ …Nous nous interdisons rien, dès lors que ce sont les salariés
qui décident des actions à mener, et pas une ‘élite éclairée’… ”
Malgré
toutes ces limites, l'issue du congrès de la FNME-CGT reste un événement et un
signal politique important.
Les résultats des élections professionnelles qui
viennent de se dérouler dans la branche, que Raffarin attendait, comme le
congrès de la fédération, pour prendre le pouls de la situation, marquent
également, même si c'est de manière limitée, la volonté de résistance des
travailleurs. A EDF-GDF, la CGT obtient 53% des voix et réalise quasiment le
même résultat qu'aux dernières élections (+0,1%). Il faut voir là le résultat
et l'expression de l'écho qu'a eu le congrès de la fédération CGT parmi les
travailleurs EDF. FO recueille 15,6% et progresse de 1,6% (FO avait refusé de
participer à la discussion du "relevé de conclusions" sur les
retraites et l'avait dénoncé). La CFDT, quant à elle régresse de 3,9% avec 19%
des voix.
Par ce vote, les travailleurs ont clairement exprimé
leur volonté de voir la politique du gouvernement combattu. Cette situation Il annonce naturellement un affrontement sérieux à
EDF-GDF sur la question de la privatisation. La bourgeoisie le prépare à sa
manière, en remettant sur la table la gestion des "œuvres sociales"
d'EDF par la CGT au comité d'entreprise.
Mais
il indique aussi que, et bien au delà d'EDF-GDF, des oppositions plus que
significatives peuvent se développer au sein même des organisations syndicales,
contre la politique du gouvernement, contre le gouvernement Chirac-Raffarin et
pour la rupture avec lui. C'est fondamental, et ne peut que nourrir le combat à
mener de toute façon sur cette ligne.
Rupture du pacte de stabilité : la bourgeoisie
française dans une situation économique tendue à l'extrême
Outre qu'elle ne peut
maîtriser les rapports politiques et les contradictions à l'œuvre au sein des
organisations ouvrières, la bourgeoisie française est aujourd'hui tenaillée par
une situation économique particulièrement mauvaise. Sans reprendre ici les
données économiques concernant la récession dans la zone euro, il suffit d'en
considérer la manifestation la plus nette: le "pacte de stabilité"
passé par les pays membres de l'Union Européenne a volé en éclats.
Après l'intervention
unilatérale de l'Etat français pour empêcher la faillite d'Alstom,
signe précurseur, toutes les règles usuellement en vigueur au sein de l'Union
européenne sont ouvertement bafouées, et ce sur décision du tandem
franco-allemand. La raison en est simple: les impérialismes allemand et
français n'ont pas la moindre intention de baisser nettement - pour le moment -
leurs déficits publics. Ainsi que nous l'avions écrit, ils empruntent, sans
disposer des mêmes moyens, et en marchant à reculons, la route qui a été tracée
pour l'impérialisme américain par le gouvernement Bush, celle de la relance par
les déficits et les dépenses étatiques, militaires, pour empêcher la récession
de se transformer en catastrophe économique. Le 25 novembre, par 11 voix contre
4, les ministres des finances ont donc entériné la proposition de suspendre les
sanctions prévues par le pacte de stabilité, déclenchant la fureur du
commissaire européen … mais d'abord espagnol, Pedro Solbes,
fidèle à Aznar dans la circonstance. En échange, les gouvernements français et
allemands se sont engagés à réduire leurs déficits, mais plus tard. Ca ne mange
pas de pain.
Bien
entendu, cet épisode devrait suffire à faire taire tous ceux, et ils sont
légions, qui prétendent ordinairement que les gouvernements des principales
puissances capitalistes européennes sont "soumis à la commission de
Bruxelles" – si toutefois ils étaient honnêtes. Mais plus
fondamentalement, ils expriment une situation de crise majeure, que pour notre
part nous avions pronostiquée. La "constitution européenne" est en
cours de négociation. Là aussi, durcies par la crise, les exigences allemandes
s'imposent tandis que la future "Union Européenne" à 25 ressemble de
plus à un manteau d'arlequin. Opportunément, Libération a mis la main
sur un professeur de maths qui explique la différence de pondération entre le
traité de Nice et la future, peut-être, "constitution"
"Il confirme que
l'Allemagne «est la grande cocue du traité de Nice», au profit de Madrid et Varsovie : avec Nice, un Espagnol vaut 1,85
Allemand, un Polonais, 1,91 Allemand. Cependant, le projet de Constitution
renverse ce déséquilibre «en ouvrant un boulevard à l'Allemagne» : cette fois, un Allemand «pèse» autant que 1,89
Espagnol, tandis qu'un Maltais a le pouvoir de 6,6 Grecs. Les pays de taille
moyenne se retrouvent écrasés entre le marteau des grands et l'enclume des
petits.
Et la France, dans tout ça ? A-t-elle
raison de se battre pour le projet Giscard ? Arithmétiquement, non : avec Nice,
un Français pèse autant que 1,38 Allemand ; avec le projet de Constitution, le
rapport tombe à 0,7. Mais c'est aussi un choix politique qu'assume Paris en
misant sur son alliance de plus en plus étroite avec Berlin. En outre, le
système arrêté par la Convention a l'avantage de beaucoup revaloriser les
quatre «grands». Selon les calculs de Mabille,
l'Allemagne et ses 82 millions d'habitants y pèsera en réalité pour 133 millions,
la France, le Royaume-Uni et l'Italie y gagnent chacun 8 à 9 millions
d'habitants de plus que leur démographie."
Derrière les marchandages,
derrière le renforcement annoncé de l'emprise de l'impérialisme allemand qui
veut être en position de force dans cette U.E.où, faute d'avoir 25
commissaires, le poids du conseil des ministres – et donc le veto de chaque
gouvernement – sera accru, il y a la crise économique. Même les annonces de
reprise spectaculaire mais sans doute éphémère aux USA ne peuvent rassurer les
impérialismes européens, d'autant que les moyens qui l'entraînent et
l'accompagnent (taux zéro, explosion des déficits) entraînent toujours plus le
dollar à la baisse.
Il
faut, bien sûr, pour les différentes bourgeoisies européennes, franchir sans
cesse de nouveaux stades dans l'exploitation de la force de travail. Mais
sera-ce assez rapide, iront-elles assez loin alors que le prolétariat peut
engager d'importants combats? Les manifestations des buralistes qui agitent à
destination de Raffarin l'épouvantail du vote front national donnent une idée
des peurs, des inquiétudes qui serrent la poitrine des différents cercles de la
bourgeoisie et de la petite bourgeoisie française. Le refus de l'UDF de voter
le budget aussi – et même les petites escarmouches au sommet de l'Etat qui
prennent la forme d'une cacophonie entre ministres (Fillon, Sarkozy, Juppé qui
guigneront bientôt Matignon comme rampe de lancement vers l'Elysée). Le débat
sur "le déclin français" n'est pas une discussion d'intellectuels,
mais un cri d'alarme que lancent des secteurs grandissants de la bourgeoisie et
qui ne peut se résoudre que d'une seule façon: par la guerre à outrance contre
les travailleurs, la jeunesse, à laquelle le gouvernement Chirac-Raffarin veut
faire franchir un nouveau stade, on l'a vu.
La question du gouvernement ordonne tout
L'ébauche de mouvement
étudiant engagé pour le retrait du projet de loi sur l'autonomie des
universités, indique, d'autant plus qu'il s'agit de la jeunesse, que les effets
directs du coup porté par le gouvernement Chirac-Raffarin sur les retraites ne
sont pas encore dissipés. Il aura suffit en effet que le gouvernement manœuvre
pour que les premières et timides Assemblées générales étudiantes soient
désorientées – sous la houlette vigilante de la direction de l'UNEF qui,
rappelons-le avait soutenu les décrets ECTS lorsqu'ils émanaient du ministère
de Jack Lang, ministre de Jospin. Mais il ce premier bourgeon rappelle que de
nouveaux affrontements entre les masses et le gouvernement vont inéluctablement
se produire.
Toute la question est: sur
quelle ligne, sur quelle orientation, s'y préparer, les préparer? Tout ce qui
précède l'indique: sur la ligne de la rupture des organisations ouvrières, et
d'abord des organisations syndicales ouvrières, étudiantes, enseignantes, avec
le gouvernement UMP, pour le front uni des organisations ouvrières (partis,
syndicats) contre le gouvernement Chirac-Raffarin, pour le mettre hors d'état
de nuire, le combattre et le vaincre.
La
rupture des directions syndicales avec le gouvernement, la constitution d'un
front rassemblant dirigeants CGT, FO, FSU, PS PCF contre le gouvernement
Chirac-Raffarin serait un encouragement extraordinaire au combat, ouvrirait une
alternative immédiate à ce gouvernement: un gouvernement issu du front uni des
organisations ouvrières. C'est cela, la question, centrale des élections
régionales, cantonales qui s'annoncent.
Il s'agit de se saisir autant
que possible de tous les leviers politiques fournis par la vie politique, les
développements de la lutte des classes pour traduire cette orientation générale
dans la pratique, regrouper autour d'elle: pour la construction du parti
ouvrier révolutionnaire.