Article paru dans Combattre pour le Socialisme du 2 décembre 2003

 

Bolivie : des évènements d’une grande signification politique

 


C'est avec une grande attention que les travailleurs, la jeunesse de tous pays devraient se pencher sur les évènements qui viennent de se dérouler dans l'un des plus petits pays d'Amérique latine, la Bolivie. En effet, les ouvriers et les paysans boliviens viennent de réaliser ce que, sous toutes les latitudes, la classe ouvrière cherche périodiquement à réaliser : mettre à bas un gouvernement bourgeois et porter un coup à la mise en œuvre de sa politique réactionnaire. Ils viennent de réussir là où ont échoué les millions de manifestants et de grévistes de ces derniers mois en Espagne, Grande-Bretagne, Italie ou France.


Contre le pillage du pays par l'impérialisme


Il va presque sans dire que la situation des masses en Bolivie n’est guère comparable avec celle qui prévaut dans les pays capitalistes dominants. La Bolivie est saignée à blanc depuis des décennies par l'impérialisme: les grands trusts, et d'abord américains, se sont appropriés la rente d'un sous-sol particulièrement riche tandis que la population vit dans la misère. En conséquence de quoi la stabilité des institutions étatiques, mais aussi des appareils du mouvement ouvrier, est forcément faible; en conséquence de quoi aussi la lutte pour une réelle indépendance est directement une lutte contre l'impérialisme et ses relais en Bolivie. Pour autant, les leçons de la victoire remportée par les prolétaires boliviens valent d’être connues et discutées, d’autant que rien ne peut leur être plus précieux que le soutien du mouvement ouvrier international.

 

Depuis des années, et notamment depuis 1985, la Bolivie a vu les privatisations se succéder, de nombreuses mines fermer, sa dette publique augmenter. Sous prétexte de « lutter contre la drogue », l’impérialisme américain a dicté des plans menant les paysans pauvres à la ruine. Avec la perspective de l’instauration de « l’Alca » (zone de libre échange des amériques), c’est un nouveau cran dans cette soumission qui est programmé. 

En 2002, le président Sanchez de Losada était élu par le Congrès bolivien à la tête de l’Etat bolivien contre Evo Morales, candidat du MAS (mouvement vers le socialisme). Il a poursuivi à la tête de l’Etat la politique de ses prédécesseurs : la soumission de la Bolivie à l’impérialisme, et d’abord l’impérialisme américain dont « Goni » (Losada) est un représentant avoué (il s’est réfugié aujourd’hui à Miami). Son gouvernement de Sanchez de Losada a ainsi « négocié » la vente d’un énorme gisement de gaz naturel à un consortium de firmes impérialistes (comprenant Exxon, Repsol, BP, Total) à des conditions dictées par ses derniers, jusque dans le trajet du gazoduc (via le Chili et pas le Pérou).

 

En février dernier, de premiers affrontements avaient eu lieu entre son gouvernement et les ouvriers et paysans pauvres (indiens) à l’occasion de l’alourdissement des impôts saignant le peuple pour payer la dette. Une première vague de répression s’était abattue notamment  sur les paysans. Mais l’appareil de répression avait aussi laissé paraître d’importantes fissures (mutineries dans la police). Une trêve avait été conclue alors entre les dirigeants syndicaux, le MAS, d’une part, et le gouvernement d’autre part.


Les ouvriers et les paysans combattent et dictent leurs volontés à leurs organisations


Mais cet été, lors du congrès de la COB, la direction inféodée au gouvernement a été chassée par les syndiqués. Une nouvelle direction a été élue, conséquence du mouvement des masses boliviennes cherchant à se saisir de leurs organisations pour engager le combat. Cette nouvelle direction, représentée par Solares, n'hésitant pas à parler d'armement des travailleurs pour qu'ils puissent se défendre, et d'engager le combat pour un gouvernement ouvrier et paysan. Le résultat de ce congrès était un encouragement puissant pour les combats à venir.

 

En septembre, un nouveau mouvement de protestation (manifestations, blocages de routes), lancé par la Centrale Unitaire des travailleurs agricoles de Bolivie (CSUTB) s’est enclenché, contre le bradage du gaz. Sous la pression des mineurs, et face à une nouvelle phase de répression meurtrière des manifestants par l’armée, la direction de la COB (centrale Ouvrière de Bolivie) lançait à partir du 25 septembre un mot d’ordre de grève générale, exigeant en plus du retrait de ce plan le départ du gouvernement.

 

A partir de là, malgré la répression sanglante (des dizaines de morts, des centaines de blessés) le mouvement de grève ne cessait de s’étendre, le MAS se prononçant à son tour pour le départ de Sanchez de Losada. Les travailleurs ont pris le contrôle total de grandes villes entières (comme à El Alto, constituant pour ce faire des coordinations intégrant leurs organisations syndicales). Ils n’ont pas hésité à s’armer et – à l’appel des dirigeants de la COB – à constituer des groupes d’autodéfense contre la répression.


Les dirigeants syndicaux rompent avec le gouvernement,
appellent à la grève générale, à la manifestation centrale


Plus significatif encore, alors que, saisi de frayeur devant le développement de la lutte de classe, le président « Goni » proposait d’ouvrir le « dialogue », dans la perspective d’un « référendum » sur le Gaz, les dirigeants de la COB ont refusé nettement et publiquement de « dialoguer » avec le gouvernement des assassins et des affameurs du peuple, exigeant son départ, rejetant la proposition d’un référendum.

Le 16, appuyée sur la grève générale, une manifestation centrale convergeait au siège du pouvoir, à La Paz, à tel point que le président encerclé ne pouvait pas se rendre au parlement pour y remettre sa démission, entérinée le 17 octobre, es masses insurgées étant maîtresses de la capitale. Il a fui en catimini pour se réfugier chez ses parrains yankees.

 

C’est une victoire politique considérable qu’ont ainsi remportée les ouvriers et paysans de Bolivie : ils ont pour cela réussi à imposer le front unique de leurs organisations (COB, CSUTB, MAS) contre le gouvernement, pour le vaincre et le chasser, ils ont obtenu que les dirigeants de la COB appellent à la grève générale (imposant notamment aux dirigeants du syndicats des transports d’abandonner un mot d’ordre de grève de 24 heures pour un mot d’ordre de grève générale) , à la manifestation centrale et nationale sur la Capitale, posant ainsi la question du pouvoir.  Le président et son gouvernement ont pris eau de toutes part, et ont finalement été balayés.

 

Voilà des premières leçons dont la signification dépasse largement les limites de cette seule République andine, et notamment en France où Raffarin pouvait déclarer en juin, appuyé sur la collaboration permanente des directions syndicales : « ce n’est pas la rue qui gouverne » .


"classe contre classe"


Le 13 octobre, celui qui était encore président de la Bolivie pour quelques heures déclarait:

"Je ne vais pas démissionner. Il n'est pas possible que l'on remplace la démocratie par une dictature syndicale, une nouvelle dictature qui va opposer classe contre classe, ethnie contre ethnie."

 

Et effectivement, le mouvement révolutionnaire des masses boliviennes a mis à l’ordre du jour la constitution d’un gouvernement émanant des ouvriers et des paysans de ce pays, menant une politique conforme à leurs besoins et aspirations, un gouvernement de leurs organisations (COB, CUSTB et MAS). Le « démocrate » aux mains tachées de sang Losada, le chantre de la « démocratie » des voleurs et massacreurs du peuple bolivien a finalement démissionné pour empêcher qu’un tel gouvernement voie le jour.

 

Sur proposition du principal dirigeant du MAS, Evo Morales, coqueluche des "altermondialistes",c’est le vice-président qui a constitué un nouveau gouvernement, suspendu (et pas retiré) le projet d’accord gazier, promis à nouveau … le « référendum » rejeté par les masses (qui se sont on ne peut plus clairement prononcées !) et annoncé la convocation d’une « assemblée constituante » chargée de « redresser le pays »,  Assemblée constituante qui sert donc de dernière ligne de défense des tenants du maintien de l'ordre impérialiste en Bolivie.

Il faut savoir que ce nouveau président, Carlos Mesa, qui convoque l'Assemblée constituante et est présenté comme « journaliste ",  est en réalité un millionnaire ayant fait fortune dans les médias. Il est l’ex vice-président du boucher « Goni ».

 

Le nouveau gouvernement bénéficie pourtant du soutien à peine masqué du MAS, des dirigeants de la COB. Or, il ne peut que s’orienter sur le même axe que son prédécesseur. La « promesse » d’un référendum alors que les prolétaires et les paysans se sont prononcés, l’annonce de la convocation d’une Assemblée constituante de replâtrage d’institutions ébranlées sont un des termes de l’alternative actuelle pour la bourgeoisie bolivienne et l’impérialisme US. L’autre, c’est un coup d’Etat militaire (le Pentagone a dépêché des spécialistes militaires en Bolivie).

 

Le gouvernement Mesa bénéficie aussi du patronage des gouvernements argentin et brésilien dont les émissaires sont à La Paz. Car ils mesurent parfaitement à quel point la situation en Bolivie s’inscrit dans celle du sous-continent latino-américain, marquée par le renversement du gouvernement argentin en 2001, l’échec du putsch impulsé par Washington au Venezuela, et la victoire électorale du Parti des Travailleurs au Brésil. La situation pré-révolutionnaire qui prévaut en Bolivie est comme une torche allumée dans un dépôt de poudre.


Rien n'est réglé


Le nouveau gouvernement est fort du soutien des appareils syndicaux et de celui du MAS qui veulent brader ainsi la formidable mobilisation de cet automne. Mais les travailleurs ont montré qu’ils avaient la capacité d’y mettre fin. Les dirigeants de la COB,. La réunion nationale élargie de la direction de la Centrale Ouvrière Bolivienne du 18 octobre a réussi l’exploit de justifier sa position de conciliation avec le nouveau gouvernement en ces termes: "il n'existe pas de parti révolutionnaire".  Certes, un parti ouvrier révolutionnaire pouvant poser directement sa candidature au pouvoir fait cruellement défaut en Bolivie. 

 

Mais comment en parler et ne pas remettre en cause le nouveau gouvernement Mesa, alors que celui-ci, s'efforçant de garantir la continuité de l'Etat – et de ses engagements – ne mènera pas une politique fondamentalement différente du gouvernement précédent, balayé par la grève générale?

 

Car ce que veulent les masses en Bolivie, c'est contrôler collectivement les ressources naturelles immenses du pays dont le pillage par les grandes firmes impérialistes n'a fait qu'empirer depuis vingt ans avec les privatisations successives (dont celle de l'eau qui a bénéficié à la firme française Suez) et la charge de la dette publique, et que la mise en place annoncée de la "zone de libre échange des Amériques" (Alca) doit venir encore aggraver.


La voie pour en finir avec l'oppression impérialiste:
un gouvernement des organisations ouvrières et paysannes unies


Il n'existe pas d'autre politique pour ce faire que de nationaliser, sans indemnité ni rachat, les secteurs clés de l'économie bolivienne, d'exproprier les grands groupes impérialistes et leurs filiales, de dénoncer le paiement de la dette publique. Seul un gouvernement rompant avec l'impérialisme américain, le FMI, rejetant l'Alca,  peut s'engager dans cette voie. Un tel gouvernement ne peut être qu'un gouvernement des ouvriers et des paysans de Bolivie, qui aujourd'hui serait un gouvernement de la COB, de la CUSTB avec le MAS, directement responsable devant les masses populaires.

 

La constitution d'un tel gouvernement constituerait à l'échelle du continent un bouleversement politique considérable, déstabilisant l'ordre impérialiste en Amérique latine et notamment son principal pilier aujourd'hui, le gouvernement de coalition Lula (président, PT) - Alencar (vice-président, grand patron) au Brésil. Ce serait un appel d'air extraordinaire, un pas en avant considérable vers la constitution des Etats Unis Socialistes d'Amérique Latine.

Et c'est dans un tel processus, sur une telle perspective, que la recomposition du mouvement ouvrier, balayant les cadres hérités du passé, pourrait s'engager et aboutir à la construction de nouveaux partis ouvriers révolutionnaires. 

 

Tel est le programme que défend le Cercle pour la construction du Parti ouvrier révolutionnaire, de l'internationale ouvrière révolutionnaire, qui voit dans les évènements à caractère révolutionnaire de Bolivie une confirmation éclatante de sa justesse.


Le soutien dont ont besoin les ouvriers et paysans boliviens


Il serait puéril de nier les difficultés politiques qui attendent, malgré leurs riches traditions révolutionnaires, trotskystes, les masses boliviennes. Sous le drapeau de l'Assemblée constituante, du "référendum", se rassemblent aujourd'hui toutes les forces sociales et politiques déterminées à tout changer superficiellement pour que rien ne change fondamentalement dans ce pays et dans le continent, tous ceux qui veulent couvrir du grand manteau élimé de la "démocratie" les exactions des pillards impérialistes. La confusion politique qui étreint le prolétariat mondial n'est bien entendu pas absente en Bolivie, comme le montre le brusque reflux du mouvement après que "Goni" ait pris l'avion pour Miami.

 

Le soutien dont ont besoin aujourd’hui les ouvriers et paysans boliviens, c’est que les organisations du mouvement ouvrier (partis, syndicats) dans les pays capitalistes dominants, et donc en France, se placent inconditionnellement à leurs côtés et donc prennent position pour un gouvernement de leurs seules organisations, sans représentants de l'impérialisme, des exploiteurs. Qu’elles se prononcent contre la soumission de la Bolivie à l'impérialisme, pour l'expropriation des grands groupes qui pillent ce pays, à commencer pour ce qui nous concerne par les groupes français (tels Suez-Lyonnaise) ; pour l'annulation de la dette publique bolivienne, Telle est en France la responsabilité des directions CGT, FO, FSU, celle du PS et du PCF. Ces revendications élémentaires impliquent naturellement de combattre contre le gouvernement Chirac-Raffarin, défenseur des intérêts d’ElfTotalFina, Suez, de tous les groupes capitalistes français en première ligne pour piller les peuples opprimés.

 

Et c’est tirer pleinement les leçons de la première victoire remportée par les travailleurs boliviens que de combattre en France aujourd’hui contre le gouvernement UMP Chirac-Raffarin sur la ligne du front uni des organisations ouvrières (partis et syndicats) contre lui et sa politique, de la rupture des discussions, concertations., « débats » etc. de traiter ce gouvernement pour ce qu’il est, l’ennemi mortel de la classe ouvrière de la jeunesse, ennemi qu’il s’agit de mettre hors d’état de nuire, et de s’organiser pour la construction du parti ouvrier révolutionnaire.


 

 

Paris, le 24 octobre 2003.

 

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