Article paru dans Combattre
pour le socialisme n°13 de septembre 2003
Contre réforme des
retraites :
Le gouvernement Chirac-Raffarin inflige une
défaite politique au prolétariat avec la complicité des dirigeants CGT, FO et
FSU
La majorité UMP adopte la
contre-réforme des retraites
Le jeudi 3 juillet 2003, la majorité UMP à
l’Assemblée nationale adoptait en première lecture le projet de contre-réforme
des retraites. La discussion de ce projet avait été ouverte devant les députés
par Jean-Pierre Raffarin le 10 juin 2003, sa prestation ayant été saluée par
une « standing ovation » de
la part des députés UMP. Le Monde du
12 juin 2003 commentait « Retraites :
Jean-Pierre Raffarin pense avoir gagné la partie ».
En effet, le débat parlementaire s’ouvrait alors que
brûlaient les derniers feux de la mobilisation contre la "réforme"
des retraites bien que des centaines de milliers de manifestants aient encore
défilé dans toute la France ce même jour. L’assurance de Raffarin était
pleinement fondée. Les dirigeants syndicaux appelaient le soir du 10 juin à une
nouvelle manifestation le 12, à Marseille, le plus loin possible de l’Assemblée
nationale tandis que « gouvernement
et syndicats s’efforcent de sauver le baccalauréat » (Le Monde du 12/06/03). Le gouvernement
Chirac-Raffarin avait ainsi l’assurance que les dirigeants syndicaux ne contesteraient
pas la « légitimité » du
débat parlementaire et qu’aucune perspective ne serait ouverte afin que « la rue » ne dicte sa loi.
A l’issue de presque trois semaines de débat
parlementaire, Le Monde du 3 juillet
2003 précisait «Les députés n’ont modifié
qu’à la marge le projet de réforme des retraites défendu par François
Fillon ». A partir du 7 juillet le sénat confirmait. « Jeudi 24 juillet, 12 h 30,
l’Assemblée nationale adopte définitivement
le projet de loi sur les retraites » (Le Monde du 26/07/03). L’instant a une telle importance politique
que le journal a jugé nécessaire de préciser le jour et … l’heure. Dans son
discours du 10 juin, Jean-Pierre Raffarin avait déclaré :
« Depuis
quinze ans, tous les gouvernements ont été confrontés à la question des
retraites : les succès, les insuccès, les attentes ont permis une prise de
conscience et une évolution des esprits. Il nous revient aujourd’hui de
franchir le pas décisif. (…) Après les initiatives courageuses d’Édouard
Balladur et d’Alain Juppé, et la création du fond de réserve par Lionel Jospin,
la réforme des retraites que nous proposons est la première qui intègre
vraiment les changements démographiques ».
Effectivement, pour la bourgeoisie, une avancée
décisive a été réalisée. La voie est maintenant ouverte à la liquidation d’un
acquis historique du prolétariat français. En réalité, il s’agit pour le
capital de la réalisation d’un objectif poursuivi depuis plus d’un demi siècle.
Une conquête de la vague
révolutionnaire de 1944-1945
Avec la défaite militaire du nazisme et
l’effondrement du régime du maréchal Pétain, à la Libération, se développe en
France une vague révolutionnaire. Celle-ci ne sera contenue que par la
collaboration du PCF et de la SFIO au sein du gouvernement tripartite présidé
par de Gaulle (en particulier la constitution du gouvernement MRP-PCF-SFIO
alors que le PCF et la SFIO disposaient de 51 % des sièges au sein de la
première Assemblée constituante élue en octobre 1945) et celle des dirigeants
de la CGT. Une fois de plus, menacée de tout perdre, le mouvement du
prolétariat posant pratiquement la question d’un gouvernement des organisations
ouvrières, partis et syndicats, la bourgeoisie a été contrainte de faire
d’immenses concessions. Dans son combat, non seulement le prolétariat se
réappropriait les conquêtes issues de la grève générale de mai-juin 1936
(semaine de quarante heures, congés payés, conventions collectives, droits
syndicaux etc.) mais il en arrachait de nouvelles, d’une importance politique
capitale du point de vue de sa lutte contre le capital et de sa constitution en
tant que classe.
Parmi ces conquêtes la plus fondamentale est
celle de la Sécurité Sociale dont les fondements ont été définis par
l’ordonnance du 4 octobre 1945. A peine les principes de cette ordonnance
posés, la bourgeoisie, épaulée les dirigeants du mouvement ouvrier autant
qu’ils le pouvaient, a cherché à en limiter et à en édulcorer l’application
(voir à ce propos l’article «Sécurité
Sociale : une conquête révolutionnaire qui participe à la constitution de
la classe ouvrière comme classe»
dans CPS n° 57 du 4/04/1995 et sa
suite dans CPS n° 58 du 9/06/1995).
Il n’en reste pas moins que le prolétariat a
conquis alors de nouveaux acquis en matière d’assurances sociales (vieillesse,
maladie, maternité, accidents du travail). Ce sont des sous-produits de la
vague révolutionnaire d’après guerre, se situant en France dans la continuité
de celle de 1936 - laquelle s'inscrivait avec la révolution espagnole, au terme
d'une vague révolutionnaire engagée avec la révolution russe d'octobre 1917.
Politiquement, la bourgeoisie française ne l’a
jamais oublié. Tirant un premier bilan dans les colonnes du journal Le Monde du 2 juillet 2003, le baron
Seillière, président du MEDEF, déclarait :
«Pour
la première fois depuis des décennies, la volonté de réforme d’un gouvernement
l’emporte sur la somme des réactions négatives, corporatistes, extrémistes, de
refus et de blocage. Dans l’histoire économique et sociale de notre pays, c’est
une page qui se tourne. Nos idées, lancées avec la refondation sociale en 2000
ont porté (…) Oui, nous sommes dans un pays réformable, qui reconnaît que
l’organisation sociale « modèle 1945 » doit évoluer ».
Du point de vue du Capital, il salue l’événement
comme il se doit. En effet, avec la contre-réforme des retraites, le
gouvernement Chirac-Raffarin a réussi, en particulier en ce qui concerne le
régime des retraites des fonctionnaires, là où tous les gouvernements avaient
échoué depuis plus d’un demi siècle. C’est un événement qui n’a pas seulement
une portée nationale. Lors du sommet européen de 2002 à Barcelone, auquel
participaient main dans la main Chirac et Jospin, les dirigeants des quinze
pays de l’Union Européenne se sont fixés un objectif commun : augmenter
d’ici 2010 de cinq ans l’âge moyen de départ à la retraite. C’est pourquoi,
dans les principaux pays d’Europe, les équivalents de Seillière, qui
poursuivent contre leur prolétariat respectif les mêmes objectifs, n’ont pas
manqué de féliciter le courage et la détermination du gouvernement français.
Les appétits du Capital
Au delà de l’aspect politique, pour le capital,
la question des retraites recouvre des enjeux considérables. Il suffit de
rappeler quelques données. En 2000, dans le régime général, pour l’assurance vieillesse
le montant des pensions versées s’élevait à environ 55 milliards d’euros ;
pour la même année ce sont 40 milliards d’euros qui ont été reversés au titre
des retraites complémentaires (ARRCO et AGIRC). Toujours en 2000 les pensions
des fonctionnaires de l’État et celles des fonctionnaires des collectivités
territoriales et des établissements hospitaliers ont atteint respectivement 30
milliards et 7,6 milliards d’euros. Pour donner un ordre de grandeur, les
pensions versées aux seuls fonctionnaires de l’État représentent plus de 10 %
de son budget total (environ 277 milliards d’euros en 2002).
Les cotisations des salariés et des employeurs,
l’État pour les fonctionnaires, qui alimentent les caisses de retraites,
constituent une part du salaire. Le capital considère qu’il s’agit là d’un
fardeau insupportable qui grève le coût de la force de travail. Son combat
permanent pour lutter contre la baisse du taux de profit implique que le
montant des pensions soit significativement diminué : il faut que les travailleurs
cotisent plus et plus longtemps et que les employeurs cotisent moins. De plus,
en France, la contre réforme Juppé de la Sécurité Sociale de 1995 n’a pas remis
fondamentalement en cause le mode dominant des systèmes de retraites qui reste
celui par répartition. Ainsi les assurances privées en matière de retraite,
alimentant les fonds de pensions, ont connu un développement relativement
limité. Les capitalistes français de l’assurance et les banquiers enragent.
Pour eux il faut drainer l’épargne des travailleurs pour permettre enfin le
plein développement des systèmes privés d’assurance en matière de santé, de
retraite et d’assurance chômage. Il faut pour cela que les cotisations
destinées à la Sécurité Sociale soient réduites à la portion congrue et que,
par contre, soit pleinement ouvert le
« marché de la santé et de la protection sociale ». Depuis des
années les grandes compagnies d’assurance piaffent d’impatience : leurs
propositions de « prestations » sont prêtes ; les plans pour
développer les fonds de pensions sont élaborés. Il restait à ouvrir les vannes.
Plus d’un demi siècle d’une
sourde lutte
La bourgeoisie a combattu dés le départ pour que
l’application de l’ordonnance de 1945 soit limitée et freinée. A titre
d’exemple alors que l’ordonnance prévoyait l’instauration d’un régime unique et
par conséquent l’intégration de tous les régimes particuliers sur le régime
général en les alignant sur le régime le plus favorable, une loi de 1948
confirme l’indépendance de ces régimes particuliers (d’où le fait que certains
régimes dits « particuliers » ou « spéciaux » aient été
maintenus dans certains secteurs tels ceux de l’énergie – EDF/GDF – les
transports – SNCF/RATP, la banque de France etc., les travailleurs de ces
secteurs obtenant, comme ceux de la fonction publique dans le code des
pensions, de nouveaux acquis considérables).
En 1953, le gouvernement Laniel tentait de
s’attaquer au code des pensions des travailleurs de la fonction publique. La
grève générale d’août 1953 fit que les décrets-lois à cet effet ne furent
jamais appliqués. Après la prise du pouvoir par de Gaulle en 1958, l’un des
objectifs majeurs des gouvernements de la cinquième République fut de reprendre
les attaques contre la Sécurité Sociale et en particulier contre les caisses de
retraites (par exemples ordonnances de 1967). La grève générale de mai-juin
1968 imposera à la bourgeoisie de différer à nouveau une offensive généralisée
contre cette conquête (quoique les gouvernements successifs ne soient pas
restés inactifs en la matière) . Il en fut de même avec l’élection de François
Mitterrand et d’une majorité de députés du PS et du PCF en 1981 puis en 1988
(là aussi les gouvernements dirigés par le PS ne sont pas restés inactifs, en
particulier en matière de plan d’économie et de modification du mode de
financement visant à substituer à la solidarité ouvrière la « solidarité
nationale » en développement les financements au moyen de l’impôt et des
taxes - la CSG a été instituée par le gouvernement Rocard).
Les plans Balladur et Juppé
En 1993, le gouvernement Balladur juge possible
de reprendre l’initiative. Le terrain avait été préparé par le gouvernement
précédent dirigé par Michel Rocard qui avait commandé et avalisé en mai 1991 un
« livre blanc » concluant déjà à la nécessité d’une réforme des
retraites.
Exploitant, le désarroi politique du
prolétariat, la loi du 22 juillet 1993 (qui par ailleurs instaure le fond de
solidarité vieillesse financé par la CSG) et ses décrets d’applications d’août
instituaient une réforme du régime général qui allait devenir la référence à
suivre pour servir au mieux les objectifs de la bourgeoise. En dix ans, la
durée de cotisations pour bénéficier d’une retraite pleine passait de 37,5 à 40
ans, l’indexation des pensions se faisait désormais sur les prix et non plus
sur les salaires et le calcul du salaire moyen annuel pour déterminer le niveau
de la retraite de base passait progressivement des 10 meilleures années au 25
meilleurs années (ce qui sera atteint en 2008). La réforme Balladur a eu des
effets considérables : en 2002 les « experts » estiment que le
montant des pensions a diminué de 10 à 20 % selon les catégories
professionnelles (sans compter le fait que depuis 2003, il faut effectivement
justifier de 40 ans de cotisations pour faire valoir ses droits à une retraite
complète).
En 1995, après l’élection de Chirac, le
gouvernement Chirac Juppé entend poursuivre l’offensive. La contre-réforme
Chirac-Juppé comportait deux volets : d’une part la mise sous contrôle de
l’État, via le parlement, de l’ensemble de la Sécurité Sociale, d’autre part
l’alignement des régimes de retraite des fonctionnaires et des régimes
particuliers sur le régime général "réformé" par Balladur en 1993.
Confronté à la grève générale des travailleurs
de la RATP et de la SNCF, au mouvement des travailleurs de l’Education
nationale vers la grève générale, à d’immenses manifestations de tout le
prolétariat, le gouvernement Chirac-Juppé, avec l’aide des dirigeants de la CGT
de FO et de la FSU qui, déjà, refusèrent d’appeler à la grève générale ainsi
que du PCF et PS (sous la direction de Jospin, le PS, prétextant de ne pas
vouloir « politiser » le mouvement et au nom du « respect »
de l’indépendance du mouvement revendicatif, refusa de s’associer aux gigantesques
manifestations de décembre 1995), manœuvrait en repli. La réforme de la
Sécurité Sociale était maintenue mais celle des régimes particuliers et du code
des pensions était momentanément abandonnée.
Le gouvernement de la gauche
plurielle prend le relais
En 1997, lors des élections législatives
anticipées provoquées par Chirac, le RPR et l’UDF étaient battus. Le
gouvernement de la gauche plurielle mis en place sous la direction de Lionel
Jospin, gouvernement au service de la bourgeoisie, maintenait les objectifs du
gouvernement Chirac-Juppé en matière de retraites. Mais pour avancer, il devait
tenir compte des rapports politiques. Il a mis en œuvre le plan Juppé contre la
Sécurité Sociale et poursuivi l’application de la contre-réforme Balladur.
Pour avancer vers la réalisation de la remise en
cause globale des régimes de retraites, en opposition aux « méthodes
brutales » de son prédécesseur, il associé les dirigeants des
organisations syndicales ouvrières à la préparation d’une « réforme». Sans
en rester là, il a instauré en 1999 le fonds de réserve des retraites que
Raffarin reprend aujourd’hui à son compte et fait voter la loi Fabius sur
l’épargne salariale. Le 10 mai 2000, Lionel Jospin installait le Comité
d’Orientation des Retraites associant les « partenaires sociaux », en
l’occurrence les dirigeants de la CGT et de FO à une concertation en vue d’une
réforme.
Dans le même temps le MEDEF, sous la direction
de Seillière, dans le cadre de sa « refondation sociale » avait
ouvert des « négociations » avec les dirigeants des confédérations
ouvrières sur les régimes de retraites complémentaires, les propositions
patronales étant de porter à 42 annuités la durée de cotisation pour obtenir
une retraite complémentaire à taux plein.
En janvier 2001, des centaines de milliers de
travailleurs manifestaient contre le projet du MEDEF.
A l’approche de l’élection présidentielle, le
gouvernement de la gauche plurielle décidait de temporiser en différant
l’agrément du projet d’accord sans en remettre en cause les principes.
S’appuyant sur le premier rapport du COR remis en décembre 2001, le candidat
Jospin maintenait dans son programme pour l’élection présidentielle la
nécessité d’une réforme des retraites. Il imposait au PS de s’aligner et
surtout de ne pas s’opposer à la perspective d’un allongement des cotisations
pour les travailleurs de la fonction publique (voir à ce propos l’article « Parti Socialiste : deux mois
avant le prochain congrès » dans CPS
nouvelle série n° 11 (n° 93) du 22/03/2003).
Le projet Fillon
En mai 2002, Chirac était élu triomphalement
soutenu au second tour de l’élection présidentielle par le PS, le PCF, la LCR
et les dirigeants de la CGT et de la FSU. Dans la foulée il disposait d’une
majorité écrasante à l’Assemblée nationale avec l’UMP. Fort de cette victoire,
le gouvernement Chirac-Raffarin s’est fixé comme objectif de réussir là où le
gouvernement Chirac-Juppé avait échoué en 1995, tout en s’appuyant sur les
« acquis » du COR : le « consensus national »sur la
nécessité d’une réforme pour sauver le système de retraite.
A peine installé, le gouvernement
Chirac-Raffarin engageait la première vague de son offensive (les lois
policières, la loi Fillon aggravant la loi Aubry, la vague de licenciement, le
budget de guerre contre la classe ouvrière…) contre les masses, jouant à fond
sur le désarroi politique du prolétariat et sur les conséquences politiques de
l’union nationale autour de la candidature de Chirac au second tour de
l’élection présidentielle. Le plan Fillon sur les retraites est au cœur de la
deuxième vague.
Ses grandes lignes étaient parfaitement connues
de tous avant même le lancement de la concertation sur la réforme. Dans le
collimateur se trouvent les fonctionnaires et le code des pensions. Pour
l’essentiel, comme le prévoyait le plan Juppé, la durée de cotisation est
portée de 37,5 à 40 ans à raison d’un semestre supplémentaire d’ici 2008 ;
de ce fait le calcul des pensions est revu à la baisse en particulier en cas de
départ anticipé (selon le CGT, d’ici 2020, le niveau des pensions devrait baisser
de 20 à 30%) ; les retraités ne bénéficieront plus des revalorisations
indiciaires et statutaires accordées aux agents en activité.
Pour l’ensemble des travailleurs, le plan Fillon
pose le principe, en fonction de « l’allongement de la durée de l’espérance de
vie » d’un allongement de la durée de cotisation après consultation
d’un comité de « sages », la perspective immédiate étant celle d’un
passage à 41 annuités pour tous en 2012 puis 42 en 2020, voir plus et sans
modification de la loi, au cas où « l’équilibre des régimes de retraites » l’exigerait,
le COR étant finalement maintenu. Enfin, chacun savait que le plan Fillon
ouvrirait la voie au développement des fonds de pensions en encourageant
l’épargne individuelle à coups d’exonérations massives de taxes et de charges.
Pour tenir compte de l’expérience malheureuse
face aux travailleurs d’EDF et de GDF, qui malgré l’engagement de la direction
de la fédération CGT de l’énergie et celle de la direction confédérale de la
CGT, avaient rejeté par référendum la réforme de leur régime particulier de
retraite, la réforme des régimes spéciaux était formellement exclue du projet
Fillon. Il s’agissait d’une manœuvre. Une fois le cas de la fonction publique
réglé, il serait alors temps de s’en occuper.
Dés l’automne 2002, le gouvernement
Chirac-Raffarin a défini son plan de bataille et son calendrier : le
lancement de la réforme le 6 janvier 2003 par Jacques Chirac lors de la
présentation de ses vœux aux « forces vives de la nation », le
discours de J-P.Raffarin devant le Conseil Economique et Social le 3 février,
les trois mois et demi de concertation jusqu’au 15 mai, la première
communication devant le conseil des ministres le 8 mai, la présentation du
projet au conseil des ministres le 28 mai, le début de l’examen par le
parlement à la mi juin. Force est de constater que ce calendrier a été
respecté, presque au jour près.
Les dirigeants syndicaux se
prononcent pour "une réforme"
Le jour même où Jacques Chirac lançait la
contre-réforme des retraites, les dirigeants syndicaux se prononçaient de leur
côté pour une réforme. Le lundi 6 janvier, CGT, FO et FSU, avec l’UNSA, la CFTC
et la CFDT, adoptaient une déclaration commune indiquant :
«…
l’ensemble des organisations syndicales membres du Conseil d’Orientation des
retraites, réunies en intersyndicale, ont défini les principales lignes de
force d’une démarche commune, afin d’aborder les négociations à venir,
relatives à nos systèmes de retraites.
C’est
dans cet état d’esprit qu’elles ont décidé de présenter leurs propositions
communes pour consolider les systèmes de retraites des salariés des secteurs
public et privé, face aux évolutions démographiques et à la baisse programmée
du niveau relatif des retraites pour les salariés du secteur privé, afin de
redonner confiance aux jeunes générations, dans la pérennité de la retraite par
répartition.
Pour
cela, les organisations syndicales affirment la nécessité d’une réforme qui ne
peut ignorer la question de la répartition des richesses produites. ».
Se situant d’emblée sur le terrain de la « nécessité d’une réforme »,
les dirigeants syndicaux donnaient leur feu vert au gouvernement pour
s’engager. Ceci d’autant plus que le projet de déclaration ignorait tout des
revendications élémentaires en la matière : maintien des 37,5 annuités
pour les fonctionnaires et les travailleurs des entreprises publiques , bas les
pattes devant le code des pensions et les régimes spéciaux, abrogation des
décrets Balladur.
Ils annonçaient ainsi qu’ils étaient disposés à
s’engager dans la concertation organisée par le gouvernement. Pourtant, il ne
fait aucun doute qu’ils savaient parfaitement où ce dernier voulait en venir.
Leur déclaration se situait dans la lignée de leur participation assidue au
COR.
Le gouvernement Chirac-Raffarin a parfaitement
compris le signal, ceci alors que le 9 janvier 2003, le personnel d’EDF et de
GDF rejetait par référendum le projet de protocole d’accord défendu par le
gouvernement et la direction de la CGT. Le 8 janvier Fillon déclarait :
« Cette
plate-forme montre que les organisations syndicales se placent dans la démarche
que nous leur proposons, c’est-à-dire une démarche de négociation, de dialogue,
de concertation (…) c’est une initiative que je considère comme
positive ».
Le 12 janvier Francis Mer ajoutait :
« Au
plus tard en juillet prochain, le gouvernement aura présenté devant l’Assemblée
nationale sa politique de retraite et la fera passer ».
Alors que la concertation battait son plein, de
groupe de travail en groupe de travail, François Fillon, répondant à
l’impatience de certains députés de l’UMP, indiquait :
« Ce
discours est aussi archaïque sur le fond. Il correspond à la manière dont on
faisait de la politique il y a vingt ans. Moi, je suis d’abord comptable des
engagements du président de la République, consistant à soumettre à la
concertation toute modification législative ayant un impact en matière sociale.
(…)Nous ne sommes pas, avec les partenaires sociaux, en conflit sur
l’essentiel, à savoir la pérennisation de la répartition, mais en débat sur les
modalités de cette pérennisation. Il faut donc aller jusqu’au bout de la
concertation ! Les syndicats continuent de discuter dans les groupes de
travail. Ils continuent, y compris la CGT, de se référer à leur déclaration
commune sur les retraites. Je ne vois pas chez eux d’attitude de blocage »
(Le Monde du 28/03/2003).
En conclusion de leur déclaration, les
dirigeants syndicaux appelaient à une « journée
nationale de manifestations décentralisées, régionales ou départementales, le
samedi 1er février ». Le début d’une très longue série
jusqu’à fin juin.
La concertation à l’œuvre
Suite à la déclaration de Raffarin, la
concertation s’engage. Le Monde du 29
mai 2003 résume :
« La
concertation débute les 6 et 7 février, rue de Grenelle. Syndicats et patronat
sont reçus par Fillon et le ministre de la fonction publique Jean-Paul
Delevoye. Du groupe confédéral en groupe technique, les réunions se succèdent à
un rythme soutenu. L’ambiance est bonne, mais la méthode est jugée
déconcertante. A la mi-mars, sans jamais avoir réellement négocié, les
ministres rendent public un premier texte. A ce moment la question des
carrières longues, évoquée par les parlementaires communistes et ceux de la
majorité, émerge. Le numéro un de la CFDT, François Chérèque, et le président
de l’UMP, Alain Juppé, en discutent en tête-à-tête à l’Assemblée. Le 3 avril,
une deuxième journée de mobilisation rassemble plusieurs centaines de milliers
de personnes. Signe prémonitoire, le CFDT n’en est pas. Le gouvernement est
pressé. Le 18 et le 22 avril MM. Fillon et Delevoye reçoivent les partenaires
sociaux. Officiellement la concertation est close. ».
La concertation organisée par le gouvernement, à
laquelle se prêtent les dirigeants syndicaux - qui se déroule dans une bonne
ambiance ! - est une manœuvre de grande envergure visant à annihiler la
capacité de combat des fonctionnaires.
Comme Le
Monde le rapporte, le
gouvernement n’a pas en réalité modifié
d’un iota son plan initial, les débats sur la question des carrières longues
lancés par le PCF n’étant destiné qu’à faire diversion et à laisser croire
qu’il y avait effectivement des négociations. Il s’agissait de tenter de
masquer qu’il n’était en aucun cas question pour les dirigeants syndicaux
d’exiger le retrait du plan Fillon : c’est-à-dire de combattre pour le
maintien des 37,5 annuités pour les fonctionnaires et la défense du code des
pensions, l’abrogation de la réforme Balladur.
Se sentant sûr de lui sur le dossier des
retraites, le 28 février, à Rouen, Raffarin ouvrait un autre front et annonçait
publiquement quels seraient les premiers transferts de compétence, dans le
contexte de la mise en œuvre de la décentralisation, applicables à
l’enseignement public (un véritable « plan social » de suppression de
110 000 postes dans la fonction publique d’État).
Les enseignants s’engagent…
A partir de la fin du mois de février les grèves
dans l’enseignement publics vont progressivement se développer. Les enseignants
manifestent ainsi leur volonté d’engager le combat contre le gouvernement Chirac-Raffarin.
Si, souvent, l’élément cristallisant le déclenchement des premières grèves est
l’annonce des transferts de postes, immédiatement, les enseignants, qui dans
leur grande masse n’ont aucune illusion sur la concertation engagée sur la
question des retraites, exigent le maintien des 37,5 annuités pour tous les
fonctionnaires, celui du code des pensions et bien entendu le rejet de toute
suppression de poste dans le cadre des transferts de compétence et de la
décentralisation.
Dans de nombreux départements, villes, etc. la
pression des enseignants s’est fortement exercée. A ces niveaux, les dirigeants
locaux du SNES, et du SNU-IPP n’ont pu s’y opposer. Épaulés par les militants
de la LCR et de LO, ils ont même pris l’initiative de chevaucher le mouvement
naissant en appelant à l’action sous la forme de grèves reconductibles,
d’actions diverses et variées, multipliant les initiatives contribuant à
disloquer le mouvement.
Tout en sachant qu’à partir de début avril, le
calendrier des vacances scolaires était un obstacle objectif à l’engagement
d’un combat national et centralisé.
…conscients de l’enjeu
Dans les assemblées générales, les enseignants
ont exprimé clairement qu’ils avaient pleinement conscience de l’enjeu de la
lutte qui s’engageait. A titre d’exemple, dès le 18 mars 2003, l’AG des
instituteurs grévistes de Montpellier votait à l’unanimité moins une voix
l’adresse suivante aux dirigeants des fédérations, des syndicats de
l'enseignement :
« -
Exigez l’abandon de la contre-réforme des retraites, de la décentralisation, du
cassage des statuts, des licenciements(…)
Cessez
toute discussion avec le gouvernement
-
Lancez un ultimatum au gouvernement : s’il ne retire pas ses attaques et
ses projets contre l’Enseignement et ses personnels ainsi que son projet de
contre-réforme des retraites, alors vous appellerez à la grève générale de la
fonction publique et de l’Enseignement public ».
Les semaines suivantes, des centaines d'adresses
aux dirigeants seront adoptées, le plus souvent à la quasi unanimité et contre
la volonté des bureaucrates locaux. Au fil des semaines, nombre de ces motions
seront reprises en tant que telles par des instances syndicales à tous les
niveaux. Par tous les moyens, dans les assemblées générales, les dirigeants
syndicaux, épaulés par les militants de la LCR (qui dans l’enseignement
occupent d’importantes positions syndicales au sein de la FSU), chercheront à
édulcorer la portée de ses motions, en intervenant pour substituer au mot
d’ordre de grève générale celui de grève(s) reconductible(s), en essayant
d’éviter que soit formulée l’exigence que les dirigeants cessent d’accepter la
concertation et qu’ils rompent avec le gouvernement et en ergotant sur le mot
d’ordre de retrait du plan Fillon pour y opposer le soit disant combat pour une
« vraie » concertation. Souvent, face à la volonté des enseignants,
leurs tentatives seront vaines. Par ailleurs aux initiatives nombreuses des
enseignants pour constituer de véritables comités de grève sous le contrôle des
assemblées générales, ils opposeront qui les intersyndicales, qui des
"coordinations" dédouanant totalement les appareils et se situant
comme eux sur le terrain de la "reconductible".
En posant la question de la grève générale, les
enseignants avaient clairement conscience que, pour arracher le retrait du
projet Fillon, il fallait engager le combat pour mettre à genoux et vaincre le
gouvernement Chirac-Raffarin. Que pour aller dans cette voie, il fallait
imposer aux dirigeants des syndicats de l’Enseignement, à ceux des fédérations
de fonctionnaires et des confédérations qu’ils rompent avec le gouvernement et
réalisent le front unique de leurs organisations en appelant à la grève
générale. Les enseignants exprimaient plus ou moins consciemment qu’il ne
s’agissait pas d’engager un simple combat revendicatif mais qu’il s’agissait
d’une lutte politique dont l’enjeu était qui doit décider et donc en réalité
qui doit gouverner ? De ce point de vue l’un des enseignement du mouvement de
novembre décembre 1995 est resté bien vivant.
Le congrès de la CGT…
Le congrès de la CGT, qui s’est tenu du 23 au 28
mars à Montpellier était pour le gouvernement Chirac-Raffarin un moment d’une
grande importance. Il s’est tenu alors que la concertation sur le projet Fillon
battait son plein. Chacun avait en mémoire le congrès de décembre 1995. Le 4
décembre, au lendemain de l’ouverture du congrès, Louis Viannet et les
dirigeants de la confédération n’avaient pas pu empêcher qu’une discussion
s’ouvre sur la grève générale, une moitié des intervenants à la tribune se
prononçant pour que la CGT s’engage. Il est vrai qu’au moment du congrès, la
grève à la SNCF et la RATP ne faiblissait pas, tandis que chez les
fonctionnaires, dans les entreprises publiques, dans le secteur privé, les
appels à la grève se multipliaient. Dans cette situation, il faut rappeler que
dès le 5 décembre 1995, le gouvernement Chirac-Juppé avait manœuvré en
retraite : Juppé tout en maintenant son plan pour la Sécurité Sociale
annonçait qu’il n’était pas question de toucher au régimes spéciaux des
fonctionnaires et des travailleurs des entreprises publiques ni de les aligner
sur le régime général (Pour ce qui concerne ce mouvement voir l’important
article dans CPS n° 61 du 20/01/96
intitulé « La grève et les
manifestations de novembre-décembre 1995 » ). Finalement, mais non
sans difficulté, Viannet avait imposé sa ligne : contre la grève générale.
Lors du congrès de Montpellier la tâche de
Bernard Thibault a été semble-t-il plus aisée. Le Monde du 28 mars 2003 indiquait : «La direction de la CGT fait passer sa ligne sur les retraites ».
Le journal poursuivait :
« Jean-Christophe
Le Duigou, secrétaire confédéral chargé de la protection sociale,
précisait d’emblée la position de la direction : « Ne nous trompons
pas de bataille, la question n’est pas de défendre sa retraite, mais notre
système de retraite solidaire ». Il ajoutait que le retour à 37,5 ans de
cotisations pour tous « ne peut suffire pour garantir le doit à la
retraite à 60 ans ».
La
veille, des délégués contestataires comptant des militants proches de l’extrême
gauche ou de Rouge vif, un courant du PCF, avaient élaboré un texte alternatif
à la ligne confédérale – lu devant le congrès par un délégué d’Alstom
Belfort : 37,5 ans de cotisation pour tous, préparation d’une grève générale
reconductible ».
Une
déléguée du CHU de Clermont-Ferrand a même proposé de « rompre la
négociation » avec le gouvernement ».
Mais l’appareil de la CGT, dans la pure
tradition stalinienne avait bien préparé son affaire.
« Jusqu’à
l’intervention- bien préparée – de
Marie-Hélène (Nord), qui a eu droit à un standing ovation de la salle. Déléguée
de la Fédération du textile-cuir-habillement, elle décrit la condition des
ouvrières du textile et stigmatise « les professionnels de la politique »
avant de lancer : « je n’ai pas envie de voir la CGT confisquée par
des procéduriers dont la plupart ne connaissent rien à la vie des
usines ».
Le
débat était clos et M. Le Diguou pouvait conclure, en annonçant l’intégration
d’un amendement proposant de « taxer les revenus financiers des
entreprises ».
Les
opposants nombreux à s’être exprimés, n’ont même pas levé la main pour voter
contre le texte de la direction ou s’abstenir. M. Le Diguou pouvait se
féliciter devant la presse, du « vote quasi unanime qui donne beaucoup de
force à la CGT » ».(Le Monde)
Ainsi, lors du congrès, les dirigeants de la CGT
ont adressé un signal d’encouragement au gouvernement. L’appareil de la CGT
avait repris les choses en main après son échec face aux travailleurs
d’EDF-GDF. Il était hors de question de combattre pour le maintien des 37,5
annuités pour les fonctionnaires, de défendre le code des pensions et d’engager
le combat pour le retrait du plan Fillon en préparant la grève générale. La
concertation devait se poursuivre sur l’orientation définie lors de la
déclaration du 6 janvier 2003. Cette orientation, Bernard Thibault et les
dirigeants de la confédération allait être en mesure de la tenir jusqu’à la fin
du mouvement.
A l’issue du congrès, Thibault, commentant
l’appel à des "débrayages et des manifestations" de l’intersyndicale
CGT-FO-FSU-UNSA pour le 3 avril, déclarait au journal Le Monde, à propos de la concertation sur les retraites :
« On
a été écouté. Mais on n’a pas été entendu. C’est la raison pour laquelle il
faut que le 3 avril voit une mobilisation nouvelle de la part des salariés du
secteur privé comme du secteur public. » A la question « Mobilisation
pour quoi ? » il répondait « pour confirmer les demandes que
nous avons exprimées, avec les six autres organisations en début d’année »
et il enfonçait le clou « Pour assurer le droit au départ à 60 ans, il
faut rediscuter le mécanisme d’acquisition des droits. Autrement dit, on ne
peut pas simplement se cantonner à un problème de 40 ans - 37,5 ans ».
… dans la foulée le congrès
du SNES
Le congrès du SNES s’est tenu lui du 31 mars au
4 avril 2003. Confortés par les conclusions du congrès de la CGT, les
dirigeants du SNES ont réussi à éviter que la question du combat contre le
projet Fillon soit la question centrale du congrès et ont réussi à maintenir le
cap fixé par Bernard Thibault. Alors qu’en tant que fonctionnaires, les
enseignants étaient en première ligne face à l’offensive du gouvernement sur la
question centrale des retraites, ils ont réussi à focaliser les débats sur la
décentralisation et les mesures annoncées par Raffarin le 28 février. Du
congrès ne ressortira, sur la question des retraites qu’une orientation calquée
sur celle des dirigeants de la CGT : poursuivre les négociations pour une
bonne réforme des retraites, se mobiliser pour infléchir les projets du
gouvernement.
Que ce soit sur la question des retraites ou sur
les 110 000 suppressions de postes dans le contexte de la mise en œuvre de la
décentralisation les dirigeants du SNES ont opposé une fin de non recevoir aux
premiers appels émanant des assemblées générales qui leurs étaient destinés
pour qu’ils exigent le retrait des projets du gouvernement et s’engagent dans
la préparation de la grève générale de l’enseignement public. Résumant les
conclusions du congrès Le Monde du 4
avril 2003 commentait « Les
enseignants du SNES appellent à « étendre les grèves » », lesquelles,
malgré l’approche des vacances, tendaient à se multiplier.
L’orientation définie par la direction du SNES,
la grève "reconductible à tous les niveaux," est une orientation de
partisans des grèves, de l'émiettement, d'ennemis de la grève,
de l'appel à la grève générale, parce qu'ils en mesurent le contenu d'abord politique: une déclaration de guerre
au gouvernement Chirac-Raffarin.
Et de ce congrès aucun écho aussi minime
soit-il, n’est parvenu d’un combat qui aurait été engagé pour que les
dirigeants du SNES appellent à la grève générale.
3 avril, 1er mai
, 6 mai
Le 3 avril près de 500 000 travailleurs
manifestaient avec la constitution d’imposants cortèges dans certaines villes
(30 000 à Marseille, 10 000 à Bordeaux, 8 000 à Rennes, 15 000 à Pau….) et
malgré l’absence d’appel central à la grève, les grévistes étaient plus de 340
000 dans la fonction publique d’État, soit 32 %. Préparant son acceptation du
plan Fillon, la CFDT n’a pas appelé. Les « partenaires sociaux » ont
été reçus une dernière fois par le gouvernement les 18 et 22 avril puis le
gouvernement a annoncé que, comme il l’avait programmé, la concertation était clause
et que le projet ferait l’objet d’une communication au conseil des ministres le
7 mai. Le jeudi 24 avril, à la télévision, François Fillon débattait
"cartes sur table" avec Bernard Thibault et Guillaume Sarkozy
représentant du MEDEF. Bien entendu, le contenu était identique pour
l’essentiel à celui rendu public mi-mars : « harmonisation progressive du public et du privé, augmentation de
la durée de cotisation pour tous et la retraite « personnalisée » (Le
Monde du 24/03/2003).
A nouveau, le 1er mai, les manifestations
sont relativement massives (300 000 manifestants environ). Les syndicats de
l’enseignement public décidaient d’appeler à une journée de grèves le 6 mai, à
la veille de la présentation du projet au conseil des ministres tandis que les
confédérations appelaient à une journée nationale d’action le 13 mai et que la
CGT proposait une manifestation nationale à Paris le dimanche 25 mai. De leur
côté les dirigeants de la FSU annonçaient au programme entre le 13 et le 25 mai
« M.Aschieri envisage d’autres initiatives,
« reconduction des grèves » et autres « journées de manifestations » (Le Monde du 3/05/2003).
Le 6 mai, quatrième journée de grève dans
l’Education depuis la rentrée scolaire, les manifestations et les grèves bien
qu’ayant une ampleur relativement limitée au plan national ont été révélatrices
de la volonté de combat des travailleurs de l’enseignement public. En réalité,
les dirigeants des syndicats enseignants se sont évertués à disloquer le
mouvement en poussant aux grèves reconductibles localement et en ordre
dispersé, en se refusant à appeler à la grève générale des enseignants et des
personnels de l’enseignement et en n’ouvrant que la perspective d’actions
éparpillées. De fait les grèves sont massives et nombreuses mais alors que les
uns décident de s’engager, les autres décident de rentrer en attentant le 13
tandis que certains qui ont fait grève pendant déjà plusieurs semaines depuis
le mois de mars décident une interruption. Le 6 mai au soir, les enseignants
étaient appelés à des journées nationales d’actions le 13, le 19 (baptisée « temps fort national d’action »)
et le 25 mai.
Des centaines et des
centaines de motions : retrait du plan Fillon ! appelez à la grève
générale !
Pourtant à partir du 6 mai, ce sont des
centaines de motions et résolutions qui seront adressées aux dirigeants du
SNES, du SNUIPP, de la FSU de l’UNSA-éducation pour qu’ils exigent le retrait
du plan Fillon. Par ailleurs du fait du refus des fédérations de fonctionnaires
dans les autres secteurs que celui de l’enseignement public, pour l’essentiel,
les grèves qui s’enclenchent restent limitées à l’éducation.
Mais, pour autant, les assemblées générales qui
se tiennent aux impôts, dans les hôpitaux, dans les entreprises publiques et
même dans le secteur privé s’adressent aussi aux dirigeants des fédérations et
des confédérations pour qu’elles appellent à la grève générale. Des centaines
de sections syndicales, des dizaines d’Unions départementales prennent
position. Jusqu’au début du mois de juin, c’est un flot ininterrompu d’adresses
qui parvient aux dirigeants des fédérations et des confédérations.
Le 8 mai Thibault tenait toujours son cap. Dans Le
Monde du 8/05/2003, il déclarait :
« Je remarque que le gouvernement est
obligé de tenir compte de l’émotion (sic !) suscitée par son projet de
réforme. Il va continuer de souffler le chaud et le froid, d’entretenir un faux
suspense sur des décisions qui ne porteront qu’à la marge.(…).On ne décrète pas
la grève générale devant une assemblée de 2000 personnes. Le 13 mai doit être
une grande journée de grèves et de manifestations. L’UNSA et la FSU sont
d’accord pour préparer une manifestation nationale à Paris le 25 mai. Si le
gouvernement maintient son cap au conseil des ministres du 28 mai, c’est qu’il
choisit l’épreuve de force. Nous préparons à cette éventualité.(…) Nous voulons
que MM. Raffarin et Fillon ouvrent de véritables négociations sur d’autres
bases ».
La signification politique d’une telle
déclaration est limpide. Elle indique au gouvernement Chirac-Raffarin :
vous pouvez continuer à mettre en œuvre votre plan jusqu’au 28 mai…après nous
ajusterons si nécessaire. En quelque sorte, Thibault confirmait son accord avec
la « feuille de route » du gouvernement.
le 13 mai
Le 13 mai répondant à l’appel des confédérations
et des fédérations syndicales, le prolétariat a massivement démontré sa volonté
de combat pour arracher le retrait du plan Fillon. L'ampleur des manifestations
dépassait celles de novembre-décembre 1995, même celle du 12 décembre. Plus de
2 millions de travailleurs dans la rue, des grèves nombreuses et massives en
particulier dans les entreprises publiques et chez les fonctionnaires. 250 000
manifestants à Paris, 200 000 à Marseille, 100 000 à Toulouse, 80 000 à
Bordeaux, 50 000 à Lyon et à Grenoble.
Les mots d’ordre : retrait du plan Fillon, 37, 5
annuités pour tous, abrogation des décrets Balladur, non à la décentralisation
sont massivement scandés. Dans les cortèges, de nombreux manifestants exigent
de Thibault, Blondel et Aschieri qu’ils appellent à la grève générale.
Le 13 mai au soir Thibault maintenait le cap. CPS Nouvelle série n°12 (n° 94) du
31/05/2003 résumait :
« Interviewé
au soir du 13 mai sur France 2, sourire aux lèvres, Bernard Thibault, pour la
direction CGT, reprenait mot pour mot
l'avertissement lancé par Raffarin le 7 mai "ce n'est pas la rue
gouverne". A la question de savoir s'il demande le retrait du plan Fillon,
il biaise : "nous demandons de nouvelles négociations, sur d'autres
bases". A la question de savoir s'il compte appeler à la grève générale,
il répond : "si le gouvernement s'obstine, il fera le choix du rapport de
forces" ».
Comme suite au 13 mai Bernard Thibault
annonçait :
« Le
secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault, invite demain l’ensemble des
autres syndicats à préparer « une grande marche sur Paris en famille,
parce que la retraite concerne tout le monde ». (Libération du 14/05/03).
Dans le sillage de Thibault, la confédération FO
s’exprimait, tout en se ralliant à l’initiative du 25 mai :
« FO
a appelé dès mardi soir, ses unions départementales à « soutenir toutes
les initiatives de grève et de reconduction ». En précisant « La
pression doit continuer dans les jours à venir pour que le gouvernement revoie
sa copie ; » (Le Monde du 15/05/03).
Le 15 mai au petit matin François Fillon
convoquait à une ultime réunion de négociations. L’ensemble des confédérations
s’y rendaient. Les négociations s’interrompaient dans la matinée puis :
«A
midi, M. Fillon reçoit longuement M. Chérèque. Peu après, le conseiller social
de M. Raffarin, Dominique-Jean
Chertrier, rencontre des responsables de la CFTC et de la CGC. Un nouveau
rendez-vous est fixé à 17 heures, au ministère du travail. La CGT fait vite
savoir qu’elle n’y assistera pas. Les autres centrales s’exécutent. M. Cazettes
(CGC) arrive le premier suivi de Jacques Voisin (CFTC), Guillaume Sarkozy
(MEDEF), Bernard Devy et Roland Gaillard (FO). François Chérèque ferme le ban.
La négociation reprend, mais la délégation FO claque la porte un quart d’heure
après, non sans se plaindre d’avoir été « tenue à l’écart » de la
préparation des discussions à Matignon. (…) Au même moment, à Matignon, le
secrétaire général de FO, Marc Blondel, assiste à la remise d’une médaille par
M. Raffarin. Une bonne occasion de maintenir le contact malgré les sujets qui
fâchent… » (Le Monde du 17/05/03).
Comme en novembre-décembre 1995, la CFDT
révélait au grand jour sa nature d’organisation bourgeoise, corporatiste,
cléricale et réactionnaire. Elle plongeait la première suivie par la CGC. Le 16
au matin, Fillon prévenait «Il y a
toujours des contacts. Il n’y a plus de négociations»
Le 15 mai 2003 au soir, l’intersyndicale
CGT-FO-FSU-UNSA adoptait la déclaration suivante :
«
Les organisations syndicales nationales CGT, CGT-FO, UNSA, FSU exigent l’ouverture
de véritables négociations sur de toutes autres bases que celles sur lesquelles
s’enferme le gouvernement, et qui ont été affirmées dans la déclaration commune
du 7 janvier 2003.
Les
organisations syndicales apportent tout leur soutien aux multiples actions en
cours dans les entreprises, les établissements, les bureaux, les localités et
aux grèves et actions unitaires du 19 mai qui s’inscrivent dans le processus
d’actions interprofessionnelles développé depuis le début de l’année.
Le
journée du 25 mai doit être une étape décisive de ce processus et sera
prioritairement marquée par l’organisation d’une très grande manifestation
rassemblant un maximum de salariés de toute la France à Paris le 25 mai. Les
organisations syndicales se reverront pour les suites à donner à cette
action ».
En clair était maintenu autour de Thibault, le
« front unique » des confédérations et des fédérations pour
disloquer, casser, émietter le potentiel de combat dont le prolétariat avait
fait preuve le 13 mai. Une véritable trahison. En renvoyant "les
suites" après le 25 mai, ils faisait peser sur les grèves engagées dans les transports urbains un isolement
mortel. Dans ces conditions, Le Monde du 17 mai 2003 pouvait constater
« Les grèves se sont arrêtées sauf
dans l’éducation nationale ».
Le PS s’embrase
Les 16, 17 et 18 mai se tenait le congrès du PS.
Dans le cours de la préparation du congrès, aucune des composantes du PS
n’avait clairement pris position sur la question de la réforme des retraites.
Aucun courant, pas même le « Nouveau Monde » dirigé par Henri
Emmanuelli et Jean-Luc Mélanchon, ne s’était prononcé contre une
"réforme" visant à aligner le régime des fonctionnaires et l’ensemble
des régime particuliers sur le régime général. Le 9 mai une réunion du groupe
parlementaire avait même pris position en faveur « du passage aux 40 annuités de cotisation pour le secteur
public » (Le Monde du
9/05/03).
Mais, entre temps, les masses sont entrées en
mouvement. Leur imposante démonstration de force du 13 mai a eu une répercussion
immédiate au sein du PS. A l’occasion de son congrès. Le congrès recevait en
grande pompe Bernard Thibault, entonnant l’Internationale (« une salle en délire » commentera le Journal du Dimanche du 18/05/2003), et
osait adopter, certes une position le doublant complètement sur sa gauche. Une
résolution unanime revendiquant :
« Nous
exigeons le retrait des mesures Ferry qui font peser de lourdes menaces sur
l’école de la République… Nous exigeons avec la même fermeté le retrait du
projet Raffarin-Fillon qui entraînerait une baisse inacceptable du montant des
retraites, la fin de la retraite à soixante ans, la mise en péril de la retraite par répartition et le
recours inéluctable à la capitalisation »
Dans son discours de clôture du congrès,
François Hollande exigeait « le
retrait des projets Fillon et Ferry » (Le Monde du 20/05/2003)
Dans la foulée, le PS appelait à manifester le 25 mai, rompant d’une certaine
manière avec l’orientation de Jospin de novembre-décembre 1995.
Cette prise de position a semé la zizanie au
sein du PS, Kouchner, Delors, Charasse et Rocard (à propos de ce dernier Fillon
a déclaré « Il y a des types, comme
Michel Rocard, qui m’appellent toutes les semaines pour me dire « tenez bon ! » Le Monde du
26/04/2003) sont montés au créneau
pour manifester leur approbation du plan Fillon.
Même si, par la suite, les dirigeants du PS ont
rectifié leur position en fonction de la tournure des événements, il est
remarquable, que le 18 mai, la seule organisation parmi les organisations ouvrières
traditionnelles qui en tant que telle ait pris position pour le retrait du plan
Fillon soit le PS. A vrai dire après le 13 mai, était ouverte la possibilité
que soit engagée la lutte pour que le gouvernement Chirac-Raffarin soit défait
et que par la même son existence soit remise en cause. Tout pouvait basculer.
La clef était entre les mains de Thibault, Blondel et Aschieri. Mais au compte
du gouvernement, les dirigeants syndicaux ont jugé qu’il était possible de
tenir bon.
19, 22, 25 et 27 mai
Le 19 mai, à nouveau, plus de 800 000
fonctionnaires manifestaient tandis que le mouvement de grève dans l’Education
nationale perdurait, dans des conditions totalement désorganisées. On pourrait
parler de "décentralisation" appliquée aux grèves.
Le 19 mai au soir, dans France-Soir, Thibault déclarait :
« Si
la démarche politique se modifie, si on accepte de réelles négociations, on
peut aboutir à une réforme en trois ou quatre mois, y compris, je le dis
clairement, avec une signature de la CGT si cette réforme correspond à nos
besoins et à nos attentes (…) Il n’y a pas de refus de principe, d’opposition
culturelle de la CGT à l’approbation d’accord ».
A l’issue de cette journée de grève, face à la
mobilisation des enseignants qui ne fléchissait pas, les fédérations de
l’enseignement décidaient d’appeler à « une
nouvelle journée nationale de mobilisation » pour le jeudi 22 mai en
exigeant, dans un communiqué commun:
« l’ouverture de véritables négociations
sur le retrait du projet de loi sur le transfert des personnels, le maintien
des surveillants et des aides-éducateurs, l’éducation comme priorité, et sur
les retraites [ quand même – ndlr ] ». (Le Monde du
21/05/2003).
Avant même la manifestation du 25 mai, les
fonctionnaires étaient appelés à une nouvelle journée d’action le 27 mai. Mais
déjà les dirigeants de la CGT avançaient la perspective d’un nouveau
« grand rendez-vous » le 3 juin. Alors que le projet de loi devait
être présenté devant le conseil des ministres
le 28 mai. Pour justifier la date du 3 juin, les dirigeants de la CGT donnaient
le ton. Le Monde du 22 mai
rapporte :
« Le
pays va-t-il basculer dans le grève générale ? Si de nombreux cortèges de
FO défilaient, lundi 19 mai, en réclamant une « grève générale
interprofessionnelle », c’est bien le calendrier conçu par la CGT qui
s’impose. Depuis le début du conflit, Bernard Thibault explique «une grève
générale ne se décrète pas en appuyant sur un bouton ». Et que la
confédération saura prendre « ses responsabilités » se préparant à
l’épreuve de force ».
Celle-ci,
si elle doit avoir lieu, est reportée début juin. A ceux qui voient dans le 2
juin une date « trop éloignée du dimanche 25 mai », ne permettant pas
le maintien de la mobilisation, Jean-Christophe Le Digou, pour la direction de
la CGT, répond par la nécessité de « gagner la bataille de l’opinion
publique ».
Il
est vrai que la semaine prochaine est marquée par le jeudi de l’Ascension et le
pont qui l’accompagne. «Le gouvernement a tactiquement choisi son calendrier et
présente la réforme au conseil des ministres la veille de l’Ascension»,
rappelle M .Le Digou (…) «Ce ne sont pas des conditions idéales pour lancer
un mouvement d’ampleur», résume le secrétaire confédéral de la CGT. ».
Encore et encore , les 22, 25 (malgré les
manœuvres, en particulier de la CGT, pour limiter la montée sur Paris et
diminuer le chiffre des manifestants, supérieur au million), le 27 mai, les
manifestations seront massives, des centaines de milliers de travailleurs
scandant « grève générale ».
Le 25 mai, Thibault précisait dans le Journal du Dimanche:
"Arrêtons
d'agiter ce vieux chiffon rouge (sic! – Ndlr). Nous ne faisons pas une
manifestation avec l'objectif de renverser le gouvernement. Ceux qui sont dans
la rue étaient parmi les plus mobilisés le 1er mai, l'an dernier,
pour défendre les principes républicains (re-sic!- Ndlr)"
De son côté, Blondel répondait presque en direct à
l'exigence des manifestants du 25 mai, interviewé pendant la manifestation:
"appeler à la grève générale ça veut
dire vouloir faire sauter le gouvernement".
Dans Le Monde
du 27 mai, il complétera :
« J'ai
utilisé à dessein les notions d’amplification", de
"généralisation", de "coordination". Mais j'ai quelques
craintes à employer le terme de "grève générale
interprofessionnelle". Qu'on le veuille ou non, il renvoie à l'idée
d'insurrection et, bien sûr, à une lutte politique contre le
gouvernement. »
Dans
la foulée il proposait :
"Il
faut discuter avec le gouvernement, qui, je le regrette, a été la plume du
MEDEF (…). Il faut faire jouer tous les paramètres en matière de retraite.
Créons un mouvement, et si tous les paramètres bougent, pourquoi pas la
durée ! (…) Je suis prêt à faire des ouvertures ».
Le 28 mai au soir, alors que le
gouvernement avait adopté le jour même en conseil des ministres le projet de
loi et programmé l’ouverture de la discussion à l’Assemblée nationale le 10
juin, CGT, FO, UNSA et FSU adoptaient une nouvelle déclaration commune :
«(…)
les organisations syndicales CGT, CGT-FO,UNSA, FSU réaffirment leur exigence
d’une véritable négociation et d’un débat démocratique pour construire le
projet de réforme permettant de garantir l’avenir de nos retraites. Alors que
les actions et les grèves sont décidées et se développent dans de nombreux
secteurs, y compris dans les entreprises privées, CGT, CGT-FO,UNSA, et la FSU
appellent les salariés à amplifier la mobilisation. Dans cette démarche, elles
mettent tout leur poids.
En
effet, seule une généralisation du mouvement, privé-public, et s’inscrivant
dans le durée, pourra faire revenir le gouvernement sur ces choix néfastes.
Dans cette perspective, CGT, CGT-FO,UNSA, et la FSU appellent les salariés à
faire de la journée du 3 juin un rendez-vous majeur de grèves et de
manifestations. Elles sont prêtes à donner, avec eux, à cette journée, tous les
prolongements indispensables. ».
Ni pour les dirigeants de la CGT,
ni pour ceux de FO, pas question d’appeler à la grève générale ; pas
question aussi, alors que le gouvernement venait de donner la date d’une
échéance décisive, celle du 10 juin avec l’ouverture de la discussion au parlement, d’appeler, comme la situation l’imposait alors, à une
manifestation centrale et nationale de
millions de travailleurs à Assemblée
nationale pour exiger et imposer le retrait du plan Fillon. Le nouvel appel à l’ouverture d’une « véritable négociation » indiquait clairement au
gouvernement qu’il pouvait s’engager dans l’ultime étape de son plan .
Dernières petites combines
Aux derniers jours de mai, la
mobilisation des enseignants était loin d’être résorbée. Il restait au
gouvernement et aux dirigeants syndicaux à gagner le temps nécessaire jusqu’à
l’ouverture de la période des examens, et notamment le baccalauréat, puis des
vacances. Le 27 mai le gouvernement convoquait un "comité interministériel sur l’éducation" qui ouvrait la porte à
des négociations sur la question de la décentralisation. Dans le même temps,
les commis de l’Ėtat à la direction de la SNCF, de la RATP et d’EDF/GDF
multipliaient les déclarations et les notes internes pour dire que les
travailleurs de ces entreprises n’étaient pas touchés par le projet de loi
Fillon.
Dans ces conditions, les grèves
programmées le 3 juin ont été suivies d’une manière très limitée. Rapidement,
ces grèves, toujours contrôlées par la CGT, en particulier à la SNCF et à la
RATP, se sont effritées : le 6 juin, à la SNCF et la RATP, « le trafic était
redevenu normal », perturbé seulement par les actions « coups de poing » impulsées
pour la plupart par l’appareil de la CGT et SUD, les militants de la LCR et de
LO.
Faute de perspective, les
travailleurs ne se sont pas véritablement engagés. Une nouvelle journée de
grèves et de manifestations était convoquée pour le 10 juin par
l’intersyndicale CGT-FO-FSU-UNSA afin de provoquer une « réplique cinglante au
gouvernement » (Le Monde du 5/06/2003)et dans le même temps une manifestation était
annoncée… à Marseille le 12 juin… avec la participation de Thibault et Blondel.
Commentant la journée du 3 juin, Le
Monde indiquait « La mobilisation faiblit, M.
Raffarin affirme sa détermination » (Le Monde du 4/06/2003).
Les 2 et 3 juin s’ouvraient les
négociations sur le projet de loi sur la décentralisation, Nicolas Sarkozy
ayant été chargé du dossier pour seconder Luc Ferry. Les dirigeants de la FSU,
de la FERC-CGT, de l’UNSA-Education, du FAEN et du SGEN-CFDT ont accepté de s’y
rendre et de participer. Après une semaine de « concertation », la
FSU plongeait. Elle considérait comme positive « l’avancée » du
gouvernement de restreindre l’application du projet de loi sur la décentralisation
à 100 000 (les techniciens et ouvriers
de services) au lieu de 110 0000 (les médecins, les assistants sociaux et les
conseillers d’orientation étant provisoirement épargnés). Dans le même temps
elle multipliait les garanties sur le fait que l’organisation des examens ne
serait pas perturbée, laissant sur la question les enseignants livrés à
eux-mêmes.
Le 10 juin : les
dirigeants de la CGT jusqu’au bout, contre la manifestation à l'Assemblée
nationale
Le 10 juin une nouvelle journée de
grèves et de manifestations étaient
convoquée par l’intersyndicale CGT-FO-UNSA-FSU. C’était le jour de l’ouverture par Raffarin de la discussion à l’ Assemblée nationale. Encore une
fois des centaines de milliers de travailleurs ont manifesté (plus de 1,5 millions
selon les syndicats, 400 000 selon la police).
A Paris il y avait probablement près de 200 000 manifestants. Selon Le Monde du 12
juin 2003, le mot d’ordre « Raffarin démission » était largement repris
dans certaines parties du cortège. Incontestablement, arrivés place de la
Concorde et appelés à se disperser, de nombreux manifestants ont refusé
d’obtempérer en voulant se diriger vers l’Assemblée nationale . Mais la direction de la CGT avait pris ses
dispositions. Le Monde du 12
juin 2003 rapporte :
« Dès
17 heures, alors que les premiers cortèges arrivaient au contact des grilles
barrant l’accès au pont de la Concorde, les gardes mobiles recevaient l’ordre
de mettre leur casques. Et tiraient, à
17 h 10, les premières grenades lacrymogènes. Le service d’ordre (SO) de
la CGT prenait alors position devant le pont. Dans le long face à face entre
manifestants qui voulaient aller jusqu’aux grilles et le « SO », les
coups de gueules se sont multipliés. Quelques claques ont mêmes été échangées
avec des cheminots GT. Un membre du SO ramassant une carte CGT jetée
rageusement explique, blasé : « Je vais lui renvoyer, je
comprends qu’il soit en colère ».
Les
organisations syndicales redoutaient une manifestation parisienne plus tendue,
et la CGT avait renforcé le dispositif de sécurité en tête de la
manifestation. ».
A l’image de Bernard Thibault, les
dirigeants de la CGT ont veillé au grain jusqu’au bout : ils ont fait en
sorte que toute velléité de s’en prendre directement au gouvernement
Chirac-Raffarin, à sa majorité UMP, même
symbolique et désespérée, soit annihilée.
12 juin : Thibault…et
Blondel convoquent à un enterrement de première classe
Le 12 juin, Thibault (CGT),
Blondel (FO), Aschieri (FSU) et Olive (UNSA) ont convoqué à une manifestation
et un grand meeting à Marseille. Comme il a été déjà souligné, le plus loin
possible de l’Assemblée nationale… Le gouvernement Chirac-Raffarin a pu se
permettre une dernière humiliation de ses fidèles serviteurs. Par la voix du
maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin, l’une des figures de proue de l ’UMP,
l’accès au stade vélodrome de Marseille leur a été interdit pour tenir leur
meeting. Lamentablement, ils se sont écrasés et ont fait monter une tribune à
l’entrée.
En réalité il s’agissait d’un
enterrement de première classe. Une
dernière fois a pointé l’aspiration des travailleurs à engager la lutte contre
le gouvernement Chirac-Raffarin : à plusieurs reprises, selon la presse,
les orateurs ont été interrompus par le slogan « Grève générale, on est prêt ! Et
vous ? ». Mais il est clair qu’à ce moment, la partie était
jouée en faveur du gouvernement.
Bernard Thibault se faisait copieusement siffler et interrompre. Le Monde du 13
juin rapporte
«Bernard
Thibault, premier à prendre la parole, devait rappeler les thèmes de la
campagne pétitionnaire contre la réforme des retraites. Incitant les militants
à rencontrer l’opinion publique, à recueillir des millions de signatures et le
cas échéant à porter aussi la contradiction aux élus de l’UMP, jusque dans leur
permanences ».
Répondant
aux manifestants à propos de la grève générale, il se permettait de rétorquer « Si nous nous y mettons, peut-être que cela
va se produire ».
Marc Blondel suscitait la claque en « maintenant sa proposition d’appel à
la grève générale » (« une formule pourtant
prudente » souligne à juste titre Le Monde du 14/06/2003), grossier
effet de tribune visant à faire oublier que pendant des semaines, dans le
sillage des dirigeants de la CGT, ceux de FO, s’étaient opposés à ce mot
d’ordre. Pour Blondel et ses proches conseillers , alors que les carottes
étaient visiblement cuites, il
s’agissait de tenter de plumer la volaille et de faire porter le chapeau aux
dirigeants de la CGT et de la FSU.
Une nouvelle journée de
mobilisation était annoncée pour le 19 juin…La messe était dite.
Premier bilan politique
Tirant un bilan du mouvement de
novembre-décembre 1995, CPS n° 61 du 20 janvier 1996 expliquait :
« A
l’évidence tous ceux qui prétendent que ces mouvements n’était pas politiques
sont des demeurés, des imbéciles et/ou des alliés du gouvernement Chirac-Juppé,
de fieffés coquins, des traîtres avérés. Toute lutte revendicative d’envergure,
alors que s’accentue la crise du régime capitaliste, que s’aggrave la décadence
de l’impérialisme français a obligatoirement un caractère politique. Mais cette
fois, c’est l ‘évidence, se sont affrontés une grande partie du
prolétariat et de la jeunesse au compte de l’ensemble de ceux-ci et le
gouvernement du grand capital, de la réaction noire. A supposer que les
travailleurs participants à ces mouvements n’en aient pas eu conscience, il
fallait le leur montrer. Mais c’est le contraire qui fut fait : au fur et
à mesure que se sont succédées les manifestations, les mots d’ordre contre le
gouvernement pour le chasser se sont multipliés. Par contre, les Blondel,
Viannet, Le Nouanic, Jospin, Hue et leurs flancs-gardes de Lutte Ouvrière, de
la LCR, du Parti des Travailleurs ont fait tout ce qui leur était possible pour
empêcher que s’engage le combat ouvert contre le gouvernement Chirac-Juppé pour
le vaincre et le chasser.
Blondel,
la direction de Force Ouvrière, Viannet, la direction de la CGT, les directions
des fédérations, de la FSU, de l’ex-FEN se sont dressés contre l’appel à la
grève générale, contre la réalisation d’une formidable manifestation nationale
à Paris, à l’ Assemblée nationale, d’une descente massive là où siège le
gouvernement. Plus encore, les directions des fédérations, des syndicats se
sont refusées à appeler à la grève jusqu’à satisfaction dans nombre
d’entreprises publiques, de ministères, à l’ Education nationale et
ailleurs ».
Appliquées au mouvement contre la
réforme Fillon, ces lignes restent d’une totale actualité. En posant à
l’adresse des dirigeants des confédérations et des fédérations, dès le mois de
mars pour certains d’entre eux, la question de la grève générale, les
enseignants, les fonctionnaires, les travailleurs des entreprises publiques
mais aussi les travailleurs de nombreuses autres corporations indiquaient
qu’ils étaient prêts à s’engager dans la lutte politique pour défaire, vaincre
et chasser le gouvernement Chirac-Raffarin. Dans Encore une fois où va la France ? fin mars
1935, Léon Trotsky écrivait :
« Quels
que soient les mots d’ordre et le motif pour lesquels la grève générale ait
surgi, si elle embrasse les véritables masses et si ces masses sont bien
décidées à lutter, la grève générale pose inévitablement devant toutes les
classes de la nation la question : « Qui va être le maître dans la
maison ?»
Grève reconductible, grève
interprofessionnelle ou grève
générale ?
Thibault et Blondel ont a
plusieurs reprises, après le 13 mai, dit ouvertement, chacun à leur manière
pour quelle raison ils s’opposaient à la grève générale. Ils ont en définitive
expliqué que s’engager dans cette voie, c’était effectivement poser la question
« qui va être maître dans la maison ? », en d’autres termes
remettre en cause l’existence du gouvernement Chirac-Raffarin et ouvrir la voie
à ce que le mouvement des masses pose pratiquement la question d’un autre
gouvernement, d’un gouvernement à leur service, un gouvernement du front unique
de leurs organisations, partis et syndicats, dont elles exigeraient la
satisfaction de leurs revendications.
Dans leur combat contre la grève
générale, Thibault et Blondel ont reçu un soutien politique bien utile de la
LCR, de LO et du PT, organisations présentées comme les trois principales
branches du "trotskysme".
Pendant des semaines la LCR s’est
faire la championne de la grève reconductible, parfois qualifiée aussi de grève
générale reconductible. Ainsi son porte-parole Olivier Besancenot déclarait au Monde du 15 mai :
« Question :
Il y a quelques jours, vous appeliez à la grève générale. N’est-ce pas une
façon de passer par dessus la tête des syndicats et finalement de se substituer
à eux ?
Réponse :
Bien sûr que non. Aujourd’hui, la question de la grève reconductible divise la
gauche sociale et syndicale en deux camps : ceux qui veulent pousser et
ceux qui veulent freiner(…) la LCR est un courant qui existe, qui participe à
l’animation des grèves et qui tient un discours politique. Elle soutient tous
les appels qui vont dans le sens d’une grève générale reconductible (…) Je vois
que la FSU dans l’éducation ou les SUD appellent, eux aussi à la reconductible
- Sic !
- (…) C’est vrai que la direction confédérale de la CGT s’est pour le moment
seulement prononcée pour un prochain rendez-vous la 25 mai. Ce qui m’étonne.
Mais, de toute façon, on l’a bien vu en 1995, se sont les salariés qui jettent
les dés »
Concrétisation
de cette orientation, puisque « les salariés jettent les dés »
, lors du CDFN de la FSU du 26 mai 2003, les militants de la LCR présents en
nombre, ont rejeté avec la direction nationale de la FSU une motion disant « …le CDFN de la FSU appelle à la
grève générale des personnels de l’ Education nationale de la culture, de
l’enseignement agricole public (…) ». Clairement, la ligne de
« la reconductible »
s’opposait au combat pratique pour que les dirigeants appellent à la grève
générale.
De son côté, LO s’est exprimée
clairement et sans faire de fioritures … contre l'appel uni à la grève
générale, apportant infailliblement son soutien inconditionnel à toutes les
journées d’action et de mobilisation, appelant
comme les dirigeants syndicaux à amplifier la lutte. Couvrant le meeting
de clôture de la fête de LO, Le Monde commentait :
« Pour
LO, donc, s’ « il faut une riposte de tout le monde du travail »,
comme le proclame la banderole derrière Mme Laguiller, il n’est pas question
pour autant, d’en appeler à la grève générale. La porte –parole préfère parler
de la « nécessaire généralisation du mouvement qui sera l’œuvre des
travailleurs eux-mêmes » et souhaiter le succès des prochaines journées
d’action à venir « pour que la grève limitée se transforme en grève de
l’ensemble du monde du travail » ( Le Monde du 10/06/2003) » .
Pour ce qui est du PT, en réalité
de la politique du CCI, précédant de peu
Blondel, il s’est fait lui, le champion de la "grève générale
interprofessionnelle". D.Gluckstein, champion de la démocratie, concluait
ainsi son éditorial dans Informations Ouvrières n° 591, du 28 mai 2003:
« Pour
notre part, le Parti des Travailleurs, nous estimons que la reconquête de la
démocratie exige la rupture avec les diktats de l’ Union Européenne, le rejet
de « l’ Europe des régions » et la convocation d’une Assemblée
constituante souveraine, dans laquelle les délégués, mandatés et contrôlés par
le peuple souverain, définiront les contours et le contenu de la démocratie.
Qu’on
partage ou non cette opinion, on admettra qu’il n'y aura aucun pas dans le sens
de la démocratie sans l’ouverture immédiate, sans conditions, de négociations
entre le gouvernement et les syndicats sur la base du mandat des 13, 19, 25 et
27 mai : 37,5 pour tous, public-privé ; retrait du plan
Raffarin-Fillon et des mesures de décentralisation.
Le
gouvernement s’y refuse ? Alors, que reste-t-il comme recours aux
travailleurs, sinon d’en appeler comme ils le font dans leurs assemblées
générales, à la grève générale interprofessionnelle dans l’unité des
travailleurs, des fédérations et confédérations, pour la satisfaction des
légitimes revendications ? N’est-ce pas cela, la démocratie ? »
Comme Blondel au même moment, le
PT revendique l’ouverture de négociations. C’est en quelque sorte l’objectif
qui est donné à la "grève générale interprofessionnelle", qui bien
entendu n’est pas une revendication spontanée des travailleurs, ces derniers
exigeant tout simplement la grève générale. Quelques jours plus tard, Blondel
fera sienne, cette proposition. L’emploi des termes "grève générale
interprofessionnelle", par le PT et Blondel n’est pas anodin. Il s’agit
d’indiquer qu’en aucun cas la question de l’existence du gouvernement, du
combat pour le défaire n’est posée. Hors de "l’assemblée constituante souveraine", point de salut…
Comprendre pour agir
Refusant de rompre avec le
gouvernement et d’engager le combat contre lui les dirigeants syndicaux ont
tout fait pour que celui-ci reste le maître dans la maison.
Plus encore qu’en novembre-décembre
1995, les travailleurs et les jeunes ont cherché la voie pour contraindre les
dirigeants à rompre : c’est ce mouvement qui s’est cristallisé dans les
centaines et les centaines de motions et de résolutions qui leurs ont été
adressées. Mais les secteurs qui s’étaient engagés dans les grèves,
essentiellement les enseignants, n’ont pas encore trouvé les ressources
politiques pour surmonter l’obstacle. Les grèves
reconductibles, ou pas, ce n’était pas la grève, la
grève générale.
Les dirigeants des fédérations et
syndicats enseignants ont réussi à maintenir ce cadre disloqué et à enrayer le
mouvement naissant pour que se constituent de véritables comités de grève se
centralisant au niveau national et prenant en charge la direction de la lutte
politique pour briser la résistance des appareils.
Pour de nombreux travailleurs, la
défaite a un goût amer et ils ne peuvent que constater que le gouvernement
Chirac-Raffarin s'appuie sur sa victoire pour décupler son offensive au compte
du capital. Surmonter cette défaite, se préparer aux prochaines échéances de la
lutte des classes nécessite de reconnaître les faits et d’en tirer un bilan
politique.
En mettant depuis des mois au cœur
de sa politique la question de la défense des régimes des retraites contre les
appétits du Capital, l'exigence de la rupture des "négociations", en
combattant pour l'appel uni à la grève générale, puis pour la manifestation à
l'Assemblée nationale, notre Cercle a posé les jalons de ce qu'aurait été la
politique du Parti Ouvrier Révolutionnaire. Si un tel parti, ou au moins une
véritable organisation révolutionnaire, avait existé en ce printemps, la
situation politique aurait pu être modifiée. Il faut en tirer les conséquences
et contribuer à sa construction.
Le 24
septembre 2003