Article paru dans Combattre pour le socialisme n° 13, septembre 2003

 

Schröder annonce "l’année des (contre)réformes" ("Agenda 2010")

 


Grâce à 6 017 voix, le Spd, classé 1er parti aux législatives du 22 septembre 2002 devant la Cdu-Csu, a pu former un gouvernement qui ressemble au précédent : une coalition entre le parti ouvrier bourgeois et le parti bourgeois des Verts. Schröder, président du Spd, a succédé à lui-même, élu par 305 députés Spd et Verts sur 595 exprimés. Son discours de politique générale au Bundestag a été direct :

"Plusieurs acquis et règles de l’Etat-providence doivent être réexaminés à la lumière des réalités d’aujourd’hui."

 

Significativement, le ministère du travail dirigé par W. Riester, issu des rangs de l’appareil syndical a été substitué un ‘super-ministère’ de l'Economie et du Travail, dirigé par W. Clement, étiqueté proche du patronat et que Schröder avait accusé de jouer la ‘5ème colonne’ de l'opposition, pendant la campagne électorale. Il a fait adopter par le Bundestag les recommandations du rapport préparé par la commission Hartz, sous le nom de ‘services modernes pour le marché du travail’.

Par exemple, les chômeurs célibataires doivent accepter des emplois jusqu’à 200 km de leur domicile, avec un salaire égal à 80% de leur qualification, sous peine de suspension des indemnités de chômage, pendant un délai qui peut atteindre 12 semaines. Dans chaque agence de l’emploi, a été instaurée une ‘Personal-Service-Agentur’ qui met des chômeurs de longue durée à la disposition des patrons. Pendant 6 semaines, le salaire peut être limité au montant de l’allocation de chômage. La législation sur le travail temporaire qui ‘limite’ l’intérim à 24 mois et interdit le recours répétitif au même travailleur sera aboli. Etc. (Les commentateurs n’ont pu s’empêcher de s’arrêter sur l’arrogance de la formulation même des recommandations, avec l’usage du langage des ‘managers’ à l’anglo-saxonne, comme ‘job-centers’, placement ‘quick’, ‘job-floater’, sans oublier le ‘Ich-Ag’: littéralement "Moi-société anonyme").

 

Pour mettre en œuvre sa politique, le gouvernement bénéficie du soutien de l’appareil syndical. Les dirigeants ont une nouvelle fois refusé tout affrontement avec le gouvernement, à l’occasion des négociations salariales dans la fonction publique, où le gouvernement est directement partie prenante. Ce sera une augmentation de 4,4% sur 27 mois et le rattrapage de 10% des salaires au détriment des fonctionnaires des Länder de l’Est remis aux calendes grecques (2009 !). Quant au Spd, les 500 délégués avaient voté en congrès à la quasi unanimité - un seul contre, une abstention - le programme gouvernemental.

 

Pourtant, l’appareil syndical n’a pu, tout-à-trac, accepter la totalité du programme du gouvernement. Ainsi, il a refusé le projet formulé par Clement de restaurer une mesure du gouvernement Kohl qui avait dispensé les entreprises de 10 salariés ou moins d’appliquer le droit de licenciement, contre 5 salariés auparavant. Le gouvernement Schröder l’avait supprimée en 1998. Alors que le sommet du Dgb, mais aussi une partie du Spd, ont fait corps avec cette réaction, Schröder a dû désavouer son ‘superministre’. Simple manœuvre ! Schröder, pas moins qu'avant, cherche à faire prendre en charge par les dirigeants des organisations syndicales sa politique anti-ouvrière. Et ces derniers s’y soumettent autant qu’il est possible. Il a repris l’opération ‘Pacte pour l’emploi’, opération de négociation tripartite (gouvernement, dirigeants du Dgb et des principaux syndicats, patronat).

 

Ce sont la bourgeoisie et ses exigences qui vont provoquer la rupture. Lors de cette réunion, le 2 février, le Bda (Medef allemand) présente ses revendications : pouvoir déroger, par la loi ou par convention collective, à la convention collective; dispenser de la législation sur les licenciements les entreprises jusqu’à 20 salariés; une réduction massive du taux de cotisations sociales; il enjoint les ‘partenaires sociaux’ à contenir les augmentations salariales en-dessous des gains de productivité; etc.

La direction du Dgb est prête à discuter sur tel ou tel point, mais les patrons présentent les 6 points comme un tout indissociable ! Ce que les dirigeants syndicaux rejettent, bien sûr ! Dernière tentative, le 3 mars. Le patronat est inflexible; les dirigeants syndicaux ne peuvent évidemment reculer, mais, comme effrayés par l’impasse, ils demandent un programme de relance. Refus de Schröder qui doit se résoudre à congédier les ‘partenaires sociaux’.

On a assez parlé, il est temps d’agir’, déclare le président du Bdi (la Fédération des industriels allemands). Schröder a bien compris le message; lui aussi annonce : ‘Le temps de la négociation est fini, maintenant, c’est celui de l’action’. Le Frankfurter Allgemeine, un organe du capital financier, exhorte Schröder à se comporter comme Thatcher après ‘l’hiver de mécontentement’ de 1979. Les conditions politiques n’ont pas été aussi favorables depuis longtemps. Le Spd subit, ce début février une déroute sans précédent aux élections régionales en Basse-Saxe, fief du chancelier, et en Hesse (1er test électoral depuis les législatives, concernant 10,5 millions d'électeurs, ses plus mauvais résultats de l'après-guerre). Le secrétaire général du Spd, O.Scholz, a reconnu cette défaite ‘Le message est clair, mais nous continuerons à poursuivre notre politique de réformes’.


 Aujourd’hui, nous exigeons des sacrifices de la société” (Schröder, le 14 mars)


Les mesures présentées ne sont pas inattendues. Ce qui ressort du discours de Schröder au Bundestag, c’est leur ampleur, leur brutalité. Des pans entiers des acquis du prolétariat sont mis en cause. Un ‘tabou est brisé’: la formule prolifère dans les commentaires. Avec délectation. Aperçu de l’Agenda 2010.

Jusqu’à présent, les allocations de chômage sont versées pendant 12 à 32 mois (en fonction de l’âge et de la durée de cotisations antérieures) correspondant à 67% des revenus antérieurs nets (s’il a des enfants). Après il a droit, pour une période illimitée, à l’assistance-chômage, payée par le budget fédéral, éventuellement augmentée d’une aide sociale, payée par les municipalités. Désormais, les allocations de chômage ne seront versées que pendant 12 mois (18 pour les plus de 55 ans). Les fins de droits (1 800 000 chômeurs le sont depuis plus d’un an) devront se contenter de l’aide sociale (qui ‘absorbe’ l’assistance-chômage) : une sorte de Rmi. "Vae victis!" (Malheur aux vaincus !), entendait on dans la Rome antique. ‘Malheur aux chômeurs’. Schröder en donne une formulation moderne, ‘citoyenne’, du haut de sa tribune, au Bundestag :

‘Il ne sera permis à personne de vivre aux dépens de la communauté : ceux qui refuseront un emploi raisonnable devront s’attendre à des sanctions’.

Le droit de licenciement (jusqu’à 5 salariés) sera flexibilisé, les protections contre les licenciements remises en cause dans les très petites entreprises. Schröder informe les ‘partenaires sociaux’ récalcitrants – les organisations syndicales, bien sûr ! – s’ils refusaient "d’assouplir" les conventions collectives - qu’il légiférerait en ce sens. Dans un pays où la convention collective de branche (qui n’est pas nationale mais signée au niveau du Land) est un élément essentiel de ligne de défense de la classe ouvrière, c’est à une des revendications les plus obstinées du patronat que Schröder s’apprête à donner satisfaction.

 

Quant au système de santé, des coups très durs sont annoncés. Le principe est simple : se faire soigner coûtera cher pour beaucoup et plus cher pour tous les malades (consultations médicales, hospitalisation, réduction de prestations…). On entend ces commentaires amers : à l’annonce de la fin du remboursement des soins dentaires,‘désormais, on reconnaîtra les riches à leur bouche, comme dans les pays arriérés !

Les indemnités de congé-maladie seront, d’ici 2007, à la charge exclusive des travailleurs, les patrons étant désormais exonérés. Les choses n’ont d’ailleurs pas tardé.

Le 21 juillet, un accord sur ces mesures a été paraphé entre la ministre en charge et l’ancien ministre de Kohl, représentant "l’opposition" parlementaire Cdu-Csu-libéraux. Pour faire bon poids, Schröder a présenté un plan substantiel d’aide aux capitalistes du bâtiment. Depuis, la politique en faveur directement des capitalistes a été accentué. En juillet, Schröder annonce que le plan fiscal - 10% de baisse de l’impôt sur le revenu - sera mis en œuvre un an plus tôt que prévu.

 

Au mois d’août, la commission Rürup, mise en place par Schröder dès sa réélection, ‘a remis le résultat de ses travaux : 400 pages de sacrifices et, sans doute, encore plus pour ceux de demain.’, selon Le Monde (30/8) qui rapporte la réaction des dirigeants syndicaux : ‘C’est un désastre et une capitulation devant des traditions qui ne sont pas les nôtres’. Parmi les propositions: la retraite à 67 ans.


Opposition à la ligne Schröder


A la base du Spd, une opposition tente de se dresser contre le cours gouvernemental, alors que la direction a convoqué un congrès extraordinaire pour le 1er juin. Une douzaine de députés Spd se range à ses côtés. Le 13 avril, les délégués au congrès régional du Schleswig-Holstein remplacent le président par un opposant, présenté comme adversaire résolu de la politique de G. Schröder. Le 14, le chef du groupe parlementaire Spd, F. Münterfering convoque les députés contestataires. Le Ce du Spd apporte son soutien à G. Schröder (28 pour, 4 contre, 4 absentions).

L’opposition va se manifester au grand jour le 1er mai. Un million de personnes ont manifesté au total dans le pays, soit le double de 2002, selon la Dgb (la confédération ouvrière). Dans cette mobilisation, les manifestants veulent exprimer leur opposition à l’Agenda 2010. Ce sont les sifflements et les huées de 7 000 militants de la Dgb qui accueillent Schröder à Neu-Anspach, près de Francfort. Prenant la parole après lui, le chef de la Dgb, M. Sommer, doit prendre ses distances : “Je suis au Spd mais je n'ai pas la même opinion que lui”. Ces propos rapportés par l’Afp indiquent la nature de l’opposition des sommets de l’appareil syndical.

 

La Conférence du Spd à Hambourg, le 7 mai, rassemble des militants ‘en quasi-insurrection’, selon les termes du Monde (10/5). Des syndicalistes huent Schröder à son arrivée; à l’intérieur, son intervention est plusieurs fois interrompue. “Ce n’est pas pour instituer ces mesures que nous avons été élus”, martelait un avocat, vieil adhérent du Spd et responsable d’une section locale. Et un autre: on a besoin de réformes, mais pas sur le dos des travailleurs.


La douche froide


Le 1er juin, Schröder obtient 90% des votes des délégués au congrès extraordinaire. On estimait, quelques semaines auparavant que l’opposition à la ligne Schröder représentait la moitié du Spd. Schröder a joué du chantage à la démission. Les procédés bureaucratiques n’expliquent pas tout. Les députés ‘oppositionnels’ ont signé un manifeste ‘Nous sommes le parti’. Mais leurs propositions ne vont pas plus loin que le rétablissement de l’impôt sur les grandes fortunes (‘Au lieu d’assainir les budgets publics par la seule voie de réduction des dépenses, nous devrions taxer les grandes fortunes’ – cité par Imprécor). Cette opposition anti-libérale (‘Nous avons besoin d’accroître la demande des revenus faibles et moyens, pour que la demande privée soutienne la conjoncture et crée des emplois. Les droits des salariés ne sont pas un obstacle mais une précondition pour un travail productif et qualifié…’) n’offre en rien une alternative. Voilà pourquoi le chantage à la démission de Schröder - basta kanzler (chancelier) ! – et le rappel des 16 ans d’opposition que le Spd a vécu après la démission du chancelier Schmidt en 1982 ont si bien marché.

 

Au cours du mois de juin, le manifeste va réunir 20 000 signatures de membres du Spd, loin des 10% des 670 000 membres nécessaires pour organiser un référendum permettant de remettre en cause la ligne de la direction. Beaucoup de membres du Spd ‘votent avec leurs pieds’ : 20 000 adhérents l’ont quitté depuis le début 2003.


 Echec historique de l’Ig Metall


Le 2 juin – au lendemain du congrès extraordinaire du Spd - l’Ig Metall engage un mouvement de grèves dans les Länder de l’Est pour l’alignement de la durée de travail appliquée dans les länder de l’ouest (35 heures hebdomadaires en moyenne), les 310 000 métallos et électrotechniciens de l’ex-Rda étant au régime des 38 heures. Le 28 juin, K. Zwickel, dirigeant de l’Ig Metall, annonce l’arrêt du mouvement.

Le patronat allemand a refusé toute concession, utilisant la menace de ‘délocalisation’ dans les pays proches de l’Allemagne et qui seront intégrés en 2005 à l’Union européenne, si la mobilisation continuait. Il bénéficie du soutien ouvert du gouvernement Schröder-Verts. Quand K. Zwickel déclare ce jour : ‘la triste vérité, c'est que la grève a échoué’, tout le capital allemand exulte. Schröder n’est pas en reste : ‘Je suis très content que la grève soit terminée’. ‘Défaite en rase campagne d'Ig Metall ! Du jamais vu depuis 50 ans !’ (Les Echos - 8/7/2003)

 

En 1990, le gouvernement Kohl avait décidé, pour mener à bien la réunification, d’accorder la parité entre le mark de l’ex-Rda et le mark de la République fédérale; malgré l’opposition de la Bundesbank (et celle du Spd), qui voulait fixer le change en fonction du rapport des productivités entre les nouveaux Länder et ceux de l’Ouest, c’est-à-dire du simple au double. Ce taux aurait provoqué une chute brutale du pouvoir d’achat. C’est par crainte de réactions des masses laborieuses que Kohl a estimé nécessaire d’accorder ces concessions politiques. "L’unification monétaire" n’a pas pourtant aligné le pouvoir d’achat des nouveaux Länder. Dans les années suivantes, à la suite de puissantes mobilisations dans la métallurgie et dans le secteur industriel en 1991, les travailleurs, bénéficiant d’un écho favorable des masses de l’ensemble de l’Allemagne ont obtenu les promesses de l’Etat et des patrons de leur accorder progressivement les mêmes conditions qu’à l’Ouest. Ces engagements ne seront que partiellement tenus, alors que la logique du taux de profit a abouti à un immense chômage, et dans certains endroits, à de véritables déserts industriels. En 2003, c’est bien dans ces Länder de l’Est que le patronat a voulu l’épreuve de force et il s’est vu offrir ce retentissant succès.

Enfin, ça bouge en Allemagne”. La Frankfurter Allgemeine Zeitung jubile après ce “week-end mémorable. (…) Le gouvernement fédéral décide de baisser les impôts et Ig Metall échoue dans sa tentative d'imposer par la grève les 35 heures en Allemagne de l'Est”. Selon Courrier International, ce journal rappelle également les récents congrès des sociaux-démocrates et des Verts, au cours desquels “la gauche gouvernementale a décidé de réformer l'Etat-providence et de libéraliser le marché du travail ”. Quant au quotidien économique Handelsblatt, ce qui est peut-être plus important encore : la défaite du puissant syndicat Ig Metall . Trois semaines plus tard, K.Zwickel anticipe son départ de la présidence, prévu pour le prochain congrès fixé en octobre.


Crise dans la direction de l’Ig Metall


Ce n’est pas K.Zwickel qui a dirigé la grève pour les "35 heures". C’est le n° 2, J. Peters, prévu pour lui succéder à la présidence. Dès l’annonce de la grève, la campagne menée contre le syndicat et sa direction redouble de violence et se concentre contre J. Peters. Passons sur les attaques patronales. La direction du Spd a pris toute sa place. Jusqu’au gouvernement : le ministre de l'intérieur en personne, O.Schilly, a qualifié – sur la chaîne publique - Peters d'indigne “d’occuper une fonction de dirigeant syndical responsable”. Le fait essentiel est que l’appareil syndical s’est déchiré. Deux pôles s’affrontent.

Peters représente le cours “traditionaliste”. Dans l’affaire des '35 heures', il ne fait que revendiquer l’alignement sur les conditions obtenues dans la partie ouest. Encore, cet objectif doit être atteint en … 2009. Il veille, comme traditionnellement, à n’engager qu’une mobilisation limitée : “grèves d’avertissement” d’abord, des débrayages d’une heure pendant plusieurs semaines; le mouvement est engagé dans le Land de Saxe, puis étendu, au bout de 2 semaines, à Berlin et au Brandebourg. 11 000 grévistes, selon Le Monde, le 23/6, 7 230 selon Libération du 24/6 (quelques sites de production de pièces détachées pour automobiles et d’ascenseurs) qui rapporte les “menaces” de J. Peters : “Si on ne trouve pas un accord d'ici à la fin de la semaine (la grève aura commencé depuis 4 semaines !), a nous allons étendre la grève à l'Ouest”.

A l’autre pôle, les “modernistes”, représentés par B. Huber, le concurrent de J. Peters à la succession de Zwickel. Contre l’avis de celui-ci, l’appareil a désigné le 1er. Il s’agit de la fraction de l’appareil prête à se soumettre le plus étroitement aux besoins du capitalisme national, par exemple les membres des Conseils d‘entreprise. Ils sont naturellement alliés au gouvernement et à sa politique de prise en charge de ces besoins, s’affirment “constructifs” avec le gouvernement. La ligne de partage entre les 2 fractions dépasse la question des “35 heures”.

La résistance d’un syndicat tel que l’Ig Metall hypothèque le succès des objectifs du gouvernement Schröder. Le plus grand syndicat du monde ne doit pas sa force qu’à son nombre (2,6 millions de métallurgistes et de travailleurs du textile en 2002), mais surtout parce qu’il organise au cœur de la classe ouvrière dans le pays qui dispose de la plus puissante métallurgie et secteur manufacturier d’Europe.

Peters s’est prononcé contre l’Agenda 2010. Il a promis un automne “chaud”. On a vu ce que vaut le combat promis par Peters. Mais, la base de l’appareil cherche à faire écho aux aspirations des travailleurs - 80% des syndiqués, 9 600 métallos, avaient voté pour la grève dans les länder de l’est – et de cela la fraction Peters doit tenir compte.

“ “ En Angleterre, c'est M. Thatcher qui a détruit les syndicats. En Allemagne, nous le faisons tout seuls ”. Cette remarque désabusée d'un ancien dirigeant d'Ig Metall, citée par Der Spiegel résume l'état d'esprit au sein du monde syndical allemand, depuis la grande humiliation enregistrée il y a 10 jours. Les défections du syndicat se sont multipliées (88 000 depuis le début 2003), mais, si les métallos ont le cœur serré, une partie de la base n’entend pas se laisser dominer par l’abattement.” (Les Echos, 8/7)

Fin août, la 1ère partie du congrès de l’Ig Metall a bien sûr élu la nouvelle direction du syndicat, le tandem convenu entre les courants - J. Peters président et B. Huber vice-président, seuls candidats – mais avec respectivement 66% et 67% des votes (le précédent président, Zwickel, avait obtenu 88% des votes en 1999). Un exceptionnel vote de défiance de la part d’un tiers des délégués (sans qu’on sache dans quelle mesure, ces oppositions se recouvrent) !


Les résultats des législatives du 22 septembre 2002


Le Spd, seul parti ouvrier (bourgeois), a reculé sensiblement, en pourcentage d’exprimés, (-2,4%) par rapport aux législatives de 1998, alors que le pourcentage de votants a diminué de 3,1%. Il est probable que les électeurs qui ont manqué au Spd se sont réfugiés dans l’abstention, même si le vote de l’allié du Spd, les Verts, ont progressé de 1,9%. Il faut rappeler que le vote Spd en 1998 était lui-même inférieur aux suffrages obtenus avant 1980 : 42,7% des exprimés en 1969, 45,8% en 1972, 42,6% en 1976 et 42,9% en 1980 ; alors que la participation était supérieure (jusqu’à 91,1% en 1972).


 

% d'exprimés

Participation

Spd

Pds

Verts

Cdu/Csu

Fdp

Extdr

Autres

1990

77,8%

33,5%

2,4%

5,0%

43,8%

11,0%

2,1%

2,2%

1994

79,0%

36,4%

4,4%

7,3%

41,4%

6,9%

1,8%

1,8%

1998

82,2%

40,9%

5,1%

6,7%

35,1%

6,2%

3,3%

2,7%

2002

79,1%

38,5%

4,0%

8,6%

38,5%

7,4%

1,0%

2,0%

 


Certains ont présenté le résultat obtenu par le Spd comme “miraculeux”. Début mai, un sondage ne créditait-il pas la Cdu-Csu de 41% des intentions de vote, contre 31% pour le Spd ?

Début 2000, la Cdu était considérée comme “au bord de la débâcle” Le scandale des caisses noires touchait jusqu’à Kohl qui devra, malgré 25 ans de présidence, démissionner de la présidence d’honneur de ce parti; et aussi, le président en place, Schaüble. Cette crise faisant suite à l’effondrement de la Démocratie chrétienne italienne, Libération (24/1/2000) affirmait que la Démocratie chrétienne était en voie de disparaître du paysage politique européen, à l’exception de J-M. Aznar en Espagne.

 

Schröder montait en défense de la Cdu; il signait une “tribune libre” publiée par Le Monde (30-31/1/2000), titrée : “La crise d’un parti n’est pas une crise d’Etat.” (…)

Je pense que la Cdu trouvera la force de faire le ménage chez elle afin de surmonter ce scandale. Mon parti, le Spd, y a d’ailleurs un intérêt objectif…”. Il déclarait : “Notre système politique repose au moins sur 2 grands partis populaires. L’effondrement de la Cdu pourrait être le début de la haiderisation de la scène politique…”

 

On craignait donc un processus à l’autrichienne, avec l’émergence d’un Haider national, R. Schill, le “juge sans pitié” de Hambourg, dont le score (19,4%), “(fera) courir un frisson dans tout le pays” (Libération – 25/9/2001) après les élections du land de Hambourg. Mais, aux législatives de 2002, le Parti de Schill a échoué (avec 0,8% et 4,2% dans son Land). Les organisations d’extrême droite, elles aussi, se sont électoralement évaporées. (Le faux Haider d’Hambourg a, d’ailleurs, décidé récemment de disparaître de la politique.)

Le Spd a payé 4 ans de soutien au gouvernement Schröder-Fischer. Dans les dernières semaines, face à la guerre impérialiste qui se précisait contre l’Irak, le net refus affirmé par Schröder d’y faire participer l’Allemagne a sans aucun doute joué en faveur des candidats Spd. Pour mesurer le recul électoral du Spd, il faut le comparer à l’effondrement du Parti socialiste et au total du vote pour les partis et organisations ouvrières en France.

La presse bourgeoise française, dans son ensemble, a insisté sur le recul du Spd en cherchant à prouver sa dépendance par rapport aux Verts. Elle a ovationné leur chef : “Joshka superstar” (Le Monde), “Fischer, le Vert qui a fait gagner Schröder” (Le Figaro) “Le seul vainqueur est le parti écologiste” (Les Echos).


Soutien sans faille à un gouvernement de défense de l’impérialisme allemand


Après la réunification de l’Allemagne, la Cdu puis le gouvernement formé par le Spd et les Verts ont défendu les nouvelles ambitions de la bourgeoisie allemande. La question de la guerre en est le terrain le plus accompli. En 1995, pour la 1ère fois depuis 1945, le Bundestag a autorisé l’intervention, au titre d’opérations militaires, de l’armée allemande hors de la zone de l’Otan (en ex-Yougoslavie, suite aux accords de Dayton). 45 députés Spd ont voté pour. 4 Verts aussi. Depuis le début 2002, le gouvernement Spd Verts a élargi le champ d’intervention de la Bundeswehr avec l’envoi de soldats en Afghanistan, sous couvert de l’Onu. Quant à l’Irak, la position adoptée par le gouvernement est celle qu’il estime conforme aux intérêts de son impérialisme (cf. Cps 12). La politique défendue par le Spd a été formulée par J. Fischer au nom du nouveau gouvernement (en octobre 1998) : “Il ne s’agit pas de faire une politique étrangère “verte”, il s’agit de faire la politique étrangère de la République fédérale d’Allemagne…”. On peut substituer “social-démocrate” à “verte”.

Le 'chancelier des patrons' n’a jamais fait mentir son sobriquet. Sans vergogne, il avait affirmé au journal Le Monde (20/11/1999) :

Je ne pense pas, ou plutôt je ne pense plus, qu’il soit souhaitable d’avoir une société sans inégalités."


 Schröder entrera-t-il dans l’histoire comme le ‘libéralisateur’ du capitalisme allemand ?” (Les Echos – 02/2000)


En février 2000, le gouvernement Schröder-Fischer se vantait d’avoir adopté “la plus importante réforme fiscale” de l’histoire de la Rfa. Elle prolongeait les mesures initialisées dès 1998 par O. Lafontaine (le dirigeant de la gauche du Spd, qui sera ultérieurement débarqué du gouvernement après une campagne du patronat l’accusant de complaisance envers les revendications ouvrières). Le gouvernement s’est appliqué à baisser massivement l’impôt sur les sociétés et l’impôt sur le revenu. Si, formellement, tous les assujettis bénéficient de baisse d’impôt, le vrai cadeau est destiné aux riches (le taux maximum devait passer de 53% à 45%).

 

Un tournant de l’histoire de l’Allemagne…” La mesure qui a amené cet éloge du Monde (16-17/7/2000), c’est l’exonération, à partir de 2002, des plus-values réalisées sur la cession de participation détenues dans les groupes allemands. Jusqu’alors, elles étaient imposés à un taux compris entre 40 et 50%. Le président du directoire de Siemens s’est exclamé :

“La réforme fiscale est clairement un pas dans la bonne direction. Elle va même beaucoup plus loin que ce à quoi je m’étais attendu.”

Quand la majorité chrétienne-démocrate et libérale au Bundesrat (représentant des Länder) a rejeté le projet, le grand capital l’a rappelée à l’ordre : “Nous avons besoin maintenant de la réforme fiscale.” (déclaration publique du patron de Bayer le 12/7/2000); le 14, le Bundesrat l’adoptait!


Premières attaques contre le régime des retraites


La contre-réforme ( “la réforme vraiment historique des assurances retraite”, selon Schröder) adoptée en 2001 comporte 2 volets. D’une part, une réduction, année par année, du taux de pension de retraite par rapport au salaire grâce à une indexation appropriée. D’autre part, l’instauration des fonds de pension privés, dont la mise en place doit beaucoup aux directions syndicales (celle de l’Ig Metall, qui affirmait initialement son opposition de principe, a négocié avec la fédération de branche avant même le vote de la loi !)

Après le plan d'assainissement budgétaire, décidé en 1999, et la réforme fiscale, c’est le 3ème “chantier de grande envergure” du gouvernement pour “rénover l’Allemagne”. L’hommage qu’ont su lui rendre les représentants du grand capital vaut bien un long réquisitoire. A titre d’exemple : “Il faut reconnaître que M. Schröder se dépense beaucoup pour mettre en place les réformes qui, depuis longtemps, étaient en souffrance” (le président du directoire de DaimlerChrysler Aerospace à La Tribune du 10/2/2000)


Gouvernement du chômage.


Lors de la formation de son gouvernement en 1998, Schröder avait déclaré que s’il ne réussissait pas à ramener, en 2002, le nombre de chômeurs à 3,5 millions (soit 8,4% ! au bout de 4 ans !), il ne mériterait pas d’être réélu. A l’approche des élections, le chômage s’élevait à 4 millions. Chômage de masse. Il atteignait même – en moyenne – 17,7% dans les Länder de l’Est. Le gouvernement a constitué une commission d’“experts”, sous la direction du directeur du personnel de Volkswagen (P. Hartz) avec la mission de rendre ses conclusions avant les législatives. On en a vu la teneur. Schröder a obtenu l’unanimité de la direction du Spd sur les propositions. Mais plus encore, il a besoin de la caution des dirigeants syndicaux, qui lui accorderont sans réserve : non seulement un représentant de l’Ig Metall et un de Ver.di y ont siégé, mais ont adopté le rapport et ses recommandations.


Le Pacte pour l’emploi, la formation et la compétitivité, “engagement moral”… pour les appareils syndicaux


Le Pacte pour l’emploi a été lancé par Schröder, peu après la formation de son gouvernement. Les réunions régulières au sommet réunissent le Chancelier et 6 ministres; les responsables patronaux et les présidents du Dgb et des 3 grandes fédérations, Ig Metall, Ig Bce et Ver.di. Le 1er sommet a fixé les principaux objectifs retenus : une baisse durable des cotisations sociales à travers une “réforme” de la protection sociale, une réduction-flexibilisation des horaires, une réduction des heures supplémentaires, la promotion du temps partiel, une amélioration et flexibilisation des possibilités de départ en préretraite…

 

Le principal résultat du Pacte a été la conclusion de “ déclarations communes ” (qui) n’ont pas la portée de convention collective (…) et qui entraînent un engagement essentiellement moral.” (extrait du “1er bilan du Pacte de l’emploi”, Institut Ires – juillet 2001)

Si formellement les dirigeants syndicaux restent fidèles à certains principes comme le refus de toute concertation sur les salaires avec le gouvernement (“souveraineté des tarifs”), donc dans ce cadre, par glissements successifs, ils cèdent progressivement aux revendications patronales (par exemple, sur les clauses d’ouverture permettant l’“adaptation” des conventions collectives aux entreprises, “modération salariale”).


Salaires : “Un tournant des stratégies syndicales, notamment de l’Ig Metall


La déclaration du 4 janvier 2000 (à l’issue du 5ème sommet) précise les exigences d’une “ politique orientée vers la création d’emplois et le moyen terme ”. Cette fois-ci, le texte négocié prévoit explicitement de prolonger la durée des conventions salariales et d’orienter les salaires en fonction des gains de productivité, excluant implicitement de compenser un éventuel surcroît de l’inflation. Il s’agit donc d’un renoncement à la sacro-sainte formule syndicale selon laquelle des salaires conventionnels doivent compenser, au minimum, l’inflation et les progrès de productivité. En contrepartie, les employeurs et le gouvernement acceptent d’utiliser, au cas par cas, les préretraites comme un moyen de la politique d’emploi, à condition d’éviter des charges supplémentaires aux assurances sociales. Cette concession répond à la revendication, formulée par l’Ig Metall en octobre 1999, d’une retraite facultative à 60 ans. L’Ig Metall renonce, à son tour, à faire figurer l’expression ‘retraite à 60 ans’ dans le texte. Cet accord est vécu comme un tournant des stratégies syndicales, notamment de l’Ig Metall.” (Ires)

 

Le 11 janvier, alors que devait s’engager la négociation sur le renouvellement des conventions collectives salariales de la branche, la direction de l’Ig Metall a annoncé sa “recommandation” : 5,5% pour 2000 (12 mois). Le 28 mars, dernier jour de la “trêve sociale”, que la direction syndicale a bien respectée, conformément aux pratiques traditionnelles, elle annulait les grèves d’avertissement prévues pour le lendemain et signait un accord en Rhénanie du Nord-Westphalie, le land pilote choisi cette année. Une hausse des salaires de 5,1% est convenue sur 2 ans (3% au 1/5/2000; 2,1% au 1/5/2001). L’Ig Metall abandonnait la revendication de la retraite à 60 ans (une préretraite progressive est instaurée à partir de 57 ans). Satisfaction de la fédération patronale :

Nos entreprises ont, pour les 2 prochaines années, un répit salarial et une base de calcul stable. En même temps, elles ont l’assurance que les réductions du temps de travail sont exclues pour les 3 prochaines années”.

Ce n’est pas la 1ère fois que les dirigeants syndicaux ont signé pour moins que les revendications minimales. Mais, en 2000, la “modération salariale” est apparue comme l’application délibérée des “déclarations communes” adoptées dans le cadre du Pacte sur l’emploi. La direction de l’Ig Bce (la fédération de la chimie dont le président est souvent accusé de jouer les “bras prolongés du chancelier”), avait même anticipé de 3 mois l’expiration de la convention de branche pour signer un accord avec application dans les Länder d’ouest, prévoyant une hausse de 4,2% sur 21 mois (2,2% au 1/6/2000; 2% au 1/6/2001).

 

En janvier 2002, la convention collective arriva donc à nouveau à échéance dans la métallurgie. Quelques jours auparavant, le 8ème sommet du Pacte s’était conclu sans avancée pour le patronat. Jusqu’au plus haut niveau de l’appareil syndical, on devait publiquement reconnaître que les travailleurs ont “fait assez d'efforts de retenue” ces dernières années et méritent enfin “un plus réel” (le président du Syndicat des services Ver.di). L’Ig Metall annonçait qu’il revendiquait 6,5% d’augmentation salariale… et, quelques semaines plus tard, le syndicat du Land pilote signera pour 7,1% mais sur 2 ans (4% à compter du 1/6 et 3,1% au-delà du 1/6/2003, + une prime exceptionnelle de 120 euros). Le capital financier – présentement, par la voix du Credit Suisse 1st Boston – donnait son avis :

Dans la mesure où la productivité dans l'industrie a crû ces dernières années de 3,5% par an, l'accord est, sur le fond, supportable”. Une dépêche de l’Afp (16/5/2002) précise pourquoi “les employeurs ont quelques raisons d'être satisfaits. L'accord introduit un élément de flexibilité en prévoyant une clause de sortie pour les entreprises particulièrement fragiles. Le président d'Ig Metall a également promis que son syndicat allait approfondir sa réflexion sur la question”.


L’appareil contre-révolutionnaire syndical neutralise la classe ouvrière.


Etes-vous prêts à accepter la grève pour éviter une hausse salariale trop forte ?”. A la question du journaliste de La Tribune (20/2/2000), le président du directoire de Siemens, grand patron s’il en est, avait répondu :

“Nous n’avons plus les moyens de résister à une grève”. Il avait poursuivi :” Les dernières années ont montré qu’en cas de grève, l’opinion publique relayée par la presse prenait aussitôt la défense des grévistes”.

Il n’est pas exagéré de dire qu’avant même l’annonce initiale de la revendication salariale par l’Ig Metall, le capital financier était sur le qui-vive. Pour Les Echos (12/1/2000), “ce n’est pas un hasard si l’économiste en chef de la Banque centrale européenne a appelé (la veille de l’annonce) devant une commission économique du Parlement européen, à une politique salariale modérée”, situant la place des ouvriers de la métallurgie allemande en Europe :

“…L’issue de ce bras de fer (entre patronat et syndicat de la métallurgie) semble plus important que jamais : avec la création de la monnaie unique, l’accord salarial dans la métallurgie allemande ne devrait pas seulement avoir comme habitude un rôle pilote en République fédérale, mais entraîner aussi des conséquences pour l’ensemble de la zone euro. (…) Nul doute qu’en cas de hausse jugée trop importantes, les banquiers centraux seraient tentés d’augmenter à nouveau leur taux d’intérêt directeur.”


 “La grève civilisée”


On connaît la suite. C’est l’œuvre des responsables syndicaux, leur savoir-faire pour ligoter le puissant prolétariat allemand : on donne le change en mettant en avant d’importantes revendications (au moins salariales).

On respecte scrupuleusement la “paix sociale”…

Libération (2/5/2002) a rapporté comment la direction de l’Ig Metall avait préparé la “grève” de mai 2002 :

“La grève qui doit débuter le 6 dans la métallurgie suivra un nouveau concept, celui de la “ grève flexible ”, a annoncé l'Ig Metall. Les grèves seront tournantes, touchant tour à tour différentes entreprises, dont les grands constructeurs automobiles du Bade-Wurtemberg, mais pour une journée seulement, dans un 1er temps. L'objectif est d'éviter les ruptures de production en cascade, entraînant des mises à pied ruineuses pour un grand nombre de salariés en amont ou en aval des entreprises en grève. Le 1er jour de grève, 56 800 salariés de 20 entreprises du Bade-Wurtemberg seront appelés à débrayer. Le 7, 14 autres seront mobilisés (22 entreprises). Le 8 sera “ journée des Pme ”... et ainsi de suite, prévoit l'Ig Metall, tout en gardant l'espoir que les négociations reprennent et aboutissent très vite après le début de la grève. La région de Berlin-Brandebourg ne devrait être appelée à rejoindre la grève qu'en 2ème semaine, s'il devient nécessaire d'augmenter encore la pression…”

C’est côté cour. Mais côté jardin, le 1er jour, K. Zwickel, président du syndicat, devant les employés d’une usine :

“Il ne s'agit pas pour nous de faire une longue grève, il s'agit d'obtenir un bon résultat. A partir de maintenant nous sommes prêts à négocier”.

B. Huber, le nouveau n°2 de l’Ig Metall, dirigeant alors du syndicat dans le Land qui avait négocié l’accord, a défendu ce qu’il appelle la ‘’ grève civilisée” (sic !) :

“Je ne suis pas partisan des affrontements à mort comme au Moyen Age. Pour moi, le syndicalisme, ce n'est pas tout ou rien. On sait d'avance qu'après la grève, il faudra bien continuer à travailler ensemble. Et les conflits du 21ème siècle ne doivent pas être menés comme au 19ème siècle.” (Libération - 17/5/2002)

 

Il faut en prendre acte : la classe ouvrière, et d’abord dans son cœur, les métallos, n’a pas trouvé, à ce jour, les moyens de briser le carcan bureaucratique. Si dans certaines circonstances, les travailleurs protestent contre la fin des mouvements, cela n’a pas gêné l’appareil.

La seule rébellion d’ampleur est négative : la chute du nombre de syndiqués. Le Dgb comptait 11,8 millions d’adhérents après la réunification en 1994, moins de 10 millions en 1994 et 7,9 millions lors du congrès de 2002. Encore faut-il tenir compte du demi-million d’adhérents amenés par l’adhésion d’une fédération autonome lors de la constitution du syndicat Ver.di avec 4 fédérations du Dgb.


 “Le pays à la productivité la plus élevée ‘’


La bourgeoisie allemande se plaint régulièrement de subir des coûts salariaux record, chiffres à l’appui. Un chargé de mission, choisi par le gouvernement pour ses compétences – il est présenté comme “une des plus grandes figures du monde des affaires allemand” - rétorquait (en 1999) : “Lorsqu’on critique les coûts salariés, il faut voir que l’Allemagne est le pays à la productivité la plus élevée”.

Selon l’expert Allemagne de l’Ocde (qui tient ses informations de source officielle allemande), “la compétitivité, dangereusement effritée au début des années 1990, s'améliore à nouveau depuis 1995 (la modération des syndicats allemands ces dernières années y étant pour beaucoup).” (Libération - 18/12/2002). C’est dans cette réalité qu’il faut apprécier le taux d’exploitation de la classe ouvrière allemande.


Le combat efficace des patrons contre les conventions collectives… grâce à la cogestion


L’affiliation aux conventions collectives n’est pas obligatoire. Le nombre de salariés couverts diminue : 76% dans l’ouest de l’Allemagne en 1998 et 70% en 2000 (respectivement 63% et 55% à l’est), selon une étude de l’Ires (mars 2003). Elle a abouti à la conclusion qu’un quart seulement des entreprises industrielles (y compris non affiliées) et la moitié des banques respectent entièrement les conventions collectives. L'Ires commente:

“Les conventions collectives ont cessé de s’appliquer avec une force évidente; ce n’est plus briser un tabou que de s’en écarter. Les acteurs professionnels, eux-mêmes, via toute une gamme de clauses d’ouverture et de détresse, ont créé des possibilités de dérogation par rapport aux minima conventionnels (…) dans toutes les branches. S’y ajoute le nombre croissant de “pactes pour l’emploi” signés au niveau des entreprises; avec ou sans l’accord des acteurs de branche, ils suspendent des acquis conventionnels en échange de promesses d’investissement et/ou de garanties de préservation de l’emploi pour une durée déterminée. Les clauses de détresse et d’ouverture semblent désormais faire partie intégrante du paysage conventionnel, tout comme les pactes locaux pour l’emploi. Mais il ne faut pas oublier les transgressions plus ou moins tacites des conventions collectives, en dehors de toute négociation ou tout accord, qui constituent probablement le gros des déviations.”


 Ce n’est pas un point de vue majoritaire à l’Ig Metall


Pour autant, la résistance du prolétariat à la destruction des acquis s’exprime dans les syndicats, qui restent des syndicats ouvriers, comme le montre la réponse du “moderniste” Huber, le partisan de la “grève civilisée” (article déjà cité), à la question : En contrepartie des 4% vous avez dû accepter une possibilité de décrochage des entreprises en difficulté. N'est-ce pas le début de la fin du système allemand des conventions de branche ?

Il avait répondu :

Le fait est que la situation des entreprises est souvent très différenciée. Je suis personnellement pour aller vers plus de possibilités de différenciation, selon la situation des entreprises. Mais ce n'est pas là un point de vue majoritaire à l'Ig Metall. Et pour un tel projet, il faut rassembler derrière soi plus qu'une simple majorité…”


 “Le grand malade de l’Europe”


D’autres pays, la France, notamment, sont pointés comme “homme malade de l’Europe”, selon l’expression traditionnelle. Mais, par sa place en Europe - la 1ère au plan économique (un quart du Produit intérieur brut de l’Union européenne) et dominant au plan politique, malgré les efforts contraires de la France - l’Allemagne, en récession ou la frôlant depuis 2 ans, inquiète plus que tout autre les capitalismes européens. Sommé de régler la question du déficit public et de l’endettement croissant qui s’en suit, au moins pour respecter les critères du “Pacte de stabilité” que l’impérialisme allemand, en phase avec la France, avait fixé, Schröder répond. A l’occasion de la préparation du budget 2004 (selon les termes de l’Afp), il s’en est pris à certains pays européens qui accusent la France et l’Allemagne de laisse filer leurs déficits et exigent des sanctions financières contre eux. Rappelant le cas de l’Espagne et la croissance de son Pib de 0,7% au 2ème trimestre, il a souligné : “C’est bien joli, mais ce n’est pas difficile quand plus de 1% de son Pib est fourni par les aides de Bruxelles auxquelles l’Allemagne contribue à hauteur de 25%.” En interpellant la Commission européenne, Schröder se justifie, également, auprès de sa propre bourgeoisie, qui estime insuffisantes les attaques anti-ouvrières. Personne, d’ailleurs, n’a estimé devoir rappeler combien l’Union européenne et l’euro ont bénéficié au capitalisme allemand comme à chacun.

On comprend l’enthousiasme des bourgeoisies européennes devant la “défaite historique” du l’Ig Metall, dont elles découvrent l’“invincibité” depuis sa reconstitution après-guerre. Pour Les Echos, cela prouve que les “blocus (syndicaux) peuvent être levés”.

Pour Le Monde, les contre-réformes, annoncées par Schröder, “décrispent le débat économique européen”.

 

Les victoires électorales des partis bourgeois en France, Aznar, Berlusconi et autres, mais aussi le gouvernement Blair – jusqu’à présent incontournable pour la bourgeoisie anglaise – et l’offensive, victorieuse, contre les acquis fondamentaux des classes ouvrières stimulent les bourgeoisies européennes. En Allemagne, le gouvernement Schröder-Fischer doit tenir compte d’une majorité Cdu-Fdp à la 2ème Chambre, représentants des Länder. Non seulement, cette situation ne freine pas la politique anti-ouvrière de Schröder mais la facilite et l’aiguise. Certains milieux vont jusqu’à suggérer la reconstitution d’une “Grande coalition” (désignant le gouvernement Spd-Cdu, de 1966 à 1969, sous la présidence de l’ex-nazi-dénazéifié, Kiesinger; auquel la petite coalition entre le Spd et les libéraux ont succédé dans les gouvernements des chanceliers Spd, Brandt puis Schmidt, jusqu’en 1982).


Pour un gouvernement du seul Spd


L’article sur l’Allemagne dans Cps77 (6/4/1999), écrit quelques mois après les législatives de 1998, se terminait ainsi :

“En 1996, face à l’offensive généralisée de la bourgeoisie et de son gouvernement, la question du pouvoir a commencé à affleurer, dans le prolétariat, dans les termes: il faut chasser le gouvernement Kohl !

Lors des élections de 1998, les masses laborieuses ont fourni la réponse possible avec l’organisation dont elles disposent, le Spd : vote massif en faveur du Spd; les partis bourgeois sont défaits et le gouvernement Kohl chassé.

Le Spd a immédiatement constitué, avec les Verts, un gouvernement au service du capital qui s’est rapidement mis en ordre de bataille. Cela pèse sur les masses, d’autant que cela apparaît comme un engrenage inévitable pour la classe ouvrière en Europe.

Pour se défendre contre les remises en cause de ses conditions d’existence qu’exige la défense du mode de production capitaliste et arracher les revendications, le prolétariat aura à combattre et battre ce gouvernement. Dans ces affrontements, pour les préparer, il lui faudra se dresser contre les appareils syndicaux, les dirigeants du Dgb, leur imposer qu’ils rompent avec le gouvernement et le patronat - qu’ils soutiennent sans réserve -, avec la “ cogestion ” sous toutes ses formes, et d’abord leur imposer la rupture des “ négociations ” préparant le “ pacte de solidarité ”.”

On l’a constaté : l‘affrontement avec l’appareil n’a été qu’ébauché. La presse française en a donné quelques rares aperçus. Ainsi, au congrès de l’Ig Metall d’octobre 1999, c’est sous les sifflets des jeunes que Schröder était accueilli. Mais l’appareil a détourné politiquement l’hostilité des jeunes métallos. Un responsable du syndicat intervint : “Nous voulons une autre politique mais pas d’autre gouvernement. (…) Le syndicat ne fera rien qui pourrait aider les conservateurs. C’est une question de tactique politique. Il ne commettra pas l’erreur de mettre des milliers de gens dans la rue, même si cela ne serait pas difficile vu l’humeur actuelle”.

A l’intérieur du Spd, l’“opposition” avortée a affirmé qu’elle appuie “notre gouvernement dirigé par le Spd et notre chancelier Schröder”.

A quelques mois des législatives de 2002, pour mobiliser l’électorat ouvrier, Schröder, au congrès du Dgb, croyait bon d’insister sur les “gestes forts” de son gouvernement en leur faveur; citant, en particulier, le rétablissement du droit au maintien intégral du salaire lors des arrêts maladie (financé par les employeurs) et à celui à la protection contre le licenciement. Comme l’a rappelé la revue de l’Ires, “la 1ère mesure avait déclenché, en 1996, une vague de grèves spontanées sans précédent depuis le début des années 1970; la 2ème avait provoqué le retrait des syndicats du 1er pacte pour l’emploi mis en place par le chancelier Kohl.”

Ce mouvement a été bloqué depuis la constitution du 1er gouvernement Spd-Verts. Le prolétariat allemand a subi des reculs, pas de défaite. Il est confronté à des attaques sans précédent depuis longtemps. Il faut faire fond sur sa volonté de défendre ses acquis, sa puissance d’organisation, la conscience qu’il en a. On peut reprendre en conclusion celle de l’article cité :

“Compte tenu des relations politiques, le prolétariat sera poussé à contraindre le Spd à rompre avec les partis bourgeois, des Verts au Cdu et Fdp (et Pds !), à tous les niveaux, à revendiquer qu’il forme un gouvernement du seul Spd, soutenu par le Dgb, avec la volonté d’obtenir que ce gouvernement satisfasse les revendications.

Il lui faut ouvrir cette voie. Dans la lutte de classe et les conflits inévitables avec les appareils syndicaux et le Spd, pour une nouvelle génération de militants issue des rangs de la classe ouvrière, mais surtout de la jeunesse, la question du parti révolutionnaire nécessaire à un véritable gouvernement ouvrier, un gouvernement révolutionnaire, redeviendra à l’ordre du jour.”


 

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