Article publié dans Combattre pour le Socialisme n°11 (93) de mars 2003

 

Inconditionnellement aux côtés de l'Irak et des peuples du Moyen-Orient,

contre l'intervention militaire impérialiste

A bas l'union sacrée derrière Chirac, les plans de "paix" impérialistes et les résolutions de l'ONU!

Troupes impérialistes hors du Moyen-Orient!

Les dés étaient jetés


Il fallait être un des bureaucrates signataires de l'appel à manifester en France le 15 mars "Contre la guerre" pour conclure, point d'exclamation à l'appui: " Tous ensemble, nous pouvons empêcher cette guerre !", au moment où plus de 300 000 soldats américains et britanniques s'apprêtaient à fondre sur Bagdad, s'ouvrant par le chemin par les bombardements, tirs de missiles et d'autres "armes de destruction massive", matière dans laquelle l'impérialisme américain ne souffre pas de concurrence.

 

Au moment où était lancé cet appel, la guerre avait déjà commencé. Avant même l'assaut, masser de telles forces à la frontière avec l'Irak, tandis que des bombardements "préventifs" s'accéléraient, que les commandos des forces spéciales étaient déjà sur place étaient autant d'actes de guerre. Mais c'était également le cas des inspections sous mandat de l'ONU – espionnage en règle de l'Irak qui servira militairement. Ces inspections annonçaient en effet la mise sous administration internationale de l'Irak.

 

La guerre avait déjà commencé. L'impérialisme américain et ceux qui le soutiennent, à commencer par la Grande-Bretagne, au nom de la "lutte contre le terrorisme", allaient plonger l'Irak et les masses du Moyen-Orient plus profondément que jamais dans la terreur des bombardements, de la guerre, sans que d'un strict point de vue militaire aucune opposition sérieuse ne se dresse a priori devant eux.

 

Mais, à en croire les promoteurs des manifestations "contre la guerre" en France, il aurait donc été possible d'empêcher la guerre. Et comment? En se ralliant au blanc panache de Jacques Chirac.

Exagération? Non. Il suffit de lire, parmi le concert de louanges que Chirac a reçues au lendemain de son intervention du 11 mars, celles adresses par l'humanité dans son éditorial, signé Claude Cabanes:

" Quatre mots ont suffi : " La France votera non. " Ces quatre mots, de la bouche du président de la République française, lundi soir à la télévision, ont anéanti les derniers espoirs du président des Etats-Unis : dans quelques heures ou quelques jours, la guerre d'invasion qu'il prépare contre l'Irak sera condamnée, et donc, si les mots ont un sens, interdite par le Conseil de sécurité des Nations unies. Ce sera une guerre illégale du point de vue de la communauté internationale ; et elle mettra ses responsables au ban du concert des nations. Si elle avait lieu, elle consacrerait le mépris du droit au profit de l'exaltation de la force ; le refus de la règle au profit de la supériorité des armes ; le fait accompli de la volonté de quelques-uns supérieure à celle de presque tous les autres. C'est dire que le bras de ses promoteurs bottés tremble : rien n'est perdu pour le retenir.

Cet événement considérable - et il est tout à l'honneur de notre pays d'en avoir été à la fois l'inspirateur ardent et l'acteur essentiel - aura certainement de nombreuses et imprévisibles conséquences sur la marche du monde."

 

Chirac serait donc "l'inspirateur ardent", "l'acteur essentiel" qui a "anéanti les derniers espoirs du président des Etats-Unis" avec "quatre petits mots". Rien que ça. Cinquante ans après la mort de Staline, l'humanité n'a pas perdu la main.

 

Mais, alors que la guerre contre l'Irak a déjà commencé, il est indispensable de rejeter avec mépris le "pacifisme" sans rivage à droite servant de levier à l'union nationale, de combattre les illusions sur le "droit international"  qu'entretiennent l'ensemble des organisations traditionnelles du mouvement ouvrier pour interdire toute lutte réelle contre l'impérialisme et contre la guerre, rejeter en fin de compte :

"Toutes ces formules (qui)  se réduisent, en fin de compte, à ce que la question de la guerre, c'est-à-dire du sort des peuples, doit rester dans les mains des impérialistes, de leurs gouvernements, de leur diplomatie, de leurs états-majors, avec toutes leurs intrigues et tous leurs complots contre les peuples", comme le rappelait le programme de transition de la IV° Internationale

 

Car même si elle avait eu l'aval des instances du "droit international" comme en 1991, la guerre contre l'Irak n'en serait pas moins totalement réactionnaire, de même que la position de l'impérialisme français, de Chirac.


Du côté de l'impérialisme US : une guerre d'agression, une guerre de rapine, une guerre coloniale


C'est presque enfoncer une porte ouverte que de rappeler que la motivation immédiate du gouvernement Bush est de mettre la main sur les ressources pétrolières gigantesque que recèle le sous-sol irakien. Cela n'en est pas moins vrai – et au passage, il s'agit de chasser de leurs positions en Irak les compagnies françaises et russes qui s'y sont déjà pré-installées (selon Le Monde du 13/02/03, TotalFinaElf et le russe Loukoil auraient signé des options portant sur le quart des réserves de l'Irak). La mainmise sur cette matière première décisive, plus particulièrement sur les réserves de l'Irak qui sont les deuxièmes estimées au monde, constitue un moyen pour l'impérialisme US de prendre à la gorge le moment venu ses concurrents.

 

Mais fondamentalement, l'impérialisme US veut avec cette guerre se doter d'un instrument solide pour asseoir son emprise sur toute la région stratégique du Moyen-Orient. Rappelons une nouvelle fois que la révolution iranienne de 1979 a déchu le régime du Shah, l'allié le plus sûr des Etats-Unis dans la région – après Israël, enclave impérialiste artificielle. L'Irak de Saddam Hussein avait été alors armé jusqu'aux dents et lancé contre l'Iran pour saigner à blanc la révolution iranienne, donnant les moyens au clergé iranien de coiffer la révolution et la faire refluer (conjointement avec l'intervention de l'URSS en Afghanistan).

 

Depuis, bien qu'ayant repris l'initiative à l'échelle internationale, bien qu'ayant remporté des succès non négligeables, cette perte n'a pas été compensée. En 1991, la première guerre contre l'Irak, permettait au président US d'alors, Bush père, de déclarer: "j'exulte … c'est un jour de fierté pour l'Amérique … nous avons enterré une fois pour toutes le syndrome du Vietnam." (le 1er mars 1991). Appuyé sur cette victoire politique, l'Etat d'Israël a été considérablement renforcé, notamment par sa reconnaissance unanime par les gouvernements bourgeois arabes et l'OLP, puis par la reprise de la guerre contre le peuple palestinien.

Néanmoins, l'impérialisme US n'était pas alors allé au bout de ses objectifs, et en particulier transformer l'Irak en colonie américaine pure et simple. Il avait été gêné par le jeu des autres impérialismes (notamment français et allemand) vis-à-vis de l'Irak, qui ont contribué à l'empêcher de se subordonner politiquement le gouvernement irakien, le régime de Saddam Hussein.

 

A partir de décembre 1997, les bombardements réguliers ont repris sur ce pays déjà étranglé par les conséquences de l'embargo appliqué en vertu des résolutions de l'ONU. Il s'agissait déjà de "désarmement", de "contraindre l'Irak" à permettre aux inspecteurs de l'ONU de vérifier le désarmement irakien. Bien évidemment, de la part de l'impérialisme US, les considérants sur les armes de "destruction massive" n'étaient déjà que pur prétexte. Dès ce moment, la Maison Blanche ne cachait pas ses objectifs (qui n'ont pas varié de Clinton à Bush, n'en déplaise à ceux qui voudraient mettre la guerre sur le compte d'une hérédité familiale): s'assurer une emprise ferme sur le Moyen-Orient, pour cela, installer en Irak un régime vassal. Les diverses tentative de coup d'Etat, les injonctions à Saddam Hussein, les bombardements réguliers depuis 1998, sont restés sans effet.

 

Dans le même temps les contradictions explosives qui minent le Moyen-Orient ont continué de jouer. Même stabilisé et renforcé, l'Etat d'Israël n'a pas "réglé" la question palestinienne de la seule manière qu'il puisse faire: en massacrant, expulsant et dispersant loin de leur terre les Palestiniens. Les régimes corrompus et vassaux de l'impérialisme comme en Jordanie, ou en Egypte restent profondément instables. Le problème Kurde, en d'autres termes la lutte des impérialismes et des gouvernement turc, iranien, irakien et syrien contre le droit du peuple kurde a disposer de son Etat, a lui été aiguisé par la création d'une zone "autonome" au nord de l'Irak.

Il est à cet égard significatif que, dans les négociations entre le gouvernement bourgeois "islamiste" turc et les Etats-Unis, ce soit la question de qui occuperait militairement le Kurdistan irakien, et sur quels objectifs, qui ait été la pierre d'achoppement, bien plus que les questions financières. Au delà de ces problèmes immédiats, l'Arabie Saoudite, jadis fidèle alliée, n'est plus considérée comme telle par Washington. La question de l'Iran et de sa réintégration pleine et entière dans le giron de l'impérialisme non plus. Autant de raisons pour la Maison Blanche de poursuivre et d'achever  ce qui a été entamé en 1991.


Washington s'affirme, Berlin Paris et Moscou renâclent


Ce n'est pas un à-côté de l'agression impérialiste contre l'Irak qu'elle se fasse sans l'accord formel du conseil de sécurité de l'ONU, et contre même la "menace" du veto de deux des membres permanents du conseil de sécurité.

Non pas qu'il soit nouveau pour telle ou telle puissance impérialiste de s'affranchir du "droit international" que les directions des organisations ouvrières ont pour ainsi dire érigé en religion. Le "droit international" n'existe que quand cela chante aux principales puissances militaires de la planète. Le reste du temps, il est en congé. C'était presque tout le temps vrai du temps de la "guerre froide", où avec ou sans l'ONU ont eu lieu des guerres particulièrement atroces (menées notamment au Vietnam par l'impérialisme américain et ou en Algérie par l'impérialisme français). Il n'y a qu'à penser aux résolutions concernant Israël, ou rappeler que la guerre contre la Serbie en 1999 s'est faite sans qu'il soit besoin de consulter le conseil de sécurité de l'ONU. Les résolutions de l'ONU, comme tous les traités entre grandes puissances, ne font que codifier pour un temps les rapports de force.

Or, précisément, avec la disparition de l'URSS et de la bureaucratie du Kremlin, ceux-ci ont changé fondamentalement. L'impérialisme américain est devenu la seule puissance mondiale, sans aucun rival à sa taille, sans besoin non plus de ménager ses anciens "alliés". Il est dans une situation prédominante, sans toutefois être redevenu hégémonique.

 

Cette tendance a connu un développement qualitatif depuis les attentats du 11 septembre 2001, qui ont permis à l'impérialisme US de manifester une agressivité décuplée, et d'abord en s'installant à demeure en Afghanistan et en Asie centrale. La "lutte contre le terrorisme" n'est pas qu'une rhétorique: c'est un changement de stratégie pour l'impérialisme américain, avec notamment la "guerre préventive", c'est à dire le "droit" à terroriser qui bon lui semble, où bon lui semble, sans s'embarrasser de prétextes.

 

En engageant la guerre contre l'Irak "avec ou sans l'ONU" (Bush), en passant outre les prises de position opposées à l'intervention de la part de la France de l'Allemagne ou de la Russie, le gouvernement Bush signifie à tous sans détour qu'il ne s'embarrassera plus d'institutions héritées d'un passé désormais pleinement révolu, sauf quand cela lui donnera une couverture (c'est tout le sens de la farce diplomatique quant au vote d'une éventuelle "deuxième résolution" suivant la 1441, l'impérialisme US annonçant ne la soumettre au vote que si elle pouvait être majoritaire, sachant que dans le cas contraire il attaquerait l'Irak quand même). Il affirme que dorénavant, les attentats du 11 septembre 2001 servant de prétexte, l'après-guerre froide est bel et bien clos.

 

Cette guerre est le signal d'une profonde redistribution des cartes à l'échelle internationale qui ne fait que commencer, ce que par exemple le gouvernement espagnol de Aznar a immédiatement saisi: Washington distribuera les cartes.

 

C'est d'abord contre cela qu'ont cherché à se dresser, chacun pour leurs propres raisons, l'Allemagne, d'abord, puis la France à sa traîne, et la Russie. La présence de Poutine aux côtés de Chirac dans les opposants déclarés à Bush permet de situer exactement l'enjeu réel sous les phrases creuses concernant le "droit". Pour le bourreau du peuple Tchétchène, comme pour l'oppresseur colonial de la Côte d'ivoire et d'une grande partie de l'Afrique, la seule question qui compte est de préserver leur rang de "grande puissance", et très immédiatement les intérêts de leurs capitalistes en Irak, les liens tissés depuis longtemps avec ce pays par la France et la Russie, mais également l'Allemagne,  particulièrement - on l'a dit - en matière de pétrole.

Voilà le sens des premières paroles de l'intervention télévisée de Chirac du 11 mars:

" Il faut voir dans quel monde nous voulons vivre. Nous voulons vivre dans un monde multipolaire, c'est-à-dire avec quelques grands groupes qui aient entre eux des relations aussi harmonieuses que possible, un monde dans lequel l'Europe, notamment, aura toute sa place, un monde où la démocratie progresse, d'où l'importance à nos yeux capitale de l'Organisation des Nations Unies".

 

Chirac et avec lui Poutine, Schröder, voudraient "vivre dans un monde" où leurs prérogatives de super brigands soient respectées, à commencer par celles d'exploiter eux-mêmes les ressources irakiennes. Mais l'heure n'est pas aux petits cadeaux entre "alliés".


Des antagonismes avivés par la situation économique


Aucun doute: la conjoncture économique particulièrement menaçante ne fait qu'exacerber les appétits des grands groupes industriels et financiers dans tous les pays, au premier rang desquels les groupes pétroliers américains Exxon ou texaco qui s'apprêtent à entrer en Irak avec les chars de l'armée américaine.

 

En effet, tout d'abord, la quasi-stagnation mondiale de l'économie qui s'est répandue à partir des Etats-Unis courant 2001 continue. Aux USA eux-mêmes les plans successifs de relance  par l'injection colossale de crédits fédéraux ont certes donné des coup de fouets à l'économie (ce qui s'est vu dans les chiffres du PIB). Et pourtant, l'organisme ainsi fouetté est toujours très faible: le taux d'utilisation des capacités de production par exemple reste en janvier 2003, à 75,7%, un seul point au dessus de son plus bas en dix huit ans atteint en décembre 2001, et ce alors même que ce mois de janvier voyait la première augmentation de la production industrielle depuis six mois. Ce qui signifie que la purge de l'économie américaine pourtant entamée par des licenciements et restructurations massives est loin d'être achevée, qu'un taux de profit suffisant n'a pas encore été rétabli.

 

En Allemagne, la fin 2002 a vu l'économie s'enfoncer encore un peu plus dans la récession. Après +0,6% en 2001 et +0,2% pour 2002, les "experts" ne s'attendent pas à beaucoup mieux pour 2003. A des degrés divers, toute la zone euro est touchée (+0,8% sur 2002 contre +1,5% en 2001), au point que la banque centrale européenne a procédé à une nouvelle et inattendue baisse des taux d'intérêts. Quant au Japon, après deux années de récession, aucun miracle n'est en vue pour 2003.

Dans le même temps, la purge des marchés financiers n'a pas été suivie d'une remontée significative du cours des actions, c'est même plutôt le contraire. Comment pourrait-il en être autrement alors que les profits des entreprises sont le plus souvent en berne, alors que, pour rester en France, France Telecom et Vivendi, puis Alsthom annoncent des pertes d'un montant défiant l'imagination, ce qui entraîne, pour la dernière, une chute de 50% du cours de l'action en une journée?

 

Mais plus profondément, cette persistante faiblesse des places financières est aussi entretenue par la confirmation qu'un tournant a été engagé dans la politique économique de l'impérialisme, à l'initiative de l'impérialisme US. Le retour d'une politique creusant les déficits, alourdissant la dette publique, n'est plus cantonnée aux seuls Etats-Unis. Même sous la forme de mises en garde répétées, les chiens de garde des déficits siégeant à la commission de Bruxelles l'indiquent à leur manière. En Allemagne et en France, soit - bon an mal an - les deux principales puissances économiques d'Europe, les déficits sont passés au dessus des 3% du PIB, la dette remonte de concert. Le plan de relance massif annoncé par Schröder le 14 mars, les promesses de Raffarin sur son "refus de la rigueur" (pour les patrons seulement!), semblent confirmer que les gouvernements français ou allemands emboîtent le pas à ce qui se fait outre-atlantique, mais à reculons, comme lors du tournant du début des années 80, sans avoir le même tranchant ni la même détermination dans leur politique économique – comme dans leur politique militaire, domaine dans lequel l'impérialisme français a néanmoins entrepris sous la houlette de Chirac un effort sans précédent avec la loi de programmation militaire.

 

Cette situation tendue a évidemment comme conséquence la nécessité pour chaque impérialisme de s'en prendre tout d'abord une nouvelle fois à son propre prolétariat avant même, mais corrélativement – de lutter contre ses propres concurrents. C'est même une condition sine qua non pour que le tournant économique engagé réussisse du point de vue des capitalistes, que, pratiquement, pour lutter contre ses principaux concurrents. Ainsi, Schröder a-t-il annoncé, conjointement à son plan de "relance", une série de mesures pour s'en prendre aux régimes d'assurance-chômage et d'assurance-maladie.

 

C'est fondamentalement cela qui cadre aujourd'hui les divergences entre impérialismes: tant que cela sera possible, aucun n'ira jusqu'à remettre en cause l'ensemble des relations internationales. Et celles-ci sont ordonnées depuis la seconde guerre mondiale par la place centrale de l'impérialisme américain, tant économique que politique. Il l'a rappelé en battant le rappel en Europe même, et isolant avec une facilité et une rapidité significative la France et l'Allemagne, raillés comme "vieille Europe" (et soulignant le poids qu'il a acquis dans l'est de l'Europe). Quand bien même c'est dans la douleur et en essayant de jouer son propre jeu, les impérialismes mineurs tels la France ont aujourd'hui d'abord intérêt à s'incliner devant la puissance américaine qui reste encore le gendarme commun à tous les impérialismes.


Guerre et "paix" impérialistes : deux faces d'une même politique


En réalité, France comme Allemagne n'ont cessé de marteler depuis le début leur accord avec l'impérialisme américain et ses objectifs fondamentaux, soumettre l'Irak. Ainsi tous sont d'accord: l'Irak devrait être désarmé.

 

Ainsi a été adoptée, à l'unanimité du Conseil de Sécurité, la résolution 1441 qui menace l'Irak des "plus graves conséquences" si la coopération avec les inspecteurs de l'ONU n'était pas totale. A dire vrai, cette seule résolution permet de se draper dans le "droit international" pour déclencher une guerre. Elle repose sur une présomption de culpabilité et que c'est à l'accusé d'apporter la "preuve" de son innocence en acceptant des conditions proprement insultantes à sa souveraineté nationale.

 

Que Saddam Hussein possède des armes chimiques et autres du type de celles que lui ont fournies les industriels spécialisés dans l'horreur est une possibilité réelle. Elle ne change rien à l'affaire. Alors que deux cent à trois cent mille soldats se massaient à ses frontières, l'injonction de "désarmer" est une sommation à la victime expiatoire lui interdisant de se dérober au couteau du sacrifice. Par exemple, l'Irak a été sommé de détruire ses missiles parce que leur portée aurait dépassé de quelques kilomètres celle autorisée (180 au lieu de 150)… Saddam Hussein, comme d'habitude, a obtempéré.

 

La résolution 1441, unanime, scelle l'accord de l'ensemble des puissances impérialiste sur un point fondamental: leur "droit" à dicter leurs conditions aux pays opprimés, en l'espèce à l'Irak.

Autre point d'accord fondamental: leur droit à masser une armée prête à déchaîner un feu d'enfer sur l'Irak. Chirac applaudissait cyniquement l'impérialisme américain pour cet "exploit" dans son intervention du 12 mars:

" J'ai eu l'occasion de le dire il n'y a pas longtemps au Président Bush. Il est hautement probable que, si les Américains et les Anglais n'avaient pas déployé ces forces, aussi importantes, il est hautement probable que l'Iraq n'aurait pas donné cette coopération plus active qu'exigeaient les inspecteurs, qu'ils ont constatée et que, probablement, elle a été obtenue à cause de cette pression. Donc, on peut dire qu'en réalité, dans leur stratégie de désarmement de l'Iraq, les Américains ont atteint leur objectif, ils ont gagné."

 

Enfin, guerre ou pas, la logique de l'oppression coloniale est d'aller vers la mise sous tutelle de l'Irak, sous une forme ou sous une autre. D'ailleurs c'est là une des raisons qui poussent l'impérialisme US à s'assurer du concours d'alliés: pas pour faire la guerre, mais pour participer financièrement à la phase suivante, qui passe nécessairement par la mise sous administration coloniale de l'Irak – le Kosovo aura servi de petit ban d'essai, à cela près que Milosevic n'avait pas liquidé physiquement l'intégralité de ses opposants potentiels comme Saddam Hussein. 

 

Là encore: Chirac se déclare prêt à participer à la reconstruction – geste noble et désintéressé, cela va de soi; surtout vu des sièges des grandes entreprises françaises. Car, dit Chirac:

"C'est-à-dire qu'on le lui [La France – Ndlr] demandera! Il faut reconstruire, à la fois matériellement et aussi politiquement. Et cette reconstruction, elle, alors, elle ne peut se faire que par l'ONU. On n'imagine pas quelqu'un assumant seul le rétablissement d'une situation viable dans ce pays et dans cette région, y compris les Etats-Unis"

 

Ultime précision: tout en annonçant un veto à une éventuelle résolution autorisant nettement l'intervention militaire ruinant les efforts des capitalistes français en Irak depuis dix ans – et espérant aussi tirer profit de cette attitude sur d'autres marchés – Chirac précise:

"Si les Américains ont besoin de survoler notre territoire, il va de soi qu'entre alliés ce sont des choses qui se font."

 

Ces déclarations ont le mérite de jeter un jour cru sur la politique suivie en France par les dirigeants des organisations ouvrières, politique d'Union nationale derrière Chirac.


A bas la guerre impérialiste, à bas les résolutions de l'ONU, troupes impérialistes hors du Moyen-Orient! Pour cela: front unique des organisations ouvrières, syndicats, partis


De nombreuses manifestations particulièrement massives ont eu lieu en Europe, et même à une moindre échelle aux Etats-Unis. Des millions et parmi eux de nombreux travailleurs et jeunes sont venus protester contre la perspective de cette guerre, et, pour beaucoup d'entre eux, qu'elle se fasse ou non avec le couvert de l'ONU.

 

Ces manifestations, la mobilisation en profondeur dont elles témoignent, ont déjà eu des répercussions considérables dans les pays dont les gouvernements font partie de la coalition rassemblée derrière des Etats-Unis, et essentiellement en Grande-Bretagne. Dans ce pays, l'hypothèse d'un renversement du gouvernement Blair par les députés du Labour Party, qui dispose d'une majorité écrasante à la chambre des communes, est à l'immédiat ordre du jour. Que cette hypothèse ait affleuré est un événement politique et une leçon: oui, il est possible d'imposer, en Grande Bretagne comme ailleurs, aux organisations ouvrières et notamment aux partis du mouvement ouvrier et à leurs élus, qu'elles cessent de couvrir les gouvernements à la solde de la bourgeoisie et leur politique anti-ouvrière. Si les manifestations avaient été dirigées ouvertement sur cet objectif en direction de la chambre des communes et des élus du Labour Party, le gouvernement Blair serait déjà tombé. Mais tel n'était pas l'objectif des organisateurs de ces manifestations.

 

Aznar et Berlusconi sont eux appuyés sur des majorités parlementaires constituées par les partis du grand Capital.  Il n'empêche: les manifestations contre la guerre sont de facto tournées contre leurs gouvernements.

L'ampleur qu'elles ont prise (des millions de manifestants) est indissociable des combats précédents des prolétariats de ces pays contre leurs gouvernements.

En Espagne, c'est dans l'unité de leurs organisations que les travailleurs ont réalisé les manifestations extraordinairement massive lors desquelles le cri "Aznar dehors!" a été scandé. Mais si leur volonté d'en découdre se répercute dans leurs organisations traditionnelles, les directions syndicales, le PSOE, le PCE, refusent de mettre en cause le gouvernement Aznar.

En Italie, les dirigeants de la CGIL (et l'ancien secrétaire du syndicat S.Cofferatti, membre de DS) ont eux apporté leur soutien - et les syndicats leur concours - au blocage de quelques trains transportant du matériel militaire américain, les dockers refusant de charger les navires. Mais les dirigeant syndicaux ont appelé toutefois à rester dans le cadre de la légalité, ce qui signifie que pour eux, au delà d'actions "symboliques", il n'est pas question d'entraver sérieusement l'effort de guerre.

 

La puissance de ces manifestations, leurs répercussions, en particulier dans les trois principaux pays européens qui soutiennent ouvertement la guerre impérialiste, est une chose. Autre chose est de constater qu'elles ne débordent pas ou peu du cadre fixé par leurs organisateurs: celui d'un "pacifisme" sans rivage à droite qui sème en réalité la confusion. A cet égard, la place prise par l'Eglise catholique – qui comme l'impérialisme français voudrait faire capituler l'Irak de la façon la moins sanglante possible – dans les manifestations en Italie ou en Espagne est révélatrice.

 

De même sont mis à l'écart ou combattus les mots d'ordres s'opposant effectivement, pratiquement, à l'agression impérialiste, les mots d'ordres se situant ne serait-ce que du simple point de vue du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes au profit, et pas seulement en France, de mots d'ordres creux sur "la paix", du slogan petit bourgeois "pas en notre nom", de suppliques à respecter le "droit international" des brigands impérialistes. 

 

Car qui veut le respect du droit des peuples du Moyen-Orient à disposer d'eux-mêmes, le peuple irakien, le peuple kurde, le peuple palestinien, ne peut que se prononcer: contre les résolutions de l'ONU et en particulier la résolution 1441, et inconditionnellement pour le retrait des troupes impérialistes. Qui veut réellement s'opposer à l'intervention militaire doit se prononcer pour le boycott du ravitaillement et du transport des troupes et du passage des avions.

 

Ces revendications s'opposent au "pacifisme" sans paix et sans rivage à droite, aux suppliques impuissantes envers les "grands de ce monde". Elles n'ont de force que si elles sont exprimées en direction de ceux qui ont la totale responsabilité qu'elles se traduisent concrètement: les directions des organisations syndicales ouvrières, enseignantes, étudiantes, les principaux partis issus du mouvement ouvrier. Elles donnent vie au principe élémentaire dans une telle guerre: se situer aux côtés de l'Etat agressé par l'impérialisme, aux côtés de l'Irak.


A bas l'union sacrée derrière Chirac


C'est en France que ces questions prennent sans doute l'acuité la plus aiguë. Le cartel d'organisations qui appelle aux manifestations, noyant dans une kyrielle d'organisations bourgeoises la CGT, la FSU, le PS, le PCF, la LCR – tandis que FO appelle sans s'intégrer à ce cartel aux manifestations sur la même ligne – s'est illustré en lançant une pétition qu'on peut citer intégralement.

"Monsieur le Président, Comme des millions de citoyens en France et dans le monde, je vous demande :

de vous opposer avec la plus grande fermeté à la guerre injustifiée voulue par le Président G. Bush ; d'user, le cas échéant, du veto de la France au Conseil de sécurité de l'ONU;  d'œuvrer inlassablement à promouvoir une issue pacifique "

 

De son côté, la prétendue "Confédération Européenne des Syndicats" – et avec elle notamment la direction Force Ouvrière était plus précise encore:

"Réuni à Athènes les 6 et 7 mars 2003, le Comité exécutif de la Confédération européenne des syndicats (CES) a confirmé l’opposition des syndicats européens à la guerre, et demande que tous les efforts soient déployés pour désarmer l’Irak sans avoir recours à la guerre et dans le respect des droits internationaux."

 

Le 11 mars au soir, en annonçant qu'il utiliserait son veto contre toute nouvelle résolution, Chirac n'avait plus qu'à ramasser la mise tendue par les appareils, dans la droite ligne de leur politique du mois de mai dernier.

En appelant à voter Chirac le 5 mai dernier, pour "sauver la République" (Cinquième du nom), les appareils qui fixent la ligne des manifestations ont en effet franchi un cran sans précédent dans leur aplatissement devant la classe des capitalistes via le principal candidat des partis bourgeois.

Ils parlaient alors de Chirac comme d'un "rempart contre Le Pen", s'en remettant donc à lui et s'opposant en conséquence toute forme de combat réel, mené par la classe ouvrière et la jeunesse, contre le Front National. Et puis le gouvernement Chirac-Raffarin a recruté des flics à tour de bras, fait voter la loi Sarkozy qui porte gravement atteinte aux libertés démocratiques et ne doit en aucun cas être sous estimée, et au pasage a créé le délit "d'outrage au drapeau tricolore". Le Pen peut en saliver de bonheur. Et maintenant ce sont même les charters expulsant les clandestins qui viennent de reprendre.

 

En faisant de Chirac, leur "père veto", leur Bonaparte, le rempart contre la guerre grâce à son "droit de veto", dirigeants confédéraux CGT et FO, dirigeants FSU, comme le PS, le PCF et la LCR oeuvrent au même résultat qu'en mai dernier: le renforcement politique de Chirac et de l'UMP, et ce au moment même où son gouvernement s'apprête à mener des batailles de première importance contre tout le prolétariat. Ils invitent la classe ouvrière, plus largement tous les prolétaires et jeunes de ce pays à renoncer par avance à tout combat indépendant, sur leur propre terrain contre la guerre impérialiste. Ils oeuvrent au renforcement politique d'un impérialisme qui, sans participer à la guerre, la couvre et fait acte de candidature à venir occuper l'Irak. Au lieu de dénoncer son hypocrisie, sa duplicité, ses manœuvres, ils le félicitent.

 

Un signe concentre et révèle tout: aucun des initiateurs des appels à manifester ne condamne ouvertement l'impérialisme français quand celui-ci s'empare de facto de la Côte d'Ivoire, la place sous tutelle, lui impose des accords comme ceux de Marcoussis, y dépêche plusieurs milliers de militaires, participe pour ses propres intérêts du chaos et la décomposition dans lequel ce pays a plongé depuis la tentative de coup d'Etat de 1994. Et il en allait de même dans toutes les guerres ouvertes ou discrètes menées par les gouvernements successifs de la Cinquième République en Afrique pour défendre leur pré carré africain, en particulier depuis la dévaluation du franc CFA il y a 9 ans, du Rwanda au Congo en passant par la Centrafrique.

 

Bref: tous sont pour dénoncer les actes des autres impérialismes, en l'occurrence l'impérialisme américain, et faire silence sur les crimes de leur propre impérialisme, qu'ils présentent avec fierté, même, comme le seul espoir. Ce sont, comme le disait Lénine, des sociaux-chauvins, socialistes en parole, chauvins en fait. "Bush assassin"? Chirac complice!


"Si tu veux la paix, prépare la révolution"


Il faut dire ce qui est. La guerre impérialiste contre l'Irak s'inscrit dans une longue chaîne ininterrompue de conflits - de plus ou moins grande importance – entamée il y a un siècle avec l'entrée de l'humanité dans le dernier stade de développement du capitalisme: l'impérialisme. Deux guerres mondiales d'une sauvagerie inouïe, suivie des guerre de Corée, d'Indochine, de Suez, d'Algérie, du Vietnam, des Malouines, de la première guerre contre l'Irak, celle contre la Serbie,  contre l'Afghanistan, et ce pour s'en tenir à une énumération sommaire des guerres impliquant directement un Etat impérialiste, sans compter celles qu'ils ont commanditées, à commencer par la guerre permanente d'Israël contre le peuple palestinien. 

 

La guerre impérialiste contre l'Irak révèle les contradictions entre les impérialismes, les antagonismes qui les rongent et qui ne sont plus comprimés par l'existence de l'URSS - et dont une manifestation nauséabonde est la réapparition à ciel ouvert d'un certain chauvinisme, que ce soit en France ou en Angleterre et aux Etats-Unis. Et encore, ce ne sont que des symptômes précoces: l'évolution de la situation économique, les difficultés à maintenir l'ensemble de l'édifice de l'économie mondiale ne peuvent qu'aggraver les choses à la longue.

 

La guerre impérialiste contre l'Irak rappelle comment le mode de production capitaliste a pu prolonger son existence: par le déchaînement périodique de la barbarie de ses "armes de destruction massive"; par l'entretien d'une économie d'armement permanente considérable; par la guerre contre les peuples opprimés tout comme la guerre domestique contre les prolétariats et leurs conditions de vie et d'existence; par la guerre ouverte ou non, économique et militaire, entre les principaux concurrents impérialistes.

 

Les dirigeants des organisations ouvrières traditionnelles, qui parlent du règlement pacifique des conflits, du droit international, ne font que mentir, consciemment ou non. L'expérience d'un siècle d'impérialisme, toute l'expérience du mouvement ouvrier révolutionnaire amène au contraire à cette leçon fondamentale: "si tu veux la paix, prépare la révolution".

 

"Si tu veux la paix, prépare la révolution". Le trotskysme rejette le pacifisme, songe creux dans le meilleur des cas, duperie délibérée quand il émane des sommets des vieilles organisations ouvrières.

Pour en finir avec les guerres, avec les crises économiques, avec la misère, avec toute forme d'oppression et d'exploitation, il faut s'en prendre à la racine du mal, le capitalisme, le prolétariat doit prendre le pouvoir.

 

"Si tu veux la paix, prépare la révolution". C'est le combat de notre Cercle, pour la construction du parti Ouvrier Révolutionnaire, de l'Internationale Ouvrière Révolutionnaire.


 

Le 21 mars 2003

 

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