« Combattre pour le socialisme » - Supplément au N°57 (nouvelle série)1er octobre 2015 :

 

À propos de la crise du CCI

 

Scission au sein du Courant Communiste Internationaliste (CCI)

 

La Direction nationale du CCI (DN), réunie le 3 juillet 2015, informait les militants en adoptant à l’unanimité des 45 participants, une résolution qui indiquait :

« La DN du 27 juin avait adopté trois résolutions : une résolution politique générale centrée sur la préparation du Ve Congrès du POI appuyée sur les forces dégagées le 6 juin engagées dans la construction, avec nous, de l’appareil politique de la lutte ; une résolution décidant de reporter le 51ème congrès du CCI à une date postérieure au congrès du POI afin de concentrer toutes nos forces dans sa préparation ; et une résolution reportant, en conséquence, toute discussion sur la reconnaissance d’une tendance à l’ouverture de la discussion régulière de préparation du 51ème congrès du CCI.

La DN du 27 juin a voté par 45 voix contre 21 la résolution politique générale.

La DN a voté par 45 voix contre 21 le report du 51ème congrès du CCI.

La DN a adopté par 45 voix contre 21 la résolution décidant de repousser la discussion sur la reconnaissance de la tendance à la DN de novembre qui ouvrira la discussion du 51ème congrès du CCI ».

Elle poursuivait :

« La DN du 27 juin n’était pas terminée que des centaines de militants de toutes les régions étaient contactées dans un temps record par téléphone ou par mail ‑ révélant l’existence d’un fichier préalablement préparé ainsi que l’existence d’un état‑major clandestin coordonnant « l’opération » avant même que la DN ne soit terminé e ‑ pour les inviter à signer un texte se présentant comme la plateforme d’une tendance que la DN du CCI aurait refusé de reconnaître, en violation des statuts du CCI.

Il s’agit d’un fait sans précédent dans notre histoire que de voir brusquement surgir dans le CCI une organisation parallèle structurée et dans la direction de laquelle 23 membres de la DN se sont révélés directement impliqués.

Une opération soigneusement préparée fondée sur une gigantesque falsification. »

La plateforme de tendance de Seldjouk, intitulée « Revenir à une politique de construction du parti (reliant indissolublement l’intervention dans la lutte de classe au combat politique contre le gouvernement Hollande‑Valls et les institutions de la Ve République et de l’Union européenne) », est signée par 23 représentants de la DN, soit environ un tiers de ses membres, et par François de Massot, représentant du Secrétariat international (SI), invité permanent. Elle aurait recueilli les signatures de plus de 650 militants du CCI, soit au moins plus d’un tiers des militants. Il est évident qu’une telle opération ne résultait pas de la génération spontanée. Elle est probablement le fruit d’un travail à caractère fractionnel depuis plusieurs mois. Il est plus que probable que Lacaze et ses amis avaient les informations sur ce qui se tramait. Il est impossible de solliciter plus de 600 militants sans qu’il n’y ait quelques fuites, bruits de couloirs et dénonciations.

C’est pourquoi, manœuvre « machiavélique », lors de la DN du 27 juin, Lacaze a pris les devants et a fait adopter la motion repoussant le 51e congrès du CCI de novembre 2015 à février 2016. Ce report était censé interdire formellement, en application des statuts, le dépôt en juin d’un appel à tendance. Tombant dans la provocation ou pas, mais mis au pied du mur, Seldjouk et ses partisans ont déposé leur appel à tendance. Ils se plaçaient ainsi hors statut. La DN du 3 juillet confirmait la décision du CP :

« La DN rejette le diktat que la prétendue direction de tendance composée de 23 membres de la DN prétend lui imposer et confirme la décision du CP de suspendre les 23 membres de la DN ainsi que l’invité permanent François de Massot et prolonge cette suspension jusqu’au plénum convoqué en septembre ».

Cette suspension est en réalité une exclusion de fait. En effet, on apprend par ailleurs dans un appel de la tendance Seldjouk au conseil général de la IVe Internationale, en date du 6 juillet :

« Tous, militants expérimentés, vous savez parfaitement que les désaccords dans la section française ne sont pas apparus le 27 juin et qu’ils ne cessent de s’exprimer et de s’approfondir depuis un an. (…)Tous, vous savez car ce sont nos traditions, qu’une réelle discussion à égalité est impossible si au préalable, on exige de camarades qu’ils acceptent sans sourciller d’être dénoncés comme des saboteurs du mouvement ouvrier et des ennemis de la IVe Internationale qu’il faudrait « réduire à néant ».

Tous, vous nous connaissez depuis des décennies. Tous, vous savez ce qu’il faut penser de l’ignoble campagne calomniatrice engagée dans un document à large circulation diffusé par les membres de la DN qui ose prétendre que le camarade Seldjouk, après avoir été littéralement « acheté » par Pierre Lambert en 1980, aurait « attendu son heure pendant 35 ans chez nous », continuant à développer « un réseau clandestin d’amis et d’affidés » aux seules fins d’assouvir « son ambition de toujours : diriger un parti et se prendre pour quelqu’un d’autre » (bigre ! souligné par nous ndlr). Comment comprendre qu’aucun membre de la majorité de la DN n’ait eu le réflexe naturel, banal pour tout militant trotskyste : faire front face à la calomnie, dénoncer des méthodes étrangères au mouvement ouvrier ? Comment comprendre qu’au lieu de cela, certains d’entre eux fassent largement circuler cette lettre – y compris à l’extérieur du CCI… ».

Le 18 juillet, à l’initiative de la tendance paraissait le premier numéro d’un nouveau journal La Tribune des travailleurs qui, dans la forme, ressemble à s’y méprendre à un Informations Ouvrières (IO) bis. C’est la cristallisation d’une véritable scission. Il faut noter que ce journal a reçu, avec Daniel Gluckstein (Seldjouk), la caution des deux autres secrétaires nationaux du POI (Parti ouvrier indépendant), Jean Markun et Gérard Schivardi.

 

Deux POI 

 

La crise se développe et se cristallise d’une manière irréversible vers une scission au sein du CCI. Le 29/08/2015, la « majorité » a organisé le traditionnel hommage à Léon Sedov. Dans son discours, Marc Gauquelin (Lacaze) dénonce le coup porté à la IVe internationale à l’intérieur de sa section française. Il dit, évoquant le 6 juin : « Camarades il faut être clair : c’est ce succès qui a provoqué le déclenchement de l’offensive dont la IVe internationale est aujourd’hui l’objet. Beaucoup d’éléments laissent penser qu’elle était préparée souterrainement et minutieusement depuis de longs mois, mais c’est le succès du 6 juin qui a déclenché l’opération ». Il dénonce le lancement d’un journal concurrent à IO, le démarchage systématique des militants, le détournement des cotisations, etc. En clair, Lacaze entérine la scission du CCI. Quant à Gauthier (Ulysse), lui, aussi dans « majorité », il pérore, en référence à 1903, le congrès de scission entre bolveviks et mencheviks : puisqu’il y a une « majorité », cette majorité représente, comme en 1952, la continuité avec le bolchevisme (CQFD…) Le 30/08/2015, le lendemain, se tenait un second hommage à Sedov avec 250 participants selon Tribune des travailleurs

Les couteaux sont tirés. La scission du CCI se cristallise sur sa projection, le POI. Sont publiés deux hebdomadaires : La Tribune des travailleurs et Informations Ouvrières. Se sont tenu deux réunions du Bureau national du POI : celui de Seldjouk le 5 septembre, celui de Lacaze le 6 septembre. Lacaze a fait constater par huissier l’absence des trois secrétaires nationaux qui ont été destitués. La « majorité » s’est assuré le contrôle du local central 87, rue du Faubourg Saint‑Denis. Elle accuse les trois secrétaires nationaux d’avoir pris le contrôle des comptes bancaires du POI. La « tendance » accuse la « majorité » de s’être emparée, en le déposant à l’INPI au nom de Gauquelin, du titre La Vérité. Elle l’accuse d’utiliser la violence : « Vous savez que vous organisez la multiplication des incidents à Saint‑Etienne, dans le Val‑d’Oise, à Saint‑Denis... Dans ce dernier cas, une dizaine d’individus étrangers au comité du POI sont venus prêter main‑forte à celui qui, minoritaire dans son propre comité, a osé apostropher la responsable d’un syndicat ouvrier confédéré en ces termes : « Tu es une ennemie de la classe ». La « majorité » tente de faire le ménage dans les sections du POI. En vain, semble‑t‑il.

En effet, La Tribune des travailleurs a annoncé, à l’initiative du comité départemental du POI de Seine‑Saint‑Denis, la tenue d’un meeting internationaliste pour la « rupture avec l’Union européenne » le 26 septembre 2015. Il est indiqué « les comités départementaux des Hauts‑de‑Seine, des Yvelines, de Seine‑et‑Marne et du Val‑d’Oise ont accueilli positivement cette initiative et ont décidé de s’y associer ». Les deux parties annoncent la tenue du Ve congrès ouvert du POI les 21 et 22 novembre 2015.

Il ne s’agit pas ici d’épiloguer outre mesure sur les faits et sur les arcanes de la lutte sordide entre les deux parties. Lacaze et Seldjouk sont des orfèvres en matière de coups tordus, de provocations, de manœuvres bureaucratiques et de méthodes brutales contre toute tentative de remise en cause de l’orientation de la direction. Ils ont été à bonne école. Avec Lambert et Cambadélis (Kostas), ils faisaient partie du quarteron, véritable commando, sélectionné pour préparer l’exclusion de Stéphane Just lors du 28e congrès du PCI (Parti communiste internationaliste), en mars 1984. C’est effectivement à presque 35 ans en arrière qu’il faut revenir, depuis que Seldjouk aurait « attendu son heure », pour comprendre la crise actuelle de dislocation du CCI.

 

Aux origines du POI

 

Pour comprendre la crise actuelle du CCI il faut revenir aux origines du POI.

En décembre 1983, le Comité central (CC) du PCI décide de s’engager sur l’orientation de la ligne de la démocratie et de la constituante, tournant le dos au combat pour le front unique ouvrier sur la ligne du combat pour le gouvernement ouvrier, pour que le PS et le PCF rompent avec la bourgeoisie en constituant un gouvernement sans représentant de la bourgeoisie. Il fallait quelques justifications à ce tournant. La trouvaille lamentable de Lambert fut que les résultats des élections professionnelles, avec la progression de Force Ouvrière (FO), indiquaient que le mouvement de la réorientation de la classe ouvrière sur un nouvel axe s’était engagé. L’orientation vers la constitution du MPPT était adoptée.

Au CC, seul Stéphane Just combattit cette orientation. Lambert et sa clique, Cambadélis, Luis Favre, Lacaze et Gluckstein engagèrent les manœuvres pour éliminer Stéphane Just, manœuvres qui aboutirent à l’exclusion de ce dernier du PCI en avril 1984 (soulignons que, dès 1982, Just avait été éliminé de la direction du travail international, en particulier au profit de l’aventurier Luis Favre). En décembre 1985, le MPPT était constitué et comme premier gage, Informations Ouvrières (IO) devint son organe de presse. Il faut ici rappeler que, hors le PCI, les autres parties constituantes du MPPT, « socialistes » et « communistes », étaient des fictions dirigées par des militants du PCI en fraction dans le PS et le PCF, et n’ayant aucune existence réelle. La composante anarcho‑syndicaliste, autour d’Alexandre Hébert (dirigeant FO de Loire‑Atlantique), n’était que l’affirmation que l’appareil contre‑révolutionnaire de FO était en première ligne (l’opération ayant été conduite en concertation avec le plus haut niveau de l’appareil, en particulier via Roger Sandri, ancien membre du bureau confédéral).

En novembre 1991, le MPPT se transforme en Parti des travailleurs (PT). Le processus de liquidation du PCI s’achève. En mai 1992, le PCI devient le Courant Communiste Internationaliste (CCI) du PT. IO est son organe de presse ; les cellules du PCI sont dissoutes, les militants du CCI étant sensés se réunir après les réunions du PT, ce qui n’eut jamais eu lieu ; les commissions ouvrières, internationales et jeunesse du PCI sont elles aussi dissoutes. En 2008, le Parti ouvrier indépendant (POI) est proclamé, avec comme seul programme : « Pour le socialisme, la république et la démocratie ».

Lambert et l’appareil de Force ouvrière

 

Mais retracer les origines du POI implique inévitablement de revenir sur le rapport de Lambert, au compte de l’OCI (Organisation communiste internationaliste) puis du PCI, avec l’appareil de FO, au plus haut niveau jusqu’au bureau confédéral. Dans la brochure intitulée Comment le révisionnisme s’est emparé de la direction du PCI » (24/08/1985), Stéphane Just expliquait :

« Relations avec les appareils bureaucratiques :

L’activité, la progression, les succès mêmes de l’OCI au cours des années qui suivirent ont impliqué obligatoirement que sa direction noue et développe des relations de plus en plus fréquentes avec le mouvement ouvrier officiel, c’est‑à‑dire les appareils et notamment les appareils dits " réformistes ".

La prise de direction de l’UNEF exigeait que sa direction composée principalement de militants de l’OCI soit en contact avec les dirigeants de FO, de la FEN, du PS et également soit en relation avec le Ministère de l’Education Nationale, l’administration universitaire.

Les campagnes politiques en défense des victimes de la répression en Europe de l’est, notamment en Pologne, mais aussi par rapport à l’Amérique latine, au Pérou ont été menées en bénéficiant principalement du soutien de FO. D’ailleurs comment faire autrement ? Mais encore faut‑il que les relations ne se transforment pas en liens de dépendance. De même, la constitution de l’UNEF‑ID n’a été possible que par le soutien de FO, de la FEN, de certains dirigeants du PS. Là aussi les relations ne doivent pas se transformer en liens de dépendance.

De nombreux militants sont devenus permanents dans l’appareil FO. Là également, le danger que s’établissent des liens de dépendance est considérable. La marge est étroite.

Au centre des relations qui s’établissent entre les appareils et l’OCI, on trouve toujours Lambert. Ses traits personnels d’intrigant, de combinard, de truqueur, ses tendances opportunistes le rendent particulièrement apte à ce genre de rapports. Mais ils le rendent également particulièrement apte à franchir le pas qu’il ne faut pas franchir en entraînant derrière lui une cohorte d’apprentis bureaucrates. 

Lambert vote les rapports d’activité du bureau confédéral Force Ouvrière :

Au congrès confédéral de FO, en mars 1969, Lambert a participé à la commission qui a élaboré la résolution appelant à voter Non au référendum du 25 avril que De Gaulle a organisé pour tenter de relancer la politique qui visait à instaurer le corporatisme en France. Les considérants de la résolution, au moins certains d’entre eux, étaient plus que discutables. Mais en prenant l’initiative d’appeler à voter Non, la confédération FO contraignait la CGT, la FEN, le PS et le PCF à appeler aussi à voter Non. Lambert a voté cette résolution et même le rapport d’activité du Bureau Confédéral. A mon sens il a eu raison de les voter en cette occasion.

Mais ce qui était une exception motivée est devenue une règle. Depuis Lambert a voté les rapports d’activité du Bureau Confédéral. Au dernier congrès, Lambert a voté ce rapport alors qu’au cours des années qui venaient de s’écouler, la direction de FO avait étroitement collaboré avec le gouvernement Giscard‑Barre et le patronat. Or quand Lambert vote dans un tel congrès c’est le dirigeant du PCI, c’est le PCI qui vote. Il est vrai que Lambert a prononcé à ce congrès un virulent discours… ultra " lutte de classe ".

A de nombreuses reprises, sous différents prétextes, Lambert a également donné la consigne aux militants du PCI de voter et d’appeler à voter pour les rapports d’activité des directions du SNI et de la FEN. Pourtant ces dirigeants collaborent depuis des années avec les gouvernements en place. 

OPA sur l’OCI :

Manifestement le pas a été franchi. C’est au compte de FO que Lambert utilise les militants de l’OCI pour démanteler la Fédération de l’Education Nationale, sous le prétexte que les dirigeants de la FEN, du SNES, du SNI, font la politique du gouvernement de Front populaire. Et la direction confédérale de FO ? Que fait‑elle ? Elle approuve les licenciements chez Talbot, chez Citroën, dans la sidérurgie. Lorsque Bergeron s’adresse au gouvernement il ne lui reproche qu’une chose, d’aller trop vite, d’appliquer trop brutalement sa politique. Il craint qu’agissant ainsi, le gouvernement ne provoque l’explosion.

Mais nous dirait‑on : " FO défend la laïcité, l’école publique ". En réalité FO accepte les crédits à l’école privée et tout le reste. Et aujourd’hui FO, comme la FEN, se félicite de la politique de Chevènement, politique qui garantit à l’enseignement privé tous les privilèges acquis depuis 1950.

Enfin c’est une évidence que la conception du Parti des Travailleurs a été élaborée du côté de l’avenue du Maine et que son centre opérationnel se situe du côté de l’union départementale FO de Loire-Atlantique.

Tout se passe comme si il y avait eu OPA de l’appareil FO sur le PCI. »

Trente ans après, cette analyse a été entièrement confirmée par les faits. Il faut rappeler aussi que l’un des crimes de Lambert contre le mouvement ouvrier, au compte de FO et en totale collaboration avec le bureau confédéral, a été à de décider le passage à FO d’une grande partie de la fraction du PCI présente dans la FEN (Fédération de l’éducation nationale). C’est Lambert et son mini‑appareil qui ont ouvert la voie à la liquidation de la FEN en 1991. On n’oublie pas que les trotskystes avaient eu un rôle irremplaçable dans la constitution de la FEN, les enseignants constituant le seul secteur de masse où l’unité syndicale – celle de l’historique CGT ‑ avait été maintenue, après 1947.

 

Soumission totale à l’appareil de Force ouvrière

 

Informations Ouvrières du 12/02/2015 « rend compte » dans une rubrique « En bref » du congrès fédéral de FO, qui s’est tenu du 2 au 6 février 2015, en se limitant à la citation d’une dépêche de l’AFP, sans aucun commentaire. Voici ce qu’on y lit (et rien de plus) :

« Force Ouvrière a haussé le ton contre le gouvernement, au dernier jour de son congrès à Tours, en décidant à l’unanimité d’organiser « une journée d’action de grève interprofessionnelle » contre « la logique d’austérité », si possible avec d’autres syndicats. Ce qui est important, c’est que 3000 délégués disent « y’en marre » et décident de « passer à un cran supérieur », a lancé Jean‑Claude Mailly en clôturant le congrès (…) Cette décision, adoptée à l’unanimité, n’est pas « si fréquente » et constitue « un évènement important » parce que si cette grève « est réussie », « on peut changer les choses », a‑t‑il assuré devant les militants. ».

Pour en savoir plus, il faut lire le Le Monde :

« Plus encore que Marc Blondel, dont il était le disciple, à la personnalité plutôt conflictuelle, M. Mailly a su pacifier la mosaïque de sensibilités qu’il dirige et instaurer une sorte de paix des braves entre les réformistes – majoritaires à plus de 60 % au sein de la commission exécutive de 35 membres – et les trotskistes (autour de 30 %) (…). Les trotskistes à FO sont influents dans l’éducation et la culture, l’action sociale et à la Fédération des employés et cadres – une mini‑confédération qui regroupe onze secteurs, de la banque au commerce non alimentaire, en passant par les casinos et les clercs de notaires, comme la Sécurité sociale (bastion historique des lambertistes) et Pôle emploi. « C’est une corde de rappel », a coutume de dire M. Mailly. Pour l’heure, les trotskistes font profil bas, même si leur porte‑parole, Patrick Hébert, secrétaire général de l’union départementale (UD) de Loire‑Atlantique, demande toujours que FO quitte la Confédération européenne des syndicats » (Le Monde du 31/01/2015). »

Et encore :

« Le 23e congrès de Force ouvrière (FO), qui s’est achevé vendredi 6 février à Tours, a été pour Jean‑Claude Mailly un long fleuve tranquille. Le secrétaire général de FO, qui devait être réélu le 7 février par le comité confédéral national pour un quatrième et dernier mandat, a engrangé les plébiscites. Son rapport d’activité a recueilli 97,07 % des voix des 3 000 délégués (contre 97,27 % en 2011). Et la résolution générale, qui demande le retrait du pacte de responsabilité et « arrête le principe d’une journée nationale de grève interprofessionnelle et de manifestations » contre l’austérité, a été adoptée à l’unanimité moins 12 voix contre et 23 abstentions.

Si les débats se sont déroulés – tradition à FO – dans une ambiance parfois survoltée, le vent de la contestation a peu soufflé à Tours. Seuls les anarchistes bretons ont porté le fer contre M. Mailly. Marc Hébert, secrétaire général de l’union départementale du Finistère, a dénoncé, sous les sifflets et les cornes de brume, « la pensée unique qui gangrène de plus en plus l’organisation ».

Même les militants trotskistes lambertistes ont épargné le secrétaire général. Leur principal porte‑parole, Patrick Hébert, secrétaire général de l’union départementale de Loire‑Atlantique, a jugé que « pour l’essentiel, la confédération est sur la bonne voie ».

Avec une verve qui a suscité les rires des délégués, le patron de la Loire‑Atlantique a estimé, à propos de la journée de grève, que « la question posée, c’est de bloquer le pays, c’est la grève générale ». (Le Monde du 7/02/2015). »

CCN de FO après CCN de FO, les résolutions de la direction sont votées à la l’unanimité. Même avec une puissante loupe, on ne peut trouver dans Informations Ouvrières la moindre critique de l’orientation de la politique de collaboration de classe de Mailly et de sa participation continue au « dialogue social ». Par exemple, Informations Ouvrières taira la signature par FO de l’accord scélérat sur la formation professionnelle.

Bien entendu, pas un mot sur le fait que FO est partie prenante des intérêts de la bourgeoisie française au sein de l’Union européenne. Sur la question grecque, Mailly, aux côtés des Berger (CFDT), Martinez (CGT), Louis (CFTC), Berille (UNSA) a contresigné une lettre de la CES (Confédération européenne des syndicats) à la Commission européenne pour qu’elle reprenne les discussions avec le gouvernement grec pour « des négociations en bonne foi avec l’objectif de trouver un accord socialement juste et économiquement soutenable avec le gouvernement grec »

Silence sur le soutien de FO à l’opération d’union nationale du 11 janvier 2015. Informations Ouvrières sera très discret sur l’assassinant de Rémy Fraisse : la confédération ne remet en rien en cause la politique de renforcement de l’appareil policier par le gouvernement et a tout juste manifesté « ses inquiétudes » sur la loi sur le renseignement. Elle soutient la politique « anti‑terroristes » du gouvernement. Elle ne pipe mot de la chasse aux immigrés.

FO est derrière l’impérialisme français dans ses entreprises de pillage en Afrique et au Moyen‑Orient. Pour ses dirigeants, il y a un sujet tabou, celui de la présence des forces française et du combat pour leur retrait.

Sur la politique contre-révolutionnaire des dirigeants de FO, le CCI/POI est totalement muet. Il y a consanguinité entre l’appareil de FO et une partie de celui du CCI/POI, en particulier au sein de la « majorité » (Lacaze) dans le POI. Nombre de « cadres » sont aussi permanents de FO, véritables petits apparatchiks. Il s’agit là d’un fait fondamental pour comprendre la crise actuelle.


« Majorité » et « tendance » : une appréciation commune de la situation politique

 

Quelle est la nature de la discussion entre la « majorité » et la « tendance » ?

Dans sa résolution du 3 juillet, la DN relève :

« La DN tient à souligner ce fait, pour le moins curieux, que ces 23 camarades qui proclament dans leurs textes, qu’ils n’ont pas de divergences fondamentales sur le programme, sur la situation politique , sur les grandes orientations de notre intervention dans la lutte des classes ou bien sur la nécessité de construire le parti ouvrier indépendant, aient brutalement décidé de passer à des mesures anti statutaires s’émancipant des règles du centralisme démocratique, brisant, de fait, tout lien de solidarité organisée avec les militants de la section française. »

En effet, l’appel à tendance explique :

« Un an s’est écoulé depuis le 50e Congrès de la section française de la IVe Internationale. Durant cette année, riche en événements, des désaccords se sont manifestés au sein de la direction nationale. Ils se sont inscrits dans une analyse commune dans ses termes généraux de la situation politique au plan international et national. Les grandes lignes de cette analyse concernent : le rapport entre la crise de décomposition des institutions de la domination impérialiste et la montée de la volonté de combat de la classe ouvrière cherchant à imposer la réalisation de l’unité avec ses organisations ; le soutien apporté, de fait, direct ou indirect, par tous les partis institutionnels au gouvernement Hollande‑Valls ; l’enjeu central du combat pour l’indépendance des organisations ; la place que nous avons occupée dans les processus de la lutte de classe, et notamment le 9 avril et les 19 et 21 mai ; sans ignorer, que, jusqu’à présent du moins et malgré les brèches ouvertes, les appareils sont parvenus (bien que de plus en plus difficilement) à contenir cette montée et à protéger le gouvernement et le régime. »

Pour les uns et les autres, la manifestation et les grèves du 9 avril 2015 ont été un tournant dans la lutte des classes en France. Les grèves de Radio France, de l’AP‑HP et la grève des enseignants des collèges du 19 mai en seraient le prolongement. Dans le journal Informations Ouvrières, le CCI/POI a peint en rouge la journée d’action du 9 avril, la présentant comme la réalisation d’un front unique contre le gouvernement, contre la loi Macron, l’ANI et le pacte de responsabilité. Il faut simplement rappeler sur quelle orientation les dirigeants ont appelé à manifester :

« Le « pacte de responsabilité », la rigueur budgétaire, la réforme territoriale, nombre de dispositions du projet de loi libérale « Macron » ainsi que plusieurs décisions des pouvoirs publics et du patronat aggravent la situation des salarié(e)s, des retraité(e)s et des chômeurs (ses).

De nombreuses luttes et mobilisations syndicales sont d’ores et déjà engagées dans les entreprises, les services publics et les secteurs professionnels.

Pour faire converger ces revendications et exiger du gouvernement et du patronat qu’ils y répondent, les organisations syndicales CGT, FO et Solidaires s’engagent dans un processus de mobilisation. Conscientes de leur responsabilité, elles invitent les retraité(e)s et les chômeurs (ses) à se mobiliser et appellent l’ensemble des salarié(e)s, du public et du privé, à une journée de grève interprofessionnelle et à manifester le 9 avril 2015. » (déclaration CGT, FO et Solidaires du 17/02/2015).

CPS Nouvelle Série N° 57 (N°139), du 13/05/2015, tirait le bilan du 9 avril :

« Il faut préciser le calendrier. La dernière journée de concertation sur la loi Rebsamen a lieu le 3 avril. Le gouvernement a déjà annoncé à ce moment‑là une “conférence sociale” en juin sur la réforme du marché du travail. La journée d’action du 9 avril n’est même pas un intermède dans le dialogue social continu entre appareils syndicaux et gouvernement (il faudrait ajouter la concertation permanente sur la contre‑réforme de la Fonction publique). Ce n’est pas un intermède ; c’est plutôt un contrepoint, c’est‑à‑dire, nous dit le Larousse, la superposition de deux lignes mélodiques. La ligne mélodique du dialogue social est enrichie du contre‑chant de la journée “de lutte” du 9 avril, journée d’action sans mot d’ordre, sans revendication. Le 9 avril même, Martinez n’a pas craint de parler de “succès retentissant” alors que dans l’immense majorité des milieux de travail il n’y a pas eu grève, les manifestations étant réduites à la présence de la sphère immédiatement proche des appareils (soit un peu plus que lors des précédentes journées d’action où même cette sphère était absente !). Le même Martinez a donné le sens de cette manifestation : “contre l’austérité, pour des politiques alternatives à celles du gouvernement”. On connaît la chanson : au nom de faire des propositions “positives”, “alternatives”, l’appareil syndical évacue tout combat réel pour bloquer la politique et les mesures auxquelles sont réellement confrontés les travailleurs : celles du gouvernement. Pour donner le change, localement les appareils syndicaux sont autorisés à écrire dans leurs tracts : retrait de la loi Macron ou du pacte de responsabilité, ce qui ne change rien au sens de la journée d’action tel qu’il est donné par les appareils centraux des syndicats.

C’est aussi ce qui permet aux représentants officiels de l’“extrême‑gauche” (NPA, LO, POI) de saluer avec enthousiasme cette journée d’action. Pourtant, les banderoles à peine repliées, les dirigeants peuvent retrouver leur siège moelleux et encore tiède à la table du dialogue social. »

Le 9 avril n’était qu’une journée d’action comme tant d’autres. Elle visait à faire écran de fumée sur la prise en charge de la politique du gouvernement par les directions de la CGT, de FO et de la FSU qui refusent de rompre la « concertation » de tous les instants avec le gouvernement et le MEDEF. La prise en charge du 9 avril par le CCI/POI résulte de sa capitulation devant tout combat pour affronter les appareils des confédérations et des fédérations pour qu’ils rompent avec le gouvernement, refusent de participer aux opérations du type « conférence sociale » et réalisent le front unique pour la défense des revendications en affrontant le gouvernement.


Vers « l’ouverture de la crise révolutionnaire » ?

 

Pour la « majorité » et pour la « tendance », l’appréciation commune est que nous serions à la veille de « l’ouverture de la crise révolutionnaire ».

La résolution de la DN du 27 juin affirme :

« Dans la résolution du 50e Congrès du CCI (20‑21 juin 2014), citant la résolution adoptée à la DN du 3 mai 2014 qui disait : “ Toutes les conditions de l’ouverture d’une crise révolutionnaire sont réalisées, sauf une (un détail ! ndlr) : l’irruption des masses qui précipitera l’effondrement de l’édifice politique et institutionnel garantissant le pouvoir du capital , nous opérions un rectificatif et écrivions : “ Nous sommes toujours globalement dans cette situation, mais la façon dont les cheminots se sont saisis de leur grève, la façon dont, dix jours durant, ils ont imposé sa poursuite contre toutes les manœuvres de leurs directions, contre toutes les provocations et menaces brandies par le pouvoir, nous indiquent la profondeur des modifications en cours dans au sein d’une des corporations les plus organisées de ce pays  pour souligner que : Ce qui s’est passé durant dix jours indique l’imminence d’un bouleversement que la conférence du 14 juin nous a laissé entrevoir. »

Dans l’appel à tendance on lit :

« C’est de ce point de vue qu’il nous faut ouvrir la discussion préparatoire au 51ème Congrès. Si de manière inhabituelle dans nos rangs, celle‑ci s’ouvre sur deux textes contradictoires, c’est parce qu’en dépit de l’accord entre nous sur l’appréciation de la situation politique, les désaccords sur les tâches ne cessent de s’approfondir au sein de la direction. Ils doivent être tranchés par les militants. Parce que nous sommes à la veille de l’ouverture de la crise révolutionnaire, la question de savoir avec quel parti nous y entrerons reste plus que jamais la question centrale. »

Il a y un aspect grotesque dans cette analyse partagée par les uns et les autres. Le verbiage sur « la crise révolutionnaire » est une abstraction qui a une fonction politique bien précise, comme nous allons le voir. Dans Où va la France ? Léon Trotsky explique :

« La pensée marxiste est dialectique : elle considère tous les phénomènes dans leur développement, dans leur passage d’un état à un autre La pensée du petit bourgeois conservateur est métaphysique : ses conceptions sont immobiles et immuables, entre les phénomènes il y a des cloisonnements imperméables. L’opposition absolue entre une situation révolutionnaire et une situation non‑révolutionnaire représente un exemple classique de pensée métaphysique, selon la formule: ce qui est, est, ‑ ce qui n’est pas, n’est pas, et tout le reste vient du Malin.

Dans le processus de l’histoire, on rencontre des situations stables tout à fait non‑révolutionnaires. On rencontre aussi des situations notoirement révolutionnaires. Il existe aussi des situations contre‑révolutionnaires (il ne faut pas l’oublier !). Mais ce qui existe surtout à notre époque de capitalisme pourrissant ce sont des situations intermédiaires, transitoires : entre une situation non‑révolutionnaire et une situation pré‑révolutionnaire, entre une situation pré‑révolutionnaire et une situation révolutionnaire ou... contre‑révolutionnaire. C’est précisément ces états transitoires qui ont une importance décisive du point de vue de la stratégie politique. ».

Si l’on considère la situation politique en France, y a‑t‑il quelque chose qui indique que nous sommes à la veille de « l’ouverture de la crise révolutionnaire » ? La journée d’action du 9 avril ? Les grèves de Radio France, des enseignants des collèges et de l’AP‑HP ? La crise « porcine » ? Les protestations de quelques dizaines de maires conduites par Schivardi contre l’intercommunalité ? Qui peut croire un tel baratin ? Mais qu’est que la « crise révolutionnaire » selon les génies de village Lacaze et Gluckstein ? Qu’est‑ce qu’une situation pré‑révolutionnaire ? Une situation révolutionnaire ? A vrai dire, ni l’un ni l’autre n’en pipe mot. C’est l’orgie « crise révolutionnaire » type banquet des albums Astérix le Gaulois où, au lieu dévorer des sangliers, on s’empiffre de… « crise révolutionnaire »… sur le papier.

Tout combat engagé par le prolétariat, aussi ample soit‑il, ne signifie pas l’ouverture d’une situation pré‑révolutionnaire. En ce qui concerne la France, on peut citer les grèves de novembre‑décembre 1995 contre le plan Juppé qui ont jailli contre l’appareil d’Etat et l’ébranlèrent. Les directions traîtres du mouvement ouvrier purent les faire refluer. Une conséquence, certes limitée, sera la défaite électorale de Chirac‑Juppé et des partis bourgeois en 1997, à la suite de la dissolution de l’Assemblée nationale prononcée par Chirac. On peut citer encore les grèves, en particulier dans l’enseignement, et les immenses manifestations de 2003 de la Fonction publique contre la réforme des retraites, bien que moins puissante et plus contrôlée par les appareils contre‑révolutionnaires. L’aspiration à la grève générale s’est manifestée dans le prolétariat en 1995, puis en 2003, puisque les appareils syndicaux ont dû publiquement la dénoncer et la combattre. Mais ils ont réussi à la museler, somme toute, aisément.

Il en est ainsi pour les grèves et les manifestations massives, contrôlées par les appareils, qui se sont déroulées en Espagne, au Portugal ou encore en Italie depuis plusieurs années. Même en Grèce aujourd’hui, la situation ne peut pas être caractérisée comme pré‑révolutionnaire. Car ces grèves et mouvements massifs du prolétariat buttent sur un obstacle majeur : quelle perspective sur la question du pouvoir ?

Pour trouver une situation pré‑révolutionnaire en France, il faut remonter à la grève générale de mai‑juin 1968. Spontanément, les masses posaient la question du pouvoir (« Dix ans ça suffit »), la jeunesse étudiante et la classe ouvrière (comme à Sochaux) affrontaient dans la rue l’Etat bourgeois. Par les occupations d’usine le prolétariat remettait en cause la propriété privée des moyens de production. Encore faut‑il préciser que la grève générale de mai‑juin 1968 a été précédée par une période d’intense lutte des classes en France ouverte par la grève générale des mineurs en 1963 qui a mis en échec de Gaulle. Sommes‑nous à la veille d’une telle situation aujourd’hui ? Autre exemple : avec la victoire de François Mitterrand et l’élection d’une majorité de députés PS‑PCF, s’ouvrait la possibilité que s’ouvre en France une situation pré‑révolutionnaire, possibilité que le PS et le PCF, ainsi que les dirigeants des confédérations syndicales, sont parvenus à éviter, avec le concours de la capitulation du PCI axé sur la « ligne de la démocratie ».

Si l’on veut faire référence à des situations pré‑révolutionnaires réelles (et non pas des « crises révolutionnaires » dans l’abstrait) il faut se tourner, par exemple, vers le combat des masses en Tunisie, où la classe ouvrière a joué un rôle décisif, pour abattre la dictature de Ben Ali, ou encore vers le combat des mineurs en Afrique du Sud. Pour ce qui est des situations révolutionnaires, la dernière qui a surgi en Europe c’est au Portugal, en 1974/1975. Les masses ont abattu la dictature de Caetano, fraternisé avec l’armée, constitué dans les usines les commissions ouvrières, épuré la police politique pilier de l’appareil d’Etat (la PIDE) et posé la question de la constitution d’un gouvernement ouvrier en élisant une majorité absolue de député du PSP et du PCP lors des élections à la constituante. Sommes‑nous à la veille d’une telle situation en France ? D’une « crise révolutionnaire » ?

Cette appréciation de la situation politique en France est à des années‑lumière du rapport réel, actuel, entre les classes. Mais ce "délire" a sa fonction politique : faire illusion, afin de justifier le soutien que le CCI‑POI apporte aux journées d’action bidon, comme celle du 9 avril dont il a été question plus haut.

Le fait dominant est actuellement : le désarroi du prolétariat, l’affaiblissement du mouvement ouvrier (la façon dont les appareils ont réduit de manière drastique la force des syndicats par exemple et les ont inféodés à la mise en œuvre des plans de la bourgeoisie), la faiblesse de la riposte ouvrière, en particulier dans les métropoles impérialistes, au regard de la violence des attaques portées. De ce constat, nous ne tirons pas la conclusion que cette situation est définitive et sans issue. Nous disons au contraire que ce désarroi n’est pas éternel. Nous avons apprécié politiquement ce qui, à l’échelle mondiale, manifeste les ressources du prolétariat (Afrique du Sud, Tunisie, Egypte et même Grèce), en montrant que, y compris dans ces mouvements de classe puissants, le prolétariat est confronté à la question non résolue de l’issue politique. Nous jugeons que dans des délais non assignables, des mouvements similaires auront lieu dans les métropoles impérialistes elles‑mêmes.

 

Le POI au rencard ?

 

Mais alors où se cachent les divergences qui justifieraient de la part de Gluckstein un appel à tendance, ce qui n’est pas une mince affaire s’il y a par ailleurs accord de fond sur la situation politique et ses perspectives immédiates (la “crise révolutionnaire” ?).

Gluckstein explique :

« Si donc globalement, la direction nationale a partagé une même appréciation des évènements, il n’en est pas de même concernant les tâches qui en découlent. Force est de constater que depuis le 50e Congrès, CP après CP, DN après DN, le fossé n’a cessé de se creuser entre deux manières d’aborder la question centrale de la construction du parti. La discussion préparatoire au 51ème Congrès s’ouvre à un moment bien précis. La situation grecque est l’expression du degré atteint par la crise de décomposition du système de la propriété privée des moyens de production et de ses institutions (FMI, Union européenne...) et met à l’ordre du jour, plus que jamais, la nécessité d’une campagne centrale pour la rupture avec l’Union européenne. Campagne dans laquelle, le POI (dont le socle intègre le combat pour la rupture avec l’Union européenne), pourrait et devrait jouer un rôle que, pour l’instant, il ne joue pas. Campagne qui devrait, en relation avec le combat pour la rupture avec l’Union européenne, intégrer le combat politique sans concession du POI contre le gouvernement Hollande‑Valls et sa politique, nous distinguant de toutes les variétés de la « gauche » et du Front de gauche, toutes subordonnées, d’une manière ou d’une autre, au gouvernement et à l’Union européenne. ».

Il déplore :

Un des principaux arguments avancés pour justifier que le POI ait été réduit au silence depuis un an, et qu’il lui faille renoncer à toute campagne politique, c’est la nécessité d’avancer vers la construction d’un « appareil politique de la lutte ».

Informations Ouvrières du 2 avril titrait « 9 avril : grève interpro et manifestation à l’appel de la CGT, de la CGT‑FO, de Solidaires et de la FSU contre le pacte de responsabilité et la loi Macron ». Il est difficile de faire mieux en termes de soumission à la politique des appareils ! Mais par ailleurs, Informations Ouvrières proposait la tenue d’un assemblée‑débat le 6 juin 2015. Cette assemblée était convoquée dans les termes suivants : « Une nouvelle situation est en train de s’ouvrir dans notre pays. Au lendemain des élections départementales et à la veille du 9 avril, Valls et Macron persévèrent et annoncent « on continue et on accélère » … Quelle issue et quelle perspective dans cette situation pour la classe ouvrière ? La question du rôle de l’Union européenne ; la défense de l’indépendance des organisations face aux tentatives de les associer aux contre‑réformes ».

Par cette initiative, le POI était mis à l’écart si ce n’est au rencard. Même sur le leitmotiv des éditoriaux de Gluckstein « la rupture avec l’Union », l’appel restait très discret. Quant aux « tentatives » d’associer les organisations aux contre‑réformes, il est facile de constater que le gouvernement n’a pas à faire beaucoup d’effort ! Dans le même numéro d’Informations Ouvrières, les trois secrétaires nationaux tentaient, en signant l’éditorial, de caser le POI sans faire référence au 6 juin mais en appelant à participer aux assemblées organisées par le POI.

Dans les faits, autant dans les contributions à la discussion que dans le compte‑rendu de l’assemblée du 6 juin, toute expression au compte du POI a été censurée. Dans Informations Ouvrières, les pages réservées au POI ont été réduites à la portion congrue. Lors de l’assemblée du 6 juin, dont Patrick Hébert, qui avait hérité de la charge de papa Alexandre en tant que responsable de l’UD‑FO de Loire‑Atlantique (charge qu’il a abandonnée en juin dernier), a été le maître d’œuvre, toute tentative de remise en cause de la politique des dirigeants des appareils syndicaux a été proscrite ou vertement morigénée. L’expression du POI en tant que telle a été interdite. Seul Jean Markun (qui vient de la CGT et non de la CGT‑FO), a pu en « placer une » sur l’existence du POI.

Indéniablement, la question de la construction et de la place du POI est la cause, depuis plusieurs mois semble‑t‑il, des divergences entre la « majorité » et Gluckstein. Lacaze tire le bilan du POI :

« La DN du CCI fait remarquer que le camarade Seldjouk, qui dénonce le changement radical d’orientation qui se serait produit depuis un an et qui menacerait le POI d’extinction, oublie allègrement un détail : l’érosion des effectifs du POI dure depuis au moins 6 ans. Le POI a perdu 2.500 adhérents depuis 2009 et 4.700 par rapport aux membres fondateurs, période où il exerçait, avec les autres membres de la direction du CCI qu’il accable aujourd’hui, les plus hautes responsabilités dans le POI, animant campagnes et meetings car, selon lui, un parti ne qui peut exister qu’en formulant la question du pouvoir. »

Ce bilan sert à justifier une réorientation. Certes la ligne dite de la « transition », qui a servi à couvrir la dissolution du PCI dans le PT (voir plus loin), n’est pas remise en cause. Un congrès « ouvert » du POI, dans la continuité avec l’assemblée du 6 juin, est programmé pour le mois de novembre. Mais du point de vue de la « majorité », il y a un ajustement aux besoins de l’appareil de FO, et ce n’est pas un hasard si Patrick Hébert a été le maître d’œuvre de cette assemblée, ouvrant et concluant les débats. L’appareil de FO a besoin que le CCI et sa projection, le POI, renonce officiellement à toute prétention de poser ouvertement la question du pouvoir, ce à quoi il a en réalité renoncé depuis plus de trente ans. Même sur la question de l’Union européenne, l’appareil de FO, dans le contexte de la situation en Grèce, exige que le POI mette un bémol. Mailly a remercié Hollande dans un communiqué du 15 juillet 2015 :

« Si l’accord passé ce week‑end à Bruxelles permet que la Grèce reste dans la zone euro, il n’en reste pas moins que les créanciers, dont les pays membres de la zone euro, y mettent des conditions restrictives sévères mettant sous tutelle la démocratie grecque. Pour Force Ouvrière, la technocratie et les règles monétaristes ne constituent en rien un gage de progrès social et de démocratie. Les modalités actuelles de la « gouvernance économique » de la zone euro transforment de fait un outil en principe politique. Pour le Secrétaire général de Force Ouvrière, Jean‑Claude Mailly, il est plus que temps de revoir les traités européens et les modalités de la construction européenne auxquels la France a participé. Les contraintes imposées à la Grèce s’inscrivent à nouveau dans une logique économique libérale d’austérité sociale. »

Les litanies de Gluckstein sur « la rupture avec l’Union européenne » sont maintenant de trop.

 

Lacaze, Gluckstein et la question du pouvoir

 

L’appel à tendance explique :

« Rupture avec l’Union européenne, c’est le premier pas qui pose la question du combat pour le gouvernement ouvrier et paysan, et à travers cela, pour les États‑Unis  socialistes d’Europe. C’est un levier pour aider à libérer politiquement l’énergie des masses et des militants dans le combat intransigeant pour en finir avec la politique dictée par le capital et les gouvernements qui la mettent en œuvre (…) L’exigence de rupture avec l’Union européenne constitue la forme la plus saisissable par les masses de l’exigence de rupture avec la bourgeoisie, posant ainsi la question du pouvoir, question centrale pour qui veut construire, faire vivre et agir un parti ouvrier. ».

Et il se permet de faire la leçon à Lacaze en citant les résolutions du XVIIe congrès de l’OCI qui tiraient le bilan de l’intervention pendant la grève générale de mai‑juin 1968 :

« …il saute aux yeux que, avant la grève générale, nous ne placions pas fermement au centre de notre propagande et de notre agitation la question du pouvoir. Ou plutôt, des mots d’ordre judicieux, formes d’organisation adéquates et revendications correctes que nous dégagions, nous faisions dériver le problème du gouvernement, alors qu’il eût fallu procéder à l’inverse. En quelque sorte, notre propagande et notre agitation se situaient sur le terrain de la grève générale (le « tous ensemble ») qui, automatiquement, mécaniquement, allait, de par son mouvement, régler par elle‑même la question du pouvoir. Autrement dit, nous nous situions en partie sur le terrain des illusions qui allaient trouver leur plein développement en mai‑ juin 68. »

Quand Gluckstein évoque la question du « gouvernement ouvrier et paysan », on se demande à juste titre s’il n’a pas eu une bouffée de chaleur. On peut par exemple se référer à ses derniers écrits dans La Vérité. En 2014, le CCI a republié le Programme de Transition avec une série de documents sur les discussions entre Trotsky et les dirigeants du SWP sur la question du Labor Party aux USA. Le « guide de lecture » de l’ouvrage est donné par Gluckstein dans un article paru dans La Vérité n° 83 nouvelle série (n°689) de septembre 2014. L’article s’intitule : « Note de (re) lecture. La discussion sur le programme de transition. ». Il va jusqu’à expliquer :

« Poser la question du pouvoir, y compris aux États‑Unis , n’est‑ce pas forcer les rythmes, ne pas tenir compte de l’état d’esprit réel de la classe ouvrière ? Trotsky ne recommande pas de se lancer dans une propagande abstraite pour le pouvoir. Précisément parce que la question du pouvoir est au centre, tout se concentre dans la place des revendications transitoires. »

Cela alors que la revendication transitoire du combat pour le gouvernement ouvrier et paysan, clef de voûte du Programme de transition, est purement et simplement éliminée tout au long de l’article.

Depuis 1982, Gluckstein a été l’homme de Lambert pour développer la « ligne de la démocratie ». Sur ce plan, il a devancé Lacaze, qui pourtant avait été désigné par Lambert comme son dauphin lors du XXVIIe congrès du PCI en décembre 1982. Il est vrai qu’il est capable de faire preuve de plus de « finesse » et de « rouerie » que son rival, surtout réputé sur sa capacité à manier le gourdin en politique. Lambert a fait son choix.

Quelle réponse avance Gluckstein pour formuler la question du pourvoir ? Le premier numéro de La Tribune des travailleurs l’indique :

« La Tribune des travailleurs est aussi un outil pour le combat pour la rupture avec l’Union européenne, pour en finir avec le 5e République, pour l’Assemblée constituante et le gouvernement de la classe ouvrière et de la démocratie. Elle s’inscrit au service du combat contre l’exploitation capitaliste et pour le socialisme, la démocratie et la République. »

Gluckstein explique que le mot d’ordre de « rupture avec l’Union européenne » est aujourd’hui la seule façon dont les masses peuvent saisir la question du pouvoir. Depuis des décennies, la seule façon dont Gluckstein a prétendu, dans la continuité de Lambert sur la « ligne de la démocratie », poser la question du pouvoir, c’est avec le mot d’ordre bourgeois de la « constituante souveraine ». A propos de l’Union européenne, il faut rappeler succinctement ce que Stéphane Just expliquait (supplément à CPS n° 15, 30 mars 1987) :

« Revenons à la CEE et au FMI. Il s’agit d’organisations dites intergouvernementales, c’est‑à‑dire où siègent les représentants des Etats et où, selon certaines règles et dans un certain cadre spécifique à chacune d’elles, des Etats se concertent et prennent (à la majorité ou à l’unanimité selon les cas, mais toujours avec un droit de veto) des décisions communes. Les décisions prises à Bruxelles ne sont pas prises par une quelconque entité supranationale qui pourrait imposer à « la France » ‑ c’est‑à‑dire aujourd’hui au gouvernement Chirac ‑ des décisions à l’élaboration desquelles lui‑même ou les gouvernements antérieurs n’auraient pas participées et n’auraient pas acceptées. Désigner la CEE comme l’auteur et le responsable principal des agressions contre les masses françaises ou européennes c’est (…) trouver un bouc émissaire politique et chercher à détourner contre lui l’attention et l’activité des masses alors qu’il s’agirait d’abord de dresser l’activité des ouvriers et des paysans contre l’Etat et le gouvernement auxquels ils sont confrontés dans chaque pays. En France, centrer l’attention des masses sur les « plans » et « décisions » de la CEE, c’est une façon commode – très souvent utilisée par les appareils syndicaux ‑ pour ne pas centrer l’attention sur le gouvernement, aujourd’hui le gouvernement Chirac, et ne pas appeler au combat contre lui. De même, concentrer l’attention sur le FMI c’est contribuer à occulter le fait que les créanciers des pays pauvres et débiteurs, soumis au joug impérialiste, sont tout à fait identifiables : il s’agit pour des sommes faciles à connaître dans chaque cas, des Etats et des grandes banques des États‑Unis , de la France, du Royaume‑Uni, de l’Allemagne Fédérale, de l’Italie, de le Belgique, etc. Ces créances ne sont pas des abstractions : elles ont un « visage » identifiable. (…) Pour une organisation révolutionnaire française, l’expression concrète de la solidarité militante avec les masses laborieuses des pays débiteurs d’Amérique latine et d’Afrique où sont concentrés l’essentiel des prêts consentis par l’impérialisme français signifie non pas un combat imprécis contre le FMI – en l’occurrence quasiment un cache sexe et dans tous les cas une abstraction fort commode –, mais un combat en France pour l’annulation immédiate et sans condition de la dette due aux capitalismes et à l’Etat impérialiste français, combat politique qu’il faudrait bien entendu engager sur la ligne du Front Unique des organisations ouvrières, syndicats et partis (et donc qu’il faudrait mener à l’intérieur des syndicats) en vue de l’annulation de la dette ».

Sur la question du pouvoir, la « majorité » explique :

« Dans la situation politique présente — marquée par l’effondrement de tous les partis (et particulièrement des partis qui se réclamaient il y a encore peu de temps de la classe ouvrière et de la démocratie) comme par le chantage à l’absence d’alternative gouvernementale crédible « à gauche » exercé par les appareils — nous avons estimé que : seul le développement de la lutte des classes, appuyé sur l’appropriation par les masses de leurs organisations de classe, donc sur le combat de l’avant‑garde pour aider la couche militante qui se porte aux avant‑postes de la préparation du « choc » à se doter des outils permettant aux masses de contrôler leur action de classe (comités de grève élus intégrant les représentants des organisations), était concrètement en mesure d’ouvrir la voie à une issue politique gouvernementale conforme aux exigences des masses.

Sans écarter le moins du monde le nécessaire travail de propagande permettant l’appropriation par l’avant‑garde en train de se dégager des enseignements du marxisme en la matière —, nous avons estimé que, pour libérer cette avant‑garde du poids du chantage que les directions font peser sur elle, il fallait l’aider à forger pratiquement les outils qui permettent à la lutte des classes d’ouvrir des brèches dans le dispositif des directions inféodées.

Convaincus que le combat pour abattre l’obstacle politique dressé sur la voie de la classe, incarné par la soumission des directions au cadre des institutions réactionnaires de la Ve République et de l’Union européenne, se concentrait, aujourd’hui, dans le combat pour aider la classe à se doter des instruments qui lui permettent d’ouvrir des brèches dans le dispositif de protection du gouvernement Hollande dans lesquelles les masses puissent s’engouffrer, nous avons centré tout notre combat sur la construction de l’appareil politique de la lutte.

Si ce combat impliquait que nous sachions vulgariser, à chaque étape, ce que le marxisme nous enseigne sur la façon d’aborder théoriquement la « question du pouvoir », il devait, d’abord et avant tout, procéder de notre capacité politique à aider pratiquement, par notre action décidée, la lutte des classes à déferler pour ouvrir à un stade supérieur la question concrète du pouvoir, du remplacement du gouvernement en place — première étape dans la voie de l’instauration d’un « gouvernement ouvrier et paysan » sous la forme d’un gouvernement provisoire constitué d’un comité central de grève chargé d’ouvrir la voie à une assemblée constituante, ou pas. »

Tout ce long développement nébuleux vise à justifier que la tâche de l’heure c’est « la construction de l’appareil politique de la lutte » afin de préparer le « tous ensemble » et le « déferlement » vers la grève générale, et que c’est dans ce mouvement que surgira la question du pouvoir (par « déferlement », le CCI entend la succession des « journées d’action » ponctuant le dialogue social permanent des appareils avec le gouvernement). Ainsi, le but d’un comité central de grève serait de remettre le pouvoir entre les mains d’une « assemblée constituante, ou pas ».

Une telle orientation est la négation des acquis politiques de l’OCI mais aussi du combat de Lénine et Trotsky. Le rapport réel entre le développement de la lutte des classes et la question du pouvoir est exactement inverse. La situation politique en Grèce en est l’éclatante démonstration : c’est sur cette question que butte le prolétariat grec. Notons que Lacaze et Gluckstein restent discrets sur qui sont les «appareils » et les « directions » ? Il s’agit au plus, sous leur plume, des « partis institutionnels », le PS et le PCF, mais en aucun cas les dirigeants de la CGT, de FO et de la FSU.


À propos des comités d’action

 

Ainsi, pour Lacaze, l’assemblée du 6 juin était un premier pas vers la constitution de « l’appareil politique de la lutte ». D’une manière implicite, il faisait référence à l’orientation des comités d’action développée par Trotsky dans un article daté du 26 novembre 1935 et publié dans la brochure Où va la France ? Sur ce plan, Gluckstein lui emboîte le pas en faisant, lui, référence explicite au texte de Trotsky. Pour tous les deux, puisque nous serions à la veille de l’ouverture de la « crise révolutionnaire », le moment est venu de mettre en avant cette orientation. Moins à « gauche que moi » tu meurs !

La référence aux comités d’action est grotesque. Dans Où va la France ? Trotsky écrit :

« Pendant la lutte à Toulon et à Brest, les ouvriers auraient sans hésitation créé une organisation locale de combat si on les avait appelés à le faire. Au lendemain de la sanglante répression de Limoges, les ouvriers et une fraction importante de la petite bourgeoisie auraient sans aucun doute manifesté leur disposition à élire des comités pour enquêter sur les événements sanglants et les empêcher à l’avenir. Pendant le mouvement qui a eu lieu dans les casernes cet été, contre le "rabiot", les soldats auraient sans hésiter élu des comités d’action de compagnie, de régiment et de garnison si on leur avait indiqué cette voie. De tels cas se présentent et se présenteront à chaque pas, plus souvent à l’échelle locale ; plus rarement à l’échelle nationale. Il ne faut pas manquer une seule de ces occasions. La première condition pour ce faire, est de comprendre soi‑même clairement la signification des comités d’action en tant qu’unique moyen de briser la résistance antirévolutionnaire des appareils des partis et des syndicats. » (Souligné par Trotsky).

En novembres 1935, Trotsky analyse que la situation en France est véritablement pré‑révolutionnaire. Pour tenter de faire barrage à la transformation de la situation pré‑révolutionnaire à une situation révolutionnaire, ce qui sera le cas à partir de juin 1936, le PCF et la SFOI constituent avec les Radicaux le Front populaire. Les masses aspirent à la réalisation du front unique ouvrier contre le gouvernement Laval. Elles investissent massivement le PCF et la SFIO et posent la question du pouvoir. En maints endroits, elles affrontent l’armée, la police et les milices fascistes. Cette volonté de combattre de l’ensemble du prolétariat à des répercussions dans l’armée, chez les appelés du contingent.

Sommes‑nous à la veille d’une telle situation en France ? Poser la question, c’est y répondre. Les élucubrations de Lacaze et de Gluckstein relèvent de la falsification et de la duperie, dans le but de tenter de justifier leur soutien aux journées d’action ‑ de bousille ‑ organisées par les appareils syndicaux. Elles tablent sur l’ignorance crasse d’une grande partie des militants du CCI en pleine décomposition politique.

 

Chiens de garde des appareils

 

Dans IO du 16 avril, Denis Langlet (en fait cadre du POI/CCI, sous le pseudo de Laval) risque une très timorée critique de la politique des appareils syndicaux sur le 9 avril :

« Initiée par la confédération FO, dont le congrès avait décidé d’une « action nationale de grève et de manifestation », cette journée, appelée dans l’unité avec la CGT, a vu sa préparation marquée par de nombreux appels unitaires FO‑ CGT, et au fur et à mesure des jours, de plus en plus généraux, et noyant l’exigence du retrait de la loi Macron sous une liste sans fin de revendications. La méthode est bien connue, avec cette multiplication des demandes disparaissait de fait l’objectif de cette journée : le retrait de la loi Macron.
Sans objectif ciblé et exigé, la manifestation, certes puissante, a été rarement rythmée par le mot d’ordre reprenant l’objectif, et les directions nationales ont estimé qu’elle a été un succès au seul critère de la participation. Ni grève, ni blocage réalisés ce jour‑là (...)

Qui peut penser qu’un tel enjeu soit atteint sans grève, ni blocage ?... »

Le moins qu’on puisse dire, c’est que le ton est très mesuré. Mais c’est encore beaucoup trop. Laval est sèchement renvoyé dans les cordes par le représentant de la police de l’appareil du CCI, un dénommé Gérard Gaillaguet, dans le IO du 7 mai. Puisque, même de manière très mesurée, Denis Langlet critique les appareils syndicaux, c’est bien sûr – vous l’aviez compris – qu’il s’en prend ... aux travailleurs !

« Dans la tribune n°1, sous le titre "Ne soyons pas dupes ! ", Denis Langlet déplore qu’au lendemain du 9 avril, la menace de la loi Macron n’ait pas été balayée. C’est un fait. Pour autant, est‑ce la faute aux "nombreux appels unitaires FO‑CGT (…) noyant l’exigence du retrait de la loi Macron sous une liste sans fin de revendications" ? » (…)

« Alors, l’absence de blocage du pays le 9 avril serait la faute de ceux qui n’auraient pas perçu l’importance de la suppression du deuxième paragraphe de l’article 2064 du code civil (effectivement au centre de la loi Macron, comme le dit Langlet, ndlr)... Encore faut‑il préciser qui sont ces myopes (ou ces dupes, de qui ?), sous peine de suggérer que l’on dénonce le coupable manque de discernement des exploités eux‑mêmes (…) »

Tout est dans la parenthèse : « dupes, de qui ? ». Gaillaguet dresse son doigt inquisiteur : oserais‑tu, Langlet, dire que les appareils dupent les travailleurs ? Oserais‑tu ce crime de lèse‑majesté ou lèse‑bureaucrate ? Le même Gaillaguet, après en avoir fait des tonnes sur le mouvement qui mûrit de la manifestation (squelettique) contre l’ANI au 9 avril, conclut que « les obstacles sont en dernière analyse politiques ». Autrement dit, on peut bien faire des phrases contre le PS ou le FG, mais pas touche aux appareils syndicaux !

Même Gluckstein, qui pourtant soutient totalement l’orientation adoptée sur le 9 avril, a jugé utile de se démarquer. Dans son appel à tendance, à propos de la grève de Radio France, il vend la mèche. Il « mord le trait » sur Radio France. Radio France est le seul endroit où il y a eu choc entre les appareils syndicaux et les travailleurs lorsque les dirigeants ont appelé à la reprise contre l’AG des grévistes. La direction du CCI, qui a longuement interviewé les bureaucrates, a pris parti sans état d’âme pour les appareils, allant, c’est Gluckstein lui‑même qui le dit, jusqu’à camoufler tant que c’était possible que la grève trahie s’était terminée par un plan de plus de 300 suppressions de poste. Gluckstein écrit :

« Informations ouvrières du 9 avril a publié la lettre par laquelle l’intersyndicale de Radio France demandait à la ministre Fleur Pellerin l’intervention d’un médiateur, précisant que sa « lettre de cadrage offrait la possibilité à la direction de négocier et de trouver une issue positive au conflit ». Or, dans sa lettre de cadrage, la ministre avalisait l’existence d’un plan pouvant aller jusqu’à 380 suppressions d’emploi. En publiant cette lettre dans IO, sans critique ni prise de distance, ne donnions‑nous pas au lecteur le sentiment que nous cautionnions cette démarche de l’intersyndicale ? Cette critique, formulée une première fois au CP, puis à nouveau une semaine plus tard, après que la grève ait été brisée (n’y avait‑il pas un rapport entre l’allégeance de l’intersyndicale à la ministre et les conditions dans lesquelles la grève s’est arrêtée ?), s’est heurtée à une vive opposition au cours de la discussion. Il faut noter que lorsque une semaine plus tard, Informations ouvrières publie un article qui met à juste titre en cause le rôle des directions dans la fin de la grève, il manque toujours deux éléments d’information importants, à savoir les 380 suppressions d’emploi toujours à l’ordre du jour et cette question de l’allégeance à la lettre de cadrage. N’est‑ce pas pourtant une question majeure ? Comment peut‑on contribuer à constituer l’appareil politique de la lutte si on ne donne pas aux travailleurs les faits pour comprendre, si on ne les alerte pas sur le piège mortel que constitue une démarche se situant dans le cadre d’une lettre de cadrage programmant 380 suppressions d’emploi ?"

Que l’évocation de la trahison des appareils à Radio France ait suscité une « vive opposition » en dit assez long. Cela va dans le même sens que l’altercation Langlet‑Gaillaguet évoquée plus haut.

La caractérisation « chiens de grade des appareils » peut choquer. Pourtant, elle correspond à la réalité. Deux exemples peuvent être donnés.

 

Prêts à servir les dirigeants de la CGT et de la FSU…

 

Premier exemple : lors du congrès CGT Finances Publiques qui s’est tenu du 18 au 22 mai 2015 (voir compte‑rendu détaillé sur le site http://socialisme.free.fr/supplements/2015_06_14_supp_cps_finances.htm), les militants du CCI/POI ont fait bloc avec l’appareil de la CGT pour faire barrage à tout combat pour la rupture des négociations PPCR. A l’initiative des militants de notre Groupe, le congrès CGT de la Charente‑Maritime de ce syndicat avait adopté une motion qui se concluait ainsi :

« Il s’agit d’une offensive méthodique contre le statut général de la fonction publique, et les statuts particuliers des corps nationaux, qui en sont les concrétisations.

Les négociations dites PPCR s’inscrivent totalement dans le cadre de la politique générale de ce gouvernement de soumission aux exigences patronales, qui, pour ce qui concerne la fonction publique, signifie le blocage permanent des traitements, les coupes budgétaires massives, la révision des missions et la remise en cause des garanties statutaires.

Le congrès de la CGT Finances publiques n’accepte pas la remise en cause des règles de gestion, des statuts particuliers nationaux et des régimes indemnitaires des agents de la DGFIP !

Il n’accepte pas de voir tout l’édifice des garanties des agents de la DGFIP menacé d’être mis à bas et les principes de la fonction publique de carrière remis en cause.

Le gouvernement table sur la participation des directions syndicales pour réaliser contre les agents de la DGFIP et les fonctionnaires ce que les gouvernements précédents, de Chirac à Sarkozy, n’ont pas réussi à faire.

C’est pourquoi notre congrès s’adresse à la direction de l’UGFF‑CGT pour dire :

Il est hors de question de continuer à participer à des réunions qui se tiennent sur le cahier revendicatif du gouvernement contre les fonctionnaires, contre les agents de la DGFIP.

Sortez de ces pseudos négociations ! 

Prononcez‑vous pour le maintien intégral des règles de gestion nationales, pour le maintien des statuts particuliers, pour le maintien des principes de la fonction publique de carrière et appelez à la mobilisation des fonctionnaires sur cette base ! »

Les représentants du CCI/POI ont été le fer de lance de l’appareil dans son combat contre cette motion. Ils ont échoué, et la volonté de combattre des agents a pu s’exprimer. Malgré le dispositif mis en place par l’appareil avec la complicité du CCI/POI, la motion obtient 79 voix sur 184 délégués (il y a 105 « contre »). Elle ne passe pas, mais le résultat obtenu dans ces conditions – elle fait 43% des voix ‑ est significatif de la volonté des délégués de résister. Jusque dans le milieu des années 2000, le POI cherchait à donner le change dans la CGT aux Finances, il jouait à l’opposition, même si elle n’était que façade. Maintenant, les choses sont claires et nettes : il intervient pour faire régner l’ordre de l’appareil. C’est ainsi que les interventions du POI dans le congrès ont, dès l’ouverture du débat général, un contenu policier.

Le second exemple est celui de l’alignement systématique, au sein du BDFN et du CDFN de la FSU, des militants d’URIS (tendance animée par le CCI/POI) sur la direction Unité et Action et École Émancipée (dirigée par des débris du NPA ralliés au Front de gauche) contre tout combat pour que les dirigeants de la FSU et de ses syndicats rompent avec le gouvernement. Il en a été ainsi sur toutes les attaques du gouvernement sur les rythmes scolaires, la liquidation des décrets de 1950, la réforme des collèges, etc. Il en est ainsi sur la question des négociations PPCR, sur lesquelles Informations Ouvrières est plus que très discret du fait de l’engagement de la fédération FO des fonctionnaires où les militants du CCI/POI ont des positions significatives (voir le site http://www.frontunique.com). Il faut rappeler que le combat pour organiser les personnels de l’Éducation nationale pour que les dirigeants de la FSU rompent avec le gouvernement est le b‑a‑ba du combat réel pour le front unique des organisations. Le fait que les dirigeants du SNES et de FO aient rompu temporairement les négociations sur la réforme des collèges a joué un rôle majeur dans la mobilisation massive des enseignants lors de la grève du 19 mai 2015.

La laisse serrée autour du cou du POI par les appareils syndicaux (ou plutôt par l’appareil FO et via ce dernier par les autres appareils ‑ CGT, FSU) est de plus en plus courte. Elle est de plus en plus courte, comme est de plus en plus courte la laisse qui tient les appareils syndicaux au capital financier et à son actuel gouvernement.

 

Ni la « majorité » ni la « tendance » ne remettent en cause « la ligne de la démocratie »

Notre groupe est la continuité du combat engagé par Stéphane Just, en particulier lors de la préparation du XXVIIIe congrès du PCI, contre la « ligne de la démocratie », expression du révisionnisme lambertiste. En 1984, s’est constitué à l’initiative de Stéphane Just et de 36 militants exclus du PCI, le Comité pour le redressement politique et organisationnel du PCI et de IVe Internationale‑CIR. Le bulletin n°1 de Combattre pour le socialisme (octobre 1984) présentait le Comité en ces termes :

« Qui sommes‑nous ? La plupart d’entre nous avons été exclus du Parti communiste internationaliste au cours et à la suite de son XXVIIIe congrès, sous un prétexte aussi absurde que mensonger. (…) C’est que nous sommes en profond désaccord avec l’orientation que sa direction imprime au PCI. Depuis 1981, elle se refuse à mettre en cause le gouvernement que Mitterrand a mis en place et à montrer qu’un autre gouvernement est possible. Elle affirme : " il faut rétablir la démocratie ", il s’agit du parlementarisme bourgeois, et s’oppose à l’orientation : " On ne peut rien résoudre si l’on craint d’aller au socialisme ". À l’activité pour la construction d’un parti ouvrier révolutionnaire combattant pour le socialisme elle oppose la construction d’un " parti des travailleurs " sans programme sinon celui de " la démocratie ", dans lequel, inéluctablement, le PCI se dissoudrait. Elle refuse absolument de mettre en avant un programme d’action anticapitaliste et de combattre pour ce programme. Pour notre part, nous estimons que sur l’orientation " s’engager sur la voie qui mène au socialisme " il faut construire un parti ouvrier révolutionnaire qui doit se prononcer pour le renversement inconditionnel de la 5e république, de ses institutions et militer pour la république ouvrière et socialiste. Un programme d’action anticapitaliste est indispensable à un tel parti. Un tel parti sera un apport décisif à la reconstruction de l’Internationale, dont le prolétariat mondial a besoin pour combattre et vaincre le capital, les bureaucraties parasitaires, s’emparer du pouvoir et dans le cadre de la démocratie ouvrière, construire le socialisme. »

Notre Groupe assume la stricte continuité de ce combat politique tel que défini par Stéphane Just et le Comité. Il se concrétise aujourd’hui par la lutte pour organiser les travailleurs et la jeunesse pour imposer aux dirigeants des confédérations et des fédérations syndicales (CGT, FO, FSU, UNEF), ainsi que des partis PS et PCF qu’ils rompent avec la bourgeoise, aujourd’hui avec le gouvernement Hollande‑Valls‑Macron‑Pinel. Il s’agit du combat avec pour perspective celle d’un gouvernement issu du front unique ouvrier, rompant avec la bourgeoisie et dont le prolétariat et le jeunesse exigeraient la satisfaction de leurs revendications, le contrôle ouvrier, en commençant par la nationalisation sans indemnités ni rachat des banques et des grands groupes capitalistes et la mise en œuvre d’un plan de production en fonction des besoins sociaux. D’un tel gouvernement, il serait exigé qu’il renoue avec l’internationalisme prolétarien pour en finir avec l’Union européenne, pour les États‑Unis  Socialistes d’Europe.

Dans les mois qui suivirent, plus de 100 militants étaient exclus, « coupables » de partager ce combat. En 1987, du fait des développements de la lutte des classes en France, le Comité a pris la dénomination de Comité pour la construction de parti ouvrier révolutionnaire et l’Internationale ouvrière révolutionnaire, tout en poursuivant son combat pour le redressement politique et organisationnel du PCI.

Il faut rappeler que, par la suite, d’autres groupes de militants ont rejoint le comité : une partie de l’éphémère tendance FFU constituée par Broué en 1989 (lequel, il faut le rappeler, a joué le rôle de grand inquisiteur, supplétif et homme de main de Lambert, contre Stéphane Just lors du XXVIIIème congrès) ; une partie de la tendance Langevin/Drut/Vania en 1991 (il faut rappeler au docteur autoproclamé « es science PCI/CCI » V. Présumey, que ce n’était pas la tendance Langevin/Drut mais la tendance Langevin/Drut/Vania, et que, justement avec Vania, de nombreux militants, rompant avec Langevin et Drut, ont rejoint le Comité).

En 1991, lors de la première guerre impérialiste contre l’Irak, le PCI s’est mis à la remorque de « l’appel des 75 », initiée par le PCF, sur la ligne du combat pour « la paix », opposée au combat sans condition pour le retrait inconditionnel des armées impérialistes, en particulier des troupes françaises. Cette capitulation totale sur les tâches découlant de l’internationaliste prolétarien le plus élémentaire n’a donné lieu à aucune remise en cause tant au sein du PCI que des organisations affiliées à IVe Internationale‑CIR. Le Comité a alors analysé que le redressement du PCI n’était plus possible et que sa dégénérescence en tant qu’organisation révisionniste était irréversible. Par là même, il concluait que le combat pour la reconstruction de la IVe Internationale ne pouvait plus être poursuivi.

Notre Groupe considère que le CCI constitue un obstacle majeur au combat qui est le sien, celui pour la construction du parti ouvrier révolutionnaire et de l’internationale ouvrière révolutionnaire. Son orientation, « la ligne de la démocratie », concrétisée dans celle du POI, est un véritable repoussoir pour les militants qui cherchent à renouer avec le trotskysme, cela d’autant plus que les lambertistes ont reproclamé « leur » IVe internationale en 1993, « IVe internationale » aujourd’hui aux bords de l’explosion, en conséquence de la crise du CCI. Il est d’autant plus un obstacle du fait qu’en tant qu’organisation, et en tant qu’organisation seulement, le CCI est issu du combat politique de l’OCI puis du PCI contre le révisionniste pabliste et ses multiples variantes dégénérées, pour la reconstruction de la IVe Internationale. Par les « historiens » du trotskysme, le CCI est classé ainsi, et il représenterait la continuité de ce combat. Et effectivement, le CCI s’en réclame pour « les dimanches et les jours de fêtes ».

Mais la question fondamentale pour comprendre la crise actuelle, c’est qu’aucune des deux « parties » ne remet en cause la « ligne de la démocratie ».


Ultime épilogue du bilan du révisionnisme lambertiste ?

 

Il est impossible de comprendre la crise actuelle du CCI sans revenir sur le bilan du révisionnisme lambertiste. Ce que ne permettent en aucun cas les multiples commentaires, dont ceux de V. Présumey, ou ceux produits par la tendance CLAIRE du NPA ou par P. Carrasquedo (groupe La Commune). On note d’ailleurs chez eux une certaine compassion. Ils craignent d’une certaine manière de voir affaibli un allié de taille dans leur orientation de soumission aux appareils et leur capitulation pour affronter réellement les bureaucraties syndicales au sein de la CGT, de FO et de la FSU.

Il faut revenir aux débuts des années 1980. Le PCI, proclamé en décembre 1981, représentait une réelle possibilité de construire en France un parti ouvrier révolutionnaire, combattant pour la construction de l’internationale révolutionnaire. Plus de 400 militants issus de la LCR venaient d’intégrer l’OCI. Le PCI disposait de fractions significatives dans les confédérations et fédérations ouvrières, en particulier dans les syndicats de la FEN mais pas seulement (RATP, Sécurité sociale, PTT, impôts, entreprises de la métallurgie, etc.). C’était une base pour une implantation au cœur du prolétariat et de la classe ouvrière. Il dirigeait l’UNEF, conquise de haute lutte contre l’appareil stalinien, ce qui lui donnait d’importante possibilité d’intervention dans la jeunesse étudiante. En prenant avec précaution les chiffres officiels de sa direction, souvent gonflés, le PCI comptait probablement au moins 4500 à 5000 militants.

Avec la « ligne de la démocratie », Lambert et sa clique de permanents sélectionnés par lui ont liquidé cette possibilité. Lambert a sélectionné ce que Stéphane Just appelait un « mini appareil ». Une bande de permanents, déclassés, sans position sociale, dont la survie alimentaire dépendait d’abord de leur sélection par Lambert pour devenir membre de l’appareil du PCI, par conséquent de leur soumission à son orientation et à ses combines, en particulier avec l’appareil syndical de FO. Au début des années 1980, l’appareil du PCI comptait près de 100 permanents, en comptant les permanents « techniques ». Ces permanents étaient largement majoritaires au sein du Comité central du PCI en 1984. Ces pseudo « révolutionnaires professionnels » n’avaient aucun lien réel avec la classe ouvrière, sauf à confondre la classe ouvrière avec les appareils syndicaux. Ils construisaient le parti en traversant plusieurs par jour la cour du local, rue du Faubourg Saint‑Denis.

A ce jour, le CCI compterait moins de 2000 adhérents, et encore faudrait-il pouvoir distinguer « adhérents » et « militants ». Mis à part la revue La Vérité, réservée à un cercle restreint, le CCI n’a aucune expression politique propre et indépendante. Ses liens avec la jeunesse sont inexistants. Avec Cambadélis, passé au PS en 1986, pur produit de la sélection mode Lambert, la fraction étudiante a été anéantie : l’UNEF a été livrée au PS dans le « corbeille de mariage ». L’appareil lui‑même est vieillissant, au bord de la sclérose et de la fossilisation. En tant qu’organisation révolutionnaire, le PCI a été définitivement liquidé en 1991. En tant qu’organisation, il a été dissous de fait dans le PT en 1992.

La IVe Internationale a été « reproclamée » par Lambert en juin 1993. L’orientation du MPPT, de la « transition » style POI, est celle qui a été mise en œuvre pour liquider l’OSI au Brésil, l’OST en Algérie, ou encore le POMR au Pérou. En réalité, cette la IVe internationale « reproclamée » est une fiction. Elle ne comprend aucune organisation digne de ce nom, mis à part le CCI. En avril 2013, elle tenait son VIIIe congrès. Ce congrès s’est mué en un meeting en défense de la nation algérienne face à la menace d’une intervention de l’impérialisme américain, une invention pure et simple ! Le PT de Louisa Hanoune se distingue par son orientation de défense du régime réactionnaire de Bouteflika, et aujourd’hui par la défense directe de l’état algérien désigné sous le vocable de "nation". La « IVe internationale » de Lambert est une fiction. De la même manière au plan international, la même orientation de la « transition » a été appliquée avec la constitution de l’Entente internationale des travailleurs (EIT) à Barcelone en janvier 1991. On ne peut que constater qu’elle a politiquement disparu. Son existence dépend essentiellement du CCI.

 

Vers de nouveaux développements

 

Gluckstein ne remet pas en cause les bases de la liquidation du PCI comme organisation trotskyste : la république, la démocratie, la constituante, la rupture avec l’Union européenne séparée de la rupture dans chaque pays avec sa propre bourgeoisie, etc., substituées au combat pour le gouvernement ouvrier, pour la construction du parti ouvrier révolutionnaire.

La « majorité » tire les leçons de l’échec de la construction du POI. Puisqu’il n’y a pas d’autre politique autorisée que celle de police des appareils, puisque sur ce terrain on ne peut que réunir des « cadres » syndicaux, mieux vaut en conclure ‑ subrepticement d’abord, puis de plus en plus ouvertement ‑ au renoncement à l’ambition si formelle soit‑elle de la constitution du parti. D’où le renoncement de plus en plus systématique à présenter des candidats aux élections, l’annulation de meetings du POI et le refus de toute campagne centrale sur la « rupture avec l’Union européenne », toute chose que Gluckstein déplore.

Face à la « majorité », Gluckstein combat pour que le POI ne disparaisse pas parce que sa survie politique, en tant qu’apparatchik, en dépend. Il en est de même pour ses alliés du moment au sein du POI, tel Jean Markun et Gérard Schivardi. Gluckstein a été mis en garde par la résolution de la DN du CCI du 7 mars 2015 qui, d’une certaine manière, l’a poussé dans ses derniers retranchements. Ce texte indiquait :

« Il y a urgence, à trois mois du congrès ouvert (dont la date a été repoussée, ndlr), à tourner radicalement tout le parti, jusqu’au plus petit de ses comités locaux, sur l’axe de la préparation effective, sur une ligne de FUO, du choc qui se prépare. Il nous faut bousculer la routine qui paralyse le parti au moment où s’ouvre une « fenêtre de tir » exceptionnelle ! « Tourner » signifie mettre en conformité le parti que nous construisons avec le tournant en cours de la situation et avec les tâches que cette situation exige de nous. « Tourner », c’est mettre progressivement au centre de nos comités et de toutes nos instances — selon un plan minutieux — les militants du POI qui exercent des responsabilités dans la lutte des classes et dans ses organisations, et qui sont ceux qui seront appelés à vertébrer « l’appareil politique de la lutte », car c’est du développement de la lutte des classes que dépend l’ouverture d’une issue politique conforme aux intérêts de la classe.(…) C’est là que réside le cœur des débats qui vont se développer au sein de la couche de militants auxquels nous nous adressons et que nous voulons gagner au parti. » (souligné par nous).

En clair, la « routine » c’est Gluckstein et ses éditoriaux. « Tourner » c’est constituer le soi‑disant « appareil politique de la lutte » avec les bureaucrates syndicaux.

La lutte engagée au sein du CCI est lutte entre apparatchiks de bas étage. D’un côté, la « majorité », dont la figure de proue est Patrick Hébert, prête à liquider ou au moins à adapter le POI en fonction des besoins de l’appareil de FO. De l’autre, ceux, pour l’essentiel, dont l’existence politique est moins directement dépendante de l’appareil de FO. Ces derniers ne peuvent exister politiquement que par la médiation du POI.

Pour exister politiquement, Gluckstein doit se démarquer de la « majorité ». Il ne s’agit en aucun cas pour lui de le faire sur la remise en cause de la « ligne de la démocratie ». Il courrait, sinon, le risque d’ouvrir la boîte de Pandore, contexte dans lequel il serait lui‑même remis en cause, lui qui a été chantre de la « ligne de la démocratie ». Pour se délimiter et pouvoir manœuvrer, Gluckstein fait donner des seconds couteaux. Ainsi dans La Tribune des travailleurs N°4 (8/09/2015), Anne‑Catherine Levecque, membre de « son » bureau national du POI déclare, dans une tribune « L’heure est au POI dans la continuité de ses origines » :

« Face aux offensives corporatistes (comme celles menées dans le cadre de la Confédération européenne des syndicats (CES), c’est aussi un parti qui respecte et défend la forme traditionnelle en France de l’indépendance entre parti et syndicat. Indépendance des syndicats vis‑à‑vis des patrons, de l’Etat, du gouvernement, des églises et des partis (incluant le POI). Et réciproquement, indépendance du POI vis‑à‑vis de l’Etat, du gouvernement, des patrons, des églises et des organisations syndicales) » (ndlr : souligné par nous).

Ce n’est pas ici le propos de développer la question de l’indépendance entre parti et syndicat. On se contentera de rappeler qu’il s’agit d’une « théorie » développée par Lambert, en contradiction totale avec Trotsky*, pour justifier l’abandon de tout combat pour le front unique ouvrier au sein des syndicats, l’un des gages donné en son temps en particulier à l’appareil de FO. Mais le « réciproquement » a son importance. La Tribune des travailleurs dénonce, numéro après numéro, la CES et par conséquent, à mots couverts, la participation de FO.

Et sur la question de la signature de l’accord PPCR, alors qu’IO est muet (et pour cause, FO n’a pas encore officialisé sa position… Lacaze attend les consignes de Mailly…), La Tribune des travailleurs a pris quelques libertés par rapport à l’appareil de la FSU : elle dénonce dans des « tribunes » la signature de l’accord.

 

En guise de premières conclusions

Pour notre Groupe, depuis 1991, « le PCI est mort. La force politique qui du PCI en 1951, au Comité international, au CORQI, à IVe Internationale‑CIR a assumé la continuité de la IVe Internationale a été gagné par le révisionnisme elle est morte comme organisation trotskyste. (…) Elle est irredressable. »

Néanmoins son histoire plonge ses racines lointaines dans le combat pour la IVe Internationale. En ce sens, le CCI n’est pas un groupe contre les autres. Il est obligé, tendance Lacaze ou tendance Gluckstein, de grimer sa politique contre‑révolutionnaire de citations, de références à Lénine et Trotsky. Pour qui cherche à comprendre et à s’orienter honnêtement dans le combat pour la construction du parti ouvrier révolutionnaire, la contradiction entre ces références et la politique du CCI/POI est, sinon insupportable, du moins incompréhensible.

Cette contradiction ne peut qu’être surmontée en s’appropriant les acquis du combat politique de notre Groupe. Sur cette base, les militants du Groupe s’adresseront à tous les militants et proches du CCI qui cherchent à comprendre les causes de l’explosion politique qui vient de se produire.

20 septembre 2015

 

* Lire à ce sujet :

- Les Syndicats à l’époque de la décadence impérialiste (L. Trotsky)

- Les Syndicats, la crise de l’impérialisme et la nouvelle période de la révolution prolétarienne (S. Just)

 

 

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