« Combattre pour le socialisme » n°57 nouvelle série (n°139) – 13 mai 2015 :

 

Hollande et Valls, après les départementales et la nouvelle débâcle électorale du PS et du PCF : « Accélérer les réformes »...
c'est-à-dire les contre-réformes anti-ouvrières
avec l'indispensable appui des dirigeants syndicaux, via le dialogue social

Pour ouvrir une issue politique, il faut combattre pour la rupture
des dirigeants syndicaux avec le gouvernement, et en particulier exiger
qu'ils boycottent la Conférence sociale « thématique » de juin

 

Migrants naufragés en Méditerranée : un concentré de la barbarie impérialiste

Depuis janvier, 1500 migrants officiellement, sans doute en réalité beaucoup plus, sont morts, naufragés en Méditerranée. Embarqués dans des bateaux pourris par des passeurs qui les ont préalablement dépouillés, traqués par la police maritime de l’UE, les 1500 sont les derniers d’une liste de 22 000 morts, officiellement décomptés, depuis 15 ans dans les mêmes conditions.

Les dirigeants des gouvernements de l’UE versent des larmes de crocodile et organisent des minutes de silence. Mais qui est responsable?

Ceux qui tentent à tout prix de passer en Europe fuient la guerre en Syrie, en Afghanistan, au Congo, au Mali, au Kenya en Éthiopie, en Érythrée ou en Somalie, guerres qui opposent les puissances impérialistes, les gouvernements à leurs bottes, les bandes djihadistes qui sont elles-mêmes des créations des puissances impérialistes ayant échappé à leurs anciens maîtres, ou encore, comme au Congo, des bandes armées qui se disputent le pillage des ressources minières pour les revendre aux grands groupes capitalistes qui les arment.

Ils tentent désespérément d’échapper aux massacres, au chômage, à la misère et à la faim. Ils cherchent à échapper à une situation dont la seule responsabilité incombe à l’impérialisme lui-même.

Confrontés à cet afflux, les gouvernements des pays les plus immédiatement exposés, en particulier l’Italie, avaient mis en place un dispositif («Mare Nostrum») qui, pour l’essentiel, visait à interdire l’accès aux migrants des côtes italiennes, mais qui, malgré tout et jusqu’à un certain point, sauvait de la mort quelques-uns d’entre eux lors des naufrages.

Les gouvernements de l’UE ont jugé que ces sauvetages devaient cesser. Ils constituaient selon eux un inadmissible «appel d’air» pour l’immigration. Fin du dispositif «Mare Nostrum», auquel on substitue le dispositif «Triton». La différence est que ce dernier n’a plus du tout pour but, fut-il secondaire, le sauvetage des naufragés, mais exclusivement comme rôle d’interdire aux bateaux de migrants l’accès aux côtes européennes. Il n’y a pas d’autre explication à l’augmentation vertigineuse du nombre de morts en Méditerranée depuis le début de l’année.

Il faut donc le dire : les responsables de ces milliers de morts, leurs assassins, sont à la tête des gouvernements de l’UE - et parmi eux le gouvernement Hollande-Valls-Macron-Pinel. Ils sont doublement responsables : responsables de la situation qui en Afrique, au Moyen-Orient, pousse des millions d’êtres humains à fuir leur pays, responsables cyniques des naufrages eux-mêmes.

On ne peut en finir avec ces tragédies épouvantables qu’en en finissant avec l’impérialisme et donc avec les gouvernements qui le défendent.

 

Chaos en Afrique....

Cela étant, l’afflux toujours plus important des bateaux d’immigrés d’Afrique et d’Asie, même si beaucoup chavirent, pose aux puissances impérialistes, et pas seulement en Europe, un problème majeur. Pas du tout un problème moral, mais un problème politique.

On le sait , c’est via la Libye qu’arrivent la plupart de ces embarcations. La coopération réactionnaire entre les gouvernements d’Europe et les régimes qui leur sont soumis, coopération qui peu ou prou fonctionne ailleurs par la terreur policière, ne fonctionne pas en Libye pour la simple raison qu’il n’y a plus d’Etat ici, mais des bandes armées soutenues, qui par les différentes factions djihadistes, qui par l’Egypte et l’Arabie saoudite.

L’intervention impérialiste de 2011, essentiellement franco-britannique, a eu pour résultat d’armer les milices qui aujourd’hui s’entredéchirent sur le sol libyen. Ce sont les mêmes armes, entre les mains des djihadistes, qui reprennent vigueur au Mali.

Ainsi se manifeste conjointement la violence impérialiste et son impuissance à fonder un nouvel ordre mondial. Le résultat de l’intervention impérialiste, c’est le chaos. Mais il serait stupide de prétendre que le but des puissances impérialistes est le chaos. Ce que veulent les puissances impérialistes, c’est que les conditions de pillage «normal» du pétrole libyen soient rétablies, qu’il en aille de même au Nigeria (où s’opposent les troupes d’États africains - essentiellement tchadiennes, avec l’encadrement «technique» de l’armée française - et le groupe djihadiste Boko Haram), en Irak, ce qui suppose que, dans ces pays, l’État comme appareil de répression contre les masses fonctionne efficacement. Mais c’est précisément ce but qui semble hors de portée dans un nombre grandissant de pays.

… en Syrie et Irak....

Rien de plus éclairant à cet égard que la situation au Moyen-Orient. Après avoir sans état d’âme collaboré avec la dictature d’Assad père et fils pendant des décennies, les puissances impérialistes - et de manière particulièrement virulente l’impérialisme français - ont changé de monture, la dictature syrienne n’étant plus jugée suffisamment docile. Voilà donc un conglomérat de résistants à Assad - le CNS - érigé par l’impérialisme français en «seul représentant légitime» du peuple syrien et armé en conséquence. Las ! Trés vite l’opération - par rapport à laquelle du reste l’impérialisme US est resté plus que réticent - devait se révéler périlleuse. Ladite CNS devait rapidement se révéler militairement débile, politiquement inconsistante et peu fiable - au point de se féliciter récemment ouvertement des succès d’Al Nosra, les représentants locaux d’Al Qaida. En même temps, la déstabilisation d’Assad ouvrait la voie à l’Etat Islamique (EI), lequel à partir de là, allié avec les débris de l’encadrement militaire de l’ancienne armée de Saddam Hussein, s’est mis à infliger défaite sur défaite à l’Etat irakien - porté à bout de bras par l’impérialisme US - jusqu’à menacer son existence même.

Et voilà Kerry, représentant de l’impérialisme US, contraint d’annoncer qu’il allait bien falloir du fait du danger d’EI faire avec Bachar El Assad. Quant à l’impérialisme français, après des mois de mâles propos sur le fait qu’il fallait combattre Bachar jusqu’à son départ, il indique par la voix de Fabius, qu’il faut en finir avec Bachar... mais préserver les institutions de l’État syrien. Et on apprend que la coopération a repris entre services secrets français et syriens qui, après tout, font le même travail contre les mêmes ennemis !

Comble de l’ironie de l’Histoire. Les uns et les autres doivent accepter de facto une alliance non écrite avec l’Iran qui a joué notamment un rôle décisif dans l’expulsion de Tikrit, ville irakienne, d’EI.

Rappelons que depuis de nombreuses années, l’Iran fait l’objet d’un véritable blocus économique de la part des puissances impérialistes. Ce sont bien sûr les masses iraniennes qui font les frais de ce blocus, pas les dignitaires du régime des ayatollahs, privées qu’elles sont de produits élémentaires pour leur survie (médicaments, etc.). Précisons que la raison de ce blocus n’a rien à voir avec le prétendu danger nucléaire que pourrait représenter l’Iran, mais avec l’objectif tenace de l’impérialisme US de rétablir en Iran un régime non moins réactionnaire que le régime actuel, mais infiniment plus docile à ses propres intérêts. Il s’agit aussi d’effacer l’humiliation historique qu’avait représentée l’expulsion par les masses du régime du Shah.

On comprend que la nouvelle situation conduise Obama à rechercher un modus vivendi avec le régime iranien malgré de sérieuses divergences de vues au sein même des cercles dirigeants de l’impérialisme US. Cette recherche s’est traduite par l’«accord-cadre» sur le nucléaire iranien. Précisons que cet accord ne signifie nullement la fin des mesures contre les masses iraniennes, mais, dans le meilleur des cas, un trés relatif assouplissement. Mais cela est suffisant pour que s’insurge le représentant de l’Etat sioniste, Netanyahou, dans lequel les colons, qui constituent la seule réalité du « peuple israélien », viennent à nouveau d’indiquer aux élections qu’ils se reconnaissaient pleinement. Netanyahou ne court d’ailleurs en l’occurrence aucun risque. L’impérialisme US continuera, économiquement et militairement à soutenir à bout de bras Israël.

Mais l’épisode est significatif. Même si aujourd’hui l’impérialisme US est la seule puissance mondiale, disposant notamment d’une écrasante suprématie militaire, il ne peut éviter que se développent les forces centrifuges, y compris à partir de ses alliés les plus constants.

… au Yémen

La même remarque vaut pour l’Arabie saoudite qui, dans son engagement militaire au Yémen, s’est satisfaite d’un soutien après coup et sans ferveur de l’impérialisme US, et à sa suite de l’ONU, à laquelle elle n’avait pas demandé d’autorisation. Cette intervention présente tous les traits d’une intervention impérialiste, tant dans sa forme (bombardements meurtriers de la population civile, villages rasés parce qu’accusés d’être des refuges des « rebelles ») que dans le fond. Il s’agit d’imposer au Yémen le maintien d’un régime allié, et en particulier d’interdire l’accès au pouvoir d’un régime à dominante chiite, alors même que tant en Arabie saoudite qu’au Bahreïn voisin – où les chars de l’Arabie saoudite sont intervenus il n’y a pas si longtemps - les chiites constituent une population opprimée.

Toutefois, à l’évidence, l’intervention militaire se heurte à une résistance inattendue. Et là encore, le résultat le plus immédiat est à la fois une accélération de la dislocation de l’Etat et la voie laissée libre au développement des djihadistes, en particulier Al Qaida.

Ainsi tend à s’étendre le chaos politique, les puissances impérialistes n’arrivant pas à s’assurer la maîtrise de la situation. Mais il faut le noter : nulle part, le prolétariat n’est en mesure de faire valoir ses propres solutions. Non pas qu’il ne possède, au moins dans certains pays, une puissance objective. C’est le cas par exemple en Iran, et aussi en Arabie saoudite où le prolétariat est essentiellement immigré. Mais il est politiquement désarmé, soit privé d’organisations, soit accablé par le poids des trahisons passées. Il faut ajouter : la victoire de la contre-révolution en Egypte, défaite pour les prolétariats de toute la région, où les dirigeants du mouvement ouvrier, flanqués des groupes d’extrême-gauche ont eux-mêmes contribué à la prise du pouvoir par Sissi, ne pèse pas pour rien dans le désarroi du prolétariat et son impuissance. Et ainsi ce chaos n’est, à cette étape, porteur pour les masses de rien d’autre que de terreur, d’oppression et de misère accrue.

La place de l’impérialisme français

Il faut le noter : dans les guerres impérialistes qui accablent les peuples d’Afrique et du Proche-Orient, l’impérialisme français à la hauteur de son propre format – plutôt roquet que molosse – joue un rôle particulièrement réactionnaire : intervention directe au Mali et encadrement de l’armée du dictateur et tortionnaire tchadien Deby, soutien éhonté à Israël et Netanyahou, bombardements en Irak... Il faut ajouter : ventes d’armes massives à l’Arabie saoudite (28% des commandes de matériel d’armement exportés !), vente de Rafales à l’Égypte avec un soutien ostentatoire aux régimes de ce pays, tout cela accompagné d’un silence assourdissant des partis d’origine ouvrière et des directions syndicales par rapport à cette politique. Récemment, la révélation de viols d’enfants par les soldats français manifeste la révoltante réalité du rôle “pacificateur” de la France en Centrafrique.

Contre l’intervention impérialiste française au Moyen-Orient et en Afrique, à l’encontre du silence complice qui prévaut dans les sommets des organisations du mouvement ouvrier, toutes les opportunités d’intervention doivent être saisies.

Crise du mode de production capitaliste :
les Diafoirus au chevet d’un malade dont l’état ne cesse d’empirer

Le FMI vient de sortir son rapport périodique sur l’état de l’économie mondiale. On y apprend que “ce serait une erreur de parler, comme certains l’ont fait de stagnation, mais les perspectives sont plus mitigées et des perspectives plus mitigées conduisent, à leur tour, à de moindres dépenses et à une croissance plus faible dès aujourd’hui”. Donc il ne faut pas parler de stagnation... mais la croissance faiblit.

Faute de disposer d’une thérapeutique efficace, on peut toujours – comme le faisait Diafoirus, le fameux médecin dont se moque Molière – inventer un nouveau mot qui fait savant. Tenez vous le pour dit. La tendance redoutée par Diafoirus-Lagarde (directrice du FMI), c’est le “new mediocre” , ainsi défini : “la conjonction d’une croissance et d’une inflation faibles avec un endettement et un chômage élevés”.

Quant à la médecine préconisée, la voici telle que résumée par Le Monde du 16 avril : “ Pour éviter un tel scénario, Mme Lagarde propose de faire flèche de tout bois : soutien de la demande, relance de l’investissement, mais aussi réformes des marchés du travail, des biens et des services.”

Les “réformes des marchés du travail, des biens et des services”, tout le monde sait de quoi il s’agit. La “réforme des marchés du travail”, c’est la flexibilité des salaires (donc leur baisse, pour faire face à la concurrence), la liquidation des garanties en matière de contrat de travail, la remise en cause des indemnités chômage, etc. La “réforme des marchés des services”, c’est la liquidation des services publics, la suppression en masse des postes de fonctionnaires, la fermeture des écoles et des hôpitaux, le rationnement des soins.

Toutes ces mesures entraînant la paupérisation des masses laborieuses ont évidemment comme conséquence la baisse de la demande. Mais Diafoirus-Lagarde n’a aucun problème à proposer dans la même phrase tout et son contraire, en préconisant dans le même temps le “soutien de la demande”.

Il est vrai que la contradiction dans le cerveau de Lagarde n’est rien d’autre que l’expression en idée de la contradiction dans la réalité elle-même du mode de production capitaliste. Chaque capitaliste, chaque bourgeoisie doit, pour affronter la concurrence, diminuer le coût de la force de travail et, à ce titre, contribue à une baisse générale de “la demande”, et rêve que la bourgeoisie concurrente fasse le contraire, cela pour trouver un marché élargi pour ses propres produits. Nul ne le sait mieux que Lagarde qui, alors ministre de Sarkozy, adressait régulièrement des suppliques à la bourgeoisie allemande pour que celle-ci... augmente les salaires !

Quant à la “relance des investissements”, voilà ce qu’en dit De Vijdler, directeur de la recherche économique à BNP Paribas : «Dans l’économie réelle, les investissements des entreprises sont longtemps restés anémiques. Cela reste d’ailleurs le cas en Europe où, en pourcentage du PIB, le niveau d’investissement reste très bas, environ 15% au-dessous du niveau de 2008». L’article ose l’hypothèse : «pour des entreprises confrontées à un problème de surcapacité, augmenter l’appareil de production n’aurait pas de sens» et s’inquiète de l’écart entre le sous-investissement et l’euphorie boursière : «Mais peut-être faut-il s’inquiéter davantage du risque d’apparition d’une bulle financière en cas de décrochage entre la réaction des marchés aux mesures de relance de l’économie axées sur la politique monétaire et la réactivité de l’économie même.»

On ne saurait être plus clair. Les capitalistes n’investissent pas car ils sont déjà en surcapacité. Dans ces conditions, les flux financiers énormes générés par la politique des banques centrales (en particulier la BCE et la BOJ – banque centrale japonaise) s’orientent vers la spéculation, en particulier la spéculation boursière et le marché des actions. Une énorme masse de capitaux fictifs surplombe ainsi l’ensemble de l’économie capitaliste, faisant peser le risque permanent du krach boursier auquel les banques déjà grevées d’actifs douteux – 900 milliards pour les seules banques européennes, soit trois fois le budget 2014 de la France ! - ne résisteraient pas.

En Chine, la décélération de tous les dangers” (Martin Wolf, Le Monde du 16 avril)

Mais si la situation en Europe demeure, avec des inégalités, celle d’une quasi-stagnation, si le Japon voit à nouveau sa production industrielle baisser, si le Brésil stagne et la Russie est franchement plongée dans la récession, si aux États-Unis s’accumulent les signes d’un nouveau ralentissement (baisse des investissements, accélération du déficit commercial), les inquiétudes des cercles dirigeants de l’impérialisme se concentrent sur la Chine. Ici, ce qu’on redoute, c’est le “hard landing”, l’atterrissage forcé avec des conséquences incalculables, à la fois sur l’économie mondiale et sur la situation sociale en Chine même (voir article dans ce numéro de CPS).

Le Monde du 16 avril indique :

Le ralentissement chinois s’est amplifié au premier trimestre. Comme le laissait augurer la chute des exportations et des importations en mars, la croissance est tombée à 7 % au premier trimestre, a annoncé, mercredi 15 avril, le Bureau national des statistiques. C’est la plus mauvaise performance, en rythme annualisé, de l’économie chinoise depuis 2009 et les débuts de la récession mondiale. Elle devrait relancer les spéculations au sujet de l’opportunité par Pékin de nouvelles mesures de soutien.

Si nombre d’analystes interrogés par l’AFP tablaient sur un ralentissement encore plus marqué (+ 6,9 %), le chiffre dévoilé mercredi est très en deçà du dernier trimestre 2014 (7,3 %), et de la croissance de 7,4 % enregistrée sur l’ensemble de l’année dernière, qui était déjà la plus faible depuis presque vingt-cinq ans.

D’autres indicateurs, également publiés mercredi, attestent de l’importance de la décélération en cours. La production industrielle s’est à nouveau tassée en mars, ne progressant que de 5,6 % sur un an, après une hausse de 6,8 % sur janvier-février, une période marquée par le Nouvel An chinois, et de 7,9 % en décembre.

Les ventes au détail ont grimpé de 10,2 % en mars, leur plus faible progression depuis au moins dix ans. Quant aux investissements en capital fixe (+ 13,5 % au premier trimestre), ils s’essoufflent eux aussi de manière assez sensible.

Lundi, les douanes avaient annoncé que les exportations avaient reculé de 15 % en rythme annualisé à 144,6 milliards de dollars (136,28 milliards d’euros) en mars et que les importations s’étaient repliées de 12,7 %, à 141,5 milliards de dollars. ”

« Les prix à la production en Chine en sont à leur trente-septième mois consécutif de baisse. Un tel phénomène signale un excès d’offre par rapport à la demande », confirme l’économiste en chef de Coface, Julien Marcilly, qui fait état de surcapacités de production dans l’acier, la pétrochimie et la construction navale. D’autres secteurs, ajoute-t-il, souffrent de l’augmentation du coût du travail. Le textile en fait les frais, qui voit se délocaliser une partie de sa production vers des pays d’Asie où la main-d’œuvre est moins chère...

Les divergences sectorielles sont marquées : Coface a placé la Chine sous perspective négative en janvier en raison de l’augmentation du risque des entreprises et de la recrudescence des impayés.

(...) L’investissement a perdu en efficacité et l’endettement a progressé dans des proportions impressionnantes. D’après le Crédit agricole, l’endettement des entreprises, des collectivités locales et, à un moindre degré, des ménages est passé de 155 % du produit intérieur brut (PIB) début 2010 à environ 200 % du PIB et cela sans compter la dette du gouvernement central.”

Baisse des investissements – et baisse de leur rentabilité -, augmentation inquiétante de l’endettement, baisse des exportations et des importations : la Chine, qu’on a si longtemps présentée comme l’antidote et le recours contre la crise générale du mode de production capitaliste, reproduit en réalité à l’échelle gigantesque qui est la sienne toutes les contradictions à l’œuvre dans les métropoles impérialistes. Et en particulier, elle souffre d’énormes surcapacités de production, ce qui constitue la note différée du gigantesque plan de relance de 2008-2009. Or le surinvestissement – à grands coups d’emprunts, en particulier des régions – supposait le maintien d’une trés forte croissance pour se rentabiliser. On peut reprendre la formule de Martin Wolf : “Pourquoi devrions-nous douter de la capacité de la Chine à maintenir une croissance élevée? La première raison est quune croissance élevée trés rapide ressemble à la pratique du vélo : tout se passe bien tant que lon maintient une certaine vitesse... Linvestissement antérieur a été fondé sur une prévision de croissance annuelle de 10%. Le ralentissement rend chronique lexcédent de capacités, et crée leffondrement de linvestissement. De plus la baisse de la croissance diminue la capacité à rembourser la dette antérieure issue du boom du crédit et de limmobilier....”.

À cet égard, il faut prendre trés au sérieux cette première alerte : “Les marchés ont aussi connu un petit décrochage peu avant 11h29 à la confirmation du défaut du groupe chinois Baoding Tianwei sur sa dette. Celui-ci a confirmé ne pas avoir les ressources nécessaires pour honorer une échéance sur une obligation domestique. La société est de taille modeste, mais l’événement est symbolique car il s’agit du premier défaut sur une obligation chinoise d’une entreprise d’État.” (boursier.com, 21 avril)

On ne saurait mieux dire que l’économie chinoise danse sur un volcan. Quant aux recettes du gouvernement chinois, elles ressemblent en tout point à celles adoptées ailleurs. Elles procèdent de la fuite en avant : libération des flux de capitaux, baisse des fonds propres exigés des banques. Des recettes qui ne feront que rendre plus brutal l’effondrement économique qui pourrait prendre en particulier la forme d’un gigantesque krach bancaire...

Face à la crise, la seule politique possible pour les différentes bourgeoisies :
frapper sans relâche le prolétariat

Au-delà des discours savants des économistes sur les mille et une façon de relancer la machine économique, dans la réalité, il n’y a pour les différentes bourgeoisies qu’une politique possible : la diminution brutale du “coût du travail” - c’est-à-dire de la valeur de la force de travail. Périodiquement est mis en exergue un pays qui s’en sort mieux que les autres, où la croissance est moins anémique, etc. Les commentateurs bourgeois vantent par exemple aujourd’hui la Grande-Bretagne. Il faut tout de suite préciser : il n’y a pas d’exception à la crise du mode de production capitaliste. Il y a simplement des manifestations particulières, nationales de cette crise, la particularité dépendant du rapport entre les classes, de la capacité qu’a eue dans tel ou tel pays la bourgeoisie à porter des coups plus ou moins violents au prolétariat, etc.

À cet égard, le prolétariat britannique est de ceux qui ont subi les plus dures défaites depuis plus de trois décennies. Mais si aujourd’hui la Grande-Bretagne affiche un taux de croissance supérieur à celui des autres pays d’Europe, cela ne signifie en rien un retour à la prospérité. Il n’y a aucune réindustrialisation réelle, toute la croissance est fondée sur un développement débridé du crédit, en particulier immobilier, les déficits y sont largement supérieurs à ceux de la plupart des autres pays européens, il n’y a aucun véritable redémarrage de l’investissement. Mais là où par contre la bourgeoisie peut s’enorgueillir d’un réel succès, c’est au niveau de la brutale dégradation de la situation du prolétariat. Voyons ce qu’en disent Les Échos :

La productivité britannique est, selon l’ONS, quasi inchangée depuis 2007. Parallèlement, les salaires, s’ils ont remonté fin 2014, restent inférieurs de 8 % à ceux d’avant la crise. Logiquement, comme le souligne encore Simon Wren-Lewis, les entreprises ont donc embauché sans chercher à augmenter leur productivité une fois la reprise revenue...

Un des reproches souvent fait à la reprise de l’emploi britannique, c’est la précarité des emplois créés. Dans un marché du travail aussi flexible que celui du Royaume-Uni, il est souvent difficile d’en juger. Si le taux d’embauche de salariés à temps plein progresse avec la reprise (il est dans les derniers mois de 75 % des nouvelles embauches), il est vrai que le Royaume-Uni a connu ces dernières années un fort développement des travailleurs indépendants. Près de la moitié des créations d’emploi depuis 2007 se serait effectuée dans ce statut. Selon une étude de la BoE citée par Eudoxe Denis, cette croissance qui a porté le taux de ces travailleurs à 15 % de la population active s’explique par des éléments de long terme (notamment la préférence des séniors pour ce statut qui constituent 90 % de la croissance de la population active) beaucoup plus que par la crise.

Autre élément qui est au cœur de la campagne électorale : les « contrats zéro heures » (Zero Hour Contracts) qui permettent aux salariés de remplir des tâches selon les besoins de l’employeur. Ces contrats n’ont pas été créés par le gouvernement Cameron, ils datent des années 1970, mais le Labour promet de les supprimer. Ils ont progressé de 19 % en un an selon les chiffres de février 2015 et concernent 697.000 personnes (sur 31 millions d’actifs)... Les personnes qui disposent de tels contrats ont plusieurs employeurs : on en comptait en mars 2014 en tout 1,8 million contre 1,4 million un an auparavant.”

Passons sur les mensonges intéressés des Échos : les séniors préfèreraient être travailleurs indépendants, et le Labour aurait promis la fin des Contrats zéro heure (Miliband, chef du Labour a au contraire déclaré qu’on ne pourrait les supprimer mais qu’il faudrait mieux les “encadrer”). Mais l’article indique que le secret de la “reprise” britannique n’est nulle part ailleurs que dans la baisse des salaires, dans la flexibilité à outrance du marché du travail (par les Contrats zéro heure et le statut de “travailleur indépendant” qui n’est pas formellement salarié donc qui est embauché sur projet). Par ailleurs que cette reprise ne manifeste aucun retour réel à la santé du système, c’est ce que révèle la faible productivité (lorsque les capitalistes disposent d’une main-d’œuvre à bas prix, ils n’ont aucun intérêt à substituer des moyens modernes de production aux salariés…).

C’est la “recette” britannique que la bourgeoisie souhaite voir adoptée partout. C’est la potion que les masses grecques sont sommées d’avaler jusqu’à la dernière goutte avec la complicité du gouvernement Tsipras-Kamenos : pas un euro de “prêt” pour la Grèce sans la continuation à marche forcée des privatisations – Tsipras est allé en Chine annoncer que le Pirée serait entièrement privatisé –, sans une nouvelle contre-réforme des retraites et du marché du travail. Moscovici au nom de l’UE l’indique sans détour : “Il faut que le gouvernement grec produise les réformes qu’on lui demande” . Même les phrases sur la “souveraineté” grecque, le “respect du vote des Grecs” ne sont plus de saison ! (voir article sur la Grèce dans ce numéro de CPS).

C’est une potion similaire que le gouvernement Hollande-Valls-Macron-Pinel entend faire avaler au prolétariat de France.

Après Alstom, Alcatel-Lucent : les “champions nationaux” passent à la trappe

Il est vrai que toute la situation de la bourgeoisie française impose au gouvernement d’accélérer la marche aux contre-réformes. Les précédents CPS ont souvent développé la dégradation continue de la situation de l’économie française par rapport à ses concurrents. Cet éditorial n’y reviendra pas dans le détail, sauf pour évoquer le trés significatif rachat d’Alcatel-Lucent par Nokia. Il y a moins d’un an, pour justifier la cession de l’essentiel d’Alstom à General Electric, son patron Kron expliquait : “la voie d’une stratégie autonome est devenue risquée et dangereuse... C’est une question de parts de marché et de taille critique....” (cité dans CPS n° 54). Aujourd’hui (interview dans Le Monde du 16 avril) Combes, directeur d’Alcatel-Lucent explique à son tour : “Seuls nous n’avions pas les moyens financiers pour investir dans la mesure qu’il faudrait, ni la taille critique nécessaire à faire des économies d’échelle indispensables pour assurer notre compétitivité dans le secteur.”

La reprise mot par mot à un an d’intervalle des deux patrons ne doit rien au hasard. Toute la politique industrielle de la Ve République était fondée sur la constitution de “champions nationaux” capables de jouer dans “la cour des grands”. C’est cette prétention qui aujourd’hui s’effondre. Inéluctablement, l’économie française est reléguée en deuxième division – dans le meilleur des cas.

Évidemment, les premières victimes sont les travailleurs. Lorsque Combes parle d’ “économie d’échelle”, il faut traduire par suppression de postes. D’une manière plus générale, la dégradation de la situation économique se traduit par l’accélération des plans de licenciements (La Halle aux Vêtements, AIM, Galeries Lafayette, Mory Global).

Il faut insister sur ce dernier exemple. Il y a quelques mois, Mory Ducros annonçait le licenciement de la moitié de ses chauffeurs (il y avait à l’époque 5000 chauffeurs). Les travailleurs avaient alors tenté de s’opposer aux licenciements en utilisant l’arme dont ils disposaient : la grève et le blocage des dépôts. Ils en avaient été dissuadés par leurs propres responsables syndicaux, et Montebourg lui-même s’était “courageusement” adressé aux chauffeurs pour leur demander de lever les blocages pour “sauver les emplois qui pouvaient l’être”. Un fonds d’investissement se portait acquéreur de l’entreprise – désormais Mory Global – moyennant plus de 2000 licenciements. Au passage, ledit fonds d’investissement empochait la bagatelle de 17,5 millions de “prêt” de l’Etat. Aujourd’hui, c’est la mise en liquidation, le licenciement total des chauffeurs qu’on avait alors dressés contre ceux qui avaient perdu leur travail lors de la précédente charrette. Quant aux 17,5 millions, il est d’ores et déjà acquis que l’Etat n’en reverra pas la couleur. On ne serait pas complet si l’on n’ajoutait que tous les responsables syndicaux viennent de signer l’accord en vertu duquel une aumône sera versée aux travailleurs licenciés. Édifiant !

Départementales : nouvelle Bérézina électorale pour le PS et le PCF

C’est à la suite d’une nouvelle défaite accablante pour le PS et le PCF que Valls, droit dans ses bottes, a annoncé qu’il avait compris le message des électeurs... et décidé d’accélérer les réformes.

Le PS, après la perte de dizaines de municipalités de grandes villes aux Municipales, a perdu aux Départementales la bagatelle de 28 départements (le PCF perdant un des deux conseils généraux qu’il dirigeait). En voix, plus d’un électeur sur deux qui avait voté Hollande au premier tour des Présidentielles n’a pas voté PS aux Départementales. Deux électeurs sur trois qui avaient voté Mélenchon n’ont pas voté PCF ou FG. Ajoutons : il est difficile de faire une comparaison absolument précise vu les attelages constitués ici ou là par le PS et le PCF avec des partis ou personnalités bourgeoises (EELV, Radicaux, “divers gauche”).

La cause de cet effondrement, c’est que le prolétariat lui-même, comme en témoigne la participation dérisoire dans les quartiers populaires, s’est massivement abstenu. La thèse selon laquelle il y a remontée de la participation électorale est là aussi une mystification. On compare avec 2011, où il y avait renouvellement partiel des conseillers généraux, alors que dans le cas présent il s’agit d’élections générales (sauf Paris) donc politiques.

En regard de cet effondrement, la victoire de l’UMP est toute relative, ce dont conviennent ses représentants les plus lucides. Elle procède d’une moindre déperdition de voix par rapport au vote Sarkozy.

Quant au FN, si son ascension n’a rien d’irrésistible (un million de voix environ de moins pour ses candidats que sur le vote Le Pen en 2012), il n’en reste pas moins que son électorat est le plus stable par rapport à 2012, d’où le spectaculaire progrès en pourcentage et l’élection de plusieurs de dizaines de conseillers départementaux frontistes. Quant à la nature de cet électorat, la thèse – anti-ouvrière – qui vise à en faire un électorat ouvrier est une mystification : il demeure dans le prolétariat une réalité assez marginale. Il est en réalité composite : fraction de la bourgeoisie menacée par le libre-échange de l’UE et nostalgique de l’empire colonial, petite bourgeoisie et paysannerie réactionnaire de tout temps, lumpen‑prolétariat aussi.

Cela étant, en termes de classes, c’est-à-dire de rapport vote pour les partis bourgeois/vote pour les partis d’origine ouvrière, ces élections sont marquées par une victoire écrasante des partis bourgeois (nonobstant le fait que toutes les voix portées sur des candidats “de gauche” ne sont pas des voix PS-PCF, il ya 12,5 millions de voix pour la “droite” et 7,5 millions pour la “gauche”).


Valls “se félicite” et Macron déclare : “je me fiche de qui m’applaudit”

On peut a priori s’étonner du fait que la première déclaration de Valls dès le soir du premier tour a été pour... se féliciter de ces résultats :

Ce soir, l’extrême-droite, même si elle est trop haute, n’est pas la première formation politique de France. Je m’en félicite car je me suis personnellement engagé. Quant on mobilise la société, quant on mobilise les Français, ça marche.”

Valls ne saurait dire plus clairement pour qui il roule. Et d’appeler au “désistement républicain”, c’est-à-dire au vote UMP au deuxième tour dans des dizaines de cantons.

Lorsque Valls se félicite de la victoire électorale de l’UMP, il indique la nature politique de son gouvernement : un gouvernement dressé contre le vote populaire de 2012 et sa matérialisation, l’existence d’une majorité PS-PCF à l’Assemblée nationale.

À cet égard, l’intervention de Macron au Sénat après les Départementales constitue une illustration saisissante. Dans le cadre de l’ “accélération” des réformes, Macron choisit de présenter d’abord au Sénat à majorité UMP-UDI – ce qui est en soi une indication politique – le nouveau cadeau fiscal au patronat dit de “surcompensation fiscal” des investissements (lorsque un patron investit à hauteur de 100, cet investissement est déductible des impôts à hauteur de 140). Réaction enthousiaste des sénateurs UMP et de l’UDI : “Nous venons de vivre un grand moment de vérité politique... un discours revigorant, vivifiant et tonifiant”. Ce sont leurs propos. Et lorsque le représentant PCF objecte à Macron : “Regardez qui vous applaudit”, celui-ci réplique en toute franchise : “je me moque de qui m’applaudit”.

Précisons : c’est sans vergogne que Macron prend appui sur la majorité sénatoriale UMP-UDI ; c’est sans vergogne qu’il piétine le vote de 2012. Ainsi va le gouvernement Hollande-Valls-Macron-Pinel.

Front républicain” contre Front national sur quel terrain ?

A la majorité PS-PCF, le gouvernement oppose le Front républicain incluant la “droite républicaine”. Mais sur quel terrain ? Celui de l’opposition au Front national.

Le Front national est un parti ultra-réactionnaire, raciste, anti-ouvrier, un parti purement bourgeois : de cela, aucun lecteur de CPS n’a besoin d’être convaincu. Mais que le FN soit un parti bourgeois ne signifie pas qu’en l’état actuel des choses il dispose du soutien du grand capital. En vérité, c’est tout le contraire. Ce n’est nullement un hasard si Gattaz s’est fendu d’une déclaration politique violemment hostile au FN et à son programme économique “absurde”. On comprend l’angle d’attaque de Gattaz : les déclarations nauséabondes contre les immigrés de Le Pen père et fille ne le gênent en rien. Ce qui le gêne, ce sont les déclarations de Le Pen contre l’Union européenne. Car malgré toutes les difficultés pour la bourgeoisie française, la fraction dominante de celle-ci a lié son sort à l’UE. Le retour à un protectionnisme national serait pour elle une catastrophe.

Or, c’est sur ce même terrain - et exclusivement sur ce terrain – que le gouvernement, Hollande lui-même, tout comme l’UMP brandissent l’étendard de “la lutte anti-Front national”. C’est ce que vient de révéler la phrase soigneusement pesée de Hollande à Canal + : “Lorsque vous lisez ce qu’écrit le FN, c’est comme un tract du PCF des années 70”. Le PCF des années 70, c’est la ligne du “produire français” opposée à la construction européenne. Quel que soit le caractère totalement réactionnaire de la politique du PCF d’hier et d’aujourd’hui – y compris d’ailleurs sur le terrain de l’immigration –, l’amalgame entre PCF et FN est un amalgame misérable. Mais il vise un premier but : en assimilant PCF et FN, Hollande assimile le vote PCF et le vote FN, c’est-à-dire un vote qui, pour l’essentiel, est un vote ouvrier, et le vote ultra-réactionnaire pour le FN. En ce sens, la déclaration de Hollande est d’abord une déclaration haineuse contre la classe ouvrière. Il vise un deuxième but : se dresser contre la seule issue politique possible : un gouvernement des seuls PS et PCF appuyé sur la majorité PS-PCF à l’Assemblée nationale. Il vise enfin un troisième but : la constitution du Front républicain sur l’axe politique défini par Gattaz : la défense de l’UE contre “le programme économique absurde du Front national”.

Congrès du PS : aucune opposition réelle

Si Valls a pu se féliciter de la déroute électorale du PS, on pouvait s’attendre à quelques réactions dans le PS. Ne serait-ce que parce que la défaite aux Départementales signifiait pour nombre de membres de l’appareil... une mise au chômage brutale. Elles ont été au total plus que limitées. Certes quelques dirigeants dits “frondeurs” ont évoqué la nécessité de “changer de politique”, Mais quant au contenu de ce “changement”, il est totalement insaisissable. La lecture des documents de congrès de la tendance abusivement étiquetée “de gauche” l’illustre, et les déclarations comme les silences des uns et des autres plus encore. Christian Paul, dirigeant “frondeur” approuve la loi Rebsamen. Les dirigeants “frondeurs” se félicitent de la loi Touraine. Silence total sur la loi “renseignement” (voir plus loin). Au bout du compte, on ne voit pas très bien en quoi il y a opposition. La seule question qui suscite quelques remous – qui d’ailleurs ne recoupent en rien l’opposition des motions pour le congrès –, c’est la réforme des collèges. Comme on le verra plus bas, ce n’est pas un hasard.

Signe des temps, Martine Aubry a rallié la motion Cambadelis, c’est-à-dire la motion Valls. Et plus significatif encore : toutes les motions se prononcent pour le “dépassement” du PS, c’est-à-dire la liquidation de tout ce qui le relie à l’histoire du mouvement ouvrier, ce que préconise ouvertement Valls. Selon toute probabilité, le congrès marquera un pas dans ce sens (même s’il en restera à accomplir), donc une victoire de Hollande-Valls-Macron contre le PS.

La loi renseignement : union nationale pour une attaque sans précédent contre les libertés démocratiques

Rien n’illustre mieux la soumission totale des prétendus “frondeurs” sur le projet de loi renseignement. De quoi s’agit-il ? D’une autorisation illimitée à l’accès aux données personnelles et ce par tous les moyens (écoutes téléphoniques, accès aux données Internet, installation de micros et de sondes). La définition des justifications que la police pourrait faire valoir pour mettre en oeuvre ce flicage montre que non seulement n’importe qui peut faire l’objet d’une telle surveillance – le projet de loi prévoit d’ailleurs le flicage y compris de l’entourage de la personne suspectée ! Quels mobiles pour un tel contrôle ? Ecoutons ce qu’en dit… la commission parlementaire elle-même qui, par ailleurs, soutient l’essentiel du projet (voir plus bas) :

« ... la Commission constate que l’article 1er du projet de loi ajoute aux cinq existantes deux nouvelles finalités – les intérêts essentiels de la politique étrangère et l’exécution des engagements européens et internationaux de la France et la prévention des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique – sans que soit précisément caractérisée chacune d’elles laissant ainsi une très large marge d’interprétation et autorisant potentiellement un recours très élargi aux activités et aux technologies du renseignement. S’agissant des « intérêts essentiels de la politique étrangère » et de « l’exécution des engagements européens et internationaux de la France », la Commission souhaite que les débats permettent une clarification de ces notions. Quant à la finalité de « prévention des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique », la Commission la juge trop floue et trop large et préconise sa suppression, l’objectif de prévention des violences collectives de nature à porter atteinte à la forme républicaine et à la stabilité des institutions étant par ailleurs couverte par la notion de « sécurité nationale ». »

Ainsi, tout militant combattant les interventions impérialistes de la France (“intérêts essentiels de la politique étrangère”), tout travailleur engagé dans une grève, au nom de la “prévention des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à l’ordre public”, pourra faire l’objet d’une surveillance permanente.

C’est ce contre quoi affecte de protester le député UMP Lelouch – fausse protestation, mais vraie jubilation – qui indique la fonction de la loi relative au renseignement dans la guerre de classe – sous couvert de guerre contre le terrorisme : « Donc lors de Mai-68 ou des grandes grèves de 1995, les services auraient été habilités à espionner... Prenez vos chers “zadistes” de Notre-Dame-des-Landes, des agitateurs professionnels, là on dit qu’on a le droit de les espionner. Je dis attention. »

Lelouch aurait tort de se priver de poser en faux défenseur des militants du mouvement ouvrier ou plus généralement des mobilisations populaires. S’il peut prendre ce rôle de composition, c’est bien parce que du côté du PS, c’est le silence le plus honteux, et du côté du PCF, une protestation soigneusement balisée comme l’indique la conclusion de l’article de l’Humanité du 1er avril :

« Les services de renseignements doivent bénéficier, au même titre que l’ensemble des services de l’État, de moyens financiers et humains suffisants pour remplir leurs missions dans le cadre de l’État de droit. »

La vérité, c’est qu’il y a une véritable union nationale pour ce projet de loi. Du reste, Valls a ouvertement félicité l’UMP pour son soutien dont Sarkozy a donné le sens : “Pour lutter contre le terrorisme, les Français doivent accepter une remise en cause de leurs libertés.”

Quant aux directions syndicales, la palme de l’ignominie revient incontestablement à l’appareil Force Ouvrière : «Nous approuvons globalement le projet de loi, mais nous émettons des réserves sur certaines formulations très larges qui pourraient être dangereuses pour les libertés publiques.» (B. Brugère, du syndicat FO de la Magistrature)

Les directions de la CGT et de la FSU, elles, ont été contraintes de sortir de leur silence par les prises de position émanant d’abord de personnalités, groupements, associations extérieures au mouvement ouvrier sur le terrain démocratique. Elles appellent à un rassemblement Place de la République lundi 4 mai, veille du vote à l’Assemblée en procédure accélérée. Il est clair que s’il s’agissait véritablement d’empêcher l’adoption de ce projet de loi, c’est évidemment en direction de l’Assemblée nationale que devait être dirigée la manifestation, dont la préparation aurait dû avoir une toute autre ampleur que le cadre confidentiel qui est aujourd’hui le sien.

Assemblée nationale : du vote de la loi Touraine...

Car contre les acquis ouvriers, et sans que la majorité PS-PCF ne lève le petit doigt, l’Assemblée nationale ne chôme pas. Ainsi vient-elle adopter en première lecture la loi Touraine.

Une entreprise d’intoxication a visé à présenter cette loi comme une loi élargissant l’accès aux soins via l’instauration du “tiers payant”. En réalité le tiers payant ne réduit pas d’un centime la contribution du patient, en particulier lorsqu’il s’adresse à un médecin non conventionné. Par contre, le système du tiers payant, ajouté aux mesures prises sur le caractère public des données de santé, donne un droit de regard inédit aux mutuelles sur l’ensemble des activités de soin.

Cela prépare l’étape suivante à savoir l’instauration d’un système bonus-malus, comme pour les assurances automobiles, où le montant payé par le patient aux mutuelles, son degré de protection – qui prospèrent sur les mesures de déremboursement prises par la Sécurité sociale – dépendra du fait qu’il sera rangé dans une population plus ou moins jugée “à risques” pour tel ou tel type de pathologie.

Ajoutons que l’essentiel des mesures se concentre dans les attaques contre l’Hôpital public. Ainsi, l’appartenance contrainte à un groupement d’établissements au sein duquel seront mutualisées – voire privatisées – toute une série de fonctions (logistique, commande de fournitures, entretien, restauration), doit permettre de supprimer des milliers de postes. Dans le même sens va le renforcement du rôle des ARS (Agence régionale de santé) chargés d’organiser le système de santé au public et non système de santé public qui intègre dans son schéma régional aussi bien hôpitaux publics, hôpitaux privés à but non lucratif, et cliniques privées. La soumission des hôpitaux à la répartition des types de soin entre les différents établissements – certains actes pouvant donc être exclusivement dévolus à des cliniques privées – conditionnera le financement des établissements. Ajoutons que, désormais, les mêmes cliniques pourront assurer la formation des personnels. Ainsi les hôpitaux publics, qui fonctionnaient jusqu’ici avec les personnels de santé en formation faute de personnel formé en nombre suffisant, se verront dépouillés d’une partie d’entre eux.

En réalité, la loi Touraine n’est que la contribution exigée de la Sécurité sociale aux 50 milliards de cadeaux aux patrons dans le cadre du pacte de responsabilité : elle doit se traduire par la suppression de 22 000 postes dans les hôpitaux publics.

Le vote en première lecture à l’Assemblée nationale dans le cadre de la procédure accélérée signifie que, de fait, la loi est d’ores et déjà adoptée. Chacun y a joué son rôle : les associations de médecins ont combattu cette loi réactionnaire sur un terrain plus réactionnaire encore (Ils reprochaient au système du tiers payant de faire apparaître immédiatement le montant des dépassements d’honoraire des médecins non conventionnés). Les directions syndicales quant à elles ont argué du caractère réactionnaire de cette “opposition” pour ne pas bouger le petit doigt contre la loi, si ce n’est la prise de position purement formelle du congrès CGT Santé lequel congrès offrait comme seule perspective “de lutte” … la participation à la journée d’action du 9 avril (voir plus bas).

...à la loi Rebsamen sur le dialogue social

Il faut rappeler l’historique de l’affaire. Rebsamen découvre que les “seuils sociaux” sont un frein à l’embauche et invite les “partenaires sociaux” à se pencher sur la question. Le MEDEF propose la liquidation des délégués du personnel dans les entreprises au-dessous de 50 employés, et au-delà s’il y a “accord majoritaire”, au profit d’un “Conseil d’entreprise”, dont la fonction serait d’ailleurs d’associer les représentants du personnel aux objectifs de l’entreprise. Chacun s’apprête à jouer don rôle : les uns (CFDT, CFTC, CGC) approuvant, les autres – tout en avalisant l’ensemble des “négociations” – refusant de signer. En vertu des nouvelles règles de représentativité, l’affaire aurait été entérinée.

Mais un grain de sable s’introduit dans la mécanique. La CGC au dernier moment refuse de signer sous la pression de ses propres troupes. Immédiatement dirigeants CGT et FO bouchent le trou et demandent au gouvernement la réouverture de négociations. Rebsamen ouvre un nouveau cycle de concertation et propose une nouvelle mouture sous forme de projet de loi que rien ne distingue vraiment du projet du MEDEF. D’ailleurs, le MEDEF s’en félicite. Aux DP, CE (Comité d’entreprise), CHSCT (hygiène et sécurité) on substitue une DUP (délégation unique du personnel) dans les entreprises de moins de 300 salariés. Dans les TPE (Trés petites entreprises), on crée des commissions paritaires interprofessionnelles. Cela permet à Martinez de trouver au projet de loi des “aspects positifs”, d’autant que des mesures spécifiques sont prévus pour la progression de carrière des “représentants du personnel” - la loi entend remercier les permanents syndicaux pour “services rendus”. Pour ce qui est des commissions paritaires des TPE, une précision donne la fonction de ces représentants des salariés d’un type nouveau : ils n’auront pas le droit... de rentrer dans les entreprises !

La réalité, c’est l’effacement des délégués du personnel dans les entreprises de moins de 300 salariés. C’est une attaque centrale contre le droit syndical. Il faut y ajouter la création du “compte personnel d’activité” intégrant “compte pénibilité”, “compte formation”, “droit à mutuelle”. Retraite, formation professionnelle, santé : tout cela ne relève plus de garanties collectives liées aux lois et conventions collectives, comme à l’existence de la Sécurité sociale, mais à des droits différents relevant des aléas particuliers de la carrière professionnelle. Le “compte personnel d’activité” loin de constituer un nouvel acquis social – il est frauduleusement présenté ainsi –, vise à la dislocation des acquis collectifs du prolétariat qui le constituent comme classe.

La journée d’action du 9 avril

Il faut préciser le calendrier. La dernière journée de concertation sur la loi Rebsamen a lieu le 3 avril. Le gouvernement a déjà annoncé à ce moment-là une “conférence sociale” en juin sur la réforme du marché du travail. La journée d’action du 9 avril n’est même pas un intermède dans le dialogue social continu entre appareils syndicaux et gouvernement (Il faudrait ajouter la concertation permanente sur la contre-réforme de la Fonction publique). Ce n’est pas un intermède ; c’est plutôt un contrepoint, c’est-à-dire, nous dit le Larousse, la superposition de deux lignes mélodiques. La ligne mélodique du dialogue social est enrichie du contre-chant de la journée “de lutte” du 9 avril, journée d’action sans mot d’ordre, sans revendication. Le 9 avril même, Martinez n’a pas craint de parler de “succès retentissant” alors que dans l’immense majorité des milieux de travail il n’y a pas eu grève, les manifestations étant réduites à la présence de la sphère immédiatement proche des appareils (soit un peu plus que lors des précédentes journées d’action où même cette sphère était absente !). Le même Martinez a donné le sens de cette manifestation : “contre l’austérité, pour des politiques alternatives à celles du gouvernement”. On connaît la chanson : au nom de faire des propositions “positives”, “alternatives”, l’appareil syndical évacue tout combat réel pour bloquer la politique et les mesures auxquelles sont réellement confrontés les travailleurs : celles du gouvernement. Pour donner le change, localement les appareils syndicaux sont autorisés à écrire dans leurs tracts : retrait de la loi Macron ou du pacte de responsabilité, ce qui ne change rien au sens de la journée d’action tel qu’il est donné par les appareils centraux des syndicats.

C’est aussi ce qui permet aux représentants officiels de l’“extreme-gauche” (NPA, LO, POI) de saluer avec enthousiasme cette journée d’action. Pourtant, les banderoles à peine repliées, les dirigeants peuvent retrouver leur siège moelleux et encore tiède à la table du dialogue social.

La démolition du droit du travail, des conventions collectives à l’ordre du jour de la conférence sociale

C’est l’organe officiel de FO qui nous en informe :

Comme prévu à l’agenda social, et indépendamment de la conférence du 3 avril, les organisations syndicales et patronales ont établi, le 30 mars, leur propre calendrier pour dresser un bilan thématique des derniers ANI (2006, 2008, 2009, 2012 et 2013).

Après une réunion de méthode le 8 avril, cette « évaluation quantitative et qualitative » se fera en quatre séances, du 28 avril au 18 mai (la dernière date reste à fixer) et « permettra d’envisager », si « besoin », des « ajustements ou évolutions nécessaires », selon le relevé de conclusions.

La question du contrat de travail sera examinée le 7 mai. “

Avant même la conférence de juin, les “partenaires sociaux” sont chargés de débroussailler le chemin. FO indique de quel chemin il s’agit. Le bilan des précédents ANI (Accord national interprofessionnel) vise à établir les insuffisances notamment du dernier d’entre eux qui permettait aux patrons et bureaucrates syndicaux de se mettre d’accord pour augmenter le temps de travail sans augmentation de salaire ou pour diminuer le salaire pour faire face à une difficulté réelle ou prétendue de l’entreprise.

Le MEDEF demande qu’à ces accords “défensifs” on puisse ajouter des accords “offensifs” à durée plus longue. En clair, il faut pouvoir signer ces accords quand l’entreprise va mal, mais aussi quand elle va “bien”. Autrement dit, dans toute entreprise, on doit pouvoir signer ce type d’accord, ce qui signifie ni plus ni moins la suppression de toute législation nationale contraignante en matière de temps de travail, la possibilité à tout instant de baisser les salaires.

C’est ce que Valls appelle “l’inversion de la hiérarchie des normes”. La hiérarchie des normes, telle qu’elle découlait des conquêtes issues de la fin de la seconde guerre mondiale, s’établissait ainsi : le code de travail, comme garantie minimale pour tous les travailleurs ; les accords de branche, dont les garanties ne pouvaient être que supérieures aux précédentes pour les travailleurs ; et les accords d’entreprise donnant par rapport aux accords de branche des avantages supplémentaires. L’ “inversion de la hiérarchie des normes” signifie au contraire que dans le cadre des “accords majoritaires” découlant des nouvelles règles de représentation syndicale, des accords d’entreprise peuvent prévoir des garanties inférieures pour les salariés au code du travail, celui-ci ne s’appliquant qu’à défaut d’accord. Ce n’est pas une mince modification, même si la “hiérarchie des normes” héritée de la Libération avait, au gré des lois réactionnaires (des lois Auroux aux lois Fillon), subi déjà de nombreux accrocs.

Quant à “la question du contrat de travail”, dont FO nous dit qu’elle sera examinée le 7 mai, son enjeu est clair : liquider le CDI qui, malgré l’augmentation massive de la précarité, demeure le contrat de travail auquel sont soumis l’immense majorité des salariés de ce pays. Les propositions du gouvernement et du MEDEF pour le faire sauter ne manquent pas. Mais l’une de ces propositions doit attirer notre attention : celle qui consiste à créer un CD”I” spécial PME qui n’aurait de CDI que le nom. Cela permet de restituer la cohérence de l’ensemble de l’offensive. La loi Rebsamen liquide le droit syndical dans les PME, ce qui facilite grandement la phase suivante : liquider le CDI dans ces mêmes entreprises !

Le prolétariat conserve les ressources pour stopper l’offensive du gouvernement et du patronat :
les enseignants cherchent la voie du combat....

L’offensive gouvernementale et patronale peut apparaître comme irrésistible. Elle n’est pourtant forte que du soutien des appareils syndicaux. Ceux-ci ont jusqu’à un certain point les mains libres du fait du désarroi politique du prolétariat. Mais cela n’est vrai que jusqu’à un certain point. Il est inéluctable qu’à un moment ou à un autre, il y ait choc entre les aspirations des masses, leur volonté de résister au feu roulant des attaques, et la politique des appareils syndicaux, tout entiers attachés à protéger le gouvernement. Une telle affirmation ne relève pas d’un “acte de foi”. Les prémices de ce choc, à des degrés divers, se manifestent chez les enseignants confrontés à la contre-réforme des collèges, comme dans la grève de Radio France.

Nous renvoyons le lecteur aux deux Lettres de liaison – expression du courant Front unique dans l’enseignement (consultables sur le site : www.frontunique.com) – qui analysent ladite contre-réforme ainsi que la politique de la direction du principal syndicat, le SNES, par rapport à cette réforme. Ces Lettres de liaison ouvrent par ailleurs une perspective de combat aux enseignants pour arracher le retrait de cette contre-réforme.

Commençons par remarquer que la simple présentation de cette contre-réforme par la ministre Vallaud-Belkhacem aurait été tout simplement impossible, si le statut des enseignants n’avait été brutalement remis en cause avec la collaboration constante, assumée, revendiquée des dirigeants du SNES. Ceux-ci ont littéralement porté devant les enseignants la liquidation des décrets de 50, ce qu’ils ont chèrement payé, d’ailleurs, de leur défaite aux dernières élections professionnelles (voir CPS n° 56).

La réforme en effet, qui réduit en charpie programmes nationaux et horaires nationaux, est tout entière fondée sur la soumission des enseignants aux instances locales de direction (chef d’établissement, CA, Conseil pédagogique), et leur impose dans ce cadre, celui de l’autonomie des établissements, une kyrielle d’obligations nouvelles, en particulier des réunions de toutes sortes. C’est précisément ce que l’ancien statut, défini par les décrets de 50, ne permettait pas, puisqu’il définissait le service des enseignants en heures de cours dans une discipline, limitant strictement l’imposition des réunions en dehors des cours au seul objectif qui était alors le leur : transmettre un certain savoir disciplinaire.

De la même manière, en amont de cette contre-réforme, le Conseil supérieur des programmes (où siègent représentants des “milieux économiques”, pseudo spécialistes de la pédagogie... et anciens bureaucrates syndicaux) avait préparé le terrain : plus de programmes annuels mais des “curriculae” par cycle de plusieurs années, les disciplines noyées et en réalité niées au profit de l’acquisition de “compétences” constituant un “socle commun”. Non seulement rien ne choquait dans tout cela la direction du SNES, mais elle s’en félicitait, trouvant toutes sortes de vertus au nouveau “socle” de Vallaud-Belkacem, qu’elle opposait à l’ancien socle, celui de Chatel, ministre de Sarkozy. En réalité, sous un habillage à peine différent, c’était la même chose, les mêmes objectifs : feu sur les disciplines ! Feu sur les connaissances ! Vive les compétences, celles garantissant l’ “employabilité” des futurs collégiens dans l’entreprise.

Depuis janvier, dans le plus grand secret et à l’insu des enseignants, la ministre et les dirigeants syndicaux en premier lieu ceux du SNES, peaufinaient la réforme au ministère. Et c’est déjà assurée du soutien des dits dirigeants que la ministre présentait son projet de contre-réforme et ouvrait la concertation “officielle”, qui normalement n’avait d’autre fonction que de confirmer ce qui avait déjà été acté.

Ainsi, la pièce dont l’issue avait déjà été écrite pouvait se jouer. La direction du SNES, après quelques protestations de pure forme contre la réforme ministérielle au nom de la “réforme dont le collège a besoin”, décidait d’organiser partout des stages syndicaux visant à associer les responsables locaux à la mise en œuvre de la réforme. Par exemple, dans ces stages, elle mettait à l’ordre du jour la discussion, matière par matière, des nouveaux programmes ; ou plutôt, de leur liquidation.

Dans toutes les instances académiques du syndicat, l’appareil syndical se dressait avec virulence contre les militants ou responsables locaux du SNES qui proposaient que le syndicat se prononce pour le retrait de la réforme. À la CA du SNES de Clermont-Ferrand, la responsable nationale collège du SNES déclarait : “On ne peut demander le retrait de la réforme car cela voudrait dire renoncer à discuter avec la ministre”.

Un membre de la CA du SNES d’Aix-Marseille rend compte de la même opposition des responsables locaux du SNES :

 On nous a d’abord expliqué que le projet de réforme du collège était inacceptable, avant de laisser croire que c’était flou, puis d’affirmer qu’on ne pouvait pas tout rejeter, sans qu’aucun membre de la tribune puisse avancer ce qui pouvait être à sauver dans le projet de réforme. Il a même été spécifié que ce projet était contradictoire avec les nouveaux programmes sur lesquels travaille le CSP !”

C’était le 30 mars. Mais le 31 mars, on apprenait que SNES, FO, CGT, SNALC avaient quitté la table de la concertation. S’en suivait un communiqué de ces mêmes organisations qui se prononçaient formellement pour le retrait de la réforme. Suite à ce communiqué, le ministère laissait fuiter une réaction furieuse criant à la “trahison” et disant en substance : “Nous discutons en off depuis janvier et le SNES était d’accord !”

Que s’est-il donc passé ? La direction du SNES a subi une double pression. D’une part, la réaction massive des enseignants dans les collèges, réaction multiforme (assemblées générales, associations disciplinaires, en particulier des disciplines sacrifiées – langues modernes et anciennes). De cette réaction, même quelques dizaines de députés (PS et UMP confondus !) se sont fait l’écho ! D’autre part, les réactions dans l’appareil syndical du SNES lui-même. Certains de ses membres s’inquiètent du fait que l’orientation de soutien ouvert au gouvernement, en réduisant l’audience du syndicat, remet en cause l’existence de l’appareil lui-même, compromettant sa possibilité de jouer son rôle de canalisation de mouvements futurs.

Il y a évidemment de ce revirement, si provisoire qu’il soit, une leçon à tirer qui va bien au-delà de l’enseignement. Les travailleurs ont la capacité par leur propre mouvement d’imposer aux directions syndicales de reprendre leurs propres exigences. Ce qui s’est passé dans le SNES montre toute l’actualité de l’exigence qui doit être adressée aux directions syndicales : les syndicats au service des travailleurs, les permanents à notre service !

Cela étant, aucune illusion ne doit être entretenue. Quelques jours après le communiqué pour le retrait de la réforme, tous les dirigeants syndicaux participaient au Conseil supérieur de l’Enseignement (instance où sont présents représentants du patronat, des associations de parents d’élèves, de l’Eglise via l’enseignement privé, etc.) qui votait majoritairement pour la réforme bien sûr, donnant à celle-ci une pseudo légitimité. Par leur participation, dirigeants du SNES, de FO, de la CGT visaient à convaincre les enseignants qu’ils étaient seuls contre la réforme. Par ailleurs, les dirigeants du SNES, en même temps qu’ils se prononçaient formellement contre la réforme, annonçaient qu’ils s’impliqueraient pleinement dans la discussion des nouveaux programmes concoctés par le CSP (Conseil supérieur des programmes). Cela signifie que contrainte par les enseignants à une prise de position pour le retrait de la réforme, la direction syndicale se garde la possibilité à tout instant de renouer le fil de la concertation.

Aujourd’hui SNES, FO, CGT, SNALC appellent à la grève le 19 mai. L’appel inclut il est vrai l’exigence du retrait de la réforme, tout en invitant les AG à “réfléchir” sur “les améliorations” à apporter au collège.

Mais outre le fait qu’il est plus que douteux qu’une grève de 24 heures suffise à faire céder le gouvernement, les enseignants qui veulent le faire reculer ont un problème majeur à résoudre. À ce stade, les dirigeants syndicaux gardent le contrôle total.

 Quant on connaît leur propension à trahir les revendications, propension dont ils ont encore fait largement preuve dans un passé récent, ce contrôle risque fort d’être fatal aux enseignants eux-mêmes.

C’est pourquoi, c’est à juste titre que le courant Front unique combat sur la perspective suivante : pour le retrait de la contre-réforme des collèges, que les dirigeants syndicaux, en premier lieu ceux du SNES, appellent à la conférence nationale des délégués d’établissement, désignés et mandatés par les assemblées générales d’établissement ou assemblées de localités pour définir centralement, nationalement l’action à mener pour faire reculer la ministre. Tant il est vrai que celle-ci ne reculera pas par les journées d’action, et autres actions locales, “originales”, etc., que les dirigeants ressortent régulièrement dans ce genre de situation.

Radio France : leçons d’une grève trahie

L’impossibilité de vaincre si la mobilisation reste entre les mains des appareils syndicaux, voilà ce dont viennent de faire l’amère expérience les travailleurs de Radio France au terme de près d’un mois de grève.

Ce sont les travailleurs eux-mêmes qui ont imposé la grève jusqu’à satisfaction des revendications : retrait du plan de suppressions de postes, non à la “syndication” (remplacement des émissions locales de France Bleue par des plages communes), non à la suppression d’un orchestre sur les deux de Radio France notamment. La colère des travailleurs étaient sans doute attisée par le train de vie et les dépenses somptuaires de Gallet, le directeur de Radio France. Mais ils se sont trés rapidement rendu compte que derrière Gallet, il y avait le gouvernement, Fleur Pellerin et Valls lui-même éructant sa haine des grévistes et les sommant de reprendre le travail.

Dans un premier temps, les responsables syndicaux, bon gré mal gré, ont dû se soumettre à la volonté des travailleurs telle qu’elle s’exprimait notamment à travers des assemblées massives. Notons cependant que, d’emblée, le SNJ (syndicat des journalistes) s’est comporté en syndicat jaune, alors même qu’en province les journalistes étaient dans la grève. Ensuite les dirigeants, d’abord ceux de l’UNSA et de la CFDT, ont commencé à dire que les propositions de Pellerin (qui maintenait totalement le plan de suppressions de postes et proposait de licencier “autrement” les musiciens (en maintenant les deux orchestres “redimensionnés”) se discutaient. Mais surtout, tous les dirigeants syndicaux ont sorti de leur chapeau la demande d’un “médiateur”, demande qui se substituait évidemment à la défense intransigeante des revendications. Le gouvernement a immédiatement répondu favorablement, nommant Chertier à cette fonction. Chertier, ancien conseiller de Raffarin, ancien directeur de l’UNEDIC, actuel membre de la direction de Safran : un homme dont le pedigree ne pouvait laisser aucun doute sur ses intentions. Et Chertier de ressortir, à quelques virgules près, le plan contre lequel les travailleurs étaient en grève devenu donc le plan Gallet-Pellerin-Chertier.

Ce plan, les travailleurs, AG après AG, continuent à le rejeter vigoureusement. Mais le 15 avril, c’est ouvertement que les directions syndicales se décident à affronter les grévistes, à appeler à la reprise. Le choc est violent. Les bureaucrates syndicaux se font huer. Télérama nous décrit le choc :

Qu’ils (les responsables syndicaux, ndlr) appellent à « capitaliser « sur les avancées obtenues du médiateur, qu’ils proposent de continuer le combat autrement, qu’ils se félicitent d’avoir « fait venir » la ministre de la Culture et de la Communication Fleur Pellerin dans les murs la veille au soir... rien n’y faisait, la salle grondait. Ivre de sa colère, furieuse de se voir emmenée sur le terrain de la capitulation. « Rentre chez toi », entendait-on dans les travées ; « Ah, ça retourne sa veste, maintenant « ; « C’est parce que tu pourrais pas partir en vacances si la grève continue, c’est pour ça que tu veux arrêter ? ». La foule semblait unanime, certaine de l’emporter encore. Comme la veille.

Mais sur les visages, dans les voix, la résignation était là. Cette fois, (...) il fallait mettre le holà. Mettre un terme à cette grève sans limite, « préventive «, aux préavis aussi clairs que flous, pour reprendre des forces afin de mener le « vrai » combat : celui de la négociation du contrat d’objectifs et de moyens — lourd d’un plan de « départs volontaires ». Malgré la retraite de quatre organisations syndicales sur cinq, et la suppression des préavis en vigueur depuis le 19 mars, l’assemblée générale a voulu voter. Elle a décidé de poursuivre la grève. « Ça va être un effritement, un appauvrissement », a tenté Jean-Matthieu Zahnd (CGT), pas vraiment déterminé à continuer le combat hors de l’intersyndicale. Après réflexion et dans une ambiance de halle aux poissons, il a été décidé de poursuivre la grève un vingt-huitième jour.”

Dans ce compte-rendu, tout est instructif : la façon dont les appareils syndicaux substituent aux vraies revendications, leur exact contraire, c’est-à-dire la discussion sur le “contrat d’objectifs”, c’est-à-dire sur la façon de faire passer les licenciements, le rôle particulier des dirigeants CGT qui appellent à la grève... de 24 heures de plus, jouant le rôle de voiture balai de la grève, et l’ultime vote de la grève par l’AG qui, par là, indique où sont les responsabilités : pas chez les travailleurs, mais à la tête des syndicats.

Qu’a-t-il manqué aux travailleurs pour vaincre? Le contrôle par eux-mêmes de leur propre grève, la prise en main de leur propre mouvement à travers un Comité de grève intégrant les représentants syndicaux pour les ficeler, leur interdire de faire ce qu’ils ont fait, à savoir trahir.

Car certes il y a eu des assemblées massives. Mais elles n’étaient en réalité que consultatives. C’est d’ailleurs ce que leur a indiqué sans se gêner le dirigeant de SUD : “Nous avons organisé un vote auprès de nos adhérents qui se sont prononcés pour la reprise”. C’est ce que leur ont indiqué tous les dirigeants syndicaux – sauf la CGT dont on a vu ci-dessus le rôle particulier : “Votez ce que vous voulez; nous, nous, appellerons à la reprise.”. Lesquels dirigeants syndicaux étaient ensuite tellement haïs qu’ils ne purent même pas se présenter à l’AG suivante.

Au bout du compte, la défaite est là, amère. Mais il ne fait aucun doute qu’à travers cette douloureuse épreuve une avant-garde de travailleurs a appris. La classe ouvrière dans son ensemble ne pourra faire l’économie de ces rudes leçons. Mais le plus important est que dans le cas présent, elle a appris à travers un combat effectivement engagé qu’elle a poussé le plus loin possible malgré les trahisons. C’est à travers ces expériences que se forgera une nouvelle génération de militants.

Combattre pour la construction du Parti ouvrier révolutionnaire

On le voit bien, à travers l’expérience de Radio France : s’il avait existé dans l’entreprise un noyau de militants révolutionnaires, les conditions du combat en auraient été radicalement modifiées. Rappelons ce que disait Marx dans Le Manifeste du Parti Communiste :

Les communistes (...) n’ont point d’intérêts qui les séparent de l’ensemble du prolétariat. Ils n’établissent pas de principes particuliers sur lesquels ils voudraient modeler le mouvement ouvrier. Les communistes ne se distinguent des autres partis ouvriers que sur deux points : 1. Dans les différentes luttes nationales des prolétaires, ils mettent en avant et font valoir les intérêts indépendants de la nationalité et communs à tout le prolétariat. 2. Dans les différentes phases que traverse la lutte entre prolétaires et bourgeois, ils représentent toujours les intérêts du mouvement dans sa totalité.

Pratiquement, les communistes sont donc la fraction la plus résolue des partis ouvriers de tous les pays, la fraction qui stimule toutes les autres ; théoriquement, ils ont sur le reste du prolétariat l’avantage d’une intelligence claire des conditions, de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien. “

Oui, à Radio France, a manqué un parti de militants qui “n’ont point d’intérêts qui les séparent de l’ensemble du prolétariat....(mais) “l’avantage d’une intelligence claire des conditions, de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien.” Il a manqué à Radio France, comme il manque à l’échelle du pays. Ce qui manque au prolétariat, c’est un Parti ouvrier révolutionnaire.

C’est pour la construction d’un tel Parti que combattent les militants de notre Groupe autour du bulletin Combattre Pour le Socialisme.

C’est dans cette perspective qu’ils mettent en avant le combat pour la rupture du dialogue social, le boycott de la conférence sociale de juin en particulier.

C’est ce qui les pousse à combattre dans l’enseignement pour le front uni des organisations syndicales pour le retrait de la contre-réforme des collèges, pour le contrôle de ce front uni par les enseignants eux-mêmes.

C’est ce qui les conduits à considérer que dans un avenir plus ou moins proche, le choc qui s’est produit à Radio France se reproduira à une échelle beaucoup plus large, créant les conditions propices à infliger une défaite politique au gouvernement Hollande-Valls-Macron-Pinel. Sur la base d’une telle défaite, se trouvera posée la question de balayer le gouvernement lui-même, de lui substituer le gouvernement du Front Unique, s’appuyant pour cela, tant qu’elle existe, sur l’existence d’une majorité PS-PCF à l’Assemblée nationale, majorité qui constitue la matérialisation de la défaite infligée aux partis bourgeois en 2012.

Un tel gouvernement ne serait d’ailleurs lui-même, comme le dit le Programme de transition, qu’un court intermède vers la constitution d’un véritable gouvernement ouvrier, s’engageant sur la voie de l’expropriation du capital, sur la voie du socialisme.

Tel est notre but. Nous invitons nos lecteurs à s’associer à ce combat.

 

Le 29 avril 2015

 

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