« Combattre
pour le socialisme » n°57 nouvelle
série (n°139) – 13 mai 2015 :
Migrants
naufragés
en Méditerranée : un concentré de la barbarie impérialiste
Depuis janvier, 1500 migrants officiellement,
sans doute en réalité beaucoup plus, sont morts, naufragés en Méditerranée.
Embarqués dans des bateaux pourris par des passeurs qui les ont préalablement
dépouillés, traqués par la police maritime de l’UE, les 1500 sont les derniers
d’une liste de 22 000 morts, officiellement décomptés, depuis 15 ans dans
les mêmes conditions.
Les dirigeants des gouvernements de l’UE
versent des larmes de crocodile et organisent des minutes de silence. Mais qui
est responsable?
Ceux qui tentent à tout prix de passer en
Europe fuient la guerre en Syrie, en Afghanistan, au Congo, au Mali, au Kenya
en Éthiopie, en Érythrée ou en Somalie, guerres qui opposent les puissances
impérialistes, les gouvernements à leurs bottes, les bandes djihadistes qui
sont elles-mêmes des créations des puissances impérialistes ayant échappé à
leurs anciens maîtres, ou encore, comme au Congo, des bandes armées qui se
disputent le pillage des ressources minières pour les revendre aux grands
groupes capitalistes qui les arment.
Ils tentent désespérément d’échapper aux
massacres, au chômage, à la misère et à la faim. Ils cherchent à échapper à une
situation dont la seule responsabilité incombe à l’impérialisme lui-même.
Confrontés à cet afflux, les gouvernements des
pays les plus immédiatement exposés, en particulier l’Italie, avaient mis en
place un dispositif («Mare Nostrum») qui, pour l’essentiel, visait à interdire
l’accès aux migrants des côtes italiennes, mais qui, malgré tout et jusqu’à un
certain point, sauvait de la mort quelques-uns d’entre eux lors des naufrages.
Les gouvernements de l’UE ont jugé que ces
sauvetages devaient cesser. Ils constituaient selon eux un inadmissible «appel
d’air» pour l’immigration. Fin du dispositif «Mare Nostrum», auquel on
substitue le dispositif «Triton». La différence est que ce dernier n’a plus du
tout pour but, fut-il secondaire, le sauvetage des naufragés, mais
exclusivement comme rôle d’interdire aux bateaux de migrants l’accès aux côtes
européennes. Il n’y a pas d’autre explication à l’augmentation vertigineuse du
nombre de morts en Méditerranée depuis le début de l’année.
Il faut donc le dire : les responsables
de ces milliers de morts, leurs assassins, sont à la tête des gouvernements de
l’UE - et parmi eux le gouvernement Hollande-Valls-Macron-Pinel. Ils sont
doublement responsables : responsables de la situation qui en Afrique, au
Moyen-Orient, pousse des millions d’êtres humains à fuir leur pays,
responsables cyniques des naufrages eux-mêmes.
On ne peut en finir avec ces tragédies
épouvantables qu’en en finissant avec l’impérialisme et donc avec les
gouvernements qui le défendent.
Chaos
en Afrique....
Cela étant, l’afflux toujours plus important
des bateaux d’immigrés d’Afrique et d’Asie, même si beaucoup chavirent, pose
aux puissances impérialistes, et pas seulement en Europe, un problème majeur.
Pas du tout un problème moral, mais un problème politique.
On le sait , c’est via la Libye qu’arrivent la
plupart de ces embarcations. La coopération réactionnaire entre les
gouvernements d’Europe et les régimes qui leur sont soumis, coopération qui peu
ou prou fonctionne ailleurs par la terreur policière, ne fonctionne pas en
Libye pour la simple raison qu’il n’y a plus d’Etat ici, mais des bandes armées
soutenues, qui par les différentes factions djihadistes, qui par l’Egypte et
l’Arabie saoudite.
L’intervention impérialiste de 2011,
essentiellement franco-britannique, a eu pour résultat d’armer les milices qui
aujourd’hui s’entredéchirent sur le sol libyen. Ce sont les mêmes armes, entre
les mains des djihadistes, qui reprennent vigueur au Mali.
Ainsi se manifeste conjointement la violence
impérialiste et son impuissance à fonder un nouvel ordre mondial. Le résultat de l’intervention impérialiste,
c’est le chaos. Mais il serait stupide de prétendre que le but des puissances impérialistes est le chaos. Ce que veulent les
puissances impérialistes, c’est que les conditions de pillage «normal» du
pétrole libyen soient rétablies, qu’il en aille de même au Nigeria (où
s’opposent les troupes d’États africains - essentiellement tchadiennes, avec
l’encadrement «technique» de l’armée française - et le groupe djihadiste Boko
Haram), en Irak, ce qui suppose que, dans ces pays, l’État comme appareil de
répression contre les masses fonctionne efficacement. Mais c’est précisément ce
but qui semble hors de portée dans un nombre grandissant de pays.
…
en Syrie et Irak....
Rien de plus éclairant à cet égard que la
situation au Moyen-Orient. Après avoir sans état d’âme collaboré avec la
dictature d’Assad père et fils pendant des décennies, les puissances impérialistes
- et de manière particulièrement virulente l’impérialisme français - ont changé
de monture, la dictature syrienne n’étant plus jugée suffisamment docile. Voilà
donc un conglomérat de résistants à Assad - le CNS - érigé par l’impérialisme
français en «seul représentant légitime» du peuple syrien et armé en
conséquence. Las ! Trés vite l’opération - par rapport à laquelle du reste
l’impérialisme US est resté plus que réticent - devait se révéler périlleuse.
Ladite CNS devait rapidement se révéler militairement débile, politiquement
inconsistante et peu fiable - au point de se féliciter récemment ouvertement
des succès d’Al Nosra, les représentants locaux d’Al Qaida. En même temps, la
déstabilisation d’Assad ouvrait la voie à l’Etat Islamique (EI), lequel à
partir de là, allié avec les débris de l’encadrement militaire de l’ancienne
armée de Saddam Hussein, s’est mis à infliger défaite sur défaite à l’Etat
irakien - porté à bout de bras par l’impérialisme US - jusqu’à menacer son
existence même.
Et voilà Kerry, représentant de l’impérialisme
US, contraint d’annoncer qu’il allait bien falloir du fait du danger d’EI faire
avec Bachar El Assad. Quant à l’impérialisme français, après des mois de mâles
propos sur le fait qu’il fallait combattre Bachar jusqu’à son départ, il
indique par la voix de Fabius, qu’il faut en finir avec Bachar... mais
préserver les institutions de l’État syrien. Et on apprend que la coopération a
repris entre services secrets français et syriens qui, après tout, font le même
travail contre les mêmes ennemis !
Comble de l’ironie de l’Histoire. Les uns et
les autres doivent accepter de facto une alliance non écrite avec l’Iran qui a
joué notamment un rôle décisif dans l’expulsion de Tikrit, ville irakienne,
d’EI.
Rappelons que depuis de nombreuses années,
l’Iran fait l’objet d’un véritable blocus économique de la part des puissances
impérialistes. Ce sont bien sûr les masses iraniennes qui font les frais de ce
blocus, pas les dignitaires du régime des ayatollahs, privées qu’elles sont de
produits élémentaires pour leur survie (médicaments, etc.). Précisons que la
raison de ce blocus n’a rien à voir avec le prétendu danger nucléaire que
pourrait représenter l’Iran, mais avec l’objectif tenace de l’impérialisme US
de rétablir en Iran un régime non moins réactionnaire que le régime actuel,
mais infiniment plus docile à ses propres intérêts. Il s’agit aussi d’effacer
l’humiliation historique qu’avait représentée l’expulsion par les masses du
régime du Shah.
On comprend que la nouvelle situation conduise
Obama à rechercher un modus vivendi
avec le régime iranien malgré de sérieuses divergences de vues au sein même des
cercles dirigeants de l’impérialisme US. Cette recherche s’est traduite par
l’«accord-cadre» sur le nucléaire iranien. Précisons que cet accord ne signifie
nullement la fin des mesures contre les masses iraniennes, mais, dans le
meilleur des cas, un trés relatif assouplissement. Mais cela est suffisant pour
que s’insurge le représentant de l’Etat sioniste, Netanyahou, dans lequel les
colons, qui constituent la seule réalité du « peuple israélien »,
viennent à nouveau d’indiquer aux élections qu’ils se reconnaissaient
pleinement. Netanyahou ne court d’ailleurs en l’occurrence aucun risque.
L’impérialisme US continuera, économiquement et militairement à soutenir à bout
de bras Israël.
Mais l’épisode est significatif. Même si
aujourd’hui l’impérialisme US est la seule puissance mondiale, disposant
notamment d’une écrasante suprématie militaire, il ne peut éviter que se
développent les forces centrifuges, y compris à partir de ses alliés les plus
constants.
…
au Yémen
La même remarque vaut pour l’Arabie saoudite
qui, dans son engagement militaire au Yémen, s’est satisfaite d’un soutien
après coup et sans ferveur de l’impérialisme US, et à sa suite de l’ONU, à
laquelle elle n’avait pas demandé d’autorisation. Cette intervention présente
tous les traits d’une intervention impérialiste, tant dans sa forme
(bombardements meurtriers de la population civile, villages rasés parce
qu’accusés d’être des refuges des « rebelles ») que dans le fond. Il
s’agit d’imposer au Yémen le maintien d’un régime allié, et en particulier
d’interdire l’accès au pouvoir d’un régime à dominante chiite, alors même que
tant en Arabie saoudite qu’au Bahreïn voisin – où les chars de l’Arabie
saoudite sont intervenus il n’y a pas si longtemps - les chiites constituent
une population opprimée.
Toutefois, à l’évidence, l’intervention
militaire se heurte à une résistance inattendue. Et là encore, le résultat le plus
immédiat est à la fois une accélération de la dislocation de l’Etat et la voie
laissée libre au développement des djihadistes, en particulier Al Qaida.
Ainsi tend à s’étendre le chaos politique, les
puissances impérialistes n’arrivant pas à s’assurer la maîtrise de la
situation. Mais il faut le noter : nulle part, le prolétariat n’est en
mesure de faire valoir ses propres solutions. Non pas qu’il ne possède, au
moins dans certains pays, une puissance objective. C’est le cas par exemple en
Iran, et aussi en Arabie saoudite où le prolétariat est essentiellement
immigré. Mais il est politiquement désarmé, soit privé d’organisations, soit
accablé par le poids des trahisons passées. Il faut ajouter : la victoire
de la contre-révolution en Egypte, défaite pour les prolétariats de toute la
région, où les dirigeants du mouvement ouvrier, flanqués des groupes
d’extrême-gauche ont eux-mêmes contribué à la prise du pouvoir par Sissi, ne
pèse pas pour rien dans le désarroi du prolétariat et son impuissance. Et ainsi
ce chaos n’est, à cette étape, porteur pour les masses de rien d’autre que de
terreur, d’oppression et de misère accrue.
La
place de l’impérialisme français
Il faut le noter : dans les guerres
impérialistes qui accablent les peuples d’Afrique et du Proche-Orient,
l’impérialisme français à la hauteur de son propre format – plutôt roquet que
molosse – joue un rôle particulièrement réactionnaire : intervention
directe au Mali et encadrement de l’armée du dictateur et tortionnaire tchadien
Deby, soutien éhonté à Israël et Netanyahou, bombardements en Irak... Il faut
ajouter : ventes d’armes massives à l’Arabie saoudite (28% des commandes
de matériel d’armement exportés !), vente de Rafales à l’Égypte avec un
soutien ostentatoire aux régimes de ce pays, tout cela accompagné d’un silence
assourdissant des partis d’origine ouvrière et des directions syndicales par
rapport à cette politique. Récemment, la révélation de viols d’enfants par les
soldats français manifeste la révoltante réalité du rôle “pacificateur” de la
France en Centrafrique.
Contre l’intervention impérialiste française
au Moyen-Orient et en Afrique, à l’encontre du silence complice qui prévaut
dans les sommets des organisations du mouvement ouvrier, toutes les
opportunités d’intervention doivent être saisies.
Crise
du mode de production capitaliste :
les Diafoirus au chevet d’un malade dont l’état ne cesse d’empirer
Le FMI vient de sortir son rapport périodique
sur l’état de l’économie mondiale. On y apprend que “ce serait une erreur de parler, comme certains l’ont fait de
stagnation, mais les perspectives sont plus mitigées et des perspectives plus
mitigées conduisent, à leur tour, à de moindres dépenses et à une croissance
plus faible dès aujourd’hui”. Donc il ne faut pas parler de stagnation...
mais la croissance faiblit.
Faute de disposer d’une thérapeutique
efficace, on peut toujours – comme le faisait Diafoirus, le fameux médecin dont
se moque Molière – inventer un nouveau mot qui fait savant. Tenez vous le pour
dit. La tendance redoutée par Diafoirus-Lagarde (directrice du FMI), c’est le “new
mediocre” , ainsi défini : “la conjonction d’une croissance et
d’une inflation faibles avec un endettement et un chômage élevés”.
Quant à la médecine préconisée, la voici telle
que résumée par Le Monde du 16 avril : “
Pour éviter un tel scénario, Mme Lagarde propose de faire flèche de tout
bois : soutien de la demande, relance de l’investissement, mais aussi
réformes des marchés du travail, des biens et des services.”
Les “réformes des marchés du travail, des
biens et des services”, tout le monde sait de quoi il s’agit. La “réforme
des marchés du travail”, c’est la flexibilité des salaires (donc leur
baisse, pour faire face à la concurrence), la liquidation des garanties en
matière de contrat de travail, la remise en cause des indemnités chômage, etc.
La “réforme des marchés des services”, c’est la liquidation des services
publics, la suppression en masse des postes de fonctionnaires, la fermeture des
écoles et des hôpitaux, le rationnement des soins.
Toutes ces mesures entraînant la paupérisation
des masses laborieuses ont évidemment comme conséquence la baisse de la
demande. Mais Diafoirus-Lagarde n’a aucun problème à proposer dans la même
phrase tout et son contraire, en préconisant dans le même temps le “soutien
de la demande”.
Il est vrai que la contradiction dans le
cerveau de Lagarde n’est rien d’autre que l’expression en idée de la
contradiction dans la réalité elle-même du mode de production capitaliste.
Chaque capitaliste, chaque bourgeoisie doit, pour affronter la concurrence,
diminuer le coût de la force de travail et, à ce titre, contribue à une baisse
générale de “la demande”, et rêve que la bourgeoisie concurrente fasse
le contraire, cela pour trouver un marché élargi pour ses propres produits. Nul
ne le sait mieux que Lagarde qui, alors ministre de Sarkozy, adressait
régulièrement des suppliques à la bourgeoisie allemande pour que celle-ci...
augmente les salaires !
Quant à la “relance
des investissements”, voilà ce qu’en dit De Vijdler, directeur de la
recherche économique à BNP Paribas : «Dans
l’économie réelle, les investissements des entreprises sont longtemps restés
anémiques. Cela reste d’ailleurs le cas en Europe où, en pourcentage du PIB, le
niveau d’investissement reste très bas, environ 15% au-dessous du niveau de
2008». L’article
ose l’hypothèse : «pour des
entreprises confrontées à un problème de surcapacité, augmenter l’appareil de
production n’aurait pas de sens» et s’inquiète de l’écart entre le sous-investissement
et l’euphorie boursière : «Mais
peut-être faut-il s’inquiéter davantage du risque d’apparition d’une bulle
financière en cas de décrochage entre la réaction des marchés aux mesures de
relance de l’économie axées sur la politique monétaire et la réactivité de
l’économie même.»
On ne
saurait être plus clair. Les capitalistes n’investissent pas car ils sont déjà
en surcapacité. Dans ces conditions, les flux financiers énormes générés par la
politique des banques centrales (en particulier la BCE et la BOJ – banque
centrale japonaise) s’orientent vers la spéculation, en particulier la
spéculation boursière et le marché des actions. Une énorme masse de capitaux
fictifs surplombe ainsi l’ensemble de l’économie capitaliste, faisant peser le
risque permanent du krach boursier auquel les banques déjà grevées d’actifs
douteux – 900 milliards pour les seules banques européennes, soit trois fois le
budget 2014 de la France ! - ne résisteraient pas.
“En Chine, la décélération de tous les dangers” (Martin Wolf, Le Monde du
16 avril)
Mais si
la situation en Europe demeure, avec des inégalités, celle d’une
quasi-stagnation, si le Japon voit à nouveau sa production industrielle
baisser, si le Brésil stagne et la Russie est franchement plongée dans la
récession, si aux États-Unis s’accumulent les signes d’un nouveau
ralentissement (baisse des investissements, accélération du déficit
commercial), les inquiétudes des cercles dirigeants de l’impérialisme se
concentrent sur la Chine. Ici, ce qu’on redoute, c’est le “hard landing”,
l’atterrissage forcé avec des conséquences incalculables, à la fois sur
l’économie mondiale et sur la situation sociale en Chine même (voir article
dans ce numéro de CPS).
Le Monde du 16 avril indique :
“Le ralentissement chinois
s’est amplifié au premier trimestre. Comme le laissait augurer la chute
des exportations et des importations en mars, la croissance est tombée à
7 % au premier trimestre, a annoncé, mercredi 15 avril, le
Bureau national des statistiques. C’est la plus mauvaise performance, en rythme
annualisé, de l’économie chinoise depuis 2009 et les débuts de la récession
mondiale. Elle devrait relancer les spéculations au sujet de l’opportunité par
Pékin de nouvelles mesures de soutien.
Si
nombre d’analystes interrogés par l’AFP tablaient sur un ralentissement encore
plus marqué (+ 6,9 %), le chiffre dévoilé mercredi est très en deçà du
dernier trimestre 2014 (7,3 %), et de la croissance de 7,4 %
enregistrée sur l’ensemble de l’année dernière, qui était déjà la plus faible
depuis presque vingt-cinq ans.
D’autres
indicateurs, également publiés mercredi, attestent de l’importance de la
décélération en cours. La production industrielle s’est à nouveau tassée en
mars, ne progressant que de 5,6 % sur un an, après une hausse de
6,8 % sur janvier-février, une période marquée par le Nouvel An chinois,
et de 7,9 % en décembre.
Les
ventes au détail ont grimpé de 10,2 % en mars, leur plus faible
progression depuis au moins dix ans. Quant aux investissements en capital
fixe (+ 13,5 % au premier trimestre), ils s’essoufflent eux
aussi de manière assez sensible.
Lundi,
les douanes avaient annoncé que les exportations avaient reculé de 15 % en
rythme annualisé à 144,6 milliards de dollars (136,28 milliards
d’euros) en mars et que les importations s’étaient repliées de
12,7 %, à 141,5 milliards de dollars. ”
« Les prix à la production en Chine
en sont à leur trente-septième mois consécutif de baisse. Un tel phénomène
signale un excès d’offre par rapport à la demande »,
confirme l’économiste en chef de Coface, Julien Marcilly, qui fait état de
surcapacités de production dans l’acier, la pétrochimie et la construction
navale. D’autres secteurs, ajoute-t-il, souffrent de l’augmentation du coût du
travail. Le textile en fait les frais, qui voit se délocaliser une partie de sa
production vers des pays d’Asie où la main-d’œuvre est moins chère...
Les
divergences sectorielles sont marquées : Coface a placé la Chine sous
perspective négative en janvier en raison de l’augmentation du risque des
entreprises et de la recrudescence des impayés.
(...)
L’investissement a perdu en efficacité et l’endettement a progressé dans des
proportions impressionnantes. D’après le Crédit agricole, l’endettement des
entreprises, des collectivités locales et, à un moindre degré, des ménages est
passé de 155 % du produit intérieur brut (PIB) début 2010 à environ
200 % du PIB et cela sans compter la dette du gouvernement central.”
Baisse
des investissements – et baisse de leur rentabilité -, augmentation inquiétante
de l’endettement, baisse des exportations et des importations : la Chine,
qu’on a si longtemps présentée comme l’antidote et le recours contre la crise
générale du mode de production capitaliste, reproduit en réalité à l’échelle
gigantesque qui est la sienne toutes les contradictions à l’œuvre dans les
métropoles impérialistes. Et en particulier, elle souffre d’énormes
surcapacités de production, ce qui constitue la note différée du gigantesque
plan de relance de 2008-2009. Or le surinvestissement – à grands coups d’emprunts,
en particulier des régions – supposait le maintien d’une trés forte croissance
pour se rentabiliser. On peut reprendre la formule de Martin Wolf : “Pourquoi
devrions-nous douter de la capacité de la Chine à maintenir une croissance
élevée? La première raison est qu’une
croissance élevée trés rapide ressemble à la pratique du vélo : tout se
passe bien tant que l’on maintient une certaine vitesse... L’investissement
antérieur a été fondé sur une prévision de croissance annuelle de 10%. Le
ralentissement rend chronique l’excédent de capacités, et crée l’effondrement
de l’investissement. De plus la baisse de la croissance diminue la
capacité à rembourser la dette antérieure issue du boom du crédit et de l’immobilier....”.
À cet
égard, il faut prendre trés au sérieux cette première alerte : “Les
marchés ont aussi connu un petit décrochage peu avant 11h29 à la confirmation
du défaut du groupe chinois Baoding Tianwei sur sa dette. Celui-ci a confirmé
ne pas avoir les ressources nécessaires pour honorer une échéance sur une
obligation domestique. La société est de taille modeste, mais l’événement est
symbolique car il s’agit du premier défaut sur une obligation chinoise d’une
entreprise d’État.” (boursier.com, 21 avril)
On ne saurait
mieux dire que l’économie chinoise danse sur un volcan. Quant aux recettes du
gouvernement chinois, elles ressemblent en tout point à celles adoptées
ailleurs. Elles procèdent de la fuite en avant : libération des flux de
capitaux, baisse des fonds propres exigés des banques. Des recettes qui ne
feront que rendre plus brutal l’effondrement économique qui pourrait prendre en
particulier la forme d’un gigantesque krach bancaire...
Face à la crise, la seule
politique possible pour les différentes bourgeoisies :
frapper sans relâche le prolétariat
Au-delà
des discours savants des économistes sur les mille et une façon de relancer la
machine économique, dans la réalité, il n’y a pour les différentes bourgeoisies
qu’une politique possible : la diminution brutale du “coût du travail” -
c’est-à-dire de la valeur de la force de travail. Périodiquement est mis en
exergue un pays qui s’en sort mieux que les autres, où la croissance est moins
anémique, etc. Les commentateurs bourgeois vantent par exemple aujourd’hui la
Grande-Bretagne. Il faut tout de suite préciser : il n’y a pas d’exception
à la crise du mode de production capitaliste. Il y a simplement des
manifestations particulières, nationales de cette crise, la particularité
dépendant du rapport entre les classes, de la capacité qu’a eue dans tel ou tel
pays la bourgeoisie à porter des coups plus ou moins violents au prolétariat,
etc.
À cet
égard, le prolétariat britannique est de ceux qui ont subi les plus dures
défaites depuis plus de trois décennies. Mais si aujourd’hui la Grande-Bretagne
affiche un taux de croissance supérieur à celui des autres pays d’Europe, cela
ne signifie en rien un retour à la prospérité. Il n’y a aucune
réindustrialisation réelle, toute la croissance est fondée sur un développement
débridé du crédit, en particulier immobilier, les déficits y sont largement
supérieurs à ceux de la plupart des autres pays européens, il n’y a aucun
véritable redémarrage de l’investissement. Mais là où par contre la bourgeoisie
peut s’enorgueillir d’un réel succès, c’est au niveau de la brutale dégradation
de la situation du prolétariat. Voyons ce qu’en disent Les Échos :
“ La productivité britannique
est, selon l’ONS, quasi inchangée depuis 2007. Parallèlement, les salaires,
s’ils ont remonté fin 2014, restent inférieurs de 8 % à ceux d’avant la crise.
Logiquement, comme le souligne encore Simon Wren-Lewis, les entreprises ont
donc embauché sans chercher à augmenter leur productivité une fois la reprise
revenue...
Un
des reproches souvent fait à la reprise de l’emploi britannique, c’est la
précarité des emplois créés. Dans un marché du travail aussi flexible que celui
du Royaume-Uni, il est souvent difficile d’en juger. Si le taux d’embauche de
salariés à temps plein progresse avec la reprise (il est dans les derniers mois
de 75 % des nouvelles embauches), il est vrai que le Royaume-Uni a connu ces
dernières années un fort développement des travailleurs indépendants. Près de
la moitié des créations d’emploi depuis 2007 se serait effectuée dans ce
statut. Selon une étude de la BoE citée par Eudoxe Denis, cette croissance qui
a porté le taux de ces travailleurs à 15 % de la population active s’explique
par des éléments de long terme (notamment la préférence des séniors pour ce
statut qui constituent 90 % de la croissance de la population active) beaucoup
plus que par la crise.
Autre
élément qui est au cœur de la campagne électorale : les « contrats
zéro heures » (Zero Hour Contracts) qui permettent aux
salariés de remplir des tâches selon les besoins de l’employeur. Ces contrats
n’ont pas été créés par le gouvernement Cameron, ils datent des années 1970,
mais le Labour promet de les supprimer. Ils ont progressé de 19 % en un an
selon les chiffres de février 2015 et concernent 697.000 personnes (sur 31
millions d’actifs)... Les personnes qui disposent de tels contrats ont
plusieurs employeurs : on en comptait en mars 2014 en tout 1,8 million
contre 1,4 million un an auparavant.”
Passons
sur les mensonges intéressés des Échos :
les séniors préfèreraient être travailleurs indépendants, et le Labour aurait
promis la fin des Contrats zéro heure (Miliband, chef du Labour a au contraire
déclaré qu’on ne pourrait les supprimer mais qu’il faudrait mieux les
“encadrer”). Mais l’article indique que le secret de la “reprise” britannique
n’est nulle part ailleurs que dans la baisse des salaires, dans la flexibilité
à outrance du marché du travail (par les Contrats zéro heure et le statut de
“travailleur indépendant” qui n’est pas formellement salarié donc qui est
embauché sur projet). Par ailleurs que cette reprise ne manifeste aucun retour
réel à la santé du système, c’est ce que révèle la faible productivité (lorsque
les capitalistes disposent d’une main-d’œuvre à bas prix, ils n’ont aucun
intérêt à substituer des moyens modernes de production aux salariés…).
C’est
la “recette” britannique que la bourgeoisie souhaite voir adoptée partout.
C’est la potion que les masses grecques sont sommées d’avaler jusqu’à la
dernière goutte avec la complicité du gouvernement Tsipras-Kamenos : pas
un euro de “prêt” pour la Grèce sans la continuation à marche forcée des
privatisations – Tsipras est allé en Chine annoncer que le Pirée serait
entièrement privatisé –, sans une nouvelle contre-réforme des retraites et du
marché du travail. Moscovici au nom de l’UE l’indique sans détour : “Il
faut que le gouvernement grec produise les réformes qu’on lui demande” . Même
les phrases sur la “souveraineté” grecque, le “respect du vote des Grecs” ne
sont plus de saison ! (voir article sur la Grèce dans ce numéro de CPS).
C’est
une potion similaire que le gouvernement Hollande-Valls-Macron-Pinel entend
faire avaler au prolétariat de France.
Après Alstom,
Alcatel-Lucent : les “champions nationaux” passent à la trappe
Il est
vrai que toute la situation de la bourgeoisie française impose au gouvernement
d’accélérer la marche aux contre-réformes. Les précédents CPS ont souvent
développé la dégradation continue de la situation de l’économie française par
rapport à ses concurrents. Cet éditorial n’y reviendra pas dans le détail, sauf
pour évoquer le trés significatif rachat d’Alcatel-Lucent par Nokia. Il y a
moins d’un an, pour justifier la cession de l’essentiel d’Alstom à General
Electric, son patron Kron expliquait : “la voie d’une stratégie autonome
est devenue risquée et dangereuse... C’est une question de parts de marché et
de taille critique....” (cité dans CPS n° 54). Aujourd’hui (interview dans Le
Monde du 16 avril) Combes, directeur d’Alcatel-Lucent explique à son
tour : “Seuls nous n’avions pas les moyens financiers pour investir dans
la mesure qu’il faudrait, ni la taille critique nécessaire à faire des
économies d’échelle indispensables pour assurer notre compétitivité dans le
secteur.”
La
reprise mot par mot à un an d’intervalle des deux patrons ne doit rien au
hasard. Toute la politique industrielle de la Ve République était
fondée sur la constitution de “champions nationaux” capables de jouer dans “la
cour des grands”. C’est cette prétention qui aujourd’hui s’effondre.
Inéluctablement, l’économie française est reléguée en deuxième division – dans
le meilleur des cas.
Évidemment,
les premières victimes sont les travailleurs. Lorsque Combes parle d’ “économie
d’échelle”, il faut traduire par suppression de postes. D’une manière plus
générale, la dégradation de la situation économique se traduit par
l’accélération des plans de licenciements (La Halle aux Vêtements, AIM,
Galeries Lafayette, Mory Global).
Il faut
insister sur ce dernier exemple. Il y a quelques mois, Mory Ducros annonçait le
licenciement de la moitié de ses chauffeurs (il y avait à l’époque 5000
chauffeurs). Les travailleurs avaient alors tenté de s’opposer aux
licenciements en utilisant l’arme dont ils disposaient : la grève et le
blocage des dépôts. Ils en avaient été dissuadés par leurs propres responsables
syndicaux, et Montebourg lui-même s’était “courageusement” adressé aux
chauffeurs pour leur demander de lever les blocages pour “sauver les emplois
qui pouvaient l’être”. Un fonds d’investissement se portait acquéreur de
l’entreprise – désormais Mory Global – moyennant plus de 2000 licenciements. Au
passage, ledit fonds d’investissement empochait la bagatelle de 17,5 millions
de “prêt” de l’Etat. Aujourd’hui, c’est la mise en liquidation, le licenciement
total des chauffeurs qu’on avait alors dressés contre ceux qui avaient perdu
leur travail lors de la précédente charrette. Quant aux 17,5 millions, il est
d’ores et déjà acquis que l’Etat n’en reverra pas la couleur. On ne serait pas
complet si l’on n’ajoutait que tous les responsables syndicaux viennent de
signer l’accord en vertu duquel une aumône sera versée aux travailleurs
licenciés. Édifiant !
Départementales :
nouvelle Bérézina électorale pour le PS et le PCF
C’est à
la suite d’une nouvelle défaite accablante pour le PS et le PCF que Valls,
droit dans ses bottes, a annoncé qu’il avait compris le message des
électeurs... et décidé d’accélérer les réformes.
Le PS,
après la perte de dizaines de municipalités de grandes villes aux Municipales,
a perdu aux Départementales la bagatelle de 28 départements (le PCF perdant un
des deux conseils généraux qu’il dirigeait). En voix, plus d’un électeur sur
deux qui avait voté Hollande au premier tour des Présidentielles n’a pas voté
PS aux Départementales. Deux électeurs sur trois qui avaient voté Mélenchon
n’ont pas voté PCF ou FG. Ajoutons : il est difficile de faire une
comparaison absolument précise vu les attelages constitués ici ou là par le PS
et le PCF avec des partis ou personnalités bourgeoises (EELV, Radicaux, “divers
gauche”).
La
cause de cet effondrement, c’est que le prolétariat lui-même, comme en témoigne
la participation dérisoire dans les quartiers populaires, s’est massivement
abstenu. La thèse selon laquelle il y a remontée de la participation électorale
est là aussi une mystification. On compare avec 2011, où il y avait
renouvellement partiel des conseillers généraux, alors que dans le cas présent
il s’agit d’élections générales (sauf Paris) donc politiques.
En
regard de cet effondrement, la victoire de l’UMP est toute relative, ce dont
conviennent ses représentants les plus lucides. Elle procède d’une moindre
déperdition de voix par rapport au vote Sarkozy.
Quant
au FN, si son ascension n’a rien d’irrésistible (un million de voix environ de
moins pour ses candidats que sur le vote Le Pen en 2012), il n’en reste pas
moins que son électorat est le plus stable par rapport à 2012, d’où le
spectaculaire progrès en pourcentage et l’élection de plusieurs de dizaines de
conseillers départementaux frontistes. Quant à la nature de cet électorat, la
thèse – anti-ouvrière – qui vise à en faire un électorat ouvrier est une
mystification : il demeure dans le prolétariat une réalité assez
marginale. Il est en réalité composite : fraction de la bourgeoisie
menacée par le libre-échange de l’UE et nostalgique de l’empire colonial,
petite bourgeoisie et paysannerie réactionnaire de tout temps, lumpen‑prolétariat
aussi.
Cela
étant, en termes de classes, c’est-à-dire de rapport vote pour les partis
bourgeois/vote pour les partis d’origine ouvrière, ces élections sont marquées
par une victoire écrasante des partis bourgeois (nonobstant le fait que toutes
les voix portées sur des candidats “de gauche” ne sont pas des voix PS-PCF, il
ya 12,5 millions de voix pour la “droite” et 7,5 millions pour la “gauche”).
Valls “se félicite” et
Macron déclare : “je me fiche de qui
m’applaudit”
On peut
a priori s’étonner du fait que la première déclaration de Valls dès le soir du
premier tour a été pour... se féliciter de ces résultats :
“Ce soir, l’extrême-droite,
même si elle est trop haute, n’est pas la première formation politique de
France. Je m’en félicite car je me suis personnellement engagé. Quant on
mobilise la société, quant on mobilise les Français, ça marche.”
Valls
ne saurait dire plus clairement pour qui il roule. Et d’appeler au “désistement
républicain”, c’est-à-dire au vote UMP au deuxième tour dans des dizaines de
cantons.
Lorsque
Valls se félicite de la victoire électorale de l’UMP, il indique la nature
politique de son gouvernement : un gouvernement dressé contre le vote
populaire de 2012 et sa matérialisation, l’existence d’une majorité PS-PCF à
l’Assemblée nationale.
À cet
égard, l’intervention de Macron au Sénat après les Départementales constitue une
illustration saisissante. Dans le cadre de l’ “accélération” des réformes,
Macron choisit de présenter d’abord au Sénat à majorité UMP-UDI – ce qui est en
soi une indication politique – le nouveau cadeau fiscal au patronat dit de
“surcompensation fiscal” des investissements (lorsque un patron investit à
hauteur de 100, cet investissement est déductible des impôts à hauteur de 140).
Réaction enthousiaste des sénateurs UMP et de l’UDI : “Nous venons de
vivre un grand moment de vérité politique... un discours revigorant, vivifiant
et tonifiant”. Ce sont leurs propos. Et lorsque le représentant PCF objecte à
Macron : “Regardez qui vous applaudit”, celui-ci réplique en toute
franchise : “je me moque de qui m’applaudit”.
Précisons :
c’est sans vergogne que Macron prend appui sur la majorité sénatoriale UMP-UDI
; c’est sans vergogne qu’il piétine le vote de 2012. Ainsi va le gouvernement
Hollande-Valls-Macron-Pinel.
“Front républicain” contre Front national sur quel terrain ?
A la
majorité PS-PCF, le gouvernement oppose le Front républicain incluant la
“droite républicaine”. Mais sur quel terrain ? Celui de l’opposition au
Front national.
Le
Front national est un parti ultra-réactionnaire, raciste, anti-ouvrier, un
parti purement bourgeois : de cela, aucun lecteur de CPS n’a besoin d’être
convaincu. Mais que le FN soit un parti bourgeois ne signifie pas qu’en l’état
actuel des choses il dispose du soutien du grand capital. En vérité, c’est tout
le contraire. Ce n’est nullement un hasard si Gattaz s’est fendu d’une
déclaration politique violemment hostile au FN et à son programme économique
“absurde”. On comprend l’angle d’attaque de Gattaz : les déclarations
nauséabondes contre les immigrés de Le Pen père et fille ne le gênent en rien.
Ce qui le gêne, ce sont les déclarations de Le Pen contre l’Union européenne.
Car malgré toutes les difficultés pour la bourgeoisie française, la fraction
dominante de celle-ci a lié son sort à l’UE. Le retour à un protectionnisme
national serait pour elle une catastrophe.
Or,
c’est sur ce même terrain - et exclusivement sur ce terrain – que le
gouvernement, Hollande lui-même, tout comme l’UMP brandissent l’étendard de “la
lutte anti-Front national”. C’est ce que vient de révéler la phrase
soigneusement pesée de Hollande à Canal + : “Lorsque vous lisez ce
qu’écrit le FN, c’est comme un tract du PCF des années 70”. Le PCF des années
70, c’est la ligne du “produire français” opposée à la construction européenne.
Quel que soit le caractère totalement réactionnaire de la politique du PCF d’hier
et d’aujourd’hui – y compris d’ailleurs sur le terrain de l’immigration –,
l’amalgame entre PCF et FN est un amalgame misérable. Mais il vise un premier
but : en assimilant PCF et FN, Hollande assimile le vote PCF et le vote
FN, c’est-à-dire un vote qui, pour l’essentiel, est un vote ouvrier, et le vote
ultra-réactionnaire pour le FN. En ce sens, la déclaration de Hollande est
d’abord une déclaration haineuse contre la classe ouvrière. Il vise un deuxième
but : se dresser contre la seule issue politique possible : un
gouvernement des seuls PS et PCF appuyé sur la majorité PS-PCF à l’Assemblée
nationale. Il vise enfin un troisième but : la constitution du Front
républicain sur l’axe politique défini par Gattaz : la défense de l’UE
contre “le programme économique absurde du Front national”.
Congrès du PS : aucune
opposition réelle
Si
Valls a pu se féliciter de la déroute électorale du PS, on pouvait s’attendre à
quelques réactions dans le PS. Ne serait-ce que parce que la défaite aux
Départementales signifiait pour nombre de membres de l’appareil... une mise au
chômage brutale. Elles ont été au total plus que limitées. Certes quelques
dirigeants dits “frondeurs” ont évoqué la nécessité de “changer de politique”,
Mais quant au contenu de ce “changement”, il est totalement insaisissable. La
lecture des documents de congrès de la tendance abusivement étiquetée “de
gauche” l’illustre, et les déclarations comme les silences des uns et des
autres plus encore. Christian Paul, dirigeant “frondeur” approuve la loi Rebsamen.
Les dirigeants “frondeurs” se félicitent de la loi Touraine. Silence total sur
la loi “renseignement” (voir plus loin). Au bout du compte, on ne voit pas très
bien en quoi il y a opposition. La seule question qui suscite quelques remous –
qui d’ailleurs ne recoupent en rien l’opposition des motions pour le congrès –,
c’est la réforme des collèges. Comme on le verra plus bas, ce n’est pas un
hasard.
Signe
des temps, Martine Aubry a rallié la motion Cambadelis, c’est-à-dire la motion
Valls. Et plus significatif encore : toutes les motions se prononcent pour
le “dépassement” du PS, c’est-à-dire la liquidation de tout ce qui le relie à
l’histoire du mouvement ouvrier, ce que préconise ouvertement Valls. Selon
toute probabilité, le congrès marquera un pas dans ce sens (même s’il en
restera à accomplir), donc une victoire de Hollande-Valls-Macron contre le PS.
La loi renseignement :
union nationale pour une attaque sans précédent contre les libertés
démocratiques
Rien
n’illustre mieux la soumission totale des prétendus “frondeurs” sur le projet
de loi renseignement. De quoi s’agit-il ? D’une autorisation illimitée à
l’accès aux données personnelles et ce par tous les moyens (écoutes
téléphoniques, accès aux données Internet, installation de micros et de sondes).
La définition des justifications que la police pourrait faire valoir pour
mettre en oeuvre ce flicage montre que non seulement n’importe qui peut faire
l’objet d’une telle surveillance – le projet de loi prévoit d’ailleurs le
flicage y compris de l’entourage de la personne suspectée ! Quels mobiles
pour un tel contrôle ? Ecoutons ce qu’en dit… la commission parlementaire
elle-même qui, par ailleurs, soutient l’essentiel du projet (voir plus
bas) :
« ...
la Commission constate que l’article 1er du projet de loi ajoute aux
cinq existantes deux nouvelles finalités
– les intérêts essentiels de la politique étrangère et l’exécution des
engagements européens et internationaux de la France et la prévention des violences
collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique – sans que
soit précisément caractérisée chacune d’elles laissant ainsi une très large
marge d’interprétation et autorisant potentiellement un recours très élargi aux
activités et aux technologies du renseignement. S’agissant des « intérêts
essentiels de la politique étrangère » et de « l’exécution des
engagements européens et internationaux de la France », la Commission
souhaite que les débats permettent une clarification de ces notions. Quant à la
finalité de « prévention des violences collectives de nature à porter
gravement atteinte à la paix publique », la Commission la juge trop floue
et trop large et préconise sa suppression, l’objectif de prévention des violences
collectives de nature à porter atteinte à la forme républicaine et à la
stabilité des institutions étant par ailleurs couverte par la notion de
« sécurité nationale ». »
Ainsi,
tout militant combattant les interventions impérialistes de la France (“intérêts essentiels de la politique
étrangère”), tout travailleur engagé dans une grève, au nom de la “prévention des violences collectives de
nature à porter gravement atteinte à l’ordre public”, pourra faire l’objet
d’une surveillance permanente.
C’est
ce contre quoi affecte de protester le député UMP Lelouch – fausse
protestation, mais vraie jubilation – qui indique la fonction de la loi
relative au renseignement dans la guerre de classe – sous couvert de guerre
contre le terrorisme : « Donc lors de Mai-68 ou des grandes
grèves de 1995, les services auraient été habilités à espionner... Prenez vos
chers “zadistes” de Notre-Dame-des-Landes, des agitateurs professionnels, là on
dit qu’on a le droit de les espionner. Je dis attention. »
Lelouch
aurait tort de se priver de poser en faux défenseur des militants du mouvement
ouvrier ou plus généralement des mobilisations populaires. S’il peut prendre ce
rôle de composition, c’est bien parce que du côté du PS, c’est le silence le
plus honteux, et du côté du PCF, une protestation soigneusement balisée comme
l’indique la conclusion de l’article de l’Humanité du 1er
avril :
« Les services de
renseignements doivent bénéficier, au même titre que l’ensemble des services de
l’État, de moyens financiers et humains suffisants pour remplir leurs missions
dans le cadre de l’État de droit. »
La
vérité, c’est qu’il y a une véritable union nationale pour ce projet de loi. Du
reste, Valls a ouvertement félicité l’UMP pour son soutien dont Sarkozy a donné
le sens : “Pour lutter contre le
terrorisme, les Français doivent accepter une remise en cause de leurs
libertés.”
Quant
aux directions syndicales, la palme de l’ignominie revient incontestablement à
l’appareil Force Ouvrière : «Nous approuvons globalement le projet de loi,
mais nous émettons des réserves sur certaines formulations très larges qui
pourraient être dangereuses pour les libertés publiques.» (B. Brugère, du
syndicat FO de la Magistrature)
Les
directions de la CGT et de la FSU, elles, ont été contraintes de sortir de leur
silence par les prises de position émanant d’abord de personnalités,
groupements, associations extérieures au mouvement ouvrier sur le terrain
démocratique. Elles appellent à un rassemblement Place de la République lundi 4
mai, veille du vote à l’Assemblée en procédure accélérée. Il est clair que s’il
s’agissait véritablement d’empêcher l’adoption de ce projet de loi, c’est
évidemment en direction de l’Assemblée nationale que devait être dirigée la
manifestation, dont la préparation aurait dû avoir une toute autre ampleur que
le cadre confidentiel qui est aujourd’hui le sien.
Assemblée nationale :
du vote de la loi Touraine...
Car
contre les acquis ouvriers, et sans que la majorité PS-PCF ne lève le petit
doigt, l’Assemblée nationale ne chôme pas. Ainsi vient-elle adopter en première
lecture la loi Touraine.
Une
entreprise d’intoxication a visé à présenter cette loi comme une loi
élargissant l’accès aux soins via l’instauration du “tiers payant”. En réalité
le tiers payant ne réduit pas d’un centime la contribution du patient, en
particulier lorsqu’il s’adresse à un médecin non conventionné. Par contre, le
système du tiers payant, ajouté aux mesures prises sur le caractère public des
données de santé, donne un droit de regard inédit aux mutuelles sur l’ensemble
des activités de soin.
Cela
prépare l’étape suivante à savoir l’instauration d’un système bonus-malus,
comme pour les assurances automobiles, où le montant payé par le patient aux
mutuelles, son degré de protection – qui prospèrent sur les mesures de
déremboursement prises par la Sécurité sociale – dépendra du fait qu’il sera
rangé dans une population plus ou moins jugée “à risques” pour tel ou tel type
de pathologie.
Ajoutons
que l’essentiel des mesures se concentre dans les attaques contre l’Hôpital
public. Ainsi, l’appartenance contrainte à un groupement d’établissements au
sein duquel seront mutualisées – voire privatisées – toute une série de
fonctions (logistique, commande de fournitures, entretien, restauration), doit
permettre de supprimer des milliers de postes. Dans le même sens va le
renforcement du rôle des ARS (Agence régionale de santé) chargés d’organiser le
système de santé au public et non système de santé public qui intègre dans son
schéma régional aussi bien hôpitaux publics, hôpitaux privés à but non
lucratif, et cliniques privées. La soumission des hôpitaux à la répartition des
types de soin entre les différents établissements – certains actes pouvant donc
être exclusivement dévolus à des cliniques privées – conditionnera le
financement des établissements. Ajoutons que, désormais, les mêmes cliniques
pourront assurer la formation des personnels. Ainsi les hôpitaux publics, qui
fonctionnaient jusqu’ici avec les personnels de santé en formation faute de
personnel formé en nombre suffisant, se verront dépouillés d’une partie d’entre
eux.
En
réalité, la loi Touraine n’est que la contribution exigée de la Sécurité
sociale aux 50 milliards de cadeaux aux patrons dans le cadre du pacte de
responsabilité : elle doit se traduire par la suppression de 22 000 postes
dans les hôpitaux publics.
Le vote
en première lecture à l’Assemblée nationale dans le cadre de la procédure
accélérée signifie que, de fait, la loi est d’ores et déjà adoptée. Chacun y a
joué son rôle : les associations de médecins ont combattu cette loi
réactionnaire sur un terrain plus réactionnaire encore (Ils reprochaient au
système du tiers payant de faire apparaître immédiatement le montant des
dépassements d’honoraire des médecins non conventionnés). Les directions
syndicales quant à elles ont argué du caractère réactionnaire de cette
“opposition” pour ne pas bouger le petit doigt contre la loi, si ce n’est la
prise de position purement formelle du congrès CGT Santé lequel congrès offrait
comme seule perspective “de lutte” … la participation à la journée d’action du
9 avril (voir plus bas).
...à la loi Rebsamen sur le
dialogue social
Il faut
rappeler l’historique de l’affaire. Rebsamen découvre que les “seuils sociaux”
sont un frein à l’embauche et invite les “partenaires sociaux” à se pencher sur
la question. Le MEDEF propose la liquidation des délégués du personnel dans les
entreprises au-dessous de 50 employés, et au-delà s’il y a “accord
majoritaire”, au profit d’un “Conseil d’entreprise”, dont la fonction serait
d’ailleurs d’associer les représentants du personnel aux objectifs de
l’entreprise. Chacun s’apprête à jouer don rôle : les uns (CFDT, CFTC,
CGC) approuvant, les autres – tout en avalisant l’ensemble des “négociations” –
refusant de signer. En vertu des nouvelles règles de représentativité,
l’affaire aurait été entérinée.
Mais un
grain de sable s’introduit dans la mécanique. La CGC au dernier moment refuse
de signer sous la pression de ses propres troupes. Immédiatement dirigeants CGT
et FO bouchent le trou et demandent au gouvernement la réouverture de
négociations. Rebsamen ouvre un nouveau cycle de concertation et propose une
nouvelle mouture sous forme de projet de loi que rien ne distingue vraiment du
projet du MEDEF. D’ailleurs, le MEDEF s’en félicite. Aux DP, CE (Comité
d’entreprise), CHSCT (hygiène et sécurité) on substitue une DUP (délégation
unique du personnel) dans les entreprises de moins de 300 salariés. Dans les
TPE (Trés petites entreprises), on crée des commissions paritaires
interprofessionnelles. Cela permet à Martinez de trouver au projet de loi des
“aspects positifs”, d’autant que des mesures spécifiques sont prévus pour la
progression de carrière des “représentants du personnel” - la loi entend remercier
les permanents syndicaux pour “services rendus”. Pour ce qui est des
commissions paritaires des TPE, une précision donne la fonction de ces
représentants des salariés d’un type nouveau : ils n’auront pas le
droit... de rentrer dans les entreprises !
La
réalité, c’est l’effacement des délégués du personnel dans les entreprises de
moins de 300 salariés. C’est une attaque centrale contre le droit syndical. Il
faut y ajouter la création du “compte personnel d’activité” intégrant “compte
pénibilité”, “compte formation”, “droit à mutuelle”. Retraite, formation
professionnelle, santé : tout cela ne relève plus de garanties collectives
liées aux lois et conventions collectives, comme à l’existence de la Sécurité
sociale, mais à des droits différents relevant des aléas particuliers de la
carrière professionnelle. Le “compte personnel d’activité” loin de constituer
un nouvel acquis social – il est frauduleusement présenté ainsi –, vise à la
dislocation des acquis collectifs du prolétariat qui le constituent comme
classe.
La journée d’action du 9
avril
Il faut
préciser le calendrier. La dernière journée de concertation sur la loi Rebsamen
a lieu le 3 avril. Le gouvernement a déjà annoncé à ce moment-là une
“conférence sociale” en juin sur la réforme du marché du travail. La journée
d’action du 9 avril n’est même pas un intermède dans le dialogue social continu
entre appareils syndicaux et gouvernement (Il faudrait ajouter la concertation
permanente sur la contre-réforme de la Fonction publique). Ce n’est pas un intermède
; c’est plutôt un contrepoint, c’est-à-dire, nous dit le Larousse, la
superposition de deux lignes mélodiques. La ligne mélodique du dialogue social
est enrichie du contre-chant de la journée “de lutte” du 9 avril, journée
d’action sans mot d’ordre, sans revendication. Le 9 avril même, Martinez n’a
pas craint de parler de “succès retentissant” alors que dans l’immense majorité
des milieux de travail il n’y a pas eu grève, les manifestations étant réduites
à la présence de la sphère immédiatement proche des appareils (soit un peu plus
que lors des précédentes journées d’action où même cette sphère était
absente !). Le même Martinez a donné le sens de cette manifestation :
“contre l’austérité, pour des politiques alternatives à celles du gouvernement”.
On connaît la chanson : au nom de faire des propositions “positives”,
“alternatives”, l’appareil syndical évacue tout combat réel pour bloquer la
politique et les mesures auxquelles sont réellement confrontés les
travailleurs : celles du gouvernement. Pour donner le change, localement
les appareils syndicaux sont autorisés à écrire dans leurs tracts :
retrait de la loi Macron ou du pacte de responsabilité, ce qui ne change rien
au sens de la journée d’action tel qu’il est donné par les appareils centraux des
syndicats.
C’est
aussi ce qui permet aux représentants officiels de l’“extreme-gauche” (NPA, LO,
POI) de saluer avec enthousiasme cette journée d’action. Pourtant, les
banderoles à peine repliées, les dirigeants peuvent retrouver leur siège
moelleux et encore tiède à la table du dialogue social.
La démolition du droit du
travail, des conventions collectives à l’ordre du jour de la conférence sociale
C’est
l’organe officiel de FO qui nous en informe :
“Comme prévu à l’agenda
social, et indépendamment de la conférence du 3 avril, les organisations
syndicales et patronales ont établi, le 30 mars, leur propre calendrier
pour dresser un bilan thématique des derniers ANI (2006, 2008, 2009, 2012 et
2013).
Après
une réunion de méthode le 8 avril, cette « évaluation quantitative et
qualitative » se fera en quatre séances, du 28 avril au 18 mai
(la dernière date reste à fixer) et « permettra d’envisager », si
« besoin », des « ajustements ou évolutions nécessaires »,
selon le relevé de conclusions.
La
question du contrat de travail sera examinée le 7 mai. “
Avant
même la conférence de juin, les “partenaires sociaux” sont chargés de
débroussailler le chemin. FO indique de quel chemin il s’agit. Le bilan des
précédents ANI (Accord national interprofessionnel) vise à établir les
insuffisances notamment du dernier d’entre eux qui permettait aux patrons et
bureaucrates syndicaux de se mettre d’accord pour augmenter le temps de travail
sans augmentation de salaire ou pour diminuer le salaire pour faire face à une
difficulté réelle ou prétendue de l’entreprise.
Le
MEDEF demande qu’à ces accords “défensifs” on puisse ajouter des accords
“offensifs” à durée plus longue. En clair, il faut pouvoir signer ces accords
quand l’entreprise va mal, mais aussi quand elle va “bien”. Autrement dit, dans
toute entreprise, on doit pouvoir signer ce type d’accord, ce qui signifie ni
plus ni moins la suppression de toute législation nationale contraignante en
matière de temps de travail, la possibilité à tout instant de baisser les
salaires.
C’est
ce que Valls appelle “l’inversion de la hiérarchie des normes”. La hiérarchie
des normes, telle qu’elle découlait des conquêtes issues de la fin de la
seconde guerre mondiale, s’établissait ainsi : le code de travail, comme
garantie minimale pour tous les travailleurs ; les accords de branche, dont les
garanties ne pouvaient être que supérieures aux précédentes pour les
travailleurs ; et les accords d’entreprise donnant par rapport aux accords de
branche des avantages supplémentaires. L’ “inversion de la hiérarchie des
normes” signifie au contraire que dans le cadre des “accords majoritaires”
découlant des nouvelles règles de représentation syndicale, des accords
d’entreprise peuvent prévoir des garanties inférieures pour les salariés au
code du travail, celui-ci ne s’appliquant qu’à défaut d’accord. Ce n’est pas
une mince modification, même si la “hiérarchie des normes” héritée de la
Libération avait, au gré des lois réactionnaires (des lois Auroux aux lois
Fillon), subi déjà de nombreux accrocs.
Quant à
“la question du contrat de travail”, dont FO nous dit qu’elle sera examinée le
7 mai, son enjeu est clair : liquider le CDI qui, malgré l’augmentation
massive de la précarité, demeure le contrat de travail auquel sont soumis
l’immense majorité des salariés de ce pays. Les propositions du gouvernement et
du MEDEF pour le faire sauter ne manquent pas. Mais l’une de ces propositions
doit attirer notre attention : celle qui consiste à créer un CD”I” spécial
PME qui n’aurait de CDI que le nom. Cela permet de restituer la cohérence de
l’ensemble de l’offensive. La loi Rebsamen liquide le droit syndical dans les
PME, ce qui facilite grandement la phase suivante : liquider le CDI dans
ces mêmes entreprises !
Le prolétariat conserve les
ressources pour stopper l’offensive du gouvernement et du patronat :
les enseignants cherchent la voie du combat....
L’offensive
gouvernementale et patronale peut apparaître comme irrésistible. Elle n’est
pourtant forte que du soutien des appareils syndicaux. Ceux-ci ont jusqu’à un certain
point les mains libres du fait du désarroi politique du prolétariat. Mais cela
n’est vrai que jusqu’à un certain point. Il est inéluctable qu’à un moment ou à
un autre, il y ait choc entre les aspirations des masses, leur volonté de
résister au feu roulant des attaques, et la politique des appareils syndicaux,
tout entiers attachés à protéger le gouvernement. Une telle affirmation ne
relève pas d’un “acte de foi”. Les prémices de ce choc, à des degrés divers, se
manifestent chez les enseignants confrontés à la contre-réforme des collèges,
comme dans la grève de Radio France.
Nous
renvoyons le lecteur aux deux Lettres de
liaison – expression du courant Front unique dans l’enseignement
(consultables sur le site : www.frontunique.com) – qui analysent ladite
contre-réforme ainsi que la politique de la direction du principal syndicat, le
SNES, par rapport à cette réforme. Ces Lettres de liaison ouvrent par ailleurs
une perspective de combat aux enseignants pour arracher le retrait de cette
contre-réforme.
Commençons
par remarquer que la simple présentation de cette contre-réforme par la
ministre Vallaud-Belkhacem aurait été tout simplement impossible, si le statut
des enseignants n’avait été brutalement remis en cause avec la collaboration
constante, assumée, revendiquée des dirigeants du SNES. Ceux-ci ont
littéralement porté devant les enseignants la liquidation des décrets de 50, ce
qu’ils ont chèrement payé, d’ailleurs, de leur défaite aux dernières élections
professionnelles (voir CPS n° 56).
La
réforme en effet, qui réduit en charpie programmes nationaux et horaires
nationaux, est tout entière fondée sur la soumission des enseignants aux
instances locales de direction (chef d’établissement, CA, Conseil pédagogique),
et leur impose dans ce cadre, celui de l’autonomie des établissements, une
kyrielle d’obligations nouvelles, en particulier des réunions de toutes sortes.
C’est précisément ce que l’ancien statut, défini par les décrets de 50, ne
permettait pas, puisqu’il définissait le service des enseignants en heures de
cours dans une discipline, limitant strictement l’imposition des réunions en
dehors des cours au seul objectif qui était alors le leur : transmettre un
certain savoir disciplinaire.
De la
même manière, en amont de cette contre-réforme, le Conseil supérieur des
programmes (où siègent représentants des “milieux économiques”, pseudo
spécialistes de la pédagogie... et anciens bureaucrates syndicaux) avait
préparé le terrain : plus de programmes annuels mais des “curriculae” par
cycle de plusieurs années, les disciplines noyées et en réalité niées au profit
de l’acquisition de “compétences” constituant un “socle commun”. Non seulement
rien ne choquait dans tout cela la direction du SNES, mais elle s’en
félicitait, trouvant toutes sortes de vertus au nouveau “socle” de
Vallaud-Belkacem, qu’elle opposait à l’ancien socle, celui de Chatel, ministre
de Sarkozy. En réalité, sous un habillage à peine différent, c’était la même
chose, les mêmes objectifs : feu sur les disciplines ! Feu sur les connaissances !
Vive les compétences, celles garantissant l’ “employabilité” des futurs
collégiens dans l’entreprise.
Depuis
janvier, dans le plus grand secret et à l’insu des enseignants, la ministre et
les dirigeants syndicaux en premier lieu ceux du SNES, peaufinaient la réforme
au ministère. Et c’est déjà assurée du soutien des dits dirigeants que la
ministre présentait son projet de contre-réforme et ouvrait la concertation
“officielle”, qui normalement n’avait d’autre fonction que de confirmer ce qui
avait déjà été acté.
Ainsi,
la pièce dont l’issue avait déjà été écrite pouvait se jouer. La direction du
SNES, après quelques protestations de pure forme contre la réforme
ministérielle au nom de la “réforme dont le collège a besoin”, décidait
d’organiser partout des stages syndicaux visant à associer les responsables
locaux à la mise en œuvre de la réforme. Par exemple, dans ces stages, elle
mettait à l’ordre du jour la discussion, matière par matière, des nouveaux
programmes ; ou plutôt, de leur liquidation.
Dans
toutes les instances académiques du syndicat, l’appareil syndical se dressait
avec virulence contre les militants ou responsables locaux du SNES qui
proposaient que le syndicat se prononce pour le retrait de la réforme. À la CA
du SNES de Clermont-Ferrand, la responsable nationale collège du SNES
déclarait : “On ne peut demander le retrait de la réforme car cela
voudrait dire renoncer à discuter avec la ministre”.
Un
membre de la CA du SNES d’Aix-Marseille rend compte de la même opposition des
responsables locaux du SNES :
“On nous a d’abord expliqué que le projet de réforme
du collège était inacceptable, avant de laisser croire que c’était flou, puis
d’affirmer qu’on ne pouvait pas tout rejeter, sans qu’aucun membre de la
tribune puisse avancer ce qui pouvait être à sauver dans le projet de réforme.
Il a même été spécifié que ce projet était contradictoire avec les nouveaux
programmes sur lesquels travaille le CSP !”
C’était
le 30 mars. Mais le 31 mars, on apprenait que SNES, FO, CGT, SNALC avaient
quitté la table de la concertation. S’en suivait un communiqué de ces mêmes
organisations qui se prononçaient formellement pour le retrait de la réforme.
Suite à ce communiqué, le ministère laissait fuiter une réaction furieuse
criant à la “trahison” et disant en substance : “Nous discutons en off depuis janvier et le SNES était d’accord !”
Que
s’est-il donc passé ? La direction du SNES a subi une double pression.
D’une part, la réaction massive des enseignants dans les collèges, réaction
multiforme (assemblées générales, associations disciplinaires, en particulier
des disciplines sacrifiées – langues modernes et anciennes). De cette réaction,
même quelques dizaines de députés (PS et UMP confondus !) se sont fait
l’écho ! D’autre part, les réactions dans l’appareil syndical du SNES
lui-même. Certains de ses membres s’inquiètent du fait que l’orientation de
soutien ouvert au gouvernement, en réduisant l’audience du syndicat, remet en
cause l’existence de l’appareil lui-même, compromettant sa possibilité de jouer
son rôle de canalisation de mouvements futurs.
Il y a
évidemment de ce revirement, si provisoire qu’il soit, une leçon à tirer qui va
bien au-delà de l’enseignement. Les travailleurs ont la capacité par leur
propre mouvement d’imposer aux directions syndicales de reprendre leurs propres
exigences. Ce qui s’est passé dans le SNES montre toute l’actualité de
l’exigence qui doit être adressée aux directions syndicales : les
syndicats au service des travailleurs, les permanents à notre service !
Cela étant,
aucune illusion ne doit être entretenue. Quelques jours après le communiqué
pour le retrait de la réforme, tous les dirigeants syndicaux participaient au
Conseil supérieur de l’Enseignement (instance où sont présents représentants du
patronat, des associations de parents d’élèves, de l’Eglise via l’enseignement
privé, etc.) qui votait majoritairement pour la réforme bien sûr, donnant à
celle-ci une pseudo légitimité. Par leur participation, dirigeants du SNES, de
FO, de la CGT visaient à convaincre les enseignants qu’ils étaient seuls contre
la réforme. Par ailleurs, les dirigeants du SNES, en même temps qu’ils se
prononçaient formellement contre la réforme, annonçaient qu’ils
s’impliqueraient pleinement dans la discussion des nouveaux programmes concoctés
par le CSP (Conseil supérieur des programmes). Cela signifie que contrainte par
les enseignants à une prise de position pour le retrait de la réforme, la
direction syndicale se garde la possibilité à tout instant de renouer le fil de
la concertation.
Aujourd’hui
SNES, FO, CGT, SNALC appellent à la grève le 19 mai. L’appel inclut il est vrai
l’exigence du retrait de la réforme, tout en invitant les AG à “réfléchir” sur
“les améliorations” à apporter au collège.
Mais
outre le fait qu’il est plus que douteux qu’une grève de 24 heures suffise à
faire céder le gouvernement, les enseignants qui veulent le faire reculer ont
un problème majeur à résoudre. À ce stade, les dirigeants syndicaux gardent le
contrôle total.
Quant on connaît leur propension à trahir les
revendications, propension dont ils ont encore fait largement preuve dans un
passé récent, ce contrôle risque fort d’être fatal aux enseignants eux-mêmes.
C’est
pourquoi, c’est à juste titre que le courant Front unique combat sur la
perspective suivante : pour le retrait de la contre-réforme des collèges,
que les dirigeants syndicaux, en premier lieu ceux du SNES, appellent à la
conférence nationale des délégués d’établissement, désignés et mandatés par les
assemblées générales d’établissement ou assemblées de localités pour définir
centralement, nationalement l’action à mener pour faire reculer la ministre.
Tant il est vrai que celle-ci ne reculera pas par les journées d’action, et
autres actions locales, “originales”, etc., que les dirigeants ressortent
régulièrement dans ce genre de situation.
Radio France : leçons
d’une grève trahie
L’impossibilité
de vaincre si la mobilisation reste entre les mains des appareils syndicaux,
voilà ce dont viennent de faire l’amère expérience les travailleurs de Radio France
au terme de près d’un mois de grève.
Ce sont
les travailleurs eux-mêmes qui ont imposé la grève jusqu’à satisfaction des
revendications : retrait du plan de suppressions de postes, non à la
“syndication” (remplacement des émissions locales de France Bleue par des
plages communes), non à la suppression d’un orchestre sur les deux de Radio
France notamment. La colère des travailleurs étaient sans doute attisée par le
train de vie et les dépenses somptuaires de Gallet, le directeur de Radio
France. Mais ils se sont trés rapidement rendu compte que derrière Gallet, il y
avait le gouvernement, Fleur Pellerin et Valls lui-même éructant sa haine des
grévistes et les sommant de reprendre le travail.
Dans un
premier temps, les responsables syndicaux, bon gré mal gré, ont dû se soumettre
à la volonté des travailleurs telle qu’elle s’exprimait notamment à travers des
assemblées massives. Notons cependant que, d’emblée, le SNJ (syndicat des
journalistes) s’est comporté en syndicat jaune, alors même qu’en province les
journalistes étaient dans la grève. Ensuite les dirigeants, d’abord ceux de
l’UNSA et de la CFDT, ont commencé à dire que les propositions de Pellerin (qui
maintenait totalement le plan de suppressions de postes et proposait de
licencier “autrement” les musiciens (en maintenant les deux orchestres
“redimensionnés”) se discutaient. Mais surtout, tous les dirigeants syndicaux
ont sorti de leur chapeau la demande d’un “médiateur”, demande qui se
substituait évidemment à la défense intransigeante des revendications. Le
gouvernement a immédiatement répondu favorablement, nommant Chertier à cette
fonction. Chertier, ancien conseiller de Raffarin, ancien directeur de
l’UNEDIC, actuel membre de la direction de Safran : un homme dont le
pedigree ne pouvait laisser aucun doute sur ses intentions. Et Chertier de
ressortir, à quelques virgules près, le plan contre lequel les travailleurs
étaient en grève devenu donc le plan Gallet-Pellerin-Chertier.
Ce
plan, les travailleurs, AG après AG, continuent à le rejeter vigoureusement.
Mais le 15 avril, c’est ouvertement que les directions syndicales se décident à
affronter les grévistes, à appeler à la reprise. Le choc est violent. Les
bureaucrates syndicaux se font huer. Télérama
nous décrit le choc :
“Qu’ils (les responsables
syndicaux, ndlr) appellent à « capitaliser « sur les avancées
obtenues du médiateur, qu’ils proposent de continuer le combat autrement,
qu’ils se félicitent d’avoir « fait venir » la ministre de la
Culture et de la Communication Fleur Pellerin dans les murs la veille au
soir... rien n’y faisait, la salle grondait. Ivre de sa colère, furieuse de se
voir emmenée sur le terrain de la capitulation. « Rentre chez toi »,
entendait-on dans les travées ; « Ah, ça retourne sa veste, maintenant « ;
« C’est parce que tu pourrais pas partir en vacances si la grève continue,
c’est pour ça que tu veux arrêter ? ». La foule semblait unanime,
certaine de l’emporter encore. Comme la veille.
Mais
sur les visages, dans les voix, la résignation était là. Cette fois, (...) il
fallait mettre le holà. Mettre un terme à cette grève sans limite,
« préventive «, aux préavis aussi clairs que flous, pour reprendre des
forces afin de mener le « vrai » combat : celui de la
négociation du contrat d’objectifs et de moyens — lourd d’un plan de
« départs volontaires ». Malgré la retraite de quatre organisations
syndicales sur cinq, et la suppression des préavis en vigueur depuis le 19
mars, l’assemblée générale a voulu voter. Elle a décidé de poursuivre la grève.
« Ça va être un effritement, un appauvrissement », a tenté
Jean-Matthieu Zahnd (CGT), pas vraiment déterminé à continuer le combat hors de
l’intersyndicale. Après réflexion et dans une ambiance de halle aux poissons,
il a été décidé de poursuivre la grève un vingt-huitième jour.”
Dans ce
compte-rendu, tout est instructif : la façon dont les appareils syndicaux
substituent aux vraies revendications, leur exact contraire, c’est-à-dire la
discussion sur le “contrat d’objectifs”, c’est-à-dire sur la façon de faire
passer les licenciements, le rôle particulier des dirigeants CGT qui appellent
à la grève... de 24 heures de plus, jouant le rôle de voiture balai de la
grève, et l’ultime vote de la grève par l’AG qui, par là, indique où sont les
responsabilités : pas chez les travailleurs, mais à la tête des syndicats.
Qu’a-t-il
manqué aux travailleurs pour vaincre? Le contrôle par eux-mêmes de leur propre
grève, la prise en main de leur propre mouvement à travers un Comité de grève
intégrant les représentants syndicaux pour les ficeler, leur interdire de faire
ce qu’ils ont fait, à savoir trahir.
Car
certes il y a eu des assemblées massives. Mais elles n’étaient en réalité que
consultatives. C’est d’ailleurs ce que leur a indiqué sans se gêner le
dirigeant de SUD : “Nous avons organisé un vote auprès de nos adhérents
qui se sont prononcés pour la reprise”. C’est ce que leur ont indiqué tous
les dirigeants syndicaux – sauf la CGT dont on a vu ci-dessus le rôle
particulier : “Votez ce que vous voulez; nous, nous, appellerons à la
reprise.”. Lesquels dirigeants syndicaux étaient ensuite tellement haïs
qu’ils ne purent même pas se présenter à l’AG suivante.
Au bout
du compte, la défaite est là, amère. Mais il ne fait aucun doute qu’à travers
cette douloureuse épreuve une avant-garde de travailleurs a appris. La classe
ouvrière dans son ensemble ne pourra faire l’économie de ces rudes leçons. Mais
le plus important est que dans le cas présent, elle a appris à travers un
combat effectivement engagé qu’elle a poussé le plus loin possible malgré les
trahisons. C’est à travers ces expériences que se forgera une nouvelle
génération de militants.
Combattre pour la
construction du Parti ouvrier révolutionnaire
On le
voit bien, à travers l’expérience de Radio France : s’il avait existé dans
l’entreprise un noyau de militants révolutionnaires, les conditions du combat
en auraient été radicalement modifiées. Rappelons ce que disait Marx dans Le Manifeste du Parti Communiste :
“Les communistes (...) n’ont point d’intérêts qui
les séparent de l’ensemble du prolétariat. Ils n’établissent pas de principes
particuliers sur lesquels ils voudraient modeler le mouvement ouvrier. Les
communistes ne se distinguent des autres partis ouvriers que sur deux
points : 1. Dans les différentes luttes nationales des prolétaires, ils
mettent en avant et font valoir les intérêts indépendants de la nationalité et
communs à tout le prolétariat. 2. Dans les différentes phases que traverse la
lutte entre prolétaires et bourgeois, ils représentent toujours les intérêts du
mouvement dans sa totalité.
Pratiquement,
les communistes sont donc la fraction la plus résolue des partis ouvriers de
tous les pays, la fraction qui stimule toutes les autres ; théoriquement, ils
ont sur le reste du prolétariat l’avantage d’une intelligence claire des conditions,
de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien. “
Oui, à
Radio France, a manqué un parti de militants qui “n’ont point d’intérêts qui les séparent de l’ensemble du
prolétariat....(mais) “l’avantage
d’une intelligence claire des conditions, de la marche et des fins générales du
mouvement prolétarien.” Il a manqué à Radio France, comme il manque à
l’échelle du pays. Ce qui manque au prolétariat, c’est un Parti ouvrier
révolutionnaire.
C’est
pour la construction d’un tel Parti que combattent les militants de notre
Groupe autour du bulletin Combattre Pour
le Socialisme.
C’est
dans cette perspective qu’ils mettent en avant le combat pour la rupture du
dialogue social, le boycott de la conférence sociale de juin en particulier.
C’est
ce qui les pousse à combattre dans l’enseignement pour le front uni des
organisations syndicales pour le retrait de la contre-réforme des collèges,
pour le contrôle de ce front uni par les enseignants eux-mêmes.
C’est
ce qui les conduits à considérer que dans un avenir plus ou moins proche, le
choc qui s’est produit à Radio France se reproduira à une échelle beaucoup plus
large, créant les conditions propices à infliger une défaite politique au
gouvernement Hollande-Valls-Macron-Pinel. Sur la base d’une telle défaite, se
trouvera posée la question de balayer le gouvernement lui-même, de lui
substituer le gouvernement du Front Unique, s’appuyant pour cela, tant qu’elle
existe, sur l’existence d’une majorité PS-PCF à l’Assemblée nationale, majorité
qui constitue la matérialisation de la défaite infligée aux partis bourgeois en
2012.
Un tel
gouvernement ne serait d’ailleurs lui-même, comme le dit le Programme de transition, qu’un court
intermède vers la constitution d’un véritable gouvernement ouvrier, s’engageant
sur la voie de l’expropriation du capital, sur la voie du socialisme.
Tel est
notre but. Nous invitons nos lecteurs à s’associer à ce combat.
Le 29 avril 2015
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