Supplément
à « Combattre pour le socialisme » n°66 (n°148 ancienne série) - 22 octobre
2017 :
Le 1er octobre
les masses catalanes se sont prononcées :
indépendance et république tout de suite
Le 6
septembre 2017, le Parlement catalan a voté une loi permettant de convoquer un
référendum pour déterminer si la Catalogne doit devenir un état indépendant
sous forme de République, et il a adopté une loi, dite « de transition
servant à fonder la République », censée entrer en vigueur en cas de
victoire du « oui », le temps de faire élire une véritable
constituante pour fonder la République catalane... Était soumis au vote le
bulletin : « souhaitez-vous que
la Catalogne soit indépendante sous forme d’une république ? »
Bravant
l’arsenal répressif de l’État espagnol, héritier de l’État franquiste,
l’occupation de la Catalogne par plus de 10 000 gardes civils et policiers
d’élite, les Mossos d’Esquadra,
les masses populaires ont imposé la tenue du référendum que le gouvernement
Rajoy a tenté d’interdire par tous les moyens : fouille des imprimeries,
interdiction de tout soutien public au référendum, prise de contrôle des
comptes bancaires du gouvernement catalan, réquisition de tout le matériel
destiné au référendum, convocation de tous les maires ayant signé le manifeste
de soutien au référendum (75% des maires catalans), arrestations et inculpations
des hauts fonctionnaires du ministère de l’Économie catalan et de personnalités
de collectifs citoyens promoteurs du référendum.
L’État
franquiste a tenté d’empêcher la tenue du référendum par la force. Il a échoué.
De larges masses populaires, prolétariennes, ouvrières et jeunes se sont
engagées pour imposer la tenue du référendum. Dans les jours qui ont précédé le
1er octobre, elles se sont auto-organisées (constitution de
centaines de comités de défense du référendum, occupations préventives de bureaux
de vote, rassemblements pour interdire l’accès à la garde civile, etc.). La
jeunesse et en particulier les étudiants se sont massivement déployés. Leurs
mots d’ordre : « nous voterons », mais aussi « République
en Catalogne ».
Sont
allés voter plus de trois millions de Catalans sur un total possible de
5 343 358 votants ; 700 000 se sont trouvés face à des
bureaux de vote fermés (319 sur 2 315), des urnes ou des bulletins de vote
dérobés. Mais sont parvenus à voter 2 262 424 (42,5 % des
inscrits) : 2 020 144 (90 %) pour le « oui »,
176 565 (7,87 %) pour le « non », 46 586 ont voté
votes blancs et 20 129 votes nuls. Mais en prenant en compte les
700 000 qui n’ont pas pu voter, on peut estimer que le « oui »
aurait rassemblé près de 50 % des inscrits, ce qui est considérable
(depuis des années, les élections régionales en Catalogne ont mobilisé au plus
70 % des inscrits excepté une seule fois en 2015, 74,9 % ; les
élections précédentes la participation tournait autour de 60 %). Les masses
catalanes se prononcées : indépendance et république maintenant.
Le 2
octobre, la grève générale appelée par des syndicats minoritaires IAC
(Intersyndical alternativa de Catalunya),
COS (Coordinadora obrera syndical), CGT, ainsi que par
les mouvements indépendantistes, dont essentiellement l’Assemblée nationale
catalane (ANC) et le réseau Omnium, pour protester contre la répression, a été
massivement suivie, alors que nationalement les confédérations UGT (Union
générale des travailleurs) et CCOO (Commissions ouvrières) s’étaient
désolidarisés de cet appel. Néanmoins, en Catalogne, de nombreux syndicats
affiliés à ces confédérations se sont ralliés à la grève. Dans toute la
Catalogne, 700 000 travailleurs et jeunes ont manifesté.
Retour aux origines de la
crise
Après
la mort de Franco (1975), afin d’assurer la « transition
démocratique », c’est-à-dire le maintien des institutions de l’État
franquiste, le PSOE (Parti socialiste ouvrier espagnol), le PCE (Parti
communiste espagnol) et l’UGT ont avalisé le pacte de la Moncloa en 1977, signé
le 25 octobre. Ce pacte a abouti à l’adoption par référendum de la constitution
de 1978 (avec seulement 56 % de participation du corps électoral et une
abstention massive en Euzkadi - Pays basque - et en Catalogne). La constitution
de 1978 rétablit la monarchie, maintien le socle de l’État franquiste (son
armée, en l’occurrence la garde civile, sa police, ses tribunaux), assure à
l’église catholique ses prérogatives dans de nombreux domaines, dont
l’enseignement. La constitution de 1978 ne donne qu’une autonomie très limitée
aux nationalités catalanes et basques, opprimées brutalement par le franquisme
sur tous les plans : « La
constitution se fonde sur l’indissoluble unité de la nation espagnole, patrie
commune et indivisible de tous les Espagnols » (article 2). Elle
confie à l’armée « la mission de
garantir la souveraineté et l’indépendance de l’Espagne, de défendre son
intégrité territoriale et son “agencement” constitutionnel » (article
8). La constitution de 1978, c’est fondamentalement la continuité de la
prison et de l’oppression des peuples d’Espagne au nom de l’unité de l’Espagne
et du rétablissement de la monarchie.
Depuis
1978, la bourgeoisie catalane et des couches de la petite bourgeoisie n’ont
cessé de tenter d’obtenir un statut d’autonomie plus large, en particulier en
matière économique en référence notamment à celui obtenu partiellement par les
cercles dirigeants de la bourgeoisie basque. Ces composantes s’estiment en
effet spoliées par l’État espagnol, en particulier en matière fiscale. En
effet, la Catalogne est la région la plus riche d’Espagne : « Certains économistes estiment que la
Catalogne, qui représente 15% de la population et 20% de l'activité économique
de l'Espagne, paye chaque année 12 milliards d'euros d'impôts de plus que ce
qu'elle reçoit de l'État central en services publics, bien que le chiffre - que
de nombreux Catalans évaluent quant à eux à 16 milliards d'euros - soit
difficile à calculer. » C’est l’état espagnol qui prélève l’impôt sur
les sociétés et qui redistribue à son gré. Ainsi, la principale revendication
de la communauté autonome de Catalogne (c’est-à-dire de la bourgeoisie catalane
et de la petite bourgeoisie) est de disposer de l’autorité fiscale pour son
gouvernement. Pour la bourgeoisie catalane, la revendication indépendantiste se
résume à refuser de payer pour les « feignants » d’Andalousie ou
d’Estrémadure (des régions les plus pauvres d’Espagne).
En
2005, une nouvelle tentative de négociation a été engagée avec le gouvernement
Zapatero (PSOE). En septembre 2005, un nouveau « statut d’autonomie »
a été adopté avec 90 % des voix des députés de la Generalitat, y compris ceux représentant les hautes sphères du
capital financier. Avec l’appui du PSOE, le nouveau statut a été raboté par les
Cortés, mais il fut tout de même adopté par référendum en Catalogne en 2006. Le
statut ainsi « dénaturalisé » a été approuvé en Catalogne par un
référendum (74 % pour, 21 % contre, mais seulement une participation
de 49 %).
En 2010
les juges de la Cour constitutionnelle (héritée du franquisme) donnent raison à
la plupart des demandes du PP (Parti populaire) pour annuler le nouveau statut.
Moins de deux semaines plus tard, le 10 juillet, entre un million et un million
et demi de personnes manifestent à Barcelone derrière le slogan « Nous sommes une nation. Nous
décidons », la première d’une longue série de manifestations massives.
Le PP
arrivé au pouvoir en 2011 (gouvernement Rajoy) refuse toute négociation sur
l’évolution du statut d’autonomie de la Catalogne.
A
partir de 2012, les partis indépendantistes ont déclaré avoir pour objectif
d’organiser un référendum sur l’indépendance – requête qui leur a par ailleurs
été constamment refusée par le gouvernement espagnol, et qui nie en fait, pour
sa part, la légitimité même du débat sur l’indépendance.
En
2012, le gouvernement catalan avait promis d’organiser un référendum sur la
question de l’indépendance, qu’il a décidé de planifier pour le 9 novembre 2014.
Lorsque la Cour constitutionnelle décida de l’interdire, le gouvernement
catalan suspendit son organisation, mais décida d’opter pour une solution
intermédiaire : il s’agirait d’organiser une consultation populaire
« semi-officielle », qu’ils appelèrent non pas
« référendum », mais « processus participatif ». Cela
permettait de ne pas se rendre, en apparence, au diktat du gouvernement
central, tout en évitant dans l’immédiat la confrontation institutionnelle
directe et en se situant totalement dans le respect de la constitution de 1978.
A
partir de 2012, d’imposantes manifestations pour l’indépendance ont eu lieu, en
particulier à l’occasion de la Diada. En 2012, la Diada, marche commémorant la
chute de Barcelone le 11 septembre 1714 face aux armées de la France et de
l’Espagne, décolle véritablement, passant de quelque 10 000 personnes en 2011 à
près d'un million en 2012, selon les organisateurs. Et il en sera de même en
2013, 2014, 2015 et 2016.
C’est
un fait : les masses catalanes prolétariennes, ouvrières, jeunes se sont
rassemblées autour du combat pour l’indépendance. A défaut d’autre possibilité,
elles sont s’en saisies comme d’une perspective politique. A partir de 2008,
elles ont été confrontées à la politique anti-ouvrière des gouvernements Zapatero
puis Rajoy, politique appliquée sans retenue par les gouvernements de la Generalitat (gouvernements de coalition
PSC-ERC (Esquerra Republicana de Catalunya ou Gauche
républicaine de Catalogne) de 2003 à 2006, PSC-CIU (Convergència i Unió ou Convergence
et Union) de 2006 à 2010, PSC-CIU jusqu’en 2016 ; le PSC (Parti socialiste
de Catalogne), branche catalane du PSOE, ayant été toujours en première ligne
pour appliquer les plans anti-ouvriers). Les masses catalanes ont été
violemment touchées par la crise : « L'éclatement
de la bulle immobilière eut des conséquences particulièrement vives pour les
7,5 millions de Catalans. Leur région est celle qui a connu le plus grand
nombre d’expulsions immobilières dans le pays, tandis que les budgets publics
consacrés à la santé, au logement ou encore à l’éducation y ont été réduits de
15 % de 2010 à 2015. Il n’y a pas d’autre communauté autonome en Espagne
où les coupes budgétaires ont été aussi brutales » selon le New York Times. Face au gouvernement Rajoy et à
sa politique anti-ouvrière, politique en grande partie mise en œuvre par les
gouvernements de la Generalitat, les
masses catalanes ont tenté de se mobiliser.
Les élections régionales de
2015
En 2015
le gouvernement catalan convoque des élections anticipées en annonçant que les
résultats seront considérés comme plébiscitaires pour l’indépendance de la
Catalogne. Le résultat des élections régionales de 2015 en nombre de députés a
été le suivant : « Ensemble pour le oui » 62, CUP (Candidature
d’unité populaire) 10, Ciudadanos 25, Parti socialiste de Catalogne 16,
« Catalogne oui c’est possible » (liée à Podem, la branche catalane
de Podemos) 11, Parti Populaire 11.
Les
partis qui constituent la coalition « Ensemble pour le oui » sont des
partis bourgeois, voire nationalistes petit bourgeois. Cette coalition comprend
le Parti démocrate européen catalan (PDECAT, dont Puigdemont est le président),
parti libéral et indépendantiste créé à Barcelone le 10 juillet 2016 et qui a
pris la succession de l'ancien parti Convergence démocratique de Catalogne usé
par les scandales financiers liés à la corruption. Cette coalition comprend
l’ERC, un vieux parti nationaliste bourgeois (fondé en 1931, dont Companys, l’un des dirigeants, fut livré par la gestapo à
Franco et fusillé en 1940. Un député du PP demande que Puigdemont subisse le
même sort). La CUP, elle, est une organisation petite bourgeoise se réclamant
de l’anticapitalisme.
Les
partis indépendantistes sont majoritaires avec l’appoint des députés de la CUP
(72 députés sur 135), bien que minoritaires en voix (47,5 %). Un mois
avant le 1er octobre, le Parlement de Catalogne approuve la loi du
référendum, dans lequel il est précisé que celui-ci donnera lieu, en cas de victoire
du « oui », à la mise en place effective d’une indépendance, ainsi
que la Ley de Transitoriedad, qui précise les
conditions de cette indépendance et les changements juridiques qu’elle
entraînera. Ces lois sont immédiatement suspendues par le Tribunal
constitutionnel espagnol (héritier du tribunal d’Ordre public franquiste) qui a
l’autorité d’annuler toute décision avec l’argument de l’exception.
Ciudadanos
et le Parti populaire se sont opposés. Ces partis représentent les intérêts de
la grande bourgeoisie, voire du capital financier avec ses composantes
catalanes. Les hautes sphères de la bourgeoisie catalane sont contre
l’indépendance. Elles la combattent. Autant elles cherchent à négocier plus
d’autonomie, donc plus de libertés au plan économique, autant elles savent par
instinct que seul l’État espagnol, héritier de l’État franquiste, est capable
de maintenir le prolétariat catalan sous le joug de l’exploitation et de
l’oppression. Elles savent que l’indépendance de la Catalogne remettrait en cause
tout l’édifice constitué autour de la monarchie, celui issu de la constitution
de 1978. Il faut noter que Ciudadanos exige l’application immédiate de
l’article 155 de la constitution qui suspendrait l’autonomie de la région.
C’est le capital financier qui s’exprime.
La réaction et le cœur de
l’État hérité du Franquisme se mobilisent
Suite
au référendum du 1er octobre, la réaction en Espagne s’est
déchaînée. Le 3 octobre, le roi Philippe VI est monté en première ligne,
indiquant par là que ce que les masses catalanes mettaient en cause c’était
l’existence même de la monarchie. Le discours du roi a reçu le plein soutien de
Pedro Sanchez, secrétaire général du PSOE, qui l’a approuvé et soutenu la
« défense de la Constitution, les
statuts régionaux, l’État de droit et l’intégrité du territoire de
l’Espagne ». Le gouvernement Rajoy a suspendu la Generalitat, dont une session devait se tenir le 2 octobre. Le
déploiement de la garde civile et de l’armée s’est amplifié. De fait, l’état
d’urgence est en application. Des poursuites judiciaires ont été engagées
contre les dirigeants de l’ANC et d’Omnium pour tentative de
« sédition », accusés avoir encouragé des manifestations populaires
contre la garde civile. Elles ont abouti à l’incarcération préventive de Jordi
Sanchez (ANC) et Jordi Cuixart (Omnium), le 17
octobre, par l’Audience nationale (autre institution héritée du franquisme), le
haut tribunal espagnol chargé notamment des affaires de terrorisme et de crime
organisé. Les finances du gouvernement catalan ont été mises sous tutelle par
Madrid depuis septembre, le gouvernement risquant de se retrouver à
« sec » fin octobre. Chaque mois, le gouvernement espagnol verse à la
Généralité de Catalogne 1,4 milliard d’euros, au titre du système de
financement des régions autonomes. C’est ce versement qui a été suspendu,
mercredi 20 septembre. M. Montoro a communiqué
officiellement au gouvernement de Catalogne que c’est désormais Madrid qui se
chargera de payer directement les services essentiels, les fonctionnaires
catalans et les fournisseurs de la Généralité. L’église catholique, celle qui a
béni Franco, est aussi montée en première ligne, appelant les
« croyants » de Catalogne à la raison. Le dimanche 8 octobre, les
cercles dirigeants du patronat, l’église, le PP et Ciudadanos ont organisé une
manifestation à Barcelone en cherchant à mobiliser le ban et l’arrière ban de
la réaction, y compris les groupes réactionnaires nostalgiques de Franco.
Malgré la logistique déployée en termes de train spéciaux et d’autobus, la
manifestation de la « majorité silencieuse » n’a rassemblé au plus
que 250 000 personnes.
De son
côté, le patronat s’est mobilisé faisant planer le risque d’une faillite
économique. Plus de 800 entreprises avaient déplacé leur siège social ou leur
compte en banque hors de la Catalogne au 19 octobre. Leur nombre s’élève au 22
octobre à plus de 1200. La perspective d’une sécession a fait partir des
centaines de sociétés, à commencer par les deux grandes banques catalanes,
Caixa Bank et Banco de Sabadell, qui ont déplacé leur siège social hors de la
région.
Suite à
la déclaration adoptée par le Generalitat
le mardi 10 octobre, Rajoy a lancé un ultimatum à Puigdemont le 11
octobre : sans renoncement formel à toute velléité de proclamer
l’indépendance, l’article 155 de la constitution s’appliquera, c’est-à-dire la
suspension de l’autonomie de la Catalogne et l’instauration de l’état
d’urgence. La date limite a été fixée pour le jeudi 19 octobre.
En Europe, les gouvernements et la Commission européenne se sont
mobilisés. En soutien à Rajoy et à la monarchie,
hors de question de reconnaître le droit à l’indépendance de la Catalogne. En
France, il faut noter la position de la France insoumise exprimée par
Mélenchon. Le 3 octobre, à l'Assemblée nationale,
Mélenchon regrette que « la monarchie semble incapable d'assumer la
fonction fédératrice que le franquisme lui avait confiée » ! Le
10 octobre, à l'Assemblée nationale, Mélenchon regrette que « les nations deviennent des coquilles
vides où ceux qui sont les plus avantagés ne veulent plus prendre en charge
ceux qui le sont moins, et ça vous donne un indépendantisme généralisé,
régional, des plus favorisés face à ceux qui le sont moins. (...) nous avons la
Catalogne sous nos yeux.». Mélenchon
défile en permanence avec en écharpe le drapeau bleu-blanc-rouge des
Versaillais. Il se drape maintenant de celui de la monarchie, un comble pour
celui qui se prétend partisan de la convocation d’une constituante en
France ! En Europe, aux côtés du PSOE, Corbyn pour le Labour Party et de
Schulz pour le SPD exhortent leurs gouvernements à trouver une solution
négociée à la crise, refusant par là de se prononcer pour le droit à
l’autodétermination du peuple catalan.
Les reculades de Puigdemont
Le 10
octobre, la Generalitat s’est réunie.
Elle a adopté une résolution dont voici des extraits :
« Depuis
l'adoption de la Constitution espagnole de 1978, la politique catalane a joué
un rôle clé avec une attitude exemplaire, loyale et démocratique à l'égard de
l'Espagne et un sens profond de l'État. L'Espagne a répondu à cette allégeance
en refusant la reconnaissance de la Catalogne en tant que nation ; et a
accordé une autonomie limitée, plus administrative que politique, et a provoqué
un processus de recentralisation ; un traitement économique profondément
injuste et une discrimination linguistique et culturelle. Le statut
d'autonomie, approuvé par le Parlement et le Congrès et approuvé par la citoyenneté
catalane, devrait constituer le nouveau cadre stable et durable des relations
bilatérales entre la Catalogne et l'Espagne…Nous constituons la République
catalane. La République catalane est une opportunité pour corriger les déficits
démocratiques et sociaux actuels et construire une société plus prospère, plus
juste, plus sûre, plus durable et plus solidaire. En vertu de tout ce qui vient
d'être exposé, nous, représentants démocratiques du peuple de Catalogne, dans
le libre exercice du droit à l'autodétermination et conformément au mandat reçu
des citoyens de Catalogne. NOUS CONSTITUONS la République Catalane, en tant
qu'État indépendant et souverain, de droit, démocratique et social. NOUS
METTONS EN VIGUEUR la loi de transition juridique et fondamentale de la
République. NOUS AFFIRMONS la volonté d'ouvrir des négociations avec l'Espagne,
sans conditions préalables, visant à établir un système de collaboration au
bénéfice des deux parties. Les
négociations doivent nécessairement être sur un pied d'égalité. NOUS PORTONS A
LA CONNAISSANCE de la communauté internationale et des autorités de l'Union
européenne la constitution de la République catalane et la proposition de
négociations avec l'Espagne. NOUS
MANIFESTONS le désir de construire un projet européen qui renforce les droits
sociaux et démocratiques des citoyens ainsi que l'engagement à continuer à
appliquer les normes de l'ordre juridique de l'Union européenne et celles de
l'Espagne et de la Catalogne autonome qui transposent cette norme. NOUS
AFFIRMONS que la Catalogne a le désir sans équivoque de s'intégrer le plus
rapidement possible à la communauté internationale. Le nouvel État s'engage à
respecter les obligations internationales actuellement appliquées sur son
territoire et à continuer à faire partie des traités internationaux dont le
Royaume d'Espagne est partie prenante. »
En
clair, l’indépendance telle que proclamée théoriquement, car on va voir qu’elle
est sans suite, par cette déclaration, votée par les
« anticapitalistes » de la CUP, c’est la perspective d’une république
bourgeoise sans remettre en cause la monarchie. Tout est dit dans :
« NOUS MANIFESTONS le désir de
construire un projet européen qui renforce les droits sociaux et démocratiques
des citoyens ainsi que l'engagement à continuer à appliquer les normes de
l'ordre juridique de l'Union européenne et celles de l'Espagne et de la
Catalogne autonome qui transposent cette norme » ; ou encore
dans : « Le nouvel État
s'engage à respecter les obligations internationales actuellement appliquées sur
son territoire et à continuer à faire partie des traités internationaux dont le
Royaume d'Espagne est partie prenante ».
Mais
douche froide et expectative pour les masses catalanes : lors de son discours,
Puigdemont a annoncé que la Catalogne allait devenir une république
indépendante, conformément au résultat du vote du 1er octobre. Mais quelques secondes après, Puigdemont a
reporté cette déclaration d'indépendance pour laisser la possibilité d'un
dialogue avec Madrid dans les prochaines
semaines.
Le 11
octobre, Rajoy a lancé son ultimatum avec comme échéance le 19 octobre à 10
heures. Selon Le Monde du 19 octobre,
« la réponse de Puigdemont est
arrivée à 9 h 50. Dans une courte lettre, M. Puigdemont estime que c’est
« le peuple de Catalogne qui, le 1er octobre, a décidé
l’indépendance », en référence au référendum contesté organisé par la
Généralité, le gouvernement catalan. Il
laisse entendre qu’il n’a pas déclaré l’indépendance lors de la séance du
Parlement régional du 10 octobre, en disant simplement qu’il a
« laissé en suspens les effets de ce mandat populaire ». Il
conclut :
”Si le gouvernement de l’État persiste à
empêcher le dialogue et à continuer la répression, le Parlement de Catalogne pourra procéder, s’il l’estime opportun, au
vote de la déclaration formelle d’indépendance, ce qu’il n’a pas fait le 10
octobre” ».
Quelques
minutes après, le Premier ministre espagnol Mariano Rajoy a convoqué un conseil
des ministres extraordinaire samedi 21 octobre pour engager le processus
d'adoption de l'article 155 de la Constitution. Le représentant du gouvernement
espagnol en catalogne a déclaré, selon Le
Monde du 19 octobre : « M. Puigdemont
ne veut pas mettre par écrit qu’il n’y a pas eu de déclaration unilatérale
d’indépendance et pourtant, cela suffirait pour remettre les choses à plat,
assure Enric Millo. Il ne
serait plus nécessaire de recourir à l’article 155. Ce serait une opportunité
pour trouver une solution négociée, participer à la commission parlementaire de
modernisation du système d’autonomie, qui a été agréé avec le Parti socialiste,
aborder la question du financement régional. Parfois un retrait à temps est une
grande victoire, car le contraire peut être un suicide politique ».
Dans
les développements depuis 2010 en particulier, au point de départ, c’est le
mouvement de forces bourgeoises et petites bourgeoises représentées par le bloc
indépendantiste issu des élections de 2015. C’est leur initiative. Forces qui
ont échappé au contrôle direct du capital financier. Mais face à
l’intransigeance de l’État central, ces forces ont été poussées dans leurs
derniers retranchements. D’une certaine manière, la décision du Parlement
catalan d’organiser un référendum, dont le résultat serait décisionnel pour la
proclamation de l’indépendance, les a amenées à aller plus loin qu’elles ne le
voulaient fondamentalement. Elles espéraient pouvoir utiliser à leur compte les
aspirations du peuple catalan en l’utilisant comme marge de manœuvre. Elles ont
joué avec le feu, lançant un mouvement dont elles ne sont pas assurées d’avoir
la maîtrise.
Les
dirigeants de PDCEAT et de l’ERC sont pris dans un étau. D’un côté la
répression organisée par l’État espagnol, de l’autre la volonté des masses
catalanes de voir appliquer le résultat du référendum du 1er
octobre : indépendance et république maintenant. C’est pourquoi Puigdemont
tergiverse. Dans ce contexte, la pression de l’État hérité du franquisme et du
capital financier menace de fissurer du bloc indépendantiste au sein du
Parlement catalan. Au sein du PDECAT, des voix s’élèvent pour organiser de
nouvelles élections en Catalogne, compromis que le gouvernement Rajoy serait
prêt à accepter… à condition que publiquement Puigdemont affirme formellement,
et par écrit, qu’il renonce à proclamer la république.
Les
dirigeants du bloc indépendantiste sont saisis d’effroi : proclamer
l’indépendance et la république, c’est déclarer une véritable guerre à l’État
espagnol, c’est ouvrir une situation qui pourrait embraser toute l’Espagne.
Capituler, c’est devoir affronter les masses catalanes. Qui elles n’ont pas
renoncé. Suite à l’arrestation des deux dirigeants de l’ANC et d’Omnium,
presque spontanément, plus de 200 000
travailleurs et jeunes ont manifesté à Barcelone le 17 octobre, des dizaines de
milliers dans toute la Catalogne. Même Rajoy redoute la réaction des masses
s’il poursuit l’application de l’article 155. Il redoute celle des masses catalanes
mais aussi celle de l’ensemble des masses dans toute l’Espagne.
Le 21 octobre, le
gouvernement Rajoy a décidé
d’engager l’application de l’article 155 de la constitution
Le 21
octobre, Rajoy a présenté lors d’un conseil des ministres extraordinaire les
mesures convenues avec le Parti socialiste ouvrier espagnol et Ciudadanos
visant à « rétablir l’ordre constitutionnel » en Catalogne. Le
processus engagé sera formellement validé par le sénat, à majorité du Parti
populaire et Ciudadanos, le 27 octobre prochain. Le chef du gouvernement
espagnol a reçu vendredi soir le soutien clair du roi d’Espagne, Felipe VI,
pour qui « la Catalogne est et restera une composante essentielle »
de l’Espagne. Il bénéficie également de l’appui des dirigeants du PSOE et des
centristes de Ciudadanos, qu’il a remerciés lors de sa conférence de presse
après le conseil des ministres du 21 octobre. Suite à ce conseil des ministres,
Rajoy a déclaré cyniquement :
« Ni l’autonomie catalane ni la gouvernance autonome ne sont
suspendues »,
Qu’en
est-il ? Le site du journal Le Monde
du 21 octobre informe :
« Comme sous la dictature de Primo de
Rivera, lorsque le régime militaire dissout la Mancomunidad,
l’ancêtre de l’autogouvernement de Catalogne, comme en 1934, lorsque la droite
espagnole abroge la Généralité avant de lancer la garde civile contre les
mineurs des Asturies, Rajoy, les socialistes et la monarchie ont mis leurs
menaces à exécution. Ils viennent de signer l’arrêt de mort du Govern, l’exécutif
catalan.
C’est l’ensemble de l’exécutif catalan qui a
été dissout. Accusé d’avoir proclamé l’indépendance avant de la suspendre pour
offrir à Madrid la possibilité de rouvrir les canaux du dialogue, le chef du
Govern, Carles Puigdemont, a été destitué, tout comme son numéro deux, Oriol Junqueras. C’est également
le sort qu’a subi l’ensemble des consellers, les ministres et conseillers issus
du PDECat et de l’ERC. C’est désormais le
gouvernement central du Parti Populaire, un parti qui n’a obtenu que 8,5% des
voix en Catalogne lors des dernières élections autonomiques, qui est le maître
à bord.
Tout a donc été placé sous tutelle de Madrid
et de la droite espagnole, y compris le secteur de l’éducation et la télévision
catalane. Dire que cela fait penser au franquisme n’est pas forcer le trait. Le
parti de centre-droit Ciudadanos tout comme les socialistes appuient le
gouvernement espagnol dans ce coup de force, au nom de la « défense de la
Constitution », ce texte rédigé en 1978 pour assurer la transition post-franquiste et dont est tiré le fameux article 155 qui
permet de placer la Catalogne sous tutelle.
Le Parlament, l’assemblée législative
catalane, a été vidé de son contenu. Les députés catalans pourront continuer à
siéger, si Rajoy les y autorise. En revanche, ils devront quitter l’hémicycle
dès que le gouvernement central procédera à la dissolution de la Chambre pour
procéder à de nouvelles élections autonomiques, dans un délai de six mois. La
nouvelle chambre sera, cependant, sans pouvoir puisqu’elle n’aura même pas la
possibilité de réélire en son sein un président. »
Le 21
octobre au soir, Puigdemont a réagi dans la soirée, dénonçant « la pire
attaque » contre sa région depuis Franco, estimant que Madrid se plaçait
« hors de l’État de droit ». « Prudent,
Puigdemont n’a cependant pas prononcé une seule fois le mot
« indépendance » dans son allocution » selon Le Monde du 21
octobre. La seule perspective ouverte par Puigdemont est celle d’une réunion du
parlement catalan.
Le 21
octobre dans l’après-midi, une manifestation à l’initiative principalement de
l’ANC et d’Omnium pour exiger la libération des militants emprisonnés s’est
transformée en un gigantesque rassemblement de 450 000 personnes dans les
rues de Barcelone.
Quelles responsabilités
immédiates pour les dirigeants des confédérations ouvrières en Espagne ?
Par la
mobilisation de la garde civile, de l’armée, de la police nationale, le
gouvernement espagnol a procédé à une véritable occupation militaire de la
Catalogne. Les tribunaux d’exception hérités du franquisme ont été mis en
action. Le 17 octobre, les deux dirigeants de l’ANC et d’Omnium ont été jetés
en prison. Les perquisitions chez les organisations soupçonnées
d’indépendantisme se poursuivent. L’État espagnol veut faire taire les masses
catalanes.
La
première responsabilité des dirigeants des confédérations ouvrières d’Espagne,
l’UGT et les CCOO est d’appeler le prolétariat et la jeunesse d’Espagne
pour :
·
À
bas la répression contre le peuple catalan !
·
Libération
immédiate de Jordi Sanchez et de Jordi Cuixart !
·
Retrait de la garde civile et de la police nationale !
·
À bas l’application de l’article 155 de la constitution !
·
Pour
le droit à l’autodétermination du peuple catalan !
·
Rompez avec le gouvernement Rajoy et la monarchie !
·
Dehors le gouvernement Rajoy !
La responsabilité des dirigeants du PSOE est entière. De fait, le
PSOE soutient le gouvernement minoritaire Parti populaire-Ciudadanos aux
Cortès : ce gouvernement ne tient que par l’abstention du PSOE. Depuis le
début de la crise en Catalogne, le PSOE a apporté un soutien sans faille à
Rajoy. Le secrétaire général du PSOE, Pedro Sanchez, estime que son parti a
choisi de « défendre la
Constitution » en soutenant l’utilisation de l’article 155. Il a
comparé le mouvement indépendantiste catalan aux « mouvements réactionnaires d'Europe » et estime que le
sécessionnisme se nourrit de la non-solidarité.
La responsabilité des dirigeants du PSOE, c’est de rompre tout
soutien au gouvernement Rajoy. Le premier acte de rupture qu’il faut
imposer au PSOE, c’est de voter au sénat contre la mise en application de
l’article 155. Leur responsabilité, c’est de réaliser le front unique avec les
dirigeants de l’UGT et des CCOO pour affronter le gouvernement Rajoy , la
monarchie, l’État hérité du franquisme.
Mais au-delà, quelle
perspective pour les masses catalanes ? Comment combattre ?
Dans le
combat que les masses catalanes ont engagé en se saisissant du référendum du 1er
octobre, un vote pour « Souhaitez-vous que la Catalogne soit indépendante
sous forme d’une république ? » : c’était le texte sur lequel il
fallait se prononcer ; le mot « république » a une résonance
dans toute l’Espagne, au cœur du prolétariat espagnol compte tenu de son
histoire. Il contient en germe qu’il faut en finir avec la monarchie.
D’ailleurs, en soutien aux masses catalanes, d’imposantes manifestations se
sont déroulées le 3 octobre dans toute l’Espagne, rassemblant plusieurs
dizaines de milliers de participants, en particulier à Madrid et à Bilbao, au
cœur du Pays basque. Des mots d’ordre ont surgi : « Catalans, vous
n’êtes pas seuls », « Rajoy démission », « Droit à décider » et … « République en Espagne »,
« Dehors le Bourbon ».
Le droit à l’indépendance de la Catalogne ne peut être effectif
que par le combat de tout le prolétariat d’Espagne se dressant contre la
monarchie, pour le droit à l’autodétermination des peuples d’Espagne. La
perspective qui doit être ouverte c’est celle du front unique des organisations
ouvrières pour chasser le gouvernement Rajoy.
Trotsky
écrivait en 1931 :
« Les
tendances séparatistes posent devant la révolution le problème démocratique du droit des nationalités à disposer
d’elles-mêmes. Ces tendances, considérées superficiellement, se sont
aggravées pendant la dictature. Mais tandis que le séparatisme de la
bourgeoisie catalane n’est qu’un moyen pour elle de jouer avec le gouvernement
madrilène contre le peuple catalan et espagnol, le séparatisme des ouvriers et
paysans n’est que l’enveloppe d’une révolte intime, d’ordre social. Il faut
établir une rigoureuse distinction entre ces deux genres de séparatisme. Cependant,
et précisément pour disjoindre de leur bourgeoisie les ouvriers et les paysans
opprimés dans leur sentiment national, l’avant-garde prolétarienne doit
prendre, sur cette question du droit des nationalités à disposer d’elles-mêmes,
la position la plus hardie, la plus sincère. Les ouvriers défendront
intégralement et sans réserve le droit des Catalans et des Basques à vivre en
États indépendants, dans le cas où la majorité des nationaux se prononcerait
pour une complète séparation. Ce qui ne veut nullement dire que l’élite
ouvrière doive pousser les Catalans et les Basques dans la voie du séparatisme.
Bien au contraire : l’unité économique du pays, comportant une large
autonomie des nationalités, offrirait aux ouvriers et aux paysans de grands avantages
du point de vue de l’économie et de la culture générales. » (La Révolution
espagnole et les tâches communistes, L. Trotsky, 1931).
Une
organisation révolutionnaire en Espagne serait inconditionnellement pour le
droit du peuple catalan à disposer de lui-même. Mais elle défendrait, face aux
organisations nationaliste bourgeoises et petites bourgeoises, que seul le
prolétariat est à même de prendre en charge jusqu’au bout la revendication de
l’indépendance, la perspective politique d’en finir avec la monarchie, d’en
finir avec la prison des peuples qu’est l’État hérité du franquiste ; elle
combattrait pour le droit à l’autodétermination de l’ensemble des peuples
d’Espagne (Catalan, Basque...), pour la république socialiste des peuples
d’Espagne, la fédération socialiste de toute la péninsule, les États-Unis
socialistes d’Europe. Il n’y a pas d’autre issue pour les masses catalanes que
d’appeler l’ensemble du prolétariat et de la jeunesse au combat pour en finir
avec la monarchie.
Il faut
le dire : dans leur combat, les masses catalanes ouvrent la voie pour en
finir avec la monarchie, pour mettre à bas l’État hérité du franquisme. A
l’ordre du jour, rupture du PSOE, de l’UGT et des CCOO avec le gouvernement
Rajoy ! Il est de leur responsabilité de s’engager dans le combat pour en
finir avec la monarchie et le gouvernement Rajoy.
En
France, il est de la responsabilité des dirigeants des confédérations CGT,
CGT-FO, de la FSU et de l’UNEF d’appeler à une manifestation des travailleurs
et des jeunes à l’ambassade d’Espagne Paris et devant les consulats pour
exiger :
Front
unique des organisations ouvrières contre la répression par l’État espagnol
contre le peuple catalan !
Libération
des emprisonnés politiques !
Droit à
l’autodétermination du peuple catalan ! C’est aux catalans, et à eux
seuls, de décider de leur avenir !
Le 22 octobre 2017.
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