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Il y a 50 ans, en Hongrie : la révolution prolétarienne

 

Des journées qui « ont ébranlé le monde »


Le 23 octobre 1956, 100 000 personnes manifestent à Budapest, arborant des portraits de Lénine et des drapeaux hongrois. Les 21 et 22 octobre, des réunions s’étaient tenues dans les universités; en particulier, à l’Université polytechnique. Si, le 20, les étudiants de Szeged (2ème ville de Hongrie) ont reconstitué la fédération étudiante indépendante (la Mefesz, dissoute en 1950), c’est bien l’organisation officielle des jeunesses qui a pris l’initiative de réunir quelques milliers d’étudiants; on devrait discuter de revendications matérielles des étudiants; en fait, on y aborde surtout la situation en Pologne; on applaudit et soutient les étudiants polonais. L’Union des écrivains défilera le 23; les étudiants appellent, eux, à manifester en masse; ils adoptent un programme en 16 points, qui exige notamment le retrait immédiat des troupes russes, un congrès du parti préparé démocratiquement, la formation d’un gouvernement dirigé par Imre Nagy, l’élection d’une nouvelle assemblée nationale, la révision des procès et les libertés, le droit de grève, la révision totale des normes imposées aux travailleurs, la satisfaction de leurs revendications, la solidarité avec les étudiants polonais... Le cercle Petöfi a décidé, lui aussi, d’appeler pour le même jour à une manifestation de solidarité avec la Pologne et l’envoi de délégations dans les usines.

En cette fin d’après-midi du 23 octobre, il est prévu que la manifestation, interdite puis autorisée, se termine. Elle a commencé à se disloquer. Sortie des usines et des bureaux : voici qu’ouvriers et employés rejoignent les étudiants. Les manifestants sont maintenant 300 000. Certains se retrouvent au Parlement, on réclame Nagy, qui prend la parole sur le ton : « Nous voulons sauvegarder l’ordre constitutionnel et la discipline. » Ernest Gerö, 1er secrétaire, fait un discours à la radio, exaspérant, toisant les manifestants. Les étudiants envahissent l’immeuble de la radio. La police politique (Avh) tire et tue : 3 morts. C’est le début de l’insurrection : dans les usines, les équipes de nuit débraient et rejoignent la lutte; les soldats fournissent des armes aux ouvriers; nulle part, l’armée - de même que la police ordinaire - ne tirera sur les manifestants; dans ses rangs, on rejoint les combattants ou on reste neutre. Les délégués étudiants constituent le Comité révolutionnaire des étudiants (qui rajoutera les termes « en armes » à sa désignation). Le comité central du Pc se réunit. La révolution hongroise commence.

Un numéro spécial de la Vérité, daté d’octobre-novembre 1966, expliquait :

« Il y a 10 ans, en octobre et en novembre 1956, des journées ‘‘ ébranlaient le monde ’’ et comme celles qui, en octobre 1917, avaient vu le prolétariat établir son pouvoir en Russie, elles devaient marquer à jamais le mouvement ouvrier international.

Après que les ouvriers polonais aient fait, pour un temps, battre en retraite l’appareil bureaucratique du Kremlin, s’assurant un certain nombre de libertés politiques et d’organisation, les travailleurs hongrois à leur tour, entraient en lutte contre le gouvernement policier de Rakosi et de Gerö, proconsuls de la bureaucratie russe. Tumultueuse, la révolution se développait, réduisant en miettes l’appareil de terreur qui contrôlait le pays, détruisant en même temps les mythes du ‘‘ socialisme réalisé ’’, de la ‘‘ déstalinisation ’’, de la libéralisation ’’.

Le prolétariat hongrois, force motrice de la révolution, précisait ses objectifs en même temps qu’il tendait à se donner les moyens de son pouvoir : les conseils ouvriers.

La bureaucratie ne pouvait plus alors trouver de compromis politique garantissant sa sécurité. Elle était face à son inconciliable ennemie : la révolution prolétarienne dont elle redoutait plus que tout qu’elle s’étende en Urss même. Elle choisit la solution de l’écrasement militaire, lançant toute une armée contre un petit peuple pratiquement désarmé. Les divisions blindées de la bureaucratie noyaient dans le sang la révolution des conseils ouvriers.

Ce pour quoi luttaient les travailleurs de Pologne et de Hongrie, c’est ce pour quoi luttent les masses des pays sous-développés pillés par l’impérialisme, comme les travailleurs des pays capitalistes avancés dont toutes les conquêtes, fruits de décennies de combat, sont menacés par le capitalisme pourrissant. Ils luttaient pour le socialisme. D’une manière irréfutable, les témoignages et les documents le prouvent. Il n’était pas question pour ces travailleurs de revenir sur ce qui était acquis. Il ne s’agissait pas de ‘‘ rendre ’’ les usines à leurs anciens propriétaires, mais au contraire de défendre contre toute restauration les nouveaux rapports de propriété. Et de les défendre par la seule méthode efficace : celle de la révolution prolétarienne. Les objectifs de la révolution hongroise apparaissent clairement dans les proclamations des organismes nés de la révolution : il s’agit de donner à la classe ouvrière le pouvoir politique qu’usurpait une clique policière au service de la bureaucratie du Kremlin en rétablissant la démocratie prolétarienne; il s’agit de donner à la classe ouvrière, par l’exercice de cette démocratie, le contrôle sur les moyens de production.

(…) La révolution hongroise d’octobre 1956 a été le point culminant d’un processus révolutionnaire international dans lequel s’intègrent les combats des peuples coloniaux – victoire de la révolution vietnamienne contre l’impérialisme français – des travailleurs des pays avancés – grève générale d’août 1953 en France - des travailleurs d’Urss et de l’Est de l’Europe – insurrection de juin 1953 à Berlin Est, grève de Vorkhouta… »

 


 « Il est impossible de réaliser ce programme sans le renversement de la bureaucratie »


En conclusion de la Révolution trahie (« étude sur le développement de l’Urss », achevée le 4 août 1936) »), Léon Trotsky affirme : « Une nouvelle révolution est inéluctable ». Dans le programme d’action de la 4ème Internationale, le programme de transition, adopté en septembre 1938, la section concernant « l’Urss et les tâches de l’époque de transition » établit « le diagnostic social » suivant : « Le régime de l’Urss renferme en soi des contradictions menaçantes. Mais il continue à rester un régime d’Etat ouvrier dégénéré. Le pronostic politique a un caractère alternatif : ou la bureaucratie, devenant de plus en plus l’organe de la bourgeoisie mondiale dans l’Etat ouvrier, renversera les nouvelles formes de propriété et rejettera le pays dans le capitalisme; ou la classe ouvrière écrasera la bureaucratie et ouvrira une issue vers le socialisme. ».

Le programme de transition indique donc un ensemble de tâches :

« La nouvelle montée de la révolution en Urss commencera, sans aucun doute, sous le drapeau de la lutte contre l’inégalité sociale et l’oppression politique. A bas les privilèges de la bureaucratie ! A bas le stakhanovisme ! A bas l’aristocratie soviétique avec ses grades et ses décorations ! Plus d’égalité dans le salaire de toutes les formes de travail !

La lutte pour la liberté des syndicats et des comités d’usines, pour la liberté de réunion et de presse, se développera en lutte pour la renaissance et l’épanouissement de la démocratie soviétique.

La bureaucratie a remplacé les soviets, en tant qu’organe de classe, par la fiction du suffrage universel, dans le style de Hitler-Gœbbels. Il faut rendre aux soviets non seulement leur libre forme démocratique, mais aussi leur contenu de classe. De même qu’auparavant la bourgeoisie et les koulaks n’étaient pas admis dans les soviets, de même maintenant la bureaucratie et la nouvelle aristocratie doivent être chassées des soviets. Dans les soviets, il n’y a place que pour les représentants des ouvriers, des kolkhoziens du rang, des paysans, des soldats rouges.

La démocratisation des soviets est inconcevable sans la légalisation des partis soviétiques. Les ouvriers et les paysans eux-mêmes, par leurs libres suffrages, montreront quels partis sont soviétiques.

Révision de l’économie planifiée de haut en bas, en ayant en vue leurs intérêts des producteurs et des consommateurs ! Les comités d’usine doivent reprendre le droit de contrôle sur la production. La coopération de consommation, démocratiquement organisée, doit contrôler la qualité des produits et leurs prix. Réorganisation des kolkhozes en accord avec la volonté des kolkhoziens et selon leurs intérêts !

La politique internationale conservatrice de la bureaucratie doit faire place à la politique de l’internationalisme prolétarien. Toute la correspondance diplomatique du Kremlin doit être publiée. A bas la diplomatie secrète ! Tous les procès politiques montés par la bureaucratie thermidorienne doivent être révisés… »

Le programme de transition conclut : « Il est impossible de réaliser ce programme sans le renversement de la bureaucratie, qui se maintient par la violence et la falsification. Seul, le soulèvement révolutionnaire victorieux des masses opprimées peut régénérer le régime soviétique et assurer sa marche en avant vers le socialisme. Seul le parti de la 4ème Internationale est capable de mener les masses soviétiques à l’insurrection. »

En avril 1939, alors que « la question ukrainienne est destinée à jouer dans un avenir proche un rôle énorme dans la vie de l’Europe » (l’Ukraine est partagé entre l’Urss, la Pologne, la Hongrie et la Roumanie), L. Trotsky met en avant le mot d’ordre : « pour un Ukraine soviétique, ouvrière et paysanne unie, libre et indépendante ! Le régime de l’Urss (…) continue à rester un régime d’Etat ouvrier dégénéré ». Quand les troupes ont commencé à envahir et occuper une partie de la Pologne – alors que les informations sont encore imprécises -, Léon Trotsky pronostique que :

« Il est plus vraisemblable que dans les territoires qui doivent être incorporés à l’Urss, le gouvernement de Moscou procédera à l’expropriation des grands propriétaires et à l’étatisation des moyens de production. Cette orientation est la plus probable, non parce que la bureaucratie reste fidèle au programme socialiste, mais parce qu’elle ne veut ni ne peut partager le pouvoir et les privilèges qui en découlent avec les anciennes classes dirigeantes dans les territoires occupés. (…) Mesure révolutionnaire par sa nature, ‘‘ l’expropriation des expropriateurs ’’ s’effectue dans ce cas de manière militaro-bureaucratique. Tout appel à une action indépendante des masses – mais sans un tel appel, fût-il très prudent, il est impossible d’établir un nouveau régime – sera, sans nul doute, étouffé le lendemain même par d’impitoyables mesures de police, afin d’assurer la prépondérance de la bureaucratie sur les masses révolutionnaires en éveil. » (L’Urss dans la guerre, 25/9/1939)

Quelques semaines plus tard, l’Armée rouge pénètre en Finlande. L’Armée rouge « exproprie les grands propriétaires terriens et introduit le contrôle ouvrier, préparant ainsi l’expropriation des grands capitalistes. Demain, les staliniens étrangleront les ouvriers finlandais. Mais, aujourd’hui, ils donnent – et ils sont obligés de donner – une formidable impulsion à la lutte des classes sous sa forme la plus aiguë. (…) La guerre soviéto-finlandaise commence, selon toute apparence, à se doubler d’une guerre civile dans laquelle l’Armée rouge se trouve, pour l’instant, dans le même camp que les petits paysans et les ouvriers finnois, tandis que l’armée finnoise bénéficie du soutien des classes possédantes, de la bureaucratie ouvrière conservatrice et des impérialistes anglo-saxons. Les espoirs que l’Armée rouge éveille chez les pauvres Finlandais ne seront, à moins que la révolution internationale ne se produise, qu’une illusion : la collaboration de l’Armée rouge avec les pauvres ne sera que temporaire; le Kremlin retournera très vite ses armes contre les ouvriers et les paysans finlandais. » (Une opposition petite-bourgeoise…, 15/12/1939)

Les analyses de Léon Trotsky sur les développements qui se produisent suite à l’entrée en guerre de l’Urss en Europe de l’Est et du Nord nous sont précieuses pour apprécier, encore maintenant, les processus qui se développent à partir de 1943 avec les avancées de l’Armée rouge.


De 1953 à 1956, l’irrépressible mouvement des masses


De 1943 à 1945, les défaites de l’Allemagne hitlérienne et l’approche des troupes soviétiques ont donné une formidable impulsion aux masses. La volonté de Staline est nette : il s’agit de maintenir des Etats bourgeois, ici, et là, de laisser au pouvoir ce qui peut encore l’être des anciens appareils dans les pays de l’Est de l’Europe qu’ils contrôlent, mais le mouvement révolutionnaire est plus fort. L’appareil stalinien ne peut enrayer les expropriations (liquidation de la grande propriété foncière, armement des travailleurs, formation des conseils ouvriers qui contrôlent les entreprises abandonnées par l’occupant nazi ou par leurs propriétaires), mais il peut ancrer sa domination (appareil d’Etat policier, pays soumis aux besoins de la bureaucratie du Kremlin, oppression nationale) sur ces pays qui se transforment en Etats ouvriers bureaucratiques, satellites de l’Urss. L’Allemagne est coupée en deux; c’est contre Staline que la révolution l’emporte en Yougoslavie. En Chine, la soumission au parti de Tchang Kaï-Chek, le Kuo-min-Tang, est brisée par le soulèvement révolutionnaire des masses ouvrières et paysannes en 1949.

Le processus révolutionnaire international rebondit en 1953. Quelques mois après la mort de Staline (5 mars), dans l’Allemagne coupée en deux, à Berlin coupé en deux, c’est la grève des ouvriers du bâtiment et des métallos. A peine la revendication est-elle obtenue (annulation du relèvement de normes) que la manifestation se transforme en appel à la « démission du régime » et à la grève générale; la revendication d’un « gouvernement des métallos » surgit. La répression écrase le mouvement dans le sang. A Vorkhouta, dans les camps de concentration en Urss, la grève des détenus fait reculer la bureaucratie.

Face au mouvement des masses, la bureaucratie doit commencer à desserrer l’étau policier; c’est la prétendue déstalinisation. N. S. Khrouchtchev, 1er secrétaire, avait prononcé son « rapport secret » au 20ème congrès du Pcus (24/2/1956). La dénonciation de certains crimes de et sous Staline, du « culte de la personnalité », contrairement aux intentions de la clique de la bureaucratie du Kremlin au pouvoir, va favoriser la critique publique du régime. La bureaucratie est remise en cause; naturellement chez les intellectuels d’abord, mais l’ébullition politique change de consistance, notamment, quand, à Poznan (Pologne) les ouvriers de l’usine Zispo débrayent et vont manifester contre le régime, en fin juin. Face aux revendications des masses et alors que les conseils se constituent, l’appareil se résout, pour garder l’essentiel, à nommer Gomulka - ancien 1er secrétaire condamné et détenu pour « titisme » - au poste de 1er secrétaire du Poup, autrement dit au sommet du pouvoir; les 19-21 octobre, le comité central le réintègre à la direction du parti, élimine le ministre de la défense, le maréchal Rokossowski, d’origine polonaise mais russe, incarnant l’occupation et l’oppression russe au cœur même de l’Etat.


 « La liquidation pacifique de ce foyer est en pratique exclue » (Mikoian et Souslov au Cc du Pcus)


En Hongrie, aussi, ce sont les intellectuels et la jeunesse étudiante qui se sont les 1ers propulsés sur la scène politique, au moment où la bureaucratie « réhabilite » Laszlo Rajk, ancien dirigeant du Pc hongrois et d’autres, jugés et pendus en 1949 pour « titisme » et trahison (alors que le gouvernement tchécoslovaque reconnaît que certains chefs d’accusation contre R. Slansky et 13 hauts fonctionnaires ne sont pas fondés). Au début de 1956, le Cercle Petöfi, créé par l’organisation de jeunesse du Parti des Travailleurs hongrois (parti stalinien), commence à organiser des débats à Budapest. Fin juin, ce sont 8 000 participants à la réunion qu’il organise qui acclament l’écrivain (et militant) T. Dery (qui appelle à « en finir avec cet Etat de policiers et de bureaucrates »). Rakosi, surnommé « le meilleur enfant de Staline » démissionnaire est remplacé… comme 1er secrétaire du parti par le vieux guépéoutiste Gerö ! En août, incidents dans les usines Csepel, bastion ouvrier. Le 6 octobre, 200 000 à 300 000 personnes manifestent en silence aux funérailles de Rajk.

Le 14 octobre, Imre Nagy (choisi par la bureaucratie comme président du conseil en juillet 1953, à la place de Rakosy, puis destitué en avril 1955, exclu du bureau politique et du Parti) est réintégré dans le parti, sans fonction. Les écrivains demandent la convocation d’un congrès extraordinaire du Parti…

Le 23 octobre donc, c’est la révolution qui a commencé. Dans la nuit, alors que le comité central désigne Imre Nagy président du Conseil et le fait entrer au bureau politique, Gerö ordonne la loi martiale et fait appel, prétendument au nom de Nagy, aux troupes russes qui interviennent. Imre Nagy, qui, jusque là, se tient à l’écart, affirmera quelques jours plus tard que cela avait été fait à son insu. Selon les termes du ministère de la Défense de l’Urss, « conformément à la décision du gouvernement de l’Urss d’accorder une aide fraternelle au gouvernement de la République populaire de Hongrie à la suite des désordres politiques qui se sont produits dans le pays (…), à 23 heures le 23 octobre, sont mises en état d’alerte (…) en tout 5 divisions (…), 1 130 tanks et installations d’artillerie autopropulsée, 800 canons (…). En même temps, notre aviation [4 divisions] est mise en état d’alerte (…). Exécutant les tâches reçues (…), un corps spécial d’infanterie, entré entre 2 et 4 heures du matin [le 24], a occupé les principaux points névralgiques de Budapest… ».

Les jours suivants, les combats se poursuivent à Budapest; le 25, 300 manifestants sont tués par la fusillade déclenchée place du Parlement; les combats vont gagner le reste du pays; la grève générale insurrectionnelle s’étend. Toutes les couches de la population rejoignent l’insurrection, unies contre l’occupation, pour le départ immédiat des troupes russes, pour liquider la police secrète; beaucoup de troupes s’engagent, comme (le 26), le prestigieux colonel Maléter et son unité. Une nouvelle armée se constitue.

Un 2ème gouvernement est formé puis un 3ème gouvernement, qui inclut tous les courants (socialistes, paysans) à l’exception des rakosistes. Nagy annonce le retrait des troupes russes puis proclame la neutralité de la Hongrie et le retrait du pacte de Varsovie. Le Pc, qui comptait environ un million de membres avant le début de la révolution, soit 10% des 10 millions d’habitants, se disloque; les conseils l’ont dissout et le Cc s’est dissous lui-même. Nagy, Kadar, le « philosophe marxiste » et ministre G. Lukacs fondent le Parti socialiste ouvrier hongrois (31 octobre). J. Kadar avait remplacé, le 25, Gerö comme 1er secrétaire du parti; il est doublement connu comme vieux militant ouvrier, victime sous le prétexte de « titisme », mais aussi ministre de l’intérieur à la fin des années 40. A ce moment, Nagy a vraiment rompu avec l’appareil stalinien.

En face, les troupes russes et la police secrète (du moins ceux qui ont échappé aux révolutionnaires), et dans leur camp, l’appareil proprement dit du parti carbonisé. Et l’armée russe recule; la troupe est contaminée par la fraternisation ou refuse simplement à réprimer. Le 30, présents à Budapest pour le compte du Cc du Pcus, A. Mikoian et M. Souslov lui envoient un message d’alarme : « La situation politique dans le pays et à Budapest ne s’améliore pas, mais empire. Cela s’exprime de la façon suivante : dans les organes dirigeants du parti, on sent l’impuissance, dans les organisations du parti, il y a un processus de désagrégation. Les éléments crapuleux ont pris de l’assurance, ils envahissent les comités de parti de district, tuent les communistes. (…)

Les insurgés disent qu’ils rendront les armes après le départ des troupes soviétiques de Budapest, et certains disent même : après le départ des troupes soviétiques de Hongrie. Donc la liquidation pacifique de ce foyer est pratiquement exclue. Nous allons tâcher d'obtenir sa liquidation par les forces armées hongroises. Mais il y a un grand danger : l’armée hongroise a une position d’expectative. Nos conseillers militaires disent que les rapports avec les officiers et les généraux hongrois se sont dégradés ces jours-ci, il n’y a plus la même confiance qu’avant. Il se peut que des troupes hongroises envoyées contre les insurgés se joignent à eux, et alors il faudra à nouveau entreprendre des opérations avec les forces armées soviétiques… » (cité par les Cahiers du mouvement ouvrier – 3ème trimestre 2006).

De nouvelles troupes soviétiques sont donc nécessaires; elles affluent (le 31 octobre). Détail important : les soldats sont originaires des régions asiatiques de l’Urss et ne comprennent pas le russe, ce qui empêche tout dialogue avec les Hongrois.


La 2ème intervention russe


Le 4 novembre, les troupes du Kremlin, qui avaient envahi la Hongrie, attaquent Budapest. Pal Maléter, entré au gouvernement comme responsable militaire, a été kidnappé par l’armée russe, alors qu’il s’y rendait pour négocier. Officiellement, les troupes, qui encerclent la capitale, interviennent à l’appel d’un prétendu « gouvernement révolutionnaire ouvrier et paysan », dont Kadar – qui avait disparu - annonce qu’il a pris la tête. Le nom sous lequel se présente ce gouvernement totalement illégitime et la personnalité de son chef, perçu jusqu’alors comme un relatif opposant communiste – et ami de Nagy - n’ont d’autre ambition que d’embrouiller, si possible, les masses hongroises. Il déclare partager avec la jeunesse « des objectifs identiques », comme « empêcher le retour de la clique de Rakosi et de Gerö ». Nagy se réfugie à l’ambassade yougoslave.

A la Une de l’Humanité, le bureau politique du Pcf étale son abjecte déclaration, datée du 4 novembre : « …Barrant la route à ceux qui furent les alliés de Hitler, aux représentants de la réaction et du Vatican que le traître Nagy avait installés au gouvernement, la classe ouvrière hongroise, dans un sursaut énergique, a formé un gouvernement ouvrier et paysan qui a pris en main les affaires du pays. Ce gouvernement (…) a demandé à l’armée soviétique de contribuer à la restauration de la paix intérieure. Le Parti communiste français approuve pleinement la conduite du gouvernement ouvrier de Hongrie… »

La grève a repris, malgré les menaces et les suppliques de Kadar. Celui-ci est totalement impuissant; c’est l’armée russe qui doit se charger de l’administration, comme une armée d’occupation. Des combats se déroulent dans tout le pays. Les troupes de la bureaucratie ne trouvent pas le moindre appui dans la population. C’est l’ambassadeur russe lui-même, I. Andropov, qui alerte sa hiérarchie, le 6 novembre : « Nos amis ne publient pas de journal, tandis que le journal des insurgés Igazsag (La Vérité), dont les pages sont remplies de matériaux provocateurs contre nos amis et l’Armée soviétique, est largement diffusé dans les rues de la ville. » Le 14 novembre marque la fin des combats. Près de 80 000 morts (cf. J-J. Marie in La révolution hongroise des conseils ouvriers).

Malgré l’écrasante supériorité militaire des troupes russes, les combats les plus acharnés ont duré 10 jours ! Les faits sont là : les bastions de la résistance armée se trouvent dans les centres ouvriers, les usines, les mines. Les statistiques que dressent les hôpitaux indiquent que 80% à 90% des blessés sont des ouvriers. Si le prolétariat peut faire la preuve de sa détermination physique, de l’héroïsme qui est le propre de la classe ouvrière quand elle lutte pour la révolution prolétarienne, c’est qu’il s’appuie sur les conseils, sur la base de la grève générale. Après la fin des combats, la classe ouvrière reste dressée dans sa résistance, en poursuivant la grève générale qui paralyse le pays.


Ils combattaient pour le socialisme


La puissance de la révolution hongroise, ce sont les conseils. Dès le début de l’insurrection, les délégués étudiants ont constitué le Comité révolutionnaire des étudiants (en armes), vite rejoints par des jeunes ouvriers et des soldats. En province, c’est la nouvelle de l’intervention des troupes russes qui a déclenché la grève générale insurrectionnelle. Les ouvriers (avec les étudiants) commencent à s’organiser spontanément en conseils ouvriers par entreprise, comités révolutionnaires locaux. Ils s’arment, organisent les milices ouvrières et la lutte armée contre les troupes russes et les Avos (police politique); ils discutent et dressent les revendications.

Elus par les travailleurs, les conseils ouvriers imposent leur autorité et administrent l’usine, la mine, la localité, la ville, le département : ravitaillement, surveillance des prix, relogement, sûreté,… Les élus sont révocables à tout moment; « l’activité aussi bien au sein d’un comité d’usine qu’au sein d’un conseil ouvrier doit être un travail social bénévole et nous ne tolérerons pas que qui ce soit essaie d’en vivre ».

Des sans-parti y figurent avec des membres du Pc et des vieux partis, réapparus, comme les sociaux-démocrates, le Parti national paysan (population laborieuse de la campagne) et le Parti des petits propriétaires (qui déclare, par exemple, le 31 octobre : « Personne ne peut songer à revenir au monde des comtes, des banquiers, des capitalistes. Ce monde a disparu à jamais ».).

Le 1er conseil ouvrier est élu à Miskolc; son autorité est reconnue dans tout le département. Il utilise la radio, dont il s’est emparé pour faire connaître son action Il demandera, le 28, « aux conseils ouvriers de toutes les villes de province de coordonner leurs efforts en vue de créer un seul et unique mouvement puissant » avec comme base d’accord un programme que l’on retrouve en permanence, et d’abord : Pour une Hongrie libre, démocratique, socialiste, départ immédiat des troupes russes, dissolution de l’Avh, élections libres, nouvelle constitution. En forgeant leurs organes autonomes, les ouvriers combattent comme classe, pour faire prévaloir un programme ouvrier. Les conseils, c’est le prolétariat dressé contre le pouvoir de la bureaucratie.

Si la lutte contre l’oppression, pour l’indépendance nationale, ordonne le soulèvement de toute la population, la classe ouvrière place en même temps au cœur de ses revendications, avec le droit de grève, l’augmentation des salaires (et l’ébauche d’une grille des salaires), la suppression des normes de travail. En ce qui concerne les syndicats, pas de permanents rétribués; l’adhésion doit être libre. C’est le programme de la révolution politique inscrit dans le programme de transition, traduite dans les conditions de la Hongrie de 1956.

Les conseils et comités révolutionnaires se multiplient : Le comité révolutionnaire des intellectuels et son programme; les délégués des Comités révolutionnaires de soldats qui constituent le Comité révolutionnaire de l’armée; comités révolutionnaires chez les juristes, dans la plupart des ministères, des services de l’Etat... Mais la force sociale dominante et décisive, c’est la classe ouvrière. Par sa place dans les combats : les quartiers ouvriers en sont le cœur. Parce que c’est la seule force qui offre une alternative à la domination de la bureaucratie et à l’oppression de la caste du Kremlin (pour la défense de la propriété collective des moyens de production, une véritable planification). Et les conseils ouvriers commencent à matérialiser l’alternative. Il faut le constater : les réactionnaires n’ont eu aucune audience dans la population. Il revenait au quotidien de la calomnie, l’Humanité, de titrer, le 2 novembre – cela ne s’invente pas : « Vers la formation d’un gouvernement présidé par le cardinal Mindszenty ? » (cardinal et primat de Hongrie, propulsé par Radio Free Europe).


Puissance des conseils ouvriers…


Très vite après leur constitution, les conseils sont entrés en relation entre eux, en province, dans les villes et à la campagne, puis à Budapest… Le 31 octobre, les délégués des 24 grosses entreprises de Budapest se rencontrent; et aussi, les délégués des conseils ouvriers des usines dans le 11ème arrondissement (initiative ultérieurement reprise dans d’autres arrondissements); le 1er novembre, a lieu une réunion de délégués de grandes usines, des intellectuels et des étudiants et des représentants du gouvernement; les délégués décident la reprise du travail. Finalement, la décision de reprendre le travail est adoptée par tous les conseils, au plus tard pour le 5 novembre. Nagy doit traiter avec les conseils; il « annonce qu’il s’appuie sur ces organismes et approuve leur autorité »; il promet de satisfaire les revendications; annonce la création de nouvelles forces de sécurité « à partir de l’armée, de la police, des milices ouvrières et des groupes de jeunesse »; déclare que « le gouvernement se refuse à considérer le formidable élan populaire comme une contre-révolution » et demande le retrait des troupes russes; et les conseils lui accordent leur confiance : signe de ce qu’ils n’envisagent pas de constituer le pouvoir.

La 2ème intervention russe n’entraîne pas la dislocation des conseils. Au contraire. Le 12, le conseil ouvrier révolutionnaire d’Ujpest lance un appel à la constitution d’un conseil ouvrier central de Budapest. De jeunes intellectuels ainsi que le comité révolutionnaire des étudiants contribuent aussi à l’élaboration et à la diffusion de l’appel.  

La réunion constituante du conseil central ouvrier du Grand Budapest se tient, malgré le gouvernement, le 14. Beaucoup de délégués sont des anciens militants, membres du Parti communiste, sociaux démocrates,… Certains ont participé à la République des conseils ouvriers hongrois de 1919. La moitié a 28 ans ou moins; ils sont ouvriers et aussi ingénieurs. (Le conseil ouvrier central fixera la règle, pour tout conseil, d’être composé d’au moins deux tiers d’ouvriers; il déclarera : « Il importe que les comités d’usine soient élus de la façon démocratique, une fois que les conseils ouvriers constitués, afin que la composition personnelle de ces comités fournisse toutes les garanties pour la réalisation des objectifs de la révolution ».) La quasi-totalité des grandes entreprises est représentée; les autres délégués le sont par des arrondissements; 2 conseils ouvriers de province (Borsod département industriel, Gÿor ville industrielle) ont envoyé leur délégation. Ils « proclam(ent) (leur) rigoureux respect des principes du socialisme. (Ils) considèr(ent) les moyens de production comme propriété collective (qu’ils) so(nt) toujours prêts à défendre ». « Le travail sera repris dès que nous recevrons des réponses » aux exigences suivantes : retour au pouvoir de Nagy, retrait rapide des Russes, libération des détenus, la reconnaissance du droit de grève, la reconnaissance des partis se fondant sur le socialisme. Il aborde la question du conseil national, mais il se refuse à décider de sa constitution; s’il décide d’envoyer une délégation auprès de Kadar, il ne reconnaît pas son gouvernement; au contraire, il inscrit au 1er rang de ses demandes « que le camarade Imre Nagy assume la direction du gouvernement ». Ainsi donc, le conseil central, qui entend représenter tous les ouvriers de Budapest et décider de la reprise du travail ou de la grève, ne revendique toujours pas la conquête du pouvoir.

Le rouleau compresseur des tanks de la bureaucratie du Kremlin joue en faveur des tentations conciliatrices. Surtout à Budapest. On ne peut pas non plus ignorer la pression de la faim, du froid et aussi de la tactique dilatoire et du ton « modéré » qu’utilise encore Kadar. Mais il y a aussi le grand souffle de la révolution. A la suite de Csepel, où la décision d’arrêter la grève (sans renoncer aux revendications) finit par l’emporter, les conciliateurs réussissent à faire prendre la même position au Conseil central de Budapest, le 16 novembre, alors que la veille, il avait révoqué son président, A. Balazs, pour avoir fait à la radio, au nom du conseil central, une déclaration favorable à la reprise du travail. Mais la décision de reprise (le 17) est contestée; de nombreux délégués sont révoqués pour n’avoir pas suivi les votes qui avaient, dans tels ou tels conseils, décidé de poursuivre. Et Le 19, à Csepel, ce sont 30% des travailleurs qui sont présents, et sans travailler. Globalement, un quart des ouvriers reprend le travail.

La situation est différente en province : non seulement, comme cela a évoqué, la pression des tanks russes - seule force sans laquelle le gouvernement Kadar et les bureaucrates n’auraient aucun appui réel - est moins forte; les conseils ouvriers sont bien ancrés; ils ont dirigé la grève générale, pris et imposé leur pouvoir. Le commandement russe doit, dans une certaine mesure, en tenir compte, comme l’illustre cette altercation, à Miskolc, entre un officier russe qui exige que le travail reprenne le lendemain et le président du conseil de l’usine métallurgique « Lénine » qui ne veut traiter qu’avec un ingénieur. L’officier élève la voix; l’ouvrier : « Criez pas, moi aussi j’étais militaire, je n’ai pas peur des gens qui crient »; l’officier se met à hurler : « Sachez que j’ai 10 000 hommes sous mes ordres ! »; l’ouvrier : « Sachez que moi, j’ai 18 000 hommes ici, dans l’usine, et que je suis chez moi ». L’officier se calme...

Non seulement la classe ouvrière résiste, mais cette résistance la pousse à chercher la centralisation de son combat. Le 19, reprenant la demande faite par une délégation d’ouvriers, le conseil central convoque les délégués de tous les conseils ouvriers du pays en vue de constituer un conseil ouvrier national (le 21). Les chars russes interdisent la réunion annoncée publiquement; elle se tient quand même, ailleurs. Dès que l’interdiction avait été connue, les usines et les transports s’étaient mises spontanément en grève. Le conseil central proclame qu’il représente aussi les conseils de province. Il remet en cause l’ordre de reprise du travail et décide une grève de protestation de 48 heures, en exigeant d’être reconnu par le gouvernement comme la seule représentation ouvrière. Cette revendication est irrecevable pour la bureaucratie; l’affrontement est inévitable. Le 23, Imre Nagy, qui a quitté l’ambassade yougoslave où il s’était réfugié, est enlevé par la police russe. Il est envoyé en résidence surveillée en Roumanie.

Sur la sellette au conseil central ouvrier pour sa tiédeur, le nouveau président, J. Dévényi, démissionne; et le 26, le conseil central fait connaître 2 autres revendications à Kadar : l’organisation d’une milice ouvrière armée et ses propres journaux, que Kadar rejette quelques jours plus tard. Dans une déclaration adoptée le 27 novembre, le conseil ouvrier central « affirme que les véritables intérêts de la classe ouvrière sont représentés en Hongrie par les conseils ouvriers et, d’autre part, il n’existe pas actuellement un pouvoir politique plus puissant que le leur. Nous devrons œuvrer de toutes nos forces au renforcement du pouvoir ouvrier ».


…et limites


Pour la bureaucratie du Kremlin, les conseils et leur centralisation doivent être détruits comme organismes de contre-pouvoir. Elle est consciente, plus vivement que les dirigeants ouvriers eux-mêmes, de ce que signifie que les ouvriers ne se laissent pas mystifiés par l’« autogestion »; que le conseil ouvrier central s’élève contre la « thèse » martelée par la bureaucratie d’après laquelle « les conseils ouvriers devraient être uniquement des organisations économiques ». Le 4 décembre, paraît le décret de dissolution des comités révolutionnaires et le 6, débutent les arrestations massives de dirigeants des conseils ouvriers.

La classe ouvrière résiste toujours. Des manifestations de femmes sont organisées par le conseil central (le 5). Nombreuses grèves spontanées. La moitié des travailleurs de Csepel est en grève. Le 9, le conseil central décide une grève générale de 48 heures, contre la répression. Elargi aux délégués des conseils de province, il appelle les travailleurs du monde entier « des grèves de solidarité ». Le gouvernement finit par décider la dissolution du conseil central. Assemblées générales dans les usines. La répression se déchaîne; arrestations; la loi martiale est décrétée. Le 11, Sandor Racz, président du conseil central ouvrier (ouvrier ajusteur, 23 ans), et Sandor Bali, vice-président (ouvrier ajusteur, 33 ans), - qui avaient répondu à une convocation de Kadar – sont arrêtés. Mais, les 11 et 12, la grève est générale dans le pays. Le 13 encore, grève de protestation à Beloiannis et Csepel. Mais en liquidant les conseils (et l’arrestation des militants), la bureaucratie, qui l’a bien compris, a porté le coup fatal à la révolution politique.

Le 17 décembre, les 1ères condamnations à mort tombent à Budapest. La répression la plus dure se poursuit. En avril 1957, Imre Nagy sera remis aux Hongrois et, avec Pal Maléter, le journaliste Miklos Gimes, Jozsef Szilagyi, condamné à mort et pendu en juin 1958 par la contre-révolution pour avoir refusé de condamner la révolution prolétarienne de l’automne 1956, et parce que c’est tout simplement insupportable pour la clique criminelle du Kremlin.


L’appareil stalinien ne peut pas être réformé


En écrasant la révolution hongroise, la caste bureaucratique du Kremlin s’est identifiée aux yeux des masses comme l’ennemi de la classe ouvrière et du socialisme. A la différence de la Pologne, elle n’a pas pu utiliser les illusions des masses pour des prétendus « réformateurs » (comme Gomulka). On a vu qu’elle n’a jamais eu l’intention de céder aux révolutionnaires hongrois. Elle a pleinement montré au grand jour à la classe ouvrière ce que l’analyse de Léon Trotsky avait définitivement établi depuis 1933 : la 3ème Internationale était définitivement passée du côté de l’ordre bourgeois; l’appareil stalinien ne pourrait pas être redressé.

En quelques jours, la bureaucratie a volé en éclats en Hongrie; seul est demeuré, mais c’est essentiel, l’appareil stalinien. La ligne de partage s’est faite entre Nagy et Kadar, qui, jusqu’à la 2ème intervention russe, ont pu se retrouver dans le même gouvernement, et même, après la désagrégation du parti stalinien, parmi les fondateurs d’un nouveau parti, le Parti socialiste ouvrier hongrois. Si Kadar aura un rôle de 1er plan dans la victoire de la clique contre-révolutionnaire; Imre Nagy, lui, a eu un mérite capital : il a refusé, jusqu’aux pieds de la potence de dénoncer, de calomnier la révolution.


La 4ème Internationale n’était plus au rendez-vous


Combat héroïque du prolétariat et de la jeunesse, émergence de dirigeants ouvriers (notamment de jeunes ouvriers) : la classe ouvrière a durement payé l’absence de direction révolutionnaire expérimentée; elle ne pouvait pas suppléer à l’inexistence de Parti ouvrier révolutionnaire, qui seul, pouvait mettre en avant, clairement, et la formuler, la question du pouvoir, comme avait su le faire le parti bolchévik en 1917 : « Tout le pouvoir aux soviets ! ». Sans parti (ou organisation) révolutionnaire, les ouvriers durent spontanément se réapproprier l’expérience des révolutions passées - révolutions russes de 1905 et de 1917, bien sûr, et aussi la révolution des conseils hongrois de 1919, à laquelle certains d’entre eux avaient activement participé -, mais trop lentement par rapport à l’expérience et à la puissance de la bureaucratie.

La révolution hongroise est restée isolée. D’abord de la révolution polonaise. C’est la conséquence directe de l’absence de la 4ème Internationale. La 4ème Internationale, après avoir subi un coup majeur en 1940, avec l’assassinat de Léon Trotsky, extraordinairement affaiblie, avait été liquidée par la crise de 1953. Elle ne pouvait plus être au rendez-vous de l’Histoire. Les organisations restées fidèles au trotskysme intervinrent sur le terrain de la solidarité prolétarienne, mais la majorité des organisations avait disparu.

 

Intervention du Parti communiste internationaliste.

Les trotskystes français tinrent, par exemple, un meeting à Paris, le 9 novembre, le seul de cette nature. Le 30 octobre, le bureau politique avait annoncé la réunion dans un tract, titré : « Vive les conseils ouvriers hongrois, en lutte contre la bureaucratie du Kremlin ! Vive la Pologne socialiste indépendante ! A bas l’infâme intervention russe contre les prolétaires hongrois ! ».

Nouveau tract le 7 novembre, alors que « au Kremlin, les disciples de Staline, le sinistre trio Khroutchtchev–Boulganine–Joukov, craignant que l’exemple hongrois ne soit suivi par les travailleurs russes – déjà, dans les unités staliniennes en Hongrie, des soldats russes, par centaines, fraternisaient avec les prolétaires hongrois et passaient dans leurs rangs -, a envoyé des troupes fraîches, choisies les plus sûres, pour noyer la Commune de Hongrie sous un déluge de feu » et alors que, le 6, les troupes de l’opération franco-britannique Mousquetaire ont débarqué à Port-Saïd en Egypte – en relation avec Israël, qui avait envahi le Sinaï le 29 octobre.

Des suppléments d’entreprise prolongent la diffusion du matériel central; ainsi, la Vérité Métro (19 novembre) dénonce la « politique de collaboration de classe du Parti socialiste et du Pcf avec les partis bourgeois (…) aux formes multiples, depuis la prise en charge directe des intérêts de la bourgeoisie par les dirigeants ‘‘ socialistes ’’ G. Mollet en tête, jusqu’aux votes des pouvoirs spéciaux par les dirigeants du Pcf, en passant par les multiples manœuvres destinées à paralyser l’action de la classe ouvrière : grèves tournantes, revendications par catégories, campagnes de signatures alors que les rappelés manifestaient. De la Pologne à l’Algérie, de la Hongrie à l’Egypte, les peuples opprimés veulent vivre libre; déterminer eux-mêmes le système social qui leur convient, se libérer de toutes les tutelles, et s’engager dans la voie du socialisme, ce qui est impossible sans se libérer de l’oppression quelle qu’elle soit et d’où qu’elle vienne. Les oppresseurs n’ont qu’une réplique : la répression. Aux bombardements de Port-Saïd par les gouvernements anglo-français répondent en écho les canonnades des tanks russes à Budapest; aux ratissages d’Algérie répondent la déportation des Hongrois, sans oublier les ‘‘ exploits ’’ de l’impérialisme américain en Corée, au Guatemala et ailleurs…. »

 

La politique des pablistes.

En apparence, les pablistes, ancêtres politiques de la LCR, utilisaient des formulations de trotskystes; mais il est conseillé de lire la suite. Ainsi, dans un manifeste daté du 1er novembre, le « comité exécutif international de la 4ème Internationale », en s’adressant aux « camarades travailleurs de Hongrie », déclare : « …Vous avez héroïquement lutté non pour le retour au régime social féodo-capitaliste ancien, mais pour une Hongrie socialiste, indépendante et libre, alliée sur un pied d’égalité aux autres Etats ouvriers. La 4ème Internationale salue votre victoire éclatante remportée sur la bureaucratie soviétique et ses agents indigènes. Elle vous appelle à assurer également sur les forces sociales indigènes hostiles au socialisme qui, maintenant, veulent profiter du vide politique créé par l’écroulement du régime stalinien, afin de restaurer le capitalisme… ».

1°) Pourquoi cette mise en garde contre le danger de restaurer le capitalisme. Ils savent que toutes les déclarations des combattants sont unanimes sur la défense du régime socialiste et, plus encore, que les forces capitalistes sont nulles ou dérisoires. Le journaliste A. Farkas, qui vivait à Budapest, témoigne aujourd’hui (Budapest 56), du 23 octobre et des jours qui ont suivi : « En égrenant la liste des victimes [parmi ceux qu’il avait rencontrés aux moments les plus dramatiques de la résistance], il saute aux yeux que ni gros capitalistes, ni propriétaires terriens, ni politiciens de l’ancien régime ne figurent parmi eux. L’argument préféré du gouvernement Kadar, l’instigation et la participation des forces réactionnaires, ne tient pas debout. Des années plus tard, les autorités judiciaires ont essayé de mettre en statistiques les origines des condamnés, pour leur coller sur le front l’étiquette ‘’ ennemi de classe ’’. En triturant les chiffres, ils ne sont pas parvenus à assimiler plus de 5% des accusés à cette catégorie… »

2°) « Vide politique créé par l’écroulement du régime stalinien » ! Chassez le naturel, il revient au galop ! Faut-il commenter ? Michel Pablo et Ernest Mandel reprocheront aussi à Nagy  dans la revue Quatrième Internationale de décembre 1956 d’avoir mené une politique extérieure « alarmant effectivement le Kremlin », au lieu d’en avoir qui lui soit pour lui « acceptable » (sic !), bref d’avoir « élargi la démocratisation dans tous les sens (…) manœuvré en dehors du camp de classe, sans avoir essayé, au contraire, de manoeuvrer, face au Kremlin, à l’intérieur de ce camp ».

La révolution hongroise a montré qu’à « l’intérieur du camp », la bureaucratie stalinienne jouait le rôle de gardien. De quel côté des barbelés de ce « camp » se trouvaient donc les pablistes ?


 

***

 


50 ans après, non seulement la crise dislocatrice de la 4ème Internationale n’a jamais été surmontée, mais le combat pour sa reconstruction a définitivement échoué. Malgré des dizaines d’années de tentative des organisations restées fidèles au trotskysme, puis, qui l’ont successivement trahi. Combat anéanti par Lambert et les lambertistes quand la direction a proclamé la disparition du Pci, devenu irredressable – étape ultime d’un processus qui avait vu le révisionnisme s’emparer de la direction du Pci, l’expulsion, au cours du 28ème congrès, de Stéphane Just et de ceux qui rejoignaient son combat, sur la ligne : « On ne peut aller de l’avant si l’on craint d’aller au socialisme » -. Le Pci avait depuis toujours été au 1er plan et, au moins depuis 2 décennies, la force motrice du combat pour la reconstruction de la 4ème Internationale. Sa liquidation entraîna automatiquement la fin de ce combat.

Depuis les années 90, la capitalisme a été restauré dans l’ex-Urss, dans les Etats ouvriers bureaucratiques ou déformés. La question de la révolution politique n’est-elle pas devenue caduque ? Alors pourquoi revenir sur les leçons de la révolution hongroise de 1956 ? Inévitablement, le prolétariat réoccupera le devant de la scène politique. Dans les pays de l’ex-Urss, dans l’ex-« glacis soviétique » …, en particulier, pour sortir de la grande misère politique qui le tenaille, il aura à se réapproprier sa propre histoire.

« La crise historique de l’humanité se réduit à la crise de la direction révolutionnaire ». Ce qui est le point de départ et la conclusion du programme de transition demeurent implacablement le point de départ et la conclusion pour quiconque, travailleur, jeune, intellectuel, veut contribuer, en toute lucidité, à résoudre « la crise actuelle de la civilisation humaine ».


 

décembre 2006

 

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