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Article paru dans Combattre pour le Socialisme n°15 du 8 mars 2004

LO, LCR, PT et les élections régionales et cantonales :

Variations sur une même orientation de fond,

contre le front unique des organisations ouvrières

 

L’ « extrême gauche » fait la une


A plusieurs reprises, en novembre et décembre 2003, l’ « extrême gauche » a fait la une de journaux tels Le Monde, Libération ou encore Le Journal du Dimanche. A l’occasion du XXVe congrès de la LCR, qui s’est tenu du 30 octobre au 1er novembre, Le Monde titrait « L’extrême gauche lance un défi électoral à la gauche » (Le Monde du 1/11/2003) tandis que Libération affichait en première page « Elections : la trosko attitude » (Libération du 3/11/2003). Un mois plus tard, Le Monde récidivait en inscrivant à sa une « Pourquoi l’extrême gauche bouscule la gauche » et en publiant un grand sondage sur l’image de l’extrême gauche. Le XXXIIIe congrès de LO s’est tenu les 7 et 8 décembre 2003. Il a fait, lui aussi, l’objet d’une « couverture médiatique » sans précédent, les dirigeants de LO se prêtant au jeux : comme le note Le Monde du 9 décembre 2003 « Arlette Laguiller mène l’offensive de charme pour Lutte Ouvrière ». La raison avouée de cet engouement pour l’ « extrême gauche » », c’est l’accord électoral pour les élections régionales et européennes que les congrès respectifs de ces deux organisations ont approuvé.

  Le PT, organisation projection du CCI, a aussi été quelque peu sous les feux de la rampe à l’occasion du congrès de FO qui s’est tenu fin janvier, centrale syndicale au sein de laquelle elle a des positions et une influence incontestables. Le PT a décidé, lors de son XIIe congrès qui s’est tenu du 16 au 18 janvier 2004, de ne pas appeler à voter aux élections régionales et de présenter des candidats aux élections cantonales.

  Pour la grande presse, LO, LCR et PT représentent « l’extrême gauche institutionnalisée »  (cf Libération du 3/11/2003) qui plus est… trotskiste. Que ces organisations se réclament peu ou prou du trotskisme est une chose ; qu’elles le soient en réalité en est une autre. Il faut brièvement rappeler que LO (Lutte Ouvrière) est historiquement issu d’un groupe de militants qui s’est continuellement tenu en marge due la Quatrième Internationale et de sa section française, et ce même vivant Trotsky. La LCR (Ligue Communiste Révolutionnaire) est la continuité politique d’un courant liquidateur de la quatrième internationale qui a émergé en 1952 sous la forme du révisionnisme pabliste. Quand au PT (Parti des Travailleurs), il ne se réclame pas de la Quatrième Internationale. Il n’est qu’une projection du CCI (Courant Communiste Internationaliste), ce dont personne n’est dupe, sans lequel il n’existerait pas. Le CCI est issu du PCI qui a représenté la continuité politique du combat pour la reconstruction de la Quatrième Internationale suite à sa dislocation sous les coups du pablisme. A partir du début des années quatre-vingt, le PCI s’est engagé dans un cours révisionniste – « la ligne de la démocratie » – qui a conduit à sa liquidation en tant qu’organisation trotskiste en 1991, marquant ainsi la fin de la possibilité de reconstruire la Qquatrième Iinternationale.

  Dans leurs commentaires, les journalistes appointés par la grande presse ne s’encombrent pas de ces « détails ». Peu importe pour eux la réalité politique de ce que sont ces organisations. Mais le fait de les qualifier de trotskistes participe du combat politique, consciemment ou non (dans ce cas par  ignorance crasse), pour déconsidérer et dénaturer le trotskisme. L’analyse de la politique des uns et des autres à l’occasion des élections régionales permet de remettre les pendules à l’heure.

L’accord LO/LCR


C’est LO qui a pris l’initiative en juillet 2003 de proposer à la LCR d’ouvrir des discussions en vue de listes communes aux élections régionales et européennes. Dans une interview donnée à Libération du 1er août 2003, Alain Krivine indique :

« Lutte ouvrière nous a fait parvenir deux lettres dans le courant du mois de juillet. La direction du parti réitère ses critiques assez vives à notre encontre, notamment sur notre participation au mouvement altermondialiste, le féminisme et l’écologie. Elle parle même de trahison de notre part à propos de notre prise de position au second tour de l’élection présidentielle, où nous avons appelé à faire barrage à Le Pen [Krivine rappelle pudiquement que la LCR a appelé à voter Chirac, contrairement à LO – ndlr]. Nous poursuivons nos options politiques. Malgré ces critiques, la nouveauté, c’est que pour la première fois depuis quatre ans, la direction de Lutte ouvrière nous propose d’ouvrir des discussions en vue de conclure un accord électoral ».

  Début septembre 2003, le comité central de la LCR a décidé de donner suite à la proposition de LO. L’accord électoral entre la LCR et LO a été conclu dans ses grandes lignes fin octobre à la veille du congrès de la LCR. Il s’est concrétisé par un protocole d’accord et une profession de fois commune. Il est incontestable que la modification du mode de scrutin pour les élections régionales et européennes a pesé lourd dans la balance pour inciter les deux organisations à trouver un accord (en particulier pour les régionales, l’introduction d’un scrutin à deux tours avec un seuil d’au moins 10 % pour pouvoir se maintenir au second tour, et pour les européennes, l’introduction de seuils élevés par circonscription – de 7 à 10 % selon les circonscriptions - pour obtenir des élus). En 1998, en présentant des listes séparément  la LCR et LO avait obtenu respectivement 3 et 20 sièges de conseillers régionaux. Avec le nouveau mode de scrutin, il y avait un fort risque que ce nombre de conseillers régionaux soit réduit à néant.

Mais là n’est pas l’essentiel. En effet, ce qui est remarquable, c’est que malgré des divergences de fond, conduisant LO à accuser la LCR de « trahison »à propos du vote Chirac, les bases d’un accord politique pour les élections aient pu être trouvées. Cela d’autant plus que la LCR lors de son dernier congrès a décidé d’abandonner dans ses statuts toute référence au combat pour la dictature du prolétariat et a jeté toutes ses forces dans la préparation du Forum Social Européen en novembre 2003, rendez-vous altermondialiste condamnée par LO (voir à ce propos CPS n° 14 du 2/12/2003). L’électoralisme n’explique pas tout. S’il y a eu entente pour les élections, c’est qu’effectivement il en existait des bases politiques.

Ensemble dans les luttes…


Pour justifier ces bases politiques communes, Alain Krivine explique :« Avec LO, malgré les divergences qui empêchent un parti commun, il y a deux points très forts qui nous rassemblent. D’abord, nous étions ensemble très impliqués sur le terrain, dans les luttes sur les retraites du printemps. Les uns comme les autres, nous avons poussé vers l’élargissement de la grève. Ensuite, nous portons le même jugement sur le bilan de la gauche plurielle. La LCR n’a jamais tiré de trait d’égalité entre la gauche et la droite. Pour autant, cela ne doit aucunement dédouaner les dirigeants de la gauche officielle » (Le Monde du 1/11/2003).

Arlette Laguiller acquiesce :« Ce qui compte, c’est qu’on soit ensemble dans les luttes. Heureusement qu’on ne se bat pas qu’avec des gens qui se retrouvent avec nous sur la dictature du prolétariat » ( Le Monde du 9/12/2003).

  Ce qui est certain, c’est que LO et LCR ont été sur des lignes politiques proches pendant le mouvement de mai-juin dernier contre la « réforme » Fillon des retraites : au moins ensemble contre le combat pour imposer aux dirigeants de la CGT, de FO et de la FSU qu’ils appellent à la grève générale (voir plus loin dans le présent article). Mais en présentant ainsi les choses, Alain Krivine et Arlette Laguiller masquent la réalité de ce qui les unit. La participation aux élections, fussent-elles régionales, sur des listes communes va au-delà du fait d’avoir été « ensemble dans les luttes » ; elle implique que les organisations concernées exposent et développent leurs programmes, au moins dans ce qu’ils ont de commun. Ce que fait effectivement la profession de foi commune adoptée et  ratifiée par les deux organisations.

…et dans la capitulation devant des dirigeants syndicaux


La profession de foi débute ainsi :« Ces élections régionales offrent la possibilité, pour des millions de travailleurs, de dire non à la dégradation de leur vie quotidienne et d’affirmer leur opposition à la politique d’agression menée par le gouvernement Chirac-Raffarin et le grand patronat. Elles offrent également la possibilité pour les travailleurs d’exprimer leur accord avec des objectifs indispensables à avancer dans les luttes futures .»

Et se conclut par :« Voter pour les listes LCR-LO (ou LO-LCR)

C’est approuver un plan d’urgence contre le chômage, la précarité et la misère.
C’est voter contre la politique du gouvernement Chirac et Raffarin et les partis de droite.
C’est rejeter radicalement l’extrême droite et faire contrepoids à Le Pen et au Front National.
C’est désavouer la politique des partis de l’ex-gauche plurielle ! »

  Entre les deux, un rappel des principales agressions auxquelles sont confrontées les travailleurs et la jeunesse (licenciements, retraites, décentralisation, sécurité sociale, perte du pouvoir d’achat, précarisation du travail…) mais avec les lacunes remarquables comme la loi cléricale de Chirac sur les signes religieux à l’école : LO est plutôt pour, tandis que la LCR a pris la position ambiguë « ni voile ni loi », une partie de ses militants, les JCR-RED, l’organisation de jeunesse de la LCR, et l’organisation Socialisme Par En Bas que la LCR vient d’intégrer en tant que telle, ayant appelé à manifester aux côtés de la réaction islamiste et organisé différentes protestations contre l’exclusion des établissements scolaires des femmes voilées.

  Une question se pose alors : comment le gouvernement Chirac-Raffarin est-il à même de mener sa politique ? Dans le texte, pas un mot de la participation sans retenue des dirigeants de la CGT, de FO et de la FSU à la « concertation » permanente avec le gouvernement. Pourtant, cette concertation a permis, entre autres, l’élaboration de la contre-réforme des retraites, la signature de l’accord scélérat sur la formation professionnelle et la préparation de la loi Fillon sur le dialogue social ; elle s’est poursuivie avec le grand débat sur l’école et connaît de nouveaux développements sur la base du rapport Fragonard préparant une nouvelle loi vers la liquidation de la sécurité sociale. Thibault, Mailly (FO) et Aschieri peuvent dormir tranquilles. La campagne LO/LCR ne les dérangera pas.

  En aucun cas il ne s’agit de combattre pour que les travailleurs exigent et s’organisent pour que les dirigeants syndicaux rompent avec la concertation, et par conséquent avec le gouvernement Chirac-Raffarin, et réalisent le front unique de leurs organisations pour le combattre. Ni LO ni la LCR ne les appellent à donner suite et à amplifier ce qu’ils ont exprimé massivement lors du mouvement contre la loi Fillon sur les retraites en adoptant des centaines de motions exigeant que les dirigeants des confédérations et des fédérations syndicales rompent avec le gouvernement Chirac-Rafffarin et appellent à la grève générale. Ce n’est pas la perspective de s’organiser dans la continuité de ce combat qu’ouvrent les listes LO/LCR. Dans ses conditions, comment prétendre que voter pour les listes LCR-LO (ou LO-LCR), c’est « la possibilité pour les travailleurs d’exprimer leur accord avec des objectifs indispensables à avancer dans les luttes futures .».

  Car aujourd’hui, comment préparer ces luttes futures sans tirer les leçons politiques de la défaite subie sur les retraites, sans dénoncer la « concertation » et formuler la nécessité de s’organiser pour combattre pour que les dirigeants rompent avec le gouvernement et, dans l’immédiat, refusent toute concertation et discussion sur le rapport Fragonard sur l'assurance-maladie?


LO-LCR contre le combat pour en finir avec le gouvernement Chirac-Raffarin…


L’énoncé des attaques du gouvernement est suivi par des éléments que l’on pourrait considérer comme s’intégrant dans un programme d’action…la liste des revendications et des mesures pourraient être discutée et complétée sans limite par des « spécialistes » des programmes d’action. Mais aussi exhaustive serait cette liste, des questions restent sans réponse : quel gouvernement est susceptible de s’engager dans la voie permettant la mise en œuvre d’un «  plan d’urgence contre le chômage, la précarité et la misère » ?  Faut-il combattre pour en finir avec le gouvernement Chirac-Raffarin ? Peut-on envisager la mise en œuvre d’un tel plan avec le gouvernement actuel et sans s’attaquer à la propriété privée des moyens de production et à l’ État bourgeois ?

  Dans la profession de foi, n’est même pas utilisé le terme « socialisme », ce qui est un comble pour deux organisations se réclamant du trotskisme. Le revers de la médaille d’une orientation de refus du combat pour le front unique des organisations ouvrières est le refus obstiné d’ouvrir la perspective politique d’engager le combat pour vaincre et chasser le gouvernement Chirac-Raffarin, porter au pouvoir un gouvernement issu de ce front unique. Pourtant dès 1938, le programme de transition, rédigé par Léon Trotsky lui-même, en l’occurrence véritable programme d’action de la classe ouvrière, expliquait : « Il faut aider les masses, dans le processus de leurs luttes quotidiennes, à trouver le pont entre leurs revendications actuelles et le programme de la révolution socialiste. Ce pont doit consister en un système de revendications transitoires, partant des conditions actuelles et de la conscience actuelle de larges couches de la classe ouvrière et conduisant invariablement à une seule et même conclusion : la conquête du pouvoir par le prolétariat. »

Il rappelait plus loin : « chaque revendication sérieuse du prolétariat et même chaque revendication progressiste de la petite-bourgeoisie conduisent invariablement au-delà des limites de la propriété capitaliste et de l’État bourgeois ».

  En réalité, la seule perspective ouverte par les listes LO/LCR est de voter « contre la politique du gouvernement Chirac et Raffarin et les partis de droite ». En quelque sorte, « témoigner » et « dire non ».

Arlette Laguiller, en campagne électorale conclut ses meetings ainsi : « Alors bien sûr, ce programme ne peut pas s’appliquer sans la participation active, consciente d’un grand nombre de travailleurs et de travailleuses. Cette participation ne surgira pas automatiquement du résultat des élections régionales, fut-il particulièrement important pour les listes d’extrême gauche. Mais un large vote en faveur d’un tel programme sera une façon, pour le monde du travail, d’exprimer ses choix sociaux, son opposition au fonctionnement de cette société. Et si ce vote en faveur des listes LO-LCR est important, cela contribuera à encourager tous les opprimés à préparer une lutte d’ensemble pour imposer un tel plan » (meeting du 11/03/2004 à Strasbourg)


… et contre la perspective d’un gouvernement issu du front unique
des organisations ouvrières, partis et syndicat


La profession commune indique : « Mais la volonté de mettre un coup d’arrêt à la politique actuelle ne peut s’exprimer par un vote en faveur des listes des partis qui ont soutenu le gouvernement Jospin ».

C’est d’un éventuel appel à voter au second tour des élections dont il s’agit évidemment. Sur ce point, le protocole d’accord entre LO et LCR précise : « Là où notre liste atteint les 10 % nécessaires pour se maintenir au deuxième tour, elle se maintient. La seule exception pourrait être éventuellement le cas où, compte tenu des rapports de force exacts calculés d’après les scores du premier tour, il y a un risque que le FN prenne la direction de la région contre une liste de gauche. Le cas d’une liste de droite opposée à une liste du FN ne constitue pas un cas d’exception à la règle générale du maintien au deuxième tour, pas plus que n’en constituerait une liste dite de front républicain. L’appréciation de la situation et l’éventualité [sic] devront être discutées et décidées en commun au niveau national. Lorsque notre liste n’atteint pas les 10 %, elle ne donne pas de consigne de vote (…) Au cas où, dans le cas de figure ci-dessus, le FN pourrait l’emporter contre une liste de gauche, les deux directions discuteraient et décideraient en commun de l’éventualité d’appeler à voter pour une liste de gauche ».

  Que faut-il comprendre de ces recettes de cuisine électorales ? Avant le premier tour des dernières élections présidentielles, LO, la LCR et le PT (CCI) ont adopté la même orientation : au second tour « ni Chirac, ni Jospin », si le cas se présentait ; c’est-à-dire qu’ils se sont refusés à appeler à voter pour Jospin, candidat du PS, contre Chirac candidat des partis bourgeois en cas d’un second tour les opposant. On connaît la suite : Jospin a été éliminé dès le premier tour, devancé par Le Pen. La LCR, contrairement à LO et au PT, a appelé à voter Chirac, se vautrant lamentablement dans la fange du Front Républicain. Il s’agit ici de la reprise de la même orientation, l’éventualité de donner une consigne de vote pour « la gauche » pour battre le FN n’étant pas exclue. Toutefois, il convient de préciser que l’orientation LO/LCR en rajoute dans ce cas à la confusion.

  En effet, dans la totalité des régions, les listes présentées par le PS seul, ou par le PS et le PCF, cela dès le premier tour, sans parler des listes PS/Verts ou PS/PCF/Verts, comprennent toutes en leur sein des candidats issus d’organisations bourgeoises : pour toutes les listes il s’agit de candidats du PRG, pour certaines d’entre elles s’ajoutent des candidats du groupuscule de Chevènement, le MRC ( ou de sa scission, l’AGR). Par conséquent, il ne saurait être question d’appeler à voter ni au premier tour, ni au second tour pour ces listes. Il en va de même pour les listes présentées par le PCF seul. Ce sont des listes de nature bourgeoise. La question du désistement au second tour ne se pose donc pas dans les mêmes termes que pour les élections présidentielles, où, s’il y était parvenu, Jospin face à Chirac, aurait été d‘abord et avant tout le candidat du PS.

Mais ce n’est pas pour cette raison que le protocole d’accord LO/LCR prévoit qu’aucune consigne de vote ne serait donnée au second tour. La raison est que les deux organisations, comme le PT par ailleurs, se situent sur l’orientation ni « Chirac, ni Jospin », en l’occurrence « Ni UMP et UDF, ni PS et PCF ». Cette orientation tourne le dos à celle qui consisterait à exiger du PS, et accessoirement du PCF, en utilisant le scrutin régional à deux tours et la possibilité de modifier les listes entre les tours, qu’ils excluent de leurs listes tout candidat de partis et organisations bourgeois (Verts, PRG, MRC etc.), concrétisant ainsi le combat politique pour qu’ils rompent avec le gouvernement Chirac-Raffarin, qu’ils engagent le combat pour le mettre hors d’état de nuire et le chasser,  qu’ils réalisent le front unique, appuyés sur celui des confédérations et fédérations syndicales, dans la perspective de la constitution d’un gouvernement  des seuls partis et organisations ouvrières.

  Ce à quoi tournent le dos résolument les listes LO/LCR, c’est au combat pour un gouvernement constitué des organisations ouvrières, partis et syndicats, gouvernement dont les masses exigeraient la satisfaction de leurs revendications et qui pour cela devrait être contraint de s’engager dans la voie de l’expropriation du capital, vers le socialisme. C’est à la question du pouvoir.


L’avis d’un connaisseur


Dans une tribune publiée dans Libération du 13 octobre 2003, Lionel Jospin écrivait, dans sa conclusion :
«La seconde question concerne la tentation qui se fait jour à gauche et surtout à l’extrême gauche de récuser l’exercice du politique. C’est peut-être une curieuse façon de tirer les leçons de l’histoire. Les révolutions du XXe siècle ont toutes engendré le totalitarisme. Le cycle ouvert par la Révolution d’Octobre n’a pas débouché sur un « monde meilleur » mais sur une tragédie. Ce cycle s’achève en Chine et en Russie par des restaurations capitalistes sans démocratie ou avec une démocratie fragile. L’extrême gauche, prisonnière de cette histoire, prise entre illusions et déroute, répugne à gouverner.

Mais le but de l’action politique reste l’exercice du pouvoir. En démocratie, il se conquiert et se légitime par l’élection. C’est la vision et la pratique de la gauche démocratique. Certains ont apporté longtemps une autre réponse :celle de la révolution violente dirigée par une avant-garde pour instaurer la dictature du prolétariat. Là où cela s’est produit, on sait ce qu’il en est advenu : l’oppression. L’extrême gauche hésitant désormais à assumer cette conception, du moins devant le suffrage universel, escamote aujourd’hui la question du pouvoir politique : les révolutionnaires ne pouvant faire la révolution, le peuple ne devrait plus poser la question du pouvoir. D’où l’affirmation selon laquelle « la gauche et la droite, c’est pareil ». on pourrait même, dit-on changer la société en se passant du pouvoir.

  (…) Mais cela ne fait pas disparaître le pouvoir politique. Le pouvoir ne restera jamais vide. On le voit bien aujourd’hui :les mouvements sociaux, les grèves, les manifestations ne peuvent à eux seuls empêcher la droite d’imposer sa politique. Si la gauche s’écartait du pouvoir, la droite, même défaillante ou dangereuse, resterait seule à l’exercer ».

  Par petites touches, une tribune par-ci, un déjeuner sous le feu des projecteurs avec une tête de liste par-là, Lionel Jospin essaie de reprendre pied dans la vie politique du PS en espérant faire oublier sa lamentable désertion après sa défaite du 21 avril 2002 et trouver une ouverture pour un come-back dans le contexte de la guerre des chefs que se livrent d’une manière sourde les prétendants à être le candidat du PS lors des prochaines élections présidentielles. Dans sa tribune, Jospin tape juste, fort de son expérience politique passée de militant trotskiste qu’il a maintenant mise entièrement et en permanence au service de la contre-révolution en tant que « citoyen » Jospin. Il donne un axe de bataille aux dirigeants du PS : le programme des listes LO/LCR est un couteau sans lame à partir du moment où il n’ouvre aucune perspective sur la question du pouvoir.

  Dans la même veine, Julien Dray lui emboîte le pas dans une « Lettre à un jeune militant de la LCR ». Il écrit :
« Léon Trotski doit être estomaqué de voir ses descendants tourner le dos à ce qui fut son combat permanent : celui de l’unité. (…). Oui la LCR s’est engagée dans une dérive sectaire et s’aligne sur les positions de LO. Pendant la campagne des régionales, vous passerez plus de temps à taper sur les sociaux-démocrates que sur le bilan de la droite, à vous démarquer coûte que coûte, quitte à dire n’importe quoi. Pour être autre chose que des « ramasseurs de balle », il faut accepter de prendre des responsabilités, de mettre les mains dans le cambouis, accepter les compromis inhérents à la démocratie. Mais votre choix est tout autre : commenter et dénoncer seulement, drapeau rouge fièrement déployé, pour pouvoir continuer à jouer les pères la vertu. » (Le Monde du 7/11/2003).

  Pour Jospin et Dray, il s’agit de défendre une politique de type front populaire en se référant frauduleusement au  front unique ouvrier, rebaptisé « unité » pour les besoins de la polémique (Dray se garde de rappeler que les trotskistes ont toujours combattu l’orientation du front populaire sans rivage à droite qui, comme le démontrent les faits, a toujours conduit le prolétariat aux pires défaites en France, en Espagne, au Chili…). C’est la politique de LO et de la LCR tournant le dos au combat pour le front unique des organisations ouvrières qui contribue, à l’exemple de Jospin et Dray, à ce que les dirigeants du PS puissent maintenir le cap, faire face et poursuivre leur politique au service de la bourgeoisie.


La LCR et la dictature du prolétariat


Lors du dernier congrès de la LCR, de nouveaux statuts ont été adoptés abandonnant la référence au combat pour la dictature du prolétariat (selon Rouge n° 2038 du 6/11/2003, le vote des délégués a été le suivant : pour 282 soit 85,2 % des exprimés, contre 24, abstentions 25 et NPPV 2).Comme si pour le coup, Lionel Jospin, cité plus haut dans sa diatribe contre la dictature du prolétariat, avait cette fois été entendu.

Dans une brochure de formation de la LCR intitulée « Qu’est-ce que le Parti Communiste Français ? », datant de la fin des années soixante-dix, republiée en 2000, on pouvait lire, à propos de la stratégie de ce parti :
« C’est la stratégie élaborée en 1934-1935, à partir de la vieille théorie menchevik de la « révolution par étape » : on unit d’abord la majorité de la nation, bourgeoisie comprise, sur des objectifs démocratiques et, dans une deuxième étape, on envisage d’aller vers le socialisme. Il y a cependant eu une certaine « modernisation » de la stratégie du PCF. Après son XXIe congrès, en 1976, il a ouvertement rejeté la nécessité d’une dictature du prolétariat pour établir un État ouvrier. Certes, cela faisait belle lurette qu’il l’avait répudiée dans les faits, mais le dire n’était pas sans signification ni sans répercussion dans la formation des militants ».[souligné par nous – ndlr]

  Il n’est pas exagéré de dire que la partie soulignée de cette citation s’applique parfaitement…à la LCR. Le Monde commente ainsi la décision du congrès :

« Avec sa réforme des statuts, la LCR couronne un aggiornamento programmatique engagé à la suite de la chute du mur de Berlin. « C’est une manière de dire que le cycle ouvert par octobre 1917 est aujourd’hui refermé, qu’il faut fonder un nouveau projet de transformation sociale où les idées de socialisme, de luttes des classes, mais aussi de démocratie sont centrales », expliquent ses dirigeants, tout en notant que le débat sur les formes de démocratie reste ouvert dans la LCR » (Le Monde du 4/11/2003).

  Dans le numéro de Rouge déjà cité, on peut lire :
« Autre moment fort du congrès : l’adoption de nouveaux statuts. Les anciens, rédigés au début années soixante-dix, n’avaient connu depuis que des modifications secondaires et portaient l’empreinte de cette période. Loin de toute adaptation au réformisme, il s’agissait surtout de reformuler nos objectifs fondamentaux : la lutte révolutionnaire pour une société socialiste, la démocratie du plus grand nombre pour en finir avec la dictature des marchés financiers et des actionnaires, la construction d’une organisation anticapitaliste, féministe et écologiste dans un langage qui « parle » à ceux et à celles qui se tournent aujourd’hui vers nous. Mais aussi, de formaliser dans ce document qui fixe les règles du » vivre ensemble » dans l’organisation, le fonctionnement démocratique et ouvert qui est celui de la LCR »

  Outre l’abandon à la référence à la dictature du prolétariat, point essentiel qui a attiré l’attention de la presse, il faut aussi indiquer que sont abandonnés, entre autres, les références explicites aux textes des quatre premiers congrès de l’Internationale Communiste ; qu’à la perspective de la construction d’un parti ouvrier révolutionnaire est substituée celle d’un parti anticapitaliste de masse, féministe et écologiste et que toute référence formelle à un mode d’organisation se référant au parti bolchevik a été gommée : ainsi le comité central est rebaptisé « direction nationale ».

Contre Marx, Engels, Lénine et Trotsky


Dans Rouge n°2040 du 20/11/2003, François Ollivier, dirigeant de la LCR explique :
« Pour nos « pères fondateurs », le régime de la dictature du prolétariat devait représenter, par son essence même « l’épanouissement suprême de la démocratie prolétarienne » (Trotsky, Oeuvres, tome V, p.206-207). Le bilan que nous tirons aujourd’hui, d’abord de la contre-révolution stalinienne mais aussi des erreurs des bolcheviks, nous a conduit à écarter cette notion de nos références programmatiques. Bien sûr, il importe de distinguer la révolution russe (et les erreurs commises par les bolcheviks au cours du processus révolutionnaire) de la contre-révolution au profit d’autres intérêts sociaux, ceux de la bureaucratie. Par la suite les staliniens ont utilisé la notion de dictature du prolétariat pour justifier la destruction de toute trace de vie démocratique dans la classe ouvrière et la société russe. Ainsi, contre l’esprit et la lettre des fondateurs du marxisme, cette notion a été chargée d’un autre contenu, au point d’être aujourd’hui assimilée à l’une des principales armes de la contre-révolution. Mais il faut aussi revenir sur les erreurs des révolutionnaires russes. Au  nom de la dictature révolutionnaire du prolétariat, conçue comme un régime d’exception dans des circonstances exceptionnelles, Lénine, Trotsky et beaucoup d’autres dirigeants bolcheviks ont pris des mesures qui ont progressivement asphyxié la démocratie au sein des nouvelles institutions révolutionnaires.

  On a assisté à la substitution du pouvoir du parti à la démocratie des soviets, à la perte de substance des conseils ouvriers, au refus de convoquer une nouvelle assemblée constituante, puis à l’interdiction des tendances au sein du parti bolchevik. L’exercice de la dictature du prolétariat en Russie, y compris entre 1918 et 1924, s’est traduit par la fusion de l’État et du parti, ainsi que par la suppression progressive de toutes les libertés démocratiques. Cette expérience historique dramatique a rendu caduque l’utilisation d’une telle notion. La dictature du prolétariat est aujourd’hui chargée d’une telle signification historique , marquée par le rejet des formes de la démocratie politique, qu’il est impossible de présenter nos conceptions du pouvoir des travailleurs ou de la démocratie socialiste comme le régime de la dictature du prolétariat ».

  Ainsi, pour François Ollivier, dès 1918, le ver était dans le fruit du fait des « erreurs » des bolcheviks : feu de la guerre civile contre les armées blanches levées par les principales puissances impérialistes, feu de la défaite de la révolution allemande en octobre 1923 qui a conduit à l’isolement de la révolution russe, premier maillon de la révolution mondiale, feu des défaites des masses anglaises, chinoises, allemandes espagnoles qui ont précédé la seconde guerre mondiale … la LCR, par la plume du sieur Ollivier, découvre que la cause de tout les malheurs, ce sont les « erreurs » des bolcheviks. Contre le bolchevisme, sieur Ollivier donne quitus à …Lionel Jospin.

Que la dislocation de l’URSS puis la disparition de la propriété d’État et la réintroduction de la propriété des moyens de production, c’est-à-dire du capitalisme, en Russie même et dans les pays qui constituaient l’URSS nécessitent de considérer que la phase de la révolution mondiale ouverte en octobre 1917 avec la prise du pouvoir par le prolétariat s’est achevée n’implique pas que le marxisme et ses acquis doivent être jetés aux orties. Car il s’agit ni plus ni moins de cela.

  Sur la dictature du prolétariat, on doit rappeler ce que Marx, Engels, Lénine et Trotsky ont écrit. Pour Marx et Engels, dans Le Manifeste du parti communiste : « Le but immédiat des communistes, c’est la constitution du prolétariat en classe, le renversement de la domination bourgeoise, la conquête du pouvoir par le prolétariat ».

Marx, dans sa célèbre lettre à Weydemeyer du 5 mars 1852 précise :
«En ce qui me concerne, ce n’est pas à moi que revient le mérite d’avoir découvert l’existence des classes dans la société moderne, pas plus que la lutte qu’elles s’y livrent. Les historiens bourgeois avaient exposé bien avant moi l’évolution historique de la lutte des classes. Mon originalité a consisté :

- à démontrer que l’existence des classes n’est liée qu’à des phases historiques de la production ;
- à démontrer que la lutte des classes conduit nécessairement à la dictature du prolétariat ;
- que cette dictature elle-même ne représente qu’une transition vers l’abolition de toutes les classes et vers une société sans classe ».

Dans son ouvrage L’État et la révolution de septembre 1917, Lénine écrit :
«Les formes d’État bourgeois sont extrêmement variées, mais leur essence est une : en dernière analyse, tous ces États sont d’une manière ou d’une autre, mais nécessairement, une dictature de la bourgeoisie. Le passage du capitalisme au communisme ne peut évidemment manquer de fournir une grande abondance et une large diversité de formes politiques, mais leur essence sera nécessairement une : la dictature du prolétariat ».

  Enfin, dans le texte de Trotsky que François Ollivier prétend citer, on lit :
«Bien pire, pourtant est l’idée suivante : « Cette dictature du prolétariat…doit se desserrer et se transformer progressivement en démocratie prolétarienne au fur et à mesure que se développe l’édification socialiste ». Dans ces quelques lignes se trouvent deux erreurs principielles. La dictature du prolétariat y est opposée à la démocratie prolétarienne. Pourtant, la dictature du prolétariat, par son essence même, peut et doit être l’épanouissement suprême de la démocratie prolétarienne. Pour accomplir une grande révolution sociale, il faut au prolétariat la concrétisation suprême de toutes ses forces et de toutes ses capacités. C’est précisément pour venir à bout de ses ennemis qu’il s’organise démocratiquement. La dictature, selon Lénine, doit « apprendre à chaque cuisinière à diriger l’État ». le glaive de la dictature est dirigé contre les ennemis de la classe : la base de la dictature est constituée par la démocratie prolétarienne.

Or chez Zyromski, la démocratie prolétarienne vient remplacer la dictature « au fur et à mesure que se développe l’édification socialiste ». C’est une perspective tout à fait fausse. Au fur et à mesure que la société bourgeoise se transforme en société socialiste, la démocratie prolétarienne dépérit. Il n’y aura pas de place dans la société socialiste pour la « démocratie prolétarienne » , premièrement, parce qu’il n’y aura plus de prolétariat, deuxièmement parce qu’il n’y aura plus nécessité de la violence étatique. C’est pourquoi le développement de la société socialiste doit signifier, non pas la transformation de la dictature en démocratie, mais leur dissolution à toutes deux dans l’organisation économique et culturelle de la société socialiste ».


Retour sur le bilan du mouvement de mai-juin 2003


Tirant le bilan du mouvement contre la contre-réforme Fillon des retraites, CPS n°13 du 9 septembre 2003, rappelait à propos de l’orientation de la LCR, de LO et du PT pendant ce mouvement :

  « Thibault et Blondel ont a plusieurs reprises, après le 13 mai, dit ouvertement, chacun à leur manière pour quelle raison ils s’opposaient à la grève générale. Ils ont en définitive expliqué que s’engager dans cette voie, c’était effectivement poser la question « qui va être maître dans la maison ? », en d’autres termes remettre en cause l’existence du gouvernement Chirac-Raffarin et ouvrir la voie à ce que le mouvement des masses pose pratiquement la question d’un autre gouvernement, d’un gouvernement à leur service, un gouvernement du front unique de leurs organisations, partis et syndicats, dont elles exigeraient la satisfaction de leurs revendications.

Dans leur combat contre la grève générale, Thibault et Blondel ont reçu un soutien politique bien utile de la LCR, de LO et du PT, organisations présentées comme les trois principales branches du "trotskysme".

Pendant des semaines, la LCR s’est faite la championne de la grève reconductible, parfois qualifiée aussi de grève générale reconductible. Ainsi, son porte-parole Olivier Besancenot  déclarait au Monde du 15 mai :

« Question : Il y a quelques jours, vous appeliez à la grève générale. N’est-ce pas une façon de passer par-dessus la tête des syndicats et finalement de se substituer à eux ?

Réponse : Bien sûr que non. Aujourd’hui, la question de la grève reconductible divise la gauche sociale et syndicale en deux camps : ceux qui veulent pousser et ceux qui veulent freiner (…) a LCR est un courant qui existe, qui participe à l’animation des grèves et qui tient un discours politique. Elle soutient tous les appels qui vont dans le sens d’une grève générale reconductible (…) Je vois que la FSU dans l’éducation ou les SUD appellent, eux aussi à la reconductible - Sic ! - (…) C’est vrai que la direction confédérale de la CGT s’est pour le moment seulement prononcée pour un prochain rendez-vous le 25 mai. Ce qui m’étonne. Mais, de toute façon, on l’a bien vu en 1995, ce sont les salariés qui jettent les dés. »

Concrétisation de cette orientation, puisque  « les salariés jettent les dés », lors du CDFN de la FSU du 26 mai 2003, les militants de la LCR présents en nombre, ont rejeté avec la direction nationale de la FSU une motion disant  « …le CDFN de la FSU appelle à la grève générale des personnels de l’ Education nationale de la culture, de l’enseignement agricole public (…) ». Clairement, la ligne de « la  reconductible » s’opposait au combat pratique pour que les dirigeants appellent à la grève générale.

De son côté, LO s’est exprimée clairement et sans faire de fioritures … contre l'appel uni à la grève générale, apportant infailliblement son soutien inconditionnel à toutes les journées d’action et de mobilisation, appelant  comme les dirigeants syndicaux à amplifier la lutte. Couvrant le meeting de clôture de la fête de LO, Le Monde commentait :

« Pour LO, donc, s’ « il faut une riposte de tout le monde du travail », comme le proclame la banderole derrière Mme Laguiller, il n’est pas question pour autant, d’en appeler à la grève générale. La porte –parole préfère parler de la « nécessaire généralisation du mouvement qui sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes » et souhaiter le succès des prochaines journées d’action à venir « pour que la grève limitée se transforme en grève de l’ensemble du monde du travail » ( Le Monde du 10/06/2003) » .

Pour ce qui est du PT, en réalité de la politique du CCI, précédant de peu  Blondel, il s’est fait lui, le champion de la "grève générale interprofessionnelle". D.Gluckstein, champion de la démocratie, concluait ainsi son éditorial dans Informations Ouvrières n° 591, du 28 mai 2003:

« Pour notre part, le Parti des Travailleurs, nous estimons que la reconquête de la démocratie exige la rupture avec les diktats de l’Union Européenne, le rejet de « l’Europe des régions » et la convocation d’une Assemblée constituante souveraine, dans laquelle les délégués, mandatés et contrôlés par le peuple souverain, définiront les contours et le contenu de la démocratie.

Qu’on partage ou non cette opinion, on admettra qu’il n'y aura aucun pas dans le sens de la démocratie sans l’ouverture immédiate, sans conditions, de négociations entre le gouvernement et les syndicats sur la base du mandat des 13, 19, 25 et 27 mai : 37,5 pour tous, public-privé ; retrait du plan Raffarin-Fillon et des mesures de décentralisation.

Le gouvernement s’y refuse ? Alors, que reste-t-il comme recours aux travailleurs, sinon d’en appeler comme ils le font dans leurs assemblées générales, à la grève générale interprofessionnelle dans l’unité des travailleurs, des fédérations et confédérations, pour la satisfaction des légitimes revendications ? N’est-ce pas cela, la démocratie ? »

Comme Blondel au même moment, le PT revendique l’ouverture de négociations. C’est en quelque sorte l’objectif qui est donné à la "grève générale interprofessionnelle", qui bien entendu n’est pas une revendication spontanée des travailleurs, ces derniers exigeant tout simplement la grève générale. Quelques jours plus tard, Blondel fera sienne cette proposition. L’emploi des termes "grève générale interprofessionnelle", par le PT et Blondel n’est pas anodin. Il s’agit d’indiquer qu’en aucun cas la question de l’existence du gouvernement, du combat pour le défaire n’est posée. Hors de "l’assemblée constituante  souveraine", point de salut. »

  Avec le recul, il convient de souligner que cette caractérisation de la politique de ces organisations contre la grève générale, expression de leur orientation opposée au combat pour en finir avec le gouvernement Chirac-Raffarin n’était en rien exagérée, comme le confirme ce qui suit


Confirmation de l’orientation de LO….


En effet, dans la revue théorique de LO, intitulé Lutte de classe de juillet 2003, on lit : « Le mouvement tel qu'il était pouvait-il déboucher sur une grève générale ?
Certains, en particulier parmi ceux qui se sont le plus engagés dans le mouvement, l'ont pensé et exprimé en faisant découler, de la nécessité de la généralisation de la grève pour vaincre, la conclusion qu'une grève générale était possible, voire inscrite dans l'évolution de la mobilisation.
D'autres en ont tiré de l'amertume à l'égard de la CGT, accusant explicitement son secrétaire général, Thibault, de porter une responsabilité déterminante dans le fait de ne pas avoir appelé ouvertement à la grève générale. Mais la direction de la CGT ne mérite ni tant d'honneur ni tant d'indignité.(…)
Mais personne ne peut sérieusement affirmer que même si la CGT avait appelé à la grève générale, le gros de la classe ouvrière, les travailleurs des entreprises privées, de l'automobile, de la métallurgie, de la chimie, auraient suivi.(…)

 Une grève générale ne se déclenche pas en appuyant sur un bouton. Cette idée, juste sur le fond, a aussi bien souvent servi de justification à des directions syndicales qui, de toute façon, ne voulaient pas une mobilisation générale du monde du travail et avaient plus l'habitude d'appuyer sur le frein que sur un bouton.(…)

Les confédérations syndicales, et plus particulièrement la CGT, ont cependant contribué, bien malgré elles, à certains égards, à développer le mouvement. Pour ne prendre que cet exemple, la journée de manifestations du 25 mai, un dimanche, a été, à l'origine, de toute évidence un contre-feu allumé par la direction confédérale, d'une part, pour limiter la portée du 13 mai et, surtout, pour que cette journée du 13 mai ne se prolonge pas par des grèves, un peu, comme il y a près de 40 ans, un certain 13 mai 1968 s'était prolongé les jours suivants pour déboucher sur la grève générale.
Néanmoins, une fois le 13 mai passé, le 25 mai est devenu un nouvel objectif auquel pouvaient se raccrocher tous ceux qui voulaient la continuation du mouvement. Et quelles qu'aient pu être les arrière-pensées des dirigeants confédéraux en appelant à des journées nationales de grèves et de manifestations, celles-ci ont constitué des objectifs intermédiaires permettant au mouvement de se développer. (…)
Accuser la CGT de ne pas avoir appelé à la grève générale est compréhensible lorsqu'il s'agit d'un militant de la grève, surtout cégétiste, déçu parce que le mouvement n'est pas allé jusqu'où il espérait qu'il aille. Venant de certains appareils syndicaux concurrents de la CGT, comme SUD, ou de certaines organisations gauchistes, c'est souvent intéressé et surtout non seulement inepte mais aussi défaitiste. Si la grève générale dépendait des chefs syndicaux réformistes, ce serait à désespérer de l'avenir. (…)

Voilà pourquoi la seule politique efficace dans cette grève n'était pas de proposer des motions pour interpeller les directions syndicales afin qu'elles veuillent bien appeler à la grève générale. Elle était dans le fait d’œuvrer à la base pour que les grévistes généralisent eux-mêmes leur grève. » [souligné par nous –ndlr]

Comme plaidoyer en défense des dirigeants de la C.G.T. on ne peut pas trouver mieux. Pour LO, si la grève générale ne s’est pas engagée, c’est la faute aux travailleurs qui n’ont pas su, comme le disait Bernard Thibault au meeting du 112 juin à Marseille, « faire bouillir la marmite ».


…et de celle du PT (CCI)


Dans La Vérité n° 33 d’août 2003, organe du CCI on lit :
« Le parti des travailleurs respecte les prérogatives des organisations syndicales » a précisé Daniel Gluckstein. Commentant les allégations d’un journal ce matin, selon lequel le PT appellerait à la grève générale, il a ajouté : « Si nous estimions dans la situation actuelle devoir lancer un mot d’ordre qui serait nécessairement politique, nous le ferions. Mais à l’heure actuelle, ce que nous constatons, c’est que des millions de travailleurs se tournent vers les directions des organisations syndicales pour poser la question de la grève générale interprofessionnelle et nous estimons que cette demande est parfaitement légitime » [souligné par nous – ndllr].

  Pour que les choses soient parfaitement claires, le PT a jugé nécessaire de mettre les points sur les i et de rectifier publiquement : oui le mot d’ordre de grève « interprofessionnelle » (donc non politique) s’opposait à celui de grève générale parce que la situation n’était pas propice à lancer un mot d’ordre politique. En clair, en aucun cas l’existence du gouvernement Chirac-Raffarin ne devait être remise en cause.

Lle PT (CCI) et les prochaines élections


Le PT a décidé d’appeler à ne pas voter pour les prochaines élections régionales mais, par contre, il présentera près de 400 candidats aux élections cantonales. Bien entendu, il ne donne aucune consigne de vote pour le second tour de ces dernières élections et il ne s’agit en aucun cas de se désister en faveur des candidats du PS et du PCF contre ceux de l’UMP, de l’UDF et du FN. Pour justifier cette position pour les régionales, Pierre Lambert et Daniel Gluckstein déclarent :

« (…) ce qui se dessine, c’est qu’on ne va pas appeler à voter aux régionales. On voit bien qu’il s’agit d’organiser la dislocation de la République et de l’ensemble des droits ouvriers » (Le Monde du 19/01/2003)

  Il faut tout de suite souligner que cette argumentation ne peut convaincre que les imbéciles. En effet, si participer aux élections régionales c’était accepter « la dislocation de la République et des droits ouvriers », il en serait de même pour la participation aux élection cantonales. En effet, le projet de loi sur le transfert de compétences concerne autant les régions que les départements. Le RMI et la gestion d’autres fonds sociaux ont déjà été transférés à ces derniers et le projet de loi prévoit, par exemple, que la gestion des personnels techniques et ouvriers des services des collèges leur soit confiée, tout comme celle des personnels des Directions départementales de l'Equipement.

  Réuni le 11 novembre 2003, le conseil national du Parti des travailleurs adoptait l’orientation suivante :
« Au triptyque composé de l’Union européenne, des régions, de l‘intercommunalité forcée, nous opposons un triptyque classiquement républicain : la République une et indivisible, le département et la commune. (…) Défendre la République une et indivisible, défendre la souveraineté de la nation, c’est défendre l’indépendance des organisations ouvrières, aujourd’hui gravement menacée par le processus européen » (Informations Ouvrières n°615 du 12/11/2003)

  Enfin, suite au dernier congés national du PT, Daniel Gluckstein, son secrétaire national, indique :
« D’un côté l’échelon d la région, c’est-à-dire l’’Europe, c’est-à-dire la destruction de la République, c’est-à-dire le communautarisme, c’est-à-dire l’inégalité institutionnelle.

De l’autre côté, le canton, c’est-à-dire le département, l’unité de base de la République fondée sur l’égalité de droit des citoyens. » (Informations Ouvrières n° 624 du 21/01/2004).

On se demande : à quand les piquets pour défendre les préfectures ? Pour le PT (CCI), l’Union Européenne c’est la destruction des nations mais c’est « dans le cadre des nations qu’ont été conquis les droits et les garanties qui sont aujourd’hui mis en cause par la dislocation des nations qu’organise l’Union européenne ». Par conséquent, défendre la nation, défendre la République…c’est défendre les conquêtes de la classe ouvrière et ses organisations. CQFD ! Ce lamentable tour de passe-passe logique est tout ce qu’à trouvé le PT pour justifier l’injustifiable.

Mais pour le PT, il n’est pas une attaque que subissent les travailleurs et la jeunesse dont la source unique ne serait pas l’Union européenne. Ainsi Gluckstein explique : « Les exemples en sont nombreux. Mais il suffit de constater que les mesures touchant à l’existence même de l’assurance maladie, telles qu’elles sont préparées par le « diagnostic partagé » du Haut Conseil, découlent directement du pacte de stabilité. (Informations Ouvrières n° 624 du 21/01/2004).

  Pour le PT, il en est ainsi pour la réforme des retraites, l’accord sur la formation professionnelle (ce qui est un comble si l’on considère la signature des dirigeants de la CGT et de FO), la radiation de 180 000 chômeurs de l’UNEDIC, etc. On se pose la question : et le gouvernement Chirac-Raffarin, le Medef, la bourgeoisie française, le capital dans tout ça ? La politique du PT fait obstacle à ce que le prolétariat et la jeunesse engagent le combat contre le gouvernement et couvre ainsi la politique des dirigeants des dirigeants syndicaux. Car les exemples sont nombreux : si des « Hauts Conseils » comme celui sur la sécurité sociale ou encore comme le Comité d’Orientation des Retraites ont pu voir le jour et permis de préparer la liquidation d’acquis historiques de la classe ouvrière, c’est d’abord parce que les dirigeants des confédérations ouvrières ont accepté d’y participer, matérialisant ainsi leur refus de rompre avec la bourgeoisie et son gouvernement.

  Ajoutons que si c'est à chaque fois l'Union Européenne, sinon le FMI, qui sont en cause – même pour les licenciements, affirme le PT – alors comment, contre qui combattre, comment pour la classe ouvrière saisir à la gorge cet ennemi fantomatique? A quoi bon combattre le patron qui licencie si c'est "la faute à l'Europe"? A quoi bon combattre les projets de lois du gouvernement Chirac-Raffarin si en réalité seules comptent les directives européennes? En réalité, la mise en cause de "Maastricht" (stupéfiante quand on sait que ni ce traité, ni ses critères ne s'appliquent plus depuis la mise en place de l'euro et l'explosion du pacte de stabilité!) est une orientation de capitulation totale dans la lutte des classes.

  Dans son propre registre, l’orientation du PT, cristallisant une complète dégénérescence, comme celles de LO et de la LCR, s’oppose au combat pour le front unique des organisations ouvrières pour affronter et vaincre le gouvernement Chirac-Raffarin. Elle concourt aussi à désarmer politiquement le prolétariat.


LO/LCR/PT : flancs-gardes des appareils


A l’occasion des élections régionales et en considérant leurs orientations dans le mouvement contre la réforme des retraites Chirac-Raffarin-Fillon, il se confirme une fois de plus que la LCR, LO et le PT n’ouvrent pas la moindre perspective politique au prolétariat et la jeunesse. En refusant de combattre pour la rupture des dirigeants des confédérations et fédérations ouvrières et des partis ouvriers traditionnels avec le capital, en s’opposant au front unique de ces organisations pour vaincre et chasser le gouvernement Chirac-Raffarin, en refusant de combattre pour un gouvernement issu de ce front unique, la LCR, LO et le PT participent du désarroi politique du prolétariat et et de la jeunesse. Dans cette voie, elles tournent le dos à la construction d’un véritable Parti Ouvrier Révolutionnaire : le CCI avec le PT, la LCR avec son appel à un grand parti anticapitaliste, féministe et écologiste, LO en repoussant après chaque élection l’appel à la constitution d’un tel parti. De plus, ces organisations tendent à s’inscrire dans le combat politique que mènent la bourgeoisie, le PS, le PCF et les bureaucraties syndicales pour en finir avec les acquis politiques produits du combat de la classe ouvrière et de tout le prolétariat pour son émancipation, bref pour en finir avec le marxisme.

  Mais, pour autant, il est indiscutable qu’une fois de plus, des centaines de milliers de travailleurs et de jeunes, écœurés par la politique du PS et du PCF, comme lors du premier tour des dernières élections présidentielles, voteront pour les listes d’ « extrême gauche ». Par ce vote, ils ne manifesteront pas leur adhésion à leur programme ; ils exprimeront simplement une aspiration réelle à trouver une issue politique.

Le 13 février 2004.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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