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article paru dans CPS n°37 de mai 2009

Universités : le mouvement des enseignants-chercheurs
trahi par les directions syndicales


Au moment où cet article est publié, les universités sortent d'un mouvement sans précédent depuis 1968 du côté des enseignants-chercheurs. Pendant des mois, à partir de la fin janvier, ces derniers ont cherché à défendre leur statut national, remis en cause par le gouvernement Sarkozy-Fillon, ainsi qu'à interdire le dynamitage, sous prétexte de « masterisation », de la formation des maîtres – prélude à la liquidation des statuts nationaux de l'ensemble des enseignants, ainsi que des concours nationaux. Par milliers, des étudiants, voyant leur avenir et le droit aux études remis brutalement en cause, des personnels, subissant déjà des mesures d'évaluation individuelle et d'individualisation de leur rémunération, et la masse des chercheurs scientifiques, en butte au démantèlement du CNRS, ont cherché à rejoindre ce mouvement.

Le 6 mai, plus de trois mois après le déclenchement de cette mobilisation nationale, le premier ministre Fillon n'en pouvait pas moins déclarer devant les journalistes que son gouvernement ne cèderait pas. Il invoquait explicitement la « concertation » avec les directions syndicales:  « Nous avons été complètement ouverts à la discussion et à la négociation, et on a réussi à apaiser la plupart des craintes. » Puis il annonçait, cynique et goguenard, la répression : « Maintenant, je dis à la petite minorité qui bloque les universités et qui use de la violence qu'elle est coupable de gâcher l'avenir d'une majorité d'étudiants de notre pays, d'abaisser la réputation de nos universités, de casser le service public (...) Chaque fois qu'un président d'université nous le demandera, nous répondrons présent pour rétablir l'ordre à l'intérieur des universités. » (Le Figaro). Des descentes de police et des retraits sur salaire massifs ont montré qu'il ne s'agissait en rien d'une forfanterie.

Le 25 avril, de décrets modifiant le statut des enseignants-chercheurs et instituant un « contrat doctoral » pour les étudiants-chercheurs ont été publiés. Une première mouture des textes de mise en œuvre de la nouvelle « formation des maîtres » ont été publiés à la mi-mai sur le site du Ministère de l'Education Nationale. Les groupes de travail associant les directions syndicales à cette forfaiture n'avaient pas même rendu leurs conclusions, ce qui en dit long sur le rôle du « dialogue social ». Cerise sur le gâteau pour le gouvernement : le 28 mai, les représentants de la FSU et de ses syndicats au Conseil Technique Paritaire Ministériel poussaient la trahison jusqu'à... s'abstenir sur une bonne partie des décrets de mise en œuvre de cette contre-réforme.

Les enseignants-chercheurs, les chercheurs scientifiques, et avec eux les étudiants et les personnels qui ont cherché à les rejoindre, donc viennent de subir une dure défaite. Cette défaite prolonge celle que les étudiants ont subie en 2007 avec l'échec du combat contre la LRU, instituant l' « autonomie » complète des universités (v. CPS n°31). Faisant sien le cri de guerre des barbares, « Vae victis !» (malheur aux vaincus), Fillon n'a pas manqué, une nouvelle fois, de se féliciter du saccage de l'université publique : « Chacun doit maintenant savoir que jamais, jamais, nous ne reviendrons sur l'autonomie des universités » (Le Monde du 13 mai).

Cette défaite n'était nullement certaine : bien au contraire, comme nous le verrons, la puissance du mouvement des enseignants-chercheurs a pour un temps mis le gouvernement en difficulté. Il faut en faire l'analyse et de tirer un bilan, dégager les leçons et les perspectives dont les enseignants, les personnels et les étudiants ont besoin : « Ne pas rire, ne pas pleurer: comprendre » (Spinoza).


Les directions syndicales connaissaient les contre-réformes de longue date


Les contre-réformes que les enseignants-chercheurs, les personnels et les étudiants ont cherché à combattre ne sont pas le fruit d'une offensive brutale et inopinée du gouvernement. Elles ont été annoncées de longue date par Sarkozy et sa suite : les directions syndicales, consultées à chaque étape, ont refusé de s'y opposer pendant des mois.

La « réforme » des statuts des enseignants-chercheurs découle ainsi de la loi LRU, votée lors de l'été 2007, contre laquelle l'UNEF avait obstinément refusé d'engager le combat et le Snesup, syndicat majoritaire chez les enseignants, s'était borné à une opposition de façade, sans réel combat (v CPS n°31). Cette loi renforce considérablement le pouvoir des présidents d'université en matière de gestion et de recrutement, ouvre en grand les portes des conseils d'administration aux représentants du patronat, offre la possibilité à ces derniers de créer des « fondations » soumises à leurs besoins et de co-élaborer des diplômes « maison »: elle implique de subordonner étroitement la recherche et les moyens scientifiques des universités aux exigences des capitalistes.

L'annonce par le gouvernement, à la rentrée 2009, de 900 suppressions de postes dans l'enseignement supérieur indiquait clairement un objectif corollaire: réduire à la portion congrue le temps de travail consacré à la recherche pour la masse des enseignants-chercheurs, palliant par un service d'enseignement accru le tarissement du recrutement. Le rapport Schwartz, commandité par le gouvernement et remis dès juillet 2008, préconisait donc logiquement l'institution d'une « modulation des activités tout au long de la carrière » (pp. 122 à 125). Il fallait pour cela liquider les statuts nationaux des enseignants-chercheurs tels qu'ils étaient définis depuis 1984. Un projet de « contrat doctoral » pose en outre des conditions à l'accès au troisième cycle universitaire. Invitées au cabinet de la ministre Pécresse dès le 5 septembre, les directions syndicales n'en exigeaient pas pour autant que ces projets fussent mis au placard.
La « réforme » des concours et de la formation des enseignants avait, elle, été annoncée par Sarkozy en personne, dès l'orée de l'été 2008. Le 13 octobre suivant, Darcos annonçait sa mise en oeuvre rapide, l'AFP précisant que « les enseignants [seraient désormais] formés à l'université et non plus à l'IUFM et recrutés au niveau bac+5 (master) », le contenu des concours devant de fait être « modifié pour la session 2010, qui se tiendra en janvier et juin 2010 ». Prouvant le grand cas qu'il fait des suggestions des bureaucrates syndicaux, Darcos tirait cette idée de « master enseignement » de l'arsenal des « revendications » avancées par la direction du SNES: il s'agit en réalité de prendre appui sur cette supercherie pour liquider l'année de stage professionnel rémunéré, ultérieure aux concours, pour la remplacer par une année de formation universitaire au rabais. Des dizaines de milliers d'étudiants étant contraints à ce titre d'exercer dans les établissements en contrepartie d'une « gratification de stage » dérisoire et insultante.

Daniel Robin, secrétaire national du SNES, ne s'en félicitait pas moins:
« On jugeait indispensable qu'il y ait une épreuve de vérification des connaissances disciplinaires, alors on est satisfait (...) Là où on est en désaccord avec le ministère, c'est que l'on veut une année de formation, de stage, après le recrutement, pour que ce soit une véritable année de formation. » (Dépêche de l'éducation, 13/10/2008).
Critique de façade, l'essentiel étant que le SNES acceptât par avance de discuter de ce projet réactionnaire.

Dès la fin 2008, des étudiants et enseignants ont cherché à engager le combat contre cette « réforme ». Le 9 décembre 2008, à l'initiative de militants du Groupe, 300 étudiants se prononçaient lors d'une AG de Clermont II pour que la direction de l'UNEF exige le « retrait du projet de réforme Darcos des concours enseignants » et organise une « conférence nationale des élus d'AG » pour organiser le combat dans ce sens (v CPS n°35). Le 21 janvier 2009, la même perspective était proposée par les élus du courant Front Unique au Conseil National de la FSU. Mais, tandis que les dirigeants de l'UNEF faisaient la sourde oreille, les dirigeants de la FSU, y compris ceux du Snesup, avec l'appui des militants du « Nouveau Parti Anticapitaliste » de Besancenot ou au « Parti Ouvrier Indépendant » de Gluckstein, s'y opposaient.

Dans les jours qui suivent, alors que l'annonce par Darcos d'un « report » de la contre-réforme des lycées soulignait les difficultés du gouvernement à faire passer sa politique, les enseignants-chercheurs vont pourtant contraindre leurs syndicats à modifier leur ligne de conduite.


22 janvier : les enseignants-chercheurs engagent le combat


Face à la mobilisation naissante des enseignants-chercheurs, les dirigeants s'étaient contentés d'appeler, le 20 janvier, à « amplifier les actions locales », s'opposant à toute centralisation et réclamant des « négociations » sur les contre-réformes. Deux jours plus tard, la première coordination nationale des universités a pourtant lieu « à l’initiative de la coordination de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne qui rassemble des non-syndiqués et des représentants de l’UNSA, CGT, FSU, FO, UNEF, FSE et SUD ». Elle va permettre de centraliser et de donner une dimension nationale au mouvement.

Réunissant des représentants de 47 universités, elle va lancer un ultimatum au gouvernement :
« si le ministère ne retire pas, sans préalable : 1) le projet de décret sur le statut des enseignants-chercheurs 2) la réforme de la formation et des concours de recrutement des enseignants du premier et du second degré, l’université française se mettra en grève totale, reconductible et illimitée : le 2 février 2009 l’université s’arrête. ».
Par la suite, s'y adjoindront l'exigence du retrait du contrat doctoral et celle, importante, de l'arrêt des suppressions de postes. Le même jour, encore convaincu de la solidité du verrou apposé par les dirigeants syndicaux aux universités et aux centres de recherche, Sarkozy se permettait d'insulter les chercheurs, dénonçant « un système infantilisant, un système universitaire faible »:

« Franchement, la recherche sans évaluation, cela pose problème (...) Plus de chercheurs statutaires, moins de publications et, pardon, je ne veux pas être désagréable, à budget comparable, un chercheur français publie de 30 à 50% en moins qu'un chercheur britannique dans certains secteurs. Evidemment, si l'on ne veut pas voir cela, je vous remercie d'être venus, il y a de la lumière, c'est chauffé, on est pour ainsi dire déjà fatigué! (...) Il faut le dire: des résultats médiocres, médiocres, médiocres... »
Cette provocation grossière piquait les universitaires et les scientifiques au vif, faisait prendre conscience aux couches les plus réactionnaires de la profession que, cette fois, c'étaient l'université et la recherche en tant que tels qui étaient mis en cause.

Le 29 janvier, les millions de manifestants défilant contre la politique du gouvernement Sarkozy vont donner un puissant souffle au mouvement des universitaires, qui va réellement se déclencher le lundi 2 février. Lors de la semaine du 2 au 6 février, la grève s’étend dans les universités, y compris, fait historique, dans des bastions réactionnaires tels qu'Assas ou Lyon III: les Assemblées Générales sont massives, rassemblent par milliers les enseignants-chercheurs avec l'appui des étudiants, des BIATOS, des chercheurs et ITA.

Le 4 février, dans un appel intersyndical à manifester le 5, tous les syndicats se prononcent pour les revendications des personnels: retrait du projet de décret modifiant le statut des enseignants-chercheurs ; retrait de la réforme de la formation des enseignants du 1er et 2nd degrés ; arrêt du démantèlement des organismes de recherche ; restitution des postes supprimés au budget 2009; retrait du projet de décret dit « contrat doctoral ».


La direction du Snesup est contrainte de rompre le « dialogue social »


Devant la puissance du mouvement, la direction du Snesup va être contrainte, pendant plusieurs semaines, de rompre officiellement toute « concertation » avec la ministre Pécresse. Cette situation va, à son tour, mettre le gouvernement en difficulté.
Le 5 février, près de 50 000 universitaires manifestent dans toutes la France. V. Pécresse, venue inaugurer l’université UDS de Strasbourg, est accueillie sous les huées des 2000 enseignants et étudiants. Elle propose aux organisations syndicales une rencontre le 11 février autour « d’une charte de bonne conduite » … pour accompagner l’application du décret.
Mais le Snesup-FSU, principal syndicat des enseignants-chercheurs, n’a pas d’autre choix que de décliner l’offre de V. Pecresse, tout comme la CGT majoritaire chez les personnels BIATOS. Le Snesup appelle en outre nationalement au boycott du dépôt des maquettes de « master enseignement » que Darcos voulait faire élaborer par les conseils des universités – boycott déjà effectif sur de nombreux sites. L’UNSA et le SGEN-CFDT - qui n'ont certes de syndicats que le nom – ainsi que le SNPREES-FO participeront de bout en bout à toutes les discussions pour aider le gouvernement à sortir de l’impasse: ils sont conspués et marginalisés dans les assemblées générales.

Le 11 février se tient la 3eme coordination des universités à l’université Paris 8. Elle rassemble des représentants de près de 70 universités sur les 85, appuyés par des délégués du CNRS et des IUFM. La CGT, le Snesup et l’UNEF y sont officiellement représentés. Elle conclut son communiqué du matin par :
« La coordination affirme que tous les représentants de l’Université et la Recherche se trouvent en ce jour réunis à l’université Paris 8, et non au Ministère où ne se déroule qu’une parodie de consultation. »


Le gouvernement est mis en difficulté


La constitution d'une coordination nationale des universités, massivement appuyée par les enseignants-chercheurs, à laquelle étudiants, personnels et chercheurs scientifiques cherchent à s'associer, et le boycott des concertations par les syndicats majoritaires vont dès lors poser un sérieux problème au gouvernement.

Tant que le gouvernement s'est trouvé confronté à ce boycott, il lui a été impossible d'avancer dans la mise en oeuvre de ses réformes. Les Dépêches de l'éducation titrent le 12 février: « Deux ministres, Mme Pécresse et M. Darcos, en situation délicate ».

Le boycott des maquettes de « master enseignement », quasi-unanime, contraint le gouvernement à reporter la date-butoir de leur dépôt du 15 février au 31 mars (en vain). Le 23 février, Pécresse renonce à participer à un colloque sur la réforme de la recherche à la Cité des Sciences. Au sein même du Snesup, les partisans de la reprise des « concertations » sont mis en minorité : son secrétaire national, J. Fabbri, n'a pas d'autre choix que de déclarer à Pécresse, le 24, le refus de se rendre à la convocation du ministère trois jours plus tard.

Dans ces conditions, la tentative de « médiation » en vue de replâtrer le dispositif gouvernemental fait chou blanc : Fillon, le 26, est lui-même contraint d'intervenir et d'annoncer l'arrêt des suppressions de postes d'enseignants pour 2010 et 2011, ainsi qu' une qu’une réécriture « totale » du projet sur les statuts. Malgré cela, si un décret « réécrit » sans l'aval du Snesup est rendu public le 6 mars, le gouvernement attendra près de deux mois, une fois le mouvement largement liquidé, pour en publier une version définitive.
Le Canard Enchaîné du 4 mars attribuait à Sarkozy, avec le langage fleuri qu'on lui connaît, ces propos :
« Je ne veux plus voir les enseignants, les chercheurs et les étudiants dans la rue ! Fini le projet de décret. Fini aussi la suppression des IUFM. Vous me réglez ça. Vous vous couchez. Je m'en fous de ce que racontent les cons du ministère ! S'il le faut, vous n'avez qu'à faire rédiger les textes par les syndicats, mais qu'on passe à autre chose ! On a bien assez de problèmes comme ça. »

« Faire rédiger les textes par les syndicats » ! Faute de la participation des dirigeants syndicaux à sa politique, le gouvernement ne peut avancer. Le retour du Snesup à de meilleures dispositions constituera, on le verra, une condition nécessaire à la relance de ses contre-réformes.


La question de la grève générale des universités était posée


A contrario, imposer le retrait des contre-réformes supposait que fût réalisée une autre condition : que le mouvement des enseignants-chercheurs, centralisé, donnât l'impulsion à une véritable grève générale des universités, étendue aux étudiants et aux personnels. Que cette aspiration s'exprimât à travers une puissante manifestation nationale à Paris, au siège du pouvoir, pour le retrait des projets de décrets Pécresse et Darcos. Cela impliquait que les enseignants, étudiants et personnels prissent conscience de la nécessité d'affronter le gouvernement et de lui infliger une défaite : une perspective que personne, au sein des directions syndicales élevées au grain du « dialogue social », n'était disposé à ouvrir.
La coordination nationale des universités, sous l'influence des appareils, n'appellera ainsi jamais clairement à la grève générale des universités, lui substituant le mot d'ordre confusionniste de « grève totale, reconductible et illimitée », autrement dit votée AG par AG. Dans de nombreuses universités fleuriront dès lors les « grèves alternatives », les « cours alternatifs »... voire le port de brassards blancs tenant lieu de grève, à la manière « japonaise ».
Sous la pression de la coordination des universités, la direction du Snesup a, il est vrai, été contrainte d'appeler dans un premier temps à la tenue d'une manifestation centrale le 10 février : dans les faits, cependant, les représentants syndicaux dans les AG ont combattu ce mot d'ordre, au prétexte que des manifestations locales seraient plus massives. La direction de l'UNEF, de son côté, appelait à « une journée de grève et de manifestations » pour demander « un changement de cap en matière de politique universitaire », et non le retrait des contre-réformes. La manifestation nationale sera escamotée, malgré la mobilisation de 100000 manifestants dans toute la France, dont la majorité des enseignants-chercheurs.

Le 12 février, le secrétaire général de la FSU Aschieri déclarait à l'AFP: « Celui qui a la main, de toutes façons, c'est Nicolas Sarkozy ». Il s'opposait de fait à la mise en cause de l'Elysée et du gouvernement. A l'instar d'Aschieri, les directions syndicales vont effectivement peser de tout leur poids pour empêcher que la mobilisation des universitaires n'aboutisse favorablement.


Les dirigeants de l'UNEF et les gauchistes empêchent la jonction étudiants-enseignants


L'exigence du retrait de la « réforme » de la formation des enseignants, dès lors qu'elle était avancée par le mouvement des enseignants-chercheurs, ouvrait une perspective : celle de la jonction des universitaires avec les étudiants, confrontés par milliers à la remise en cause de leur avenir, ainsi qu'avec l'ensemble des enseignants du premier et du second degré. Cependant, du côté des étudiants, les dirigeants de l'UNEF se sont signalés tout au long du mouvement par un refus obstiné de rompre avec le gouvernement et d'exiger le retrait de ses projets. Contrainte d'afficher son « soutien » au mouvement, pour donner le change, elle a en réalité oeuvré à interdire l'émergence d'un front uni étudiants-enseignants, avec le soutien des gauchistes de tous poils (FSE, SUD, CNT...).

Des représentants étudiants élus par les AG et des représentants de l'UNEF, ès qualité, avaient siégé au sein des trois premières coordinations des universités. Mais les 14 et 15 février, alors que la mobilisation étudiante était encore balbutiante, ces dirigeants flanqués des gauchistes organisaient à Rennes une « coordination étudiante » distincte. Dirigée de fond en comble par l'appareil de l'UNEF, qui triait les revendications à sa guise, cette « coordination » bidon décidait de porter l'accent sur une autre exigence que celles de la coordination des universités : l'abrogation de la LRU... votée un an et demi plus tôt. L'exigence que l'UNEF rompe les concertations avec Pécresse, défendue par des militants du Groupe élus dans leurs AG, n'était pas, elle, soumise au vote, au prétexte que les délégués n'étaient pas « mandatés » pour cela.

Mettre en avant l'exigence d'abrogation de la LRU était une opération de sabotage pure et simple. Certes, pour les étudiants comme pour les enseignants et personnels, cette loi est la pièce maîtresse du dynamitage de l'enseignement supérieur public, remettant en cause tant le droit aux études et la valeur des diplômes que les garanties statutaires ou la liberté pédagogique et scientifique des enseignants. Mais le vote de la LRU, l'échec des tentatives pour interdire son implication en 2007-2008, impliquaient que son abrogation ne pouvait être arrachée qu'en chassant le gouvernement Sarkozy-Fillon et en portant au pouvoir un autre gouvernement, favorable aux travailleurs et à la jeunesse. Un objectif démesuré, que les étudiants ne pouvaient porter sur leurs seules épaules, et qui devait de fait les décourager d'engager le combat. Réunir les conditions pour que s'engage un vaste front uni contre Sarkozy supposait au contraire que s'engageât la grève générale des universités, via un comité central de grève unifié, sur les mots d'ordre de retrait de la « réforme des concours » et du projet de décret sur les enseignants-chercheurs. Précisons-le pour bien faire ressortir la rouerie des dirigeants syndicaux et des gauchistes : à aucun moment, les uns ou les autres n'ont sérieusement envisagé de quitter les nouveaux Conseils d'Administration découlant de la LRU, appelant au mieux à des actions de blocage ponctuelles de ces CA, actions souvent impuissantes.

Il n'est donc pas étonnant que les dirigeants de l'UNEF, qui un an plus tôt avaient apporté un soutien sans faille à la mise en œuvre de la LRU, aient fait preuve d'une telle complaisance vis-à-vis des gauchistes. A l'opposé, la question de la pseudo-mastérisation, fondamentale, sera à peine effleurée par ce syndicat, y compris lors de son congrès national (voir l'entretien avec deux participants à ce congrès en annexe de cet article). Les gauchistes, quant à eux, assumant leur part de bousille dans un jeu de rôles défini de part et d'autres, scandant sur tous les tons leur condamnation de l'UNEF, feront usage de la LRU comme d'une pomme de discorde entre étudiants et enseignants, ces derniers étant accusés de ne pas s'y être opposés.

Le 20 février, la 4è coordination nationale des universités, consécutive à la tenue de la « coordination étudiante », est snobée par les dirigeants de l'UNEF. Elle n'en décide pas moins de reprendre à son compte l'exigence d'abrogation de la LRU, tout en précisant... qu'elle demande au gouvernement d'élaborer une nouvelle loi « après consultation et de véritables négociations ». La boucle est alors bouclée, personne ne pouvant sérieusement croire que le gouvernement reviendrait de lui-même sur sa victoire. Sous de tels auspices, la mobilisation étudiante restera minoritaire tout au long du mouvement. La voie d'un véritable front uni étudiants-enseignants sera, elle, occultée, tandis que les partisans du « blocage » des universités et des « actions radicales » nourriront le pourrissement.
Darcos, le 17 février, se félicitait de l'attitude des dirigeants de l'UNEF: « La masterisation ne me paraît pas en soi poser un problème », car la concertation « se passe bien. On n'est pas d'accord sur tout, c'est un peu chaud, mais ça se passe. » (AFP).


 Les dirigeants FSU contre la jonction « de la maternelle à l'université »


Pour les enseignants du premier et du second degré, la pseudo-masterisation ne revêtait pas moins d'importance que pour les étudiants. Elle constitue en effet une étape préliminaire à la remise en cause de leurs statuts nationaux, à celle des concours nationaux, tout en préparant le terrain à la constitution d'un vaste « vivier » d'enseignants précaires, titulaires du master mais pas d'un concours. L'exigence d'une mobilisation unitaire « de la maternelle à l'université » s'est donc naturellement exprimée, sous une forme déformée, au sein de la coordination nationale des universités.

A cette aspiration répondait une réelle volonté de jonction au sein d'une fraction significative d'enseignants du premier et du second degré. Ainsi, le 2 mars, au sein même du Bureau National de la FSU, fédération majoritaire chez les enseignants de toutes catégories, un amendement demandant qu'elle se prononce pour « le retrait de la réforme des concours » obtenait 8 voix pour, 7 contre et 7 abstentions. Majoritaire en fait, cette orientation n'en était pas moins rejetée au nom des principes antidémocratiques en vigueur dans la FSU (majorité requise de 70%). La demande, imposée par Aschieri et son secrétariat, d'un simple « report » était ainsi réaffirmée.
La coordination des universités avait souhaité que le 10 mars fût une journée d'action impliquant tout l'enseignement public : la FSU décidait de la déplacer le mercredi 11, sans appel à la grève... et sans que ses syndicats appelassent en réalité les enseignants à effectuer cette jonction. L'échec lamentable de cette journée provoquait un tollé chez les enseignants-chercheurs et au sein même du Snesup.

L'exigence du retrait de la pseudo-masterisation n'en a pas moins continué de s'exprimer au sein de la fédération : début mars, la direction nationale du SNUIPP (enseignement primaire) se voyait contrainte de l'intégrer, tout en l'y noyant, à sa plate-forme de revendications. Dans de nombreux congrès académiques du SNES (Nancy-Metz, Créteil, Versailles, Clermont-Ferrand, Lille...), cette exigence était largement votée. A Créteil, le secrétaire national Daniel Robin, intervenant personnellement pour faire passer la pseudo-exigence d'une « élévation du niveau de recrutement », véritable feu vert envoyé au gouvernement, était défait.

C'est alors que l'appareil fédéral, derrière Gérard Aschieri, a décidé de peser de tout son poids pour interdire que la FSU reprenne à son compte l'exigence formulée dans les assemblées générales. Voyant leur place dans cet appareil remis en jeu, l'ensemble des dirigeants syndicaux, et derrière eux les militants syndicaux du NPA et du POI, ont accepté lors du Conseil National de la FSU des 16 et 17 mars de s'accorder sur le mot d'ordre... d' « abandon », assorti de la demande de négociations en vue de mettre en place une nouvelle « réforme ».

Quatre jours plus tard, accusant réception d'une lettre de Darcos, l'appareil FSU et tous ses syndicats enseignants révélaient la finalité de cette manœuvre en saluant « des évolutions qui prennent en compte les mobilisations » à travers « le maintien des concours 2009-2010 sous sa forme actuelle », maintien imposé en réalité par le boycott des maquettes des « masters enseignement »... Ils reprenaient la « concertation » sur les objectifs inchangés du ministre, au sein de la commission Marois-Filâtre conçue à cet effet, portant un coup de poignard décisif dans le dos des enseignants-chercheurs mobilisés (voir à ce sujet les Lettres de liaison n°147 et 148 du courant Front Unique, ainsi que l'éditorial de CPS n°35).


Les dirigeants syndicaux parachèvent la dislocation


Sur le modèle de la « coordination étudiante » impulsée par les dirigeants de l'UNEF, les différents appareils CGT et FSU ont œuvré à concasser la mobilisation des universités publiques. Pour cela, s'opposant à la mise en place d'un véritable comité central de grève, ils ont démultiplié les « coordinations » corporatives et parcellaires, instances qu'ils ont animées et contrôlées avec l'appui de leurs flancs-gardes d' « extrême gauche » et de divers collectifs (Sauvons l'université, Sauvons la recherche).

Ce ne sont pas moins de 6 « coordinations » particulières qui vont progressivement émerger en parallèle à la « coordination des universités », prétendant représenter respectivement les étudiants, les laboratoires, les IUT, les IUFM, les doctorants et les BIATOS...

Toutes se réunissant sur des mots d'ordre distincts, à des dates distinctes, liquidant de fait l'effet d'entraînement que la mobilisation décisive des enseignants-chercheurs aurait pu provoquer. La radicalité de façade permettait en pratique de finir ce travail de sape.

Témoin la plate-forme imposée aux seuls personnels BIATOS qui exigeait notamment
« - l'abrogation de la RGPP, du Pacte recherche et de la LRU - le retrait du projet de loi de mobilité pour les fonctionnaires - l'alignement des droits des personnels non-titulaires sur les droits des titulaires - l'intégration des personnels précaires sur des emplois statutaires d'Etat - l'augmentation uniforme de 300 euros des salaires - aucun salaire inférieur à 1500 euros »...

La « coordination nationale des universités » se voyait quant à elle subordonnée aux conclusions de chacune de ces instances, dépossédée des prérogatives d'un véritable comité central de grève.


La coordination des laboratoires


La plus importante de ces coordinations a été celle des laboratoires. Le 12 mars, elle a rassemblé des délégués de plusieurs centaines de sites du CNRS ou d'unités mixtes universités-organismes. Cette assemblée est l’occasion de rendre publique la désassociation de plusieurs laboratoires qui ont perdu toutes subventions du CNRS, préfigurant ce que le gouvernement veut généraliser.

Ces attaques sont vertébrées par deux lois : la LRU et le « Pacte pour la recherche » voté en 2006. Deux agences, l’ANR (Agence Nationale pour la Recherche) et l’AERES (Agence d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur) découlent de ce pacte. L’ANR conditionne les subventions aux laboratoires à des « projets » et contrats d'objectifs, imposant par le biais de ces contrats le recrutement massif de personnels précaires ; l’AERES, sous prétexte d'« évaluation », permet de supprimer les financements dans les domaines « inutiles », c'est-à-dire non générateurs de profit.

Il en est toutefois du « Pacte pour la recherche » comme de la LRU : son abrogation ne pouvait constituer un objectif immédiat, atteignable par la seule mobilisation du CNRS et des universitaires. La « coordination des laboratoires » va jouer de ce fait le même rôle que celui de la « coordination étudiante » : intégrant à sa plateforme l'exigence de l'abrogation des deux lois, elle va noyer et occulter un peu plus les mots d'ordre sur lesquels la mobilisation s'était engagée, à commencer par l'opposition unifiante aux suppressions de postes. Toutes les propositions allant dans le sens de la convergence des coordinations vont, elles, être enterrées par la tribune.
Un fait montre que le gouvernement a apprécié cette « coordination » à sa juste valeur : le lendemain de sa tenue, le 13 mars, le gouvernement promulgue un décret contre l’INSERM l’engageant sur la voie de sa transformation en agence de moyens.

La signature prévue d'un contrat entre l'Etat et le CNRS, parachevant l'application du « Pacte pour la recherche », aurait quant à elle pu constituer un enjeu saisissable pour les chercheurs : ce contrat, qui devait être soumis au conseil d'administration du CNRS le 26 mai, a été reporté à l'été en raison d'un boycott organisé par les syndicats.

Pourtant, ces derniers, notamment les dirigeants du SNCS-FSU majoritaire, n'ont à aucun moment exigé son retrait pur et simple, déclinant au contraire leur litanie sur la « réouverture des discussions sur les contrats Etat-Organismes » (compte-rendu intersyndical de l’entrevue avec Pecresse du 31 mars). Le reflux de la mobilisation laisse ainsi toute latitude au gouvernement pour faire passer ce coup de grâce à la recherche publique.


La direction du Snesup met fin à son boycott


Eu égard au rôle central joué par les enseignants-chercheurs dans ce mouvement, c'est à la direction nationale du Snesup qu'est revenu le privilège douteux de leur porter l'estocade finale.

Après la mise en quarantaine du mouvement par les directions FSU et UNEF, les divers syndicats de l'enseignement supérieur et de la recherche ont cherché à toute force à renouer le fil du « dialogue social » avec le gouvernement. Les 6 et 7 avril se tenaient respectivement la 8è coordination nationale des universités et la 2è coordination des laboratoires. Au centre des débats de cette dernière se trouvait la « proposition », formulée par les dirigeants syndicaux, SNCS, CGT et SUD, de participer à quatre groupes de travail créés par V.Pécresse. Ces dirigeants refusaient de soumettre au vote les motions qui leur étaient opposées : le préalable du retrait du projet de liquidation des statuts était évacué, contre la volonté manifeste de la majorité. Parallèlement, la « coordination nationale des universités » escamotait ses revendications précises en se bornant à « réaffirmer sa détermination à combattre les réformes qui menacent l'université et la recherche », sans autre précision. La question du « dialogue social », elle aussi, était opportunément passée sous silence par cette déclaration.

Une pléthore d’actions « radicales » allant dans le sens du pourrissement (séquestrations de présidents d'universités, boycott des examens), désespérées (démissions administratives, appels à la « désobéissance civile ») ou parfaitement ridicules (invitation à tourner en rond via la « ronde des obstinés », soutenue comme il se doit par O.Besancenot) permettait aux appareils de donner le change.

Le lendemain, le 8 avril, s’est tenu le Conseil Technique Paritaire du Ministère de l’enseignement Supérieur et de la Recherche (CTPMESR) avec à l’ordre du jour la validation du projet de décret sur les allocations de recherche. Notons que la tenue même de ce CTPM avait été cachée aux participants des coordinations qui s’étaient tenues juste avant en particulier la coordination des laboratoires. Il s’agissait pour les dirigeants de lui permettre de se tenir à l’abri d’éventuelles manifestations. Boycottée deux jours plus tôt, lors de sa première session, elle se tenait cette fois-ci en présence de l'ensemble des représentants syndicaux : elle marquait le retour du Snesup aux affaires, constituant l'ultime feu vert apporté au gouvernement.

Le 9, c'était au tour du Conseil Supérieur de la Fonction Publique d’Etat (CSPFE). Le gouvernement pouvait valider le décret des enseignants-chercheurs. Les représentants du Snesup présentaient pour faire bonne mesure moult amendements... que V. Pecresse s’est empressée d’accepter. Consommant sa trahison de façon grotesque, le syndicat saluait dès lors la circulaire d'application de la ministre comme... une victoire : 
« elle représente un recul du gouvernement quant à sa conception initiale de la modulation présentée et constitue un point d'appui pour s'opposer à l'application de certaines des dispositions les plus nocives permises par le décret ».

En fait, la modulation des services, cœur du projet gouvernemental et principal levier dans la destruction des statuts, était maintenue. En parallèle, tous les syndicats concernés participaient aux « groupes de travail » conçus pour remettre la « réforme » des concours sur ses rails.
La trahison consommée, le gouvernement n’a pas traîné : ses décrets, prévus initialement pour le1er janvier 2009, étaient validés le 21 avril par le Conseil d’Etat, le 22 par le Conseil des ministres, avant d'être promulgués et finalement publiés le 25.

Le 28 mai, les textes de mise en œuvre de la « réforme » des concours étaient validés par le CTPM, sous les jérémiades hypocrites des dirigeants syndicaux complices... la FSU décidant de pousser la trahison jusqu'à s'abstenir. La défaite des enseignants-chercheurs est dès lors consommée.


Une défaite cuisante, point d'appui pour le gouvernement


Il faut le dire : alors que le mouvement des enseignants-chercheurs a atteint une intensité sans équivalent depuis 1968, l'échec de ce mouvement constitue un coup très dur, comparable à la défaite de 2003 pour les enseignants du premier et second degré. S'ajoutant à la défaite des étudiants face au passage de la LRU et à celle des chercheurs scientifiques face au « Pacte pour la recherche », elle consacre le dynamitage de l'enseignement supérieur et de la recherche publics, immolant le droit au savoir et à la culture, le droit à l'avenir pour la jeunesse, les potentialités intellectuelles et scientifiques du pays sur l'autel du capitalisme pourrissant.

Cette situation renforce le gouvernement, aiguillonné par la crise, dans son œuvre de destruction de l'enseignement public, de la fonction publique, et son offensive exacerbée contre la jeunesse. Il n'est donc pas étonnant que, prenant appui sur cette bataille qu'il a remportée, ce gouvernement annonce en rafale 34 000 suppressions de postes de fonctionnaires, le déploiement dès la rentrée de dizaines de milliers d'étudiants stagiaires dans les établissements scolaires, la mise en œuvre prochaine du plan Sarkozy-Hirsch offrant des centaines de milliers de stagiaires gratuits au patronat, la remise sur rails de la « réforme » des lycées ou encore l'adoption prochaine de sa « loi de mobilité dans la fonction publique ».
Il est en outre prévisible que cette défaite ait des répercussions profondes sur les organisations, en particulier au sein de la FSU.

Si amers que soient ces constats, il faut en dégager la leçon fondamentale: il a manqué aux enseignants, aux étudiants, aux personnels et aux chercheurs une organisation à même d'imposer aux syndicats la rupture totale des concertations avec le gouvernement, pour arracher le retrait des contre-réformes, et une véritable centralisation du mouvement par le biais d'un comité central de grève appuyé sur les AGs, impulsant la grève générale des universités, la manifestation nationale et centrale contre le gouvernement, l'extension de la mobilisation « de la maternelle à l'université ».

Une telle force, en ceci que son combat ne pourrait l'amener qu'à engager un combat frontal avec le gouvernement, ne pourrait être constituée que par un Parti Ouvrier Révolutionnaire et une Organisation Révolutionnaire de la jeunesse. Partout où ses moyens lui ont permis d'intervenir – les interventions publiées dans CPS et la Lettre de liaison du courant Front Unique en attestent – notre Groupe a combattu pour que ces perspectives soient défendues.

Alors que la crise du capitalisme interdit au gouvernement d'interrompre un seul instant la vague de ses contre-réformes, que cette crise le conduit au contraire à précipiter travailleurs et jeunes dans la misère et la déchéance, notre Groupe invite travailleurs et jeunes à rejoindre le combat pour la construction du Parti ouvrier révolutionnaire et de l’Internationale ouvrière révolutionnaire.

Le 28 mai 2009

 

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