Accueil
Textes constitutifs  
Liens
Abonnement &
Contact

 

France

Situation française

Défense des acquis ouvriers

Echéances électorales

Enseignement public

Etudiants, Lycéens

Interventions, Suppléments

Leçons des luttes de classe

Syndicats, partis


International

Situation Internationale

Situation économique

Afrique

Amériques

Asie

Balkans

Europe

Guerres impérialistes

Moyen-Orient

URSS, Russie, Europe orientale

Article paru dans CPS n°35 de janvier 2009

Italie: Le gouvernement Berlusconi face à une mobilisation exceptionnelle des enseignants et de la jeunesse


Le mouvement de la jeunesse grecque, celui des enseignants, lycéens et étudiants italiens, des lycéens français, ont le même contexte mondial, la même racine : le développement fulgurant d'une crise économique dont personne n'a le pouvoir de dissimuler que c'est une crise du capitalisme, ouvertement confronté à ses limites.
Le silence des médias français sur les grèves et manifestations en Italie, les plus importantes dans le secteur de l'enseignement depuis 68, révèle les craintes de la bourgeoisie sur le danger de "contagion" de la lutte des classes en réponse aux mesures qu'elle doit prendre pour se sauver de sa crise.


Un tournant dans la situation mondiale


" Ce qui jusqu'à hier était inimaginable est imminent. L'Amérique se résigne  à la nationalisation de l'industrie automobile. (...) Elle est frappée au coeur dans sa confiance envers le marché.  "Nous ne voulons pas que l'Etat se mette à gérer les entreprises, il n'a jamais su le faire", a voulu préciser Obama. Et pourtant c'est ce qu'il fera sous la pression d'une urgence sociale aiguë (....).
"Nationalisation"  est un cauchemar que les américains ont longtemps associé à leur ennemi idéologique (...). Nationalisation est le mot que Obama ne veut pas prononcer mais c'est le seul qui décrive le tournant radical imposé par l'état de nécessité(...) . Dans cette situation l'Etat pourra décider, selon l'anticipation du "Wall Street Journal" que "Une partie des usines de GM devra produire des trains, des autobus, des métros, c'est-à -dire des transports publics plutôt que privés". C'est l'antichambre du socialisme? (il faudra) extorquer de douloureuses concessions aux syndicats : "tailles" salariales, sacrifices sévères sur les pensions et l'assurance maladie. En échange les syndicats négocient l'option d'entrer dans l'actionnariat à leur tour : c'est quasiment le communisme, ou peut être la tardive redécouverte de ce qui fut le modèle allemand, la cogestion syndicale à la Volkswagen. L'un après l'autre s'écroulent tous les mythes fondateurs du capitalisme américain." (F.Rampini, "La Repubblica" du 12/12 2008)

Que le mot socialisme, que le capital avait cru enfoui pour toujours avec la restauration du capitalisme dans l'ex Urss, ressurgisse à propos des mesures auxquelles le gouvernement Us est contraint ,a une portée considérable. Bien entendu "nationalisation" n'est pas  "expropriation" et encore moins "socialisme", mais c'est l'aveu de la faillite du système capitaliste. Quelles conséquences pour les développements de la lutte des classes?
Dans "La Repubblica" du 8 décembre on pouvait lire : "Pour le 10 décembre (...) une grève générale a été convoquée par les syndicats contre la dégradation des conditions de vie des travailleurs ; mercredi prochain la Grèce  pourrait vivre une journée cruciale, la première convulsion en occident en relation avec la tempête économique que nous vivons."
 C'est de cette tempête que surgit le slogan : " Nous ne paierons pas, nous, la crise », en Italie d'abord puis en Grèce ; un slogan qui exprime la conscience d'être confronté aux conséquences de la survie du système de la propriété privée des moyens de production.  Un journaliste du "Monde" écrit à propos de la Grèce (9 décembre) :
"De semblables désordres pourraient éclater dans d'autres pays, car les récessions ne se montrent pas tendres pour la jeunesse. Le slogan des manifestants grecs - "Des balles pour les jeunes, de l'argent pour les banques" - a beau ne rien avoir d'une sérieuse analyse socio-économique, il n'en sonne pas moins étrangement juste. Il est arrivé que les mouvements de protestation changent le cours de l'histoire, comme l'ont fait les révolutions française et russe. Le gouvernement grec, qui repose sur une majorité de deux sièges, pourrait tomber sous la pression de la rue. (...). Les événements survenus au Pakistan et en Inde ont rappelé aux investisseurs qu'ils devaient garder un oeil sur les risques géopolitiques. Dorénavant, il leur faudra également penser à mesurer les risques sociaux."

La défense des intérêts vitaux de la classe ouvrière et de la jeunesse nécessite d'affronter et vaincre les gouvernements bourgeois. Les obstacles viennent des forces qui sont attachées à la défense de l'économie de marché, qui refusent d'ouvrir la voie à la prise du pouvoir par la classe ouvrière. C'est ce que démontrent encore une fois les événements de la lutte de classes en Italie. Mais en même temps apparaissent des conditions nouvelles pour la construction de Partis ouvrier révolutionnaires, de l'Internationale. Dans cette bataille décisive l'intervention auprès de la jeunesse sera de première importance.


La place particulière de la jeunesse


La mobilisation en Italie est partie de l'école, de la défense du droit à l'instruction, à une formation qualifiante du niveau le plus élevé possible. Or, cette aspiration s’oppose aux besoins réels du capitalisme pourrissant. Un aspect des réformes en Italie ,ô combien révélateur des vrais besoins du capitalisme ,est que les établissements du secondaire les plus touchés par les "tailles" ce sont les établissements techniques et que l'apprentissage entre 14 et 16 ans sera considéré comme obligation scolaire. Les "doctorants et chercheurs de Naples"  ont adopté (27 novembre) un document très pertinent :
 « C'est  seulement en allant à fond dans notre critique et en montrant les liens entre les mesures prises sur l'instruction et ce système économique et social que nous pouvons permettre à la mobilisation de prendre une dimension plus grande et plus radicale.(...) Qui se contente de l'autoréforme (...) ne comprend pas la relation qui existe entre instruction,  recherche et monde du travail. Au lieu de  mettre en débat les processus de privatisation  et de précarisation en s'unissant aux forces sociales qui ont intérêt à s'y opposer, on se met à imaginer des voies de garage. On parle de "centralité du capital cognitif" sans voir que la restructuration de l'école et de l'université est issue et partie intégrante d'une attaque dirigée avant tout contre les travailleurs dits "manuels".(...)

Toutes les mesures prises qui redéfinissent les parcours de formation ont comme matrice la tentative de contribuer à la relance du profit d'un côté à travers la recherche continue d'innovations technologiques, et d'un autre côté en contribuant  à la formation d'une force de travail adéquatement déqualifiée, sans espoir et en concurrence, dotée du bagage minimum de connaissance (internet, anglais par exemple) permettant d'effectuer les nouvelles tâches du salariat.
(...) Nous ne devons pas proposer d'administrer diversement l'université, ni revendiquer une autonomie de la culture (quelle pourrait-elle être dans ce système?): Les choses ne sont pas faites pour nous mais pour le profit d'un petit nombre, et les choses pourront changer seulement si toute la société réussit à se déplacer dans une autre direction. Ceci doit être notre priorité, parce que le mouvement n'a pas d'alternative pour survivre sinon de faire que la mobilisation soit la plus grande possible et fasse basculer les rapports de force, impose le retrait  de ces réformes et impuissante le  gouvernement pour procéder sur d'autres fronts".

 Le contenu de la "réforme" Gelmini (ministre de l'éducation nationale de Berlusconi) est donné par la patronne de la Confindustria (Medef italien), Emma Marcegaglia, à qui on demandait ce quelle en pensait : " La réforme? Quelle réforme? Il s'agit seulement d'un décret de réduction des dépenses". 8 milliards de réduction budgétaire sur les 3 ans à venir (remplacement de 1 départ à la retraite sur 5, plus de 130 mille licenciements, réductions d'horaires élèves à tous les niveaux d'enseignement, marche forcée à la privatisation des universités via la constitution  de fondations...) qu'il faut mettre en face des  3 milliards d'exonération de taxes foncières qui bénéficient essentiellement aux propriétaires les plus fortunés et des 3 milliards dégagés pour permettre à un groupe d'affairistes de s'offrir la partie rentable d'Alitalia dans des conditions qui devrait leur assurer une solide plus value dans 5 ans.

 Les choix du gouvernement Berlusconi, comme ceux de ses collègues français et grecs, montrent à l'évidence que les besoins de la bourgeoisie sont de liquider l’enseignement public, le droit à l’éducation pour tous hors du contrôle du patronat. Aujourd'hui plus que jamais l'avenir de l'école est un enjeu de la lutte des classes tout comme le droit à la santé ou le droit au travail.


Quelques traits de la situation en Italie


Nous n'avons pas la place ici de revenir sur les particularités politiques d'une Italie dont l'unité tardive n'a jamais été achevée ("une révolution sans révolution" selon la formule de Gramsci) ; un pays qui a connu 20 années de fascisme liquidé par un soulèvement populaire ayant la classe ouvrière en son centre. Mais où, comme en France, l'insurrection révolutionnaire a été impuissantée par la politique d'Union Nationale du parti stalinien, le PCI  de Togliatti.

 Aujourd'hui l'Etat italien est un Etat impérialiste, membre du G8, mais, économiquement parlant, c'est l'homme malade de l'Europe (dans un monde capitaliste malade) ...  Depuis le début des années 90 la bourgeoisie a engagé un combat  pour liquider toute trace de conquête sociale. Mais si des coups sérieux ont été portés au prolétariat cela s'est fait sans rénovation en profondeur de l'appareil de production.
 L'Italie compte 1,5 millions de travailleurs clandestins elle est le premier pays industrialisé  pour le travail au noir. Plus de 30% des travailleurs salariés ont un deuxième travail comme 12 % des retraités. Le taux d'occupation est de 58% contre 65% pour la moyenne des pays de l'UE. 35% de travail au noir dans l'agriculture du Sud, une entreprise du bâtiment sur deux a recours à des clandestins ... Berlusconi encourage cette pratique par les lois racistes et par le laxisme sur les contrôles de ces entreprises .
 Le 7 Octobre , alors que la mobilisation des enseignants était largement engagée ,le ministre de la Fonction publique Brunetta faisait cette déclaration : «Nos enseignants travaillent peu, ne se mettent pratiquement jamais à jour, et, en majorité, ils ne sont pas entrés par concours - affirme -t-il - mais grâce à des titularisations. Et puis 1300 euros ça fait quand même deux millions et demi de vieilles lires, aujourd'hui l'enseignement est un part time et comme tel il est bien payé». En effet grand nombre d'enseignants sont contraints de donner des leçons particulières pour suppléer à des salaires très bas.

 Selon les plus récentes statistiques les salariés en situation précaire (contrat atypique) sont au moins 3 millions, 50% d'entre eux ont moins de 30 ans. En 2006 et 2007 une embauche sur deux s'est faite via un contrat atypique.
" Ecole, emploi : Cette crise frappe une classe d'âge" ("La Repubblica" du 23 décembre).

 Une crise qui frappe l'Italie encore plus vite et plus fort que les autres pays d'Europe : de sept 2007 à sept 2008 le nombre d'heures de chômage technique dans l'industrie a augmenté de 70 %.  De septembre à octobre 2008 elles sont passées de 19,5millions à 23 millions soit plus de 15% en un mois. Un salaire de chômage technique est de 847 euros pour un ouvrier de niveau 3 (sur 5) avec 5 échelons d'ancienneté.
 Une crise  qui frappe un pays où, déjà fin 2007, 15,4% des familles avaient du mal à finir le mois,, où 11% d'entre elles ne peuvent assumer les dépenses médicales...
La place de l'économie italienne dans le marché mondial peut s'évaluer avec l'appréciation des bonds ordinaires du trésor (Bot). (D'après "La Repubblica") :
"En 1995 ces titres d'Etat étaient en majorité dans les mains des familles italiennes, 10% dans des mains étrangères. En 2006 selon les dernières estimations, 53% sont à l'étranger, 30% dans les banques, 10% dans les familles italiennes. (...) les banques et les investisseurs étrangers ont beaucoup plus de facilités à faire franchir les frontières aux capitaux et ils sont beaucoup plus sensibles aux signaux envoyés par le marché. Or les signaux qu'envoie le marché sur la dette publique italienne sont décourageants. Prenons les Credit default swaps (nom de l'assurance qui garantit la restitution de la dette). Début novembre les Cds les plus traités dans le monde étaient ceux sur la protection contre une banqueroute de l'Etat italien.(...) En septembre on payait 40 mille dollars pour garantir 10 millions de dollars de dette italienne. Aujourd'hui il en faut 174 mille(...)
Cela en dit long  sur le déficit public accumulé qui rend d'autant plus périlleux de nouvelles mesures d'aide aux industries en difficulté.

 Au plan politique ce qui marque la situation c'est la disparition du parti des Ds (voir Cps n°30 ) lequel, en dépit de toutes les capitulations devant la bourgeoisie, représentait encore dans la conscience ouvrière un lien, certes très affaibli, avec les organisations historiques du mouvement ouvrier (Pci, Psi). Avec la constitution du "Parti démocratique" (Pd) on en est à l'étape finale du processus entamé dans les années 70  par "le compromis historique" de Berlinguer (dirigeant du Pci) qui s'était engagé dans un soutien ouvert aux gouvernements démocrates chrétiens (Dc) avec la perspective de gouverner ensemble.
 Ce "Parti démocratique" est le résultat d'une fusion entre les héritiers de Berlinguer et des débris de la Dc. Il a pris une raclée pour sa première sortie (élections politiques anticipées d'avril), défaite encore accentuée lors des récentes élections régionales dans les Abruzzes.
Depuis plusieurs semaines les révélations quasi quotidiennes de scandales (corruption, liens avec la camorra,  ...)  impliquant des dizaines de ses dirigeants locaux (députés, maires, ...) révèlent combien les mœurs des "réformistes de centre gauche" sont semblables à celles des "libéraux de centre droit" (tout comme leurs programmes).

Pour les élections d'avril les partis "ouvriers" Prc (Parti de la refondation communiste) et Pdci (parti des communistes italiens) s'étaient fondus avec les Verts dans une coalition qui n'a pas réalisé les 5% nécessaires pour avoir une représentation parlementaire alors que le Prc seul dépassait régulièrement ces 5% : le prix à payer pour avoir durant deux ans soutenu le gouvernement Prodi qui s’était empressé de faire avancer des lois réactionnaires restées en suspens sous le précédent gouvernement Berlusconi ...
Avec la constitution du Pd le problème du devenir de la principale organisation ouvrière encore existante est posé.

En effet ses militants sont majoritaires à la direction de la Cgil (5 millions de syndiqués). Le dévouement de son secrétaire général G.Epifani, à la défense du capitalisme italien se mesure parfaitement à travers deux déclarations relatées par "La Repubblica" début octobre. A la présidente de la Confindustria, qui lui a fait le "gravissime" procès d'intention de souhaiter le retour à l'échelle mobile des salaires, il répond : "C'est une accusation en tout point déplacée et même ridicule. Je rappelle à Emma Marcegaglia qu'en 84 je me battis contre les effets pervers de l'échelle mobile. Je me suis fait insulter pour cela (...) Je ne permettrai à personne de prétendre que je voudrais revenir à l'échelle mobile ".
 Peu après (8 octobre), dans une interview : " La Cgil est prête à se mettre au service du pays pour concourir à sortir le pays de la crise (...). dans les moments les plus difficiles de notre histoire nous avons toujours placé au premier plan l'intérêt général. Cela fait partie de notre culture et de notre tradition."
"L'intérêt général" n'est jamais l'intérêt de la classe ouvrière car ce dernier est toujours opposé à celui de la bourgeoisie. Comme le "bien commun" il appartient à la phraséologie réactionnaire dont raffole l'Eglise et qui prétend masquer  les contradictions de classes inhérentes à la société bourgeoise.

Ainsi Epifani  affirme sa disponibilité à discuter  avec la bourgeoisie des moyens à mettre en œuvre pour juguler la crise. Des moyens que l'anecdote suivante permet "d'apprécier". L'archevêque de Milan, le cardinal Tettamanzi, ayant annoncé qu'il avait créé un fond de 1 million pour venir en aide aux chômeurs, la secrétaire confédérale Susanna Camusso réagit : " Il est juste que l'Eglise ait une fonction de soutien. Il faut apprécier que le cardinal assume sa fonction pastorale. Mais il revient aux institutions et en particulier au gouvernement d'étendre les "amortisseurs" sociaux et de garantir un futur à celui qui perdra son travail " ("la Repubblica", 27 décembre). La charité au lieu de l'interdiction des licenciements!

 Berlusconi comptait sur sa grande victoire électorale,  sur l'absence de perspective politique pour la classe ouvrière pour  étouffer toute tentative de résistance à la mise en œuvre de sa politique .
L'accord (mai 2008) entre les directions des syndicats confédéraux (Cgil, Cisl, Uil) sur la réforme de la ‘contractation’ (au contrat national de branche on substituerait le contrat d'entreprise) semblait ouvrir une voie royale aux "réformes" partagées. En septembre, la signature par la direction de la Cgil de l'accord sur Alitalia (un tiers des emplois supprimés, statuts des personnels massacrés) confirmait cet axe politique.
Mais l'opposition des enseignants puis des étudiants aux "réformes", dans un contexte de crise mondiale ouverte, est venue sérieusement perturber ces plans.
La résolution de soutien aux grèves du 17 et du 30 octobre adoptée par la coordination des parents de l'école Iqbal Masih (l'une des écoles à l'origine des premières réactions "No Gelmini" à Rome)  se conclut : " (la réforme) détruit l'école publique pour économiser 8 milliards et aider les écoles privées. C'est tout autre chose qu'une amélioration. Et c'est tout autre chose que des sacrifices nécessaires : pour soutenir les banques les milliards sont à disposition sans limite." C'est l’expression d'une conscience de classe.


"Nous ne paierons pas, nous, la crise "


La loi 133 qui contient les conditions budgétaires pour l'école a été votée le 8 aout par le parlement, pendant les vacances. Le gouvernement a procédé en hâte et sans concertation.
En application du projet de la loi budgétaire les mesures de restrictions ("tailles") touchent d'abord l'école primaire avec le retour au "maestro unico" (au lieu d'un système qui permettait l'intervention de plusieurs maîtres) et la suppression des cantines. Ensuite ce sont des réductions d'horaires élèves à tous les niveaux.  A l'université : réduction générale des crédits et incitation à aller chercher les fonds auprès des entreprises via les fondations. Pour les personnels c'est un total de plus de 130 000 suppressions de postes dans les 3 années à venir : instituteurs, professeurs, chercheurs, personnels de service, techniciens, ... 130 000 précaires mis à la porte !!! Une seule discipline n'est pas touchée : la religion dont les 25 000 maîtres coutent 800 millions  et dont la nomination est sous la seule responsabilité de la curie.

La direction de la Cgil se contente alors de dénoncer le budget (connu fin juillet) sans ouvrir aucune bataille. Elle participe pendant des semaines à la concertation sur la réforme du statut de la fonction publique alors que le gouvernement a décidé le blocage du turn over ainsi que des restrictions du droit de grève et des congés maladie.

Mais, pas plus en Italie qu'ailleurs, on ne peut toucher à l'école sans risque, d'autant plus lorsque la crise pousse à considérer que la poursuite des études est une protection encore plus indispensable.  Début septembre, par le bouche à oreilles, les réseaux déjà existants,  des comités qui réunissent les parents et les enseignants des écoles primaires de l'école publique se constituent du Nord au Sud de l'Italie. Ils se fédérent par communes, quartiers, provinces et parfois région. Ils organisent les premières assemblées, les premières manifestations. Un slogan s'impose : "Nous ne paierons pas ,nous, la crise". Le 7 septembre la ministre Gelmini répond :
  " Pour l'école une époque est finie, elle ne sera plus un amortisseur social, il faut qu'ils se mettent tous ça dans la tête, syndicats compris s'ils ne veulent pas se retrouver impopulaires devant le pays. Assez de temporisation." (La Repubblica du 8 09)

Le 11 septembre "La Rete 28 aprile", le courant de la Cgil qui dénonce la politique de concertation, se prononce pour une grève générale des écoles avant l'adoption des réformes par le sénat (fin octobre), c'est une première expression de l'écho de la mobilisation dans la confédération.

Les caractéristiques politiques de ce mouvement sont éclairées par la lecture de la résolution adoptée le 17 septembre par l'assemblée générale enseignants-parents de Turin et de la province.
 " L'assemblée générale des enseignants et parents de Turin et de la province s'est réunie à l'initiative de la "coordination des parents" et du "Manifeste des 5OO". Plus de 400 enseignants et parents de 85 écoles étaient présents. Etaient également présents les dirigeants provinciaux de la Cgil de la Cisl et de l'Uil qui le jour précédent avaient organisé une nombreuse  assemblée avec 400 délégués, militants et enseignants.
 Le succès de ces deux assemblées, come la mobilisation qui s’étend (...) exprime sans aucun doute la volonté de faire quelques chose, tout de suite, dans l'unité des enseignants des parents des organisations syndicales (...) pour le retrait immédiat des mesures, annoncées et en préparation, de la ministre Gelmini et du gouvernement. Nous sommes conscients qu'il s'agit d'une attaque jamais vue dans l'histoire de la République (...) Pour cela, après discussion, nous prenons position pour :
 - Le retrait des "tailles";
 - le retrait du "maestro unico" et des projets pour les collèges et lycées;
 - le retrait de la loi Aprea (qui prévoit des classes séparées pour les enfants issus de l'immigration);  (...)
  Sur cette base nous décidons de :
 - adhérer à la manifestation provinciale convoquée à Turin par Cgil, Cisl, Uil pour le 4 octobre, la préparant d'ores et déjà dans nos écoles et lieux de travail;
 - répondre positivement à l'appel lancée par Cgil, Cisl, Uil de Turin de constituer des comités de lutte dans chaque école pour informer la population et préparer la grève; (...)
 - De nous adresser aux secrétariats nationaux des  syndicats pour qu'ils proclament tout de suite la grève générale nationale unie, même jour, organisée dans toute l'Italie. Comme enseignants nous sommes prêts à adhérer en masse (...). Comme parents nous sommes prêts à soutenir cette grève (...).
 - participer en masse avec des délégués de chaque école à l'assemblée nationale des écoles qui se réunira à Rome le 28 septembre pour discuter les formes pour unir la mobilisation à l'échelle nationale.
 Approuvée par les 400 présents (4 contre, 3 abstentions)."

  Elle manifeste explicitement la volonté des enseignants que se réalise l'unité avec les organisations syndicales sur leurs mots d'ordre. Ils ne s'opposent pas aux initiatives locales des directions syndicales, mais ils exigent d'elles l'appel unitaire à la grève générale de l'école "tout de suite".
 Ce même 17 septembre, une réunion d'instituteurs et de parents était organisée par le réseau d'enseignants (déjà ancien) "Rete Scuole" à Milan. Participation très nombreuse, des dizaines d'interventions parmi lesquelles celle du  secrétaire de la Cgil scuola. "Il semble qu'il ait promis d'en être, jusqu'au bout, ce malgré le peu d'enthousiasme montré, ces derniers  jours, par son organisation syndicale au niveau national" (d'après "Il Manifesto" du 18). On ne peut reconnaître plus clairement la pression exercée sur les directions syndicales par la mobilisation en cours en même temps que la résistance de celles- ci à prendre une initiative centralisée contre le gouvernement.
Le 19 septembre (à l'initiative des syndicats confédérés) commence une série de journées d'actions par un appel à la grève générale des précaires de la fonction publique. Ce même jour a lieu une rencontre Gelmini-syndicats : Enrico Panini (secrétaire Cgil scuola) : " Une rencontre faillie de tous les point de vue".  Les syndicats annoncent une nouvelle rencontre et appellent à la mobilisation sans préciser ni la forme ni la date.

 Huit jours plus tard nouvelle journée nationale d'action intercatégorielle à l'initiative de la Cgil seule "contre les choix du gouvernement", avec manifestations locales. Un million de manifestants. "Nous ne pouvons pas rester sans rien faire" dit le secrétaire général de la Cgil qui prend la parole à Rome : " Si les choses ne changent pas, nous irons à la grève générale de toute l'école". Et c'est un tonnerre d'applaudissements commente le journaliste ("Il Manifesto" du 28 septembre).
La direction de la Cgil annonce qu'elle ne signera pas le document sur la ‘contractation’ proposé par la Confindustria.

 Le 4 Octobre à Turin manifestation sur l'école convoquée par les syndicats et les comités d'école avec 30 mille personnes ; la Cisl et l'Uil se rallient à la perspective d'une journée de grève générale de l'école ; Epifani : " Il est très positif que cela soit une décision unitaire ; il faut réagir à la contre réforme du ministre Gelmini. Il y a une grande attente en ce sens comme l'a démontré la manifestation de Turin."
 Le 6 octobre la Cgil organise une manifestation de protestation au siège de la télé nationale à Milan, elle est très suivie, un responsable de "Rete scuole" y participe, il relève : " L'école est comme une cocotte minute qui produit une forte énergie que, pour le moment,  personne ne peut canaliser." Le jour suivant la ministre déclare : " Je demande aux  entreprises de ne pas sponsoriser seulement le football mais également les meilleurs projets des écoles et des universités."
Le 9 octobre les fédérations de l'enseignement des syndicats confédérés publient une déclaration :
 " (...) dénoncent que la définition du plan ait été faite en l'absence d'une réelle confrontation avec les forces sociales et le monde de l'école (...)
 Revendiquent la révision du décret loi 137 2008 avec abrogation de l'article 4 qui revient au maestro unico et introduit l'horaire de 24 heures (...)
 L'ouverture d'une négociation avec le gouvernement sur l'art 64 du décret loi 112 2008 pour une réelle confrontation en vue d'une véritable requalification  de la dépense capable de conjuguer la lutte contre les gaspillages et les mauvaises gestions avec la garantie du juste temps scolaire à tous les niveaux et pour tous, du droit aux études, de la qualité du système scolaire et la sauvegarde de la professionnalité des opérateurs de l'école."

 Elles reprennent  la revendication des enseignants et des parents : le retrait des "tailles" mais affirment en même temps leur disponibilité à discuter de la  lutte contre les "gaspillages" ce qui revient à légitimer les restrictions de dépense ... Ce texte n'évoque  pas la perspective de la grève générale, mais dans une interview parue la veille dans "Il Manifesto" le  secrétaire de la Cgil scuola a donné la date du 30 octobre c'est- à - dire après le vote au sénat.
 Dans ce même journal paraît une contribution d'un écrivain-instituteur qui, sous le titre "Chers syndicats, pourquoi la grève quand les jeux seront faits?" conclut : "(...) grande est la faute des syndicats, auxquels tellement d'enseignants payent 10 euros par mois retenus sur la feuille de paye, et qui, aux assemblées syndicales demandent aux enseignants ce qu'il faut faire (ce n'est pas leur travail) et puis qui proposent une grève générale des écoles le 30 octobre alors que, probablement, le décret Gelmini aura déjà été approuvé. (...) Je me demande quel rôle a joué le syndicat dans cette triste affaire."

 La direction de la Cgil manœuvre pour ne pas réaliser le rassemblement des personnels de l'enseignement et de la jeunesse devant le Sénat au moment du vote, elle est consciente qu'interdire le vote se serait impuissanter le gouvernement, ouvrir une crise politique. Pour les dirigeants syndicaux il n'en est pas question. Et là on touche à une question essentielle de la lutte des classes : on ne peut  défendre aucune revendication ouvrière sérieusement si l'on n'est pas prêt à défaire et chasser le gouvernement, pour un gouvernement issu du front unique des organisations ouvrières. Mais cette perspective, pas une organisation ouvrière (ayant une audience nationale) ne veut l'ouvrir.


L'auto-organisation et la question du pouvoir


Prenons la Fiom, la fédération métallurgie de la Cgil : 500 000 adhérents, dirigée par le courant "Rete 28 aprile" dans lequel les deux partis Prc et Pdci sont les principales forces organisées. Le 31 octobre elle publie une déclaration qui  conclut :
" Les choses ne changeront pas toutes seules. Qui, dans l'économie et dans la politique s'est habitué pendant des décennies à tout décharger sur le coùt du travail ne changera pas seulement avec les paroles. Pour cela il faut partir en lutte. Les métallos se mobilisent pour revendiquer que la reprise se fonde sur les droits du travail et sur la croissance des salaires. La lutte des métallos sera une partie d'une plus large  mobilisation de tout le monde du travail pour défendre l'emploi et les droits et pour changer la politique économique et sociale. "
 "Changer la politique économique et sociale"? "Pas avec les paroles"? Certes! Mais avec Berlusconi?
 Et on pourrait ajouter (sans en faire un préalable) : dans le système capitaliste? En appelant aux "luttes" pour faire changer "Qui, dans l'économie et dans la politique s'est habitué pendant des décennies à tout décharger sur le coût du travail ", on appelle "qui gouverne" à changer de politique et non pas à chasser "qui gouverne". Berlusconi, premier capitaliste d'Italie converti à la défense des intérêts ouvriers? Qui peut y croire?

Pourtant Sinistra Critica (le NPA italien à l'initiative de la LCR It) conclut une adresse aux étudiants :
" (...) Nous devons prétendre à une instruction de qualité et accessible à tous, une recherche libre et non asservie aux logiques de guerre et de profit, la fin définitive d'une précarité désormais étendue à tous les secteurs de travail de l'université et de la recherche.
 Il n'y a pas de temps à perdre, ni une opposition parlementaire ou des gouvernements futurs dans lesquels espérer."
"Une recherche libre et non asservie aux logiques de guerre et de profit" sans  "gouvernements futurs dans lesquels espérer". On pourrait en finir avec "une logique de profit" sans toucher au gouvernement Prodi ?

 Cette position est la racine politique des difficultés auxquelles s'est trouvé confronté le mouvement de la jeunesse scolarisée et des enseignants.


L’onda anomala


A la suite des écoles et des lycées le mouvement s'est engagé dans les universités sous le nom de "l'onda anomala" (le "raz de marée") : occupations et manifestations se multiplient. Le 10 octobre des manifestations sont organisées dans 9 villes universitaires, on annonce 300 000 participants.
Le 15 octobre les syndicats confédérés annoncent un appel à la grève générale des universités pour le ... 14 novembre.
 Le 17 octobre le mot d'ordre de grève générale intercatégorielle lancé par les syndicats dits de base (Cobas, Cub, ...) est exceptionellement suivi dans les transports et surtout dans l'enseignement.
 Le 22 octobre Berlusconi lance un avertissement aux lycéens et aux étudiants qui occupent : " Non aux occupations, l'Etat doit faire l'Etat". Avant de s'envoler pour la Chine il convoque le ministre de l'intérieur pour lui dire quel usage il doit faire des forces de police. Ses déclarations font l'effet d'une charge de dynamite.
Le lendemain Berlusconi dément ses propos : " Je n'ai jamais dit ni pensé que l'utilisation de la police pourrait servir dans les écoles. (...) A l'opposé j'ai dit que qui veut manifester est libre de le faire mais pas de raconter des histoires sur le nombre de participants aux manifestations. "
 Le secrétaire nationale du Pd, Veltroni : " les paroles sont de pierre  et avant de les prononcer il faut les pondérer. Cette phrase peut avoir un effet gravissime il y a le risque d'une radicalisation(...) " : pas de "radicalisation", pas de crise politique!
Le 23 octobre la Cgil se prononce contre la signature de l'accord avec le gouvernement dans la fonction publique.

 Le 23 octobre lors de l'ouverture de la discussion sur les "réformes", spontanément encore, des milliers d'étudiants se dirigent vers le Sénat pour en exiger le retrait. Ce même jour la ministre propose une rencontre aux organisations étudiantes, le comité "taglia la Gelmini", publie un communiqué qui se conclut : " (...) La rencontre que propose la ministre est une tromperie : elle a déjà décidé d'aller de l'avant et de procéder à coups de majorité (aux parlements). Nous, nous ne parlons avec qui traite de terroristes les étudiants qui se rassemblent devant le sénat. Nous lançons un appel aux organisation s étudiantes afin qu'elles rejettent cette rencontre-tromperie et qu'elles continuent la mobilisation pour contraindre la ministre à s'en aller."

 Les comités et collectifs qui se sont peu à peu organisés (essentiellement sur un plan local) appellent à une mobilisation nationale contre le vote au sénat les 28 et 29 octobre, des jours décisifs.
L'enjeu politique de la situation est tellement évident que l'effort de la presse pour le dissimuler apparaît quasi surréaliste :
" On n’est pas en 68 ou dans une énième réplique de 68. (...)  En 68 on pouvait se permettre le luxe de la bataille politique. Aujourd'hui ce  morceau de pays risque le naufrage, il joue une "struggle for life" plus primitive  et élémentaire qui touche au respect de soi, à la dignité collective, le sérieux du savoir, la non négociabilité des valeurs essentielles"(dans l'édito de "Il Manifesto" du 24 Octobre). 
Selon ce journaliste en 68 il n'y avait pas d'enjeu donc on pouvait mener une bataille politique aujourd'hui c'est une question de vie ou de mort et donc c'est plus du tout politique ...

 28 et 29 octobre : le sénat est assiégé par les étudiants,  des manifestations contre le vote s'organisent à travers toute l'Italie mais les directions des syndicats laissent la jeunesse et les enseignants se débrouiller seuls, ville par ville. C'est au lendemain du vote, le 30 octobre, que la Cgil et les syndicats de base appellent à la grève générale des écoles (sans manifestation centrale), le mot d'ordre est massivement suivi : un million de manifestants. L'aspiration au Front unique de la jeunesse et de la classe ouvrière avec ses organisations va s'exprimer puissamment.
 Le 31 Octobre la Fiom organise à Rome une réunion de délégués (3000 participants). Une délégation des "facultés de Rome mobilisées" vient y prendre la parole :
"Les luttes étudiantes démontrent que si on construit le conflit, si on pratique une réelle opposition le gouvernement est en crise. (...) C'est un gouvernement en crise, qui a peur du conflit social. Il y a deux slogans qui ont directement une portée politique et qui sont dans toutes les assemblées en Italie.
 Le premier dit : "Nous la crise nous ne la paierons pas". Un nous qui n'est pas réduit à un dimension corporative étudiante,(...). Un nous qui s'adresse directement aux métallurgistes comme à tous les travailleurs salariés de ce pays; un nous de classe en somme, qui hurle l'indignation de tous les faibles et exploités de ce pays qui ne sont plus décidés à payer pour la politique de sacrifices voulus par les gouvernements de gauche et de droite de ces dernières années.(...)
Le second dit :" Faisons comme en France", où en 2006 une grande alliance entre étudiants et travailleurs construite dans les luttes communes, a contraint un gouvernement de  droite (...) à retirer une loi déjà approuvée par le parlement.(...)
 Les étudiants sont descendus dans la rue le 17 octobre aux côtés des syndicats de base, le 30 avec les travailleurs de la Cgil scuola, comme ils le feront le 14 novembre à l'occasion de la grève des universités à l'appel de la Cgil.(...) Et nous en arrivons à la proposition :
Nous croyons qu'est nécessaire une grève générale qui bloque la production dans ce pays. Une grève générale est nécessaire pour libérer la Cgil d'une étreinte mortelle avec les autres syndicats confédéraux qui la dénature progressivement  (...) ; une grève générale est nécessaire pour contraindre les syndicats de base à sortir du minoritarisme qui les a distingués ces dernières années.(...)
 Grève générale donc et nous concluons: seulement dans le vif des luttes peut se construire une réelle alternative à Berlusconi dans ce pays."
Cet appel répond à une attente au sein de la classe ouvrière avec laquelle la direction de la Cgil doit compter. Cependant les 3,4,7 novembre elle appelle encore à des grèves ... régionales de la fonction publique . Le 4 : " devant quelques dizaines de milliers d'agents de la fonction publique manifestant à Rome , Epifani  déclare : " Je crois que les temps sont mûrs pour la grève générale de la catégorie et pourquoi pas de toute la Cgil". la place exulte et pendant quelques minutes on ne réussit pas à entendre autre chose que : " Grève générale!, Grève générale! "(d'après "Il Manifesto" du 5/11).

 Le 5 novembre les étudiants prennent à nouveau l'initiative sur le terrain du combat pour le Front Unique à l'occasion de la réunion nationale des délégués de la Cgil :
 "Dans cette réunion Epifani a répondu à l'attente qui monte. La pression sur le secrétariat national Cgil est forte, il suffisait de prononcer le mot grève pour déchaîner les applaudissements et les tambourins des 10000 délégués. Il n' a pas donné la parole aux délégués étudiants mais leur plate forme a été lue à la tribune" ("Il Manifesto" du 6 novembre)

 La plate forme étudiante se concluait :
"il y a quelques semaines l'actuel gouvernement semblait imbattable. L'ampleur et l'insistance de la mobilisation de ces jours ont déjà produit des contradictions ; mais cette fois nous voulons aller jusqu'au bout, cette fois nous voulons vaincre."


Les appareils cherchent à disloquer le mouvement


Les manœuvres de la direction de la Cgil continuent. Le 12 novembre, en secrétariat, Epifani se prononce pour une grève générale en décembre mais il se réserve d'en fixer les modalités dans la réunion plus restreinte du directoire! Celui- ci décide 4 heures pour le 12 décembre, 4 heures c'est fermer la voie à la manifestation centrale à Rome, éviter le choc frontal avec le gouvernement.
 La direction de la Fiom et celle de la fédération de la fonction publique (Cgil) appellent à 8 heures  mais dans le cadre des manifestations disloquées, elles ne mènent aucune bataille à l'intérieur de la confédération pour la manifestation centrale. C'est une véritable capitulation des directions des deux plus puissantes fédérations, qui, avant la décision prise par Epifani avaient lancé en commun  un appel pour une manifestation centrale à Rome  le 12 décembre.
 Le 14 novembre, l'appel à la grève générale des universités de la seule Cgil est massivement suivi. la manifestation nationale à Rome rassemble des dizaines de milliers d'étudiants, chercheurs, précaires, ... Les manifestants débordent les services d'ordre des organisateurs et se dirigent vers les palais du premier ministre, du sénat et de l'assemblée nationale (trés proches les uns des autres) aux cris de : "Nous encerclons les palais du pouvoir", ils lancent à l'adresse des députés et sénateurs : "Vous êtes tous des repris de justice".
Mais une nouvelle offensive pour disloquer "l'Onda anomala" est en préparation : "l'auto réforme". Elle était apparue dans l'intervention  du responsable de la Cgil scuola à la manifestation de Rome (30 octobre) :
 " Aujourd'hui c'est seulement un début. Nous le disons au ministre et au gouvernement. Nous ne nous arrêterons pas tant que le gouvernement ne reverra pas sa position.(....). Nous défions le gouvernement de faire une vraie réforme, nous avons nos propres propositions, mais on ne peut pas partir des "tailles" (...)."
 "Sinistra Critica" est de la partie : " Nous croyons qu'il faut faire croître le mouvement ; en réalisant des comités unitaires de défense de l'école publique, (...) pensant à des états généraux qui contestent les contre réformes en cours et qui dessinent un projet d'école et d'université alternatifs".

Le 15 novembre la manœuvre est mise au clair dans la présentation par "La Repubblica" de la réunion nationale des étudiants organisée à Rome au lendemain de la manifestation : "Les propositions des étudiants et des professeurs  alternative aux tailles seront présentés demain et dimanche. Elles sont en grande partie inspirées des expériences réformatrices du reste de l'Europe.(...) Mais l'Onda est devenue rapidement un mouvement adulte qui ne se limite pas à une bataille défensive désormais inutile vu que les décrets sont passés. (...)

Un réformisme venu du bas après que celui venu du haut  des gouvernements de droite et de gauche ait misérablement failli. (...) Personne ne veut défendre l'école telle qu'elle est."
"Une réforme est nécessaire", "nous avons des propositions" : des propos communs à tous les bureaucrates de la planète pour justifier d'engager le dialogue avec les gouvernements bourgeois sur les réformes nécessaires à ... la bourgeoisie. Examinons la résolution générale issue de l'assemblée :
"En quelques semaines la popularité du gouvernement a profondément diminué (...) L'unité concertative des syndicats confédérés semble à présent un souvenir lointain, alors que le 12 décembre la Cgil propose une grève générale de toutes les catégories. (...)
Un conflit qui ne parle pas tant ni seulement du refus des tailles, plutôt un conflit en mesure d'opposer une force à l'arrogance de qui veut imposer la crise en socialisant les pertes des banques et des entreprises.(...)
Dans ce contexte l'unique force de transformation est le mouvement qui non seulement s'oppose aux tailles de la loi 133 mais est déjà en train de de jeter les bases pour une autre université. Là où Etat et marché travaillent conjointement à la démission de l'Université l'Onda lance immédiatement le défi de l'auto réforme."

 Cette orientation est profondément différente voire contradictoire aux adresses antérieures à la direction de la Fiom et de la Cgil, elle donne un satisfecit à la direction de la Cgil sur la grève du 12 décembre alors même que celle- ci a évité soigneusement l'affrontement avec le gouvernement.

Tout en dénonçant formellement la concertation, elle y ouvre en s'engageant sur la voie de "l'auto réforme". Tout en semblant condamner l'Etat et le marché elle engage les étudiants à considérer que l'on peut envisager une réforme démocratique sans poser la question : quel pouvoir au service de quelle classe?
Cette prise  de position adoptée par acclamations sans débat véritablement démocratique pose le problème du contrôle par les étudiants eux- mêmes de leur mouvement.

Il faut faire le constat qu'il n'y a pas eu de véritable coordination nationale de  délégués élus ni chez les enseignants des écoles ni à l'université.
  C'est ce que reconnaît "l'assemblée des doctorants et chercheurs de l'Université de Naples"(déjà citée) :
 " (...) Toutefois il y a un grand absent dans la discussion de ces jours. L'assemblée nationale ( des 15-16 novembre) n'a pas réussi à affronter une question fondamentale, qu'il était pourtant prévu de discuter : la forme de notre auto organisation. Avoir empêché la discussion ne résout certes pas le problème. (...)"
Sur le site "studenti in lotta" on peut lire un appel "pour la construction d'une coordination nationale des luttes étudiantes" faisant référence à la lutte contre le Cpe :
 " En France les étudiants ont gagné parce qu'ils se sont donnés une coordination nationale de lutte.(...) Nous devons suivre leur exemple : chaque faculté ou école mobilisée élit en assemblée générale un nombre de délégués proportionnel au nombre de participants ( un délégué pour cinquante réunis en assemblée). Les délégués se font les porte parole des propositions émises en assemblée et décident avec les autres délégués les étapes suivantes de la lutte. C'est seulement avec l'organisation et la démocratie que l'on gagne."


De la grève du 12 décembre à celle… du 13 février :


A la veille de la grève du 12 décembre, appelée par la Cgil et les syndicats de base, le gouvernement Berlusconi manœuvre. Il convoque les représentants des syndicats confédérés et la ministre annonce : le "maestro unico" n'est plus la règle mais sera mis en place seulement à la demande des parents, pour les autres niveaux la réforme est renvoyée à l'année 2010, une méthode que Darcos reprendra 4 jours plus tard ...
 La presse, "La Repubblica"(pro Pd) et  "Il Manifesto"(pro Prc) titrent comme si c'était une grande victoire. Mais les interviews à l'intérieur des journaux montrent une autre réalité, la directrice de l'école "Iqbal Masiq" de Rome : " ... La vraie victoire ce sera si nous réussissons à faire abolir les "tailles" ". Un responsable de "Rete scuole":"La grève (le 12) est confirmée parce que les raisons pour la faire demeurent, ce sont les 132000 suppressions de postes".
A l'évidence Berlusconi ne pouvait pas continuer de faire comme si de rien n'était et la direction de la Cgil a accepté de  rencontrer la ministre sans poser en préalable le retrait des "tailles". Cela revient à s'engager dans la discussion sur la mise en oeuvre de la réforme alors même qu'au sortir du ministère elle reconnaît : "Demeure la nécessité de poursuivre la mobilisation à partir de la grève de demain (le 12) parce que les obstacles de nature économique n'ont pas été retirés et l'école primaire risque de payer un prix très élevé (altissimo), que nous n'entendons pas accepter". Les "obstacles de nature économique" (quelle "pudeur" !) ce sont les "tailles" maintenues.
 
 On ne peut pas évoquer la grève du 12 sans parler des manifestations "disloquées" non seulement par villes mais encore par cortèges! Pas moins de 2 voire 3 défilés distincts dans les grandes villes, les syndicats de base refusant de manifester aux côtés de la Cgil. Choix délicat pour les enseignants et les étudiants : avec qui manifester? A Milan "Rete scuole" a choisi de ne privilégier aucun des deux cortèges exprimant ainsi un souci d'unité qui n'a pas trouvé d'organisation politique nationale pour l'appuyer par un combat centralisé.

 La grève du 12 semble avoir été massivement suivie dans la métallurgie (de 50 à 80% dans les grandes entreprises : Fiat, ...). Au lendemain la direction de la Cgil maintient sa ligne : disponibilité à discuter des "solutions" à la crise avec le gouvernement et journées d'actions. Elle accueille avec intérêt une déclaration du ministre du travail (Sacconi) proposant le chômage technique par rotation (par exemple chaque ouvrier travaillerait 4 jours par semaine et serait deux jours au chômage technique, avec réduction de salaires ...) : " bienvenus les instruments de solidarité à condition qu'ils soient insérés dans un cadre de protection (...) qu'ils n'excluent pas les travailleurs précaires, et que ce ne soit pas une ruse pour éviter au gouvernement de faire les investissements nécessaires " (Epifani le 22 décembre). Au même moment elle annonce une manifestation nationale à Rome ... fin mars!

Les directions fédérales Fiom et Fonction publique ont décidé une manifestation nationale commune à Rome le 13 février. Un programme d'actions "dans la durée" qui vise à prévenir toute explosion que pourrait provoquer la colère ouvrière face aux conséquences de la crise.


La question du pouvoir, celle du parti


Ces manœuvres s'appuient sur une campagne acharnée pour laisser entendre qu'il ne peut pas y avoir d'issue politique ouvrière. Illustration avec cette interview de Carlo Podda secrétaire générale de la Fp Cgil :
"Au delà de l'embarras dans lequel le Pd se trouve vis- à -vis de la Cgil, il me semble, de manière générale que l'opposition ne constitue pas un appui politique."
 Certes le Pd n'est pas un débouché politique pour la classe ouvrière, mais au nom de cette évidence on déduit un curieux principe "d'indépendance" du syndicat.  Déclaration de la "Rete 28 aprile" du 8 décembre :
 "(...) La demande de beaucoup  de travailleurs a été : "aujourd'hui vous avez raison mais pourquoi vous n'avez pas bougé quand Prodi était au pouvoir"? Continuer signifie donc séparer toujours davantage les destinées de la Cgil de celles des partis politiques, y compris ceux de centre gauche. L'affaiblissement et la crise du Pd, si dans l'immédiat ils renforcent Berlusconi, peuvent être à l'avenir l’occasion pour la Cgil de couper tout collaboration avec les partis politiques, et intervenir sur la politique en partant exclusivement de ses propres raisons sociales."

Ce qui dans le document préparatoire à l'assemblée de ce courant (14 mars 2008) donnait : " Le syndicat peut avoir des gouvernements adversaires mais il n'a pas de gouvernements amis". Ce à quoi un militant de la Fiom réagit (dans une tribune libre interne) :
"Quelques lignes avant cette terrible conclusion, on dit justement que "le syndicat appartient à tous les travailleurs qui lui donnent du temps et de l'argent" (...) La Cgil a 5 millions d'inscrits et elle doit représenter 22 millions de travailleurs. Alors je demande : si le syndicat leur appartient(...), ces 5 ou 22 millions de travailleurs ne peuvent vraiment pas avoir un gouvernement ami?(...) Même chose concernant "l'indépendance syndicale". Si le syndicat appartient aux travailleurs ce sont les travailleurs qui doivent être indépendants. Mais ces 5 millions de travailleurs ne doivent pas être  nécessairement indépendants des partis et des gouvernements, mais seulement des partis et des gouvernements qui ne sont pas ceux des travailleurs.(...) Si tu essayes d'imaginer le syndicat qui fonctionne vraiment sous le contrôle des travailleurs, puis si tu imagines de manière analogue un "parti des travailleurs" avec la même démocratie interne, je demande : mais pourquoi le syndicat des travailleurs devrait être indépendant de leur "parti"?"
Mais qu'est ce qu'un "parti des travailleurs"?  La crise systémique dans laquelle nous sommes entrés redonne, pour une avant garde dans la classe ouvrière et la jeunesse, toute sa force à la formule de Lénine : "On ne peut aller de l'avant si on craint d'aller au socialisme". Mais il  faut une transition, elle passe par le combat pour imposer que les revendications vitales soient reprises par les organisations syndicales et sur cette base engager l'action pour défaire le gouvernement et le chasser. Dans ce combat  pourrait se construire un parti révolutionnaire. En Italie ils sont plusieurs milliers de militants à dire que c'est leur but. Mais ce parti ne peut pas sortir tout armé par l'auto proclamation de tel ou tel groupe se réclamant du socialisme. Il ne peut pas non plus être le produit de la fusion de différentes fractions politiques issues des crises du Pci sans compréhension commune des processus qui ont conduit à cette situation ; sans une analyse rigoureuse de la situation mondiale du point de vue économique et du  point de vue du mouvement ouvrier.

 Une dimension essentielle du combat pour la construction d'un Parti ouvrier révolutionnaire est l'intervention dans les syndicats.  Dans : "les syndicats à l'époque de la décadence  impérialiste" (Août 1940) Trotsky écrit : " Non seulement le travail au sein des syndicats n'a rien perdu de son importance mais reste comme auparavant et devient même dans un certain sens révolutionnaire. L'enjeu de ce travail reste essentiellement pour influencer la classe ouvrière. Chaque organisation, chaque parti, chaque fraction qui se permet une position ultimatiste à l'égard des syndicats, c'est à dire qui en fait tourne le dos à la classe ouvrière simplement parce que ses organisations ne lui plaisent pas, est condamnée à périr. Et il faut dire qu'elle mérite son sort." Il développe ensuite pourquoi l'indépendance de classe des syndicats par rapport à l'Etat bourgeois ne peut être assurée que par une direction révolutionnaire.

En Italie la Cgil est l'organisation vers laquelle se tourne une majorité de travailleurs (ce qui ne veut pas dire qu'ils aient confiance dans sa direction) lorsque se pose le problème d'affronter patronat et gouvernement.

 L'intervention dans les "syndicats de base"( Cobas, Cub, ...) ne peut pas être une alternative au combat dans la Cgil. Il suffit de considérer l'attitude sectaire de leurs directions vis- à -vis de la Cgil, qui fait le jeu de la direction de la confédération, au lieu et place d'un combat pour le Front unique qu'ils auraient  les moyens de mener.


Quelques enseignements


Le développement de la crise mondiale du système capitaliste modifie les conditions politiques de la lutte des classes : en Italie comme en Grèce non seulement la jeunesse a fait irruption en masse, mais à l'évidence sa mobilisation est en prise sur une disponibilité réelle de la classe ouvrière à combattre pour "ne pas payer les frais de la crise".

 En Italie la difficulté à formuler une issue politique (difficulté sur laquelle s'appuient les bureaucrates syndicaux) est le principal frein à la lutte des classes. Elle concentre les obstacles que enseignants et étudiants n'ont pu surmonter pour constituer de véritables organes nationaux de délégués élus dirigeant les luttes et contraignant les directions des organisations syndicales à réaliser le  Front Unique pour interdire les "réformes".
 Néanmoins une riche expérience a été accumulée. Elle doit être mise à profit pour préparer les combats à venir dans lesquels la jeunesse  prendra à nouveau sa place. Elle doit servir à enrichir la discussion avec tous ceux qui recherchent aujourd'hui les moyens théoriques et organisationnels du combat pour en finir avec le capitalisme, pour le socialisme.

 A ces conditions il est possible que des pas en avant soient accomplis vers la construction de l'outil indispensable pour ouvrir une alternative à la barbarie capitaliste. C'est ce que la bourgeoisie redoute par dessus tout. Un journaliste de "Il Manifesto" l’exprime ainsi :
"Ni de droite ni de gauche n'est pas mon interprétation mais c'est visiblement la manière dont une large partie du mouvement se perçoit lui même. Justement c'est la partie anti hiérarchique, anti autoritaire, auto gestionnaire et contre la propriété privée du savoir (sic) (...) Le fait que toute cette fermentation ne puisse pas être réduit à un cadre idéologique cristallisé est exactement ce qui déstabilise le cours du pouvoir, (...) reste naturellement le sacro saint devoir de réagir avec force à toute agression et éloigner avec décision les provocateurs organisés. Mais ce mouvement a démontré y parvenir sans faire flotter au vent  faucilles et marteaux et portraits de Staline". ("Il Manifesto" du 12 novembre)
 A travers cette "langue de bois" on reconnaît : "votre combat n'est pas politique, il n'est pas une partie du combat de la classe ouvrière contre le capital, son Etat, son gouvernement et par conséquent vous n'avez pas besoin de vous organiser en parti".
 Et pour ceux qui n'auraient pas bien compris : la dernière phrase assimile lutte pour le communisme et stalinisme (comble de la canaillerie pour un courant politique qui a pour modèle "Die Linke" l'organisation allemande qui intègre l'ex parti stalinien d'Allemagne de l'Est).

Il est encore trop tôt pour évaluer les effets sur le mouvement ouvrier  des luttes de classes de ces derniers mois. Pour sa part notre groupe considère que faire connaître ces données politiques aux jeunes, aux enseignants, aux travailleurs de notre pays est un armement pour le combat contre les "réformes" en France et donc pour construire un Parti ouvrier révolutionnaire, et une Internationale ouvrière révolutionnaire.


 
Le 27 décembre 2008

 

Haut de la page