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Article paru dans C.P.S. n°33 de juin 2008Espagne : malgré la politique du PSOE,
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2008 |
2004 |
2000 |
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Participation |
75,3% |
75,6% |
68,7% |
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Nombre de voix |
% |
Députés |
Nombre de voix |
% |
Députés |
Nombre de voix |
% |
Députés |
PSOE |
11.064.524 |
43.64 |
169 |
11.026.163 |
42.64 |
164 |
7.918.752 |
34.16 |
125 |
PP |
10.169.973 |
40.11 |
153 |
9.763.144 |
37.64 |
148 |
10.321.178 |
44.52 |
183 |
IU |
963.040 |
3.80 |
2 |
1.284.081 |
4.96 |
5 |
1.263.043 |
5.45 |
8 |
CiU |
774.317 |
3.05 |
11 |
835.471 |
3.24 |
10 |
970.421 |
4.19 |
15 |
EAJ-PNV |
303.246 |
1.20 |
6 |
420.980 |
1.63 |
7 |
353.953 |
1.53 |
7 |
UPyD |
303.535 |
1.20 |
1 |
- |
- |
- |
- |
- |
- |
ERC |
296.473 |
1.17 |
3 |
652.196 |
2.54 |
8 |
194.715 |
0.84 |
1 |
Si le PSOE remporte les élections ce n’est qu’avec 40 000 voix de plus qu’en 2004, alors que le PP retrouve quasiment le nombre de voix qu’il rassemblait en 2000, année où il remportait la majorité absolue aux Cortes.
Le rassemblement sur le vote PSOE est indéniable, mais il faut préciser qu’il ne récupère pas l’ensemble des voix qui s’étaient portées sur l’ERC (Gauche Républicaine Catalane) et IU (« Gauche Unie ») en 2004. Si l’on comptabilise en effet l’ensemble des voix de ces trois partis –qui ont formé la majorité aux Cortès pendant quatre ans- en 2004 et en 2008, ils perdent 600 000 suffrages. Certes, l’Union pour le Progrès et la Démocratie (UPyD), un nouveau parti fondé par une ancienne députée européenne du PSOE, des représentants de la « société civile », auxquels s’est rallié Nicolas Redondo, dirigeant historique de l’UGT, de 1976 à 1994 et ancien dirigeant du PSOE, récupère une partie de ces voix, notamment à Madrid. Toutefois il est vraisemblable qu’une partie de la classe ouvrière et de la jeunesse s’est abstenue, alors qu’en même temps, une fraction de la bourgeoisie, notamment basque et catalane a voté PSOE. Les résultats par province confirment cette situation. Ainsi en Catalogne, le PSOE gagne près de cent mille voix et confirme sa place de premier parti devant CyU et au Pays basque c’est la première fois qu’un « parti national » arrive en tête, devant le PNV (Parti National Basque). En Andalousie, région historiquement acquise au PSOE, ce dernier obtient la majorité, mais il perd des voix et le PP progresse significativement. Ailleurs, là où le PSOE gagne des voix, c’est par un report des voix portées précédemment sur IU.
Par ailleurs, on constate que le recul d’IU se poursuit, recul amplifié par le système électoral qui fait que bien qu’étant le troisième parti en nombre de voix, il n’a plus que deux députés. Cette coalition est en crise permanente, le résultat des élections ne fait que l’aviver, et aujourd’hui, les couteaux sont tirés entre les différentes fractions du PCE qui la dirige.
Mais le fait essentiel est bien l’échec du PP dans sa tentative de revenir au pouvoir. Les masses ont avant tout voté contre lui, pour ce qu’il représentait : le défenseur acharné de l’héritage du franquisme. Conséquence de cette défaite, Rajoy tente un nouveau « recentrage » du PP. Mais cela pose des problèmes au sein du parti :
« M. Rajoy avait vite pris à contre-pied ceux qui le poussaient poliment vers la sortie en annonçant qu'il briguerait la présidence du PP en juin pour être à nouveau son candidat à la présidence du gouvernement en 2012. (…)
Le PP doit cesser d'inspirer du "rejet", notamment en Catalogne et au Pays basque, et recentrer son discours sur "les problèmes économiques des familles", avait analysé Rajoy, en s'épargnant la moindre autocritique.
Les durs ont reçu le message. Les deux ex-fidèles lieutenants d'Aznar, le porte-parole parlementaire Eduardo Zaplana et le secrétaire général Angel Acebes, ont devancé l'épuration en annonçant leur départ à quelques semaines d'intervalle.
Et les nominations par Rajoy d'une garde rapprochée de jeunes militants à des postes-clés n'ont fait qu'attiser l'aigreur de cadres aguerris. » (AFP, 16/05/2008)
En fait c’est Zapatero qui aujourd’hui soutient le plus efficacement Rajoy. Il a placé au cœur de son discours d’investiture, le 9 avril, l’appel à tous les partis, et d’abord au PP, à l’Union Nationale « contre le terrorisme » :
« Le leader socialiste a proposé de passer des accords sur plusieurs grands sujets nationaux, en particulier la politique contre le groupe basque armé ETA, mais aussi sur des réformes concernant la justice.(…) Le leader de l'opposition Mariano Rajoy a lui-même reconnu que le "son des paroles" de son adversaire lui avait "plu" et s'est déclaré ouvert à l'offre de pactes. [Souligné par nous] Malgré tout, le PP a voté mercredi, comme prévu, contre l'investiture de M. Zapatero, critiquant dans le discours-programme du socialiste "l'insuffisance" des mesures annoncées pour contrer le brusque ralentissement économique que connaît le pays. » (AFP, 09/04/2008)
Cette main tendue au Parti Populaire, auquel Zapatero a proposé de voter pour son investiture aux Cortes, se situe dans la continuité de la politique menée par le PSOE au pouvoir depuis 2004.
Porté au pouvoir dans les circonstances que nous avons rappelées, le gouvernement Zapatero, entre 2004 et 2008, a dû louvoyer, dans sa politique de défense du capitalisme espagnol, face à la volonté réactivée des masses de liquider l’héritage du franquisme et du gouvernement Aznar. Sa première mesure va ainsi être de retirer les troupes espagnoles d’Irak, exigence portée par d’immenses manifestations contre Aznar. Mais c’est pour le PSOE l’occasion, forcée, d’un réajustement de la position de l’Espagne dans le concert des impérialismes, prenant ses distances avec Washington pour se rapprocher (idem sur la « constitution européenne) de Berlin et Paris – et intervenant aujourd’hui au Liban en concertation avec la totalité des grandes puissances impérialistes.
De même, s’agissant de l’héritage du franquisme, le gouvernement Zapatero va procéder à des ajustements non négligeables. Ainsi il est revenu sur les mesures prises par Aznar sur l’enseignement religieux dans les établissements publics, il a fait voter une loi dite de « récupération » de la mémoire, loi qui reconnaît Républicains, assassinés par Franco le statut dénié jusqu’ici de victime. Les lois qu’il a fait adopter sur le mariage homosexuel, sur la violence faite aux femmes, se situent dans le même cadre.
Mais il va se heurter à la mobilisation de la réaction, mobilisée derrière l’église catholique.En 2005, lorsqu’une nouvelle loi sur l’éducation, concernant notamment l’enseignement religieux, est votée, l’Eglise fait défiler des centaines de milliers de personnes à Madrid. Face au mariage homosexuel, c’est une nouvelle levée de boucliers. De même, pour faire pièce à l’adoption de la loi sur la mémoire, le pape béatifie les « prêtres martyrs », franquistes, que le prolétariat et la paysannerie espagnole ont exécutés en 1936 et 1937. Ainsi, que ce soit directement par le pape en visite à Valence, par les déclarations individuelles d’évêques, ou par la conférence épiscopale, l’Eglise va mener une campagne de tous les instants contre le gouvernement et va, dans une certaine mesure, mené la campagne électorale du PP.
Pour autant, il n’y a pas avec Zapatero de rupture fondamentale. Il ne va pas cesser de donner des gages à la réaction catholique : ainsi, alors qu’il réforme le financement de l’Eglise par l’Etat, il augmente « l’impôt catholique » (un impôt volontaire) ; à l’automne 2007, il renouvelle l’essentiel des accords passés entre l’Eglise et l’Etat. Enfin, au moment de la béatification des prêtres franquistes, il envoie des représentants du gouvernement à la cérémonie… Il faut répéter que le concordat signé entre Franco et le Vatican reste en vigueur. Il s’agit pour Zapatero de gommer les traits les plus criants qui renvoient au passé, de « normaliser » en quelque sorte la démocratie bourgeoise espagnole, en aucun cas de bouleverser la situation, de remettre en cause le cadre politique hérité du franquisme.
En matière de gestion de la question nationale, Zapatero aussi a poursuivi une politique de défense des intérêts du grand capital : une sorte de « modernisation négociée » combinée au maintien de la répression, et la défense de la « nation espagnole », pour reprendre les termes d’un discours de Rajoy, de la rhétorique du Parti Populaire.
En ce sens, il a remporté un succès politique sur la question de la Catalogne, comme il l’indique lui-même au Monde Diplomatique de mars 2007 :
«nous avons mis en place un système de modernisation des statuts d’autonomie dans un sens plus favorable aux régions, tout en respectant la cadre institutionnel de l’Etat. (…) La réforme du statut de la Catalogne a pu voir le jour, (…) ce qui constitue désormais une référence pour la réforme des statuts des autres régions »
En effet, la Catalogne, la région la plus riche d’Espagne, détient aujourd’hui une autonomie très large, et d’ailleurs les réformes de Zapatero ont rencontré un écho favorable auprès de la bourgeoisie catalane, notamment à travers son parti Convergence y Union (CyU). Cette dernière a pour souci essentiel aujourd’hui de payer le moins possible pour les autres régions, ce que l’on retrouve ailleurs en Europe, sous des formes différentes (cf. l’article sur la Belgique dans ce numéro). Dans ces conditions, il serait hasardeux d’affirmer qu’une quelconque oppression de la Catalogne subsiste encore…
En revanche, au Pays basque, malgré l’existence du Parti national basque (PNV), majoritaire, représentant des intérêts de la bourgeoisie locale, la question nationale demeure épineuse. En effet, le PSOE, le PCE, les organisations ouvrières espagnoles se sont de fait constamment opposés à l’autodétermination du peuple basque depuis 1975. La question basque est même devenue au fil du temps une manière de former l’union nationale contre le terrorisme (grâce à la politique criminelle d’ETA), entre le PP et le PSOE.
Dans cette région, le gouvernement Zapatero a combiné des négociations pour obtenir la reddition d’ETA, et la répression contre les militants politiques indépendantistes, dans la continuité de la politique du PP. En 1997 Aznar avait fait arrêter la direction de Herri Batasuna, un parti nationaliste petit-bourgeois basque radical, non au nom de liens avec l’ETA, qui n’ont jamais été prouvés, mais pour « apologie du terrorisme », pour avoir diffusé une cassette vidéo de membres d’ETA.
Une nouvelle fois, Otegi, le leader, a été arrêté et condamné à 15 mois de prison pour s’être associé en 2003 à une cérémonie pour le 25ème anniversaire de la mort d’un des fondateurs de l’ETA. Depuis, le parti lui-même a été interdit, sa direction (libérée en 1999 tant la mesure était inique et ne correspondait en rien au droit) a de nouveau été arrêtée, mais cette fois par le gouvernement Zapatero. Les partis ANV, action nationale basque, et PCTV, parti communiste des terres basques, ont été interdits à nouveau en 2008, et ils n’ont pas pu se présenter aux élections de mars, accusés d’être des reformations de Batasuna.
La question nationale en Espagne était directement liée à l’arriération du pays, puis à l’oppression franquiste. Il est incontestable que l’entrée dans l’Union Européenne et les « réformes » menées depuis des décennies par les gouvernements successifs ont permis à l’impérialisme espagnol de connaître un réel essor économique et de retrouver une place importante sur le marché mondial, notamment en Amérique latine, nous y reviendrons. Cela a donné des marges de manœuvre, comme en témoigne la résolution, au moins temporaire, de la question catalane.
Pour autant, les lignes suivantes de Trotsky gardent une grande acuité :
« Les ouvriers défendront intégralement et sans réserves le droit des Catalans et des Basques à vivre en Etats indépendants, dans le cas où la majorité des nationaux se prononcerait pour une complète séparation. Ce qui ne veut nullement dire que l’élite ouvrière doive pousser les Catalans et les Basques dans la voie du séparatisme.
Bien au contraire : l’unité économique du pays, comportant une large autonomie des nationalités, offrirait aux ouvriers et aux paysans de grands avantages du point de vue de l’économie et de la culture générales." (Trotsky, La Révolution espagnole et les tâches communistes, 24 janvier 1931)
Aujourd’hui, seule la perspective de la fédération ibérique des républiques socialistes permettrait de résoudre cette question, tout comme elle résume le combat résolu contre les institutions héritées du franquisme. Mais la voie n’en peut s’ouvrir que dans le combat contre le gouvernement Zapatero, lequel a globalement, par-delà ses louvoiements, inscrit ses pas dans ceux de son prédécesseur.
Dès son investiture en 2004 Zapatero affirme qu’en matière économique il se placera dans la continuité d’Aznar. D’abord, il nomme au ministère de l’économie le commissaire européen Solbes (l’homme de la rigueur budgétaire sous Gonzales), qui déclare dès son arrivée qu’en matière budgétaire il maintiendra les « acquis » laissés par Aznar : l’équilibre budgétaire et la réduction des déficits publics. De la même façon, Zapatero affirmait que la politique économique menée par Aznar était un acquis à préserver.
En 2004 le premier véritable test pour Zapatero va être la question de la privatisation des chantiers navals publics. A la fin de son mandat, Aznar avait déjà annoncé la restructuration (privatisation et plan de licenciement) de la société Izar.
Lors de sa campagne, Zapatero promettait lui qu’il n’y aurait ni privatisation, ni licenciements. Il s’agit là du cœur de la classe ouvrière espagnole, les travailleurs des chantiers navals avaient été à la pointe du combat contre Aznar et sa politique et les premiers à se mobiliser contre lui suite aux attentats. Pourtant, en septembre 2004, Zapatero annonce finalement un nouveau plan de restructuration d’Izar (le cinquième depuis 1984), en se cachant derrière l’Union Européenne et la concurrence asiatique. Contre ce plan, les travailleurs vont se mobiliser massivement à travers plusieurs journées d’action, de Cadix à Bilbao, croyant aux promesses de Zapatero… En novembre 2004, ils en viennent à s’affronter avec la police anti-émeute envoyée par le gouvernement. Finalement la direction d’Izar, soutenue par le gouvernement et appuyée sur les discussions avec les représentants syndicaux, ainsi que sur leur absence d’appel à la grève générale des chantiers navals, fait passer son plan et début 2005 un accord est signé. Cet accord prévoit que la branche civile sera privatisée sur quatre centres et que 3983 emplois (sur un total de 10800) seront supprimés lors de départs en pré-retraites.
Ainsi, malgré les affrontements exprimant la volonté de combat des travailleurs, encouragés par la victoire du PSOE, les plans de licenciements dans les grandes entreprises espagnoles se sont multipliés durant toute la mandature de Zapatero, sans qu’il n’intervienne du tout. Plans de licenciements accompagnés par les directions syndicales… On peut citer Iberia, mais aussi Seat où, en décembre 2005, la direction de Volkswagen prévoyait la suppression de 1346 emplois sur 14000, dont 660 sous la forme de licenciements. Après plusieurs semaines de combat des ouvriers, les organisations syndicales signent un accord avec la direction de SEAT le 16 décembre 2005, permettant la mise en œuvre du « plan social », et se proposant de dresser elles-mêmes la liste des futurs licenciés ! Les travailleurs qui ont tenté de résister ont subi la répression de la part de la direction, qui les a licenciés pour faute.
Un dernier élément illustre ce volet de la politique de Zapatero : la loi présentée en 2005 comme le plus grand mouvement de régularisation d’immigrés clandestins. Selon les estimations mêmes du gouvernement, il y avait en Espagne, en 2005, 1.6 million de travailleurs immigrés en situation illégale, alors que la régularisation entamée concernait 700 000 travailleurs. Cette loi laisse sur le carreau plus de la moitié des travailleurs et immigrés clandestins, en faisant reposer leur régularisation à l’acceptation par leur patron de leur établir un contrat, bref elle se situe dans le cadre cher à Sarkozy de « l’immigration économique », tout en instaurant un nouveau lien de subordination entre les ouvriers immigrés et leurs employeurs.
Dès juillet 2004 le gouvernement signe avec les directions syndicales et le patronat une « déclaration en faveur du dialogue social ». Fort des précédents, le gouvernement tient à s’appuyer sur le dialogue social. En effet, durant le premier mandat d’Aznar, on a vu les organisations syndicales participer à la discussion sur de nombreux sujets, le droit du travail, les retraites, ce dont le gouvernement avait profité, d’autant que l’UGT et les CCOO avaient non seulement participé à la discussion, mais aussi signé les accords.
C’est ainsi que s’est appliqué le « Pacte de Tolède », qui a notamment permis au gouvernement de prendre en compte les 15 dernières années pour l’établissement de la pension, et non plus les 8 dernières, et de faire passer l’âge de départ en retraite à 63 ans. Si les relations avec les appareils syndicaux s’étaient tendues après 2001 c’est que les masses avaient renoué avec le combat contre le gouvernement, rendant la position des appareils syndicaux moins confortable.
Le nouveau gouvernement du PSOE, parti historiquement proche de l’UGT, peut bénéficier d’une position de principe des organisations syndicales pour le « dialogue social », et d’un contexte politique différent. Sur cette base, deux chantiers s’ouvrent à l’automne 2004 : sur la « réforme du marché du travail » et sur une « nouvelle politique salariale », auxquels vont s’ajouter des discussions sur « l’égalité homme femme au travail ».
S’agissant des contrats de travail, après quatorze mois de discussions, un accord est conclu en mai 2006, il s’agit d’un nouvel accord sur la précarité du travail :
« (…) les entreprises qui transformeront des contrats précaires en emplois fixes avant la fin 2007 pourront utiliser un type de CDI plus souple, jusqu'alors réservé à des publics fragiles (…). Avec ce contrat, l'indemnité de licenciement est de 33 jours par année d'ancienneté, avec un maximum de 24 mensualités, contre 45 jours (et un plafond de 42 mensualités) pour le CDI ordinaire.» (Le Monde, 9 mai 2006).
S’ajoute à cela de nouvelles aides versées aux patrons, et l’abaissement de leurs cotisations pour le chômage.
Quant à l’accord sur l’égalité homme femme, il ne donne que quelques miettes dans la distribution des congés parentaux, paternité et maternité. L’égalité salariale doit être résorbée par des négociations dans le cadre des entreprises, et le chômage ou la précarité des contrats ne sont pas évoqués. La seule mesure contraignante, finalement, est l’obligation de parité pour les conseils d’administration des entreprises d’ici 2012. L’égalité pour la bourgeoise est garantie, mais celle des salaires, des contrats de travail des femmes travailleuses est renvoyée aux calendes grecques.
En novembre 2005 s’ouvrent également des discussions sur les retraites et un accord entre les organisations syndicales, le gouvernement et le patronat est signé en juillet 2006 : il s’agit d’appliquer des décotes, d’inciter à travailler au-delà de 65 ans.
Des accords interprofessionnels de modération salariale sont également signés entre le patronat et les directions syndicales. Il faut préciser que c’est depuis 2002 que de tels accords sont signés. A leur sujet, un dirigeant de l’UGT déclare que l’on est en présence d’une : « politique de croissance modérée des salaires dont les résultats ont été compatibles avec l’obtention de gains de pouvoir d’achat pour les salariés et l’augmentation des bénéfices des entreprises (…) » (El Pais, 26 janvier 2005)
Si globalement le gouvernement de Zapatero a mené une politique anti-ouvrière, il l’a fait de manière moins frontale qu’Aznar, en particulier entre 2000 et 2004. Mais le maintien des « réformes » d’Aznar, la poursuite de l’offensive pour flexibiliser les travailleurs, se sont faits par le truchement du renforcement du dialogue social pour associer l’UGT et les CCOO à cette politique.
Rappelons qu’IU (la « gauche unie ») est une coalition regroupant autour du PCE des partis bourgeois, les Verts, et la LCR espagnole (pabliste). C’est en soi un facteur de dissolution de segments du mouvement ouvrier, du PCE, et une source de confusion politique pour le prolétariat.
IU est dirigée par une fraction du PCE, la plus ouvertement « modernisatrice », pro-bourgeoise, dont l’orientation a été pendant toute la législature, celle d’un soutien de « gauche » à Zapatero, ce qu’a qualifié une autre fraction du PCE de « zapatérisme de gauche ». Un représentant du courant pabliste d’IU dressait le bilan suivant de la politique menée par la direction du PCE depuis 2004 :
« IU s’est révélée incapable de dresser une alternative ni même d’agir comme une opposition de gauche aux politiques sociales-libérales du gouvernement. Tout au contraire, le groupe parlementaire de IU s’est avalé les budgets de Solbes, y compris le dernier justement appelé « antisocial » mais voté de façon « responsable » en deuxième lecture (…), la loi de défense nationale, la LOE, l’expédition au Liban, et pratiquement tout ce qu’a fait le gouvernement. Sans oublier sa politique anti-terroriste (…), y compris les « interrogatoires habiles » de la garde civile, qui atteint en ce moment un niveau d’ignominie inégalée. »
Bref, IU a, de l’aveu même de ceux qui ont œuvré à la construire, contribué à boucher la voie à toute remise en cause du gouvernement Zapatero, et derrière lui, à ces institutions issues du franquisme qui avaient été ébranlées en 2004.
Singulièrement, cette soumission du PSOE, du PCE (et des appareils syndicaux) à ces institutions a été soulignée par les initiatives prises par l’ERC (gauche républicaine catalane). En septembre 2007, ses sénateurs déposaient par exemple un amendement visant à ôter au roi les fonctions de chef des armées pour les donner au chef du gouvernement. Le Monde (02/10/2007) rapportait pour sa part qu’un précédent s’était produit en Espagne, lequel:
« a été le fait d'indépendantistes catalans qui, après un déplacement du monarque à Gérone, jeudi 13 septembre, ont brûlé à plusieurs reprises des photos du roi. Deux personnes sont depuis poursuivies pour "injure grave" à la couronne. (…) Le 29 septembre, cinq cents indépendantistes ont manifesté à Barcelone pour les soutenir, tandis qu'à Lleida et à Manresa (deux villes catalanes), d'autres manifestants ont de nouveau brûlé des photos de la famille royale ».
Or la question de la monarchie, clé de voûte des institutions, peut être amenée à prendre un tour aigu devant la détérioration rapide de la situation économique.
La dernière décennie a été une période faste pour les capitalistes espagnols :
« L'Espagne connaît une période de croissance sans précédent. Le chômage y a spectaculairement baissé au point qu'il a fallu faire appel fortement à l'immigration pour tenir le rythme de développement. Les caisses de l'Etat sont pleines. A peine plus de vingt ans après son entrée dans ce qui s'appelait alors la Communauté économique européenne, le pays a quasiment rattrapé ses grands voisins en matière de niveau de vie. Il a aussi enfanté des champions de taille internationale, à l'image de Telefónica, dans les télécommunications, et de Banco Santander, dans la finance, ou d'Iberdrola dans l'énergie. Dans le même temps, l'espagnol est devenu la seconde langue de la mondialisation. Madrid, qui a renoué des liens serrés avec l'Amérique latine, a retrouvé de ce fait un certain statut de puissance. » (Les Echos, 30/10/2007)
Ainsi, avant 2007, la croissance annuelle espagnole est en moyenne de 3,5% du PIB, les chiffres officiels du chômage sont en baisse et depuis 2005, le budget de l’Etat est même excédentaire. Il faut y ajouter la place de choix que s’est taillée l’Espagne en Amérique latine, reprenant ainsi un rang de puissance impérialiste :
« «Pourquoi tu ne te tais pas?!» L'esclandre qui a opposé le roi Juan Carlos Ier et Hugo Chaves a fait le tour de la planète (…).davantage que les accusations de Caracas à l'égard de l'ancien premier ministre espagnol José Maria Aznar, ce sont les critiques répétées de Buenos Aires, Quito et surtout Managua, contre le comportement des transnationales espagnoles qui ont provoqué – peu après la royale injonction à Chaves – le départ courroucé du monarque. Insolite dans sa forme, l'incident diplomatique est sans aucun doute révélateur de la profonde transformation, ces vingt dernières années, des relations entre l'ancienne puissance coloniale et les Etats latino-américains. Boutée militairement hors du continent en 1898, l'Espagne était cantonnée, depuis lors, dans un rôle de simple réservoir de migrants et de lointaine référence culturelle, laissant aux Etats-Unis la puissance tutélaire.
Mais depuis la fin des années 1980, le balancier est reparti dans l'autre sens. Les vagues de privatisations au Nord comme au Sud ont vigoureusement relancé les affaires du capital espagnol sur le sous-continent. Les quelque 4,5 milliards d'euros investis par les sociétés ibériques en 1990 ont été multipliés par vingt! » (Tiré du journal Suisse, Le Courrier, 24/11/2007)
Ainsi l’Espagne est devenu le premier investisseur en Amérique latine, avec des sociétés comme Endesa (électricité), Telefonica ou Repsol.
La croissance espagnole repose sur les coups portés aux masses autant par les gouvernements Aznar, Gonzales, que Zapatero, sur une forte demande interne, sur des investissements publics en équipements et surtout sur le secteur de la construction (19% du PIB). Ce secteur s’est développé à partir d’une augmentation nominale des prix record (240% depuis 2000), et d’un endettement tout aussi record des ménages, qui serait passé de 66% des revenus disponibles en 1999 à 103% en 2005 (le taux le plus important de tous les pays du G7), pour atteindre 900 milliards d’euros en 2007 (soit l’équivalent du PIB espagnol). Or depuis début 2007 ce secteur est en crise, situation aggravée par la crise financière partie des Etats-Unis cet été. Ainsi en janvier les ventes auraient chuté de 27%, les prix du logement de 3,08% en 2007.
Dans ce contexte, les craquements financiers et boursiers ont touché plus gravement l’Espagne que les autres pays capitalistes, le secteur bancaire (Santander, Sabadell…), mais aussi d’autres groupes industriels (Repsol, Telefonica). Depuis le mois d’avril 2007 le secteur bancaire espagnol a perdu 40 % de sa capitalisation.
Cela menace l’ensemble de l’économie espagnole d’embolie, et les prévisions de croissances sont régulièrement revues à la baisse pour 2008. De plus, le secteur automobile, qui s’était développé notamment pour des raisons de coûts de main d’œuvre est aujourd’hui largement concurrencé par d’autres pays en Europe. Bref, les perspectives des capitalistes espagnols sont sombres, mais évidemment bien plus dures pour le prolétariat.
Les conséquences immédiates de la crise ne se sont pas fait attendre : au premier trimestre 2008 ce sont 246.600 chômeurs de plus, faisant passer le taux officiel de chômage de 8,6% à 9,6% de la population active, alors que les masses espagnoles ont à faire avec des salaires fort bas, une inflation élevée (une prévision de 4,3% en 2007), dans un pays où les emplois au noir ou précaires sont structurellement importants. Les masses espagnoles vont avoir à lutter pour défendre leurs conditions immédiates d’existence, face à une offensive inévitable que concocte le gouvernement devant à la crise qui se profile.
Lors des élections, alors même que Zapatero faisait une campagne vantant les « acquis » (pour le patronat) en matière économique et sociale de son gouvernement, les dirigeants de l’UGT et des CCOO lui ont apporté leur soutien.
Il ne s’agissait en aucun cas pour eux d’appeler à voter PSOE. Le secrétaire général de l’UGT, proche du PSOE, expliquait ainsi que son « syndicat n’a pas appelé à voter et n’appellera à voter pour aucune formation politique » et d’ajouter « Notre volonté est de contribuer au débat face aux élections (…) et sincèrement nous n’avons aucune volonté d’aider à choisir ». Quant aux CCOO, elles apportaient leur soutien à IU. Mais dans les deux cas, c’était sur une orientation non pas de rupture, mais de soutien au gouvernement Zapatero et au « dialogue social » que se situaient les dirigeants des deux grandes centrales ouvrières.
Avec un tel appui, tout en reconduisant le commissaire européen Solbes comme ministre de l’économie, Zapatero a indiqué ses préoccupations lors de son discours d’investiture :
« ce sont les remèdes aux brusques ralentissement économique que connaît actuellement l'Espagne, après une décennie d'euphorie, qu'il a placés au coeur de l'action de son second mandat. (…)
M. Zapatero a annoncé une série de mesures "immédiates" pour relancer la consommation et atténuer la crise du BTP: remise fiscale de 400 euros par contribuable, accélération de grands travaux d'infrastructures, construction de 1,5 million de logements sociaux et de 300.000 places de crèches. » (AFP, 8/04/2008)
Quelques jours plus tard, Solbes annonçait qu’il allait « mettre à la disposition des citoyens » un paquet fiscal de 10 milliards d’euros. Il faut relever que l’existence d’excédents budgétaires est un atout, même limité, pour le gouvernement Zapatero. Mais l’essentiel pour lui, c’est d’imposer de nouveaux reculs aux masses populaires.
C’est à cette fin que Zapatero a invité les « partenaires sociaux » à discuter de la mise en place d’un « grand accord économique et social ». Cette invitation a été saluée par la direction des CCOO et la direction de l’UGT déclare qu’elle soutient les orientations du gouvernement.
L’élection d’une majorité, même relative, du PSOE est un point d’appui pour le prolétariat et la jeunesse espagnols. Ils peuvent chercher à s’en saisir, à aller imposer à ces députés, à cette majorité, leurs exigences et, dans ce mouvement, se doter des moyens d’intervenir directement pour leur propre compte sur le terrain politique.
Mais ils sont aujourd’hui confrontés à la politique des appareils syndicaux, qui se disposent de façon à empêcher que les masses puissent se servir de cette majorité à leur compte, en s’associant plus étroitement que jamais avec le gouvernement. Cette association peut être fortement remise en cause par la conjugaison de la volonté de combat des masses et une brutale dégradation de la situation économique. En tout état de cause, ce n’est que sur la ligne de la rupture du dialogue social avec le gouvernement, sur la ligne de dicter à la majorité relative du PSOE qu’elle investisse un gouvernement menant une politique satisfaisant les exigences immédiates – et notamment le rattrapage des salaires, l’interdiction des expulsions, l’annulation des dettes pesant sur les familles ouvrières… et naturellement l’annulation des « réformes » successives contre le droit du travail et en matière de retraites. Un tel gouvernement ne pourrait mener cette politique dans le cadre de la monarchie constitutionnelle.
L’étape politique ouverte en 2004 n’est pas fermée. Les questions de la liquidation des institutions héritées du franquisme, de la monarchie, de la place institutionnelle de l’Eglise, de la Guardia Civil, la question du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, peuvent ressurgir, avivée par les aléas de la conjoncture économique et financière.
C’est en tout cas en prenant appui sur les rapports politiques noués en 2004 et maintenus à ce jour qu’il est possible de chercher à intervenir et regrouper au compte de la construction d’un nouveau parti se situant résolument sur la perspective de balayer ces institutions, un parti ouvrier révolutionnaire.
Le 21 mai 2008