Accueil
Textes constitutifs  
Liens
Abonnement &
Contact

 

France

Situation française

Défense des acquis ouvriers

Echéances électorales

Enseignement public

Etudiants, Lycéens

Interventions, Suppléments

Leçons des luttes de classe

Syndicats, partis


International

Situation Internationale

Situation économique

Afrique

Amériques

Asie

Balkans

Europe

Guerres impérialistes

Moyen-Orient

URSS, Russie, Europe orientale

 

Stéphane Just :

Les crises du mode de production capitaliste
(Extraits commentés du ""Capital"")

La crise approche

Les déclarations péremptoires, affirmant qu'une crise économique du type et de l'ampleur de celle de 1929 est impossible, deviennent moins nombreuses et plus discrètes. Pourtant, elles datent de quelques années à peine, voire de quelques mois. Plus de crises, tout au plus des « récessions », clamaient économistes « marxistes » et non‑marxistes, et cela grâce « aux techniques anticycliques ».
A la vérité, le capitalisme n'était plus exactement le capitalisme, mais le « néo‑capitalisme ». Les « techniques » utilisées, qui avaient permis le passage du capitalisme au « néocapitalisme », procédaient des théories de Keynes sur la manipulation du crédit et de la monnaie. L'intervention de l'Etat, dirigeant le crédit, sur le plan économique, devait faire le reste. Ainsi devait être surmontée l'anarchie du mode de production capitaliste et se poursuivre le développement économique, sans crises, sinon sans « récessions ».

La grande dispute actuelle est de savoir quelle sera la forme de la courbe de la crise qui a commencé à se manifester: en U ou en V. Optimiste, dans un article du 31 décembre 1974 publié dans le Financial Times, le professeur A. Samuelson écrit :
« J'établis une moyenne des prévisions publiées par plusieurs groupes différents, tant universitaires que professionnels. (...) J'ai dressé pour l'année 1975 un tableau de prévisions faisant apparaître aux Etats‑Unis une récession en forme de U dont le creux se situe vers le milieu de l'année. »
Quoi qu'il en soit, désormais l'inflation mondiale se conjugue aux premières manifestations d'une crise économique classique : des millions de chômeurs aux USA, au Japon et en Europe, aggravation des déséquilibres sur le marché mondial, baisse de l'expansion, menace de rupture du marché mondial.
Bien entendu, les « erreurs » de ces économistes « marxistes » ou non sont liées à leur rôle de défenseurs idéologiques de la société bourgeoise. Cependant, avant, et pour tenter d'analyser les causes générales et particulières de la crise qui s'approche, il faut rappeler la méthode marxiste. Les erreurs de ces économistes proviennent de ce qu'ils substituent tous les « techniques économiques » à l'analyse des rapports sociaux de production propres au mode de production capitaliste.

Mandel, qui fait profession de marxiste orthodoxe officiel, ne transgresse pas cette règle. Pendant des années, il a été un des « théoriciens » du « néo‑capitalisme ». Il découvre aujourd'hui la « récession généralisée de l'économie capitaliste », dont la cause serait « le retournement de l'onde de longue expansion ». Il sera nécessaire d'y revenir.
Les économistes chargés de justifier l'orientation politique du PCF affirment : « La crise n'est pas fatale ». La crise résulterait, par conséquent, d'une mauvaise gestion de la société capitaliste. Peut‑être objectera‑t‑on : « Ils préconisent l'augmentation de la consommation des masses comme solution à la crise, leur solution a donc un contenu social. » Non. Car elle ne met pas en cause les rapports de production capitalistes, elle reste à l'intérieur de ceux‑ci ; elle reste donc sur le plan d'une technique, d'une gestion. Allons aux sources, revenons à Marx.

La véritable barrière au capital

La marche à la crise ne résulte pas de la seule anarchie du mode de production capitaliste, ce qui laisse entendre qu'une technique d'intervention de l'Etat corrigeant cette anarchie permettrait d'éviter les crises ou, tout au moins, de limiter les crises cycliques à des « récessions ». Marx s'explique clairement :
« Dans le commerce de troc, personne ne peut aliéner son produit sans que simultanément une autre personne n'aliène le sien. L'identité immédiate, la circulation la scinde en y introduisant l'antithèse de la vente et de l'achat. Après avoir vendu, je ne suis pas forcé d'acheter ni au même lieu, ni au même temps, ni à la même personne à laquelle j'ai vendu. (...) Si la séparation des deux phases, complémentaires l'une de l'autre, de la métamorphose des marchandises se prolonge, si la scission entre la vente et l'achat s'accentue, leur liaison intime s'affirme par une... crise. »
La production pour le marché implique la possibilité des crises en raison du caractère anarchique de la production, mais ce n'est encore qu'une possibilité. « Ces formes impliquent la possibilité, mais seulement la possibilité des crises ». Les crises font apparaître des disproportions entre les différentes branches de la production. Marx conclut :
« Pour que cette possibilité devienne réalité, il faut un ensemble de circonstances qui, au point de vue de la circulation simple des marchandises, n'existent pas encore. »
Ces circonstances découlent des rapports sociaux de production du mode de production capitaliste. Elles ont leurs origines, non dans la sphère de la circulation, mais dans les rapports de production : d'un côté les propriétaires des moyens de production, les capitalistes, de l'autre les prolétaires qui ne possèdent en propre que leur force de travail; d'un côté les possesseurs des moyens de production qui achètent la force de travail et l'utilisent (la consomment) afin de faire produire la plus-value, source de leurs profits, de l'autre les prolétaires à qui les capitalistes paient le prix de leur force de travail mais qui fournissent non seulement une quantité de travail correspondant à la valeur de cette force de travail, mais une autre, quantité de travail qui ne leur est pas payée, la plus‑value, source des profits des capitalistes.

« Le capital n'est pas un objet mais un rapport déterminé : ce rapport est lié à une certaine structure sociale déterminée (celle dont il vient d'être question) , il est représenté dans un objet auquel il confère un caractère social spécifique. »

Mais la simple reproduction ne correspond pas au fonctionnement du mode de production capitaliste. Le mode de production capitaliste exige, à une échelle sans cesse croissante, l'élargissement de la production, l'accroissement du capital divisé en capital constant ‑ capital sous forme de moyens de production matériels ‑ et capital variable ‑ capital sous forme de travail vivant. Une partie de la plus‑value est utilisée à cet élargissement constant de la production capitaliste. Le but et la fin de la production capitaliste, c'est la production de la plus‑value, la transformation d'une partie de celle­-ci en capital constant et capital variable additionnels afin d'accroître le capital en vue de, etc. Du même coup, les rapports sociaux de production se renouvellent sans cesse, et non seulement se renouvellent, mais s'étendent sans cesse : toujours plus de capital sous forme de moyens de production entre les mains des capitalistes, toujours plus de prolétaires qui ne possèdent en propre que leur force de travail, que les capitalistes achètent pour autant qu'ils peuvent lui faire produire de la plus‑value, la réaliser et recommencer le cycle à une échelle agrandie. Marx écrit :
« La véritable barrière à la production capitaliste, c'est le capital (rapport social de production déterminé) lui‑même : le capital et sa mise en valeur par lui‑même apparaissent comme point de départ et point final, moteur et fin de la production ; la production n'est une production que pour le capital et non l'inverse ; les moyens de production ne sont pas de simples moyens de donner forme, en l'élargissant sans cesse, au processus de la vie au bénéfice de la société des producteurs. Les limites qui servent à la conservation et à la mise en valeur de la valeur‑capital reposent sur l'expropriation et l'appauvrissement de la grande masse des producteurs ; elles entrent donc sans cesse en contradiction avec les méthodes de production que le capital doit employer nécessairement pour sa propre fin et qui tendent à promouvoir un accroissement illimité de la production, un développement inconditionné des forces productives sociales du travail, à faire de la production une fin en soi ; le moyen ‑ développement inconditionné de la productivité sociale entre perpétuellement en conflit avec la fin limitée : mise en valeur du capital existant (qui tend à s'accroître sans cesse). Si donc le mode de production capitaliste est un moyen historique de développer les forces productives matérielles et de créer le marché mondial correspondant, il représente une contradiction permanente entre cette tâche historique et les rapports de production sociaux qui lui correspondent. »

Marx écrit encore :
« La masse totale des marchandises, le produit total, aussi bien la portion qui remplace le capital constant et le capital variable que celle qui représente de la plus-value, doivent être vendus. Si cette vente n'a pas lieu ou n'est que partielle, ou si elle a lieu seulement à des prix inférieurs aux prix de production (le prix de production = prix des moyens de production matériels ou capital constant + prix des moyens de production vivants, force de travail ou capital variable, + profit moyen), l'ouvrier certes reste exploité, mais le capitaliste ne réalise pas son exploitation en tant que telle : cette exploitation peut s'allier pour le capitaliste à une réalisation seulement partielle de la plus‑value extorquée ou à l'absence de toute réalisation et même aller de pair avec la perte de la totalité de son capital. Les conditions de l'exploitation immédiate et celles de sa réalisation ne sont pas identiques. Elles ne diffèrent  pas seulement par le temps et le lieu ; théoriquement non plus, elles ne sont pas liées. Les unes n'ont pour limite que la force productive de la société, les autres les proportions respectives des diverses branches de production et la capacité de consommation de la société. Or celle‑ci n'est déterminée ni par la force productive absolue, ni par la capacité absolue de consommation, mais par la capacité de consommation sur la base de rapports de distribution antagoniques qui réduit la consommation de la grande masse de la société à un minimum susceptible de varier à l'intérieur de limites plus ou moins étroites. Elle est en outre limitée par la tendance à l'accumulation, la tendance à agrandir le capital et à reproduire de la plus‑value sur une échelle élargie. »

La baisse tendancielle du taux de profit

Découlant des rapports de production résulte une toi fondamentale : la loi de la baisse tendancielle du taux de profit. La source de toute valeur d'échange est, on le sait, la force de travail. La valeur d'une marchandise (qui n'est pas identique à son prix) c'est la quantité de travail socialement nécessaire à la produire. qui comprend : la valeur des moyens de production matériels nécessaires à la produire (capital constant ou C), plus la valeur de la force de travail, c'est‑à‑dire des moyens de production vivants. humains (capital variable ou V), plus la plus‑value, c'est‑à‑dire la partie de la valeur produite par la force de travail, l'ouvrier, qui ne lui est pas payée (plus‑value ou PI). A partir de ces données, il est clair que le capital constant ne produisant pas de nouvelle valeur, seule la force de travail produisant de la valeur supplémentaire, la plus‑value dépend du capital variable. C'est pourquoi Marx dit : le taux d'exploitation égale  pl/v . Mais si c'est seulement v qui produit de la plus‑value, à taux d'exploitation restant égal, le taux de profit général diminuera si la masse du capital constant employé augmente.
Le taux de profit général égale : PL totale / (C total + V total).
Il est compréhensible que si, pour prendre des exemples numériques, PL=100, V = 100, C = 900, on a :  PL (100) / [ C(900)+ V(100)] = 10%
Et PL=100, V=100, C=1900, on a PL (100) / [  C (1900) + V (100) ] = 5 %.
Certes, le taux d'exploitation peut s'accroître de telle sorte que l'on ait : PL = 150, c=1900, on obtiendra :
PL(150) /[C(1900) + V(50)] = 7.5%, v
La constatation est renforcée l'augmentation du taux d'exploitation ne compense pas la baisse du taux de profit par suite de l'augmentation de la composition organique du capital. Marx n'a aucun mal à démontrer la loi de la baisse tendancielle du taux de profit. Ou plutôt, il donne l'explication rigoureusement scientifique d'un phénomène que tous les économistes bourgeois sérieux et valables avaient constaté avant lui :
« A mesure que diminue progressivement le capital variable relativement au capital constant, s’élève de plus en plus  la composition organique de l’ensemble du capital, et la conséquence immédiate de cette tendance, c'est que le taux de plus‑value se traduit par un profit en baisse continuelle, le degré d'exploitation reqtant sans changement ou même augmentant. (Nous verrons plus loin pourquoi cette loi ne se manifeste pas sous la forme absolue, mais sous la forme d'une tendance à une baisse progressive.) Donc la tendance progressive à la baisse du taux de profit général est tout simplement une façon, propre au mode de production capitaliste, d'exprimer le progrès de la productivité sociale du travail. (...) La masse du travail vivant employé diminuant sans cesse par rapport à la masse du travail matérialisé qu'elle met en oeuvre, par rapport aux moyens de production consommés productivement, il faut bien que la fraction non payée de ce travail vivant qui se concrétise en plus‑value voit son rapport au volume de valeur du capital total diminuer sans cesse. Or ce rapport de la masse de la plus‑value à la valeur du capital total employé constitue le taux de profit; celui‑ci doit donc baisser continuellement. »

La baisse tendancielle du taux de profit résulte des rapports sociaux de production capitaliste, du moteur et de la fin du mode de production capitaliste, la production de la plus‑value, sa réalisation, sa transforma­tion en capital élargi. Chaque capitaliste s'efforce d'augmenter la composition organique de son capital.  La course au profit individuel aboutit à la diminution du taux de profit général, en même temps qu'elle pousse à élargir constamment l'échelle de la production. C'est ainsi seulement que la baisse tendancielle du taux de profit peut s'accompagner d'une augmentation de la masse de profit. Mais :
« chaque marchandise singulière recèle donc une somme moindre et de travail matérialisé en moyen de production et de travail nouvellement ajouté dans la production. Par suite, le prix de chaque marchandise prise à part baisse. (...) Avec le développement de la production, la somme de travail vivant nouvellement ajouté à chaque marchandise singulière diminue absolument, et cette baisse prend des proportions si considérables qu'elle fait baisser aussi en valeur absolue la masse de travail non payé que recèle la marchandise, quelle que soit son augmentation relative par rapport à la fraction payée. La masse de profit par marchandise sera donc réduite à mesure que se développera la force productive du travail, en dépit de l'élévation du taux de la plus‑value. (...) Dire que les prix des marchandises isolées, dont la somme constitue le produit total du capital, baissent, cela revient à dire : une quantité donnée de travail se réalise en une masse plus grande de marchandises, donc chaque marchandise prise à part recèle moins de travail qu'auparavant ».
Du même coup, la course infernale du capital devient un impératif catégorique : produire toujours plus en masse, occuper de nouveaux marchés, reculer les limites de la production par tous les moyens, accélérer la vitesse de rotation du capital. Apparaît comme un impératif tout aussi catégorique résultant des rapports sociaux de production, l'exigence de développer intensivement et extensivement, dans le monde entier, ces rapports de production. Apparaissent, nouvel impératif catégorique, les disproportions qui s'établissent entre les différents secteurs de la production, particulièrement dans le sens d'une hypertrophie, par rapport aux limites qu'impliquent les rapports de production capitalistes, du secteur des moyens de production. Ces limites amènent inéluctablement à la surproduction, à la chute brutale du taux de profit et même de la masse du profit, à la rupture des rapports de production, c'est‑à‑dire à la crise.
Cependant, avant de rappeler le mécanisme du cycle économique qui va de la liquidation d'une crise à l'éclatement d'une nouvelle crise, il faut rappeler les grandes lignes du système du crédit sans lequel le mode de production capitaliste ne pourrait exister et s'étendre au monde entier.

Le rôle du crédit

« Le développement de la production capitaliste enfante une puissance tout à fait nouvelle, le crédit, qui, à ses origines, s'introduit sournoisement comme une aide modeste de l'accumulation, puis devient bientôt une arme additionnelle et terrible de la guerre de la concurrence et se transforme en un immense mécanisme social destiné à centraliser les capitaux. »
Il faudrait reprendre en détail les fonctions du crédit dans le mode de production capitaliste tel que Marx les expose et les analyse. Limitons-nous à l'essentiel.

« I. Nécessité de sa création pour que se produise l'égalisation du taux de profit ou tendance à cette égalisation sur laquelle repose toute la production capitaliste. »
En effet, on comprend que chaque branche de la production capitaliste a une composition organique et un taux d'exploitation différents. En conséquence, si chaque capitaliste empochait la plus‑value que produisent les ouvriers dont il achète et consomme la force de travail, il y aurait d'énormes différences du taux de profit. En réalité, la tendance est l'établissement d'un taux de profit moyen.
Le prix des, marchandises tend à s'établir ainsi : capital investi (C + v) + capital investi multiplié par le taux de profit moyen. Tout se passe comme si la totalité de la plus‑value produite était versée dans un énorme réservoir et reversée à chaque capitaliste en proportion du capital qu'il a investi. C'est ainsi que le taux de profit moyen général correspond à plus‑value totale / Capital total (c+v). S'il n'en était pas ainsi, le mode de production capitaliste ne pourrait pas fonctionner : dans les branches à haute composition organique le profit serait nul, et dans celles à basse composition organique il serait très élevé. En conséquence: le capital ne s'investirait pas dans les branches exigeant d'importants moyens de production matériels. Mais justement, le besoin des marchandises produites dans les conditions d'un capital à haute composition organique fait hausser les prix bien au‑dessus de la valeur de ces marchandises ; par contre, là où la composition est basse, les prix se situent bien au‑dessous de la valeur des marchandises. Il s'opère une péréquation de la plus-value.
Ce n'est pas tout : le capital‑argent et le capital commercial ne produisent pas de plus‑value (il faut constamment s'en souvenir, la source de la plus‑value est la force de travail, le travail vivant produisant de la valeur nouvelle, attachée à la production de valeurs d'usage). Tout travail socialement nécessaire à la production de valeurs d'usage produit de la valeur d'échange, mais seulement le travail socialement nécessaire à cette production. Les profits commerciaux, bancaires, les intérêts sont donc pris sur la plus-value générale.

« Il. Diminution des frais de circulation (...) (notamment) par la substitution du papier à la monnaie d'or. (...) Accélération par le crédit des différentes phases de la circulation, de la métamorphose des marchandises, outre la métamorphose du capital ; partant, accélération du procès de reproduction en général. (Par ailleurs, le crédit permet de garder longtemps séparés les actes de l'achat et de la vente et sert donc de base à la spéculation.) Contraction des fonds de réserve, ce qui peut être considéré d'un double point de vue: d'une part, comme une diminution du moyen de circulation et, d'autre part, comme la réduction du capital qui doit toujours exister sous forme argent.

« III. Constitution de sociétés par actions.
« Extension énorme de l'échelle de la production et entreprises qui auraient été impossibles à des capitaux isolés. En même temps, des entreprises qui étaient jadis gouvernementales se constituent en sociétés. (...)
« Dans la société par actions, la fonction (du capitaliste) est séparée de la propriété du capital ; partant, le travail est, lui aussi, totalement séparé de la possession des moyens de production et du surtravail. Ce résultat du développement suprême de la production capitaliste est le point par où passe nécessairement la reconversion du capital en propriété du producteur, non plus comme propriété privée des productions particulières, mais en tant que propriété des producteurs associés, propriété directement sociale. Par ailleurs, c'est le point par où passe la transformation de toutes les fonctions du procès de reproduction encore rattachées à la propriété du capital en simples fonctions des producteurs associés, en fonctions sociales. (...)
« Comme le profit prend ici purement la forme de l'intérêt, de telles entreprises demeurent possibles si elles rapportent simplement de l'intérêt, et c'est une raison qui empêche la chute du taux général de profit, parce que ces entreprises, où le capital constant est immense par rapport au capital variable, n'interviennent pas nécessairement dans l'égalisation générale du taux de profit.
(...)

« Si le système de crédit peut faire figure de levier principal de la surproduction et de la spéculation commerciale, c'est seulement parce que le procès de reproduction par nature élastique se trouve tendu ici jusqu'à l'extrême limite, étant donné qu'une grande partie du capital social est utilisée par ceux qui ne le possèdent pas et qui, par conséquent, se mettent à l'ouvrage bien autrement que le propriétaire qui, s'il est lui‑même actif, suppute peureusement les limites de son capital privé. Il en ressort simplement que la mise en valeur du capital, basée sur le caractère contradictoire de la production capitaliste, ne permet le développement véritablement libre que jusqu'à un certain point, et constitue en réalité une entrave immanente et une barrière à la production, constamment rompue par le système de crédit. Le système de crédit accélère par conséquent le développement matériel des forces productives et la constitution d'un marché mondial ; la tâche historique de la production capitaliste est justement de pousser jusqu'à un certain degré le développement de ces deux facteurs, base matérielle de la nouvelle forme de production. Le crédit accélère en même temps les explosions violentes de cette contradiction, les crises et, partant, les éléments qui dissolvent l'ancien mode de production.

« Voici les deux aspects de la caractéristique immanente du système de crédit: d'une part, développer le moteur de la production capitaliste, c'est‑à‑dire l'enrichissement par une exploitation du travail d'autrui pour en faire le système le plus pur et le plus monstrueux de spéculation et de jeu, et pour limiter de plus en plus le petit nombre de ceux qui exploitent les richesses sociales ; mais, d'autre part, constituer la forme de transition vers un nouveau mode de production ‑ c'est ce double aspect qui donne aux principaux défenseurs du crédit, de Law jusqu'à Isaac Pereire, leur caractère agréablement mitigé d'escrocs et de prophètes. 
»

La crise

Avant d'examiner le développement du cycle classique de la production capitaliste, revenons au point de départ.
« Imaginons que la société tout entière soit composée simplement de capitalistes industriels et d'ouvriers salariés. Laissons de côté, en outre, les fluctuations de prix qui empêchent que de grandes fractions de l'ensemble du capital ne se remplacent dans des conditions moyennes et qui, étant donné l'interdépendance générale de l'ensemble du procès de reproduction telle que la développe notamment le crédit, doivent nécessairement provoquer toujours des arrêts généraux momentanés. Faisans abstraction également des affaires fictives et des transactions spéculatives favorisées par le système du crédit. Alors une crise ne s'expliquerait que par le déséquilibre entre la consommation des capitalistes eux‑mêmes et leur accumulation. Mais l'état de choses existant, le remplacement des capitaux investis dans la production dépend pour la plus grande part de la capacité de consommation des classes improductives, tandis que la capacité de consommation des ouvriers est limitée cri partie par les lois du salaire, en partie par le fait qu'on ne les emploie qu'aussi longtemps que leur utilisation profite à la classe capitaliste. La raison ultime de toute véritable crise demeure toujours la pauvreté et la limitation de la consommation des masses, en face de la tendance de la production capitaliste à développer les forces productives comme si elles n'avaient pour limite que la capacité de consommation absolue de la société. »

Mais précisément la production capitaliste est la production pour le profit. L'augmentation générale des salaires diminue les profits, concourt à la baisse tendancielle du taux de profit et, dans ce sens, participe à la marche à la crise, car les limites du marché entraînent inéluctablement l'impossibilité de réaliser les marchandises, de les vendre à leur prix de production. Le phénomène n'atteint pas simultanément toutes les branches de la production, mais certaines d'entre elles ; pas toutes les entreprises d'une même branche de production, mais celles qui produisent a des prix de production au‑dessus des prix de production moyens. A ce stade, le taux de profit commence à baisser de façon générale. Mais toutes les ressources du crédit vont être mobilisées pour repousser la crise. D'abord lutter pour maintenir le taux de profit en augmentant le taux d'exploitation, par l'augmentation de la productivité du travail, la composition organique du capital, la baisse des salaires réels.

Le remède peut bien aboutir à une nouvelle demande de moyens de production, il aggrave finalement le mal, en augmentant la capacité productive sans élargir conjointement le marché ; en aboutissant à une augmentation de la composition organique générale du capital qui joue dans le sens de la baisse générale du taux de profit ; en diminuant de façon d'autant plus importante le profit industriel qu'il est fait appel au marché des capitaux dont le taux d'intérêt augmente. Intervient également le ralentissement de la vitesse de circulation du capital qui est un acteur important de la baisse du taux de profit.
Bientôt, ce sont la plupart des branches de production et des entreprises qui sont touchées. A ce stade, l'appel au crédit s'accroît encore, mais il s'agit alors de façon générale de l'appel au crédit afin de se procurer des liquidités dans l'impos­sibilité de réaliser ou de réaliser pleinement les marchandises sur le marché, de faire face à la concur­rence, d'éviter la faillite. Le taux de l'intérêt s'élève, ce qui contribue à diminuer encore le taux de profit général. Toutes les branches, toutes les entreprises sont finalement touchées. Le marasme s'étend. Cette fois, le marché se contracte brutalement. C'est le chômage, la chute du taux et de la masse du profit.
La pyramide du crédit s'effondre. Les rapports de production se dissolvent. C'est la crise. La loi de la baisse tendancielle du taux de profit s'exprime brutalement, le capital étant confronté à ses propres limites que manifestent les limites du marché mais qui procèdent des rapports sociaux de production. De même se manifestent les disproportions entre les différentes branches de la production et les différentes parties du capital social, les différentes formes du capital, capital‑argent, capital moyens de production, capital marchandise.

Le cycle capitaliste

Marx décompose le cycle classique de l'économie capitaliste ainsi : « état de repos, animation croissante, prospérité, surproduction, krach, état de repos, etc. ». Le krach, c'est la crise dans toute son ampleur. Mais tous les rapports de production ne sont pas détruits. Le métabolisme de la production et des échanges ne peut être entièrement interrompu, sans quoi ce serait la paralysie et la mort de la société. Il se maintient à un certain niveau, quelle que soit la profondeur de la crise. C'est « l'état de repos ».
La crise régularise la production capitaliste. Elle rejette hors du cycle de la production des masses de prolétaires qui ne peuvent plus vendre leur force de travail, mais elle n'a pas que ce résultat : elle aboutit à la dévalorisation et à la destruction d'immenses masses de capitaux sous les trois formes que prend le capital : capital‑argent, capital moyens de production, capital marchandise. Le capital, quelle que soit sa forme, cesse d'être du capital dès lors que cesse son procès de valorisation.
Mais la destruction d'immenses masses de capital, la dévalorisation de quantités énormes de capital, le fait que le marché ne peut se rétrécir au‑dessous de certaines limites (y compris les chômeurs doivent vivre, ont besoin d'un minimum, la consommation des capitalistes n'est que relativement peu réduite, de nombreuses couches de la population ne sont pas directement intégrées aux rapports de production capitalistes) vont avoir pour conséquence de relever le taux de profit. La chute du taux d'intérêt qui suit la crise, d'autres facteurs, comme la baisse des prix des matières premières, la baisse du prix de la force de travail, etc., concourent également à relever le taux de profit. Les entreprises qui, par suite des moyens de production dont elles disposent, par la masse de leur production, produisaient à un coût de production (capital utilisé plus taux de profit moyen) inférieur à la moyenne, ont éliminé leurs concurrents. Elles s'emparent du marché, leur taux et leur masse de profit étant restés suffisants, ils s'élèvent alors.
Le démarrage et la marche du nouveau cycle sont connus. Le taux de profit étant satisfaisant, les capitalistes des entreprises de moyens de consommation veulent renouveler et et accroître leurs moyens de pro­duction. Ils passent commandes, aux capitalistes ‑ producteurs de moyens de production, de nouveaux moyens de production qui, du point de vue technique, de la productivité du travail qu’ils permettent, sont les plus avancés, d’autant que ceux-ci sont au prix le plus bas. Ils disposent pour se faire d'importants crédits et à un faible intérêt, le capital‑argent étant abondant. Il n'y a pas concordance entre la mise en route du nouveau cycle dans les industries des moyens de production, et même dans les différentes branches de celles‑ci, et la production de ces nouveaux moyens de production. Par contre, la reprise de la production des moyens de production  abou­tit immédiatement à l'embauche de­ nouveaux salariés qui eux dépensent immédiatement leurs salaires, et, par suite, à l'élargissement du marché des moyens de consommation, ce qui relève les prix, le taux de profit, pousse à la commande de nouveaux moyens de production par les entreprises produisant des moyens de consommation.
Le même phénomène se passe à l’intérieur du groupe dès moyens de production. Le taux de profit s’élève dans ces branches. Pour faire face aux commandes, les capitalistes de ces branches de production passent eux‑mêmes commandes de moyens de production aux branches produisant les moyens de production des moyens de production. De la même façon, la production des matières premières est sollicitée. Le décalage se répercute et s’amplifie entre le temps de commande et la satisfaction de ces commandes, de branche en branche, tandis que le marché continue à s'élargir.
Bientôt, les commandes de moyens de production dans toutes les branches de cette sphère de la production anticipent l'élargissement du marché. C'est la prospérité, les taux de profits s'élèvent, le crédit est pleinement sollicité. Mais la production des moyens de production finit par répondre à la demande de moyens de production. L'appareil productif des moyens de production rattrape son retard. Le marché des moyens de consommation ne élargir plus. Par contre, lés nouveaux moyens de production de moyens de consommation sont maintenant en pleine activité. Le recours au crédit massif permet d'anticiper sur les besoins solvables. Le crédit est d'autant plus sollicité que le capital, sous forme de moyens de production, doit fonctionner pour être, du capital, qu'il faut « l'amortir », qu'il faut couvrir les traites. Le prix des matières premières augmente. Le taux d'intérêt augmente. Le taux de profit capital industriel commence à baisser. C'est déjà la surproduction. Bientôt, ce sera le krach.

Concentration du capital

Lénine commentant Marx a parfaitement montré qu'il n'y avait pas en principe de limites absolues au fonctionnement du mode de production capitaliste, en partant des considérations suivantes :
« L'accroissement de la production capitaliste et, par voie de conséquence, celle du marché intérieur, ne se fait pas tant au compte des objets de consomma­tion que des moyens de produc­tion. (...) Nous avons vu en effet que le capital constant existant dans les objets de consommation est échangé contre le capital variable plus la plus‑value existant dans les moyens de production. Mais selon la loi générale de la production capitaliste, le capital constant s'accroît plus vite que le capital variable. (...) La section de la production sociale qui fabrique les moyens de production doit donc grandir plus vite que celle qui fabrique les objets de consommation. Ainsi l'accroissement du mar­ché intérieur pour le capitalisme est, jusqu’à un certain point, « indépendant » de l’accroissement de la consommation individuelle, s'effectuant plutôt au compte de la consommation productive. Mais il serait erroné de comprendre cette « indépendance » dans le sens d'une séparation totale de la consommation productive et de la consommation individuelle : la première peut et doit augmenter plus vite que la seconde (c’est à cela que se limite son « indépendance »), mais il va de soi que, finalement, la consommation productive reste liée à la consommation individuelle. »

Il s'ensuit que chaque cycle de la production capitaliste n'est pas la simple répétition du cycle précédent. L'élargissement du marché tant national qu'international, l'extension des rapports de production capitalistes tant intensivement qu'extensivement, la subordination à l'échelle mondiale des autres modes de production aux rapports de production capitalistes la mobilisation et la mise en œuvre participent de la liquidation des crises, du développement du nouveau cycle. Marx remarque :
« il n'est pas douteux que les grandes révolutions des XVIe et XVIIe siècles que les découvertes géographiques provoquaient dans le commerce et qui entraînaient le développement rapide du capital marchand constituent un facteur essentiel ayant hâté le passage du mode de production féodal au mode capitaliste. (...) La base de ce dernier est constituée par le marché mondial lui‑même. D'autre part, l'immanente nécessité pour le mode de production capitaliste de produire à une échelle sans cesse plus grande, incite à une extension perpétuelle du marché mondial, de sorte que ce n'est plus ici le commerce qui révolutionne constamment l'industrie, mais le contraire. »

Toutes les crises et les cycles de production du XIXe siècle s'accompagnent de l'extension et du remodelage du marché mondial. A la suite de l'Angleterre, en France, en Belgique, en Allemagne, pour ce qui concerne l'Europe, aux USA, au Japon, le mode de production capitaliste se développe plus ou moins rapidement et bouleverse constamment les rapports sociaux de production. Le développement des rapports de production capitalistes atteint l'Italie, l'Europe centrale, la Russie, l'Europe du Nord. Il se subordonne l'Amérique latine, les différents pays d'Asie, l'Afrique, jusqu'au partage du monde entre les grandes puissances capitalistes.
Mais la modification des rapports internes du capital est déterminante. L'histoire du mode de production capitaliste est liée, non seulement à la croissance du capital, à l'augmentation massive du capital constant par rapport au capital variable, mais encore à sa concentration. Le crédit est le moyen indispensable à la concentration du capital. Il permet la mobilisation et la mise en œuvre de tous les moyens de production.
« Le crédit maximum est égal au plein emploi maximum du capital industriel, c’est-à-dire représente la tension extrême de sa capacité de reproduction sans tenir compte des limites de la consommation. »
Mais une des transformations radicales du mode de production capitaliste se produit alors que le crédit donne naissance à la société par actions qui va prendre son essor dans la deuxième partie du XIXe siècle. Outre que :
« le capital (...) revêt ici directement la forme du capital social (capital d'individus directement associés) par opposition au capital privé », il permet la « transformation du capitaliste réellement actif en un simple dirigeant d'administration de capital d'autrui et des propriétaires en simples capitalistes financiers ».

Un nouveau et puissant élan est ainsi donné au développement du mode de production capitaliste. Actions et obligations permettent de rassembler une masse énorme de capital portant seulement intérêt. Il en résulte :
« A mesure que progresse la production capitaliste, ce qui va de pair avec une accumulation plus rapide, une partie du capital n'est plus comptée et employée que comme capital productif d'intérêt, Non pas en ce sens que tout capitaliste qui prête du capital se contente des intérêts, tandis que le capitaliste industriel empoche son bénéfice d'entrepreneur. Ce fait n'intéresse nullement le niveau de profit général car pour lui le profit = intérêt + profit de toutes sortes + rente foncière, et sa distribution en ces catégories particulières lui est indifférente. Mais ces capitaux, bien que placés dans de grandes entreprises productives, ne fournissent, déduction faite de tous les frais, que des intérêts plus ou mains grands, qu'on appelle dividendes : dans les chemins de fer par exemple. Ils n'entrent donc pas dans le système de péréquation du taux de profit général, étant donné qu'ils rendent un taux de profit inférieur au taux de profit moyen. S'ils y entraient, celui‑ci tomberait beaucoup plus bas. D'un point de vue théorique, on peut les y inclure et on obtient alors un taux de profit inférieur à celui qui semble exister et qui déter­mine réellement les capitalistes, car c'est justement dans ces entreprises que le capital constant est le plus élevé relativement au capital variable. »
Engels souligne, dans la préface du troisième livre du Capital, l'ampleur du développement des sociétés par actions et la Bourse au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle :
« Depuis 1865, date à laquelle le livre fut rédigé, des changements sont survenus qui assignent aujourd'hui à la Bourse une importance accrue et toujours grandissante : ces changements tendent, à plus longue échéance, à concentrer entre les mains des boursiers toute la production industrielle et agricole, l'ensemble des communications, aussi bien des moyens de transports que des organes d'échange, de sorte que la Bourse devient la représentante la plus éminente de la production capitaliste elle‑même. »
Et d'expliquer :
« Les papiers d'Etat représentaient la masse principale des valeurs boursières et encore était-elle relativement petite. (...) En ce temps, la Bourse était donc encore un lieu où les capitalistes se prenaient mutuellement leurs capitaux accumulés. (...)
« Depuis la crise de 1866, l'accumulation s'est faite avec une rapidité toujours croissante et de telle façon que dans aucun pays industriel, et en Angleterre, qu'ailleurs, l'extension de la production n'a pu suivre le rythme de l'accumulation et que l'accumulation réalisée par le capitaliste isolé n'a pu être pleinement employée à l'extension de sa propre affaire. (...) Cette accumulation augmentait également la masse des rentiers. (...) Enfin, on fonda partout où cela n'existait pas encore, et en vue de faciliter l'investissement de la masse flottante de capital‑argent, la nouvelle forme de société à responsabilité limitée. »
Le mouvement s'empare de :
« la sidérurgie (...), les mines (...), l'industrie chimique (…), la construction de machines (...),  industrie textile (...), brasseries. (...) Ensuite, les trusts qui créent des entreprises géantes à direction commune (...), le commerce (...), grands magasins (...), banques et autres établissements de crédits (...), la terre. (...) Tous les investissements à l'étranger se font sous forme d'actions. Pour ne parler que de l'Angleterre : chemins de fer d'Amérique du Nord et du Sud. (...) Ensuite, la colonisation. Celle‑ci est aujourd'hui une véritable succursale de la Bourse, pour les intérêts de laquelle les puissances européennes ont partagé l'Afrique il y a quelques années et les Français conquis Tunis et le Tonkin. L'Afrique est directement affermée à des compagnies (Niger, Afrique du Sud, Ouest‑africain allemand et Afrique orientale allemande) ; et le Mozambique et le Natal pris en possession pour la Bourse par Cecil Rhodes ».
Ce double mouvement ‑ fantastique concentration de capital, par le système des sociétés par actions, la mobilisation des dépôts entre les mains de groupes capitalistes, puissants, utilisation de ces capitaux rémunérés bien en dessous du taux de profit moyen ‑ a, au cours de ces décennies, donné une nouvelle et puissante impulsion au développement du capitalisme.

Le mouvement du capital domine et se subordonne les sciences et les techniques

Mandel, éternel pionnier des sciences et des techniques, subordonne l'accumulation et le développement du capital aux révolutions scientifiques et techniques. Selon lui, la périodicisation du développement du mode de production capitaliste doit s'établir ainsi :
« 1847‑1873 :                                                           croissance accélérée,
« 1873‑1893 :                                                           croissance ralentie,
« 1893‑1913 :                                                           croissance accélérée,
« 1913‑1940 :                                                           croissance ralentie,
« 1940(48)‑1968 :                                                    croissance accélérée,
« depuis la fin des années 60 :                                             croissance ralentie. (...)
« Chacune des « ondes longues expansives » est ainsi placée sous le signe d'une révolution technologique. Celle de 1847‑1873 voit le moteur à vapeur se substituer à la machine à vapeur. Celle de 1893-1913 voit le moteur électrique et le moteur à explosion se substituer au moteur à vapeur. Celle de 1940(48)‑1968 voit l'électronique et l'énergie nucléaire progressivement remplacer les machines mues par le moteur électrique classique.
»
C'est assez ahurissant. Tout le monde sait parfaitement que de la crise de 1847 à 1873, c'est toujours la période du capitalisme libéral qui se développe tumultueusement en Angleterre, en France, en Belgique, en Allemagne, aux USA. Le taux de profit est extrêmement élevé. Ensuite vient la période dont parle Engels, de concentration financière et industrielle, des sociétés par actions, de la mise en valeur des capitaux « des autres », où le taux de profit est relativement bas. Après, ce sera la formation des trusts, des cartels, des monopoles. Le taux de profit augmente, pour ces trusts, ces cartels.

L'exportation massive des capitaux maintient le taux de profit.
Déjà le militarisme des grandes puissances impérialistes joue un rôle économique considérable. Quant à la relation entre le moteur à vapeur, le moteur électrique, le moteur à explosion et les « grandes ondes expansives », c'est de la fantaisie pure et simple.
La construction des chemins de fer s'étend par vagues de 1825 à 1890 environ. L'essor de la navigation à vapeur commence au cours des années 1860 et s'étend jusqu'à la fin du siècle. Le moteur à explosion n'en est encore, au moment où éclate la première guerre mondiale, qu'à ses balbutiements. Son application touche avant tout les transports, automobiles, camions (aux USA : 7 millions d'automobiles en 1919, 21,4 millions en 1928 ; en Angleterre : 260 000 en 1919, un million en 1928). La production d'automobiles prend son essor juste avant et pendant la guerre pour s'intensifier après la guerre. L'application, en tant que force motrice industrielle, du moteur à explosion est plus tardive encore et de toute façon limitée. Dans un second article consacré aux crises à l'époque impérialiste et à la crise qui s'annonce, il faudra revenir sur l'électronique et l'énergie nucléaire.
Mandel regarde du mauvais côté de la lorgnette. La base matérielle du développement capitaliste, de l'accumulation, donne un puissant élan aux sciences et aux techniques. Les exigences de la mise ­en valeur au capital commandent le développement des sciences et des techniques et,  bien plus  directement encore, leur utilisation. Marx montre que :
« Tant que le développement de la production capitaliste est peu considérable, les entreprises qui réclament une longue période de travail, donc des avances de capitaux élevées et prolongées, ne sont pas exploitées en mode capitaliste. surtout quand elles ne sont réalisables que sur une longue échelle : tel est le cas pour les routes, les canaux, etc., construits aux frais des communes ou de l'Etat (autrefois, la plupart du temps, au moyen de la corvée, en ce qui concerne la force de travail). (...) L'exécution de travaux s'effectuant en grand et demandant une période très longue ne tombe complètement dans le domaine de la production capitaliste que lorsque la concentration du capital est déjà fort considérable et que le développement du système du crédit offre en outre au capitaliste la ressource facile d'avancer, donc de risquer, non son propre argent, mais les capitaux d'autrui. »
Le renouvellement et l'accroissement du capital, et principalement du capital fixe, c'est‑à‑dire de la partie du capital constant composée de moyens de production de longue durée, machines, bâtiments, routes, canaux, chemins de fer, etc., commandent le cycle de la production capitaliste, donc le temps nécessaire, à l'usine, à la production, au renouvellement et à l'élargissement de ce capital, et influence la durée du cycle capitaliste dans son ensemble. C'est une tautologie. A ce propos, Marx écrit :
« A mesure que se développent le mode de production capitaliste et, avec lui, le volume de valeur et la durée du capital fixe investi, on voit la vie de l'industrie et du capital industriel se développer également dans chaque affaire particulière jusqu'à se prolonger de longues années, disons en moyenne dix ans. Mais si d'une part cette vie est prolongée par le développement du capital fixe, elle est abrégée, d'autre part, par le bouleversement constant des moyens de production. qui s'intensifie constamment, lui aussi, avec le développement du mode de production capitaliste. Il entraîne par l'effet de l'usure morale, le changement des moyens de production, la nécessité de leur remplacement constant, bien avant qu'ils n'aient (pas) fait matériellement leur temps. On peut admettre que dans les branches les plus décisives de la grande industrie, ce cycle de vie s'étend présentement en moyenne sur dix ans. Du reste, la précision du chiffre n'a aucune importance ici. Un point est acquis : avec sa durée de plusieurs années, ce cycle de rotation reliées entre elles, au cours desquelles le capital est captif de son élément fixe, fournit une base matérielle aux crises périodiques, qui font passer les affaires par des phases successives de stagnation, d'animation moyenne, de précipitation. de crise. Sans doute, les périodes d'investissement du capital sont fort différentes et sans concordance ; mais la crise sert toujours de point de départ à un puissant investissement ; elle fournit donc plus ou moins au point de vue de la société prise dans son ensemble ‑ une nouvelle base matérielle pour le prochain cycle de rotation. »
Mais ce sont les rapports de production capitalistes, le développement de ces rapports, les modifications de la structure du mode de production capitaliste qui sont à l'origine des crises, de leur forme, de leur ampleur ainsi que de la façon dont se développe chaque cycle.

La période 1867‑1893

Engels a inclus dans Le Capital, Livre 3, tome 2, la longue note suivante :
« Comme je l'ai noté ailleurs, sur ce point, un tournant s'est produit depuis la dernière grande crise. La forme aiguë du procès périodique avec son cycle de dix ans, observé jusqu'ici semble avoir fait place à l'alternance plus chronique, plus longue, qui ne frappe pas en même temps les divers pays industriels, d'une période relativement courte de faible amélioration des affaires et d'une période de difficultés relativement longue, qui n'amène pas de solution , Mais peut‑être ne s'agit‑il que d'un allongement de la durée du cycle. Dans la période infantile du commerce mondial, de 1815 à 1847, on arrive à montrer l'existence de cycles de cinq ans approximativement ; de 1847 à 1867, le cycle est nettement de dix ans ; serions‑nous par hasard dans la période préparatoire d'un nouveau krach mondial, d'une violence inouïe ? Beaucoup de faits semblent l'indiquer. Depuis la dernière crise générale de 1867 se sont produites de grandes modifications. L'extension colossale des moyens de transport ‑navires assurant des liaisons transocéaniques, chemins de fer, télégraphe électrique, canal de Suez ‑ a établi pour la première fois, réellement, un marché mondial. Une série de puissances industrielles concurrentes sont venues se placer aux côtés de l'Angleterre qui détenait naguère le monopole de l'industrie : dans toutes les parties du monde, des territoires infiniment plus grands et plus variés se sont ouverts au placement du trop‑plein de capitaux européens, de sorte que ceux‑ci se répartissent bien davantage, permettant ainsi de surmonter plus facilement les excès de la spéculation en un point. Tous ces facteurs ont supprimé la plupart des anciens foyers de crise et écarté presque toute occasion de crise, en tout cas les ont atténuées. Parallèlement, sur le marché intérieur, la concurrence cède de plus en plus le pas aux cartels et aux monopoles, tandis qu'elle est limitée sur les marchés extérieurs par les barrages des tarifs douaniers dont tous les pays industriels s'entourent, hormis l'Angleterre. Mais ces protections douanières ne sont pas autre chose que les armements destinés à la bataille générale de l'industrie, qui doit finalement décider de la domination sur le marché mondial. Ainsi chaque élément qui tend à empêcher la répétition des anciennes crises recèle en soi les germes d'une crise à venir, bien plus puissante que les précédentes. »

Cela était écrit en 1893. Au cours des crises qui se produisirent avant la guerre de 1914, le fléchissement du commerce mondial a été de 5% de 1873 à 1874 ; 4 % de 1883 à 1884 ; en légère augmentation en 1890‑1891 ; 1% en 1900‑1901 ; 7% en 1907‑1908. A côté des 40 % entre 1929 et 1931, ces fléchissements paraissent très faibles.
Engels indique dans sa note comment, conjointement à la mobilisation et à la centralisation du crédit, l'extension des rapports capitalistes à l'ensemble du monde va à l'encontre de la baisse du taux de profit et assure un développement du mode de production capitaliste avec le minimum de secousses. Le capital achève sa mission progressive. Ses mécanismes fonctionnent encore. Le capital n'a pas encore historiquement atteint ses limites.

Crises, crédit, politique monétaire

Marx ne consacre pas par hasard tout un chapitre du Capital au « Currency principle » et (à) « la législation anglaise de 1844 ». Le « currency principle » découle de la théorie des crises, théorie monétariste de Ricardo, selon laquelle :
« la hausse des prix des marchandises est due à la baisse de la valeur de la monnaie. Mais la valeur de la monnaie, nous apprend Ricardo, s'explique par une circulation surabondante ; autrement dit, la masse de la monnaie circulante dépasse le niveau déterminé par sa propre valeur immanente et la valeur immanente des marchandises ».

Il s'agit de la monnaie d'or et éventuellement d'argent dont « la valeur immanente », comme la « valeur immanente » de toutes les marchandises, est déterminée par « le temps de travail socialement nécessaire » à les produire. Il s'ensuit que « les prix montent ou baissent donc périodiquement parce qu'il circule périodiquement trop ou trop peu de monnaie » et comme (au moins au XIXe siècle) la crise et le boom se manifestent par la baisse et la hausse des prix, un lien causal était établi entre la plus ou moins grande circulation de monnaie métallique et les crises.
Le bank act de 1844 partait de ce principe et l'étendait à la circulation des billets :
« Le bank act de 1844, nous dit Engels, divise la Banque d'Angleterre en deux départements : l'un chargé de l'émission de billets, l'autre des opérations bancaires. Le premier reçoit des garanties ‑ pour l'essentiel, il s'agit de la dette publique ‑ d'un montant de quatorze millions et de la totalité de l'encaisse métallique (...) et il émet une quantité de billets équivalent au total de ces deux dépôts. (...) Donc, pour chaque cinq livres en or qui sortent du trésor de la banque, un billet de cinq livres fait retour. (...) En réalité, la division de la banque en deux départements indépendants ôta à la direction la possibilité de disposer au moment décisif de toutes ses disponibilités ‑ c'est ainsi qu'il a pu arriver que le département bancaire se trouve au bord de la faillite, tandis que le département d'émission possédait plusieurs millions en or et, de plus, sa garantie de quatorze millions intacte. Et ce cas peut se présenter d'autant plus facilement que presque chaque crise comporte une phase pendant laquelle il se produit une forte sortie d'or vers l'étranger, laquelle pour l'essentiel doit être couverte par l'encaisse métallique de la banque. Mais, pour chaque cinq livres d'or qui émigrent, on prélève sur la circulation intervenue un billet de cinq livres, ce qui réduit la quantité des moyens de circulation juste au moment où on en a le plus pressant besoin. Le bank act de 1844 incite donc directement le monde des affaires à se constituer à temps, quand une crise éclate, un trésor, une réserve de billets de banque, ce qui revient à hâter et à aggraver la crise. Les effets de cette demande artificielle d'argent liquide, c'est‑à‑dire de moyens de paiement, se font sentir au moment décisif, d'autant qu'ils vont de pair avec une réduction de l'offre de ces moyens de paiement: le résultat, c'est que le taux d'intérêt en temps de crise bat tous les records: aussi cette législation, au lieu d'éliminer les crises, les aggrave au contraire à tel point que la catastrophe menace tout le monde industriel à moins que ne périsse le bank act. A deux reprises, le 25 octobre 1847 et le 12 novembre 1857, la crise avait atteint ce point: le gouvernement, suspendant la loi de 1844, releva le plafond de l'émission de la banque et les deux fois cette mesure fut suffisante pour briser la crise. »

D'une part, Marx (et Engels) souligne que c'est la production et la circulation des marchandises qui déterminent la circulation de la monnaie, comment les différents moments du cycle influent sur cette circula­tion ; et, d'autre part, comment une politique monétaire et de crédit peut précipiter la crise. Cela sou­ligne en contraste le rôle du déve­loppement du crédit et d'une poli­tique monétaire adaptée dans la période ultérieure (1867‑1893) du dé­veloppement capitaliste qu'évoque Engels dans la note citée plus haut.
« Une législation bancaire ignorante et absurde comme celle de 1844‑45 peut aggraver la crise. Bien que, ajoute immédiatement Marx, il n'est pas de législation bancaire qui puisse écarter la crise.
« Dans un système de production où tout l'édifice complexe du procès de production repose sur le crédit, si le crédit cesse brusquement et que seuls aient cours les paiements en espèces, on voit bien qu'une crise doit alors se produire, une ruée sur les moyens de paiement . A première vue donc, toute la crise se présente comme une simple crise de crédit et d'argent. Et en fait, il ne s'agit que de la convertibilité des effets de commerce en argent. Mais, dans leur majorité, ces traites représentent des achats et des ventes réels, dont le volume dépasse de loin les besoins de la société, ce qui est en définitive à la base de la crise. »

La concentration du capital, l'extension des rapports de production capitalistes au monde entier, l'immense croissance et concentration du crédit sous toutes ses formes caractérisent et expliquent la période capitaliste qui s'étend de 1867 à 1893, et non les sciences et les techniques.

Le capitalisme développe le parasitisme

Dès l'origine de ce mode de production, des signes de putréfaction se manifestent. Les dépenses de l'Etat fournissent d'importants marchés qui alimentent le développement capitaliste. Le développement du crédit engendre :
 « une quantité énorme de ces effets (qui) ne représentent que des affaires spéculatives qui, venant à la lumière du jour, y crèvent comme des bulles ; ou encore, ce sont des spéculations menées avec le capital d'autrui, mais qui ont mal tourné ; enfin, des capitaux marchandises qui sont dépréciés ou même totalement invendables ou des rentrées d'argent qui ne peuvent avoir lieu ».
Au cours des années de la fin du XIX' siècle, le parasitisme prend, si l'on peut dire, un essor sans précédent. Des krachs retentissants se produisent. D'énormes scandales, tel celui de Panama, éclatent. Une bureaucratie d'Etat tentaculaire, le militarisme sont l'une des sources de ce parasitisme. L'Etat, les collectivités publiques fournissent des marchés considérables au capital. Le parasitisme est inhérent au mode de production capitaliste. Le système, à la fois tentaculaire et concentré, du crédit sous ses formes multiples lui fournit un bouillon de culture. Ce parasitisme est ouvert et direct. Ainsi, la dette publique.
« L'Etat doit payer chaque année à ses créanciers une certaine somme d'intérêts pour le capital emprunté. Dans ce cas, le créancier ne peut pas réaliser son prêt, il ne peut que vendre sa créance, le titre de propriété qui l'établit. Le capital lui‑même a été mangé, dépensé par l'Etat. Il n'existe plus. Ce que le créancier de l'Etat possède, c'est : 1°) une obligation de l'Etat, mettons de 100 livres ; 2°) cette obligation lui donne droit à une certaine somme, disons cinq livres ou 5% sur les recettes annuelles de l'Etat, c'est‑à‑dire sur le produit annuel des impôts ; 3°) il peut vendre a son gré ce titre de 100 livres à d'autres personnes. Si le taux d'intérêt est de 5 % et en supposant en outre que l'Etat tienne ses engagements, le possesseur A du titre peut normalement le céder à B au prix de 100 livres ; car, pour B, qu'il prête 100 livres à 5 % par an ou qu'en payant 100 livres, il s'assure un tribut annuel de cinq livres, c'est tout un. Or dans tous les cas, le capital de l'Etat demeure un capital fictif, illusoire. Non seulement parce que la somme prêtée à l'Etat n'existe plus du tout, mais encore parce que jamais elle n'avait été destinée à être dépensée en tant que capital, à être investie, et que c'est seulement son investissement en tant que capital qui aurait pu faire d'elle une valeur susceptible de se conserver par elle‑même. (...) »

Mais ce n'est pas seulement la dette publique qui engendre une masse (là aussi, si l'on peut dire) monstrueuse de capital fictif.
« On appelle capitalisation la constitution du capital fictif. On capitalise n'importe quelle recette se répétant régulièrement, en calculant sur la base du taux d'intérêt moyen le capital qui, prêté à ce taux, rapporterait cette somme.
Evidemment, en principe, l'émission et le placement d'actions ont pou(but de rassembler un capital qui doit être investi productivement. Alors la valeur nominale de l'action représente un capital réel. Mais
« le mouvement autonome de la valeur de ces titres de propriété ‑ pas seulement des bons d'Etat, des actions aussi ‑ renforce l'illusion qu'ils constituent un véritable capital à côté du capital qu'ils représentent ou du droit qu'ils peuvent établir. Ils se transforment en marchandises dont le prix varie selon ses lois propres. Leur valeur sur le marché est déterminée autrement que leur valeur nominale sans que soit modifiée la valeur (sinon la mise en valeur) du capital réel ».
Le mécanisme est connu : le prix en Bourse des actions tend à s'aligner en relation du dividende rapporté au taux d'intérêt moyen de l'argent. Si une action de 100 F rapporte un dividende de 10 F et que le taux d'intérêt de l'argent soit de 5% toutes choses égales, l'action sera cotée 200 F. Il s'ensuit une « création » de quantités énormes de capital fictif qui, dans le cas des actions, tendra à se volatiliser au moment de la crise. Alors la cotation tombera en dessous de la valeur nominale.

De la libre concurrence à l'impérialisme

Les traits du capitalisme à son stade suprême, l'impérialisme, stade du capitalisme pourrissant, se dessinent et s'affirment au cours de cette période. Lénine écrira dans L'impérialisme, stade suprême du capitalisme :
« Pour l'Europe, on peut établir avec assez de précision le moment où le nouveau capitalisme s'est définitivement substitué à l'ancien. C'est le début du XXe siècle. »
Mais le mode de production capitaliste continue à remplir sa fonction historique telle que Marx l'a définie : « Développement matériel des forces productives, constitution d'un marché mondial. » Les crises sont un mécanisme régulateur du développement du mode de production capitaliste : la destruction et la dévalorisation massives du capital s'opèrent « librement » et préparent une nouvelle progression du capital par la hausse suivant la chute du taux de profit, et un nouvel équilibre dynamique entre les différents secteurs de la production. En même temps, elles poussent à une fantastique concentration, aux monopoles, à la fusion du capital bancaire et du capital industriel et à la formation du capital financier.
La période 1893‑1913, que Mandel caractérise ainsi que celle « du moteur électrique et du moteur à explosion », termine l'époque du capitalisme de libre concurrence. D'elle se dégage et se cristallise définitivement le stade impérialiste du capitalisme. Il ne s'agit pas d'un simple changement de forme. C'est l'époque où s'enchevêtrent les expéditions et guerres coloniales et les guerres inter‑impérialistes : guerre hispano-américaine, guerre russo‑japonaise, guerre des Balkans et finalement cette période débouche sur la première guerre mondiale. Les alliances se nouent ; la course aux armements s'engage sur terre et sur mer. Des armées de centaines de milliers d'hommes, sinon de millions d'hommes, sont formées, qui ouvrent un marché de plus en plus important à l'industrie lourde, à la sidérurgie. à la métallurgie, ainsi qu'un marché des moyens de consommation. La dette publique s'accroît démesurément dans tous les grands pays capitalistes.
En même temps que les émissions d'obligations et d'actions s'amplifient (ainsi les emprunts russes en France), les monopoles imposent ce que l'on a appelé les profits de monopole.

Rosa Luxemburg a souligné, dès avant la première guerre mondiale, le rôle moteur de plus en plus important que joue le militarisme dans l'économie capitaliste à l'époque impérialiste. La crise de 1913 sera surmontée, on sait à quel prix. La prévision d'Engels, écrite vingt ans plus tôt, se réalisait : sauf que « les armements destinés à la bataille générale de l'industrie (pour décider) de la domination du marché mondial » se transformeraient en armements tout court, et qu'à la crise se substituerait la première guerre mondiale.
Les monopoles. la fossilisation du capitalisme à l'époque impérialiste, le parasitisme entravent le libre jeu des lois de fonctionnement de ce mode de production. Mais les vingt années qui précèdent la première guerre mondiale ne sont encore que la préface à l'époque de l'impérialisme.
L'indice des prix a, de ce point de vue, une signification certaine. L'inflation, expression du parasitisme, est encore inexistante. Entre 1875 et 1896 aux USA, en Angleterre, en France, les prix fléchissent. Après 1896, jusqu'à la première guerre mondiale. ils sont en légère augmentation. La courbe des prix des USA montre qu'en 1913 les prix ont retrouvé leur niveau de 1865, année où se termine la guerre de Sécession.
De même et conjointement, le système monétaire international est stable jusqu'à la première guerre mondiale. C'est l'étalon­or. La valeur théorique des monnaies comme la livre, le franc ne varie pas pendant plus d'un siècle, malgré les crises. La définition or de la livre a été fixée en 1711, quinze ans après la fondation de la Banque d'Angleterre. Celle du franc a été fixée en Germinal (avril), an XI (1803).

Pourtant, Marx montre que la ruée vers l'or n'est pas d'aujourd'hui :
« Dans la crise on voit se manifester cette revendication : la totalité des lettres de change, des titres, des marchandises doit pouvoir être tout d'un coup et simultanément convertible en argent bancaire et tout cet argent à son tour en or. »
Mais jusqu'en 1913 le crédit des Banques centrales n'était pas ruiné par le parasitisme qui, de nos jours a pris le nom d'inflation. Cela suffit à montrer la cassure qui s'établit entre l'époque du capitalisme ascendant et celle du capitalisme pourrissant, l'impérialisme. Sans établir tout à la fois les raisons fondamentales des crises du mode de production capitaliste qui indiquent ses limites, ce qui est commun à toutes les époques du capital et ce qui les différencie, il est impossible de procéder à l'analyse des crises à l'époque de l'impérialisme.

*    *   *

La forme de cet article est inhabituelle. La nécessité de rétablir, contre les falsificateurs, l'analyse marxiste des causes et conséquences des crises du mode de production capitaliste l'a imposée. Les citations du Capital de Marx, d'Engels constituent l'essentiel du texte : autant en appeler directement aux maîtres. Ainsi, et c'est la justification de cet article et de sa forme, il sera possible d'aborder clairement, dans un prochain article, les crises à l'époque de l'impérialisme et la crise qui approche.


Stéphane JUST.

Avril 1975. (publié dans la Vérité n° 568 de septembre 1975)

Haut de la page