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Catastrophe de Fukushima :

Sortir du nucléaire ou sortir du capitalisme ?


Un cataclysme d’une portée planétaire


Le 11 mars 2011, un tremblement de terre de magnitude 9 se produisait au large des côtes nord-est du Japon. Ce tremblement de terre a provoqué un gigantesque tsunami qui a rasé les villes côtières. A ce jour, on dénombre 28 000 morts et disparus. Prés de 200 000 personnes restent sans abris et déportées, et cinq semaines après le raz-de-marée, des dizaines de milliers restent sans secours véritables, livrées à elles-mêmes en se battant pour survivre au jour le jour. « Un mois après le tsunami, le nord-est du Japon offre toujours l’image du chaos » indique Le Monde du 12/04/2011.
Un premier fait à souligner : le nombre des victimes du seul tremblement de terre, dont les secousses ont été ressenties fortement jusqu’à Tokyo, est relativement limité. Après le tremblement de terre de Kóbe en 1995, le gouvernement a dû relever les normes antisismiques pour la construction des bâtiments et des infrastructures. Cela met en relief que si ces mêmes normes avaient été mises en œuvre en Haïti, par exemple, cette « catastrophe naturelle » n’aurait pas eu l’ampleur qu’elle a eue, c’est-à-dire plus de 200 000 victimes, sans compter celles par la suite dues à l’épidémie de choléra et aux conditions sanitaires effroyables. Il en a été autrement avec le tsunami. Malgré les alertes émises depuis des dizaines d’années par de nombreux sismologues et géologues, les défenses contre ce phénomène « naturel » n’ont jamais été au niveau des phénomènes prévisibles, compte tenu des historiques établis par les chercheurs.

De ce fait, le tsunami a dévasté la centrale nucléaire de Fukushima construite à la fin des années 1960 par le trust américain General Electric et mise en service en 1971. Successivement, du 12 au 15 mars, les quatre réacteurs de la centrale ont connu des explosions. Jour après jour, la situation a tourné « au bourbier nucléaire » (Le Monde du 27-28/03/2001). Jour après jour, ce sont succédés alternativement les communiqués rassurant de Tepco et du gouvernement japonais et ceux, émanant des mêmes sources, alarmistes en contredisant les informations des précédents. Le 12 avril 2011, l’accident de Fukushima était classé au niveau 7, le niveau le plus élevé, celui de Tchernobyl, alors que la veille les dirigeants de Tepco avaient produit un communiqué plutôt optimiste sur la maîtrise de la situation. Le 17 avril, l’information suivante était diffusée « L’électricien japonais Tepco qui exploite la centrale nucléaire de Fukushima, a annoncé qu’il lui faudrait trois mois pour commencer à réduire la radioactivité et entre six et neuf mois pour refroidir les réacteurs. Cette étape, selon l’électricien, est un préalable avant de pouvoir intervenir sur le réacteur et limiter les fuites radioactives. Tepco a précisé qu’il allait «s’efforcer en priorité d’empêcher toute explosion d’hydrogène aux réacteurs 1, 2 et 3» » (publié sur le site Médiapart le 17/04/2011). En clair, la situation est loin d’être maîtrisée. Et déjà à ce jour, c’est un drame terrifiant. En résumé, la zone d’évacuation initiale d’un rayon de 20 km autour de la centrale est insuffisante. Elle va être portée à 30 km alors que de nombreux experts américains jugent qu’il faudrait aller au-delà à 80 km (à cette distance, dans certains endroits, la radioactivité mesurée est d’ores et déjà plus de 400 fois supérieures aux normes autorisées). Pour la population laborieuse, c’est dramatique « 70 000 personnes ont déjà quitté la zone d’évacuation. Selon les nouvelles directives, 130 000 pourraient devoir le faire, et grossir les rangs des 190 000 personnes présentes dans les centres d’hébergement » (Le Monde du 13/04/2011). A 80 km, se sont des millions de personnes qui seraient concernées ! Il faut aussi indiquer que ces populations ont dû se « débrouiller » pour évacuer dans une pagaille gigantesque. Du fait de la contamination par les rejets de la centrale, en particulier le césium 137 (la concentration en césium rejeté ne diminue de moitié que tous les trente ans), la zone devrait être considérée comme inhabitable pour des décennies. En conséquence des rejets dans le sol, les terres agricoles sont devenues inexploitables ; il en va de même pour la pêche et l’élevage piscicole et conchylicole. Dans les zones directement sinistrées, sous les effets conjugués du tsunami et de l’accident de la centrale, près de 840 000 emplois vont être directement menacés. Personne n’est en mesure – ou ne veut vraiment dire quand il s’agit des autorités du pays - de prévoir précisément l’ampleur des conséquences sanitaires à court et long terme sur les populations qui ont été ou qui seront exposées dans les prochains mois, la propagation de la pollution radioactive pouvant fluctuer en fonction des aléas du climat.

Compte tenu de la position géographique de Fukushima, le nord Japon est en réalité coupé de reste de l’Ile. Tokyo à environ 200 kilomètres au sud, avec ces 35 millions d’habitants, est potentiellement menacée (pendant quelques jours, la consommation d’eau du réseau a été limitée ou interdite).
Au-delà des impacts potentiels en termes sanitaires sur la région, la catastrophe de Fukushima a une portée planétaire (il ne s’agit pas de traiter ici des impacts dans le contexte de la crise du mode de production capitaliste, mais il est déjà certain que la production mondiale d’automobiles sera gravement affectée du fait de la place centrale occupée mondialement par le Japon en tant que fournisseur de composants). Elle s’est produite chez la deuxième puissance économique mondiale, berceau des innovations technologiques dans de nombreux domaines tels, par exemple, l’informatique et l’électronique, la téléphonie, la robotique, la construction automobile, les machines-outils, etc. Les puissances impérialistes n’ont pas cessé de se gausser de la catastrophe de Tchernobyl en 1986 dans le contexte de la gabegie organisée par la bureaucratie du Kremlin. A les entendre alors, une telle catastrophe était inconcevable ailleurs. Aujourd’hui, c’est au cœur d’une puissance impérialiste de premier rang que le cataclysme s’est produit.



« Catastrophe naturelle » ?


Dans une interview publiée dans Le Monde du 29/03/2011, l’ex-gouverneur de la préfecture de Fukushima déclare « La catastrophe actuelle a été provoquée par l’imprudence des hommes ». C’est en réalité de « l’imprudence », si l’on peut dire ainsi, du mode de production capitaliste dont il s’agit. La conduite en la matière du trust privé Tepco est un exemple significatif parmi bien d’autres.
Depuis des années, de nombreux experts et même des salariés de la centrale ont alerté en vain l’agence pour la sûreté nucléaire et industrielle du Japon (NISA) et le ministère de l’industrie (METI) qui en est par ailleurs la tutelle. A plusieurs reprises, depuis 2000, les dirigeants de Tepco ont été pris la main dans le sac pour avoir falsifié des rapports d’inspection qui signalaient notamment des dangers de fissures sur deux des réacteurs de la centrale de Fukushima, l’inadéquation des protections contre les tsunamis conçues pour résister à des vagues de seulement 5,7 m, la construction risquée des réservoirs de stockage des combustibles et le fait que les générateurs de secours n’avaient pas été conçus pour résister à une inondation. Dans les années 1980, un responsable de l’autorité de sécurité nucléaire américaine avait évalué à 90 % de chance que le caisson de confinement des réacteurs tombe en panne en cas de surchauffe (des caissons avec cette même conception continuent d’être exploités au Japon, aux USA et dans le monde ; dans de nombreux cas, leur autorisation d’exploitation vient d’être prolongée de 10 à 20 ans). Pourtant, depuis des décennies, Tepco a été prise en flagrant délit de mensonge sur l’état de ses centrales : « En 2002 les dirigeants de Tepco ont dû démissionner pour avoir commis plus de 220 fausses déclarations d’incidents en 20 ans. En 2007 « Tepco était à nouveau critiquée pour avoir, avec les autres compagnies d’électricité japonaises, dissimulé 97 incidents, dont 19 jugés « critiques » entre 1978 et 2002 » (Le Monde du 23/03/2011)
Lors de l’élaboration du programme nucléaire au Japon, de nombreux sismologues et géologues avaient prévenu : la construction de centrales au Japon et en particulier sur les côtes nord et nord-est devrait être prohibée ou, à défaut, encadrée par des normes de sécurité beaucoup plus élevées que celles en vigueur. Dernièrement, dans une interview publiée par Le Monde du 15/04/2001, le professeur Ishibashi, sismologue qui avait démissionné en 2006 de la commission chargée de réviser les directives de protection des centrales contre les séismes suivis d’un accident nucléaire, a rappelé : « Des centrales ont été construites dans des endroits à risque, parfois simplement, car il était facile de convaincre les autorités locales… Les réacteurs devraient être arrêtés après trente ans. Si nous l’avions fait, nous n’aurions pas de problème à Fukushima ».
Après le 11 mars, les répliques du tremblement de terre ont provoqué d’autres incidents graves dans des centrales au nord du Japon. Les centrales d’Onagawa et d’Higashidori, ainsi que le centre de retraitement des combustibles de Rokkasho, ont été gravement affectés. Face à ces événements, le professeur Ishibashi avoue son impuissance en déclarant « Il faut prier pour que ce scénario [celui de la combinaison d’un nouveau tsunami et d’un tremblement de terre, ndlr] ne se reproduise pas »

Comme l’indiquait CPS n° 39 du 22/10/2010 (pages 18-27) « Il faut préciser : « les catastrophes naturelles ou climatiques », provoquées ou pas par les changements climatiques, ont bon dos. ». Les tremblements de terre, tsunamis, ouragans et autres phénomènes naturels ne peuvent pas être évités. Mais il est clair que l’humanité a acquis les moyens techniques d’en limiter considérablement les dégâts. Mais comme le rappelle Engels dans Dialectique de la Nature, de tout temps, mais dans des conditions exacerbées avec le mode de production capitaliste, « Vis-à-vis de la nature comme de la société, on ne considère principalement, dans le mode de production actuel, que le résultat le plus proche, le plus tangible ; et ensuite on s’étonne encore que les conséquences lointaines des actions visant à ce résultat immédiat soient tout autres, le plus souvent tout à fait opposées … ».
La destruction de la centrale nucléaire de Fukushima et ses conséquences ne sont pas les résultats d’une « catastrophes naturelle ». C’est d’abord les capitalistes de l’industrie du nucléaire, le gouvernement japonais et les trusts tels General Electric, ainsi que l’ensemble des capitalistes qui bénéficient d’une énergie à moindre coût, qui ont décidé des programmes, construit et exploité ces installations, qui sont entièrement responsables et coupables.


« Le capital suant le sang et la boue par tous ses pores » (Karl Marx)


Il est maintenant avéré que suite au tsunami, la première intention de Tepco a été de sauver son capital. Des heures précieuses ont été perdues avant de décider des opérations de refroidissement des réacteurs en utilisant de l’eau de mer. Ainsi, le directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) explique dans une interview à Médiapart publiée le 15/04/2011 : « A Fukushima, on ne sait rien de ce que les techniciens ont fait la première journée. On ne connaît pas la durée d’arrêt des réacteurs. On ne sait pas à quoi a été utilisé le temps pendant lequel rien n’était encore cassé – ou plutôt on peut penser que ce temps n’a pas été assez bien utilisé. Un journal a raconté que le premier ministre avait demandé à survoler le site en avion, et qu’à cause de cela on avait retardé certaines opérations des installations. Que s’est-il passé à la centrale pendant les premières heures, cruciales pour la gestion de la crise ? On n’en sait rien » (ce même directeur, haut fonctionnaire acquis à la cause des industriels du nucléaire, conclut son interview avec une légèreté déconcertante « On n’avance à grands pas que lorsqu’il y a des pépins »).
Après le 11 mars, dans les premiers jours, les moyens mis en œuvre par Tepco et le gouvernement japonais pour tenter d’enrayer la catastrophe ont été dérisoires. C’est seulement après 6 semaines de son déclenchement que les dirigeants de Tepco ont accepté les offres d’Areva et de compagnies américaines -certes intéressées- de mettre à disposition des robots pour intervenir dans la centrale. Dans un premier temps, ce sont des « liquidateurs » (terme employé pour désigner les 600 000 à 800 000 travailleurs qui ont été impliqués dans les opérations de décontamination et de construction du sarcophage suite à la catastrophe de Tchernobyl), kamikazes désignés, qui sont intervenus dans des « conditions « affreuses » » (Le Monde du 19/03/2011), c’est-à-dire sans aucun équipement de protection approprié ni même dosimètre permettant de mesurer et de contrôler les niveaux d’exposition aux radiations. Une fois de plus, ce sont les prolétaires - ingénieurs, techniciens, ouvriers - qui payent l’addition et se sacrifient, pour la plupart, en toute connaissance de cause. Tepco a d’abord envoyé en première ligne des employés d’entreprises sous-traitantes.


Une exception japonaise ? Certes, à ce jour, la France n’a pas connu d’« incident » au niveau de ceux de Tchernobyl ou Fukushima. Mais pour autant la situation des travailleurs intervenant dans les centrales nucléaires est dramatique. Avec le processus de privatisation d’EDF engagé en 2004 par sa transformation en société anonyme puis son introduction en bourse en 2005, les normes de rentabilité ont été plus que sensiblement augmentées et, de ce fait, le recours à la sous-traitance pour les opérations de maintenance des centrales s’est amplifié en devenant systématique. A ce jour de 22 000 à 25 000 travailleurs (« les nomades du nucléaire ») employés par des entreprises sous-traitantes, pour une grande partie itinérant de camping en camping, interviennent dans les centrales nucléaires gérées par EDF pour les opérations de maintenance. Opérations dont les délais ont été réduits de moitié afin de permettre une utilisation optimale des installations en limitant les temps d’arrêt de la production. A eux seuls, ces intervenants accumulent 80 % des radiations supportées par l’ensemble du personnel d’EDF. Au fils des ans, ces « intermittents » cumulent au cours des ans vingt fois plus de radiations que les salariés d’EDF… « Mais cette hécatombe reste invisible faute d’un suivi épidémiologique » (Le Point du 24/03/2011). Le CHCT de la centrale de Chinon affirme « que le nucléaire n’est plus sûr pour des raisons non pas techniques mais humaines : les conditions de travail et donc de maîtrise de l’outil de travail, se dégradent pour le plus grand nombre ; les effectifs et le temps manque pour un travail de qualité".
Le 30/03/2011 ont été publiés les décrets définissant les critères de pénibilité pour la retraite anticipée (décrets qui s’inscrivent dans le cadre de la mise en œuvre de la réforme des retraites, il convient de le noter). L’exposition à la radioactivité a été exclue des critères à la demande du patronat. Pourtant, en France, plus de 320 000 travailleurs sont exposés (dans les centrales nucléaires mais aussi les hôpitaux, les cabinets de radiologie, la recherche et l’industrie). Selon les chercheurs de l’Inserm, « Les rayonnements ionisants sont des cancérogènes avérés, pour lesquels il n’y a pas de seuil d’exposition en dessous duquel le risque est nul » (Le Monde du 15/04/2010). Il est observé une sous-déclaration écrasante des cancers professionnels, situation aggravée par la liquidation en cours de la médecine du travail par le gouvernement, et ces mêmes chercheurs estiment que l’on est au début de l’épidémie. Selon eux, il n’y a qu’une explication possible au retrait du critère « Protéger l’industrie nucléaire des conséquences de la catastrophe de Fukushima ».


« Sarkophage »


Le 31/03/2011, Sarkozy a été le premier chef d’Etat à se rendre au Japon, accompagné d’Anne Lauvergeon, la dirigeante d’Areva, pour saluer le « courage exceptionnel des Japonais ». Personne n’a été dupe. La visite n’était pas désintéressée. Pour Areva, le Japon est l’un de ses grands clients en matière de production, de traitement et de stockage des combustibles (le deuxième client d’Areva après EDF). La visite n’a pas été sans premiers résultats : Areva a décroché le marché pour la décontamination de l’eau injectée dans la centrale. Depuis son élection, Sarkozy s’est transformé en VRP, en particulier pour l’industrie nucléaire française, afin de ventre le réacteur EPR. Face à la concurrence mondiale, il a subi quelques revers : en 2007, Kadhafi démarché puis reçu en grande pompe par Sarkozy, a finalement refusé d’acheter une centrale française ; en 2009, Sarkozy échouait à vendre quatre réacteurs à Abou Dhabi face à un consortium nippo-coréen. Il a par la suite échoué en Chine. Selon Le Canard Enchainé du 16/03/2010, Sarkozy en personne s’est plaint : « Si l’on a perdu des marchés et des appels d’offres, c’est parce qu’on est plus chers, c’est parce qu’on est plus sûrs » aurait-il déclaré en piquant « une grosse colère et accusé Areva de vendre son EPR trop cher car trop sécurisé ».  Suite à un voyage en Inde en décembre 2010, Sarkozy a, semble-t-il, réussi à conclure. Areva a obtenu le marché pour la construction de 6 réacteurs nucléaires de 1650 MW, soit l’un des plus grandes centrales au monde dans la région de Jaitapur. Le Monde Diplomatique d’avril 2011 rapporte : « Jaitapur a connu trois tremblements de terre dépassant le niveau 5 sur l’échelle de Richter ; celui de 1993, d’une intensité de 6,3 a tué neuf mille personnes (…) rien de tout cela n’a été pris en compte lors du choix du site ». Dans une zone fertile et considérée comme très riche en ressources halieutiques, 40 000 résidents devraient être déplacée. Les populations locales, paysans et pêcheurs, ont décidé de tenter de s’opposer projet. Le 18 avril 2011, l’une de leurs manifestations contre Areva a été durement réprimée : la police a tiré sur la foule et le bilan est d’un mort et de plusieurs dizaines de blessés. Fillon n’est pas en reste. Le 19 avril 2011, il a coprésidé un « Téléthon des nations » pour rassembler les fonds manquants pour la construction, nécessaire car le premier est fissuré, d’un nouveau sarcophage sur la centrale de Tchernobyl pour un marché de 1,5 milliard d’euros que viennent de remporter Bouygues et Vinci.
Un tel engagement au niveau des sommets de l’Etat français peut aisément se comprendre. Les enjeux pour le capitalisme français sont considérables. L’industrie nucléaire est un volant d’entraînement pour l’ensemble de l’économie depuis le lancement à marche forcée des programmes de construction des centrales fin des années 1950-début des années 1960. Le nucléaire reste l’un des rares secteurs où l’industrie française joue un rôle mondial de premier rang. EDF, avec ses participations en Grande-Bretagne et en Allemagne, est le premier producteur mondial d’électricité nucléaire (un tiers de la production en Europe). GDF/Suez contrôle la production en Belgique. Bouygues, Vinci, Alsthom, Schneider, Nexans réalisent d’immenses profits dans l’ingénierie, la construction et la maintenance des centrales. Areva est le seul groupe au monde maîtrisant l’ensemble du cycle avec des mines d’uranium (Kazakhstan, Niger, Canada), l’enrichissement, la fabrication de réacteurs, la conception de centrales, le retraitement des déchets avec la plus grande usine du monde en la matière à La Hague. Depuis l’avènement de la Ve république, la haute administration au sein de l’appareil d’Etat s’est totalement mise au service des lobbies de l’industrie nucléaire au nom de l’indépendance énergétique de la France, plus prosaïquement au profit des intérêts du capitalisme français. Les « nucléocrates » constituent un Etat dans l’Etat. Avant d’être une question technique, le nucléaire est une question éminemment politique.


Un audit des centrales nucléaires ?


Quelques jours après les événements de Fukushima, François Fillon a annoncé un audit des centrales nucléaires en France. En réalité c’est une grossière opération de communication visant à donner le change au compte de l’industrie électronucléaire. En effet, on peut d’étonner. L’Etat français a à sa disposition de puissantes agences comme l’Autorité de sécurité nucléaire (ASN), l’IRSN et le CEA. Il est certain que dans les hautes sphères de d’administration et à la direction d’EDF ou d’Areva, il y a une connaissance parfaite de l’état du parc des centrales et des risques encourus. Mais l’omerta sur la situation réelle se perpétue et les informations ne sont diffusées que partiellement. Les discours rassurant des experts « indépendants » sur l’air « la France n’est pas le Japon » ont pour objectif de faire écran de fumée. Le 27 décembre 1999, la centrale du Blayais a connu un accident majeur…classé par EDF comme un « incident ». Pendant quelques heures, le préfet a estimé qu’il fallait songer à évacuer la ville de Bordeaux (Le Point du 24/03/2011). Du fait que les digues n’étaient pas assez hautes, ce qu’EDF savait, sous l’effet de la tempête et de la marée, la centrale a été partiellement inondée : durant des heures, le refroidissement de deux réacteurs n’a été assuré que par des moteurs Diesel de secours. Par la suite, la digue a été relevée de 0,5 m, ce qui, selon certains experts et même le directeur de l’IRSN, reste insuffisant. Selon des chercheurs du CNRS, 16 réacteurs français restent menacés d’inondations en cas de forte tempête. Les incidents se multiplient les centrales  prévues initialement pour une durée de vie de 30 ans, mais dont l’exploitation a été prolongée de 10 à 20 ans. Il est aujourd’hui avéré qu’EDF a falsifié les données sismologiques pour éviter d’avoir à investir 1,9 milliard d’euros pour les mettre aux normes.


En ce qui concerne le rayon des expertises et des audits « indépendants » diligentés par l’Etat et ses agences, on peut rappeler quelques exemples tragiques pour la population laborieuse.
Il a fallu attendre 1997 pour que l’usage de l’amiante soit interdit en France, alors que depuis 1906 ses effets cancérigènes avaient été détectés. Et pourtant, en 1982, avait été constitué le Comité français de l’amiante, cogéré par le patronat et les syndicats (à l’exception de la CGT-FO). Les prévisions des épidémiologistes sont que, d’ici 2020, 200 000 travailleurs décéderont des pathologies provoquées par l’amiante…
En 1994, le chercheur André Cicobella a été licencié de l’Institut national de la recherche et de la sécurité (INRS), association gérée paritairement par le patronat et les organisations syndicales sous l’égide de la CMAMTS, pour ne pas avoir voulu capituler sur la communication de ses recherches mettant en évidence les risques cancérigènes et tératogènes des esters de glycol, substances massivement utilisées dans la parachimie.
Plus récemment, ce sont les experts « indépendants », mais en réalité stipendiés par l’industrie pharmaceutique, qui ont assisté le gouvernement et l’OMS pour organiser la psychose sur l’épidémie du virus H1N1 et ainsi conduire à l’achat massif de vaccins… dont la plus grande partie n’a pas été utilisée.
Il faut aussi, à la charge de cette même famille de communauté d’experts, rappeler l’exemple du Médiator, « médicament » produit par le groupe Servier, dont Sarkozy a été un avocat zélé. Il est acquis que les victimes de l’utilisation de cette formulation vont se compter par milliers. Dés 1995, la Direction générale de la santé avait été alertée par des médecins sur le fait que le médicament était inefficace pour la pathologie pour laquelle il avait été autorisé, et que sa prescription était massive pour des usages détournés. Dans ce cas encore, les experts « indépendants », avec l’aval des plus hautes autorités de l’État, ont réussi à retarder l’interdiction du Médiator jusqu’à novembre 2009.


Malgré ces faits, dés l’annonce de Fillon d’organiser un audit sur les centrales nucléaires françaises, les confédérations ouvrières ont accepté de marcher dans la combine et donné leur accord. En réalité, une nouvelle manifestation de leur refus de rompre avec le gouvernement et de le combattre. Par un communiqué du 16 mars 2011, la CGT-FO « revendique » que « L’Etat doit demeurer l’actionnaire majoritaire, voire unique, des entreprises de la filière et doit impulser les investissements et les axes de recherches dans le cadre d’une véritable politique nationale pour l’avenir », après avoir demandé que le gouvernement prenne « en considération cette situation au Japon et en tirer un retour d’expérience pour la filière nucléaire française afin de faire progresser encore les exigences en matières de sûreté des installations ». De son côté, la Fédération Nationale des Mines et de l’Energie de la CGT déclare le même jour : « Le gouvernement français a pris une décision pour réaliser un audit sur l’état de sûreté des centrales nucléaires : les démonstrations de sûreté de chaque centrale en France seront contrôlées à la lumière des enseignements tirés de la catastrophe de Fukushima, et les résultats seront rendus intégralement publics. C’est aussi la demande de la CGT et d’autres organisations qui se sont exprimées dans la période ».
Une fois de plus, les dirigeants des confédérations ouvrières remettent le sort des travailleurs entre les mains du gouvernement au service du capital.


Sortir du nucléaire ?...


Dans le sillage d’Europe Ecologie-Les verts, « la gauche de la gauche » s’est engouffrée. Impétueux et « radical », le NPA propose de sortir du nucléaire en « 10 ans maximum »  ; le Parti de Gauche est plus prudent car il doit ménager son alliance avec le PCF au sein du Front de Gauche, mais c’est aussi la seule perspective immédiate qu’il ouvre. Il faut le dire clairement, c’est une arnaque. En effet, si l’on considère le cas de la France, 70 à 80 % de l’électricité consommée proviennent de l’énergie nucléaire. Même certains écologistes considèrent qu’il faudrait au moins 50 ans pour éliminer totalement la production électronucléaire et lui substituer les énergies renouvelables (solaire, éolien, biomasse). Au-delà de l’aspect technique, comme il a été indiqué plus haut, étant donné les enjeux pour le capitalisme français, la question est avant tout politique. Il faut ajouter que même si à court terme d’autres sources d’énergie pouvaient totalement être substituées au nucléaire, il y a un premier obstacle de taille : ce sont les trusts de l’électronucléaire, avec les multinationales du pétrole qui ont pris l’essentiel du contrôle de la recherche et du développement des énergies dites renouvelables. Ce sont eux qui constituent, en réalité, un frein décisif à l’innovation en la matière.

Dans l’immédiat, comment répondre aux besoins de préserver la santé et la sécurité des plus larges masses, en particulier celle des travailleurs du nucléaire ? La responsabilité des organisations syndicales ouvrières est de rejeter la parodie d’audit commanditée par Fillon et de revendiquer, l’instauration d’un véritable contrôle ouvrier. Elles devraient revendiquer que les salariés des centrales, avec leurs syndicats, obtiennent les pleins pouvoirs d’investigations incluant celui de désigner leurs « experts » - ouvriers, techniciens, ingénieurs. Sur la base de leurs constats, les travailleurs ainsi organisés, devraient disposer d’une autonomie complète pour décider des mesures à mettre en œuvre pour assurer la sécurité, non seulement des travailleurs du nucléaire, mais aussi celle des populations environnantes. La perspective d’une conférence nationale des travailleurs du nucléaire devrait être ouverte.


… ou sortir du capitalisme


Le combat politique pour le contrôle ouvrier est évidemment indissociable de celui d’en finir avec le gouvernement Sarkozy et pour lui substituer un gouvernement ouvrier s’engageant vers le socialisme. C’est-à-dire un gouvernement s’engageant dans la voie de l’expropriation du capital et organisant la planification de l’économie en fonction des besoins des masses.
C’est cette année le 25e « anniversaire » de la catastrophe de Tchernobyl. Au-delà du fait qu’il a fallu « quêter » pour trouver les fonds nécessaires à la construction du nouveau sarcophage (« seulement » 1,5 milliard d’euros à comparer aux dizaines de milliards donnés aux banques pour tenter de surmonter la crise financière), il faut noter que selon les agences contrôlées par les Etats, comme l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ou encore le Comité scientifique des Nations Unies sur les effets des radiations nucléaires (Unscear), mis à part quelques cancers de la thyroïde, il n’a pas lieu de s’inquiéter des conséquences sanitaires. Depuis plusieurs années, les fonds destinés pour l’étude de ces conséquences sanitaires de Tchernobyl ont été réduits à la portion congrue. Le Journal du Dimanche du 24/04 /2011 rapporte toutefois que selon certains chercheurs, dont certains ont été soumis à la répression de la part des autorités biélorusse et ukrainienne, « En Ukraine, il y a vingt-cinq ans, l’espérance de vie était de 79 ans. Elle est estimée à 55 ans en 2020 ». Socialisme ou barbarie, tels sont bien les termes de l’alternative pour l’humanité.    

Comme le rappelait CPS n° 39 cité plus haut :
 « Ce n’est pas le propos de CPS de se prononcer sur le fait que les développements de l’énergie nucléaire, les nanotechnologies, le génie génétique et les OGM, etc., représentent ou pas un risque pour l’humanité. Il est à souligner que ces sciences et techniques n’ont pas en soi un caractère de classe. Dans Littérature et révolution, Léon Trotsky rappelle : « La technique et la science ont leur propre logique, la logique de la connaissance de la nature et de son asservissement aux intérêts de l’homme. Mais la technique et la science ne se développent pas dans le vide, elles le font dans une société humaine divisée en classes. La classe dirigeante, la classe possédante domine la technique et, à travers elle, elle domine la nature. La technique en elle-même ne peut être appelée militariste ou pacifiste. Dans une société où la classe dirigeante est militariste, la technique est au service du militarisme ». Ce qui est une certitude, c’est que dans le contexte de la propriété privée des moyens de production, le développement de ces technologies ne peut se faire comme l’indique Engels qu’en prenant en considération « le résultat le plus proche », c’est-à-dire la réalisation du profit au mépris des risques potentiels pour l’humanité. C’est seulement libérés de la domination du capital, leur activité étant uniquement orientée par la satisfaction des besoins réels de l’humanité, que les chercheurs, les ingénieurs et les scientifiques pourront traiter en toute indépendance de ces questions. Indiscutablement, le mode de production capitaliste a aussi développé les techniques qui permettent à l’homme de réparer la nature ou tout au moins de maîtriser les conditions dans lesquelles il l’exploite. Mais tant que perdurera le mode de production capitaliste, ces techniques ne seront mises en œuvre que dans la mesure où elles permettront la réalisation du profit et l’accumulation du capital. ».

La question politique n’est pas sortir ou pas du nucléaire, mais bien en finir ou pas avec le capitalisme.


Le 21 avril 2011

 

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