Rapport politique adopté par la XI° Conférence

du Comité pour la construction du parti ouvrier révolutionnaire,

la construction de l'internationale ouvrière révolutionnaire

(22-23-24 mai 1999)

 

2ème partie: France: un an et demi de gouvernement de la "gauche plurielle", gouvernement Jospin-Gayssot-Chevenement-Voynet-Zuccarelli

 

 

L'appréciation portée par la 10ème conférence

Un bilan impressionnant

L'avis d'un expert: "On peut se demander si la victoire de la gauche en 1997 n'a pas été en fin de compte une chance"

La crise des partis traditionnels de la bourgeoisie perdure

La "gauche plurielle": un gouvernement de type front populaire délavé …

… venu au pouvoir dans des circonstances inédites

L'étape politique 1981-1993

Le PCI

1988: réélection de Mitterrand et d'une majorité PS-PCF

L’alternative

Conséquences pour le prolétariat

Les bureaucraties syndicales en première ligne

46° congrès de la CGT: le baron Sellière "souhaite bonne chance" à Bernard Thibault

La force du gouvernement peut devenir sa principale faiblesse

Faire fond sur la spontanéité des masses

Pour la rupture des directions syndicales (CGT, FO, FSU, FEN, UNEF-ID, UNEF-se) avec le gouvernement

Pour un gouvernement PS- PCF sans représentants d'organisations bourgeoises, A bas Chirac, A bas la V° République!

Pour une politique anticapitaliste, un gouvernement ouvrier

Construire un Parti Ouvrier Révolutionnaire


 

L'appréciation portée par la 10ème conférence

La 10ème conférence du Comité a porté l'appréciation suivante sur la signification des élections législatives de juin 1997:

"Les élections législatives ouvrent une nouvelle étape de la lutte des classes.

Du côté de la bourgeoisie, la défaite électorale a été précipitée par sa propre crise, crise qui se manifeste au travers de la place occupée par le FN, et qui est encore avivée par le résultat des législatives. Cette défaite la handicape en l'obligeant à déléguer au gouvernement Jospin-Gayssot-Chevènement-Voynet-Kouchner l'offensive anti-ouvrière qui lui est nécessaire. De plus, l'échec de la dissolution - plébiscite aboutit au contraire de l'objectif de renforcement de la V° République qui lui était assignée: Chirac a été défait, le gouvernement est l'expression de la coalition majoritaire à l'Assemblée, et il est vertébré par les partis ouvriers traditionnels, par le PS.

Du côté du prolétariat, la volonté de résister à l'offensive du Capital, de chasser Chirac s'est exprimée dans ces élections Elle a pu déboucher, du fait de la crise de la bourgeoisie, sur l'élection d'une majorité relative du PS et du PCF à l'Assemblée nationale L'existence de cette majorité offre un point d'appui pour poser la question du pouvoir, d'un gouvernement PS-PCF sans représentants de la bourgeoisie, ouvrant une issue politique aux masses face au capital et sa politique menée par le gouvernement PS - PCF - R.C.V.

Mais pour autant, la bourgeoisie a gardé l'initiative politique, dans des conditions toujours marquées par l'immense désarroi des masses.

Enfin, il faut noter que le caractère relatif de la majorité PS-PCF à l'Assemblée a pris tout son relief avec la constitution du groupe "Radical-Citoyen-Vert" qui n'a pour but que de le mettre en valeur. C'est un point d'appui pour la bourgeoisie, que celle-ci cherchera vraisemblablement à utiliser pour réunir les conditions du retour de ses partis traditionnels au gouvernement.

Pour réunir ces conditions, elle dispose d'abord de la présence maintenue de Chirac à la présidence de la V République.

C'est dans ces conditions que le combat du prolétariat et de la jeunesse peut transformer la défaite politique de la bourgeoisie en victoire pour eux. Pour cela, il leur faut s'ouvrir une perspective politique. Le combat pour la construction du Comité est lié aux réponses politiques nécessaires au prolétariat et à la jeunesse dans cette nouvelle situation."

Un an et demi après, où en sommes-nous?

Un bilan impressionnant

C'est un fait que de larges couches de la classe ouvrière, dans les élections de juin 1997, ont cherché à voter contre le gouvernement Chirac-Juppé et sa politique, utilisant le vote PS, et dans une moindre mesure, PCF. Mais le gouvernement de la "gauche plurielle" a eu les moyens politiques, non seulement de poursuivre, mais même de développer les attaques du gouvernement Chirac-Juppé. Pour commencer, Jospin a constitué son gouvernement dans le respect des institutions de la Vème République, ce que concentre la préservation de Chirac, sa protection contre les conséquences de l'échec de la dissolution. La traduction concrète en a été: maintien de la fermeture de l'usine de Renault à Vilvorde, puis de la privatisation de France Télécom, et la signature du pacte de stabilité à Amsterdam.

Le plan Juppé a été non seulement maintenu mais même prolongé. Les lois Chevènement et Guigou ont été de nouveaux aménagements, aggravés pour ce qui est de la loi Chevènement, des lois Pasqua-Debré et du code de la nationalité version Balladur-Méhaignerie. Et de nouveaux pas sont franchis dans la destruction de ce qui reste de la Sécurité sociale, notamment au travers de la mise en place de l'Assurance maladie Universelle. Ajoutons la poursuite des privatisations engagées par le gouvernement Chirac-Juppé.

Mais ce n'est pas tout. Comme on le sait, le gouvernement Jospin-Gayssot-Chevènement-Voynet-Kouchner, que nous avons caractérisé après l'adhésion de Kouchner au Parti Socialiste de gouvernement Jospin-Gayssot-Chevènement-Voynet-Zuccarelli, a ajouté à la poursuite de la politique du gouvernement RPR-UDF des attaques extrêmement importantes contre la classe ouvrière. La plus importante est sans aucun doute la loi (dite) des 35 heures. Cette loi est un puissant instrument de destruction des acquis ouvriers, des conventions collectives, de généralisation de la flexibilité, de l'annualisation du temps de travail, de la baisse des salaires réels, instrument d'autant plus efficace qu'il vise à transformer les organisations syndicales ouvrières en agents actifs et décisifs de cette liquidation des acquis.

La publication du rapport Roché, préparatifs d'artillerie contre les fonctionnaires, montre que l'application de cette loi dans la fonction publique y vise les mêmes objectifs.

L'autre élément majeur jusqu'ici de la politique du gouvernement est la création des "emplois-jeunes", qui servent non seulement de cheval de Troie contre le statut de fonctionnaire, mais encore qui sont la tête de pont des contre-réformes qui pleuvent dans le domaine de l'enseignement public. Et maintenant, comme CPS 76 l'a expliqué, c'est au tour du régime général et des régimes spéciaux des retraites de faire l'objet de préparatifs minutieux pour une offensive d'ampleur.

Fait significatif: il y a certes eu un certain nombre de grèves notables, (transports, enseignants de Seine-Saint-Denis, …), mais le seul mouvement de masse qui se soit produit jusqu'ici contre le gouvernement et sa politique a été le mouvement des lycéens, mouvement qui a échoué. 

Inutile, donc, de poursuivre une énumération plus poussée: l'appréciation portée par la X° Conférence est totalement confirmée. Malgré sa défaite électorale, " la bourgeoisie a gardé l'initiative politique ".

L'avis d'un expert:
"On peut se demander si la victoire de la gauche en 1997 n'a pas été en fin de compte une chance"

L'Expansion du 3 décembre 1998 publiait une interview d'un éminent représentant de la bourgeoisie, Raymond Barre. On doit en donner quelques extraits, significatifs de l'appréciation que porte sur la situation un des porte-parole les plus notoires de la bourgeoisie française: "Le gouvernement actuel a fait preuve, au moment où il a pris le pouvoir, d'un sens opportun des responsabilités. Il n'est pas retombé dans les excès budgétaires de 1981. Il a immédiatement réglé les problèmes européens à l'égard desquels le Premier ministre avait pourtant pris ses distances pendant la campagne électorale. Même s'il leur a apporté des nuances, il a été contraint de poursuivre les actions qu'Alain Juppé avait entreprises dans le domaine de la sécurité sociale et des privatisations.

On peut se demander en fin de compte si la victoire de la gauche en 1997 n'a pas été en fin de compte une chance pour faire passer un certain nombre de mesures qui étaient indispensables. Du moment qu'elles étaient présentées par un gouvernement qui n'était pas de gauche, elles étaient soumises à des critiques systématiques et au refus obstiné d'un certain nombre de catégories sociales et de groupes d'intérêt. Ce n'est plus le cas."

Et Barre de saluer la loi (dite) des 35 heures:

"Chose étrange, les négociations actuelles entre entreprises et syndicats sur les trente-cinq heures conduisent souvent à un assouplissement des rigidités, notamment en matière d'annualisation de la durée du travail, de temps partiel, de répartition des jours de vacances sur l'année plutôt qu'à une création d'emploi. Ce sont des progrès qui ne sont pas négligeables".

Cette "mention bien" donnée par monsieur le professeur Barre au gouvernement que dirige Jospin vaut la peine qu'on s'y attarde. Mais, d'abord, il faut préciser: Barre accorde un satisfecit au gouvernement de la "gauche plurielle", se félicite de la "chance" que sa venue constitue… mais il fait en l'espèce contre mauvaise fortune bon cœur.

La crise des partis traditionnels de la bourgeoisie perdure

A l'approche des élections européennes, pas moins de cinq listes issues des partis traditionnels de la V° République sont prévues: liste RPR/DL, liste UDF, liste Pasqua, liste Villiers, liste Millon. Il ne faut pas surestimer cette pléthore de listes: le mode de scrutin, ainsi que l'absence d'enjeu majeur de ces élections l'ont considérablement favorisée.

N'empêche: elle témoigne une nouvelle fois de la profondeur des contradictions qui traversent les rangs des représentants traditionnels de la bourgeoisie française. Il faut reprendre ici l'explication qu'en donnait l'éditorial du numéro 72 de CPS:

"A la racine de la crise du RPR et de l'UDF: l'échec récurent de la bourgeoisie à réaliser les objectifs de la Ve République"

La crise de ces partis provient de l'échec de la bourgeoisie française à réaliser les objectifs qui ont amené au coup d'état de de Gaulle en 1958: instaurer en France un pouvoir fort, un régime corporatiste, en finir avec les organisations traditionnelles de la classe ouvrière et les libertés démocratiques. Telle était la condition qui aurait pu permettre à l'impérialisme français décadent d'enrayer son déclin face aux autres puissances impérialistes.

Mais à chaque tentative de porter des coups décisifs au prolétariat dans cette voie, la bourgeoisie française a échoué. Après la grève générale des mineurs de 1963 contre le décret de réquisition du gouvernement gaulliste, la grève générale de mai-juin 1968 voyait la classe ouvrière se dresser spontanément contre le régime gaulliste. La tentative de reprendre la marche vers le corporatisme qu'était le référendum de 1969 était un nouvel échec, qui contraignait de Gaulle à démissionner. En mai-juin 1981, la classe ouvrière et la jeunesse chassaient du pouvoir les partis bourgeois RPR et UDF, élisaient Mitterrand, premier secrétaire du PS, président de la République et une majorité écrasante de députés PS et PCF à l'Assemblée nationale. C'était au sein de la Ve République sa propre négation: une majorité absolue pour les partis ouvriers traditionnels, conséquence différée de mai-juin 1968 et des luttes menées par le prolétariat tout au long des années 70.

C'est cet échec historique de la bourgeoisie française qui a donné une impulsion au développement du parti de Le Pen, le Front National. En rejoignant ce groupe jusqu'ici insignifiant, des cadres RPR et UDF cherchaient les voies de la reconstitution d'un parti qui soit capable d'être ouvertement agressif contre les masses, pour renouer avec la marche au corporatisme.

Mais le terreau sur lequel le FN a prospéré a été l'impasse dans laquelle les gouvernements "d'union de la gauche" et "d'ouverture", appuyés sur les dirigeants des confédérations syndicales, sont parvenus à enfermer le prolétariat: la politique anti-ouvrière et anti-émigrés qui a été celle de ces gouvernements a permis au FN de se développer.

Cela dit, la place centrale que le FN a peu à peu acquise ne va pas sans contradictions en son sein: accéder au pouvoir exigerait de lui au moment présent qu'il se débarrasse de ses composantes fascisantes et cesse de rejeter notamment la politique européenne de la bourgeoisie française. Tout revers dans sa progression électorale pourrait y précipiter une crise aiguë.

Néanmoins, la Ve République s'est avérée plus souple à l'usage que ce que même son fondateur aurait pu prévoir [et surtout que ce que l'OCI avait annoncé – Ndlr]. Elle a digéré l'élection de majorités parlementaires pour les partis ouvriers-bourgeois en 1981, 1988, et 1997, et trois cohabitations, phases évidemment contraires à "l'esprit des institutions". Sa préservation par le PS et le PCF et cette souplesse ont permis à la bourgeoisie d'essayer de renouer avec la marche au corporatisme suite à l'élection de Chirac en 1995.

À nouveau, elle s'est heurtée à la classe ouvrière, au puissant mouvement de novembre-décembre 1995.

Saisissant l'occasion de la défaite infligée au prolétariat et à la jeunesse avec le vote de la loi Debré début 1997, Chirac tentait de remettre le couvert en dissolvant l'Assemblée. Mais la gangrène des partis traditionnels de la bourgeoisie et le poids du Front National, conjuguée avec la volonté de résistance de la classe ouvrière, ont fait capoter l'opération.

De nombreux plumitifs, à commencer par ceux d'Informations ouvrières, tartinent des pages entières sur la crise de la Ve République. A force, cela ne veut plus rien dire. Même cabossée et bardée de cicatrices, la Ve République est toujours en place.

Et tant qu'elle n'a pas été balayée, elle peut servir de point d'appui à une nouvelle offensive vers le corporatisme, et ce d'autant plus que Chirac, même chancelant, peut s'accrocher à la présidence de la République, d'où il pourra reprendre l'initiative en ce sens. En tant que président de la République, il reste le pôle autour duquel peuvent tenter de se restructurer les partis bourgeois traditionnels.

Il en est ainsi pour "l'Alliance pour la France": même si Chirac n'en est pas directement à l'initiative, cette structure qui vise à endiguer les tendances centrifuges au RPR et à l'UDF ne peut en dernière analyse que lui être subordonnée.

C'est pourquoi la responsabilité des dirigeants des organisations ouvrières est de se prononcer et d'agir sur la ligne:

A bas Chirac et la Ve République!

Ainsi la crise politique profonde de la bourgeoisie, la crise des partis traditionnels de la Ve République pourrait être mise à profit par le prolétariat pour son propre compte."

 Il faut encore prendre en compte deux éléments notables.

Le premier est le fait que Chirac, protégé par le PS et le PCF, a affirmé son ascendant sur les partis traditionnels de la V° République. C'est très net depuis son discours de Rennes du 4 décembre (voir l'éditorial de CPS 76). Se vérifie l'appréciation de la X° Conférence: pour réunir les conditions de leur retour au pouvoir, les partis bourgeois traditionnels disposent "d'abord de la présence maintenue de Chirac à la présidence de la V République."

Le second élément est bien évidemment la scission du FN. Cette crise a pour origine la volonté d'une partie de l'appareil de ce parti de faire sauter les obstacles qui l'empêchent de participer pleinement au partage des prébendes de l'Etat bourgeois, volonté en conséquence que le FN change de telle sorte que le RPR, l'UDF et DL puissent s'allier avec lui sans risquer de déclencher eux-mêmes d'importants mouvements dans la classe ouvrière et la jeunesse, qui exigeraient le front unique de ses organisations pour briser le FN, lui interdire le droit d'exister.

Pour le reste, il n'y a pas entre les clans Le Pen et Megret de divergences d'ordre idéologique. Ce sont d'ailleurs les membres du club de l'Horloge, donc B.Megret et ses amis, qui ont fourni au FN son programme actuel

L'essentiel, quel que soit l'avenir du FN "canal historique" de Le Pen et du FN "canal légal" de Megret, c'est que la fracture de l'appareil, des élus, en deux morceaux égaux, l'affaiblissement considérable du FN, dans la perspective d'élections législatives au scrutin à deux tours, se fait tout à fait à l'avantage de Chirac, et derrière lui des partis traditionnels de la bourgeoisie française. Car, faut-il le rappeler, lors des dernières élections, les partis bourgeois étaient majoritaires en voix. Sans préjuger du report des voix du FN, le fait est qu'un tel affaiblissement va lui barrer presque partout l'accès au second tour des élections.

Mais nous n'en sommes pas encore là. Malgré ses efforts, Chirac n'a pas encore réuni les conditions de la reprise en main des rênes du pouvoir par les partis traditionnels de la V° République. Et de plus, il est vrai, que, comme le souligne R.Barre dans l'interview citée plus haut, ce gouvernement permet de "faire passer un certain nombre de mesures qui étaient indispensables". Pourquoi est-ce le cas? C'est simple.

La "gauche plurielle": un gouvernement de type front populaire délavé …

Toute lutte de classe est une lutte politique. Le sentiment, même confus, qu'une alternative gouvernementale existe conditionne pour une large part l'engagement de grands mouvements du prolétariat.

Et justement, les gouvernements de type front populaire, c'est à dire des gouvernements de collaboration de classe soutenus ouvertement par les principaux partis ouvriers traditionnels, ont pour conséquence politique d'impuissanter la classe ouvrière face à la question du pouvoir.

Evidemment, l'existence de tels gouvernement n'interdit pas l'expression de la puissance de la classe ouvrière, mais la freine, contribue à la démoraliser. Il en va ainsi pour le gouvernement Jospin-Gayssot-Chevènement-Voynet-Zuccarelli.

Mais il n'est pas vrai qu'il y ait identité entre gouvernement de front populaire et gouvernement de type front populaire. Ce n'est pas là jouer sur les mots: l'ersatz délavé "d'union de la gauche" actuellement au pouvoir, n'est pas "la dernière ressource politique de l'impérialisme dans la lutte contre la révolution prolétarienne" (Programme de transition). Il vient au pouvoir dans une conjoncture particulière.

… venu au pouvoir dans des circonstances inédites

On doit d'abord remarquer ce qui se passe à l'échelle des principaux pays d'Europe: la formation de gouvernements de "petite" ou de "grande" coalition entre partis sociaux-démocrates, éventuellement ex-staliniens, et les partis bourgeois traditionnels, que ce soit en Autriche, Finlande, Hollande, et en partie en Italie. Même en Allemagne, toute la fin de la campagne électorale était placée dans la perspective d'une telle coalition entre le SPD et la CDU.

Certes, en France, la structure même de la 5ème République, la place de la fonction présidentielle, fait obstacle à la formation de "grandes coalitions". Mais la protection rapprochée de Chirac par le gouvernement, l'unité entre le gouvernement et Chirac en matière d'Union Européenne et de politique extérieure donnent un aspect particulier, une teinte d'union nationale à ce gouvernement.

Ensuite, la mise en place du gouvernement de la "gauche plurielle" s'est faite dans les circonstances conjoncturelles suivantes: c'est Chirac qui a provoqué la dissolution de l'Assemblée nationale. Il entendait ainsi profiter de circonstances favorables: les potentialités ouvertes par le mouvement de novembre-décembre 1995 avaient été saccagées par les appareils syndicaux, qui avaient fait refluer le prolétariat. C'est ce que concentrait le vote de la loi Debré.

D'où la tentative de réordonner le dispositif politique de la bourgeoisie, de se donner les coudées franches pour agresser la classe ouvrière et défendre les intérêts de la "France" en Europe et dans le monde.

Et dans ces élections ont tout de même transparu ces rapports politiques: sans même y additionner les voix des organisations bourgeoises de "gauche" alliées au PS et au PCF, les principaux partis bourgeois ont été majoritaires en voix lors des deux tours.

 Il est précieux de redonner ici les scores à ces élections, en les rapportant aux scores des précédentes élections du même type. C'est un élément important pour apprécier la situation politique.

 

Premier tour des élections législatives

 

1981

%ins %exp

1986

%ins %exp

1988

%ins %exp

1993

%ins %exp

1997

%ins %exp

PS

25,3%

36,3%

23,4%

31,2%

22,4%

34,8%

11,5%

17,6%

16,5%

25,5%

PCF

11,3%

16,1%

7,3%

9,8%

7,3%

11,3%

6,0%

9,2%

6,4%

9,9%

Extr g.

0,4%

0,5%

1,1%

1,5%

0,2%

0,4%

1,2%

1,8%

1,4%

2,2%

Total vote ouvrier

37,0%

52,9%

31,8%

42,5%

29,9%

46,4%

18,6%

28,6%

24,3%

37,6%

Div "gauche"+écol.

2,7%

3,9%

2,2%

2,9%

2,0%

3,3%

9,6%

14,5%

7,2%

11,2%

RPR+UDF+div d

30,0%

42,9%

33,5%

44,7%

26,1%

40,5%

28,9%

44,2%

23,4%

36,2%

FN + extr . dr

0,2%

0,3%

7,4%

9,9%

6,3%

9,8%

8,3%

12,7%

9,8%

15,1%

RPR+UDF+FN+div

30,2%

43,2%

40,9%

54,6%

32,4%

50,3%

37,2%

56,9%

33,2%

51,3%

On peut donc constater à la lecture de ce tableau qu'en aucun cas il n'y a eu poussée électorale massive en 1997 vers le PS et le PCF, que ceux-ci sont loin de renouer avec les scores électoraux qui ont été les leurs dans les années 80.

 Il s'agit là d'une expression d'un fait politique majeur, qui ne concerne d'ailleurs pas que la France.

Ce fait est que dans de nombreux pays d'Europe, dans les années 70 ou les années 80, les prolétariats, la jeunesse, ont porté au pouvoir leurs partis traditionnels pour qu'ils mettent fin à l'aggravation de leurs conditions d'existence, produit du retour de la crise récurrente du mode de production capitaliste. Et ils ont fait l'expérience de la "gestion honnête et loyale du régime capitaliste" (Blum) par ces partis.

Rien n'a été effacé de cette expérience, qui en France a marqué toute une étape politique, de 1981 à 1993. Le prolétariat n'a pas et n'a pas pu l'oublier. Cela le marque profondément. Les élections n'ont pas fait tourner la roue de l'histoire à l'envers, et ramené le prolétariat dans des conditions politiques similaires à celles qui ont prévalu entre 1981 et 1993.

 Pour bien le mesurer, il faut revenir sur les caractéristiques de l'étape ouverte en mai-juin 1981.

L'étape politique 1981-1993

Lors des élections présidentielles et législatives de 1981, puis de 1988, par deux fois, les masses laborieuses ont voté largement pour leurs organisations traditionnelles (PS, PCF).

Le 10 mai 1981, F.Mitterrand est élu à la présidence de la République. Les 14 et 21 juin, le PS et le PCF remportent une victoire écrasante aux élections législatives (sur 481 sièges, le PS en obtient 285 et le PCF 44). Ainsi, de 1981 à 1993 s'est déroulée en France une étape politique dont le contenu est qu'en portant au pouvoir le PS et le PCF, la classe ouvrière, la population laborieuse, la jeunesse, entendaient voir satisfaites ses aspirations profondes:

• élimination des gouvernements de tout représentant d’organisation de partis bourgeois, de tout membre du personnel politique de la bourgeoisie ;

• que soit constitué un gouvernement ne comprenant que des ministres membres du PS et du PCF ;

• que ce gouvernement, en s’appuyant sur eux, satisfasse leurs revendications, qu’il mette fin à la crise économique et au chômage.

Atteindre ces objectifs exigeait qu’un tel gouvernement mette en cause le régime capitaliste, qu’il exproprie la bourgeoisie de la possession des principaux moyens de production, qu’il brise la logique qui soumet l’économie au profit, que soit établi et réalisé sous contrôle ouvrier un plan de production répondant aux immenses besoins des masses. Bien entendu, ç’aurait été faire exploser la Ve République, engager un processus révolutionnaire disloquant l’Etat bourgeois et orienté vers la constitution d’un Etat ouvrier.

Pourtant, dès que Mitterrand est entré en fonction, le 21 mai, il a formé un gouvernement dirigé par Mauroy comprenant 3 représentants du Mouvement des Radicaux de gauche (un des débris du Parti Radical, parti bourgeois s’il en est), ainsi que Jobert "personnalité" faisant partie du personnel politique de la bourgeoisie. Leur présence dans le gouvernement était symbolique, mais d’autant plus significative: elle affirmait ainsi son lien avec la bourgeoisie, sa volonté de défendre le régime capitaliste en crise.

Au lendemain des élections législatives, Mitterrand a maintenu le gouvernement Mitterrand-Mauroy-Crépeau en y faisant entrer des ministres membres du PCF. De ce fait, ce gouvernement est devenu un gouvernement d’"Union de la gauche", le gouvernement Mitterrand-Mauroy (PS)-Fiterman (PCF)-Crépeau (MRG).

Il a mené une politique de défense du régime capitaliste en crise. Les "nationalisations" se sont inscrites dans une politique qui, comme celle pratiquée au lendemain de la IIe guerre mondiale, tentait de renforcer le capitalisme français, de remettre sur pied des "canards boiteux" du point de vue du capital. De grosses "indemnités" ont été versées aux capitalistes qui possédaient ces entreprises.

Toute une législation, comme les lois Auroux, était élaborée qui visait à subordonner les travailleurs et leurs organisations aux exigences de "l’entreprise" capitaliste. Les lois sur la décentralisation ajustaient la structure et le fonctionnement de l’Etat bourgeois aux exigences nouvelles du régime capitaliste.

Dès le printemps 1982, le gouvernement annonçait et mettait en place la "politique de rigueur", c’est-à-dire une politique de diminution systématique du pouvoir d’achat des masses, d’aggravation de leurs conditions de travail et d’existence.

Pourtant, afin de mener cette politique, le gouvernement de "l'union de la gauche" avait dû faire quelques concessions: dès 1981 l'augmentation du SMIC de 10%, des allocations familiales et du minimum vieillesse de 20%, l'embauche de centaines de milliers de fonctionnaires, la régularisation de 130.000 clandestins et arrêt des expulsions, la généralisation de la retraite à 60 ans.

En 1982, ce sont les ordonnances portant sur l'instauration de la semaine de 39 h et la généralisation de la 5ème semaine de congés payés. L'objectif de ces ordonnances était pourtant d'ouvrir la porte à l'annualisation du temps de travail en "contrepartie" de ces mesures, mais une vague de grèves aboutit à ce que ces mesures s'appliquent sans que les patrons puissent obtenir de telles "contreparties", sauf exception (textile).

On a là un premier élément d'appréciation: il suffit de comparer le bilan des premiers mois du gouvernement "d'union de la gauche" avec celui de la "gauche plurielle" que dirige Jospin. Car les concessions de 1981-1982 ne découlaient pas de la nature plus "généreuse" du gouvernement de l'époque: c'était tout simplement une nécessité compte-tenu des rapports entre les classes, elles s'inscrivaient dans tout le dispositif mis en place pour éviter l'ouverture d'une situation révolutionnaire.

Autre exemple: le 21 décembre 1984, Bergeron, alors secrétaire confédéral de Force Ouvrière, annonçait que sa confédération ne signerait pas le protocole d'accord négocié avec le CNPF sur la "flexibilité", machine de guerre contre le code du travail, les conventions collectives, qui visait à réaliser les objectifs récurrent du capital, ceux que précisément la mise en œuvre de la loi dite des "35 heures" fait avancer à grands pas. Dans la foulée de FO, la CFDT, la CFTC, la CGC renonçaient à signer ce protocole.

La crainte des réactions de la classe ouvrière à un tel accord les en a dissuadés. Ce qui fournissait un point d'appui considérable dans le combat pour imposer le front unique des organisations syndicales.

Là encore, la comparaison s'impose: dès octobre 1997, les dirigeants confédéraux s'engageaient dans le soutien à la loi des "35 heures". Et ils n'ont pas eu à rebrousser chemin. C'est bien qu'ils en ont les moyens politiques.

Evidemment, le rejet par les travailleurs de la politique du gouvernement d'Union de la gauche, puis du gouvernement Mitterrand-Fabius-Crepeau (qui lui succéda en 1984) est allé croissant. Il s'est manifesté dans les élections municipales et européennes.

Mais il est vrai qu'il ne fallait pas s'attendre de la part du PS et du PCF à une autre politique.

Par contre, il était possible que le rejet de la politique des gouvernements formés par Mitterrand puisse s'opérer au profit de la classe ouvrière, que se réunissent les conditions de la submersion de ses vieux partis et organisations syndicales.

Le PCI

Cela dépendait du PCI, reproclamé en 1981 compte-tenu qu'il regroupait suffisamment de forces pour prétendre devenir un véritable parti avec une influence de masse.

Le PCI regroupait en effet plusieurs milliers de militants, avait une certaine influence, occupait des positions syndicales importantes, dont la direction de l'UNEF-ID, et avait été constitué sur une orientation s'inscrivant, non sans accrocs, dans la continuité de celle de la IVème Internationale fondée par L.Trotsky.

Sans prétendre que le PCI, sur une ligne correcte, aurait pu modifier la situation du tout au tout, il aurait néanmoins pu se construire et se développer en tant que parti ouvrier révolutionnaire, jouer un rôle important pour dégager les masses de "l'union de la gauche"/front populaire, modifiant ainsi complètement les données de la situation politique en France, et du coup en Europe.

Comme le savent les militants du Comité, le mini-appareil du PCI, face à l'épreuve décisive de l'union de la gauche au pouvoir, a capitulé, s'est progressivement soumis le PCI, a impulsé la "ligne de la démocratie" dont découlait la construction d'un "parti des travailleurs".

Mais contre lui, fidèle l'orientation: "on ne peut aller de l'avant si l'on craint d'aller au socialisme", d'où découle la nécessité de construire un parti ouvrier révolutionnaire, Stéphane Just développait l'orientation sur laquelle le PCI pouvait jouer son rôle.

Citons d'importants extraits de la contribution de Stéphane Just du 17 janvier 1984 publiée dans le bulletin intérieur n°2 (pages 21 à 27)

"La question du gouvernement se pose. A des degrés divers, avec de multiples variantes, les masses le ressentent. C'est la raison pour laquelle il n'y a pas encore eu de grands mouvements de classe et que le déferlement des masses n'a pas eu lieu. Comment s'engager dans le combat? Pour aboutir à quoi? Ce sont des questions que se posent les plus larges masses. Et nous devons dialoguer avec elles, les aider à y répondre. D'abord, et avant tout, en n'entretenant aucune illusion sur le gouvernement de "l'Union de la gauche".

"Les gouvernements de front populaire, d'union de la gauche, concentrent ce que sont les fronts populaires, l'Union de la gauche. Ne pas mettre en cause, avec toute la souplesse nécessaire, les gouvernements de front populaire, d'Union de la gauche, ce n'est pas mettre en cause le front populaire, l'Union de la gauche, mais tendre à les "gauchir" à faire pression sur eux."

D'où la mise en avant de l'orientation suivante:

"Ne devrions-nous pas expliquer qu'il existe une issue gouvernementale différente? En l'occurrence: "il y a une majorité de députés PS-PCF à l'Assemblée nationale. Déclarons que l'Assemblée nationale est souveraine, que le gouvernement doit émaner d'elle, qu'il doit répondre devant elle pour appliquer une autre politique, celle de la rupture avec la bourgeoisie avec ce qu'elle implique. Décidons en quelque sorte que l'Assemblée nationale se transforme en une sorte de convention."

L'affirmation que je suis pour lancer le mot d'ordre "A bas le gouvernement" est simplement ridicule. Elle n'est fait que pour effrayer les militants du PCI. Simplement, en tenant compte des circonstances, il faut utiliser la méthode que léon Trotsky utilisait. Il faut affirmer: aucune confiance à ce gouvernement ne peut être faite. Il faut un mot d'ordre saisissable pour les masses qui leur ouvre la voie politique sur la question du gouvernement. La possibilité de ce mot d'ordre existe en raison de l'existence d'une majorité PS-PCF à l'Assemblée nationale: utilisons-la.

C'est nécessaire, c'est indispensable, comme centre politique d'un programme de défense de la classe ouvrière, de la jeunesse, des masses populaires, qui met au premier plan la satisfaction des revendications démocratiques, des revendications en défense du pouvoir d'achat et des conditions d'existence des masses, de défense des acquis, la revendication du droit au travail (loi interdisant les licenciements) qui réponde à la question "comment résoudre la crise" par l'élaboration et la mise en place du contrôle ouvrier, d'un plan de production répondant aux besoins des masses populaires et brisant avec la loi capitaliste du profit – les nationalisations du crédit, des banques, d'une partie de l'industrie donnent les premières possibilités d'un tel plan.

C'est nécessaire, c'est indispensable pour aider les masses à s'engager dans de grands combats de classe, d'aller vers la grève générale. Nous devons les aider à saisir qu'il existe un débouché politique autre que ce gouvernement, une autre possibilité gouvernementale. Dire qu'un gouvernement émanant de l'Assemblée nationale et répondant devant elle ne serait pas un gouvernement ouvrier et paysan pour s'opposer à ce mot d'ordre n'est pas sérieux. Il s'agit de savoir s'il est un mot d'ordre ouvrant une voie aux masses et aidant à leur mobilisation et nous aidant à organiser une avant-garde politique liée aux masses, intervenant dans la lutte des classes pour préparer les combats à venir.

Une chose est certaine: ce mot d'ordre met radicalement en cause le bonapartisme, il concrétise ce qu'est le front unique ouvrier en opposition au front populaire, à l'Union de la gauche; il concrétise sur le plan politique gouvernemental ce que signifie faire des pas en avant sur la voie de la rupture avec la bourgeoisie."

Stéphane Just précisait encore:

"Il ne s'agit pas d'attendre que les conditions soient réunies pour que l'Assemblée nationale devienne une convention. Ce qui ne se réalisera peut-être et même sans doute jamais. Il ne s'agit pas non plus d'attendre que les conditions soient réunies pour que soit réalisé un programme de défense de la classe ouvrière, de la jeunesse et des masses populaires. La lutte pour les revendications, pour la défense des acquis, ou pour la défense du droit à l'instruction ne peut attendre. Il s'agit au contraire d'aider à la réalisation des grandes luttes du prolétariat qui convergent vers la grève générale."

Autre précision:

"La lutte pour le front unique ne doit pas être conçue comme une supplique aux dirigeants à s'unir, mais comme une bataille d'agitation pour la mobilisation, l'organisation, l'action des masses et l'organisation d'une avant-garde. Cela vaut pour le mot d'ordre, la revendication adressée aux dirigeants, aux députés du PS et du PCF à l'Assemblée nationale: "décidez que l'Assemblée nationale est souveraine, , que le gouvernement procède d'elle, qu'il doit répondre devant elle"

Tout le monde sait bien qu'ils couvrent le gouvernement d'Union de la gauche et sa politique. La possibilité de cette revendication découle du fait qu'il n'y a pas identité totale entre le gouvernement, le PS, le PCF, et les députés de ces partis à l'Assemblée nationale. Mais il est évident pour tous qu'il y a une relation des plus étroite entre eux. Les masses peuvent établir une différence relative et s'en saisir . (…)

C'est pourquoi il me semble (c'est simplement une proposition à discuter) qu'il faut d'ores et déjà dans notre propagande avancer des formules comme "Faudra-t-il aller massivement à un million à l'Assemblée nationale pour dire aux députés du PS et du PCF: nous ne vous avons pas élus pour couvrir cette politique mais pour une autre politique qui corresponde aux intérêts de la population laborieuse?"

Tournant le dos à cette orientation, la direction du PCI préparait la liquidation de celui-ci, et impuissantait ses militants face aux gouvernements successifs dirigés par Mitterrand.

1988: réélection de Mitterrand et d'une majorité PS-PCF

En 1986, le RPR et l'UDF remportaient de justesse les élections législatives. Encore faut-il souligner le score très important du PS (bien supérieur à celui de 1997) dans ces élections, des millions de travailleurs votant ainsi contre le retour au pouvoir de l'UDF et du RPR.

Chirac, nommé premier ministre par Mitterrand, se vantait:

"Avant la fin de l’année, la France aura un autre système de valeurs que celui sur lequel elle vivait précédemment"

Mais le mouvement des étudiants et des lycéens, en novembre-décembre 1986, renverse la vapeur. La volonté de combattre les partis bourgeois annoncée dans les élections de 1986, notamment dans le vote PS, débouche. Le mouvement étudiant, appuyé sur la classe ouvrière, contraint Chirac et son gouvernement à retirer le projet de loi Devaquet. Cette défaite politique aura des conséquences aux élections de 1988. Une nouvelle fois, les travailleurs votent massivement pour Mitterrand. Celui-ci est contraint, sous la pression du PS, contre sa volonté "d'ouverture au centre", de dissoudre l'Assemblée nationale. Malgré tous les efforts de Mitterrand pour l'éviter, le PS et le PCF ont à nouveau, de justesse, la majorité à l'Assemblée nationale, obtiennent 52% des suffrages au second tour.

Là encore, un élément de comparaison important avec la situation ouverte en 1997 doit être dégagé: en 1988, sauf un, tous les candidats centristes présentés sous l'étiquette "majorité présidentielle" sont battus. Cela signifie clairement que les masses ont une nouvelle fois voté: contre les partis et organisations bourgeoises, pour un gouvernement du PS et du PCF sans représentants des organisations bourgeoises.

 En 1997, par dizaines ont été élus les candidats des formations bourgeoises auxquels le PS avait laissé sa place dans les élections (MDC, PRG, Verts). Au second tour, le PS et le PCF, même en y rajoutant les candidats bourgeois qu'ils soutenaient, font 48% des voix.

En 1988 étaient réélus Mitterrand et une majorité de députés du PS et du PCF. Mais les masses ont été instruites par l'expérience. Dès 1988, de puissants mouvements s'engagent: celui des travailleurs des finances, celui des infirmières.

Autre événement politique à noter: l'élection, contre le candidat de Bergeron, contre la direction sortante et leur politique, de Blondel à la tête de FO en 1989. Les masses cherchent à résoudre sur leur propre terrain les questions qui n'ont pu être résolues entre 1981 et 1986. Mais les appareils vont parvenir à les empêcher de les résoudre, en particulier dans la mesure où le PCI/MPPT s'aligne de plus en plus sur eux.

Du coup, la 7ème conférence du Comité tirait le bilan suivant:

L’alternative

" Une contradiction majeure a marqué l’étape politique qui s’achève. L’élection, en mai-juin 1981, de Mitterrand à la présidence de la République, d’une majorité PS-PCF à l’Assemblée Nationale et (après l’intermède de 1986-88 où le RPR et l’UDF ont repris la majorité à l’Assemblée Nationale et où a été constitué le gouvernement Chirac), la réélection de Mitterrand et d’une nouvelle majorité PS-PCF à l’Assemblée Nationale en 1988 ont exprimé sans équivoque les aspirations et la volonté des masses exploitées et de la jeunesse : dehors les organisations, les partis bourgeois, les hommes politiques de la bourgeoisie.

Le fait que de telles majorités aient pu se rassembler, alors que l’objectif politique principale de la Ve République est de liquider le mouvement ouvrier, manifeste la puissance objective de la classe ouvrière, de la population laborieuse, de la jeunesse.

Or, Mitterrand et les majorités PS et PCF à l’Assemblée Nationale se sont comportés en "gérants honnêtes et loyaux" du régime capitaliste en crise et particulièrement dégénérescent en France, crise qui est passée entre 1980 et 1986 par une phase aiguë et qui depuis 1990 passe à nouveau par une telle phase. Ils ont fait et font porter à la classe ouvrière, à la population laborieuse, à la jeunesse tout le poids, toutes les conséquences de la dégénérescence de la société bourgeoise. Comme toute contradiction, celle-ci doit se dénouer.


Première possibilité - L’existence d’une majorité de députés du PS et du PCF servait de point d’appui à une mobilisation des masses exigeant, par leurs propres moyens et méthodes, de cette majorité qu’elle rompe avec la bourgeoisie, qu’elle se déclare souveraine, qu’elle décide de former un gouvernement sans ministres membres d’organisations et de partis bourgeois. Cette mobilisation pouvait commencer, par exemple, par une gigantesque manifestation nationale à l’Assemblée Nationale, à laquelle auraient appelé et qu’auraient organisé les centrales, les fédérations syndicales ouvrières, en vue d’imposer aux députés du PS et du PCF qu’ils prennent cette décision sans se soucier de la légalité de la Ve République.

Deuxième possibilité - (Inéluctable si la première n’est pas réalisée) : le retour au pouvoir du RPR et de l’UDF avec tout ce que cela signifie.

Pour formuler plus précisément : ou l’engagement d’un processus révolutionnaire ; ou une défaite politique de la classe ouvrière dont l’ampleur ne peut être mesurée a priori.


Chacun à sa place, les dirigeants des centrales syndicales CGT, CGT-FO, de la FEN, ont monté une garde vigilante et efficace autour des gouvernements que Mitterrand a constitués : sabotage des luttes ouvrières, participation, refus de réaliser entre eux le Front Unique pour organiser cette gigantesque manifestation premier acte d’un processus révolutionnaire. Ils ont, comme les députés du PS et du PCF, comme Mitterrand, ses gouvernements, ses ministres, mais à leur place et sur leur plan, défendu la société bourgeoise française décadente, l’Etat bourgeois. Ils sont, eux aussi, responsables de la régression économique que les travailleurs ont subie depuis 1981, comme ils sont responsables du retour probable au pouvoir du RPR et de l’UDF à la suite des élections législatives de mars 1993.
"

 Avec les élections de 1993, l'étape ouverte en 1981 se fermait définitivement, ce que confirmait l'élection de Chirac à la présidence de la République en 1995.

Autre élément d'appréciation de ce qui a découlé pour le prolétariat du fait que la contradiction nouée en 1981 se dénoue à son désavantage: la FEN et le SNI étaient détruits en 1993 par les appareils sociaux-démocrates et staliniens, un des principaux remparts de ce que la bourgeoisie avait surnommé la "forteresse enseignante" était brisé. La direction lambertiste du PCI porte une grande responsabilité. Elle a ouvert la voie à la destruction de la FEN en organisant le passage des militants du PCI dans l'enseignement à FO.

Conséquences pour le prolétariat

Le déroulement de l'étape entamée en 1981 a d'importantes conséquences pour le prolétariat. La politique qu'ont pu mener le PS et le PCF, l'absence de construction d'une organisation révolutionnaire à laquelle travailleurs et jeunes puissent se rallier en rejetant la politique menée par les gouvernements constitués par Mitterrand a entraîné un sentiment d'impasse, de rejet des organisations. Ce bilan de l'étape politique ouverte en 1981, qui a eu son équivalent dans de nombreux pays d'Europe, et a rejailli sur tous, s'est combiné aux conséquences de la restauration du capital dans l'ex-URSS. Le prolétariat, et plus encore la jeunesse, sont totalement désemparés, ne voient aucune issue.

Autre conséquence: la prise en charge des exigences du capital, pratique et idéologique, par le PS et le PCF, le soutien apporté à ces partis par les bureaucraties syndicales, tout cela a contribué à ruiner leur crédit auprès des travailleurs. C'est ce qui explique en partie l'importance de l'abstention ouvrière aux élections, la faiblesse relative des scores électoraux du PS, sans parler de ceux du PCF. La distanciation entre les masses et leurs vieilles organisations atteint un degré sans doute sans précédent dans l'histoire. On ne peut l'ignorer.

Mais dans le même temps, ces organisations restent les seuls instruments politiques dont disposent le prolétariat et la jeunesse. De l'opposition croissante entre les masses et les appareils, rien de positif ne s'est dégagé.

 Il suffit de prendre deux manifestations significatives du rejet de la politique traître des appareils: le fort vote pour Lutte Ouvrière dans les élections d'une part, et d'autre part la croissance de syndicats "SUD" dans différents secteurs.

Comme l'a démontré CPS, la plate-forme de LO pour les élections européennes, à laquelle la LCR a raccroché ses wagons, n'ouvre absolument aucune issue à la classe ouvrière: elle se situe dans le cadre de l'Union Européenne des capitalismes, n'ouvre pas la perspective de l'expropriation du capital, des Etats Unis Socialistes d'Europe, pas plus qu'elle n'appelle au combat contre le gouvernement Jospin-Gayssot-Chevènement-Voynet-Zuccarelli, pour en finir avec lui et sa politique, avec Chirac et la V° République. Elle n'ouvre aucune alternative gouvernementale.

Alors que, vraisemblablement, des centaines de milliers de travailleurs voteront pour cette liste, manifestant leur recherche d'une issue ouvrière, LO et la LCR les renvoient dans les bras des vieilles organisations, barrent toute perspective positive.

Quant aux syndicats SUD, issus au départ de la "gauche" de la CFDT, organisation, faut-il le rappeler, qui agit ainsi qu'un cheval de Troie de la bourgeoisie au sein du prolétariat, ils ont connu un développement significatif dans la dernière période (plus seulement aux PTT, mais à la SNCF, à Air France, dans l'Enseignement secondaire, et plus à partir de la CFDT).

 Dirigés essentiellement par la LCR, attirant par leur rhétorique radicale certaines couches de militants, ils se situent dans la pratique sur une orientation décalquée sur celle de la CGT, protègent les appareils des organisations syndicales ouvrières en s'insérant dans le partage du "sale boulot" avec eux, en étant sur la ligne du "mouvement social", de la "solidarité", du soutien aux "sans" contre les acquis du mouvement ouvrier, ont impulsé le développement de l'association ATTAC (voir CPS 76). En fait, il s'agit de la projection de l'orientation de la LCR aujourd'hui sur le terrain syndical.

LO, la LCR ou SUD n'occupent la place qu'ils ont que du fait de la politique des appareils, de la liquidation du PCI par Lambert/Gluckstein et cie, et s'inscrivent en fait dans le mouvement actuel de décomposition du mouvement ouvrier.

Dernière conséquence produite par l'étape politique 1981-1993: la perte d'emprise du PS et du PCF sur la classe ouvrière est incontestablement plus nette et franche que celle des appareils de la CGT, de FO, de la FSU, de la FEN et de leurs syndicats.

Aussi, c'est plus que jamais une nécessité politique pour tout gouvernement bourgeois, à plus forte raison pour un gouvernement de type front populaire, compte-tenu de la place du PS et du PCF et des liens qui les unissent aux directions syndicales, que le soutien des directions des organisations syndicales. Et c'est pourquoi celles-ci franchissent de nouveaux pas importants dans leur association à la mise en œuvre des desiderata du capital, en lien étroit avec le PS, le PCF, et leur politique.

Les bureaucraties syndicales en première ligne

Avec la venue au pouvoir du gouvernement Jospin-Gayssot-Chevènement-Voynet-Zuccarelli, l'association des organisations syndicales à la politique réactionnaire dont le capitalisme français a besoin a considérablement progressé.

C'est même une caractéristique fondamentale de la politique de ce gouvernement: sa "méthode" d'association capital-travail, vers la cogestion, méthode qui est la seule réaliste et efficace aujourd'hui pour l'ensemble des classes dominantes en Europe. Son instrument est la loi (dite) des "35 heures".

Cette loi a pour objectif, en effet, de faire des organisations syndicales ouvrières les instruments directs de la destruction des acquis, et ce faisant de leur propre liquéfaction, dessinant une "cogestion" à la française, dans les conditions du déclin historique du capitalisme, "cogestion" qui ouvre la voie au corporatisme, que la bourgeoisie ne peut aujourd'hui imposer.

Il faut en effet rappeler: la première loi est une "incitation" aux négociations de branche et d'entreprises, elle fait donc reposer toute sa mise en œuvre sur les "partenaires sociaux". Quant à la seconde en préparation, il a été dès le début précisé qu'elle consisterait en une "synthèse" de ce qui aurait été fait sur le "terrain". Aux dirigeants syndicaux de faire le sale boulot pour liquider les acquis!

On mesure alors tout l'importance pour les directions syndicales de se donner les moyens de jouer pleinement leur rôle de "partenaires sociaux", dans le cadre du "dialogue social", la place déterminante que ceux-ci occupent dans le dispositif politique ordonné autour du gouvernement de la "gauche plurielle".

C'est à cette aune qu'on doit mesurer toute l'importance du 46° congrès de la CGT. La fonction qu'il a remplie, non seulement du point de vue de cette organisation mais pour l'ensemble du mouvement ouvrier, c'est d'ouvrir la voie aux attaques du capital en les justifiant et organisant leur prise en charge. L'appareil CGT y a appliqué, sur son propre plan, l'orientation définie par le PCF: "la citoyenneté".

46° congrès de la CGT: le baron Sellière "souhaite bonne chance" à Bernard Thibault

En ouvrant le congrès, Thibault est revenu sur le thème essentiel de ce congrès: rompre avec le "syndicalisme de contestation":

" toute défense du service public serait illusoire si elle ne s’articulait pas à des propositions offensives concrétisant notre volonté de moderniser les moyens et les modes de fonctionnement d’un domaine appartenant au patrimoine économique et social de la collectivité

Il est toujours plus mobilisateur de se battre " pour " que de résister " contre ", surtout lorsque s’affirment de profondes aspirations des salariés. La proposition est un acte militant : comment pourrions-nous convaincre les salariés qu’il existe une autre voie que celle du libéralisme si devant chaque situation concrète nous confondions fermeté et immobilisme? Nous ne sous-estimons pas les forces qui sont en face de nous, ce serait une erreur. Mais ce serait une faute de ne pas se saisir de ses contradictions et de ses failles, de toujours lui laisser l’avantage de l’initiative et de l’innovation.

La proposition discutée avec les salariés dans leur diversité, portée par la majorité d’entre eux, doit être le fer de lance pour alimenter l’action ; la négociation est l’étape qui permet de concrétiser le rapport de force et d’institutionnaliser sous toutes les formes du droit les conquêtes sociales et leur protection.

Contestation, mobilisation, proposition, négociation, voilà ce qui pourrait être une devise pour la CGT.

Résumons: foin d'immobilisme, la CGT doit concurrencer "les forces qui sont en face de nous" sur le terrain de "l'innovation". C'est la voie déjà tracée par le 45° congrès, qui avait officialisé le soutien de la direction de la CGT au mode de production capitaliste en supprimant l'article 1 des statuts: "la CGT combat pour la suppression de l'exploitation capitaliste". Mais le document d'orientation pour le 46° congrès relevait: "Le congrès doit faire le point sur leur mise en œuvre (des orientations définies au 45° congrès). Pourquoi reste-t-elle limitée ?"

En réalité, le levier pour faire passer dans les faits l'aggiornamento du 45 congrès a été la loi des "35 heures" (un article de l'Humanité du 2 février titrait: "CGT - 35 heures: la loi qui fait bouger").

Le pouls du congrès a en effet battu au rythme des accords signés par les fédérations CGT. Celui du textile avait marqué de son empreinte l'ouverture des débats, celui à EDF-GDF, en janvier, qui entraîne une flexibilité accrue ("EDF-GDF va gagner en productivité"- D.Cohen, secrétaire de la fédération CGT), et enfin celui signé par la fédération du livre à l'ouverture du congrès, le 29 janvier, premier accord signé dans la branche par la CGT depuis 1965, premier accord aussi signé par une fédération qui prévoit noir sur blanc l'annualisation du temps de travail.

Et lors du débat sur les "35 heures", on doit relever l'intervention, largement applaudie, de Larose, secrétaire CGT dans le textile:

" les salariés du public vont bientôt découvrir, avec les 35 heures, la flexibilité intense, telle qu'on la subit, dans l'industrie, depuis dix ans ". " la fonction publique est en train de payer le retard qu'elle a pris dans le développement de sa politique revendicative ". " Pendant qu'ils géraient les évolutions de carrière et les augmentations salariales, nous subissions, nous, les licenciements massifs et les délocalisations. Aujourd'hui, ils espèrent avoir les 35 heures sans perte de salaire et sans flexibilité. Faut pas rêver ! "

Au final, la direction de la CGT entend enfermer le prolétariat dans la nasse de la discussion du contenu de la seconde loi sur les "35 heures", en y mettant des "conditions" que l'on peut juger à l'aune des accords signés par elle.

Il faut aussi bien apprécier la présence au congrès de N.Notat. Libération du 5 février écrit:

"La secrétaire générale de la CFDT, Nicole Notat, a été accueillie hier matin au 46e congrès de la CGT réuni à Strasbourg par une standing ovation quasi-générale, malgré quelques îlots de bouderie repérables dans les rangs de certaines fédérations (chimie, métallurgie): dans ce cas, les délégués restaient assis, bras croisés. Puis le congrès a repris le slogan des grèves de novembre-décembre 1995 contre le plan Juppé, approuvé par Nicole Notat: "Tous ensemble, tous ensemble, ouais"."

En novembre-décembre 1995, de tout autres slogans avaient émergé dans les manifestations: "Juppé-Notat même combat". Alors, la CFDT avait été rejetée par les travailleurs en mouvement, devant la manifestation de sa nature profonde: celle d'une organisation bourgeoise intervenant au sein du mouvement ouvrier, qui y a été propulsée à l'origine (en 1919 sous le nom de CFTC) par la hiérarchie catholique. Notat avait pour sa part été violemment et justement expulsée des manifestations.

Le rapprochement CGT-CFDT (présence de Thibault au congrès de la CFDT) est en réalité l'engagement d'un processus d'alignement de l'appareil CGT sur les positions de la CFDT, justement au moment où la CFDT soutien à fond les mesures contre les régimes de retraites et de pension en préparation par le gouvernement. Illustration: l'interview du sieur J-C Le Duigou, secrétaire confédéral, à Libération du 24 février qui, à propos des régimes de retraites public et privé, explique:

"il faudra vraisemblablement rapprocher la durée de cotisation entre ces deux populations. Reste à savoir sur quelles bases! Car, attention, la retraite fait partie du contrat de travail. A jouer l'antagonisme entre salariés du secteur public et salariés du secteur privé, on risque surtout de bloquer les évolutions.(sic!).

Notat est décidément fondée à apprécier:

"Pour la première fois en France, on peut sans doute se dire que le syndicalisme tourne une page de son histoire. Il reste à écrire la nouvelle".

Etant donné la place de la CGT dans la lutte des classes en France, l'appui que la direction de la CGT prend sur la CFDT a des répercussions sur l'ensemble du mouvement ouvrier. On avait pu le sentir dès la préparation du congrès en lisant sous la plume de P.Toussenel, dirigeant de la FSU, dans le numéro de janvier 1999 de "Pour", numéro dont le titre vaut programme: "mutation du syndicalisme: meilleurs vœux", ceci:

"la FSU fera tout pour que l’espoir qu’a fait naître l’annonce de rencontres entre la CGT et la CFDT se traduise par un véritable renouveau du syndicalisme."

Bien sûr, des résistances, ou des réticences, sont apparues dans ce congrès. Nombre d'interventions se sont opposées aux conséquences des "35 heures", et la proposition de campagnes communes avec la CFDT n'a recueilli que 53% des voix. Mais la seule opposition organisée, "continuer la CGT", comme son nom l'indique, est vertébrée de nostalgiques du stalinisme, flanqués du PT. Elle ne pouvait offrir aux syndiqués un point d'appui pour combattre le cours de la direction. Le rapport d'activité a été adopté par 83,8% pour, 10,6% contre, et 5,6% d'abstentions. L'adhésion à la CES a été ratifiée à une écrasante majorité.

S'il fallait donc concentrer le résultat du congrès de la CGT, il suffirait de laisser la parole au président du Medef, E-A Sellière. Il se félicitait le 4 février à Toulouse de:

"l'attitude moins systématiquement contestataire et plus ouverte à la négociation" de la CGT. "des thèmes de flexibilité sont maintenant par la CGT, qui fait preuve d'un certain réalisme vis-à-vis des phénomènes de société dans le monde du travail", a poursuivi le président du Medef.

"La CGT entreprend une approche nouvelle, je lui dis bonne chance", a-t-il ajouté." (Les Echos des 5 et 6 février)

Il n'est point besoin de revenir sur la politique de la direction FO ou celle de la FSU: le congrès de la CGT a donné le "la" pour l'ensemble des bureaucraties syndicales, au compte du gouvernement à la solde du capital que dirige Jospin. Notons que, évidemment, l'arsenal de bousille que mettent en application les bureaucrates syndicaux n'est que plus efficace dans un tel contexte. On se reportera par exemple à la description que fait CPS 76 de la manière dont ont été sabotées les possibilités de grève générale à la SNCF à l'automne 1998.

La force du gouvernement peut devenir sa principale faiblesse

C'est donc grâce au soutien plus franc que jamais des appareils syndicaux que le gouvernement Jospin-Gayssot-Chevènement-Voynet-Zuccarelli peut afficher le bilan qui est le sien. Mais, pour mener sa politique, le gouvernement s'appuie sur les organisations ouvrières: le PS, le PCF, les organisations syndicales.

C'est là qu'est sa force, c'est aussi là que réside sa fragilité. En effet, le prolétariat ne peut qu'être poussé, pour résister à l'offensive gouvernementale, à se tourner vers ses organisations pour manifester sa volonté qu'elles rompent avec le gouvernement, cessent de se soumettre aux exigences du capital, satisfassent ses revendications.

Mais jusqu'ici, toutes les mesures décisives du gouvernement sont passées sans problème majeur.

Ainsi, dans l'enseignement public, les manifestations d'opposition et de résistance des enseignants (traditionnellement attachés électoralement dans une grande majorité au PS) aux contre-réformes de l'enseignement ont eu quelques répercussions sur une partie du groupe des députés PS, tendant à se désolidariser de la politique gouvernementale. Mais la portée de ces pressions est restée très limitée: le principal barrage – la direction du SNES, les directions syndicales – a tenu bon. Le groupe parlementaire PS est resté solidaire, tout est rentré, au moins provisoirement, dans l'ordre.

Une autre illustration: le vote de l'ouverture à la concurrence du marché de l'électricité. Dans Le Monde du 15 janvier, un article titrait: "l'ouverture d'EDF à la concurrence divise la majorité "plurielle" ". Et de mentionner le fait que, le 3 décembre, Viannet avait "solennellement" demandé au gouvernement le retrait du texte, que le groupe PCF s'y déclarait opposé, tandis que le groupe PS était "tiraillé":

"Il y a, d'un côté, ceux qui considèrent que le service public est intangible et inaliénable; de l'autre, ceux qui prônent la solidarité avec le gouvernement" (dixit un député PS)

Pour briser la résistance des employés d'EDF-GDF, qui se sont adressés aux élus PS et PCF, alors qu'un tract du PCF à EDF-GDF déclarait que: "l'abstention [de leurs députés] serait une véritable trahison" , qui ont fait grève massivement le 16 février, plusieurs dizaines de milliers de travailleurs d'EDF, que l'appareil CGT a conduit, pour en garder le contrôle, à 10 000 en direction de l'Assemblée nationale contre la directive, D.Cohen, secrétaire CGT déclarait dans Libération du 17 février:

"[la directive] s'appliquera, quoi qu'il en soit, le 19 février dans une Union européenne qui a, depuis, largement basculé à gauche. Aujourd'hui, le Parlement n'a plus qu'à débattre de son adaptation.

Question: Donc, la CGT n'a pas changé d'avis...

- Il y a un an, je vous aurais répondu que non. Mais aujourd'hui, je dis: il y a une transposition de gauche possible de cette directive, qui peut conduire non pas à la suppression de centaines de milliers d'emplois en Europe et à rabougrir le service public, mais au contraire à l'améliorer

Et pour que les choses soient claires:

Question: Cette évolution est-elle le produit du récent congrès de la CGT?

- Nous avons essayé d'être une force de proposition. Nous avons mis plus de temps que les autres à changer, mais maintenant on est bien dans ce qu'on est en train de faire.

Dirigeant du PCF et candidat sur la liste qu'il a impulsée aux européennes, D.Cohen a installé la première pièce de l'étau. Les députés PCF ont verrouillé la seconde: 28 d'entre eux s'abstiennent (5 votent contre), assurant l'adoption du texte par 257 pour, 239 contre (écart: 18 voix).

On a ici l'illustration de ce que dégage plus haut le présent rapport: le rôle des dirigeants syndicaux, en lien avec le PS et le PCF, est décisif pour permettre au gouvernement de mener sa politique.

C'est en intégrant les rapports politiques analysés dans ce rapport que le Comité doit définir son orientation.

Faire fond sur la spontanéité des masses

Seule la spontanéité des masses est capable de surmonter les obstacles que dressent les directions syndicales, le PS, le PCF à des mouvements, ou à un mouvement du prolétariat et de la jeunesse contre la politique de ce gouvernement, pour le vaincre le chasser.

Que de tels mouvements aient lieu et se développent est d'autant plus difficile qu'à ce stade de la lutte des classes en France, des relations à l'intérieur de ce prolétariat, de cette jeunesse, il n'y a, comme forces politiques importantes, que les organisations ouvrières traditionnelles, travailleurs et jeunes étant devant la nécessité d'essayer de les utiliser.

Mais la puissance de la spontanéité du prolétariat et de la jeunesse est une réalité objective, comme l'avait démontré une nouvelle fois le mouvement de novembre-décembre 1995. Comme toujours, le surgissement des masses dépend de circonstances conjoncturelles imprévisibles : mesure gouvernementale jouant le rôle d'un catalyseur du mouvement des masses exploitées, et donnant un dénominateur commun à tous ; mouvement dans un secteur donné qui entraîne l'ensemble ; sentiment qu'il est possible d'imposer aux dirigeants syndicaux qu'ils réalisent le Front unique des organisations syndicales, ou d'organisations syndicales; etc.

 Les tâches politiques du Comité coulent de source : contribuer à ce que se dégage la spontanéité du prolétariat et de la jeunesse. Et pour cela, on doit partir du fait que tout combat de la classe ouvrière, de la jeunesse, est un combat politique. Contribuer à ce que des mouvements s'engagent, à ce que les travailleurs les contrôlent, en élisant leurs comités de grève dans de véritables Assemblées générales souveraines, c'est à dire élisant des comités responsables devant elle, et centralisés en un comité central de grève intégrant les organisations syndicales, c'est nourrir politiquement cette spontanéité.

Cela signifie répondre aux questions qui pèsent sur le prolétariat: comment engager le combat contre le gouvernement Jospin-Gayssot-Chevènement-Voynet-Zuccarelli, pour quelle autre politique et quel autre gouvernement.

Pour la rupture des directions syndicales (CGT, FO, FSU, FEN, UNEF-ID, UNEF-se) avec le gouvernement

Il a été amplement démontré par le présent rapport que le verrouillage politique de la classe ouvrière est organisé en première ligne par les dirigeants des organisations syndicales. La tâche du Comité est donc : utiliser toutes les occasions et possibilités d'agitation politique pour la rupture des organisations ouvrières (partis et syndicats) avec la bourgeoisie, (sous toutes formes spécifiques nécessaires) et conjointement pour qu'elles réalisent le Front unique.

Ainsi, dans l'enseignement, le combat pour la rupture avec le gouvernement a-t-il eu comme formes concrètes à la rentrée pour l'abrogation du décret de baisse des salaires; c'est ainsi que des initiatives ont été prises et ont rencontré un écho significatif. Au moment du mouvement des lycéens, il s'agissait de se saisir de l'opportunité politique qu'était le vote du budget à l'Assemblée nationale pour intervenir ainsi que nous l'avons fait, avec un écho significatif.

De la même manière, sur la question de la loi (dite) des "35 heures", une fois celle-ci adoptée par le parlement, le combat pour la rupture avec le gouvernement devait se mener sur la ligne d'imposer aux directions syndicales à tous les niveaux le boycott des négociations, le refus et le combat contre tout accord s'inscrivant dans le cadre de la loi (dite) des "35 heures". La manière dont les choses se sont déroulées dans le groupe PSA est une confirmation que cette orientation répond au mouvement réel.

En effet, tous les syndicats, sauf la CGT, avaient salué le 23 janvier les "avancées" d'un projet d'accord prévoyant l'obligation du travail le samedi, la sortie des pauses du temps de travail, la pluriannualisation du temps de travail, et l'accroissement de l'exploitation (les suppressions de postes faisant passer la productivité de 14,87 véhicules par an et par salarié en 1997 à 18,03). La direction de la CGT avait de son côté organisé une cohorte d'actions disloquées. Mais le 29, devant les réactions des travailleurs, la participation massive aux actions de la CGT, FO-CFDT-CGC tenaient une conférence de presse pour annoncer qu'ils ne signeraient pas: "En bloquant l'application de cet accord, on évite le blocage des ateliers."

Cela vérifie la validité de l'orientation définie dans CPS 72:

"Si dans un secteur important, les travailleurs imposaient aux dirigeants syndicaux de rejeter les plans de la direction, de boycotter les "négociations" sur l'application de la loi, cela ouvrirait la voie au combat d'ensemble pour imposer aux dirigeants confédéraux qu'ils la rejettent et engagent le combat pour son abrogation."

Pour éviter une telle issue, une semaine plus tard, en échange d'un plat de lentilles (prime, majoration des samedis qui restent forcés, jours de repos supplémentaires) tous les syndicats, sauf la CGT, signent. Les actions-bidon de cette dernière font partie du dispositif pour éviter l'événement retentissant qu'aurait été l'échec des "35 heures" dans une des plus grosses entreprises de France, dans le secteur de la métallurgie qui est le cœur de la classe ouvrière. Mais la ligne du Comité s'est vérifiée en "négatif". Si les directions syndicales ont été contraintes de manœuvrer, elles n'en ont pas moins eu finalement les moyens pour faire passer l'accord à Peugeot, ouvrant la voie pour Renault, etc.

On peut aussi mentionner le combat dans la recherche publique. De l'annonce des décrets contre le CNRS, le statut des personnels, à celle de la dite "loi sur l'innovation", nous avons combattu pour la rupture des dirigeants du SNCS avec le gouvernement, contre la participation active qu'ils pratiquent. Nous avons tracé l'orientation à même de conduire les chercheurs à infliger une défaite au gouvernement. Sur cette orientation, le courant "FU" a augmenté ses voix et son représentant a été réélu à la direction du SNCS.

Pour un gouvernement PS- PCF sans représentants d'organisations bourgeoises,

A bas Chirac, A bas la V° République!

Confrontés à la politique réactionnaire du gouvernement de la "gauche plurielle", les travailleurs ne peuvent dégager d'alternative qu'en relation avec leurs organisations

" Il faut un mot d'ordre saisissable pour les masses qui leur ouvre la voie politique sur la question du gouvernement. La possibilité de ce mot d'ordre existe en raison de l'existence d'une majorité PS-PCF à l'Assemblée nationale: utilisons-la." (Stéphane Just – contribution déjà citée).

Combattre pour la rupture des organisations syndicales avec le gouvernement est indispensable, mais ce qui ordonne ce combat, c'est la question du pouvoir, c'est l'ouverture d'une perspective alternative au gouvernement Jospin-Gayssot-Chevènement-Voynet-Zuccarelli et sa politique. Tant que le mouvement ouvrier ne sera pas reconstruit sur un nouvel axe, les travailleurs n'ont d'autres ressources que de se tourner vers leurs vieilles organisations, le PS et le PCF, pour exiger d'elles qu'elles appliquent une politique conforme à leurs besoins et aspirations.

C'est pourquoi le Comité doit opposer à l'actuel gouvernement la perspective d'un autre gouvernement, un gouvernement PS-PCF sans représentants d'organisations bourgeoises. Le Comité doit faire ressortir la volonté du PS et du PCF de ne pas rompre avec la bourgeoisie, et utiliser la collaboration, même conflictuelle, du PS et du PCF avec Chirac, comme illustration la plus flagrante de ce fait.

Ce mot d'ordre gouvernement du PS et du PCF sans représentants d'organisations bourgeoises doit s'appuyer sur le fait qu'il existe une majorité de députés PS et PCF à l'Assemblée nationale.

Il faut ouvrir la voie à la classe ouvrière: un autre gouvernement est possible, en contraignant les députés PS et PCF de constituer un tel gouvernement, émanant et répondant devant eux. Voilà la voie la plus saisissable pour poser aujourd'hui la question du pouvoir pour les masses; un tel acte signifierait ipso facto en finir avec Chirac et la V° république.

Cela dit, notre conférence doit réaffirmer les précisions adoptées par la X° conférence, à savoir:

- qu'il ne s'agit pas d'en appeler à la "souveraineté", ni de l'Assemblée nationale (car PS et PCF n'y ont qu'une majorité relative), ni à celle de cette majorité PS-PCF, comme si l'étape 1981-1993 n'avait jamais eu lieu.

- que dans les conditions présentes, sans préjuger de l'avenir, on ne peut mettre en avant le mot d'ordre de "manifestation centrale du prolétariat à l'Assemblée nationale pour imposer aux députés PS et PCF de constituer un tel gouvernement". Là encore, il faut tenir compte des rapports politiques analysés dans le présent rapport.

Seule la mobilisation de la classe ouvrière peut imposer éventuellement un tel gouvernement. Cela bouleverserait les rapports politiques à son avantage. Et justement, le mot d'ordre du gouvernement PS-PCF sans représentants d'organisations bourgeoises:

est un mot d'ordre ouvrant une voie aux masses et aidant à leur mobilisation et nous aidant à organiser une avant-garde politique liée aux masses, intervenant dans la lutte des classes pour préparer les combats à venir.

Une chose est certaine: ce mot d'ordre met radicalement en cause le bonapartisme, il concrétise ce qu'est le front unique ouvrier en opposition au front populaire, à l'Union de la gauche; il concrétise sur le plan politique gouvernemental ce que signifie faire des pas en avant sur la voie de la rupture avec la bourgeoisie"

(S.Just – contribution citée)

Mais il faut, dans le même temps où nous avançons ce mot d'ordre, mettre en avant la politique qui répond aux aspirations et besoins des masses, politique dont le déploiement nourrit la spontanéité des masses, et fonde la revendication adressée au PS, au PCF, aux députés de ces partis qu'ils constituent un gouvernement PS-PCF sans représentants d'organisations bourgeoises.

Car elle n'a de sens que parce que la première condition, nécessaire mais non suffisante, à ce que les aspirations des masses soient satisfaites, c'est bien la rupture avec les exigences du capital, la rupture avec la bourgeoisie, ses hommes, ses partis.

Pour une politique anticapitaliste, un gouvernement ouvrier

Une politique répondant aux intérêts et aspirations du prolétariat exige d'abroger l'ensemble des mesures réactionnaires prises par les gouvernements successifs de la Ve République. Une politique conforme aux besoins des masses inclut nécessairement le rattrapage du pouvoir d'achat perdu depuis 1982 et sa garantie par l'échelle mobile des salaires. Elle doit viser à garantir le droit au travail par l'interdiction des licenciements et du travail précaire, par l'échelle mobile des heures de travail: la réduction massive du temps de travail à 35 heures, 32 heures, moins encore, sans baisse des salaires, ni flexibilité, jusqu'à embauche de tous les chômeurs.

Ces revendications transitoires sont incompatibles avec le maintien du mode de production capitaliste et les Etats bourgeois qui préservent sa domination.

Pour la satisfaction durable des revendications, des aspirations du prolétariat et de la jeunesse, l'économie doit être orientée en fonction de la satisfaction des immenses besoins des masses et non plus de la recherche du profit privé, la production organisée rationnellement selon un plan de production élaboré et réalisé sous le contrôle des travailleurs. Le capital doit être exproprié, la V° République et l'État bourgeois balayés, pour aller vers le socialisme.

Il est clair que jamais le PS ou le PCF ne s'engageront dans cette voie. Mener une politique anticapitaliste répondant aux aspirations du prolétariat, de la jeunesse, exige que soit porté au pouvoir un gouvernement ouvrier, appuyé sur les organismes que la lutte du prolétariat fera surgir, cela exige que le prolétariat prenne le pouvoir. Pour cela, un parti ouvrier révolutionnaire est nécessaire.

Construire un Parti Ouvrier Révolutionnaire

L'intervention du Comité vise à nourrir la spontanéité des masses. Elle découle de la compréhension que la spontanéité ne suffit pas. Même si un mouvement de masse déferlait et disloquait le dispositif actuel de la bourgeoisie, ce ne serait que provisoire. Pour le prolétariat, rien ne sera réglé tant que, dans son mouvement même, un parti ouvrier révolutionnaire ne sera pas construit, tant que ne sera pas construite une nouvelle internationale ouvrière révolutionnaire, condition pour qu'il prenne le pouvoir.

L'intervention du Comité dans la lutte des classes, l'élaboration politique et théorique, ordonnées autour de CPS, doivent concourir à poser des jalons dans la construction d'un tel parti, sur la base de la défense du programme hérité des quatre premières internationales, de l'internationalisme prolétarien.

Ainsi, nous pourrons agir dans la perspective déjà fixée lors de la fondation du Comité par Stéphane Just (dans la conclusion de la brochure "Comment le révisionnisme s'est emparé de la direction du PCI" ):

La nécessité de nouveaux partis, qui ne peuvent être que des partis révolutionnaires, se donnant pour tâche d'en finir avec le capital et les bureaucraties parasitaires, ainsi qu'avec les appareils des organisations traditionnelles, est devenue une nécessité objective ressentie par des millions d'être humains et prolétaires, de jeunes.

En même temps ils sont extrêmement méfiants et réticents. Alors qu'ils rejettent la chemise sale du réformisme et du stalinisme, la IV° internationale se décompose, en France, le PCI a une politique de couverture de l'aile "réformiste" de l'Union de la Gauche". Ils hésitent avant de passer une autre chemise 

Mais la nécessité impérieuse de disposer de nouveaux moyens politiques l'emportera. Ce que seront ces moyens politiques n'est pas donné à l'avance, car cela se fera dans la pire confusion, vraisemblablement pas d'un seul coup, au prix de contradictions, de flux et de reflux et sur une longue période. En tout cas, agissant ainsi que nous allons le faire, nous aiderons ce processus à se développer, nous nous y insérerons

Non, décidément, nous ne repartons pas de zéro. Nous poursuivons, selon des conditions données, à un moment donné, le combat séculaire du prolétariat pour se doter des moyens de son émancipation."

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