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Article paru dans combattre pour le socialisme n°62 d’avril 1996

algérie :

•  contre la dictature militaire

•  contre la réaction islamiste

•  pour un authentique parti ouvrier



l’algérie en crise




La grève générale des fonctionnaires lancée à l’appel de l’UGTA a paralysé Alger et les autres villes d’Algérie durant deux jours (les 13 et 14 février 1996) selon “Al Ahzan Hebdo” du 27 février 1996 (quotidien du Caire). Il faut noter la discrétion de la presse française à ce sujet : 6 lignes dans “Le Monde” du 15 février. Ce même quotidien choisit de présenter la recrudescence des attentats islamistes comme une conséquence de “l’immobilisme gouvernemental”, du refus du gouvernement du président Lamine Zéroual de proposer une ouverture politique aux islamistes. Ainsi, un article du 13 février commente :

«Depuis l’élection de Lamine Zéroual à la présidence, le 16 novembre dernier, la politique s’est arrêtée en Algérie : il ne s’est rien passé (…) le quasi plébiscite obtenu par le général Zéroual n’a permis aucune ouverture. La violence a retrouvé son niveau d’avant les élections présidentielles».

Un article signé d’Ali Habib annonce, au moins une soixantaine de morts et plus de 200 blessés dans les 12 attentats à la voiture piégée ou aux explosifs (de la mi-janvier à la mi-février 1996). A cela il faut, dit-il, ajouter plusieurs dizaines de civils assassinés ou mutilés à l’arme blanche. Et le même auteur semble déploré que le gouvernement «déjà confronté à la dure lutte contre le terrorisme en pleine expansion (…) doit également affronter un mouvement de protestation sociale qui s’amplifie».

Il faudra attendre quinze jours pour que “Le Monde” évoque les mobiles de la grève. En fait, les grévistes exigent l’annulation de la décision du gouvernement annoncée le 6 février : la rétention d’un à sept journées de salaire (durant 11 mois) dans le secteur public pour payer les arriérés de salaire d’environ 200 000 travailleurs.

“Al Ahzan Hebdo” précise que cette annonce :
«a immédiatement provoqué une levée de bouclier des syndicats et de plusieurs partis politiques jusqu’au sein du gouvernement (…) outre cette revendication salariale, le mouvement exprime le malaise croissant des Algériens face à une douloureuse transition vers l’économie de marché. La grogne sociale était déjà perceptible depuis plusieurs mois. Elle a notamment été attisée depuis le Ramadan par d’importantes hausses de prix».

Il faut noter que ces hausses de prix atteint 500 à 900 % pour les produits alimentaires (pain, viande, légumes), les services, depuis 3 ans. Contrairement à ce qu’affirme ce quotidien, l’économie algérienne n’est jamais sortie de “l’économie de marché” (les nationalisations de l’État sous Boumédienne se font dans le cadre du système capitaliste). Par contre l’affirmation selon laquelle, la classe ouvrière «craint les licenciements massifs dans le cadre du programme de privatisation» du gouvernement est une réalité. En vue de la privatisation des entreprises publiques, le ministère de l’économie a déjà été transformé début 1994 en ministère de la restructuration et de la participation. On estime officiellement à 200 000 le nombre de licenciements au sein des entreprises jugées “récupérables” et qui feront l’objet d’un sévère plan de redressement. Sans compter la masse des salariés des firmes jugées “non récupérables” qui vont être mises en vente ou tout simplement dissoutes ! (le taux de chômage officiel était déjà de 25 % en 1994).

Ali Habib dans “Le Monde” du 3 et 4 mars 1996 s’étonne du recours à la grève générale de l’UGTA alors qu’elle a soutenu le coup d’État militaire en janvier 1992. Il ne nie pas le fait que l’UGTA a dû vraisemblablement tenter de répondre à la pression des travailleurs. Mais il affirme que :
«Les attaques frontales de l’UGTA contre M. Ouyahia (premier ministre) ne peuvent que fragiliser la position du chef d’État que les militaires radicaux tentent d’isoler de plus en plus. Selon certains, l’entourage du président mécontent de la nomination du premier ministre chercherait à imposer son propre candidat à la tête du gouvernement».

Dans le même temps, les islamistes multiplient les attentats, en particulier contre la presse qu’ils accusent de “collaborer” avec le pouvoir. L’attentat du 11 février a détruit les locaux abritant des “journaux privés” : “El Watan”, “L’Opinion”, “Le Soir d’Algérie”… “El Watan” du 27 février accuse le gouvernement de condamner certains quotidiens à un “nomadisme forcé” en ne répondant pas à leur demande de pouvoir disposer d’un nouveau local. Il publie par ailleurs un communiqué du bureau national de SNJA (Syndicat National des Journalistes Algériens) qui s’élève contre le contrôle de la presse (installation de “comités de lecture” au sein de chaque rédaction pour contrôler les informations) et revendique l’abrogation du code de l’information.

Il faut noter que depuis le 10 février 1992 l’Algérie vit sous le régime de l’état d’urgence instauré par la dictature militaire qui, sous couvert de “terroriser le terrorisme”, développe une répression sanglante contre les masses.

Ces quelques données illustrent la situation de l’Algérie : crise économique, crise de la bourgeoisie nationale, crise du régime, situation très difficile des masses dont le pouvoir d’achat a diminué de moitié en quelques années et qui sont confrontées à de nouvelles attaques contre leurs conditions d’existence (licenciements par milliers, mise en cause d’acquis concernant la santé…).

Les masses ont manifesté à plusieurs reprises leur rejet à la fois de la réaction noire, obscurantiste et sanglante du FIS, du GIA et de la dictature non moins sanglante de la junte militaire. Néanmoins, en l’absence de Parti Ouvrier combattant sur un programme ouvrier, elles ne parviennent pas à s’ouvrir une issue politique.

La situation de l’Algérie mériterait que l’on aborde plusieurs questions : les conséquences pour les pays semi-coloniaux de la crise mondiale du capitalisme, les relations entre l’État bourgeois algérien et l’impérialisme français, entre l’État algérien et l’impérialisme américain, les liens entre la crise du mouvement ouvrier français (et d’Europe) et les difficultés politiques de la classe ouvrière et de la jeunesse algérienne, les bases matérielles d’un certain développement de mouvements réactionnaires et moyenâgeux tels que le FIS…

Cet article ne peut bien entendu aborder toutes ces questions. Il présente quelques aspects des questions auxquelles sont confrontées les masses et la jeunesse en les restituant dans le cadre du développement historique des rapports entre les classes en Algérie.




quelques rappels sur le mouvement à caractère révolutionnaire d’octobre 1988



CPS n° 24 (7/11/1988) a publié un article à ce sujet titré : “Algérie : la révolution prolétarienne sourd”. Nous y renvoyons les lecteurs de CPS (voir aussi les articles des numéros 39 de septembre 1991 et 41 de février 1992).

«Plus de cinq cents morts, des milliers de blessés et des milliers d’arrestations : voilà la réponse du gouvernement Chadli du FLN et de l’Armée Nationale Populaire aux revendications et aspirations de la jeunesse et du prolétariat algériens. Généralement et délibérément, la presse a ignoré que les manifestations des 4 et 5 octobre à Alger et des jours suivants dans toutes les grandes villes d’Algérie ont été précédées par une puissante vague de grèves (…)

C’est sur le fond d’engagement de grands mouvements de grèves, d’une préparation à la grève générale des travailleurs algériens que, le 5 octobre, écoliers et lycéens ont commencé à manifester à Alger. Des milliers et milliers de jeunes sans emploi et sans espoir d’en obtenir, venant des quartiers populaires les ont rejoints et ont déferlé sur la ville ainsi qu’un raz de marée. Leur colère n’a pas été aveugle (…). La jeunesse a attaqué toutes les représentations du pouvoir qu’elle a pu atteindre».

L’armée prenait position aux endroits stratégiques de la capitale et le 6 octobre le gouvernement décrétait l’état de siège.

Dans son livre “Histoire de l’Algérie depuis l’indépendance” (La découverte), Benjamin Stora, pour les besoins de la cause qu’il défend, évacue le fait qu’octobre 1988 exprime le mouvement de fond du prolétariat contre le régime bourgeois algérien :

«Un an avant la chute du mur de Berlin, en novembre 1989, l’Algérie connaît en octobre 1988, l’effondrement du système du parti unique, qui, avec l’armée, encadrait de manière autoritaire l’ensemble de la société algérienne. Commence alors une course de vitesse pour savoir qui, d’un “pôle démocrate” ou d’un “pôle islamiste” peut se substituer au vide laissé par le parti unique FLN».

La caractérisation du “système de parti unique” portée par B. Stora (en fait parti stalinien en RDA, parti bourgeois en Algérie) évite à l’auteur de définir précisément la nature de l’État algérien : un État bourgeois de forme bonapartiste. Sa position (pour une “démocratisation” du régime) est largement partagée par tous ceux qui ont en commun la défense de l’ordre bourgeois. En Algérie même c’est celle de Ben Bella et d’Aït Amed qui, dès décembre 1985, signaient à Londres une déclaration fixant leurs objectifs : non pas se présenter comme : «une alternance de gouvernement ou équipe de rechange» mais «animer une profonde dynamique politique en vue de la démocratisation des institutions et de la société algérienne».

Cette position est aussi celle de la société française, d’intellectuels bourgeois et des dirigeants du mouvement ouvrier français.

B. Stora cite ces lignes publiées par l’hebdomadaire “Algérie-Actualité” du 24 novembre 1988 :
«Les enfants d’octobre 1988 ressemblent étrangement à ceux du 8 mai 1945, à ceux de novembre 1954, à ceux de décembre 1960 (…). Entre tous ces enfants, il n’y a pas qu’une ressemblance, il y a identité de revendication, sauf à renier l’histoire du mouvement national algérien contemporain. L’examen lucide de notre histoire, l’humble étude des faits, de tous les faits, hors de tout exercice d’exorcisme, nous permettront certainement de régler nos problèmes. Encore faut-il recouvrer notre mémoire, toute notre mémoire, sans “sélection de couleurs”».

Les émeutes de Sétif et de Guelma écrasées par les troupes d’infanteries assistées par l’aviation (des milliers de morts algériens) en 1945, l’insurrection de novembre 1954, les manifestations à Alger et à Oran (plus de 100 morts) en 1960 exprimaient la possibilité que la population laborieuse de l’Algérie transforme la guerre pour l’indépendance contre l’impérialisme français en révolution prolétarienne.

Mais c’est sur le terrain de l’unité nationale que la guerre d’indépendance a été menée. La révolution prolétarienne a été étouffée. La “démocratisation” du régime que proposent B. Stora et consorts, c’est fondamentalement la même orientation d’union nationale, celle du “peuple classe” qui interdit toute perspective politique aux masses, celle qui, dans les années 1960 a permis la constitution d’un État bourgeois bonapartiste en Algérie. Cette orientation a une fonction : soumettre les masses à la bourgeoisie, organiser la collaboration des classes, permettre à l’État bourgeois ébranlé par le mouvement des masses de se restabiliser.




le caractère bonapartiste de l’état bourgeois algérien



Les accords d’Evian, qui fondent l’État algérien comme un État bourgeois subordonné à l’impérialisme français, sont approuvés par toutes les tendances du FLN. En juillet 1962, le mouvement révolutionnaire des masses qui se développe dans la situation créée par le retrait des troupes de l’impérialisme français, par le départ des européens et la décomposition du GPRA (groupement provisoire de la République algérienne), se heurte à l’absence de perspectives politiques, de parti propre à la classe ouvrière.

CPS n° 24 du 7/11/1988 présentait ainsi les conditions de la constitution par Ben Bella d’un État bourgeois alors que le GPRA et l’exécutif provisoire à qui le gouvernement français a remis le pouvoir se décomposent.
«En s’appuyant sur l’armée des frontières passée en Algérie après l’indépendance (elle sera rebaptisée le 4 septembre 1962 Armée Nationale Populaire), Ben Bella s’est emparé du pouvoir. Il a brisé les forces armées de l’intérieur (des Willayas) et tout mouvement autonome des masses. Il a intégré l’UGTA à l’appareil du FLN, éliminé le mouvement des paysans d’occupation et de gestion des terres des colons. C’est-à-dire qu’il a cassé toutes tendances à la révolution sociale. Il s’est situé sur la ligne de l’application des accords d’Évian et a commencé à construire le nouvel État bourgeois algérien .

Dans “La Vérité” n° 527 de février-avril 1964, Aklouf écrivait que l’État algérien est un État bourgeois. Il précisait : “La bourgeoisie nationale n’a pas les moyens de gouverner directement. Elle doit s’en remettre à une bureaucratie parasitaire pour qu’elle constitue un véritable appareil d’État. Cet État au sens strict du terme joue pour cette bourgeoisie un rôle de tuteur assurant par l’animation d’un secteur nationalisé les conditions d’un développement économique. Par là même, cet État dispose d’une relative autonomie. C’est en ce sens que le régime de Ben Bella, élevé au-dessus des différentes classes sociales et jouant de leurs contradictions est un régime bonapartiste(.)”.

Boumédienne a renversé Ben Bella et il a poursuivi la construction de cet État. Le pseudo-socialisme algérien n’a été que la recherche du renforcement des bases économiques et sociales de la faible bourgeoisie algérienne».

Boumédienne dissout l’Assemblée Nationale où s’exprimaient les différentes composantes du FLN, abroge la constitution, contrôle plus étroitement l’UGTA. Mais il n’a pas les moyens d’infliger une défaite sanglante au prolétariat algérien. Il maintient les relations avec l’impérialisme français. Il entreprend les nationalisations en 1971 (en particulier des hydrocarbures). Elles s’accompagnent d’un renforcement des liens de subordination au cartel pétrolier américain et aux banques internationales.

Mais le développement d’un processus de mobilisation des travailleurs sur leur propre terrain de classe menace le pouvoir (grève victorieuse des transports d’Alger en 1972 ; grève totale des 1200 métallurgistes du SNS de Kouba en 1974 avec AG et élection d’un comité de grève exigeant des augmentations de salaire et la dissolution de l’ATU corporatiste…). Des mesures sont prises pour renforcer le régime bonapartiste, lui trouver des points d’appui, tenter d’aller plus loin dans l’intégration de la classe ouvrière à des structures de type corporatiste.

Ainsi la Charte nationale de 1976 instaure un Président (chef d’État et chef des forces armées) qui détient l’essentiel des pouvoirs. Une Assemblée Populaire Nationale croupion (les candidats aux élections sont sélectionnés par le FLN) vise à développer une couche de partisans du régime mieux à même de contrôler la société. La Charte fait appel à l’Islam, «composante fondamentale de la personnalité algérienne» qui devient religion d’État : «l’édification du socialisme s’identifie avec l’épanouissement islamique» (sic).

Après la mort de Boumédienne (décembre 1978), la période Chadli Bendjedid va vers l’extension de l’appropriation privée des moyens de production et la soumission toujours plus étroite de l’économie algérienne aux capitaux étrangers. Il accentue les attaques contre les masses et le caractère réactionnaire du régime :

•     ouverture d’une grande université des sciences islamiques à Constantine (septembre 1984) ;

•     accroissement du nombre de mosqués (6000 en 1986) ;

•     adoption du “code du statut personnel et de la famille” le 29 mai 1984 (en dépit de la mobilisation de nombreuses associations de femmes et après que ce projet eut été ajourné à plusieurs reprises depuis 1962) ;

•     la Charte nationale de 1986 insiste sur la nécessaire soumission à l’Islam au nom du fait qu’il présenterait un caractère “progressiste”.

«L’Islam a apporté au monde une conception noble de la dignité humaine qui condamne le racisme, rejette le chauvinisme et l’exploitation de l’homme par l’homme, l’égalité qu’il prône s’harmonise et s’adapte avec chacun des siècles de l’histoire».




tâches démocratiques et révolution sociale



Le mouvement d’octobre 1988 avait un caractère révolutionnaire (pour autant, ce n’était pas la révolution). Derrière la jeunesse, s’avançait le mouvement révolutionnaire du prolétariat (grèves de certains secteurs et préparation à la grève générale).

CPS n° 24 portait l’appréciation suivante :
«La révolution prolétarienne refoulée au moment de la conquête de l’indépendance politique formelle de l’Algérie n’a cessé depuis de menacer la bourgeoisie et le pouvoir (…). Voilà la signification des grèves et du déferlement de la jeunesse début octobre»…

Mais l’article poursuit :
«Pourtant, il ne faut pas le cacher : les masses agissent spontanément ; elles n’ont ni orientation, ni programme, ni stratégie, ni organisation qui les structurent. Il semble même que les intégristes n’aient joué aucun rôle dans les grèves et le déclenchement du déferlement de la jeunesse. Tout au plus, ils ont tenté de récupérer le mouvement tout en le freinant. Au drame du mitraillage de la jeunesse se conjugue celui de l’absence d’organisation propre au prolétariat, à la population laborieuse, à la paysannerie et à la jeunesse. La leçon sanglante est évidente : il faut au prolétariat, à la paysannerie, à la jeunesse d’Algérie un parti de classe, un parti ouvrier armé du programme et de la stratégie de la révolution prolétarienne».

L‘article concluait sur des “éléments pour un programme combinant la réalisation des tâches démocratiques non résolues (nouvelle réforme agraire, droit à l’indépendance de la Kabylie si les Kabyles l’exigent, expropriation du capital étranger, annulation de la dette, libertés démocratiques : droit d’organisation, de presse, de manifestation, etc…) et des tâches de la révolution prolétarienne (échelle mobile des salaires, droit au travail et aux études pour la jeunesse, élaboration et réalisation d’un plan de production répondant aux besoins des masses, réorientation et reconversion de l’économie, contrôle ouvrier sur chaque entreprise et sur l’économie dans son ensemble, organisation et armement du prolétariat pour combattre le corps des forces répressives…

L’article précisait :
«En Algérie, le déroulement historique, les relations entre les classes font que les tâches démocratiques et celles de la révolution socialiste sont immédiatement et totalement imbriquées. C’est pourquoi y compris l’agitation pour la constituante doit inclure les revendications propres au prolétariat et le mot d’ordre pour un gouvernement ouvrier et paysan, pour le socialisme».




la ligne de la “démocratisation” désarme les masses



La répression du mouvement d’octobre 88 organisée par le régime de Chadli fut sanglante (bilan officieux de 600 morts au 10 octobre). Le régime resta en place, mais il était profondément ébranlé ; le FLN se décomposait (affrontement entre différentes fonctions) : en mars 1989 les officiers quittent le CC du parti pour se mettre en réserve.

Entre 1989 et 1990, 44 partis voient le jour, 25 à 30 000 associations (ligues des droits de l’homme, associations de femmes indépendantes, mouvements culturels…), six quotidiens nationaux (“El Watan”, “Le Matin”… supplantent la vente d’”El Moudjahid”), de nombreux hebdomadaires.
«La pratique du pouvoir avec les gouvernements Kasdi Merbah (novembre 88-septembre 89), Mouloud Hamrouche (septembre 89- juin 91) oscille entre l’ouverture d’espaces démocratiques (liberté d’association et de la presse) et la répression des “classes dangereuses”). (B. Stora).

C’est en fait la mobilisation des masses qui arrache les concessions politiques et non le “processus de démocratisation” à l’initiative du “réformateur” Chadli et du FLN.

Le FIS (légalisé le 14/9/89) tente, en l’absence de parti révolutionnaire, d’influencer, de contrôler des masses (plusieurs dizaines de milliers de femmes réclament l’application de la Charia le 21/12/90 ; 100 000 manifestants réclament l’abandon du bilinguisme le 20/4/91).

Mais de nombreuses manifestations montrent que le prolétariat cherche à s’organiser sur son propre terrain de classe :

•     le 8 mars 1989 : 400 femmes demandent l’abolition de la polygamie, le droit de divorce ;

•     décembre 1989 :

      - 30 000 femmes exigent l’abolition du code de la famille (en novembre 91, elles obtiennent l’abolition du système de promotion qui permettait à leur mari de voter à leur place)

      - 400 000 manifestants défilent à Alger contre la généralisation de la langue arabe (à l’appel du FFS) ;

•     12-13 mars 1990 : 95 % des fonctionnaires suivent l’appel à la grève générale de l’UGTA.

Après de nombreuses tergiversations, reports, les élections à l’Assemblée Nationale Populaire ont lieu en décembre 1991 (en novembre 1988 la Constitution était modifiée par référendum, rendant le gouvernement responsable devant le Parlement : 92,27 % de “oui”, 80,3 % de taux de participation). Aux élections à l’ANP, le FLN est écrasé (13,8 % des inscrits) ; le FIS qui, dans le cadre des municipalités contrôlait 45 willayas sur 48, obtenait 25,4 % des inscrits (il perdait 1 million de voix et 13,3 % des inscrits par rapport aux municipales de 1990) ; le FFS présent seulement en Kabylie remportait 5,8 % des inscrits (divers 9 %). L’absence de parti offrant une perspective politique à la classe ouvrière et à la jeunesse, développant un programme présentant une issue ouvrière à la crise explique le fort taux d’abstention (42 %).

Au lendemain des élections quelque 400 000 personnes défilent à Alger, à l’appel du FFS pour “ni État policier, ni République intégriste”. Mais le FFS (qui n’est pas un parti ouvrier et qui n’a de socialisme que le nom) se situe sur la ligne de la démocratie bourgeoise et de l’union nationale : il ne peut ouvrir une voie propre à la classe ouvrière.

Ceci dit les acquis (même limités) arrachés par les masses (droits d’association, de réunion, de presse, de manifestation…) sont pour elles un point d’appui pour le développement de leur propre mouvement et un danger pour la bourgeoisie.

Utilisant le fait que les masses ne sont pas parvenues à s’ouvrir une issue politique appuyé sur la défaite politique imposée aux masses du Moyen-Orient (que ressentent durement le prolétariat et la jeunesse d’Algérie alors à l’avant-garde) par la coalition que dirige l’impérialisme américain, coalition qui a écrasé l’Irak sous le feu des armes, la caste des officiers prend le pouvoir en Algérie. Le 11 janvier 1991 Chadli est contraint de démissionner, les blindés se déploient dans les principales villes, l’ANP est dissoute, les élections sont annulées.




la dictature militaire



Le Haut Comité d’État (HCE) mis en place le 14 janvier 1994 et présidé par Mohamed Boudiaf (un des chefs historiques du FLN) instaure l’état d’urgence (10/2/1992), interdit le FIS (4/3/92). M. Boudiaf est assassiné le 29 juin à Annaba par un membre de sa garde rapprochée.

Le 15 juillet, le tribunal militaire de Blida condamne les dirigeants du FIS Abassi Madani et Ali Benhadj à 12 ans de réclusion. Le 26 août, dans l’aérogare d’Alger, un attentat à la bombe, officiellement attribué à des islamistes, coûte la vie à 9 personnes et fait 128 blessés. C’est le début d’une longue suite d’attentats contre l’armée, des hommes politiques, des journalistes, des universitaires, des entreprises publiques, des bâtiments publics, des écoles…

Le 30 septembre est publié le décret-loi sur “la lutte contre le terrorisme et la subversion” : il institue des cours spéciales pour les faits relevant du “terrorisme et de la subversion”, fait passer la garde à vue de 48 heures à 12 jours, autorise les perquisitions à tout moment et en tout lieu, accorde des pouvoirs exorbitants aux forces de sécurité (les qualifications “d’apologie du terrorisme” et de “subversion” autorisant toutes les interprétations). Début décembre, 123 mairies et plus de 200 conseils municipaux contrôlés par le FIS sont dissous. Le HCE exerce le pouvoir jusqu’à la fin du mandat présidentiel, le 31 janvier 1994. C’est à cette date que Lamine Zéroual, général à la retraite, devenu ministre de la Défense en juillet 1993 est désigné chef d’État par ses pairs. Mis sur la touche en 1989 dans le cadre de la crise qui se développe dans la hiérarchie militaire, il n’est pas mouillé dans le coup d’État de janvier 1992.

En 1992-93 l’armée combat pour démanteler le FIS. N’y parvenant pas totalement, le régime tente de négocier à l’automne 93 et au début 94. Puis les opérations militaires sont relancées au printemps. Le “Monde Diplomatique” de mars 1995 précise que les forces de l’AIS (Armée Islamique du Salut, proche du FIS) et du GIA (né après janvier 92), étaient estimées entre 10 000 et 15 000 personnes fin 1994.

«Si les forces de l’ordre infligent à ces groupes armés des pertes sévères, le recrutement se fait facilement parmi les jeunes dans les villes et dans les banlieues. Chômeurs, sans perspective d’avenir, sensibles à une idéologie hostile à un État jugé responsable de tous les maux du pays, ils rejoignent le maquis».

Les combattants des maquis islamistes disposent d’armes permettant de mener une guérilla urbaine : armes d’autodéfense, fusils de chasse, explosifs de fabrication artisanale, matériels pris aux forces de l’ordre, faible quantité d’armes provenant de l’ancien Parte de Varsovie, ou d’un circuit sud situé aux confins du Tchad, du Niger, de la Libye.

À la fin de l’été 1994, le régime mène une autre tentative de conciliation ; les négociations sont rompues en octobre et Madani et Benhadj qui étaient en résidence surveillée retournent en prison. L’armée poursuit son offensive.




le pacte de rome contre le mouvement des masses



De nouveaux contacts ont lieu début 1995 entre Liamine Zéroual et le FIS. Bruno Callies de Salies, dans “Le Monde Diplomatique” de février 1996, en précise le contexte :

«On se souvient que craignant la marginalisation, le groupe islamiste armé (GIA) se disait prêt à arrêter la guerre, mais en ajoutant des conditions inacceptables pour le régime. Il réclamait — au même titre que le FIS — la libération immédiate de deux de ses chefs».

C’est dans cette situation que se tient, sous l’égide de l’association catholique Sant Egidio, la réunion de 8 partis algériens d’opposition qui aboutit à la signature d’une plateforme : un “pacte national”. Il s’agit de :

•     la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (A.A. Yahia),

•     du Front de libération nationale (FLN) (A. Mehri),

•     du Front des forces socialistes (FFS) (H. Aït Ahmed et A. Djeddaï),

•     du Front islamique de salut (FIS) (R. Kebir et A. Haddam)

•     du Mouvement pour la démocratie en Algérie (MDA) (A. Ben Bella et K. Ben Smaïh),

•     du Parti des travailleurs (PT) (L. Hanoune),

•     du Mouvement de la renaissance islamique (Ennhda) (A. Djaballah),

•     de Pour Jazaïr musulmane contemporaine (A. Ben Mohammed).

Ce texte en six points se situe dans le cadre de l’unité nationale qui a prévalu lors de la guerre d’indépendance et qui s’est opposé à la mobilisation révolutionnaire des masses. Nous citons quelques passages du point A :

«Les participants s’engagent sur la base d’un contrat national dont les principes sont les suivants et sans l’acceptation desquels aucune négociation ne serait viable :

•     la déclaration, du 1er novembre 1954 : “la restauration de l’État algérien souverain, démocratique et social dans le cadre des principes de l’Islam” (art. 1) ;

•     le rejet de la violence pour accéder ou se maintenir au pouvoir ;

•     le rejet de toute dictature quelle que soit sa nature ou sa forme et le droit du peuple à défendre ses institutions élues ;

•     le respect de l’alternance politique à travers le suffrage universel (…) ;

•     la non implication de l’armée dans les affaires politique. Le retour à ses attributions constitutionnelles de sauvegarde de l’unité et de l’indivisibilité du territoire national ;

•     les éléments constitutifs de la personnalité algérienne sont l’Islam, l’arabité et l’amazighité (…)».


Rappelons que la Charte nationale de 1986 insistait sur le prétendu caractère progressiste de l’Islam. Sous couvert de condamner le gouvernement militaire, le pacte condamne par avance toute tentative des masses à l’autodéfense, à se doter de leurs propres milices, à conquérir le pouvoir et à instaurer contre la bourgeoisie, son État, son armée, leur propre pouvoir, leur propre dictature. Au nom du “respect de l’alternance politique”, les masses devraient par exemple se soumettre à la dictature du FIS “majoritaire” aux élections “démocratiques” de décembre 1991. Le texte demande «l’annulation de la dissolution du FIS» et «la libération effective des responsables du FIS et de tous les détenus politiques» et les «garanties donnant à leurs dirigeants les moyens de se réunir librement». Il dénonce toute revendication nationaliste : le peuple kabyle doit se soumettre à “un cadre unificateur”, n’a aucun droit réel à défendre son droit à l’autodétermination (l’armée doit garantie “l’indivisibilité du territoire”).

Cette unité avec le FIS, au nom de la “défense des libertés démocratiques”, c’était préparer la dictature du FIS succédant à celle de la caste des officiers. Cette orientation que d’aucuns qualifient de “démocratique” est totalement opposée au combat des masses, à leurs aspirations, elle contribue à les désarmer politiquement pour les maintenir sous le joug de la domination bourgeoise. Reprenant cette orientation, le petit groupe de l’OST (membre de IVe Internationale-CIR) a renoncé à combattre pour la construction d’un parti ouvrier révolutionnaire en Algérie. En 1990, ils ont proclamé le Parti des travailleurs qui se retrouve aujourd’hui aux côtés du FIS, agissant ainsi contre la construction d’un authentique parti ouvrier, sur un programme ouvrier (incluant la lutte pour les libertés démocratiques, pour la Constituante souveraine, contre la dictature militaire). Alors que le combat des masses s’inscrit contre la réaction du FIS, ils forment un obstacle de plus à la construction d’un tel parti et contribuent au désarmement politique des masses.




isolé, le régime de zéroual cherche à se doter d’une base sociale



Si l’armée est parvenue à réduire la classe ouvrière au silence, à mettre en cause les libertés démocratiques arrachées à la suite du mouvement d’octobre 1988, à contenir ce mouvement, elle n’en reste pas moins fragile. Elle est liée à l’impérialisme, aux différentes couches de la bourgeoisie algérienne. Les dissensions au sein de la caste militaire ne se sont pas amoindries. Les énormes problèmes économiques et sociaux, que le régime doit affronter, aiguisent ces dissensions. Pour appliquer jusqu’au bout la “réforme économique” il lui faut affronter les masses algériennes. Isolé, le régime de Zéroual a cherché à se doter d’une base sociale. Zéroual décide donc, en octobre 1995, d’organiser des élections à la présidence de la République. Ces élections se sont déroulées le 16 novembre avec les résultats suivants :

 

CANDIDAT

% par rapport aux exprimés

% par rapport aux inscrits

 

Liamine Zéroual

 

 

61,34

 

47,5

 

Cheikh Mahfoud Nahnah

Mouvement pour la société islamique (MSI Hamas)

 

 

 

 

25,38

 

 

 

18,7

 

Said Sadi - RCD

 

 

9,29

 

7

 

Nouredine Boukrouh - Parti du Renouveau algérien (PRA) - Islam “modéré”

 

 

 

3,78

 

 

2,5

 


Ces 4 candidats “ont réussi” à réaliser les conditions draconiennes exigées pour se présenter : recueillir 75 000 signatures réparties sur 25 willayas, avoir son conjoint de nationalité algérienne. Selon “Le Monde” du 5 octobre, l’administration aurait apporté son aide à certains candidats.

Le taux de participation a été de 74,92 % (67,71 % en France, 75 % en Algérie). Il était en décembre 1991 de 59 % et de 62,73 % en juin 1990.


Salimo Ghezali dans “Le Monde Diplomatique” de février 1996 commente ainsi ces résultats :
 « Depuis le 16 novembre (…) le discours sur l’Algérie, qu’il soit tenu dans le pays lui-même ou à l’étranger a changé. La dénonciation spectaculaire des violences attribuées aux groupes armés islamistes a laissé la place à un ronronnement aussi unanime qu’ébahi devant la capacité du régime à mobiliser les foules pour se faire plébisciter».

Les présence de 4 candidats, le taux de participation, en dépit du fait que le FIS, le FLN, le FFS avaient appelé au boycott, doivent accréditer l’idée que «l’Algérie n’est pas une république bananière».

Ces résultats, en dépit des conditions dans lesquelles ils sont acquis, traduisent une défaite du FIS qui avait appelé au boycott et fait savoir à maintes reprises qu’il ferait tout pour l’empêcher, multipliant les attentats à l’automne. Ils s’appuient sur une combinaison de facteurs :

1)   un rejet du FIS par les masses. Paul Marie de la Gorce dans “Le Monde Diplomatique” d’avril 1995 explique que toute une partie de la population se sent menacée par l’accord signé à Rome entre les principaux partis algériens et le FIS :
«Cet anti-islamisme qui paraît chez certains le sentiment le plus fort de tous, trouve aussi son expression dans ce que la société algérienne comporte des structures organisées : les associations professionnelles, les syndicats, les mouvements féminins, les cercles culturels.

Il s’exprime chez ceux-là par un rejet tout aussi passionné de ce que les Algériens appellent pour simplifier d’un nom devenu le plus employé dans toutes les conversations : Sant’Egidio (…)»

Mais il poursuit :
«Que cette opposition farouche à tout arrangement avec l’islamisme s’accompagne d’une critique constante du pouvoir en place et de ses institutions, c’est un fait».

2)   Une énorme répression développée par l’armée, la police. Des milices communales (60 000 hommes) financées et armées par les autorités suppléant l’armée organisent un maillage serré de surveillance. “Libération” du 21 novembre 1995 parle d’une “chasse sans merci contre les islamistes”. La torture systématique, les exécutions sommaires, les ratissages, les incarcérations frappent les militants islamistes ou supposés. “Le Monde Diplomatique” de février 1996 estime de 40 000 à 60 000 le nombre de morts victimes du conflit depuis janvier 1992.

3)   L’absence totale d’issue politique pour la classe ouvrière et la jeunesse algérienne.

Les objectifs de Zéroual étaient de présenter un minimum de légitimité et surtout d’élargir l’assise sociale du régime. “Le Monde” du 18 novembre 1995 établit cette base sociale de la façon suivante :

•     nombre de petites entreprises liées autrefois au FIS ont vu leur intérêt conforté par la guerre (aux dépens des entreprises d’État) et par de nouvelles mesures libérales ;

•     les personnels sécuritaires (en dehors de l’armée) : gardes communaux, milices privées, indics de la police dont le sort dépend du succès de la politique du régime ;

•     une partie de la base traditionnelle du FLN : organisation des anciens moudjahidins, certains intellectuels algériens, l’union nationale des femmes algériennes, l’UGTA… ont appelé au vote Zéroual.


Mais les résultats obtenus par Zéroual restent fragiles. Si la lutte pour le pouvoir entre l’armée et le FIS se solde aujourd’hui par un plébiscite en faveur de Zéroual, ce dernier n’est pas parvenu à stabiliser le pouvoir politique qui reste fondamentalement entre les mains de l’armée. Au sein de cette dernière et à la tête du régime les rivalités intestines se poursuivent. La réalisation du programme de Zéroual nécessite d’affronter la classe ouvrière.

Cette dernière cherchera à combattre sur son propre terrain de classe. Le journal “El Watan” du 27 février annonce qu’un nouveau syndicat, la CSA (Confédération des syndicats autonomes) créé en septembre 1995 appelle à une grève générale de 4 jours (du 2 au 5 mars) pour “le retrait inconditionnel des mesures de l’Ouyahia” et à une éventuelle marche de protestation le 7 mars. Cette confédération regroupe des sections syndicales non affiliées à l’UGTA (une douzaine d’organisations qui font état de “600 000 adhérents”). Elle dénonce la collusion de l’UGTA avec le gouvernement, mais elle a appelé à se rallier à la grève du 13 et 14 février (à l’initiative de l’UGTA).

Plus que jamais la conclusion de l’article du CPS du 15/8/91 est à l’ordre du jour. Répétons-la :

«La population laborieuse n’a pas d’issue, quels que puissent être les flux et les reflux, en dehors de la construction du parti ouvrier qui fera de la classe ouvrière en soi une classe pour soi, qui revendiquera le pouvoir et luttera à la tête de la population laborieuse pour le prendre ; constituera l’État ouvrier. Certes, étant donné l’étape politique où en est l’Algérie, ce parti devra combattre pour les libertés démocratiques et la solution des tâches démocratiques (y compris celle de la réunion d’une Assemblée Nationale souveraine élue au suffrage universel). Mais ces revendications et la réalisation de ces tâches devront être intégrées à la lutte pour un gouvernement ouvrier et paysan, pour l’État et le pouvoir ouvrier».


Le 11/3/1996

 

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