Article paru dans CPS ancienne série
n°60 de novembre 1995
conjoncture économique et capital fictif,
flottant et spéculatif
la “reprise” en question
Les
années 1990 ont été celles d'une profonde “récession” s'inscrivant dans la
crise récurrente de l'économie capitaliste qui s'est ouverte en 1974-75. Aux
USA une “reprise” s'est dessinée dès 1993, tandis que la “récession”
s'approfondissait en Europe et au Japon. 1994 aura été l'année où aux USA la
“reprise” s'est accentuée (PIB plus 4,1 %), où en Europe elle s'est
engagée (Allemagne PIB plus 2,9 %, France plus 2,7 %). Par contre au
Japon le PIB n'a progressé que de 0,6 %. Selon “Problèmes économiques” n°2 433 du 2 août 1995 : “Le volume des exportations mondiales de
marchandises a augmenté de 9 % ce qui représente la plus forte progression
annuelle depuis 1976 et plus du double du taux de croissance de 1993. Selon les
estimations, la production mondiale de marchandises se serait accrue de
3,5 % l'année dernière, soit plus que l'année précédente où elle avait
gagné moins de 1 %”.
“L'Expansion”
du 26 juin au 9 juillet 1995 écrivait déjà :
“En 1994 une forte reprise s'est déclenchée. Certains ont salué l'aube d'une
nouvelle ère de prospérité ‑ "les vingt merveilleuses ‑
et la plupart des prévisionnistes ont fait confiance à leurs modèles qui
prolongeaient la tendance... Déjà l'élan est brisé ! En 1995 c'est
l'essoufflement. En 1996 ce pourrait être l'avortement.”
Le 20 juin l'OCDE a révisé à la baisse ses prévisions de croissance pour les
années 1995 et 1996. D'après “L'Expansion” la croissance du PIB ne serait que de
2,8 % en 1995 et de 1 % en 1996 aux USA, que de 2,3 % en 1995 et
de 2 % en 1996 en Allemagne, que de 3 % en 1995 et de 2 % en
1996 en France, que de 0,5 % en 1995 et nulle en 1996 au Japon.
Ces prévisions doivent être considérées comme des indications. La fiabilité des
prévisions économiques, y compris celles des grands instituts, est faible.
Pourtant il semble qu'il n'y aura pas de “boom économique” en 1995 et 1996.
Un article publié le 6 septembre par “Le
Monde” renforce cette appréciation :
“Le contexte mondial n'est, il est vrai guère enthousiasmant. Les instituts de
conjoncture dressent tous le même constat: la croissance de l'économie mondiale
sera moins forte que prévu initialement. Les experts du Fonds monétaire
international viennent de réviser à la baisse leurs prévisions de croissance
moyenne des pays industrialisés. Celle‑ci s'établirait à 2,5 % en
1995, alors qu'ils anticipaient une hausse de 3 % au mois d'avril. Les
résultats d'une étude effectuée auprès de 500 experts de 63 pays publiée par
l'institut allemand IFO, aboutissent à une conclusion semblable. L'économie
mondiale se situe à un tournant et pourrait connaître un ralentissement
durable.”
Il est trop tôt pour avoir une vue satisfaisante de ce que seront les échanges
commerciaux et de services mondiaux en 1995.
Le même numéro de “L'Expansion”
estime que les obstacles à une croissance économique plus rapide, en Europe de
l'Ouest, au Japon et aux USA, sont les suivants:
en europe
“L’obstacle
sur lequel l’expansion bute, en France comme dans les autres pays du Vieux
Continent, c’est le déficit des finances publiques. Il faut le réduire, si l’on
veut participer à la monnaie unique en 1999, puisqu’il ne devra pas dépasser
3 % du PIB. alors qu'il atteint 5,5 % en
moyenne dans la Communauté (plus de 6 % en France). Et il faut le réduire de
toute façon, parce qu’il confisque les ressources au détriment de
l’investissement productif et fait monter les taux d’intérêt à long terme.
“Tous les pays (à une seule exception près) procèdent donc à un durcissement
budgétaire, qui pèse sur la consommation et bride la croissance (2 à 2,5 %
seulement en 1996) : mais il ne suffit même pas à stabiliser la part de la
dette publique dans le PIB. A plus de 70 % du PIB, en moyenne, elle
dépasse nettement l’objectif de Maastricht (60 %), et beaucoup de
gouvernements sont dans l’obligation de dégager un excédent, dit “primaire”,
entre leurs dépenses et leurs recettes hors service de la dette : ils
perdent toute marge de manoeuvre.
“L’exception est l’Allemagne. Par une série de tours de vis fiscaux, ignorant
les échéances électorales, nos voisins sont parvenus à maîtriser les déficits
résultant de l’unification et les ont fait refluer à 2,5 % du PIB. La RFA
est la seule (avec le Luxembourg) à satisfaire aux critères de Maastricht. La
vertu méritant récompense, elle peut envisager, dès janvier prochain un
desserrement fiscal, ce qui représenterait plus d’un point du revenu des
ménages allemands. Ciblé surtout sur les catégories populaires, il regonflerait
une consommation très affaiblie ces dernières années et assurerait ainsi une
croissance de 2 % en 1996 outre-Rhin. Pourquoi pas plus ? Parce que,
par ailleurs, l’ascension du mark freinera les exportations made in Germany : la perte représenterait 0,8 % du PIB en
1996. Les investissement en seront affectés, et l’emploi, qui souffrira des
délocalisations. Mais le pouvoir d’achat bénéficiera d’un nouveau recul de
l’inflation (à moins de 2 %), qui favorisera à son tour la détente des
taux d’intérêt, déjà bas à 4 %. Le reste de l’Europe et la France,
espérons‑le, en profiteront.”
aux usa
Selon
ce numéro de “L'Expansion” :
“Le ralentissement de la machine américaine (serait) dû à l'excès d'endettement
intérieur. Les ménages qui n'ont jamais été si endettés (même avant la
récession de 1990) hésitent à revenir au crédit pour acheter des automobiles,
des biens durables et des logements, depuis que les taux d'intérêts ont
renchéri. Le fléchissement de la demande alourdit les stocks ce qui pèse sur la
production et l'emploi, etc.”
Plus
loin :
“La Bourse paraît très vulnérable. Une correction exercerait un "effet de
richesse" à l'envers sur les consommateurs et rendrait probable une
récession, environ un semestre plus tard (?). Par contagion
avec le Japon le piège de la déflation financière peut aussi se refermer sur
les États‑Unis (l'inflation n'est pas le péril). L'atterrissage en 1996 a
plus de chance d'être brutal que doux.”
au japon
A
propos de la stagnation économique au Japon “L'Expansion” écrit :
“Il succombera à une implacable déflation
“Au Japon, le taux d’escompte est tombé à 1 %: il sera difficile d’aller
plus bas. Cela montre la difficulté de trouver une parade à la déflation
caractérisée qui s’est emparée de l'économie nippone, déclenchant des phénomènes
inconnus depuis les années 30 et dont les modèles économétriques n’arrivent pas
à appréhender les conséquences. Tout a commencé avec l'éclatement de la bulle
financière en 1990 : l’indice Nikkei de la Bourse a chuté de deux tiers et
les prix de l’immobilier, de moitié. Les pertes pour les spéculateurs, et en
particulier les promoteurs, sont énormes, mais peu ont fait faillite et les
créances douteuses se sont accumulées dans les banques. Elles s'élèvent,
officiellement, à près de 500 milliards de dollars et,
vraisemblablement, à plus du double, soit un cinquième du PIB ! Cela
représenterait 15 % de l’encours des prêts bancaires au secteur privé. Dans le
même temps, l'effondrement de la Bourse ampute les fonds propres des banques,
qui pouvaient y inclure 45 % de leurs plus‑values potentielles. Le
problème de la survie du système dans son ensemble est posé.
“D'autant plus que le cercle vicieux est entretenu par les ventes des banques
et des compagnies d'assurances, qui se débarrassent de leurs propres titres
pour se procurer des liquidités. Ce qui fait baisser le Kabuto
Cho, ce qui lamine les fonds propres, etc. Selon un expert, le prix des terrains devrait encore
diminuer de 30 à 50 % pour que la purge soit complète... Dans ce contexte,
la demande est affaiblie : les entreprises prévoient, selon la Banque du
Japon, de nouvelles baisses de prix et le coût de la vie lui‑même
diminue : il s'agit d'une véritable déflation. Les consommateurs restent
sur la réserve et les investissements sont paralysés : les surcapacités
sont aggravées par le coup d'arrêt donné aux exportations par la flambée du
yen. Mais comment enrayer celle‑ci ? C'est un autre aspect du cercle
vicieux : les Japonais sont obligés de liquider les titres et les actifs
qu'ils avaient acquis dans le monde et surtout aux États‑Unis (en
dollars), ce qui fait mécaniquement monter le yen. Du fait de la globalisation
financière. ce serait une erreur de croire que
l'implosion nippone n’aura pas de conséquences hors de l'archipel. Au
contraire, les ennuis du créancier japonais concernent au premier chef le
débiteur américain.”
A noter que la Banque du Japon a, au mois de septembre, abaissé son taux
d'escompte. Il n'est plus que de 0,5 %, c’est-à-dire pratiquement nul.
faiblesse des investissements productifs
Cette
analyse ne dégage pas, sauf pour le Japon, ce qui est pourtant
fondamental : il n'y a pas de reprise et à fortiori de boom économique
sans renouvellement massif du capital constant. Mais certaines indications
montrent qu'en France, en Allemagne, au Japon, aux USA, les investissements
piétinent quand ils ne reculent pas.
en france
Libération” du 7 septembre écrit :
“Au deuxième trimestre, dit l'INSEE, l'investissement global des entreprises a
baissé de 1,1 % par rapport au premier trimestre. Un retournement
inattendu : l'INSEE prévoyait pour l'ensemble de 1995 une progression de
8 %. Même si l'institut de statistique vient de réviser à la hausse les
chiffres de l'investissement en 1994, la tendance n'est pas fameuse.
“L'investissement c'est l'achat de machines-outils, de postes informatiques, de
mobilier de bureau, de moyens de transports, de locaux, bref de tout ce qui
permet de créer des emplois. D'ailleurs, l'investissement constitue, avec la
consommation des ménages, l'une des deux grandes composantes de la croissance.
“Sa dégradation est donc inquiétante. D'autant qu'elle intervient alors que
l'investissement sortait d'une profonde dépression : de 1990 à 1993 il a
chuté au total d'environ 30 %. Or depuis le début de la reprise seule une
petite partie du terrain perdu a été regagnée.”
Et encore : “il
s'agirait (pour l'essentiel) d'achats massifs de camions et de camionnettes
depuis la mi‑1994 jusqu'à la fin du premier trimestre 1995 % :
le simple retour à la normale de ce poste d'investissement engendrerait à lui
seul une baisse de 1 % des investissements.”
...en allemagne, au japon, aux usa
S’il
faut en croire une statistique établie par la Fédération des industries
mécaniques et publiée par “L'Expansion” n° du 18 septembre au 1er octobre 1995,
en Allemagne les investissements productifs qui avaient atteint 165 en 1991
(base 100 en 1980) sont retombés à 130 en 1993 ‑ une baisse de
35 points. Cette courbe s'est légèrement inversée en 1994. (sauf
dans les Länder de la partie Est où ils ont progressé). En 1994, comme en
France, les investissements ont légèrement progressé. Au mois d'août l'OCDE a
publié une étude sur les perspectives et la situation de l'économie allemande
qui estimait qu'en 1995 il y aurait une certaine progression des
investissements productifs.
Au Japon selon la même statistique les investissements productifs auraient
atteint 250 en 1991 (base 100 en 1980). En 1994 ils seraient retombés à 210,
soit une chute de 40 points. Pour 1995 les perspectives ne sont pas meilleures.
Aux USA, toujours selon la même statistique, les investissements productifs
atteignaient 165 points en 1991 (base 100 en 1980). En 1994 ils ont atteint
195. Soit une progression de 30 points. Mais selon “L'Expansion” du 18 septembre au 1er octobre,
dans ce pays “les industriels restent
pessimistes et seront prudents dans leurs embauches et leurs investissements”.
Dans ces conditions la conjoncture économique est pour le moins incertaine.
énorme masse de capital fictif, flottant et spéculatif
La
menace d'un krach boursier, financier, bancaire général est au moins aussi
grave, sinon plus, pour l'économie capitaliste que ce qui précède. Depuis les
années 1980 le capital fictif, flottant et spéculatif a crû de façon
gigantesque et il ne cesse de se développer. “L'Expansion” du 3 au 16 mars 1994
écrivait : “L'an dernier (1993) la capitalisation mondiale a crû de
27 % pour frôler les 14 000 milliards” de dollars. De plus les
“produits dérivés” étaient évalués en 1993 par la Banque des Règlements
Internationaux, à 8 000 milliards de dollars (une autre source indique
qu'ils seraient passés de 5 000 milliards de dollars en 1989 à 14 000
milliards en 1994).
Une
statistique émanant de la Banque Mondiale établissait qu'aux USA la
capitalisation s'élevait en 1994 à 5 081,810 milliards de dollars, à
3 719,914 au Japon, à 1 210,245 en Grande-Bretagne, à 470,519 en
Allemagne, à 451,263 en France (il s'agit de la capitalisation dans les Bourses
de ces pays). Pour avoir un ordre de grandeur il faut savoir qu'en 1993 le PIB
des USA s'est élevé à 6 387,686 milliards de dollars.
Rien
qu'à eux seuls les “fonds de pension” qui sont des
instruments de spéculation, s'élèveraient aux USA à 2 400 milliards de
dollars.
la capitalisation source de formation de capital fictif
Bien
que cette citation ait été faite maintes fois, il est utile de rappeler ce que
Marx écrivait à propos de la capitalisation :
“On appelle capitalisation la constitution du capital fictif. On capitalise
n'importe quelle recette se répercutant régulièrement en calculant sur la base
du taux d'intérêt moyen, le capital qui, prêté à ce taux rapporterait cette
somme ; par exemple si la recette annuelle est de 100 £.st. et le
taux d'intérêt de 5 %, les 100 £.st. seraient l'intérêt de
2 000 £.st. et ces 2 000 £.st. passent pour la valeur
capital du titre de propriété qui, juridiquement, ouvre droit aux
100 £.st. annuelles. Pour quiconque achète ce titre de propriété, les
100 £.st. de recette annuelle représenteraient en fait l'intérêt d'un
capital placé à 5 %. Ainsi il ne reste absolument plus de trace d'un
rapport quelconque avec le procès de mise en valeur du capital et l'idée d'un
capital considéré comme un automate capable de créer de la valeur par lui‑même
s'en trouve renforcée.”
Mais : “même lorsque la créance ‑ le
titre ‑ ne représente pas, comme c'est le cas pour la dette
publique, un capital purement illusoire, la valeur‑capital
est purement illusoire. Nous avons vu précédemment que le crédit donne
naissance à du capital associé. Les titres tiennent lieu de titres de propriété
représentant ce capital. Les actions de sociétés de chemins de fer, de
charbonnages, de compagnies de navigation, etc. représentent
(souligné par CPS) un capital réel : celui qui a été investi et qui
fonctionne dans ces entreprises. Notons en passant qu'il n'est nullement exclu qu'elle représentent une simple escroquerie. Quoi qu'il en
soit, ce capital n'existe pas deux fois, une fois comme valeur‑capital
des titres de propriété, des actions ; la seconde en tant que capital
investi réellement ou à investir dans ces entreprises. Il n'existe que sous
cette dernière forme et l'action n'est qu'un titre de propriété ouvrant droit,
au prorata de la participation, à la plus‑value que ce capital va
permettre de réaliser. Que a vende
son titre à b et b à c,
ces transactions ne changent rien à la nature des choses. a et b
ont alors converti leur titre en capital (capital‑argent NDLR) mais c
a converti son capital en un simple titre de propriété ouvrant droit à la plus‑value
qu'on espère du capital par actions.”
Les obligations, qu'elles soient des obligations d'Etat ou des obligations
émises par des sociétés rapportent un pourcentage fixe calculé d'après leur
prix nominal (sauf dispositions particulières). Mais, comme pour les actions,
le capital qu'elles sont censées représenter n'existe pas deux fois : une
première fois comme capital investi dans la production ; une deuxième fois
sous la forme d'obligations donnant droit à un intérêt annuel. En outre,
généralement, l'argent versé par les acquéreurs auprès de l'Etat des
obligations qu'il émet, n'est pas investi dans la production mais est utilisé
par l'Etat pour financer ses déficits et financer des dépenses improductives.
Marx poursuit :
“Le mouvement autonome de la valeur de ces titres de propriété ‑ pas
seulement des bons d'Etat, des actions aussi (ainsi que des obligations émises par les entreprises
et les sociétés NDLR) ‑
renforce l'illusion qu'ils constituent un véritable capital à côté du capital
qu'ils représentent ou du droit qu'ils peuvent établir. Ils se
transforment en marchandises dont le prix varie et est fixé selon des lois
propres”, celles de la
spéculation (“Le Capital” Livre IIIème,
tome II, pages 128, 129 ‑ Éditions Sociales 1959).
“tout capital semble se dédoubler, tripler”
Le
capital fictif ne se limite pas là : “La
majeure partie du capital du banquier est purement fictive et consiste en
créances (traites), fonds d'Etat (qui représentent du capital dépensé) et
actions (assignations sur un revenu à venir)” ... “A mesure que se développe le capital productif d'intérêt et le système
du crédit, tout capital semble se dédoubler et, par endroits, tripler même,
grâce aux diverses façons dont un même capital, ou simplement une même créance,
apparaît dans des mains différentes. La majeure partie de ce "capital‑argent" est purement fictive”. Cela
est vrai du “capital” dont dispose tout établissement
financier public ou privé. Il en est ainsi par exemple des “fonds de pension”.
Le papier monnaie, la monnaie scripturale ne sont que valeurs fictives. C'est
évident lorsqu'ils ont cours forcé et plus encore lorsque toute référence à une
définition or est abolie.
réglementation et déréglementation
Le
krach boursier de 1929, les crises financières et les krachs bancaires qui ont
suivi ont contraint les gouvernements bourgeois à “réglementer” les activités
boursières et bancaires. Aux USA en février 1933 un formidable krach bancaire
s'est produit. Roosevelt a pris le pouvoir le 4 mars. Le 6 il décrétait des
“vacances bancaires”. Les banques ont rouvert progressivement leurs portes
jusqu'au 15 mars date de la fin du moratoire et à laquelle la Bourse de New‑York, qui avait été également fermée, a rouvert.
Le 27 mai une réglementation de l'émission des valeurs mobilières était
promulguée ‑ le Federal Securities Act ‑. Le
16 juin le Banking Act (Glass-Steagall) réformait profondément le système bancaire.
Louis Pommery écrit dans son livre “Aperçu d'histoire économique contemporaine
1890‑1945” :
“Le Securities Act
prescrit, à l'introduction des titres en Bourse, de fournir à une Securities and Exchange
Commission une documentation très complète, dont l'inexactitude est frappée de
sanctions sévères (le Securities Act
de 1933 sera complété et amendé par le Securities
Exchange Act de 1934 et le Public Utility Holding Companies Act de 1935. Ce dernier
texte réglementait la constitution des holdings de services publics dont la
superposition avait certainement aggravé les conséquences de la crise
boursière).
“Le Banking Act de 1933
prévoyait un système de garantie des comptes de dépôt, l'octroi de pouvoirs
plus étendus aux Federal Reserve
Banks pour contrôler les banques, une distinction plus nette entre banques de
dépôts et les banques d'affaires ‑ les filiales financières devant
être séparées des banques proprement dites ‑ une réglementation des
dépôts, aucun intérêt ne devant être payé sur les dépôts à vue.”
Après la deuxième guerre mondiale et notamment lorsque s'est annoncée la crise
du dollar au début des années 60 d'autres réglementations sont intervenues.
Depuis les années 70 et surtout les années 80 ces réglementations ont été
tournées ou supprimées. Le “Glass‑Steagall Act”
devrait être abrogé au cours de l'année 1995.
nouvel essor des bourses
Pendant
plusieurs décennies les Bourses n'ont joué qu'un rôle secondaire. L'évolution
du Dow Jones en témoigne. Au 24 octobre 1929 il s'établissait à 350 points
environ, en 1932 il était tombé à 40 points. En 1962 il se situait à 725 points
environ. En 1982 il était retombé à 600 points. Mais le 27 mars 1987 il se
situait à 2 700 points. Soit entre 1982 et 1987 une hausse de 400 %.
Le krach boursier du 19 octobre 1987 le fait retomber à 1 738,62 points.
Fin 1989 il est remonté à 2 791 points. Au 31 décembre 1993 il s'est situé
à 4 647,54 points, en juillet 1995 à 4 700 points, au 1er septembre
1995 à 4 547,54 points, le 19 octobre 1995 il a atteint 4 802,45
points.
Le processus spéculatif se développe de façon autonome par rapport au processus
de production (sans en être pour autant indépendant). Il n'est que de
considérer que depuis 1982 le Dow Jones est en hausse de près de 800 %
pour s'en rendre compte. A ce point il faut souligner que ce qui intéresse la
spéculation c'est avant tout les gains en capital ‑ différence entre
prix d'achat et prix de vente des actions et obligations et tous autres actifs.
la “sphère financière”
“Le
poids de la sphère financière s’est fortement accru avec l’explosion du volume
des opérations financières : le montant des transactions effectuées sur le
marché des changes (là où s'échangent les devises) a quadruplé depuis 1980 pour
atteindre aujourd’hui près de 1 000 milliards de dollars par jour, d'après
les enquêtes effectuées par la Banque des règlements internationaux (BRI). Le
volume des opérations de change est ainsi environ cinquante fois plus important
que la valeur du commerce international des biens et services ! En
d'autres termes, il existe un rapport de 1 à 50 entre, d’une part, les
transactions internationales sur biens et services et, d’autre part, les
transactions financières internationales. D'où un “découplage” croissant entre
activités financières et l'économie réelle.”
(“Problèmes économiques” n°2 394
du 19/10/1994)
On constate que :
“Le gonflement des transactions sur les marchés financiers et sur le marché des
changes n'a plus de rapport direct avec le financement de la production et des
échanges internationaux. Il s’explique d’abord par la multiplication des
opérations d’arbitrage entre titres et monnaies qui se traduisent par des
mouvements incessants entre places financières. Les mouvements de capitaux sont
devenus largement autonomes et obéissent à leur propre logique. C’est ainsi que
se produisent des bulles spéculatives : la valeur des titres et des
monnaies augmente fortement sans que la situation économique des pays concernés
justifie cette envolée des cours.
“Exemple de ce découplage : l'euphorie boursière observée sur les places
financières en 1993. Les cours boursiers ont progressé de 45 % en
Allemagne et de 22 % en France l’an passé alors même que ces deux pays
européens subissaient leur plus grave récession depuis la fin de la Seconde
Guerre mondiale. Les perspectives de reprise économique en 1994 sont de plus
trop modestes pour justifier un tel optimisme des opérateurs. En réalité, c’est
la baisse des taux d'intérêt à court terme, passés en France de 12 à 6,5 %
entre janvier et décembre 1993, qui a été le moteur essentiel de cette embellie
boursière. La décrue du rendement des placements monétaires à court terme rend
plus attractifs les investissements en titres à long terme (actions et
obligations) qui, faisant l’objet d’une forte demande, voient leurs cours
augmenter. Au total, la sphère financière tourne sur elle-même.”
(ibidem)
quelques krachs et crises
De
nombreux krachs ou crises boursières, bancaires, financières se sont produits
ces dernières années. Ces craquements indiquent que l'édifice spéculatif est
voué à s'effondrer. Parmi eux :
• Le krach boursier d'octobre 1987,
• La crise bancaire aux USA qui a touché les
caisses d'épargne et les banques commerciales. 650 caisses d'épargne ont été
fermées de 1990 à 1992 et 400 faillites bancaires ont eu lieu entre 1991 et
1992. Le système bancaire a été sauvé par la décision du Congrès d'affecter des
centaines de milliards à son renflouement.
• Krach boursier, et ses conséquences bancaires,
au Japon en 1990 (voir plus haut)
• Au premier semestre de 1994 le relèvement des
taux obligataires a provoqué un krach sur ces marchés : “Rien qu'au premier semestre 1994 le krach
obligataire a provoqué les plus grosses pertes de tous les temps :
1 500 milliards de dollars, le dixième du PIB de l'ensemble de l'OCDE”
(interview de Michel Aglietta paru dans “L'Expansion”
du 18 septembre au 1er octobre 1995). L'explication en a été donnée dans le
numéro du 21 novembre au 4 décembre 1994 de “L'Expansion” :
“La reprise économique aux États‑Unis a déjà près de trois ans. Elle
s'est accélérée au dernier trimestre de l'année dernière, quand le taux de
croissance (en rythme annuel) a dépassé 6 %. L'effet ordinaire des
reprises est d'augmenter la demande de capitaux à investir, ce qui pousse à la
hausse des taux d'intérêt. Mais surtout les investisseurs (financiers) ont
craint la surchauffe, génératrice d'inflation. Un mal qu'ils détestent parce
qu'il ronge la valeur de leurs placements. Ils ont donc demandé des
rémunérations plus élevées (en clair : une hausse des taux d'intérêt ‑ NDLR). Tout signe de surchauffe accroît leur méfiance et
leurs exigences.”
“La hausse des taux d'intérêt a des effets en chaîne. En augmentant le
rendement des obligations nouvellement émises elle dévalorise tout le stock des
obligations existantes. Cette déprime des marchés obligataires ne tarde pas, en
général à gagner les marchés d'actions. En même temps l'argent plus cher freine
l'investissement et refroidit l'économie.” (le Dow Jones est retombé de
3 978,36 points au 31 janvier 1994, à 3 598,71 points au 20 avril et
est remonté à 3 953,68 points au 15 septembre).
“Le 6 décembre 1994, le comité californien d'Orange a demandé la protection de
la loi sur les faillites après avoir perdu plus de 2 milliards de dollars. Plus
récemment encore, mercredi 22 février, un article du Washington affirmait que
le district de Columbia était insolvable à la suite d'opérations de marché. On
peut d'ailleurs parler d'une véritable série noire. En janvier, la société
allemande Metallgesellschaft a annoncé avoir perdu
plus d'un milliard de dollars sur des opérations de contrats à terme de
produits pétroliers. En mars le fonds d'investissements Astin
Capital Management (2 milliards de dollars) est liquidé après d'énormes pertes
consécutives à des opérations dérivées sur des hypothèques. En avril les
lessives Procter and Gamble
révèlent une perte de 102 millions. En juin c'est l'Etat de Floride qui révèle
avoir perdu 175 millions de dollars.”
(...) “les
engagements "hors bilan" de quelques banques américaines à la fin
1993... Banker Trust 1 923 milliards de dollars,
1 723 milliards de dollars pour J.P. Morgan, à comparer à des capitaux
propres de 4,5 et 9,9 milliards de dollars.” (“Le Monde” du 28/2/1995)
• Faillite “exemplaire” de la banque anglaise Barings Brothers par suite de
spéculation sur les produits dérivés.
• Crise financière mexicaine et ses
prolongements.
“Le Monde” du 01/03/1995 reprenait :
“LE
CONTRÔLE DÉFAILLANT DES BANQUES
“La
faillite des caisses d'épargne américaines en 1989, le scandale de la BCCI en
1991, le naufrage de Nordbanken en Suède en 1992,1a
défaillance du Banesto en Espagne en 1994, les pertes historiques de la
première banque japonaise Sumitomo, le deuxième plan de sauvetage du Crédit
Lyonnais à venir dans les prochaines semaines et, aujourd’hui, les déboires de Barings... Cette liste des défaillances bancaires est loin
d'être exhaustive. A chaque fois pourtant et quel que soit le pays, l'ampleur
du sinistre est sans précèdent. A chaque “accident”, la question reste la même:
comment a-t-on pu en arriver là ?
“Traditionnellement, les systèmes bancaires jouent un rôle non négligeable
d’amortisseur dans les périodes de récession. Que certaines banques aillent mal
est normal mais la multiplication des sauvetages en catastrophe ‑ pour
éviter que la défaillance d’un seul n'entraîne la faillite de tous ‑
prouve que les contrôles des établissements bancaires internes et externes ne
sont plus adaptés à un environnement qui est celui d’une “économie
internationale de spéculation”, pour reprendre l’expression d'Henri Bourguinat, du CNRS. De peur de provoquer une psychose,
d’introduire le doute sur la solidité des systèmes bancaires, aucune autorité
de tutelle n’ose le dire. Alors les banques centrales et les institutions
internationales multiplient les recommandations et les études sur les risques,
notamment sur ceux qui résultent de l’explosion des transactions sur les
marchés dérivés. En vain.
“Le chancelier de l’Échiquier, Kenneth Clarke, sans
doute sous le coup du désastre de la banque Barings,
a déclaré, lundi 27 février, qu'il souhaitait revoir tout le système de
contrôle bancaire. 11 faudrait que ce précédent serve
d’exemple, y compris en France. (Éric Leser)”
japon: nouveaux krachs
Au
Japon encore : le 31 juillet 1995 la première mutuelle bancaire du Japon,
la banque Cosmo Credit était mise en cessation de
paiements (“Les mésaventures de Cosmo Credit ont mis en lumière la fragilité extrême d'un autre
pan de l'édifice financier nippon : ces centaines de mutuelles de crédit
et coopératives agricoles qui se sont engagées sans compter sur l'immobilier et
la Bourse, jusqu'à l'éclatement de la bulle financière.” (“Libération” du 01/08/1995)) ; le 30 août était annoncée la faillite du premier
établissement de crédit du Japon la “Kizu Credit Union” (“Cette
défaillance est d'autant plus inquiétante qu'elle survient après celle de trois
autres banques mutualistes : Tokyo Credit Union
et Anzu Credit Union,
fusionnées depuis dans la Tokyo Kyodo Bank, puis le mois dernier Cosmo Credit
Union.” (“Le Monde” du 31 août
1995)).
Le
23 août 1995 “Libération” publiait
une interview d'un “spécialiste du
secteur bancaire japonais chez Baring Security à
Tokyo, James Philip Fiorillo”. A la question “Les banques japonaises peuvent-elles venir
à bout seules de leurs créances douteuses”, il répondait :
“Non ! Les plus grandes mises à part, les banques ne sont pas capables de
gérer seules le problème des créances douteuses. Elles devront être aidées.
Sans aide de l'Etat, il faudra au minimum six ans pour apurer leurs comptes. dans beaucoup de cas cela pourrait prendre dix ans voire
plus.”
les créances douteuses des banques françaises
Il
faut s'arrêter un moment sur la situation des banques françaises. Dans un
article intitulé : “L'omerta
immobilière tétanise les banques” publié dans “Libération” du 8 août 1995 et sous‑titré : “Elles n'osent toujours pas brader leurs
stocks de créances douteuses” on lit :
“Trois chiffres donnent la mesure du problème. Au 31 décembre 1994 les banques
françaises ont prêté 350 milliards de francs aux professionnels de
l'immobilier. Sur ce total 200 milliards peuvent être qualifiés de créances
douteuses et 100 milliards ont été provisionnés. Et plus la crise dure, plus le
taux de pourriture augmente : 34 % en 1992 à 57 % en 1994...”
“... Les banques hexagonales qui ont majoritairement opté pour étaler
leurs pertes dans le temps, sont raillées partout dans le monde : serrer
les fesses ne ferait qu'entretenir la crise. "Les banques françaises ont
adopté une attitude irresponsable : non seulement elles n'ont pas réalisé
leurs pertes, mais elles tentent de les cacher" dénonce Erik Sonden, spécialiste suédois de l'immobilier. Les français
rétorquent que des ventes massives accentueraient la chute des prix. Des
banquiers font même ce cauchemar qu'une poignée de traîtres bradent leurs
actifs, obligeant l'ensemble des banques à passer d'énormes provisions supplémentaires
pour tenir compte de ces nouveaux prix de marché.
“"Il est de l'intérêt collectif qu'un tel scénario ne se produise pas,
s'inquiète un banquier. Mieux vaudrait organiser une sortie de crise étalée sur
cinq à dix ans." Cette politique de l'autruche a un coût : 15
milliards de francs par an. On appelle ça les frais de portage. En effet, les
capitaux gelés dans l'immobilier, qui ne rapportent rien à une banque, auraient
pu être prêtés au taux du marché (7 % pour le taux à deux ans,
aujourd'hui).”
Pour sa part le Crédit Lyonnais a accumulé 135 milliards d'“actifs compromis”.
Un montage, garanti par l'Etat, lui a permis de mettre “hors bilan” ses
“créances douteuses” par la constitution d'un “Consortium de réalisation
(CDR)” :
“L'assemblée nationale a adopté, mercredi 4 octobre un texte qui dessine les
contours de l'aide que va apporter l'Etat au Crédit Lyonnais et au Comptoir des
entrepreneurs (CDE), les modalités de son application et les contrôles qui y
sont attachés. Dans les deux cas la solution retenue consiste à sortir du bilan
de ces deux établissements des actifs compromis qu'ils n'étaient plus en mesure
de conserver (16 milliards de francs pour le Comptoir des entrepreneurs et 135
milliards de francs pour le Crédit Lyonnais).” (“Le Monde” 06/10/1995)
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La
couverture de tous ces krachs et crises, à tout le moins la limitation de leurs
conséquences, ont jusqu'à présent été assurées par les États bourgeois,
naturellement au détriment des finances publiques. Cela durera jusqu'au jour où
ils se répercuteront en chaîne et ne pourront plus être couverts, d'autant plus
que le crédit des États bourgeois est lui‑même vacillant et que la
couverture de ces krachs et crises contribue à le ruiner.
le 24/10/1995.
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