Extrait de l'éditorial du Combattre pour le socialisme n°80 de janvier 2000

 

Pendant que le gouvernement de Jospin réalise leur programme,

pour les principaux partis bourgeois, la crise continue

 

 Chirac/Delevoye humilié …


Cela peut paraître paradoxal. Le gouvernement Jospin-Gayssot-Chevènement-Voynet-Zuccarelli a non seulement repris à son compte et développé les privatisations, le plan Juppé, les traités d'Amsterdam et de Maastricht, mais encore il a renvoyé avec les lois Aubry les lois quinquennale de Balladur et la loi de Robien au rang de simples brouillons. Et pourtant, alors que c’est leur programme qui est réalisé, les principaux partis de la bourgeoisie (le RPR, l'UDF, DL, et le RPF) s'avèrent toujours incapables de surmonter leurs divisions et leurs crises - bien au contraire.

 

Ainsi, le candidat de Chirac pour l'élection à la présidence du RPR, JP Delevoye, a été battu a plate couture. Naturellement, une fois élue contre le candidat de l'Elysée, M.Alliot-Marie s'est empressée de faire (une nouvelle fois) acte d'allégeance à Chirac, qu'elle rencontrera donc toutes les semaines. En vérité, le RPR ne peut et ne pourra pas s'affranchir de Chirac, ainsi que Ph.Seguin en a déjà fait la dure expérience. Mais cette humiliation reçue par Chirac dans son propre parti, outre qu'elle souligne à quel point il ne reste président que par la bonne volonté du PS et du PCF, concentre d'une certaine manière les problèmes politiques des partis bourgeois.

 

D'une manière générale, la crise des partis bourgeois procède fondamentalement de leur incapacité, sur des décennies, à réaliser les objectifs pour lesquels fut fondée la Vème République: instaurer un pouvoir fort dans ce pays, mater la classe ouvrière, la jeunesse, détruire le mouvement ouvrier, restreindre les libertés démocratiques. La résistance de la classe ouvrière, les grands combats qu'elle a engagé, ont interdit à la bourgeoisie d'y parvenir.

 

Chirac, à titre personnel, symbolise cet échec récurrent. Il est celui qui a échoué à utiliser une situation on ne peut plus favorable: la reconquête de la présidence de la République en 1995, appuyé sur une écrasante majorité RPR-UDF à l'Assemblée. Quelques mois après, les grèves et manifestations de novembre-décembre 1995 l'obligeaient, sur la question des retraites, à faire machine arrière. Puis c'était le pari perdu de la dissolution-plébiscite.

 

Depuis, les principaux partis bourgeois vont de crise en crise. Ils cherchent comment, sur quel axe se réordonner et reconquérir le pouvoir. Or, les rapports entre les classes, quand bien même ils sont à l'avantage de la bourgeoisie, n'autorisent pas un rassemblement efficace arborant ouvertement les couleurs du pouvoir fort. C'est au contraire le gouvernement Jospin-Gayssot-Chevènement-Voynet-Zuccarelli qui va aussi loin qu'il est possible d'aller à un gouvernement bourgeois.

 

Au sein du RPR, la recherche de l'axe sur lequel se réordonner, qui ne peut être qu'une variante, même défraîchie, du  pouvoir fort, se heurte en permanence à Chirac. Celui-ci est engagé dans la cohabitation ("émolliente", dixit Seguin), dont se satisfait l'impérialisme français. Et Chirac est pourtant dans le même temps le seul point d'ancrage du RPR. 

D'où des tensions qui ne peuvent aller qu'en croissant, jusqu'à ce que la proximité des échéances les dénoue - si elles n'ont pas emporté le RPR d'ici là.

D’où la formule de Michèle Alliot-Marie: "je dirai tout haut ce que le président pense tout bas". En termes moins polis, il s’agit pour le RPR de chercher à retrouver son rôle de chantre d'un régime bonapartiste, malgré Chirac, ce chef encombrant.

Première épreuve: le RPR s’apprête à voter contre la "réforme de la Justice" de Guigou dont Chirac peut revendiquer la paternité.

 

"Durcir le ton", voilà un mot d’ordre d’autant plus impérieux pour le RPR qu’a surgi un concurrent sérieux revendiquant, lui aussi la première place dans le combat pour reprendre la marche au pouvoir fort: le RPF.


… Le RPF déjà fissuré

Sur un autre plan, les craquelures qui ont fissuré la façade fraîchement peinte du RPF des Pasqua et Villiers relèvent des mêmes problèmes, même si ce mouvement est encore en phase ascendante, ce qui limite forcément les conflits en son sein. C'est aujourd'hui le RPF qui peut incarner le plus nettement la recherche par la bourgeoisie de solutions radicales contre la classe ouvrière. Encore faut-il savoir jusqu'où aller pour être efficace: le précédent du FN et son éclatement indique où sont les limites.

 

En s'en prenant à Marchiani, individu particulièrement réactionnaire, chantre avec de Villiers du recylage au sein du RPF des anciens lepénistes et mégretistes, Pasqua a indiqué qu'il n'entendait pas que son parti devienne "un front national bis", "la droite de la droite", tout juste bon à servir de force d'appoint à Chirac pour le second tour de la présidentielle,  mais qu'il ambitionne (et pour lui d'abord) que le RPF supplante le RPR comme axe autour duquel l'ensemble des partis et formations bourgeoisies pourrait s'agréger (jusqu'au MDC).

 

Mais il faut bien dire que le RPF est né en prenant la relève du Front National - dont l'éclatement lui a fourni l'espace pour se développer, que cela plaise ou non à son principal fondateur, Pasqua.

 

Ces craquements du RPF recoupent également les clivages au sein de la bourgeoisie française sur les relations à adopter envers l'impérialisme allemand. Le simple fait d'avoir voté ensemble non à Maastricht ne signifie pas qu'il y ait, là encore, unité entre un De Villiers et un Pasqua. Ainsi, la récente élection partielle du 20ème arrondissement de Paris aura servi de révélateur: tandis que De Villiers voulait que le RPF appelle à voter pour le candidat UDF (pro Maastricht, pro Chirac), Pasqua imposa que ce ne soit pas le cas. Les voies de la "souveraineté nationale" sont décidément impénétrables.

 

En tout état de cause, l'émiettement des principaux partis de la bourgeoisie est spectaculaire: UDF, DL, RPR, RPF, sans compter le FN, son ombre, le MNR, et "la droite" de l'ancien ministre Millon.  Ce à quoi on doit ajouter les Verts, le MDC, les Radicaux - mais il n'y a là par contre aucune nouveauté.

 

Ce n'est que si le gouvernement de la "gauche plurielle" remplit son office jusqu'au bout, fait passer des contre-réformes aussi amples que possible, que les reclassements prendront le pas sur les crises et que les principaux partis bourgeois pourront se réordonner. C'est aussi dans cette optique que, d'ores et déjà, ces partis, Chirac, mais aussi le Medef, se contentent aujourd'hui de faire pression sur ce gouvernement, l'aiguillonnent, et dessinent à partir de sa politique ce que pourrait être la leur en cas de retour direct aux affaires.

 

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