Sur les licenciements: à
propos des manifestations
des 16 octobre et 11
décembre 1999
"Il ne revient pas aux seuls députés
communistes de prendre la responsabilité de décider de quitter le gouvernement
ou de le mettre en minorité" (Robert Hue)
De son côté, le PCF boit le calice jusqu'à la lie. Ce n'est
pas, en effet, sans difficultés que les députés PCF prennent la responsabilité
de faire passer la totalité de la politique du gouvernement. Non pas que la
pression des masses s'exerce à son égard. Il s'agit en fait, à l'étape
actuelle, de la manifestation de la crise de l'appareil qui perçoit qu'au bout
du chemin, il y a sa propre disparition, mais qui ne peut en emprunter d'autre que
celui de l'adaptation toujours plus servile aux besoins de la bourgeoisie.
C'est cette crise qui se manifeste le plus nettement parmi
les députés PCF, parce qu'à l'Assemblée, les circonvolutions verbales servant à
camoufler la politique du PCF se dissolvent au contact de la dure réalité: le
vote des projets du gouvernement. Il faut relever les règlements de comptes
publics entre M.Gremetz et R.Hue, après que le premier ait révélé que le projet
de loi présenté par le second "contre le travail précaire" avait été
en réalité élaboré par le cabinet de Martine Aubry.
Ultérieurement accusé (au CN du PCF du 6 décembre) d'être
"un
irresponsable portant atteinte aux intérêts du PCF", Gremetz
répond à Hue "qui a dit au bureau national: "c'est Maxime ou
moi, concernant les responsabilités actuelles", je réponds: c'est Robert
qu'il faut garder"
Mais ces oscillations d'appareil s'opèrent sur un axe: le
soutien à la politique du gouvernement. Pour preuve. Le 2 novembre, en
l'absence de R.Hue, les députés PCF décidaient de voter contre le projet de loi
de financement de la sécurité sociale. Aussitôt, L.Jospin signifiait à R.Hue
(selon les déclarations de celui-ci) que:
" il lui fallait une majorité pour le projet de
financement de la sécurité sociale et qu'il ne pouvait pas, sans majorité sur
une question essentielle, continuer".
Décidément installé dans son
nouveau rôle de petit télégraphiste du gouvernement, R.Hue en informait ses
camarades. Ceux-ci, effrayés par la menace d’être jetés sur le pavé sans aucune
alternative, tournaient aussitôt casaque, ils s'abstenaient, permettant à la
loi de passer.
Tirant le bilan de cet épisode, R.Hue déclarait que: "les députés communistes ne pouvaient pas
seuls décider de quitter le gouvernement ou de le mettre en minorité".
Mais que représentent les députés PCF? Un concentré de la
politique de tout le PCF, car c'est à l'Assemblée nationale, et pas place du
colonel Fabien, que les lois se votent, c'est là que se pose le plus
directement la question du pouvoir, du gouvernement, et de sa capacité à
poursuivre sa politique anti-ouvrière. Ce qu'annonce Robert Hue, c'est qu'il
est plus que jamais hors de question pour le PCF de mettre en cause le
gouvernement, et qu'en conséquence le groupe parlementaire doit s'y conformer.
C'est sur ce même axe de protection du gouvernement et de
tentative de justification de la participation du PCF qu'ont été organisées les
manifestations du 16 octobre, puis celles du 11 décembre: quelques mots
d'ordres en apparence parfois radicaux ("arrêt des plans de
licenciements") qui servent à couvrir la politique du gouvernement:
pas un mot, dans les appels à manifester des 16 octobre et 11 décembre, du gouvernement et de sa
politique, de la nécessité de les combattre! Et sur cet axe, on doit noter que
LO et la LCR, ont totalement couvert la
politique du PCF.
Arlette
Laguiller "félicite" Robert Hue
Au lendemain des manifestations du 16 octobre 1999 (environ
30 000 manifestants à Paris, 70 000 selon Hue, adepte en ces temps
difficiles de la "gonflette"), Arlette Laguiller écrivait une lettre
ouverte à Robert Hue qui mérite d'être lue. Pour
commencer, A.Laguiller félicite R. Hue:
"Je
tiens à vous féliciter du succès de la manifestation du 16 octobre dont vous
avez pris l'initiative le 12 septembre lors de la Fête de l'Humanité."
Aussitôt, "Arlette"
propose de remettre le couvert:
"La presse tente de nous présenter, vous et nous, comme
défendant au travers de cette manifestation, des objectifs opposés.
Vous dites que le gouvernement doit tenir plus compte des
intérêts populaires et je dis qu'il faut contraindre Jospin à le faire.
Votre politique est de participer à ce gouvernement pour le
changer de l'intérieur ce que je crois impossible, tandis que je pense qu'il ne
changera que sur une pression extérieure du monde du travail.
Mais malgré cette divergence, nous devrions pouvoir, pour
l'avenir, envisager des actions communes."
Maigre divergences, en effet: le 11 décembre, après le 16
octobre, LO (et la LCR) se retrouvaient unis avec le PCF sur une même orientation:
rien ne doit remettre en cause le droit du gouvernement de "la gauche
plurielle" à gouverner.
Sous
le drapeau de la "citoyenneté", les appareils déboussolent la classe
ouvrière
Ces manœuvres de LO et de la LCR contribuent à aggraver
l'impasse politique du prolétariat. Et les partis constitués historiquement par
le prolétariat pour répondre à la question du pouvoir, partis social-démocrates
et partis anciennement staliniens poursuivent leur entreprise de désarmement
politique. Ils utilisent tous les liens tissés pendant des décennies, leur
influence, leurs poids, pour faire pénétrer dans la conscience des masses les
plus large que le régime capitaliste est le seul régime possible, que seules
sont par conséquent possibles des
politiques préservant la propriété privée des moyens de production et
d'échange, que l'on pourrait aux mieux le "réguler" pour en limiter
les excès.
La dégénérescence du mouvement ouvrier a pris dans ces
derniers mois, de manière de plus en plus précise, la forme d'une campagne
généralisée orchestrée sur le thème de la "citoyenneté" qu'il
s'agirait d'opposer à la "mondialisation". C'est ce couple que tous
les vieux partis pourris voudraient substituer à la lutte des classes.
C'est par exemple la définition même des "tâches"
des partis membres de l'Internationale Socialiste que celle-ci donnait dans la
"déclaration de Paris" qui fit suite à son congrès de novembre
dernier:
"La citoyenneté engagée (…) est notre pari et notre proposition
de renouveau et de renforcement des systèmes démocratiques".
"Engagée" ou pas, la citoyenneté est un terme qui
a un sens parfaitement défini: effacer la notion même de classes sociales,
d'intérêts de classe antagoniques. Mais qu'implique donc un tel
"pari"? Voici:
" l'encouragement de l'esprit d'entreprise en matière
économique, sociale et culturelle (…)d'encourager l'activité, d'augmenter la
capacité de compétition des entreprises"
Au fait: il s'agit d'assurer la rentabilité du Capital (la
"capacité de compétition") ! Voilà effectivement un domaine dans
lequel les partis sociaux-démocrates d'Europe ont démontré tout leur
savoir-faire depuis des années. Et la promotion de la "citoyenneté"
en tant que nouvelle panacée qui guérirait les maux de ce monde s'inscrit
entièrement dans cet objectif.
Aussi, la route de la "citoyenneté engagée"
passait fatalement par Florence, en ce sens que dix jours après la clôture des
travaux du congrès de l'Internationale Socialiste" avait lieu une
rencontre importante: celle des chefs de la social-démocratie européenne avec
Bill Clinton, président du paradis retrouvé du capital: les Etats-Unis
d'Amérique. A l'ordre du jour: la discussion entre "réformateurs". On
comprend bien de quelles "réformes" il peut s'agir. L'inclusion de
B.Clinton dans les cénacles des PS européens vaut tous les discours sur la
citoyenneté. Jospin résume l'esprit de Florence:
"Le révolutionnarisme est derrière nous(…). Il n'y a pas de
modèle alternatif."
Pour avoir de plus amples informations sur ce que signifie
la "citoyenneté", il faut se tourner vers la préparation du XXX°
Congrès du PCF. Une seconde salve de textes (sept) cadre les débats, après une
première dans lesquels, à son habitude, la direction du PCF posait des "questions"
qui étaient autant de réponses. Et qu'affirme désormais la direction du PCF?
Que c'est "l'intervention citoyenne" qui est le "levier
de la transformation sociale" (texte n°3). Et de donner une perspective à
"l'intervention citoyenne" dont la conclusion nous ramène
directement à la loi Aubry (dans le texte n°1 Quel monde voulons-nous?)
"faire reculer la dictature des marchés financiers et
des multinationales jusqu'à s'en émanciper, civiliser l'international,
promouvoir un développement humain durable et équilibré, et de nouvelles
sécurités, les droits nouveaux d'une démocratie participative à l'échelle de la
planète, jusque dans les entreprises et les institutions internationales"
La "démocratie
participative dans les entreprises" n'est autre qu'une reformulation
de la "démocratie sociale"
de Chirac, c'est un nouveau masque derrière lequel se cache le corporatisme,
l'atomisation du prolétariat comme classe, éparpillé en autant de
"citoyens" "libres" de se faire surexploiter (ou d'être
chômeurs).
Ce n'est pas pour rien que ces textes donnent une définition
sans précédent du PCF:
"La fuite en avant capitaliste vers le "tout
financier" met en cause l'économie réelle : au-delà du salariat, elle
menace le tissu économique de nos sociétés, les créateurs de richesses
matérielles et culturelles, l'environnement. Les économies comme les sociétés
sont handicapées et fragilisées par la finance et le grand patronat. Nous
luttons pour fixer comme but à l'économie l'efficacité sociale durable. En ce
sens, nous sommes le parti des entrepreneurs et des créateurs : nous
voulons révolutionner le travail." [nous
soulignons]
C'est sur une telle orientation que le prochain congrès du
PCF entend porter la hache contre les structures de ce parti, pour le diluer
autant que possible dans la société bourgeoise, étape vers la liquidation du
PCF au compte de la bourgeoisie, dans la continuité avec ce que représentait la
mise sur pied de la liste "Bouge l'Europe".
27
Novembre: des "manifestations citoyennes contre l'OMC"
Les manifestations auxquelles appelaient notamment PCF, LCR, directions CGT, FSU et UNEF‑ID pour le 27 novembre au sujet du sommet de l'Organisation Mondiale du Commerce - puis celles à Seattle même - ont été portées au pinacle comme emblèmes de "l'intervention citoyenne". Aussi, il est nécessaire de voir sur quel axe elles furent organisées.
L'appel à manifester le 27 novembre portait quelques
considérations sur le refus de la "déréglementation
sociale", des privatisations (du moins peut-on le comprendre ainsi), de
la mainmise des grands trusts sur le génie génétique. Mais ce n'est qu'un
camouflage: il s'agit en fait de défendre les positions de la France dans ces
négociations, au nom de la défense des "réalités économiques, sociales, culturelles" de chaque pays, au
premier rang desquelles, en ce qui concerne la France, se trouveraient "les services publics" et "le roquefort"! Quid du gouvernement de la "gauche plurielle"? Néant:
l'OMC serait la seule responsable de la "déréglementation sociale",
des privatisations… Mystification devenue presque banale, de par l'action
politique des appareils traîtres du mouvement ouvrier.
D'où le premier mot d'ordre de cet appel: le refus de
l'extension des pouvoirs de l'OMC. Voilà certes un mot d'ordre
"citoyen" que la défense de la "souveraineté nationale",
qui est éminemment inséparable de la "citoyenneté", dont elle est le
cadre "naturel" d'exercice. L'opération politique est profondément
réactionnaire: les manifestations du 27 novembre avaient pour axe l'union
nationale, la défense de la France contre "la loi du pus fort" (les USA), défense de la nation dans
laquelle il est assigné à la classe ouvrière un rôle de force subalterne, de lobby. Voilà le dernier mot de
"l'intervention citoyenne", le seul qu'elle puisse dire sérieusement.
C'est pourquoi les appareils se sont engagées, et donné
suffisamment de corps à ces manifestations. Ils propulsent ainsi une
association comme ATTAC, qui exprime à merveille les inquiétudes de la
petite-bourgeoisie effrayée par les manifestations quotidiennes du caractère
monstrueux du capitalisme. Sa proposition centrale "mettre des grains de
sable dans les rouages de la finance", se décline ainsi: ATTAC veut bien
du capitalisme, mais sans la spéculation, le capitalisme, mais sans (trop) de
monopoles et de fusions, elle veut le capitalisme, mais sans la surexploitation
effrénée des sources de toutes richesses: les travailleurs et la terre; bref, le
capitalisme, sans toutes les caractéristiques qui lui ont permis de repousser
ses limites, un capitalisme "raisonnable", "soutenable".
C'est là un véritable poison injecté dans les veines de la
classe ouvrière par les appareils du mouvement ouvrier.
Car en réalité, ainsi que nous l'écrivions dans notre
déclaration sur les licenciements chez Michelin, "si l'on admet la dictature du capital financier comme seul horizon
historique, il faut se résigner à encaisser toujours et plus de coups":
on ne peut aller de l'avant si l'on craint d'aller au socialisme.
L'alternative
La première condition de toute politique visant à assurer à
l'humanité la maîtrise de son destin, de ses conditions de vie, de son
environnement, d'assurer à chaque membre de la société une existence digne et
épanouissante est d'arracher des mains des grands groupes capitalistes les
principaux moyens de production, d'en finir avec la mainmise qu'ils exercent
sur les matières premières aussi bien que sur la recherche scientifique.
Ainsi, la production pourra être organisée, non plus selon
les exigences carnassières de la loi du profit, moteur même du capitalisme,
mais en fonction de la satisfaction des besoins des masses, selon un plan
établi par les travailleurs eux-mêmes. Alors, tant les crises de surproduction que les restrictions artificielles
de cette production qu'implique la loi capitaliste du profit seront éliminées.
L'expropriation du Capital et l'instauration de la propriété
collective sont la seule perspective alternative au mode de production
capitaliste. Mener une politique anticapitaliste répondant aux aspirations du
prolétariat, de la jeunesse, démantelant l'arsenal législatif dressé contre eux
par des décennies de gouvernements de la V° République, exige que soit porté au
pouvoir un gouvernement ouvrier, appuyé sur les organismes que la lutte du
prolétariat fera surgir, cela exige que le prolétariat prenne le pouvoir et
assure sa dictature.
Pour cela, un parti ouvrier révolutionnaire est nécessaire.
Mais celui-ci n'est pas un deus ex machina de la lutte des classes. La population laborieuse,
la jeunesse, ne peuvent attendre qu'il soit construit pour lutter et chercher à
résoudre leurs problèmes politiques. C'est même de ce processus dont jailliront
les éléments permettant de le construire.
C'est pourquoi il faut aujourd'hui lancer l'exigence au nom
des masses au PS et au PCF:
"Cessez
de soutenir le gouvernement que dirige Jospin ! Vous avez une majorité à
L'assemblée nationale. Constituez un gouvernement sans représentants des
formations bourgeoises avec qui vous avez constitué la "gauche
plurielle", un gouvernement émanant de vos députés et répondant devant
eux, finissez-en ainsi avec Chirac et la V° République! Menez une politique
conforme à nos besoins et aspirations!".
Seul le mouvement des masses pourra imposer un tel
gouvernement sans représentants de formations bourgeoises aux députés PS et
PCF. Cette perspective donne toute sa force à l'exigence que les dirigeants
syndicaux (CGT, FO, FSU, FEN), rompent avec le gouvernement
Jospin-Gayssot-Chevènement-Voynet-Zuccarelli, exigence qui, sans cesse formulée
selon les besoins immédiats de telle ou telle corporation, permettra au
prolétariat de se dégager de la gangue dans laquelle les appareils l'enserrent,
à la puissance de sa spontanéité de s'exprimer pleinement, de réunir les
conditions de la contre-offensive contre la bourgeoisie française et le
gouvernement à sa solde.
Le 15 janvier 2000
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